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HISTOIRE
DE
JAC QUE-AUGUSTE
DE
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TOME
TROISIEME.
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HISTOIRE
UNIVERSELLE
DE
JACQUE-AUGUSTE
DE THOU>
Depuis 1543. jufqu'en 1607.
TRADUITE SUR L'EDITION LATINE DE LONDRES.
TOME TROISIEME.
1556. 1560.
A LONDRES.
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SOMMAIRES
DES LIVRES
CONTENUS DANS CE TROISIEME VOLUME.
SOMMAIRE DU LIVRE XVII.
Apel du cardinal Poole qui aVoit été exilé par Henri
VIII. On propofe en vain dans le Parlement d'Angle-
terre de couronner Philippe. En Ecoffe le Viceroi fe démet de
toute I autorité , Z? la Reine mère efl déclarée Régente du
Royaume. Supplices des Proteflans en Angleterre. On fait
exhumer les corps de Bucer <&r de Fagius. Trêve que l Em-
pereur <ùr le Roi ratifient. Ottavio Famefe quitte le parti de
la France , & fe reconcilie avec l'Empereur. Les Caraffes
tachent défaire rompre la trêve. Le cardinal Caraffe efl en-
Voyé légat en France. Le Papeprofcrit les Colonnes , <l?fait
un procès à l 'Empereur au fujet des Royaumes de Naples ,
& de Sicile. Les Caraffes dreffent des embûches k Afcanio
de la Cornia. Conquêtes du duc d \Alhe dans la campagne de
Rome. Prife d 'Anagni. Jean de Luna quitte le fervice de
l Empereur , (3l entre au fervice de la France. Les Turcs
djfiégent inutilement Or an en Afrique s vigoureufe rejï fiance
du comte Aie audete gouverneur de cette place. Marc- Antoine
Tom. III. a
Henri II.
ij SOMMAIRES.
Colonne fait des courfes jufquaux portes de Rome. Prife de
Henri IL j1^/,. Reddition de Vicovaro. Blaife de Montluc efl en-
yoyé à VelletYÏ pour défendre > & fortifier cette Place. Les
habitans de Nettuno fe révoltent , <&r le duc d'Elbe envoie
des troupes h leur fecours. Palombara efl pris l? pillé par la
mauVaife intelligence des habitans. Balta^ar Rangone tombe
dans une embufcade , que Popoli lui avoit drejfée , fa de-
route jette ï ail arme dans Rome. Siège , & prife d'Oftte. Tre->
Ve entre le Pape £? le duc d'Âlbe, fur le bruit qui couroit ,
que l'armée de France alloit arriver. Le duc d'Albe va à
Isfaples y & cherche > avec les principaux officiers yles moyens
d'affurer les frontières. Ferdinand de Gon^ague qui étoit re-
Venu en Italie y après le jugement qui avoit été rendu en Flan-
dre par l'Empereur contre fes accufateurs , ajfifle à ce Conjeil,
<UT y dit fort avis. Les troupes du Pape commandées par
Stro^j reprennent Oflie. Marc-Antoine fils de Blaife de
Montluc y efl tué. Prife de Vicovaro par les troupes Fran-
çoifes. On punit févérement en France les feclaires y dont plu-
fieurs fouffrent le dernier fupplice. Arrêt remarquable du Par-
lement de Paris , contre Julien Taboue qui caffe un autre
arrêt du Parlement de Dijon : Raimond Peïiffon y & d'au-
tres accufe\ de concuffion , <&r qui aVoient été condamne^ com-
me coupables , font renvoyé^ abfous , <? entièrement juftifie^.
On travaille à la pacification des troubles de la Religion en
Autriche. Mouvemens des Ofiandriftes en Pruffe. Jean Funck
abjure fes erreurs. On reçoit la confeffion d'Ausbourg a Spi-
re y & dans l'état de Bade. Soupçons des Proteftans contre
la France , à caufe de notre alliance avec le Pape. Mort de
Frédéric Eletleur Palatin , qui avoit époufé Dorothée fille de
Chriftierne Roi deDannemarc ,<sr quinelaiffe aucune po fie-
nt é. Henri 0 thon fonneVeU lui fucce de. On raporte l'affaire
SOMMAIRES. iij
d'Albert dans la Diète de Ratisbonne. Siège de 2Z\geth en
Hongrie. Défaite des Turcs. Valeur & confiance de T Eu- Henri IL
nuque Hall Bâcha. Gran ejl repris par les nôtres. Appari- l 5 5 ^.
tion lune Comète le 6 de Mars. L'Empereur fe per/uade
quelle le regarde s il envoie à la chambre de Spire le décret
de fon abdication , recommande Ferdinand fon frère , part de
JZu'itbouYg en 2Zelande , & arrive en Efpagne. Mort de Jean
Sleidan , de Jean For fier y de Sebaflien Conrad y de Jean Ge-
lide y & de quelques autres jçaV ans.
SOMMAIRE DU LIVRE XVIII.
LEs François Violent la trêve à Vinfligation q]es Carajfes'y
0*, afin de le faire avec quelque avantage > Gajpard l S SI'
de Coligni tente , mais inutilement de jurprendre Douay. Pil-
lage de Lens en Artois. Mamfejle contre les Impériaux ,
par lequel on expofe les ju fie s raifons de reprendre les armes»
François de Lorraine duc de Guife pajje en Italie avec une
armée. Prife de Valence. On délibère fi l'on marchera "vers
le Mdane\ > dont les places étoient fans garni fon , & contre
Crémone s ou fi Ion ira dans le Royaume de Naplcs. Briffaô
& les Biragues ne font pas du premier avis. Le duc de Gui-
fe laijfant derrière lui le Milane\ , pajje le Terano yi? va
trouver le duc de Ferrarefon beau-pere. H confère enfuite â
Boulogne avec le cardinal Caraffe des moyens de s'emparer
du Royaume de Inaptes. Il fait pajjer fon armée par FerniOy
& par Afcoli , & emporte Campli de force. Levée dufiêge
de Civitella , après plujteurs ajfauts. Les Impériaux tachent
de fur prendre par de f ter et es intelligences Montalcino en Tof-
cane. Blaife de Montluc fur prend Pien^a. Le duc de Ferrure
a ij
iv SOMMAIRES.
'-■ harcelé les hahitans de Correggio. Alfonfe fin fils marche con*
Henri II. fre \es Qon^agues qui étoient au fervice de P Empereur. Brifi-
1 S S 7- fiac s' empare de Chcrafico en Lombardie , i? tente Cumio. Brifi
fiac rencontre proche de Foffiano le marquis de Peficaire. Po-
litique artificieufie de Corne qui oblige Philippe à lui remet-
tre l'Etat de Sienne. Marc- Antoine Colonne fait la guerre
dans la Campagne de Rome. Prifie de Pratica > château ap-
partenant à Frédéric Conte. Jule des Urjins fie rend maître
de Monte fortino , t? y met tout a feu & à fang. On affli-
ge vainement Piglio. Valmontone fie rend a difcretion à Co-
lonne. Les hahitans de Monte fortino animer, par la ven-
gence mettent le feu à cette place. Palefirina fie rend, Z? ejl
pillée par les Allemands. Bataille entre Valmontano <t?Pa-
liano. Des TJrfins ejl Vaincu par Colonne , qui pourfuivant
fia vitloire afflige Segna , fur prend la citadelle de MajJimo>
prend de vive force Angarano , & Filignano dans le territoire
d Âfcoli. Bataille d! Aficoli , où nos troupes ont du difaVan-
tage. Le duc de Guifie piqué quon ne lui eut point envoyé
les fecours quon lui avoit promis , fe retire du Royaume de
Naples y 4s vient a Rome ou le Pape ï aVoit mandé. Prifie
de Segna : Colonne fait brûler cette place. Le duc d'Albe en-
tre dans la Campagne deRome P & efifaye de fur prendre Rome.
Le Roi rappelle le duc de Guifie après la bataille de Saint -
Quentin. Le Pape fait un traité avec le duc d'Albe par Pen-
tremifie de Corne , & des cardinaux Santafiore 0 & Vitel-
lo^o. Débordement du Tibre pendant la nuit même de la
conclufion du traité. JJ Ame inonde auffii Florence. TSfimes
en Languedoc efl prefque fubmergé . Dans la Chine les gran-
des pluies qui tombèrent dans la province deSanciam ,fubmer-
gent Jept villes , tsr forment un lac quon appelle , a eau fie de
fia figure , le lac rond.
SOMMAIRES.
Henri IL
SOMMAIRE DU LIVRE XIX. *^7'
ON ote au cardinal de Trente le gouvernement du Mi-
lane\. Jean de Figueroa ejl mis à fa place , au pré-
judice du marquis de Pefcaire. Le Roi d'Efpagne tourne Jes
armes contre le duc de Ferrare > <S Ottavio Farnefe eft char-
gé de la conduite de cette guerre. Les Siennois , qui étoient
encore dans les intérêts de la France , étant réduits à la der-
nière extrémité y 4s* manquant de tout , remettent entre les
mains des François -> Montalcino , <JT leurs autres places.
Albert de Brandebourg , qui av oit fait trembler l'Allemagne y
meurt , dans un état pauvre Z? méprijable. Décret de la
Diète de Ratisbonne. L'affaire de lapofjeffwn de Cat^eneln-
hogen eft enfin accommodée à Francfort. On arrête dans ïaf-
f emblée de Wormcs que ceux de la confejfion d Ausbourg feu-
lement jouiront du bénéfice de la paix > al 'exclu fion des au-
tres Proie ft ans. Origine de la guerre de Brème , allumée par
Chriftophle archevêque de Brunfwich Marie Reine d'An-
gleterre ? a la joïïicitation de Philippe f on mari, déclare la
guerre à la France. Dans le même tems la Régente d'Ecojfe
la déclare à la Reine d'Angleterre. Les Ambaffadeurs d'E-
cojfe Viennent en France , pour ajfifler à la célébration du
mariage de leur Reine avec le Dauphin. Guerre fur la fron-
tière de Flandre. Les ennemis paroiffent à ïimprovifie de-
vant Saint Quentin , que Gafpard de Coligni Gouverneur de
la Province s'étcit chargé de défendre. Anne de Montmorenci
fait entrer quelques troupes dans la place ? fous la conduite
de Dandelot frère de Coligni. Le Connétable eft entièrement
défait dans fa retraite. Il eft fait prifonnier avec la plupart
* » •
a nj
vj SOMMAIRES.
s des Seigneurs qui l'accompagnaient. Prife de Saint Quentin,
Henri II. malgré la vigoureufe réfi fiance des ajfiége^. Reddition du Ca-
1 $ 5 7' telet , 1& -de Han. On tente inutilement de furprendre Chau-
ni. Mort de Ferdinand de Gon^ague s fon caraSîere , <&r Ces
mœurs. Expédition de "Nicolas Pollevdle ou Polvdler en Bref-
fe ,kla follicitation du duc de Savoy e. Leduc de Guife Vient
trouver le Roi a Saint Germain. Emotion populaire à Paris
caufèe par une affemblée clandejline des Protejlans devant la
maifon de Bertomier. On en punit quelques-uns du dernier
fupplice. Edit contre les mariages clandeflins. Loi tres-
févere contre les mères qui défont leurs enfans , pour cacher
leur crime. Ordonnance touchant les E-Veques & les Cure\.
Edit touchant les Préfidiaux > ùt leur Juridiftion. Mort
d'hommes illujlres , de Jean-Baptijle Ramufio > de picolas
1 art aléa de Breffe , de Pierre ISfannius , de Vitus Amerbach,
t? de Salomon Macrin. Nouvelle efpece de maladie qui ra-
vage VEfpagne, O* qui pénètre en Italie.
SOMMAIRE DU LIVRE XX.
A Ff aires d Afrique. Succeffïon des Chéri fs jufquà Ab-
data , qui affermit enfin l'Empire dans fa M ai fon. Ex-
pédition de Buhaçon dans la Mauritanie , avec le fecours des
Portugais. Salh-Rais fe rend maître de la flotte Chrétienne,
il marche cependant contre le Cherif Mahamet , en faveur de
Buhaçon. Défaite du Cherif. Buhaçon fe rend maître des
deux Fe^ Les Turcs s'emparent par artifice de Penon de
Vele^s Hamet > frère du Cherif,fe faijït de Tafilete. Il
y efi affligé y il fe rend à difcretion avec fes enfans , que le
Cherif fait aujfi-tot égorger , dans la crainte d'une révolte.
Henri IL
15 57.
SOMMAIRES. vîj
Victoire du Cherif. Buhaçoneft tué dans la mêlée. Le Che-
rif recouvre fans peine les deux Fe^j. Il ejl tué quelques tems
après , en allant à Sus , après un règne de trente- fept ans.
Hafcen affaffin de ce Prince ne lui furVit pas long-tems \fis
troupes font taillées en pièces 5 il perd tout fon butin , <&r il ejl
lui-même tué. Ali-ben-Bubcar premier Miniflre (S* Général
des armées d' Abdala fils du Cherif Mahamet y apréhendant
quelque révolution ,fait tuer les petits enfans de Hamet frère
du dernier Cherif \ t? même les enfans de Marient fœur d'Ab-
dala. Reffentiment de Marient contre Ali-ben-Bubcar. Elle
difjimule cette injure , & fe réconcilie avec Abdala fon frère.
Elle trouve une occafion de rendre fufpeH Ali-ben-Bubcar.
Abdala le fait étrangler. Etendue ,puiffance,& forces de V Em-
pire des Cherif s. Affaires de France. Siège de Calais par le
duc de Guife. La place fe rend le 10 de Janvier , deux cens ■■■
dix ans après que les Anglois s'en furent empare^. Prife de 1 5 $ 8.
Guines. Affemblée des Etats du Royaume à Paris. Charle
cardinal de Lorraine parle pour le Clergé , le duc de NeVers
pour la Nobleffe , ï? André Guillart du Mortier pour le tiers
Etat. On offre au Roi trois millions d'or. Le Roi va à Ca-
lais y dont il donne le gouvernement a Paul de Thermes. Pri-
fe du château d ' Herbemont dans la foret S Ar demies , par
le duc de NeVers. Le bruit de la prife de Calais fe répand
en Italie , & ranime le courage des François , & de ceux de
leur parti dans ce payis. On tente inutilement de fur prendre
Orbitello. Cour f es du duc de Ferrare. François fon frère quitte
le fervice du Roi iïEfpagne , <&r prend le parti de la France.
Le duc de Ferrare , par ïentremife de Corne , fait fon accom~
modement avec le Roi d'Ejpagne. On fortifie les cotes mari*
tintes de Tofcane contre les defcentes de l armée navale des
Turcs. Les Génois envoyait une ambaffade a la Porte , pour
viij SOMMAIRES.
ï=?œ^ obtenir des bleds , <tT éloigner des terres de leur dépendance
Henri II. \a j{otte Turque. Briffac qui étoit "Venu a la Cour , pourfe
1 * * juflifier des calomnies qu'on lui imputoit P efl renvoyé dans fon
gouvernement. Le duc de Seffa efl fait gouverneur du Mila-
nex. en la place de Figueroa , & Dom Perafan de Ribera Vi-
ceroi de ÎJaples. Mariage du Dauphin , t? de Marie reine
d'EcoJJe. Les noces fe font à Paris avec beaucoup de magni-
ficence. Conférence fecrette à Peronne entre le Cardinal de
Lorraine > ist Antoine Perrenot évèque d'Arras. Dandelot
efl aceufé d'béréfee. Il ne cache point fes fentimens au Roi.
Il e/l arrêté > &* envoyé prifonnier dans le château de Me»
lun. On commet à fa charge de Colonel de T infanterie Fran-
çoife , Blaife de Montluc. Procès criminel de Françoife d'Am-
boife au fujet de ïévafion du duc d 'Arfcbot. Prévarication
de Jean Munier lieutenant civil , qui eft condamné. Siège &
prife de ThionVille dans le Luxembourg > par le duc de Gui*
fe'-> Pierre Stro^i eft tué a ce (ïége. Prife d'Arlon. On tente
inutilement de fur prendre Luxembourg. Le duc de Guife perd
le tems à Vireton. De Thermes ravage le comté de Ponthieu ,
<&r de Boulogne. Prife <ts fac de Dunquerquc > <iS de Ber-
gues-Saint-Winoc. Bataille de Gr aveline s , ou de Thermes
efl Vaincu. Armée navale des Anglois fur la cote de Bretagne.
LÏEleîïeur de Saxe envoie des troupes auxiliaires en France.
Le duc de Vendôme tente inutilement de furpendre Saint
Orner. Prétentions de ï Ambaffadeur iEfpagne à Venife :
François de No ailles ambaffadeur de France lui réjî/le. Le
Sénat de Venife conferVe le premier rang à ï Ambaffadeur
de France. Lieu du congre^ où les Plénipotentiaires doivent
traiter de la paix. Mort de Marie reine d* Angleterre > fui-
Vie de celle du cardinal Poole. Paul IV. maltraite quelques
Cardinaux. Elisabeth fuccede à Marie fa fœur. Le Roi
soppofe
SOMMAIRES. ïx
s'oppofe fccrettement a Philippe qui vouloit époufer cette ^^^^^^
Pnncejfe. Henri II.
SOMMAIRE DU LIVRE XXI.
Expédition du duc de Seffa dans le Piémont. Prife de
Montcalvo par les ennemis. Vive difpute a ce fujet
entre Pecquigny -, <s? le baron des Adrets , qui s* étant plaint
que le duc de Guife lui a"\> oit fait une injure, dijjimule fort
rejfentiment jufqu'à ce quil trouve V occasion de pouvoir en
tirer Vengence. Ferdinand eft déclaré Empereur. Il envoie
inutilement des Ambajfadeurs au Pape -, devant lequel il fait
faire fes proteflations. Décijïon des différends de la maifon
de Brandebourg. AJfaJfinat de Melchior Zobel évèque de
Wirt^bourg. Guerre de Liv oui e. Situation de cepayis s mœurs
de ces peuples, & leur origine. Sources des Fleuves de la,
Duina , du Volga , du Borifihene , du LoWat > & du Don.
Commencement de la Religion Chrétienne dans ces payis. Les
Chevaliers de l Ordre Teutoniquefont appelle^ en Livonie par
Albert évèque > leur ingratitude s ils font la guerre aux Evê-
ques. Guerre entre les Chevaliers <&r ceux de Riga. Les
Mofcovites profitent de ces divi fions , HT font une irruption
dans ta Province après le traité de Dant^icen 1347. Wal-
ter de Plettemberg les repouffe avec valeur. Il fait avec eux
une trêve de cinquante ans y <t? ménage un accommodement
entre les Chevaliers , & ceux de Riga. Sigifmond roi de Po-
logne abolit en Pruffe V Ordre Teutonique en 1 y 2 5 ? & Si-
gifmond Augufte [on fils Jupprime quelques années après l'Or-
dre des Chevaliers de Livonie. Le Luth erani fine fie répand
en Livonie. Les habit ans de TreptaVV ? ville fur les frontières
Tom. III. b
x SOMMAIRES.
de Pomeranie embraffent d'abord cette doctrine. André Cnoff
Henri 11. pY£c])e [es dogmes de Luther à Riga y d'où ils paffent enfin à
Derpt. Motifs de la haine des Mofcovites contre les Livo-
niens. Origine des Mofcovites y fucceffion de leurs R rinces.
Commencement de la Religion chrétienne dans leur payis : lé-
tendue de leurs provinces 3 leur gouvernement , Z? leurfévé-
rité. Apres l'expiration de la trêve de cinquante ans , dont on
refufe la continuation , Jean C^ar de Mofcovie fe rend maî-
tre de ISferVVa , Ville de Livonie. Il s'empare en fuite de ISleu-
haus y <& enfin de Derpt après un longjiége. Chnftieme roi
de Dannemarc refufe fa protection a la province. Mort de
Charle- Quint ,fon éloge. Mort de quelques illuftres fcavansy
de Jean Bugenhagen de Pomeranie y de Jean Fernel , de Ja-
nus Cornaro , de Jacque Micylle > de Jean Pena, de JuleCe-
^ar Scaliger, de Louis Lipoman évèque de Bcrgame ? d' An-
dré Tiraqueau , de Jean Verger a. Efcarmouches contre les
Anglois en Ecoffe. Forces des Protefians dans ce Royau-
me y ils excitent des f éditions de tous cote\. Défordres aPerthy
on y abat les Eglifes , & le convent des Chartreux y eft
renverfé de fond en comble. On prend les armes 9 la Reine
Vient à Perth, dont on lui ouvre les portes. Les deux par-
tis congédient leurs troupes. La Reine punit les féditieuxy met
uncgarnifon dans cette Ville , tsr revient comme en triomphe
k Sterlin. Situation avantageufe de Perth. Jacque Stuart y
<&r le comte d'Argathel favori fent les Protefians. Ils quittent
la Régente. Les deux armées s'arrêtent auprès de Cupre ,
comme pour combattre. Vaines propositions de paix. Siège
de Perth par les Confédéré1^ : prife de cette place à composi-
tion. Ils s'emparent de Sterlin £? de Lythco , Z? y changent
la Religion. La Régente Va à Edimbourg. On fait une tré-
Ve : elle eft d'autant plus religieufement obfervée , que le
SOMMAIRES. xj_
Royaume avoit été mis à deux doigts de fa perte ? par lin- 7T ~T7
fraBion du premier traité. i ç y j?«
SOMMAIRE DU LIVRE XXII.
Ort de Chriftierne III. Roi de Dannemarc : fonça*
ratière. Sa reconciliation avec Chriftierne II, qui étoit
prifonnier , & qui meurt dans le même tems. Origine de la
guerre de Dietmarjte. Situation de la Dietmarfie. Génie des
habit ans de cette contrée , anciens maîtres de cette Provin-
ce. Siège de Meldorpt , ou Volfang SchonVVefen cfl tué. Prife
de Dielbruch. Les Danois s'emparent de Vielbruch. Prife
de Heiden après un fanglant combat. Les Vainqueurs étant
maîtres de la campagne , mènent leurs troupes dans les endroits
marécageux , ou les vieillards , cr les perfonnes mutiles a la
guerre s etoient retirées. Traité de paix après un mois de guerre.
Il eft au fit honorable au vainqueur , que falutaire aux vain-
cus : l'Empereur Ferdinand le confirma depuis. Grand chan^
gement à Rome , par ïaVerfion que le Pape conçoit pour fa
famille. Il ote a fes parens les dignité^ qu'il leur aVoit don-
nées. Etablijfement de nouveaux Evkhe^ dans les Indes ,
& en Flandres , préjudiciable a la France. L'on croit aue
l'ereclion de ces Evéche^ a été la caufe <&r I origine des guer-
res qui ont dans la fuite défolé les Pays-bas. Le Roi envoie
d la Diète dAusbouro; Imbert de la Platiere fe'mieur de
^ J CD
Bourdillon , & Charle de Marillac archevêque de Vienne?
pour y faire renouvellerï ancienne alliance , <ts y défendre les
intérêts delà France , fi l'on formoit quelque conte flation au
fujet des trois Villes qui aVoient été remifes au Roi , fuivant
le traité fait avec Maurice. Réponfe favorable de Ferdinand.
bij
*ij SOMMAIRES.
— H Je contente de parler de la rejlitution des trois villes ,fans
Henri il. contefeY beaucoup fur le refle > <ts* promet que l'Empire ne
négligera point T amitié du Roi. Il fait faire de magnifiques
funérailles à Charle- Quint fon frère. On lit publiquement ce
qui aVoit été arrêté au fujet de la Religion, dans l'afj r em-
blée de Wormes s mais cela n'étant pas capable de réunir les
efprits, l'Empereur promet de faire tous Jes efforts pour la
convocation d'un Concile général , & promet d'obéir a fes de-
cifions ><? a fes décrets. Les Proteftans au contraire allè-
guent le traité dePaffaw -, <& la confeffion d'Ausbourg. Ils
demandent que le Concile foit tenu en Allemagne , & que
tous les acles & les décrets du Concile de Trente Joient cajfe^y
comme nuls & non "valables. Les Chevaliers de l'Ordre de
Livonie demandent inutilement à l'Empereur du fecours con-
tre les Mofcovites 5 n'en pouvant pas efperer de ce coté la ils
s'adrejfent à Sigifmond Augufle Roi de Pologne. Change-
ment qui arriverait enfuite dans cette Ordre militaire. Go-
tard Ketler qui étoit l alors Grand Maitre de l'Ordre, quoi-
que Guillaume de Furftemberg fut encore vivant , neft pas
beaucoup éloigné de confentir aux conditions Jecrettes qui étoient
propofées. .Alfonfe Carretto parle de ï affaire du marquis de
Final dans la Diète d 'Ausbourg. David George de Delft
fameux Anabaptifle s on découvre a Baie fes fourberies après
fa mort s H ejl condamné , fon corps efl exhumé & brûlé :
fon fanatifme abominable. Apres la mort de Marie Reine
d Angleterre > Philippe n in f {le pas beaucoup au fujet de Ca-
lais. On s'accorde aufft au fujet de l'Etat de Sienne , con-
tre l'efperance que les Bannis aVoient conçue de conferVer leur
liberté. Enfin on s' accommode à l'égard des Etats du duc de
SaVoye. On prend fecretement des mefures contre les Scalaires.
3 Ceci n'arriva qu'en Tannée j 561& çft rapporté au livre XXVIII. du Tome IV*
SOMMAIRES. xïij
On tient à ce fujet Vaffemblée des Mercuriales , dont le mo- i"LL^"-^^'
tif était autrefois le foin de la Police > Z? qui fit alors pa- Henri IL
roître le mal qui étoit encore Gâché. Le Roi Vient à cette l > ^'
ajfcmbUe. Les opinions font partagées. On arrête les Confeil-
1er s les plus confiderables > <& entre autres Anne du Bourg,
dont la caufe fut plaidée plujteurs fois. Le Roi reçoit une
bleffure mortelle dans un tournoi > & perd aufji-tot la parole.
Il meurt 7 fin efprit ,fes mœurs y fes bonnes &r Jes mauvais
fes acliotis.
SOMMAIRE DU LIVRE XXIII.
CHangement à la Cour de France , dis que François
IL efl fur lethrone. Le Connétable de Montmorenci efl
éloigné. Avis qu'il donne à la Reine mère ? iinfpirer au jeune
Roi de l'amour pour fes fujets. La duché ffe de Valentinois efl
chaffée de la Cour. Rappel du Chancelier François Olivier. Le
maréchal de Saint André s attache à la maifon de Gui fi y
pour confirmer fin rang. Le Roi de Navarre néglige les avis
du Connétable , t? perd une occafion favorable a fes dcffeins*
Son retardement le fait foupçonner de quelque deffein caché.
Affemblée de Vendôme. Dandelot fort de prifon , <&r les Co-
lignis fi réconcilient ayec Charle de Bourbon ., Prince de la Ro~
che- fur-Ion , par Ventremife du Prince de Condé. Apres les
obfeques de Henri IL le Connétable efl relégué dans fes ter-
res , & le minifier e demeure entre les mains du duc de Guife>
ï? du cardinal de Lorraine fin frère. Les princes de Condt
<& de la Roche- fur-Ion y font éloignés du gouvernement. Le
Roi de Navarre ayant été trompé \& maltraité à la Cour 9
efl obligé de fe retirer en Bearn ? après le facrc du Roi. On
h iij
Franco 13-
II.4
i ; ; p,
xiv SOMMAIRES.
perfuade a la Reine mère d'implorer le fecours de Philippe fort
François gendre. Ordonnances néceffaires à la tranquillité publique, Sa*
cre du Roi à Rheims. Anne de Montmorenci , [cachant que
* *' le duc de Guife briguoit la charge de Grand Maître de la
maifon du Roi , fe démet Volontairement de nette dignité , de
peur qu'on ne crut qu'il aVoit été obligé de s'en défaire mal*
gré lui. La faveur fait obtenir à plufieurs perfonnes , qui en
étoient indignes y le collier de ï Ordre, qu'on naccordoit au*
parafant qu'au mérite. On pour fuit avec févérité les Reli*
gonnaires y Z? parce qu'ils s' affembloient pendant la nuit , &
en fecret , on publie par tout comme certain , qu'ils commet*
toient toutes fortes d abominations dans leurs affemblées. On
le perfuade a la Reine Catherine, qui conçoit pour eux de
l'aVerfion. Les Soubfelles frères , Gentilshommes Angevins y
ré fi.fi ent aux archers , dans le fauxbourg faint Germain. Le
nombre des Proteftans augmente déplus en plus. Libelles dif-
famatoires contre la Reine mère, & les Guifes s on attaque leur
autorité dans une dtffertation intitulée, de la liberté de l'Empire
François. Jean du Tillet Greffier de la Cour ,y répond par un
livre intitulé , de la Minorité du Roi. On lui réplique
par un autre libelle. L'écrit de du Tillet en eft beaucoup plus
ejiimé , & eft compris aujourd'hui dans le recueil des confit*
tutions royales , comme une loi de l'Etat. Les finances épui*
fées par les dépenfes des guerres , i? par les largeffes des RoisP
font réparées aux dépens du public. On fait courir malicieu*
fement des bruits défaVantageux au fujet de l ' indifpofition
du Roi. Véritables cau/es de fa maladie , qui le conduifît
enfin au tombeau. Supplice > <IS dernières paroles d Anne du
Bourg. Les Commijfaires examinent la caufe des autres Con*
feillers , de Paul de Foix , d'Eufiache de la Porte , de Louis
du Faur , & d'Antoine Fumée , qui avoient été mis enprifon.
i 5 5P-
SOMMAIRES. ' xv
Ces Magiftrats ne difent rien de contraire à la docïri- — '"
lie Catholique : cependant comme ils étoientfufpecl s y ï? qu'ils François
avoient parlé des erreurs groffieres qui s'étoient gliffées dans
l'E^life y on leur ote leurs charges. On n'agit contre eux avec
tant de févérité y qu'à caufe del'affajfmat du Pr é fuient Mi-
nard , dont on accufoit les Protefïans. Affaires étrangères.
Les François font entièrement chajfe^ àe l'Italie. Le duc de
Tofcane maître de l'Etat de Sienne. Philippe partant des
Payis-has pour aller en Efpagne , donne le gouvernement de
cette Province à Marguerite duché ffc de Parme , & lui laiffe
des troupes fous prétexte qu elles étoient néceffaires , pour gar-
der la frontière , mais en effet pour s'oppofer aux cntreprifes
des Proteftans. Le Prince d'Orange , qui aVoit eu a cefujet
quelques conférences ayec Henri , qu'il aVoit rapportées aux
Seigneurs des Payis-has y <i? le comte d'Egmond, ne Veulent
pas fouffrir les troupes que le Roi d' Efpagne y veut laiffew
Philippe part de Zelande , <&r effuie une violente tempête a
la Vue de Laredo. Supplice de plufieurs gens de biens con-
damne^ à mort comme hérétiques , &r cntr autres de quelques
Religieux de Saint Ifidore de Seville. Mort de Paul IF. &
fes dernières paroles. Le peuple après fa mort hnje fes Jïa-
tu'és. Les prifons de l'Inquifit ion font rompues pendant la Va-
cance du fiege 5 & pour faire injure à la mémoire du der-
nier Pape y on abat de tons cote^ les armes des Caraffes.
Mort de plufieurs Princes dans la même année , du Pape, de
l'Empereur y du Roi de France , de deux Rois de Dannemarcy
de Laurent Priuli Doge de Vemfe , d'Othon Henri Electeur
Palatin y d'Hercule d'Efle duc de Ferrare , d'Othon duc de
Lunehourg7 de Guillaume prince de Henncbergydes trois Rei-
nes y Eleonor de France y Marie de Hongrie y HT Bonne Sforce
de Pologne. Mort de George de Recrody i? de plufieurs
xvj SOMMAIRES.
fcaVans y comme de François Duarien > d'Emar Ranconet ?
François de Joachin Penon, de Robert Etienne , de Luc Garnie , de
^' Jean-Baptifie Folengio , & de Jacque Milichius. Conquêtes
de Corne dans Tofcane pendant la "Vacance du joint Siège.
Conspiration de Pucci découverte a Florence. Bernard Cor-
binellil'un des conjure^, qui aVoit pris la fuite ? périt enfuite
en France d'une mort qu'il ne pouvoit éviter. Elisabeth de
France époufe de Philippe eft conduite avec magnificence fur
la frontière. Le Roi de Navarre la remet entre les mains des
Procureurs du Roi d'Efpagne. Ce Prince prote fie que 5 quoi-
qu'il neùt du remettre la Reine entre leurs mains , que fur
les frontières des deux Royaumes j il ne vouloit pas cepen-
dant quon crut quil préjudiciât a jes droits , en laijfant cette
Princejfe au milieu de la Navarre. Il envoie inutilement en
Efpagne Jean Claude de Levi feigne ur d'Odaux , pour obtenir
la refit ution de fes Etats. Brigues dans le Conclave. Election
de Angelo de Medici ou Mediquino 9 qui fi j ait appeller Pie
IV. Sa famille. Afon avènement au Pontificat , il donne une
dmniflie i caffe ce qui aVoit été fait par fin prédecejfeur s ré-
voque fes décrets s & fit revoir avec moins de rigueur la
caufe des moines > <1S de ceux qui aVoient été accufe\ d'hé-
rejïe. Il renvoie abfout ? <&r remet en liberté les cardinaux
Morone 7 O" San Felice. Il confirme enfin la démiffion delà
couronne Impériale que Charle-Quint ov oit faite en faveur de
Ferdinand fin frère*
SOMMAIRE
SOMMAIRES. xvij
SOMMAIRE DU LIVRE XXIV.
Affaires de Turquie. Défunion entre Selim & Baja-
^et. Malheureux fuccés du faux Muflapha , qui ayoit François
excité des troubles fur le Pont-Euxin , au-deffus de Conftan-
tinople. Baja^et accufé d ayoir excité les mouyemens du faux
Mujlapha 5 rentre dans les bonnes grâces de Soliman fon père y
par ïentremife de Roxelane. Le grand Vi^ir écornât eft
étranglé dans le D iy an y parce qu'on le fouptonnoit de fou-
tenir fecrettement Baja^et. Nouyelle querelle entre Selim y
&Baja\et, après la mort de Roxelane leur mère. Soliman
tache de les accommoder en leur donnant des o-ouyernemens
plus éloigne^ les uns des autres. Il ordonne à Selim d'aller à
Cogni y & à Baja^et d'aller à Amafie. Baja\et refufe d' obéir y
il amajfe de l argent y & des troupes à Engori. Les Jannif
faires le fayorifent ouyertement. Soliman confulte le Mu-
phti. Baja^et eft déclaré coupable de le^e-Majefké diyine &
humaine. Soliman s'empare de Cogni , & enyoie des troupes
k Selim yayec le f quelles il donne bataille à fon frère , & rem'
porte la yiSloire. Baja^et s'enfuit en Perfe. Il éy'ite les em-
bûches qu 'on lui ayoit dreffées en chemin y i? ferendayec fes
enfans auprès de Tamas Sophi y qui le reçoit fort bien y & lui
fait même efperer qu il donnera fa fille en mariage à Orcanfils
du Prince Turc. Mais le Sophi changeant de réfolution y par
la crainte qu'il a d'une armée ennemie y qu'on difoit être en
marche 7 enyoie en differens endroits ceux qui ay oient fuiyï
Baja^et y & les fait tous maffacrer dans un même jour. Il fait
enfuite arrêter Baja^et ? & fes enfans. Soliman redemande
fon fils. Tamas refufe de le rendre, craignant le reffentiment
Tom. III. c
xviij SOMMAIRES.
du jeune Prince , s'il le laiffoit aller. On convient enfin defaï-
Françqis re mourir Baja^et i? fies enfans. Hajfan Echanfonfe rend
à Cafminou Casbin pour exécuter cette réfolution. On pouffe
la cruauté jufqu a faire étrangler a Burfe le plus jeune de
fes enfans , que le bourreau aVoit épargné. En Ecoffe, le Roi
blâme la conduite de Jacque S tu art comte de Mur rai, qui étoit
accufé d'être l'auteur des troubles qui s'élevoient dans le Roy au*
me. On envoie des troupes Françoifes au fecours de la Régen-
te , fous la conduite de la Brojfe. Tricotas de Pellevé évëque
1 S $ °' d'Amiens , i? quelques DoSîeurs de Sorbonne , paffent aujfi
en Ecojfe ,pour appaifer les troubles de Religion. Les Confé-
déré^ en font irrite^, refufent de reconnaître l'autorité de la
Régente, & font un traité avec Elisabeth reine d'Angleterre*
Cette Princeffe fait publier un manifefle , ou l'on parle contre
les Guifes. Michel de Seurre ambaffadeur de France en An-
gleterre, tache d' engager la Reine a retirer fes troupes de l' E-
coffe. Conférence à ce fu/et , ou Von examine les raifons des
deux partis. Jean de Montluc évëque de Valence Va en
Ecoffe. Il eflplus agréable aux Confédéré^ que l'évêque d'A-
miens. Il leur fait efperer la bienveillance du Roi, pourvu
qu'ils mettent bas les armes ,& qu ils rendent a leur Prin-
ce Vobé'iffance qu'ils lui doivent. Sebaflien de Luxembourg
de Martigues , t? le marquis d' El bœuf frère de la Régente
font envoyé^ au fecours de l'ifle de Keith, l'ifle aux Chevaux,
<(S? de Lyth. Les Anglois font repouffe^ avec perte. La Ré-
gente panche a la paix, croyant ne pouvoir autrement conferVer
l'ancienne Religion , qu'en laifjant une entière liberté aux
Ecoffois. Guillaume Cécile, <& Nicolas Votton Plénipotentiai-
res d Angleterre. On parle d' accommodement par ïentremife
de ï Evëque de Valence, & de Charle de la Roche foucault-
Ranci an. La négociation eflprefque rompue , par la mort de
SOMMAIRES. xix
la Régente. Traité de paix. L'on demeure d'accord Rabat-
tre les fortifications de Lyth , <t? de Dumbar. En France, François
édit qui eflrcgiflré au Parlement , portant établiffement de J
certains Magi/lrats dans les Cours fouyer 'aines , & les ju-
rifditîions inférieurs, pour empêcher la fayeur , & les pré-
yarications. Confpiration contre les Princes de la mai/on de
Guife 5 fon origine , jes caufes , i? fes prétextes. Les Théo-
logiens Proteflans consultent entre eux à ce fujet. Les Pro-
teftans élifent fecrettement pour leur chef Louis de Bourbon
Prince de Condé , z? lui fubjlituent Godefroi Barry de la Re-
naudie. Sa famille , fon caratlere , fa mauyaife fortune, Son
arriyée à lS[antes , & le difeours qu il fait aux confpirateurs.
Union i? fermeté de tous les Proteflans. VAyocat Ayenel-
les decouyre la confpiration. V Amiral de Coligni tache d'en"
gager la Reine mère , <&r le Chancelier Oliyier , de donner des-
ordres pour faire fur feoir la rigueur des fuplices qu'on faifoit
fouffrir de tous cote\ aux Proteflans. Edit a ce fujet , donné
du confentement du duc de Guife , &r portant amniftie du
paffé, mais à l'exception des nouyeaux Prédicateurs , Z? de
ceux qui fous prétexte de Religion ay oient confpiré contre le
Roi , la Reine , les frères du Roi , <&r les premiers Princes.
La Renaudie n'abandonne point fes premiers deffeins. De
Lignieres decouyre l 'ordre £? le jour de l'exécution, <£^ les
noms des complices. La Renaudie tue Pardaillan , dans la foret
de Château-Renaud , & efitué aujfl-tot lui-même par le yalet
de Pardaillan. Caftelnau , Macère , Vdlemongey , & quelques
autres , font arrke^iT au fji-tot punis. Origine du mot Hu~
guenot. Maligni le jeune, qui, dit-on, ayoit promis de tuer
le duc de Guife , efk empêché d'exécuter ce deffein par le prin-
ce de Condé. Le prince de Condé fufpeB , par la dépofition des
complices, fe jujlifieayec fermeté dans le Confeil du Roi : /'/
c ij
xx- SOMMAIRES,
RANC0IS offre même défie battre en duel, pour prouver fion innocence..
Il Le duc de Guife diffimule adroitement, <? déclare qu'il efi
15 6.qx prêt de s'expofier au même bavard, pour foutenir le F rince
de Condé. Le Roi de Navarre ejl auffi fecrettement accufi
d'avoir eu part à la conjuration. Mort de François Olivier:
fin éloge. On met en fa place François de TFIôpital
SOMMAIRE DU LIVRE XXV.
Es troubles étant appaifè^ , le Roi écrit aux Parle-*
mens , aux Gouverneurs des Provinces , & au Rot
de Nayarre même. On parle avec exagération de cette con-
juration dans le Parlement de Paris , & on donne au duc de
Guife le titre magnifique de confirvateur delà patrie. Le
Roi écrit aujfi a ce fujet aux Princes £ Allemagne. Edit
de Romorantin qui attribue aux Evèques la connoijfance du>
crime d'héréfie y privativement au Parlement. Le chancelier
de l'Hôpital y fouferit. Ordonnances févéres au fujet des
affimblées illicites, & des difputes fiéditieufes fur la Reli-
gion. Ony propofe une recompenfi aux dénonciateurs «mais en
memetems on nienaceles calomniateurs de la peine du talion*
AJfemblée des Princes , i? des Seigneurs indiquée à Fontaine-
bleau par le conjeil du chancelier de l'Hôpital. Nouvelles cau^
fis de divifion entre la maifon de Guife t? celle de Mont-
morenci , a ïoccafion du procès qui étoit entre les Boullain-
Villiers , & les Rambures pour le comté de Dammartin,
Prudence ZF équité dtl Parlement de Paris dans cette affai-
re. Arrêt en faveur des BoullainVilliers. François de Ven-
dôme hait les Guifis. Le Roi va a Tours. Son entrée dans
cette ville. La Reine, mère ejl indifipofée contre les Guifis j
S OMMAIRES. xxj
ï? fe montre plus favorable aux Prote flans. Livre fous le
nom de Théophile > pre fente à cette Princeffe pour leur jufii- François
ficatlon 5 par François Camus fis d'un officier de la Panne-
terie. Car aBere de François Camus. Libelle contre les Prin-
ces de la mai fort de Guifie , intitulé le Tigre : le Libraire
qui le Vcndoit efl pendu. Le prince de Condé quitte la Cour?
<? fie retire à Nerac , dans le duché d'Albret , auprès du Roi
de Nayarre fin frère. La Reine mère, mande la Planche
hiflorien contemporain tres-exacl, & lui demande la caufe
des troubles qui déchiroient l'Etat <&7" la Religion. Sa ré-
ponfie en préjence du cardinal de Lorraine caché derrière une
tapifferie. Célèbre affemblèe de Fontainebleau , ou Gafpard
de Coligni prejente un cahier , pour la liberté de confidence,
Difiours de Jean de Montluc éveque de Valence , O4 de
Charle de Marillac archevêque de Vienne. On avertit les
Evêques de fie préparer à fie rendre au Concile général? isP
fi on ne peut obtenir ï agrément du Pape , on promet que .
le Roi fera tous fies efforts pour ajfiembler un Concile natio-
nal. On indique en fuite ï affemblèe des Etats y & on en-
Voie des troupes , ou les G u if es le jugent à propos. La Sa-
gue efl arrêté avec plufteurs lettres qu'il portoit au Roi de:
Navarre. François de Vendôme efl mis a la Baftille. Vai-
ne tentative fur Lyon. Le cardinal de Bourbon fe laijfie trom-
per 7 & fait faire une faute à fies frères. François de Bar-
bançon ficigneur de Cani , is? Robert de la Haye font arrê-
te^. La nouvelle doSîrinefe répand dans le Dauphiné. Prt-
fie de Valence par Louis de Maugiron. Charle de Montbrun
prend les armes, excite des troubles dans le comté Venaiffln7
& efl obligé de fe réfugier en Suififie. Antoine <? Paul de
Mouvons frères prennent les armes en Provence pour la Re-
ligion. Antoine excite unefedition à Draguignan ,, <tsfouffra
g iij
xxij SOMMAIRES.
une mort cruelle. Paul s'enfuit à Genève. Troubles caufe%
François par /a Religion en Normandie.
JLX«
i $ 60.
SOMMAIRE DU LIVRE XXVI.
M
Arillac archevêque de Vienne injlruit le duc de
Montpenfier , des defieinsfecrets que jormoient les
Princes de la m ai fin de Guife , contre le Roi de Navarre,
<&r le Prince de Condé. Mort de ce Prélat. Le Roi vient
à Orléans pour ïaJfembUe des Etats. Dandelot quitte la
Cour , <£T va en baffe Bretagne. Le Roi de Navarre , &
le Prince de Condé viennent enfin à la Cour, quoique leurs
amis les en diffuadaffent. On arrête le Prince de Condé &
la Dame de Roy e fa helle-mere. Jérôme Grolot lieutenant gé-
néral d'Orléans ef mis en prifon. On donne des gardes ait
Roi de Navarre , & on délibère de le faire mourir. Renée du*
chejfe de Ferrare vient en France. On agite l'affaire du Prin-
ce de Condé. La maladie du Roi augmente : fa mort. Re-
j'y conciliation du Roi de Navarre avec la Reine mère. Li-
1 < 62. belles contre les Guifes. Rappel du Connétable de Mont-
morenci , du vivant même de François 11. Le Prince de
Condé fort de prifon , i? Va en Picardie. VEveque de
Senlis , Sanfat , & la Brofife font feuls , Z? fans magnifi-
cence les obfques du Roi, ce qui fait rappeller ïhifioire de
Tannegui du Chaflel fous Charle Vil, & firt a rendre les
Guifes plus odieux. Le Roi de Navarre s" étant réconcilie
avec la Reine mère , partage avec elle le gouvernement de l'E-
tat. On donne au Roi de Navarre le titre t? l'autorité de
Lieutenant général dans tout le Royaume. Mort de François
de Vendôme. Le Chancelier de ï Hôpital fait donner ledit
SOMMAIRES. ' xxiij
touchant les fécondes noces. Arrêt remarquable du Parlement
Je Touloufe contre un impofteur, appelle .Arnaud du Tilh. Charle
Le nouveau Pape pour faire honneur au nom de Medicis, "Veut * ^*
donner à Corne le titre de Roi de Tofcane. Origine des trou- *
Mes de Religion en Flandre. Barthelemi Caran^a archevê-
que de Tolède eft aceufé d'béréfie y cité à Rome y &* mis en
prifon. Le Concile général eft différé , <&r on empêche en Fran-
ce le Concile national. Haine des peuples contre les Caraffes.
Le cardinal Montorio , & le Comte [on frère font mis en pri-
fon. Corne Vient a Rome , <l? perfuade au Pape de ne pas
s'oppofr au Concile général > par la crainte d'un Concile na-
tional en France. Jean de la Cerda vice-roi de Sicile s'em-
barque pour l'expédition de Tripoli , contre Dragut qui sétoit
emparé du Royaume de Cary an , <& deïifle de Gelves , après
avoir fait étrangler Soliman qui en étoit Seigneur. Dcfcrip-
tion de ïifle de Gehes. Mœurs des bifilaires , ; leurs riche f-
fes y <L?le refpecl qu'ils ont pour leur Prince. Le Viceroife
rend maître de cette IJle , il exige un tribut du Seigneur 3
y fait bâtir un fort , dont il donne le gouvernement à Baraona
Meflre de camp , aVec une forte garnijon. Il néglige les avis
de Jean Doria , qui lui confeilloit d'aller au-devant du Bâ-
cha Piali. La flotte Turque arrive , i? met le trouble dans
V armée Chrétienne. Dom Alvare de Sande y voyant que Ba-
raona nétoit pas en état de défendre le fort > fe charge cepen-
dant de le garder contre les ennemis. Le Viceroi perd dix-
neuf galères , <&r quinze Vaijfeaux de charge, & ne fe fauve
que difficilement avec Jean Doria. Alvare de Sande défend
courageufement la place y & tente de paffer au travers des
ennemis : mais il eft pris y &T* conduit devant Piali, qui le reçoit
honorablement. Ceux qui étoient encore dans le fort font faits
prifonniers* De Sande , Sanche de Levé ? <ts Berenguel de
xxiv SOMMAIRES.
""" "" " Requefens font mis en liberté, à la prière de Boesbech, am«
Charle bajfadeur de Ferdinand à la Porte. Pierre Machiavel ami-
ral de Tofcane e/l attaqué par les Turcs proche rifle de GU
glio yiT ne fe tire quayec peine de ce danger. Corne établit
r Ordre militaire de faint Etienne , à caufe de la yitloire de
Marciano. Affaires de Liyonie. Les Liyoniens appellent i
leur Jecours contre les Mofcoyites , Magnus prince de Hol-
ftein y qui les traite lui-même en ennemis. Les Mofcoyites
profitent de leur diyijïon. Défaite des Liyoniens proche d'Er-
mes. Les yainqueùrs s'emparent de la fortereffe de Vellin9
ou Guillaume de Fur/lemberg sétoit réfugié s Us le font pri-
fonnier , & remmènent comme en triomphe jufquà Mofcou.
Ceux de Reyel étant fans appui;, ont recours à Eric nouyeau
Roi de Suéde , <L? fe foumettant à lui 3 quoi quayec peine.
Mort de Gu/îaye père de ce Prince j fon éloge. Mort dH An-
dré Doria > recapitulation des belles avions de ce grand hom-
me. Mort des Bêlais ? Lœlio Capdupi , de Jacque de Bonfa-
dio 5 de Philippe Melan&hon > de George Sabin , de Pierre
Lotich, de Nicolas Gerbel, <£r de Jean Driander.
Fin des Sommaires de ce troifiéme volume^
H ISTOIRE
T
D E
J ACQUE AUG U STE
DE T H O U
LIVRE DIX-SEPTIEME.
j U commencement de Janvier de cette an- ;
née , le Parlement d'Angleterre fe fépara. Henri IL
On y avoit ordonné le rappel du cardinal i S 5 6.
Polus , comme nous l'avons déjà dit, & Affairesd'An-
renouvellé les Ordonnances des Rois , pour gjèterrc SuP-
1 • • 1 r> -. • r^ • phcc des Frô-
la punition des nectaires. On croyoït que teftans,
Marie y demanderoit l'agrément des Sei-
gneurs , pour partager fon thrône avec Philippe fon mari 5
mais ayant fondé leurs intentions , & reconnu qu'ils étoient
fort éloignez d'y confentir , elle ne crut pas devoir faire cette
propoiïtion. Peu detems après 3 au commencement de
Tome III, A
2 HISTOIRE
Février, Jean Hooper évêque de Glocefter , Laurent Sanders ,
Henri IL R°'and Talers , Jean Bradfort jurifconfulte , ôc Jean Rogers
- c ^ furent à Londres condamnez à mort, pour caufe de religion :
Rogers fut brûlé dans cette ville, où il avoit enfeigné long-tems :
Bradfortfut retenu en prifon , après fa condamnation J ôc eut au
mois de Mai fuivant le même fort. On conduifit les autres
dans le lieu de leur naiffance , à Glocefter , à Lancaftre , à Co-
ventry , & à Hadley *pour y fouffrir lemêmefupplice. Peu de
tems après, Tévêque de S. Davids fut aufïi condamné, ôc mené
dans fon pays , pour y être puni aux yeux de fes compatriotes.
La veille de Noël de l'année précédente* on apprit à Ro-
me , que l'Angleterre, par les foins du cardinal Polus ' , s'é-
toit réunie à PEglife Romaine. Cette heureufe nouvelle ré-
pandit l'allégreffe dans toute la ville. On en rendit des actions
de grâces à Dieu ; on tira le canon , 6c on fit des feux de
joye. Le Pape publia une Bulle, par laquelle, en fe fervant
de la parabole de l'enfant prodigue , il témoigna la joye fin-
cére que lui caufoit en fon particulier le retour des Anglois à
l'obéïiTance du S. Siège : il déclara en même tems qu'il vou-
loit , comme le père tendre ôc indulgent de l'enfant prodigue,
que les autres peuples fufTent invitez au ferlin , ôc priffent part
à la réjoùiffance publique : Qu'ainfi il ouvroit , félon la cou-
tume , • les thréfors de l'Eglife , & qu'il accordoit l'entière ré-
miffion des péchez à tous ceux , qui en ayant un fincere re-
pentir , feroient , avec une véritable dévotion, ce qui étoit
porté dans la Bulle.
Le Pape , qui étoit fatisfait fur tous les autres chefs* deman-
doit encore vivement , qu'on rendît à l'Eglife les biens qui lui
avoient été enlevez en Angleterre : il avoit fur-rout chargé les
AmbafTadeurs qu'on lui avoit envoyez , ôc qui étoient prêts de
s'en retourner , de faire fur cette reftitution des remontrances.
On remit cette affaire au premier Parlement : cependant pour
donner quelque fatisfaclion au Pape , Ridley , ôc Hugues La-
timer , qui étoit fort vieux , ayant été menez enfemble à
Oxford , y furent brûlez. On conduifit avec eux au fupplice
l'archevêque de Cantorbery 2: mais fes larmes, fon repentir,
ôc le pardon qu'il demanda publiquement à Dieu , dont il
i ^ Son nom Anglois eftPoole, mais \ z Thomas Cranmer,
en l'appelle communément Polus.
DE J. A. DE THOU,Liv. XVÎL 3
implora la miféricorde , touchèrent fes Juges , ôc on le recon-
duiiit en prifon. ^ Henri IL
On rint pendant les mois d'O&obre ôc de Novembre , un 1 < < 6.
Parlement j où l'on propofa inutilement de couronner Philip-
pe. La Reine y parla aufll de la reftitution des biens Ecclé-
fiaftiques ; mais elle ne put rien obtenir , parce qu'ils étoient
poffedez depuis long-tems par la principale NoblefTe du Royau-
me. On ordonna feulement , qu'on donneroit à l'avenir au
Clergé les dîmes, ôc les premiers fruits. Sur la lin de ce Par-
lement , Etienne Gardiner évêque de Wincefter ' , que Marie
avoit fait chancelier du Royaume, mourut dhydropifie. On
mit en fa place Nicolas Heath , alors archevêque d' Yorck :
il avoit fait quelque féjour en Allemagne avec l'archevêque
de Cantorbery, Ôc depuis il avoit afïifté Jean Dudley duc de
Northumberland , lorfqu'on le conduifit au dernier fupplice.
Avant de quitter fhiftoire d'Angleterre , il paroît néceffaire Affaires d'E-
de nous arrêter à celle d'Ecofle. La Reine mère étant de retour co c'
de France , faifoit tous fes efforts pour obtenir la régence , ôc le
confentementdu Viceroi , qu'elle extorqua enfin de cet homme
foibîe, par force ôc par adreffe, après de longues conteftations.
On fit le traité à Sterling, où l'on publia les articles dont la Reine
ôc les Régents étoient convenus. On y ajouta feulement que
le Viceroi auroit la garde de Dunbritton. Le Parlement ayant
été convoqué à Edimbourg pour le dix d'Avril, on y lut une
féconde fois le traité; enfuite le Viceroi fe leva,Ôc fe démit
de toute fon autorité , en remettant à Henry Clutin fieur d'Oi-
fel , qui agiffoit pour la Reine , les marques de la Royauté :
ce feigneur les reçut pour elle , ôc les dépofa enfuite par fon
ordre entre les mains de la Reine mère. Cette PrincefTe les
reçut au bruit des acclamations de l'affemblée , ôc ayant pris
la qualité de Régente du Royaume , elle traverfa la ville,
pour fe rendre au palais qui eft dans le fauxbourg, où elle fut
conduite comme en triomphe. Le Viceroi qui étoit venu au
Parlement, accompagné d'un grand nombre de Seigneurs, ôc
en faifant porter devant lui , félon la coutume , l'épée , le
fceptre Ôcla couronne , en fortit , comme un fimple particulier,
1 L'Evêché de Wincefter eft d'un
revenu bien plus confïdérable que l'ar-
chevêché d'Yorck ; c'etf ce qui donna
lieu à cette tranflation indécente. Le
revenu de l'Evêché de Wincefter eft
d'environ 1 rooool.de notre monnoye.
Aij
4 HISTOIRE
■ confondu dans la foule. Les hiftoriens Ecofîbis cfifent 9
Henri II. que ce fut alors un fpeclacîe nouveau, de voir une femme s
1 S S 6» ^u confentement ôc de l'avis du Parlement même , prendre
les rênes du gouvernement. Le crédit , ôc la puiffance des
François furent le mobile de cette innovation. On ne voulut
pas cependant leur confier la garde d'Edimbourg , de crainte
que fi la jeune Reine mouroit fans enfans , ils ne refufalfent
de rendre cette ville. On la mit donc , comme en fequeftre x
entre les mains de Jean Areskin , avec défenfe de la remettre
à qui que ce fût, que par l'ordre des Etats.
Jean Mudyard, chef delà famille de Clan-Reynald , homme
accoutumé aux crimes ôc aux brigandages, ravageoit impuné-
ment la contrée voiiine. La Régente envoya pour le prendre,
George Gordon comte de Huntley ; mais ce feigneur fe fai-
fant un plaifir cruel des malheurs publics , ôc trouvant fon avan-
tage particulier dans les pertes que fouffroient les peuples ;
s'acquitta peu fidèlement de cette commiffion. Auffi on l'ar-
rêta dès qu'il fut de retour, Ôc on le retint en prifon , jufqu'au
jour que fa caufe fut plaidée. On l'accufoit outre cela d'avoir
fait mourir Guillaume, chef de la maifon de Cathnefs, neveu
du comte de Murray , fon ennemi, ôc d'avoir engagé à com-
mettre ce crime la femme même de Guillaume , parce qu'il
ne vouloit pas fe foûmettre , ôc s'attacher à lui. Les opinions
furent partagées : quelques Seigneurs vouloient qu'on le pu-
nît du dernier fupplice; d'autres jugeoient à propos qu'on le
reléguât feulement en France pendant quelques années ? enfin
le fentiment du comte de Cafteley , le plus grand ennemi du
comte de Huntley, l'emporta. Prévoyant que la bonne intel-
ligence , qui régnoit entre la France ôc l'EcofTe , ne pourroit
durer long-tems > il ne croyoit pas qu'on pût avec fureté laiflèr
pour chef aux mécontens un homme accoutumé aux troubles j
il ne jugea pas non plus qu'on dût le faire mourir: parce que
îe prétexte de la punition des attentats contre l'Etat, quelque
énormes qu'ils fuffent , ne.pouvoit jamais fuffire pour lai/fer
des étrangers répandre le fang d'un feigneur Ecofîbis : ainll
il fut d'avis de ne punir le comte de Huntley, que par la
perte de fes biens. On le retint donc en prifon j jufqu'à ce
qu'il eût cédé des droits confidérables qu'il levoit fur les peu~
pies t ôc qu'il avoit ufurpez , ,ôc renoncé à quelques autres droits
DE J. A. DE THOU,Lit XVII. f
de haute juftice qu'il avoit : on réunit le tout au domaine. Le .. ■. «
Comte ayant eu fa liberté à ce prix , trouva dans la fuite le Henri IL
moyen de' s'infinuer dans l'efprit de la Régente , ôc d'entrer j ^ - ^
dans fa confidence.
Depuis ce tems , l'EcoiTe jouit d'une paix profonde : mais
au mois de Juillet de l'année iyj6,la Régente ayant affilié
au Parlement tenu à Innernes , fit punir du dernier fupplice
la plupart des perturbateurs de la tranquilité publique. Elle
envoya contre Mudyard le comte d'Athole , capitaine d'une
valeur ôc d'une fidélité reconnue. Le Comte obligea ce bri-
gand de fe rendre à difcretion , avec toute fa famille, ôc le con-
duifit à la Régente. Mais Mudyard ayant trompé ou corrom-
pu fes gardes , s'échapa de prifon , ôc retournant à fes ancien-
nes habitudes 3 il continua fes ravages , ôc mit tout à feu ôc
i fang.
La Régente étant de retour , pour s'attirer l'amitié des Sei-
gneurs , rappella quelques-uns de ceux qui avoient été accu-
fés du meurtre du cardinal de S. André , ôc exilés par le Vice-
roi : mais elle perdit toute l'affection des peuples > que cette
action de clémence lui avoit méritée, par un impôt odieux qu'el-
le voulut établir , ôc qui n'étoit deftiné , félon l'idée du pu-
blic , qu'à entretenir dans le pays des troupes étrangères. Elle
ordonna donc qu'on feroit un état des biens de tous les par-
ticuliers , qui donneroient chacun tous les ans une petite par-
tie de leurs revenus , ôc que ces fommes feroient portées au
thréfor public deftiné à cet ufage. Quoique la haine en réjaillît
fur d'Oifel , le Rouge , ôc quelques-autres François , qui gou-
vernoient l'efprit de la Régente î cependant ceux qui appro-
fondirent davantage la chofe , fe persuadèrent que David Pan-
ter, évêque de Roffe, homme de beaucoup d'efprit ôc de fça-
voir , qui étoit même allié de la maifon de Hamilton , dont
il favorifoit les deffeins , avoit donné la première idée de
cette impofition. On conjectura auffi que le comte de Hunt-
ley pouvoit y avoir beaucoup de part. En effet , on crut que
ce Seigneur s' étant aperçu que la Régente ne tendoit qu'à ac-
coutumer les peuples aux impôts , appréhenda que la trop'
grande puiffance de cette Princeffe n'afoiblît les forces Ôc l'auto-
rité de la nobleffe 5 ôc que voulant s'oppofer aux vaftes projets
d'une étrangère , qui , par une ambition naturelle à fa maifon 9
A iij
6 HISTOIRE
tâchoit d'établir le gouvernement arbitraire , il lui infpirâ
Hfniu II adroitement , plutôt en dangereux politique, qu'en véritable
v l ç < a-mi , cette odieufe invention , qui d'ailleurs étoit du goût de
la Régente : il prévoyoit fans doute que les Ecofîbis ne pour-
voient jamais fe réibudre à payer cet impôt , ôc qu'ils ne flé-
Ghiroient plus avec la même docilité , fous le gouvernement
tyrannique de cette Princefle.
Toute la Noblefle s'oppofa en effet à l'établiflement de l'im-
pôt , ôc empêcha l'exécution des projets de la Régente, jac-
que Sandlands , ôc Jean Weemes furent députez , pour lui
reprefenter, que cet impôt étoit odieux 5 que par-là on mettroit
au jour la pauvreté defEtat, ôc des particuliers , en faifantun
dénombrement de tous leurs biens : Qu'au refte , il étoit dan-
gereux de confier la défenfe du Royaume à des troupes étran-
gères , que l'argent , f efperance d'un gain fordide , une oc-
calion favorable, ôc leur avidité infatiable , rendoient capa-
bles des plus grands attentats , ôc dont la fidélité étoit aufTï
chancellante , que la fortune: Que fuppofé même qu'il n'y eût
aucun danger, ôc que ces foldas mercenaires agnTent avec un-
courage au-deflus de leur condition ; il n'étoit pas cependant
vraifemblable qu'ils combattiffent pour les intérêts d'une cou-
ronne étrangère, avec plus de valeur, que des Ecoflbis natu-
rels , pour leur propre défenfe, ôc pour celle de leurs familles >
ni que le léger avantage d'une paye modique , que la paix leur
feroit perdre, pût donner à ces gens méprifables plus de cœur
ôc de zèle, que n'en infpireroit à une brave noblefle l'amour de
leur patrie , de leurs enfans ôc de leurs biens. Ces motifs ébran-
lererent la Reine mère : elle fe laifla perfuader , & remit cet
impôt, craignant d'ailleurs quelques mouvemens, fi elle per-
fiftoit dans ce deffein. Mais pour le difcuîper, elle répéta plu-
fieurs fois, que cet impôt n'étoit point de fon invention, mais
qu'il avoit été propofé par quelques Seigneurs Ecoflbis d'afles
grande confideration : plusieurs crurent qu'elle vouioit indiquer
par ces paroles le comte de Huntley.
. . 11 ■ • En Angleterre, Thomas Cranmer archevêque de Cantor-
Supplice de , Pt Vv , . . . n
Th. Cranmer bery , qui etoit déjà condamne depuis long-tems , mais qui
archevèq. de apres le fupplice de Ridley ôc de Latimer , avoit été remis
dans la prifon d'Oxford , en fut tiré le vingt-un de Mars , ôc
expofé aux yeux ôc à i'infolence de la populace , revêtu d'un
DEJ. A. DETHOU,Liv. XVII. 7
mauvais habit , après avoir été dégradé , félon la coutume. ——"-"—
Quelques jours auparavant , on lui avoit fait efperer qu'il ne Henri IL
feroit pas puni du dernier fupplice, & à la perfuafion de quel- 1556.
ques perfonnnes qui lui parlèrent , il avoit retradté prefque
tous fes fentimens : il avoit même foufcrit à une confeflion de
foi , par laquelle il reconnohToit l'autorité du S. Siège , ôc re-
cevoit la do&rine de J'Eglife Romaine; mais des qu'il vit que
Tes foûmifTions étoient inutiles , ôc qu'il falloit abfolu ment mou-
rir , il fe repentit de cette démarche. Il fit donc au peuple un
difeours pathétique , qu'il commença par des réflexions tou-
chantes fur la réforme des mœurs , pour s'attirer l'attention 5
enfuite il déplora fon aveuglement , ôc le crime qu'il difoit
avoir commis en abandonnant la vérité. Il expliqua en peu
de mots les principaux articles de fa doctrine , ôc enfin il ofa
dire que la puiiTance du Pape feroit le plus ferme appui du
royaume de l'Antechrift. Comme ces paroles fervirent de
Conclufion à tout fon difeours , ôc furent les dernières qu'il pro-
nonça, elles furent à peine entendues. Il fe vit ignominieu-
fement traîné jufqu'au lieu du fupplice. Lorfqu'il y fut arrivé,
il dit en étendant fa main droite : Cette main criminelle a fouf-
crit à la do&rine impie , que les ennemis de la vérité m'ont
préfentée ; il eft donc jufte qu'elle foit punie la première. Dès
qu'attaché au poteau fatal, il vit s'élever autour de lui les tour-
billons de flammes , il étendit le plus loin qu'il lui fut pofTible
fa main dans le feu , pour fentir dans cette partie de fon corps,
les premières douleurs de fon fupplice K
Peu de tems après, on craignit une confpiration fecrete con-
tre l'Etat , 6c fur ces foupçons , on arrêta plufieurs perfonnes
de diftinclion. Quelques-uns eurent la tête tranchée ; d'autres
i ■» Cranmer , dit l'auteur des Révo-
sj luttons d' Angleterre , te'moigna une
ai foibleffe qui deshonora les Protef-
3> tans ; 8c dont ils paroiffent encore
33 chagrins qu'on leur rappelle le fou-
»> venir. Il fe fit Catholique pour avoir
3> la vie , ôc mourut Proteftant , pour
3> fe venger de ceux qui la lui avoient
3J refufe'e. ■» Maiseft-il croyable qu'un
Prélat fçavant , 8c d'ailleurs homme
de bien ; tel qu'étoit Cranmer , ait re-
tourné au Proteftantifme , fur le point
de mourir ,précifément par un motif
de vengeance ?D'où l'auteur a-t-il fçû
que ce fût fon motif? D'ailleurs quel-
le forte de vengeance ? Efi-ce fe ven-
ger que de donner lieu à fes ennemis
dédire qu'on eft damné? Et puis fon-
ge-t-on d'ordinaire à fe venger, quand
on va mourir ? N'eft-ce pas le tems où
l'on pardonne tout, 8c fa mort même?
L'idée que M. de Thou nous don-
ne du retour de Cranmer à la Religion
Pioteftante, fur le point de mourir ,
eft plus jufte , 8c fait qu'on plaint fon
erreur , fans flétrir fa mémoire.
S HISTOIRE
» ■ n..— i fe réfugièrent en France , entr'autres , André Dudley frère du
Henri II. ^uc ^e Northumberland. On arrêta auffi Udall & Trockmor-
1 S S & ton ' ^U* ^t0*ent attacnez à Elifabeth fœur de la Reine. Us fu-
rent dénoncez comme confpirateurs , par des gens de la lie du
peuple y ôc punis du dernier fupplice. Peu de tems après ;
Pierre Carow , qu'une émotion populaire avoit obligé de paffer
en France l'année précédente, mais qui enfuite étoit rentré dans
les bonnes grâces de Philippe, ôc Jean Cheeke , qui avoit été
précepteur du roi Edouard } ôc qui revenoit d'Allemagne ,
pour fe marier en Flandre , furent arrêtez par ordre du roi
d'Efpagne , lorfqu'ils alloient enfemble de Bruxelles à Anvers ,
ôc conduits prifonniers à Londres. Mais Carow s'étant écha-
pé , vécut encore long-tems , ôc mourut en Irlande, où il avoit
de grands biens. Enfin , on a fupputé que depuis le fupplice
de Thomas Cranmer , jufqu'à la mort de Marie , il périt en
Yy~6 perfon- Angleterre pour caufe de Religion cent foixante-feize perfon-
nés punies ûq ■ r j \ i i
mort en An- nes > q01 furent punies de mort , ou qui après leur condamna-
gieterre pour tion , moururent miférablement dans les priions. Le cardinal
Son! ?I" Polus, qui étoit particulièrement chargé de maintenir la reli-
gion Romaine en Angleterre , ne voyoit qu'avec douleur ces
terribles exécutions, & fouhaitoit fmcérement de fauverceux-
inêmes contre lefquelsil étoit obligé de févir. Ce grand hom-
me étoit perfuadé , ôc on lui a fouvent entendu dire 3 que
comme les Evêques dévoient pourfuivre, avec l'exactitude
d'un juge, ceux qui s'éloignoient de la vérité, ils dévoient aufîl
avoir pour les plus coupables la bonté d'un père tendre ôc in«
riulgent.
Depuis trois ans qu'il étoit de retour en Angleterre > il avoit
donné tous fes foins à réformer l'Univerfité de Cambridge,
perfuadé que fes travaux pour la Religion auroient peu de fuc-
ces , Ç\ pour l'afTermir il ne veilloit fur les Collèges , où les
jeunes gens font formez à la pieté dès l'enfance. Il choifit pour
la réforme des écoles Cuthbert Ecoffois , évêque de Chefter,
Nicolas Ormaneto de Vérone , qui étoit fort aimé de Jule III,
Ôc qui étoit venu d'Italie avec le Cardinal ; Thomas Watfon ,
nommé à l'évêché de Lincoln , Jean Chriftophorfon , qui
étoit nommé à l'évêché de Chichefter , ôc Henry Cool
Principal du collège d'Etone. Après avoir écrit conjointe-
ment à André Pern , qui étoit alors Vice- Chancelier dç
rUniverfité,
DE J. A. DE T H O U , L i v. XVÎÏ. $
l'Univerfité, pour l'avertir d'en convoquer toutes les Facukez »
dans l'Eglife de Notre-Dame , pour l'onze de Janvier; ils Henri IL
partirent fans différer. On les reçut avec de grands témoigna- \ <: < 6>
ges d'une joye fincére ; ôc dès le premier jour de leur arri-
vée, ils rirent fermer l'Eglife de Notre-Dame , ôc celle de S.
Michel , où l'on avoit inhumé quatre ans auparavant les corps
de Martin Bucer ôc de Paul Fagius. On s'affembla le Jour
fuivant dans les écoles de la Trinité 5 Jean Stocch y fit un
long difeours , dans lequel il fit l'éloge de la pieté de la Reine
ôc du Cardinal , ôc demanda au nom de l'Univerfité , qu'on
oubliât les erreurs des* tems paffez , pour fonger uniquement
à affermir la Religion , ôc à faire des régîemens immuables
pour le gouvernement, ôc l'exacte difeipline des écoles ; afin
que ceux qu'une mauvaife inftru&ion avoit féduits > ou qui
emportez par le torrent de l'erreur , s'étoient écartez de la
vérité , puffent peu à peu la reconnoître , ôc rentrer dans leur
devoir.
L'évêque de Chefter, après avoir témoigné la joye que ce
difeours lui faifoit , ôc exalté les foins ôc l'affection du Car-
dinal pour l'Univerfité , qu'il regardoit comme fa pupille , dit
que le projet de la réforme ne pouvoit avoir qu'un heureux
fuccès , (i ceux qui s'étoient écartez, revenoient de bonne foi
dans le chemin de la vérité : qu'il y voyoit déjà un grand
acheminement , ôc d'heureufes difpofitions , puifqu'ils recon-
noiffoient leur aveuglement , ôc qu'ils avoùoient leurs erreurs :
qu'il pancheroit plutôt à la clémence, qu'à la févérité, quoi-
qu'il fût befoin des remèdes les plus violens , pour extirper
l'erreur, qui avoit jette de fi profondes racines î ôc que fi leurs
avertiffemens , ôc les confeils falutaires qu'ils donneroient , fai-
foient impreffion fur Tefprit de ceux qui avoient été féduits,
ils dévoient tous efperer qu'on les traiteroit avec une bonté ôc
une affection particulière, ôc qu'on ne négligeroit ni la gloire
ôc l'intérêt général de l'Univerfité , ni l'avantage particulier de
tous les membres qui la compofoient.
On fe rendit enfuite dans l'Ecole Royale , où l'on célébra On exhume
une Meffe avec beaucoup de folemnité , après laquelle on p^S^s. "
prêcha dans l'Eglife de Notre-Dame , quoiqu'elle fût interdite.
On parla enfuite de l'exhumation des corps de Bucer ôc de
Fagius. Ils avoient, difoit- on, non feulement répandu de tous
Tome lîl, B
to HISTOIRE
cotez le funefte poifon de l'erreur , & formé un parti 6c une
Henri IL fecte particulière ; mais encore , en s'écartant de la vérité , ils en
i J 5* 6. avoient éloigné plufieurs par leur pernicieux exemple. On or-
donna donc que leurs corps feraient au plutôt exhumez , parce
qu'il étoit défendu par les faints décrets ôc par les canons, de
donner la fépulture Eccléfiaftique aux hérétiques ; Que c'é-
tait offenfer la majefté de Dieu, profaner fes Temples, Ôc vio-
ler les loix les plus facrées ; Ôc qu'enfin on ne pouvoit , fans al-
1 armer les confciences , ôc fcandalifer ceux qui avoient fuivi
la religion de leurs pères , accorder à ceux , dont les mœurs ôc
la doctrine y avoient été directement oppofées, la fépulture
commune à tous les fidèles. On réfolut donc de purifier ces
Eglifes , ôc de ne rien laifTer de ces cadavres abominables , qui
pût même fouiller les élemens, afin de lever par-là en quelque
façon les fcrupules des perfonnes foibies , ôc des confciences
timorées.
On préfenta une requête aux Commifîaires , ôc ils jugèrent
à propos d'obferver toutes les formalitez requifes par les Ca-
nons. On cita donc les morts jufqu'à deux fois , ôc on fit deux
différentes informations 5 perfonne n'ofant paroître , pour dé-
fendre leur mémoire , ils furent condamnez comme contuma-
ces. L'évêque de Chefter fit un difeours , en préfence de tou-
tes les Facultez, qui s'étoient affemblées au jour indiqué, par
lequel il tâcha d'exeufer la févérité de ce jugement , ôc d'en
faire voir l'équité. Il infifta fur la nécefTité qu'il y avoit de ne
pas laifTer pluslongtems des Eglifes profanées, par une facri-
îege tolérance qui troubloit les efprits foibies. Les Commiffai-
res ordonnèrent donc que les cadavres feroient déterrez , ôc
abandonnez au bras féculier, parce quePEglife ne peut infli-
ger de peines corporelles.
Il fallut envoyer ce jugement à Londre, Ôc quelques jours
s'écoulèrent avant que le Juge laïc eût rendu fa fentence. Ce-
pendant Pern prononça un difeours plein d'aigreur ôc d'em-
portement contre Bucer , quoiqu'il l'eût connu particulière-
ment 5 ôc à fon exemple , plufieurs jeunes gens prirent plailir
à faire contre fa mémoire des vers fatyriques. Enfin le fix de
Février, les corps furent exhumez. On planta dans la place
publique un gros poteau , pour les y attacher , ôc on mit à l'en-
tour une grande quantité de bois , afin de leur faire fubir la
DE J. A, DE THOU Liv. XVII. ir
peine du feu , comme s'ils euflfent étévivans. OndrefTa autour *
du poteau les cercueils où étoient enfermez les cadavres ; on j-fENRI JJ,
les environna de pieux > 6c on les attacha avec des chaînes de x r , ^
fer , pour les foûtenir. Les corps furent entièrement confumez
par la flamme , avec un grand nombre de livres hérétiques ,
qu'on avoit ramafTez de tous cotez. Watfon fit enfuite un dif-
cours à ce fujet. On rétablit les Eglifes qui avoient été inter-
dites. Plufieurs membres de l'Univerfité furent punis ; on ôta
aux uns toute voix délibérative , d'autres furent exclus , & on en
mit d'autres en leur place. Enfin les CommifTaires firent pu-
blier des réglemens , fur la difcipline qui feroit déformais obfer-
vée dans l'Univerfité.
Quelque tems après , Brokes, évêque de Glocefîer , traita de
même à Oxford le corps de Catherine femme de Pierre Mar-
tyr Vermilio , qui quatre ans auparavant avoit été inhumée dans
l'Eglife de Chrift , à côté du corps de la bienheureufeFrifuide,
qui étoit en grande vénération en Angleterre. Cette femme
après fa mort } ayant été convaincue d'avoir fuivi les fentimens
erronez de fon mari , fut aufll condamnée. Son corps fut ex-
humé; Ôc ayant été porté par un crocheteur dans l'écurie
de Marfall 3 doyen de cette Eglife , il y fut enterré ; mais
après la mort de Marie , ôc à la follicitation de Mathieu
Parker archevêque de Cantorbery , d'Edmond Grindal évê-
que de Londres , ôc de Richard évêque de Glocefter ;
Elifabeth l fit dans la fuite tirer de cette écurie les os de
Catherine , ôc les fit mettre dans le tombeau de la bienheu-
reufe Frifuide l'onze de Janvier i$6i après que l'Univerfité
de Cambridge eut rétabli par un décret authentique du vingt-
deux Juillet de l'année 1561 la mémoire de Bucer ôc de Fa*
gius. On annulla alors tout ce qui avoit été fait contre eux 5 ôc
afin de le faire avec plus d'éclat ôc de folemnité } on tint le 30
du même mois une affemblée, oùAchwortfit au nom de l'U-
niverfité un difcours à la louange de ces illuftres morts. Il
peignit des plus noires couleurs la cruauté du règne précédent 3
qui fans épargner les vivans , n' avoit pas même refpe£lé les
morts, qui repofoient dans leurs tombeaux. Jacque Pilkin-
îon parla aufïifort au long à ce fujet, ôc rappella dans fon dif-
cours l'exemple des Papes Etienne VI. ôc Sergius III. qui
1 Ces faits font rapportez ici par anticipation,
B i)
12 HISTOIRE
«i*»^— i— poufFez par des inimitiez particulières , traitèrent Formofe leur
Henri II. prédeceffeur , avec une brutale inhumanité, auffi extraordinaire
j C 7 6. 9ue ce^e ^ont on âvoit ufé à l'égard de Bucer & de Fagius.
Après avoir rapporté les événemens les plus intereflans de
entreb Fran- l'hiftoire d'Angleterre , je vais palier à celle des autres Royau-
ce , l'Empc- mes de l'Europe. Charle-Quint ayant renoncé à l'Empire , Ôc
Philippe? à tous fes Royaumes , avoit réfolu de fe retirer enEfpagne;
mais il n'avoit ofé s'expofer , comme j'ai dit , aux dangers de
la mer \ foit à caufe de fa mauvaife fanté , foit parce que la
faifon étoit trop avancée. Il employa tout ce tems à mettre
de l'ordre dans les affaires , ôc à établir la puiffance de fon
fils. Craignant avec raifon que dans les commencemens de
fon règne , ce Prince dépourvu d'expérience ne fe laiflat
emporter par le feu de fa jeuneffe , ôc ne s'exposât téméraire-
ment auxhafards d'une guerre, dont le fuccès feroit peut-être
malheureux , il jugea que fon fils devoit plutôt s'affermir fur fon
thrône , ôc faire des préparatifs néceffaires , avant que de con-
fier au fort des armes la décifion des anciennes querelles avec
3e Roi de France. Il fe fervit donc de l'entremife du cardinal
Polus , qui, au nom de la reine d'Angleterre, avoit offert fa
médiation pour la Paix , ôc il demanda avec empreiïement au
moins une trêve de plufieurs années , fi on ne pouvoit faire
un traité qui finît entièrement la guerre. On envoya donc de
part Ôc d'autre des Plénipotentiaires. Le Roi nomma Gafpard
de Coligny Amiral de France, ôc Sebaftien de l'Aubefpine
maître des Requêtes. Charle ôc Philippe fon fils nommèrent
Charle comte de Lallain , Simon Renard , Charle Tifnac,
Philippe de Bruxelles , ôc Jean-Baptifte Schiccio jurifconfulte
de Crémone.
Les Plénipotentiaires s'affemblerent au commencement de
l'année , dans le couvent de Vaucelles , proche de Cambray j
ôc après de longues conteftations > ils convinrent enfin d'une
trêve de cinq années, fur mer ôc fur terre, tant en Flandre,
qu'en Italie , ôc dans les autres pays fournis aux deux Rois , où
l'oncefferoit tous actes d'hoftilité, Ôc où, tant qu'elle dureroit, les
deux Princes retiendroient toutes les conquêtes qu'ils avoient
faites pendant la guerre. On y comprit de part ôc d'autre le
Pape. Charle en exclut les bannis de Naples ôc de Sicile\
Le Roi avoit fait comprendre dans le traité , le marquis Albert
DE J. A. DE THOU , Liv. XVIT. 13
de Brandebourg : mais on convint dans la fuite de n'en faire ___ -taMS
aucune mention 5 parce que le corps de l'Empire Germani- 7j îr
que y étant compris , du confentement des deux Princes ,011 x "
ne pouvoit , fans blefler fes intérêts > y comprendre Albert, 1 $ *
qui ne devoit pas jouir du bénéfice de ce traité, avant que fa
profcription fut révoquée , & qu'il eût fait fa paix avec l'Em-
pire. On convint auffi que pour Yvrée 6c le Val-d'Aoufte ,
dont les François s'étoient rendus maîtres dans la dernière
guerre , le Roi payeroit tous les ans au duc de Savoye une
certaine fomme, qui feroit comptée à Lyon en deux paye-
mens : ce traité fut conclu le y de Février.
Quatre jours après , on tint une conférence fur l'échange
des prifonniers 5 & on y demeura d'accord , que de part ôc
d'autre on renvoyeroit les fimples foldats , en payant pour leur
rançon trois mois de leur folde, ôc les Officiers, en payant une
année de leurs appointemens : ce qu'on jureroit d'exécuter de
bonne foi. On avoit excepté de notre côté le duc de Bouillon ,
qui avoit été pris à Terouanne, ôc François de Montmoren-
cy , qui l'avoit été à Hedin > ôc du côté des ennemis , Philip*
pe de Croy duc d'Arfchot , qui ayant été pris dans un com-
bat proche d'Amiens , ôc réconnu , quoique déguifé fous un
habit de payfan , étoit enfermé dans le château de Vincennes.
Cependant dans la fuite on jugea à propos de remettre de
part ôc d'autre ces Seigneurs en liberté , en payant une ran-
çon ; dont on conviendrait dans trois mois. Mais l'affaire ayant
été tirée en longueur, le duc d'Arfchot trouva le moyen de
s'échaper : ce qui fit dire affez plaifamment à Charle V. Que
ce Seigneur avoit été pris en Flandre comme un gueux , ôc
s'étoit enfui de France comme un voleur.
Comme il n'étoit pas pofiible qu'il eût pu fortir de fa pri-
fon, fans le fecours de quelques perfonnes, Jean Munier, lieu-
tenant civil , fit informer avec rigueur contre Françoife d'Am-
boife, veuve de Charles de Croy, comte de Senighen , cou-
fin du duc d'Arfchot, parce que cette alliance la rendoit .très
fufpe£te. Le Parlement avoit refufé depuis peu de recevoir
Munier dans cette charge , comme en ayant été pourvu con-
tre les règles , ôc on ne l'y avoit enfin admis , qu'après plu-
fieurs jufïïons , ôc à la recommandation d'Anne de Montmo-
rency. Ce Seigneur preffoit vivement les informations , parce
Biij
14 HISTOIRE
. qu'ayant perdu Fefperance, par l'évafion du duc d'Arfchoty
Henri IL ^e l'échanger pour fon fils, il vouloit fe dédommager de cette
i ? c 6. Perte> ^ur *es biens du comte deSenighen, parent du Duc. On
employa tout, ôc même les faux témoins, pour avoir des preu-
ves contre la comteffe de Senighen , qui au fond étoit coupa-
ble. Elle fut mife en prifon , ôc elle efluya l'affront d'une pro-
cédure criminelle : mais tout retomba fur Munier , qui étoit
tout enfemble juge 6c accufateur , 6c il fut convaincu de ca-
lomnie 6c de prévarication. La haine qui divifoit les maifons
de Montmorency 6c de Guife, les plus puhTantes du Royau-
me , ôc qui avoit été jufqu'aîors comme cachée , éclata enfin à
l'occafion de cette affaire particulière, comme nous le dirons
dans la fuite plus au long.
Peu de tems après la conclufion de la trêve, l'amiral de G>
ligny fe rendit à Bruxelles auprès de l'Empereur , 6c le comte
de Lallain vint à Blois trouver le Roi , pour faire chacun de
leur côté , jurer l'obfervation du traité à ces deux Princes. La
trêve fut aufïi-tôt publiée à Metz par l'ordre du Roi ; mais
l'Empereur ne la fit publier en Flandre que quelque tems après ,
parce que les vues de Philippe étoient de la reftraindre à un
Affaires P^us Pet^ nom^re d'années. En Italie elle ne fut publiée que
d'Italie. bien plus tard , foit par la négligence des Impériaux , foit par
une fupercherie qui leur devint funefte. En effet, après s'être
emparés dans le Piémont,, de Gattinare ,ôc y avoir mis garni-
fon , ils s'engagèrent plus avant ; mais Louis de Birague s'é-
tant mis en campagne avec les milices de la Province , ôc
deux compagnies SuifTes , reprit cette place , par la lâcheté
du Gouverneur, fans même en faire approcher le canon, 6c
il y laifTa neuf foldats en garnifon. Enfuite prévoyant que les
Impériaux reviendroient fur leurs pas , il fit pour les tromper
une fauffe marche, du côté de Santia , 6c pofta fecrettement fes
troupes dans des endroits avantageux, pour furprendre les en-
nemis. Birague ne fe trompa point; cardes qu'il en fut parti ,
les Impériaux accoururent à Gattinare avec huit compagnies
Italiennes , une Allemande , cent chevaux-legers , ôc trois pie-
ces de canon. Les François ayant abandonné la Ville, furent
auîïi-tôt afïiégez dans la Citadelle. Mais Birague arriva à l'im-
provifte , fur le déclin du jour : il feignit de vouloir donner
d'un côté l'affaut à la Ville , 6c pendant qu'il y arrêtoit les
DEJ. A. DETHOU,Liv. XVIL i?
ennemis , il envoya de l'autre les SuifTes > qui entrèrent dans la ■■■■■■ ■™i«i
Citadelle , avant qu'ils puffent s'en appercevoir. Les Irape- Henri II.
riaux étant donc enfermés entre la Citadelle & la Ville , fa- \ < < 6,
rent facilement défaits. On leur prit leurs drapeaux & leurs
canons, & ils furent prefque tous faits prifonniers: car Man-
fredi Torniello , qui venoit à leur fecours , arriva trop tard.
Les François furprirent encore dans le même pays Vignale,
quoiqu'il y eût une garnifon de quinze cens Italiens de grande
réputation de valeur s commandés par dix capitaines , dont
quatre furent tuez , & les lïx autres faits prifonniers : les fol-
dats furent défarmés , malgré tous les efforts que lit le mar-
quis de Pefcaire pour les fecourir.
Sur les côtes de la mer de Tofcane , les garnifons de Grof-
feto & de Montepefcali s'étant réunies , s'emparèrent de Giun-
carico , de Colonne, de Ravi, & d'autres petites places, dont
la plupart furent bientôt après reprifes par Luc- Antoine Cup-
pano. Les François jugèrent à propos de s'emparer de Pien-
za , quoique cette place n'eût point de murailles 5 mais elle fut
reprife par Santa- Fiore , qui fit pendre quelques foldats , qui
s'étoient retirés dans le clocher de l'Eglife. San-Chirico fut
abandonné par la garnifon, et Campriano demeura entre nos
mains. Corne , qui étoit informé de la Trêve que Jean de Par-
thenay Soubize , qui commandoit au nom du Roi dans Mon-
talcino , publioit de tous côtés , avoit fait fortifier à la hâte
Turrita, Afina-Longa, Monte-Fellonico , ôt les autres places
yoifines.
Dans le même tems la flotte de Doria fit un trifte naufra-
ge. Jean-André Doria efperant de furprendre Bonifacio par
un ftratageme , avoit fait une defcente dans rifle de Corfe
avec douze galères : ayant été battu d'une violente tempête >
proche l'Ifle d'Elbe , il perdit une galère montée par plus de
deux cens hommes , qui périrent miierabîement. Ayant en-
fuite relâché dans un golfe de l'Ifle, d'où il efperoit gagner
Porto-Vecchio , l'orage recommença avec plus de furie : fes
galères fe heurtèrent les unes les autres , ou fe briferent con-
tre des rochers. A peine fe put-il fauver avec la Capitane,
après avoir perdu un grand nombre de prifonniers , de fol-
dats & de canons ; ceux qui ne furent pas fubmergés dans les
flots , eurent bien de la peine à gagner la terre à la nage.
16 HISTOIRE
, » Enfin la Trêve ayant été publiée de part 6c d'autre 3 on en
tï tt rendit des aclions de grâces à Dieu. Le cardinal de Tournon ,
c c 6 °Pl itoVi alors à Rome , alla à l'audience du Pape avec l'am-
baffadeur de France , ôc montra au S. Père le traité dont on
étoit convenu > en TaiTurant cependant que le Roi ne vouloit
point fe départir de l'alliance , qu'ils avoient fecrettement con-
tractée enfemble. Quoique le Pape , ôc les Princes qui étoient
dans fes intérêts , n'ofaffent pas faire paroître leur méconten-
tement , ils trouvèrent néanmoins fort mauvais que le Roi eût
confenti à la Trêve , fans en avertir le Pape : toutes leurs vues
tendant uniquement à continuer la guerre , ce traité leur fai-
foit craindre de trouver le Roi moins porté à favorifer leurs
projets. Ils firent donc fortifier leurs places frontières avec tou-
te la diligence poflible. Fiaminio de Stabbia des Urfins , pa-
rent de Strozzi,fut envoyé à Citta-di-Caftello. Ils firent mê-
me venir Strozzi 3 avec l'agrément du Roi , pour fe fervir de
lui, dans l'exécution des deffeins qu'ils méditoient. Ce Sei-
gneur étoit à Antibe , où il s'étoit retiré après la bataille de
Marciano , parce que le Connétable , ôc quelques autres, rejet-
toient fur lui le mauvais fuccès de cette journée.
D'un autre côté , Corne crut aufli devoir aflurer fes fron-
tières. Il donna donc le gouvernement de Borgo-à-fan-Se-
polcro , qui eft vis-à-vis de Citta-di-Caftello , à Pierre del-
Monte , avec une compagnie d'infanterie > ôc y envoya en-
core Pandolfe de Ricafoli , ôc une autre compagnie de gens
de pié. Il fit auffi fortifier Caftro-caro , fur les frontières de la
Romagne , Caftone , ôc Montepuîciano , contre les courfes de
la garnifon de Montalcino ; car quoi qu'il ne lui parût pas que
le Pape voulût faire aucuns mouvemens , cependant le refus
qu'il lui avoit fait de donner l'archevêché de Pife à Jean fon
fécond fils , faifoit croire à ce Prince , que le fouverain Pon-
tife étoit indifpofé à fon égard.
Dans le même tems Ottavio Farnefe , duc de Parme, fe
ïéconcilia avec Charle V. fon beau-pere , par l'entremife du
duc de Florence , ôc par les foins de Jérôme Correggio , ôc il
yentra dans la poffeflîon de Plaifance , de Novare 3 du Nova-
rois , ôc des Châteaux , dont les Impériaux s'étoient emparés
dans le Parmefan. L'Empereur le reçut dans fes bonnes grâ-
ces , à condition qu'il recevroit dans les citadelles de Plaifance
une
DE J. A. DE THOU, Lrv. XVII. 17
•
une garnifon Efpagnolle , qui feroit payée à fes dépens ; Que
le traité ne donneroit aucune atteinte aux droits de l'Empi- J-TENRI JJ.
re, ôc du S. Siège, fur le duché de Parme» Que la citadelle x ç ç 5.
de Novare demeureroit entre les mains de l'Empereur'; Que
les biens qu'Ottavio 3 ôc Marguerite fon époufe , fille natu-
relle de l'Empereur , avoient dans le royaume de Naples,ôc
dans la Tofcane, ôc ceux du cardinal Alexandre, frère d'Ot-
tavio , dans la Sicile , leur feroient rendus ; fans cependant
qu'ils puffent demander la reftitution des fruits que la cham-
bre Impériale avoit perçus : Que les enfans de ceux des con-
jurez , qui étoient morts , ne feroient point troublés dans la.
poffefîion de leurs biens , mais qu'ils en joùiroient librement ;
Que pendant flx mois on n'intenterait rien de nouveau con-
tre les autres conjurez qui vivoient encore, ôcque cependant
ils pourroient vendre ou engager leurs biens à qui ils juge-
roient à propos; Qu'Ottavio vivrait en bonne intelligence avec
le comte de Sanfecundo , ôc Jean-François de Sanfeverino , que
l'Empereur le prioit de ménager ; mais que cependant il pour-
rait les punir, s'ils violoient dans la fuite leurs fermens : Qu'on
démantèlerait Torriîe, Roccabianca ôc Torricelle; Qu'on re-
mettrait à Ottavio la ville de Sandonino , fans toucher aux
fortifications que l'Empereur y avoit fait faire ; Que dès que
Plaifance feroit remife à Ottavio , Alexandre, Mis aîné de ce
Prince ôc de Marguerite, demeureroit en otage à Milan, d'où
il parferait à la cour du roi d'Efpagne.
Ce traité fut très-avantageux à l'Empereur ôc à Corne. Il
n'y avoit plus tant à craindre pour le duché de Milan ; ôc les
François ne pouvoient dorénavant paffer par terre , avec la
même facilité dans la Tofcane , ôc dans le royaume de Napîes.
Les comtes de Correggio ôc de Nugarola s'affermirent auffi
dans leurs Etats , ôc s'oppoferent dans la fuite plus vigoureu-
fement aux entreprifes du duc de Ferrare leur ennemi.
Cependant le cardinal Caraffe faifoit tous fes efforts , pour
exciter la France à prendre les armes contre TEfpagne. Il
avoit envoyé en France Annibal Rucceliai , comme nous
l'avons déjà dit : avant la trêve , il s'étoit lervi plusieurs fois
du nom du Pape , pour écrire au Roi ôc au Connétable j ôc
afin de ne rien négliger de ce qui pouvoit faire réiiiTir fes def-
feins, il avoit même écrit à la ducheffe de Valentinois, que
Tom, IIL G
18 HISTOIRE
m fes charmes empoifonneurs rendoient maîtreiTe abfoluë de
Henri II l'efprit du Roi , qui d'ailleurs étoit avide de gloire , ôc enflé de
j ^ - ^ fes fuccès. Enfin il avoit aufïi écrit au duc de Somma , pour
le preffer d'envoyer au plutôt les fecours qu'il avoit promis.
Après la conclufion de la Trêve , il fe fervit de l'entremife du
même Seigneur , qui étoit déjà à la cour de France > pour
faire de vives plaintes au Roi, de ce que , fans en rien com-
muniquer à fes alliez , ôc au préjudice du traité qu'il avoit
fait avec eux , il manquoit de parole au Pape , ôc abandon-
noit les CarafTes > ôc pour prier inftamment S. M. de ne
pas foufcrire à la trêve. 11 écrivit une féconde fois au Roi
le $ de Mars , pour lui demander que , s'il vouloit obferver
la trêve , il remît du moins entre les mains du fouverain
Pontife les places , que les François occupoient en Tofcane ,
comme le cardinal de Lorraine le lui avoit fait efperer ; parce
que , difoit-il } les Impériaux ôc Corne n'ayant plus rien à crain-
dre de la part des François , n'oferoient en venir à une ruptu-
re avec le Pape ; Ôc que même il y avoit lieu de croire que
pour mériter fon affection , ils rendroient volontiers Sienne ,
ôc les autres places de cet Etat , dont ils s'étoient emparés
dans la dernière guerre : Qu'en effet il étoit certain , ôc que
les Efpagnols en étoient perfuadés , que le fouverain Pontife ;
dont la fermeté ôc la générofité étoient égales , avoit aflez de
puiffance, pour difpofer à fon gré des couronnes , pour don-
ner à qui bon lui fembleroit des Royaumes en Italie , ôc pour
faire pancher la balance de quel côté il jugeroit à propos.
Le cardinal Caraffe voulut alors demander la légation de
France 3 pour avoir une occafion de venir dans ce Royau-
me, comme il l'avoit refolu , ôc pour faire réùflir une affaire
qu'il avoit tant à cœur. Mais le cardinal de Tournon fçut
adroitement le retenir , en lui remontrant que fa préfence
étoit néceflaire à Rome > pour les intérêts du Pape ôc du Roi.
Ce fage Prélat fe fervit avec prudence de ce prétexte ; mais
le véritable motif qui le faifoit agir ainfî , étoit fon éloigne-
ment pour une alliance , qu'il avoit toujours regardée comme
préjudiciable au Royaume : d'ailleurs fon amour pour fa pa-
trie lui faifoit craindre que le cardinal Caraffe , homme in-
quiet, nefefervît du crédit, Ôc de la protection qu'il trouve-
roit à la Cour, pour faire renaître les divifions, que la trêve avoit
DE J. A. DE T H OU, Liv. XVII. 19
afîbupies , ôc engager la France dans une guerre funefte. .
Mais le cardinal CarafTe voyant que tous les moyens, qu'il 71 77
. . r , , 1 , ; • \ a 1 x> • v Henri 11.
avoit juiqu alors employés , n avoient pu engager le K01 a re- -
mettre entre les mains du Pape les places , que les François ' *
occupoient encore dans l'Etat de Sienne , ne fit plus d'attention
aux confeils ôc aux remontrances du cardinal de Tournon. Il fe
prépara à la légation qu'il avoit projettée , ôc il obtint facilement
le confentement de fort oncle. Le Pape s'appliquoit uniquement
à l'affaire de l'Inquifition , qu'il regardoit comme le reffort myf-
terieux de la Religion, ou du moins comme le moyen le plus
efficace ôc le plus fecret d'élever jufqu'à fon comble la puif-
fance temporelle du S. Siège. Il foûtenoit la dignité Pontifi-
cale avec plus de hauteur ôc d' orientation que les Rois mê-
mes , ôc ne donnoit que rarement audience à leurs Ambaffa-
deurs. Il s'imaginoit que cet orgeùil ôc ce fafte relevoient
beaucoup la place qu'il occupoit 5 fes parens le lui avoient per-
fuadé , pour l'empêcher , par ce moyen , de communiquer
avec qui que ce fût y ôc pour abufer de la facilité ôc de la
fbiblefTe d'un vieillard chagrin ôc dédaigneux.
La fortune fembla féconder les projets du cardinal CarafTe :
Un événement imprévu bleffa l'efprit vindicatif de ce Pape ,
qui ne pouvoit fouffrir l'apparence de l'offence la plus légère.
En effet, le marquis de Sarria , ambaffadeur de l'Empereur,
qui prenoit fouvent le plaifir de la chafïe , avoit obtenu de
Montorio , qui avoit le commandement des armes, la permif-
fion de fortir quand il voudroit, ôc même à une heure indue,
de la ville de Rome , dont les portes étoient fermées pen-
dant la nuit. Le Marquis voulant donc fortir dès la pointe du
pur, un Capitaine qui fe trouva à la porte, après avoir relevé
les fentinelles , refufa de la lui ouvrir , parce qu'il ne fçavoit
pas qu'on l'eût permis pour cet Ambaffadeur. Le Marquis re-
gardant ce refus } comme un affront qu'on lui faifoit, ôc qui re-
jailliffoit fur la perfonne facrée qu'il repréfentoit , ,en vint à la
violence, repouffa les gardes , ôc fit rompre la porte. Le Car-
dinal Ôc fon oncle furent très-irrités de cette action , ôc char-
gèrent le duc de Somma d'en faire des plaintes au Roi , com-
me d'un attentat ., qui bleffoit la majefté du trhône Pontifical.
On refufa à l'Ambaffadeur l'audience qu'il demandent pour fe
juftifier. Il vint cependant au Palais ; mais on ne le laiffa point
Ci;
BS3C33KSÏC
io HISTOIRE
entrer : & il fut obligé de fe retirer , après que Caraffe lui eu£
uc, ,D t tt dit , que le Pape fon oncle avoit délibéré de le faire arrêter, ôc
- f £ même de le faire punir avec encore plus de levente.
Le cardinal Caraffe ayant trouvé une occafion fi favora-
ble , pour fon voyage de France, fit tous fes efforts pour ap-
paifer fon oncle , il lui remontra qu'il étoit plus à propos de
diffimuîer l'injure, pour en tirer vengence dans un tems plus
favorable. Ainfi le Pape donna audience au marquis de Sarria ,
ôc lui dit publiquement, que pour faire voir avec quelle ar-
deur il fouhaitoit la paix, ôc l'union des Princes Chrétiens >
il avoit réfolu , pour y travailler , d'envoyer fon neveu en
France, ôc Scipion Rebiba évêque de Motola , fait Cardinal
depuis peu, à l'Empereur Ôc au roi d'Angleterre l. Le cardi-
nal Caraffe , fous le fpécieux prétexte de traiter de la paix*
vint donc en France , avec un nombreux ôc magnifique cor«
tese-
Avant fon départ , le Pape tint un confiftoire , où il inve&i va
avec beaucoup d'emportement contre les Colonnes , qu'il
traita d'impies ôc de facrileges , dont les ancêtres avoient tou-
jours été ennemis des fouverains Pontifes fes prédeceffeurs.
Il déclama particulièrement contre Afcagne Colonne , qui
étoit alors prifonnier à Naples , ôc qui s'étant joint aux Efpa-
gnols , pour faccager Rome , avoit afliégé Clément VIL dans
le château S. Ange. Enfin il peignit avec les plus noires cou-
leurs Marc- Antoine Colonne, qu'il repréfenta comme le fils
dénaturé d'un père, dont ilfuivoit les traces , ôc fur lequel il
avoit fait le premier eflay de fes crimes , en le dépouillant de
fes biens avec la méchanceté la plus barbare : il ajouta qu'il
continuoit fes facrileges , par les entreprifes audacieufes qu'il
formoit contre le fouverain Pontife ôc le S. Siège. Il le déclara
alors déchu de tous les privilèges, qu'il avoit reçus de la libé-
ralité des Papes , confifqua les biens du père ôc du fils , ôc
par un Bref rigoureux , il lança fur eux tous les foudres du
Vatican.
t C'eft-à-dire, au roi Philippe époux
de la reine Marie , ôc à qui fes parti-
fans donnoient le nom de roi d'Angle-
terre , quoique les Anglois lui euffent
refufé ce titre. Je ne puis dire pour-
quoi le Pape , en parlant au marquis
de Sarria , donne à Philippe le titre de
Roi d'Angleterre ; 8c encore moins ,
pourquoi le cardinal Caraffe lui donne
auflî ce même titre dans le difcours
qu'il fait au Roi , comme on verra
bien-tôt.
DE J. A. DE THÔU, Liv. XVIÎ. *t
Peu de tems après, le Pape fit duc de Paliano Jean CarafTeJe
plus âgé de fes neveux, par un Bref auquel il obligea les Cardi- Henri IL
naux de foufcrire. Il éloigna alors du gouvernement le duc 1556.
d'Urbin , ôc créa fon neveu gouverneur de l'Etat Eccîéfiaftique,
en lui remettant le bâton qui eft la marque de cette dignité.
Ii donna , avec le titre de marquis , à fon petit-neveu , encore
enfant , la ville de Cani , appartenant aux Colonnes. Enfuite le
cardinal Caraffe accompagné du nouveau Duc > ôc de Pierre
Strozzi vint à Paliano , où ayant amené avec lui des ingé-
nieurs , il fit tracer le plan de plufieurs battions fituez avanta-
geusement , ôc y fit tranfporter des vins , des farines , des vian-
des falées > ôc d'autres vivres , pour mettre cette place en état
de foûtenir un fiége. Il partit enfuite avec une nombreufeNo-
blefie , ôc s'étant embarqué à Civita-Vecchia, il vint par mer
à Marfeiîle 3 fous l'efcorte de Paul Jourdain , chef de lamai-
fon des Urfins , qui le conduifit avec huit galères 3 dont une
partie lui appartenoit, ôc l'autre au Roi.
Cependant Corne 3 qui fe défioit de la fincerité de la trêve >
ôc qui ne pouvoir compter fur l'amitié du Pape ôc du Rot ,
faifoit tous les préparatifs nécefTaires 3 pour foûtenir la guerre 3-
ôc fourniffoit tous les fecours poffibles au ducd'Albe. Il faifoit
aufïi fortifier les places les plus expofées aux attaques des en-
nemis, ôc particulièrement Lucignano , qu'il avoit pris depuis
peu fur les François. Il y fit dans le même tems une perte
confidérable : le tonnerre étant tombé fur une tour > qui fer^
voit de magazin aux poudres , y mit le feu 3 ôc fit fauter plus
de quarante domeftiques ôc foldats de Donat Ambroife d'A-
rezzo. Il faifoit mettre cette place en état de réfifîer , ôc y tra-
vailloit avec d'autant plus d'ardeur ôc de diligence., que le
voifinage des François 3 qui occupoient Foliano , étbit plus à
craindre. Il envoya auffi des garnifons ôc de l'artillerie dans
Cortone, ôc dans Caftro-caro, qui ne font pas éloignées de
Furli, d'Imola ôcde Cefena, villes de l'Etat Eccîéfiaftique,
pour engager le Pape par la crainte 3 à prendre des fentimens
plus pacifiques , ôc pour le faire confentir à des eondirions
raifonnabies.
Ce Prince empîoyoit , d'un autre côté , tous les relTorts de
Fa politique , pour obliger le cardinal de Burgos , quicomman-
doit au nom de Philippe dans Sienne ( où il manquoit d'argens
C iij
22 HISTOIRE!
__Ëm ôc de vivres pour la fubfiftance des troupes , & pour retenir les
Fenri II nabitans dans Ie devoir ) de lui confier la garde de cette ville,
^ après en avoir fait fortir la garnifon. Mais le Cardinal fe fervit
' * d'un autre artifice , pour éluder ceux du duc de Florence. Il
perfuada facilement aux Siennois , qui craignoient de tomber
îbus la domination de ce Prince , qu'il étoit nécefTaire de rebâ-
tir la citadelle , qu'on pourroit défendre avec peu de troupes : il
ajouta, qu'il n'étoit pas en état d'entretenir une garnifon allez
nombreufe , pour conferver une ville de Ci grande étendue.
On rétablit donc les murs de la citadelle , où l'on introduifit des
troupes , ôc l'on donna des ordres néceffaires pour faire venir
des vivres de la Sicile ôc de la Poùille , parce qu'on n'en pou-
voit tirer du côté de la mer : mais ce moyen n'étant ni com-
mode 3 ni facile , la ville fut bien-tôt réduite aux dernières ex-
trêmitez. Le Duc crut ne pouvoir pas négliger cette occafion ;
ôc il envoya au roi d'Efpagne Alfonfe Tornabuoni , évêque
del Borgo en Tofcane , pour le prefTer d'exécuter la parole
qu'on lui avoit donnée , touchant l'Etat de Piombino : mais les
Efpagnols tirèrent la chofe en longueur. Les Siennois étoient
cependant dans une difette extrême. Le Cardinal en rejetta
la faute fur Côme , ôc lui en rit un crime auprès du roi Phi-
lippe ; enforte que le Duc fut obligé , pour juftifier fa con-
duite, de communiquer tous fes deffeins au Cardinal. Dans le
même tems il fe forma une confpiration fecrette , pour furpren-
dre Montalcino ; Côme avoit auiïi des intelligences, qui luifai-
foient efpérer qu'on lui livreroit GrolTeto , la meilleure de nos
places maritimes. Le Duc ne cacha pas ces deux entreprifes
au Cardinal: mais ce Prélat, qui prenoit en mauvaife part tout
ce que Côme pouvoit faire , ne jugea pas qu'il pût en revenir
aucun avantage à Philippe ; au contraire , il fe perfuada que
Côme n'agiiToit ainfi que pour fes intérêts particuliers , afin
qu'en s'emparantpeu à peu de l'Etat de Sienne , il pût obliger
les Efpagnols à lui remettre la ville même. Ainfi ces deux en-
treprifes échouèrent , foit que le Cardinal les eût négligées ,
foit que par un défaut de prudence 3 il en eût confié le lecret
à quelqu'un. Les auteurs ôc les complices de la confpiration
furent arrêtez , ôc punis , comme ils le méritoient : ce qui caufa
un préjudice conlidérable aux intérêts de Côme , ôc diminua
beaucoup fa réputation.
DE J. A. DE THOU,Liv. XVII. 23
Peu de tems après , un nommé Caldora Napolitain , qui
avoit fait un long féjour en France, ôc qui alloit alors à Flo- ]-[ENRI jj
rence, où l'AmbafTadeur de Corne auprès du Pape l'envoyoit j . . $
fous la foi d'un fauf-conduit, que Mo ntluc avoit donné pen-
dant la tréve^ fut arrêté à Sienne par le cardinal de Burgos ,
comme un efpion des Caraffes , ôc mis à la queftion pour le
faire parler contre Montluc , ôc contre Corne. Peu s'en fallut
que les François irritez de cette aclion , qu'ils regardoient com-
me un attentat contre le droit des gens , ne priffent les armes
pour s'en venger , ôc que Corne indigné , de ce qu'on avoit
contre fa fidélité des foupçons injurieux, ne fe portât à contre-
tems à des extrêmitez, qui peut-être lui euffent été fatales.
Fabrizio de Sanguine, Nonce du Pape auprès du roi d'Ef-
pagne , étant revenu fans avoir rien fait , les efprits s'échau-
ferent à Rome. La découverte de quelques conjurations ou
réelles ou imaginaires , aigrit encore l'efprit du Pape j enforte
qu'il donna ordre à Sylveftre Aldobrandini, à qui il déféroit
beaucoup , ôc au Procureur fifcal , d'intenter un procès à l'Em-
pereur Ôc au roi Philippe , touchant la poffeflïon des royaumes
de Naple & de Sicile , feudataires du S. Siège , dont la fei-
gneurie directe appartenoit à l'Eglife , ôc d'en demander la
conhTcation , fous prétexte qu'ils étoient tombez en commife ,
par la protection que ces Princes donnoient aux rébelles, ôc
qu'il les regardoit eux-mêmes comme tels.
Le cardinal Caraffe étant arrivé à Fontainebleau , trouva Le cardinal
la Cour partagée en différentes factions. Le Connétable , qui Carafe amwr
étoit déjà vieux , ôc à qui fa prudence faifoit craindre le mau- France?"
vais fuccès de là guerre , s'efforçoit de la terminer. Le cardinal
de Lorraine étant allé à Rome l'année précédente, il avoit
profité de fon abfence , pour ménager une trêve , qui pou voit
conduire à la paix. L'Amiral de Coligny fon neveu > étoit dans
les mêmes fentimens, ôc il contribua beaucoup à la conclufion
de la trêve. Au contraire, les Princes de la maifon de Guife,
emportez par le feu de leur jeunefle , ôc par une ambition de-
mefurée, qui leur faifoient efpérer,qu'à la faveur des troubles
ils pourroient augmenter leur crédit ôc leur puhTance, étoient
éloignez de la paix, ôc tâchoient de perfuader au Roi de pro-
fiter d'une occafion fi favorable. Le Roi étoit irréfolu fur le
parti qu'il devoit prendre : fes heureux fuccez lui faifoient
24 HISTOIRE
fouhaîter la guerre; mais la prudence ôc l'autorité du Connêta-
Henri II. ble^ qui avoit beaucoup de crédit fur fon efprit , le retenoient.
i $ $ 6, Enfin la Reine étant dans les mêmes fentimens que. Pierre
Strozzi fon parent , qui fouhaitoit la guerre d'Italie , parce
qu'il efpéroit y avoir quelque commandement > fixa l'irréfolu-
tion du Roi. On crut aufîi que Diane de Poitiers fervit beau-
coup à le déterminer , foit à caufe de l'alliance qu'elle avoit
contractée avec lesGuifes, foit parce que le cardinal de Lor-*
raine ayant pour elle des égards, qui alloient jufqu'à la plus
baffe foûmiffion , elle employoit tout fon crédit , pour appuyée
les projets de cette Maifon.
Dans cette confiance , le cardinal CarafFe vint faluer le Roi,
après lui avoir préfenté au nom du Pape , avec beaucoup de
cérémonie ôc de pompe, une épée bénite, comme au défen-
feur de l'Eglife Romaine. Il obtint une audience fecrete , dans
laquelle il expofa l'état des affaires de Rome, ôc la fituation
de celles de fa famille , ôc parla ainfi au Roi :
Difcours du » S I R E , Depuis que mon oncle eft monté fur la chaire
cardinal Ca- „ Je S. Pierre , ôc qu'il m'a confié la conduite des affaires
raife au Roij 1 o «?• * > • i \ n
pour l'enga- M du S. oiege , je n ai rien eu plus a coeur, après vous avoir
gerà rompre 3> rendu tous les fervices poffibles dans les guerres de Parme,
treve' 3' ôc de Tofcane , que de lui infpirer des fentimens favorables
» aux intérêts de Votre Majefté. J'ai tant fait, que fans avoir
*> aucune confidération pour l'Empereur , ôc pour le roi d'An-
* Le Roi Phi- 05 gleterre*, il vous a choifi pour être le défenfeur du S. Siège,
Jppe' » ôc l'appui de fa maifon. Lanfac , votre Ambaffadeur à Ro-
*■> me , ôc Jean d'Avanfon , qui lui a fuccedé dans cet emploi ,
» font témoins de mon zélé > ôc ils m'ont vu toujours difpofé à
» vous fervir avec empreffement. Quoique V. M. me fit faire
» des offres très-avantageufes pour le S. Siège , ôc qu'elle me
» fit efpérer pour moi-même les plus grandes récompenfes ; ce-
» pendant fans aucune vûë d'intérêt , ôc engagé par la feule
» inclination que j'ai toujours eue' pour la nation Françoife,
*> j'ai perfuadé au Pape , qu'il devoit , Sire , vous confier le
» foin de la gloire ôc de la dignité du S. Siège , la fureté de fa
» perfonne , la protection de fa famille, ÔC la confervation de
» fes biens. Le Pape ôc l'Eglife Romaine , fe faifoient honneur
» de votre protection : en l'accordant , vous vous couvriez de
» gloire , ôc nous la regardions comme un afile affuré , contre
tous
DE J. A. DE TIÎOU, Lîv.XVïL 'if
;» tous nos ennemis. Voilà les motifs de notre alliance: je n'ai eu
» en vûë dans le traité, que nous avons fait enfembie, que jenri j'
« le foin de la dignité du Pape ôc du S. Siège ; je n'y ai cher- N ^
» ché qu'un appuy pour ma famille 5 ôc je n'ai crû travailler
s' que pour l'agrandiiTement de votre puiflance , fans qu'il
03 paroiffe que j'aye fongé à mes intérêts particuliers. Mais
35 comme les projets de la prudence humaine ont fouvent des
*■> fuccez contraires à tout ce qu'on s'eft propofé , on a violé la
« foi de ce traité 5 ou il a été du moins rendu inutile , par la
*> trêve à laquelle V. M. a confenti > Ainfi cette alliance
» nous fera peut-être aufli fatale , que j'avois efpéré qu'elle
» nous feroit avantageufe. Notre liaifon avec la France a irrité
« les Efpagnols ; ôc il eft certain que ces efprits vindicatifs
33 profiteront du tems de la trêve , pour s'en venger fur nous.
33 Ils n'ont plus rien à craindre fur la frontière de Flandre , dans
,f le Milanez , dans le Piémont , ni dans la Tofcane. Dans
*> des circonftances fiheureufes pour eux, ne devons-nous pas
03 craindre , qu'ils ne réunifient toutes leurs forces pour nous
« accabler ? Nous avons déjà appris avec douleur que le duc
03 d'Albe s'étoit rendu dans ce deflein à Naples , pour corn-
03 mander les troupes qu'on deftine à cette guerre , ôc qu'il y
o> a affemblé une armée nombreufe, pour nous furprendre dans
=> un terns, où nous ne fommes pas en état de lui réfifter. La
03 haine mortelle qu'ils ont toujours eue pour notre Maifon , ôc
« que l'alliance que nous avons contractée avec vous, a encore
o' augmentée , les anime à faire cette guerre. L'occafion favo-
03 rable à l'exécution de leurs projets , qui , comme vous fçavez,
« Sire, eft fouvent le prétexte des guerres , mais dont l'ambition
03 des Princes eft la véritable caufe ôc la feule origine , les y en-
* gage encore plus fortement. En effet , prefque toutes les Pla-
03 ces de l'état Eccléfiaftique font fans défenfe. Les anciens
03 Papes, qui fe croyoient affez défendus parle refpecl ôc l'obéif-
03 fance qu'on doit à leur dignité , ayant négligé de les faire
v fortifier, toutes nos frontières font ouvertes. Du côté d'Afcoli
»> ôc de Terracine , nous fommes refferrez par le roi d'An-
03 gleterre ; du côté de Rimini ôc de Montalto , par la Tofca-
« ne 5 ôc de l'autre côté , depuis Rimini jufqu'à Boulogne , par
« l'état de Florence , c'eft-à-dire par Corne notre plus grand
» ennemi. Les finances font épuifées par les guerres précédentes,
Tome III. D
atf HISTOIRE
» ôc par la négligence du dernier Pape. Dépourvus d'argent ;
Ienri II " q110^6 ^a Romagne nous fourniffe des îbldats } nous ne
j ç - ^ » pouvons pas compter fur leur valeur 5 & quoique nous ayons
» des places ôc des citadelles , elles font fi foibles , que nous
» n'ofons efpérer de pouvoir réfifter à un ennemi puifîant , qui
»> vient pour nous accabler avec toutes fes forces. Pourquoi
» fommes-nous donc vos alliez, pourquoi êtes-vous le nôtre?
=» N'eft-ce que pour être en proye, ou du moins pour être ex-
» pofez à l'infolence ôc au mépris des Efpagnols, nos plus mor-
» tels ennemis ? Permettez-moi , Sire , de vous le dire., au nom
» du fouverain Pontife, que je repréfente : Ne nous avez-vous
fc donné votre foi , que pour laiffer avilir l'autorité du S. Siège,
o' au préjudice même de vos intérêts ôc de votre gloire , ôc
« pour abandonner enfuite à toute la fureur de fes ennemis
» une Maifon } qui s'eft mife fous votre augufte protection X
» Non , le refpe£l que vous avez pour le fouverain Pontife >
ôc votre affection pour fa famille , ne nous permettent pas
d'avoir des foupçons fi defavantageux 5 ôc je n'ai jamais pu
me perfuader que vous eulîiez confenti li à contre-tems à la
» trêve , fi on n'avoit pas mal informé V. M. de notre fitua-
*> tion, ôc fi vous n'aviez pas ignoré vos propres intérêts. J'ef-
» père donc , Sire 3 que dès que vous aurez fait une férieufe
» attention à cette affaire, vous prendrez une réfolution aufli
*> glorieufe pour vous , qu'avantageufe pour nous, ôc nécef-
« faire aux uns ôc aux autres. Je fçai que plufieurs perfonnes
» d'autorité Ôc de confidération font arrêtées 3 par la foi d'un
•> traité confirmé par les fermens : mais fi on ne peut nier qu'un
» Prince doit obferver réligieufement fa parole , aufïi ceux qui
j» infiftent fans difcernement fur la foi des traitez , doivent crain-
» dre dans les circonftances préfentes , de mettre la Religion
*> même en péril , lorfqu'ils veulent en paraître les plus ardens
» défenfeurs. C'eft ce qui arriveroit fans doute , Sire , fi vous
*> abandonniez le fouverain Pontife , dans un tems où votre fe-
» cours lui eft fi néceffaire , Ôc lorfque l'exemple de vos illuftres
» Ayeux , vos fermens > ôc votre piété vous engagent à le défen-
» dre. En obfervant la trêve , vous violez vos premiers fer-
» mens , ôc vous ne le pouvez faire , qu'en foulant aux pieds
» les loix divines , ôc le droit des gens. Y a-t-il rien de plus
» contraire à la juftice , ôc à la raifon , que de s'imaginer que
»3
93
DE J. A. DE THOU, Liv. XVïI. 27
vous ne pouvez faire , pour vous défendre > tout ce qu'un ^ 11-
ennemi le croit permis pour vous attaquer ? Ou plutôt eft-il Henri IL
rien de plus jufte que , lorfque les Efpagnols profitent du x <* * ^
teins de la trêve, pour prendre les armes contre le fouve-
rain Pontife , vous failiez tous vos efforts pour le mettre à
couvert de leurs attentats , fans qu'on puifïe vous accufer de
Pinfraêtion de cette trêve ? Vous l'avez fait comprendre
dans ce traité : vous ne pouvez donc l'abandonner, lorfqu'on
veut l'attaquer, au préjudice de ce même traité. Nous ad-
mirerons toujours votre grandeur d'ame, ôc votre généro-
ilté ; Ôc nous ne pouvons croire que vous ne faffiez pas pour
le fouverain Pontife , que le foin de votre réputation ôc de
vos intérêts vous engage à défendre , ce que l'amour de la
gloire > ôc la feule inclination que vous avez à répandre
vos bienfaits fur tous les hommes , vous ont fait faire jufqu'i-
ci. Vous avez été le protecteur du duc de Parme , ôc du
Prince de la Mirandole. Vous avez maintenu la liberté de
Sienne, contre l'ennemi commun de toute l'Italie. Votre
illuftre Père, le roi François, d'heureufe mémoire, craignant
avec raifon , que dès que l'Allemagne feroit fubjuguée , le
vainqueur ne tournât fes armes contre la France, fecourut
les Princes Ôc les villes de l'Empire , quoique dans des cir-
conftances très-différentes , ôc quoique cette démarche pût
être odieufe aux Princes Catholiques. Digne fils d'un fi gé-
néreux père , vous avez vous-même , Sire , heureufement
exécuté, par votre alliance avec l'éle£leur Maurice , le projet
que François avoit formé trop tard , ôc qu'une mort inopinée
ne lui a pas permis d'exécuter. Ainfi,puifqu'en jugeant fans
partialité , on doit croire, que vous avez agi prudemment en
fecourant les Princes Proteftans , quelque odieux que fut leur
parti , ôc que vous avez fagement détourné l'orage qui vous
menaçoit, en prenant fi à propos leur défenfe '■> que penfez-
vous devoir faire pour le fouverain Pontife , dans des circonf-
tances où la Religion eft fi interefTée , ôc lorfque votre pro-
pre fureté ôc le foin de votre gloire vous obligent de l'ap-
puyer de toutes vos forces ? Car vous ne devez pas douter ,
qu'en abandonnant le Pape , dont vous devez toujours foû-
tenir les intérêts avec zèle , les autres Princes d'Italie, qui
jufqu'à préfent fe font crûs en fureté , fous la protection de
D ij
28 HISTOIRE
» V. M. ne tremblent pour eux-mêmes , ôc ne quittent votre
Henri II M Part* ' Qu* °^era déformais compter fur vos forces, ou fur vo-
i r c 6 " tre g^^rofité • Vous fçavez , Sire > ôc tous vos miniftres ne
■" peuvent l'ignorer, combien votre réputation & l'honneur de
o' la France y font intéreiTez. Songez donc , Grand Roi , à
» foûtenir la gloire héréditaire de votre Maifon , 6c craignez
» que de vains fcrupules, ou plutôt une modération mal pla-
» cée , n'en terniflent tout l'éclat. Ne fermez pas l'afiie le plus
=' allure des fouverains Pontifes , ôc de tous les Princes mal-
» heureux. Privez des fecours, qu'ils efperent trouver en France,
>» ils feroient réduits à la trille nécefîité , d'implorer honteufe-
« ment la miféricorde de vos propres ennemis , ôc de mandier
35 chez eux un appui , que ce royaume leur doit.
Le cardinal Caraffe s'apperçût que ce difcours faifoit im-
preflion fur l'efprit du Roi , déjà prévenu par la duchefle de
Valentinois 6c par les Guifes. Pour le flatter davantage , ôc
pour gagner entièrement ce Prince avide de gloire , ôc à qui
le grand nombre de fes enfans faifoit former de vaftes pro-
jets pour leur établifTement , il parla des droits de la France
fur le royaume de Naples. Il tâcha d'applanir les difficultés
de cette conquête , en remontrant que le Pape fourniroit des
troupes aguerries, ôc des vivres en abondance ; qu'on pouvoit
facilement pafler fur fes terres , jufque dans les provinces de
ce Royaume , ôc qu'enfin tous les ports de l'état Eccîefiafti-
que feroient ouverts aux troupes Françoifes. Le Cardinal avoit
perfuadé tout cela aux Guifes , quoi qu'il ne crût pas lui-mê-
me, qu'une expédition fi difficile pût avoir un heureux fuccès.
Mais il efperoit, qu'en rallumant la guerre entre la France ôc
l'Efpagne , elle feroit fatale à ces deux Couronnes , ôc que les
deux Nations, laflees de leurs pertes réciproques , cederoient
facilement les places qu'elles avoient en Tofcane, ôc confen-
tiroient qu'elles fuiTent remifes entre les mains du Pape Ôc de
fa famille. En effet il y avoit beaucoup d'apparence, que l'Em-
pereur ne s'obftineroit pas à retenir Sienne , pourvu que les
François voulurent fortir de la Tofcane ; ôc que la France ,
épuifée par les dépenfes qu'elle feroit obligée de faire , pour
foûtenir la guerre dans ce pays-là , confentiroit volontiers à un
traité , qui , en retabliffant en apparence la liberté des Siennois 3
lui ferviroit d'un prétexte honorable , pour îpettre bas les armes ,
DE J. A. DE THOU, L'iv.XVIL 2j>
quelle n'avoit prifes qu'en faveur de cette Republique. Alexan- i
dro Andréa , hiftorien contemporain, très exact, rapporte que le Henri IL
cardinal Caraffe fit entrevoir au Roi, que le Pape lui remettrait, i < < 6*
pour gage de fes promeîles , Boulogne , Ancone , Paliano, Cîr-
vita-Vecchia , ôc même le château S. Ange.
Enfin la guerre fut refoluë en faveur du Pape, après que le
i ^ & rr- i • »-i J c- t> !-a guerre
cardinal Caraffe , en vertu du pouvoir qu il avoit du b. rere , eut contrc l'Em-
abfous le Roi des fermens qu'il avoit faits , en ratifiant latré- pereur&Phi-
ve : il lui permit même d'attaquer l'Empereur, ôcfon fils, fans eFrtfoluë/
leur déclarer auparavant la guerre. Ainfi,en attendant que le
duc de Guife pût pafTer en Italie avec une armée , pour fe-
courir le Pape & les Caraffes , on y envoya Pierre Strozzi,
pour commencer la guerre au nom du Roi 5 ôc Blaife de
Montluc , à la prière des Siennois , fut mis à la place de Sou-
bife, qui étoit à Montalcino. Enfuite le cardinal Caraffe fit
fon entrée dans Paris , comme légat du Pape , avec les céré-
monies accoutumées. On rapporte que ce Cardinal, qui étoit
impie, ôc fe mocquoit librement de la Religion , en donnant fa
bénédiction au Peuple , qui fe jettoit en foule à fes genoux pour
la recevoir , au lieu des paroles ordinaires , répéta plufieurs
fois tout bas celles-ci : Trompons ce Peuple 3 puijqu'il veut être
trompé. Le Roi lui donna l'évêché de Comminges , dont Ber-
trandi , Garde des fceaux , fe démit volontairement en fa fa-
veur ; & la Reine étant accouchée de deux filles , au mois de
Juin fuivant , on le pria d'être le parrain de l'une d'elles , à qui
il donna le fuperbe nom de Victoire; foit pour faire allufion
aux heureux fuccès des campagnes précédentes , foit à caufe
des efperances , que toute fa Maifon avoit conçues fans fonde-
ment d'une victoire prochaine : efperances , qui s'évanouirent
avec la vie de cet enfant, qui mourut peu detems après, ainii
que fa fceur nommée Jeanne.
Sur ces entrefaites , l'évêque de Motola , que le Pape avoit
envoyé à l'Empereur , étant déjà à Maeftrich , fut contreman-
dé par le cardinal Caraffe , avant qu'il eût parlé à ce Prince.
Les Impériaux étoient dans une jufte défiance , du coté du Pa-
pe, dont ils n'attendoient rien de pacifique , fur tout depuis
qu'il faifoit fortifier Paliano : la démarche du Cardinal con-
firma les conjectures qu'ils avoient déjàTaites, que la guerre
allok s'allumer en Italie. Le roi d'Efpagne donna donc ordre
Diij
i ;;2.
50 HISTOIRE
au duc d'Albe > de faire marcher fes troupes, Ôc d'empêcher
Hfnrt Tl ^ maui armée, qu'on n'achevât les fortifications de Paliano ,
avant que les François fuffent venus au fecours du Pape. Car
ce Prince, efperoit , qu'en fe mettant aufïï-tôt en campagne,
on pourroit aller jufqu'aux portes de Rome 5 que le Pape fe
voyant alors hors d'état de réfifter , fe répentiroit de s'être en-
gagé dans cette guerre, à la perfuafion de fa famille, ôc avec
trop de légèreté; qu'on l'obligeroitparlà de faire un traité à des
conditions raifonnables , ôc de renoncer à notre alliance , avant
que nos troupes auxiliaires fuffent arrivées.
Dans ce deifein^le duc d'Albe avoit envoyé au Pape Pirro
Loffiredo , de i'illuftre maifon des marquis de Trevico , pour
l'amufer par l'idée d'un traité, qu'il n'avoit aucune envie de con-
clure , ôc le furprendre , quand il s'y attendroit le moins. Mais
le Pape fe fervit d'un artifice contraire. Ne croyant pas que
le duc d'Albe dût le mettre en campagne , avant que Loffre-
do fut revenu de fon ambaffade, il envoya couriers fur cou-
riers au cardinal Caraffe , pour le preffer de repaffer en Italie ;
ôc il tâcha de gagner du tems , en remettant l'Ambaffadeur
de jour en jour au prochain Confiftoire. Le duc d'Albe n'at-
tendit pas le retour de Loffredo , ôc il fit avancer fes troupes.
Le Pape en fut très irrité : quoiqu'il eût deffein de le tromper
lui-même, il fe plaignit hautement, de ce que le Duc avoit vou-
lu l'endormir par une propofition de paix ; ôc fans aucun égard
pour le droit des gens, il fit mettre en prifon l'ambaffadeur
d'Efpagne , d'où il ne fortit que l'année fuivante, lorfque la paix
fe fit entre le Pape ôc leroi Philippe.
L'armée du duc d'Albe étoit compofée de huit mille Ita-
liens , de troupes d'élite du royaume de Naples , fous la con-
duite de Vefpafien de Gonzague 5 de quatre mille Efpagnols,
qui étoient commandés par Dom Sanche deMardones., fous
les ordres de dom Garcie de Tolède ; de fix compagnies de
Cavalerie , qui avoient à leur tête Marc-Antoine Colonne >
ôc de douze cens chevaux-legers , que commandoit Jofeph
Cantelmi comte de Popoli , qui ayant quitté depuis peu le
parti du Pape , étoit paffé du côté des Efpagnols. Il y avoit en-
core dans cette armée douze pièces d'artillerie fous les ordres
de ce même Bernard Aldana , qui ayant depuis peu évité
une mort honteufe à Vienne en Autriche ? , avoit eu un emploi
1 Pour s'être comporté lâchement en Hongrie. Voyez le Liv. IX.
DEJ. A. DE THOU,Liv. XVII. 3*
fi honorable, par la trop grande prote£tion que le duc d'Albe --
accordoit à cette famille. Dom Lope de Mardones étoit inten- jjENRI 77
dant des vivres, & Afcanio de la Cornia étoit maréchal de camp. s
Cornia s'étoit d'abord rendu fufpe£t au Pape , à caufe de la li-
berté ôc de la franchife, avec laquelle il agiffoit;mais dans la
fuite les fervices importans , qu'il avoit rendus dans la guerre
d'Antoine CarafTe contre le comte de Bagni ^avoient donné aux
Caraffes une fi haute idée du courage , ôc du mérite de ce Capi-
taine , qu'ils lui avoient confié le gouvernement de Velletri s qui
eft la principale forterefle de l'état Eccléfiaftique. Cependant les
ennemis le rendirent une féconde fois fufpecl. Les Efpagnoîs
qui vouîoient ôter au Pape un officier d'unfi grand mérite , fi-
rent tomber adroitement entre les mains des Caraffes des let-
tres faites exprès, pour rendre fa fidélité encore plus douteufe:
par ces lettres ils l'invitoient a trahir les intérêts du Pape. On
intercepta encore d'autres lettres en chiffre, où l'on parloit de
Cornia : elles étoient écrites de Rome par Garcilaffo Vega ,
qui fut mis en prifon par l'ordre du Pape. On arrêta avec lui
Jean-Antoine Taxis, maître des portes du roi d'Efpagne: ce
dernier fubit un rigoureux interrogatoire, dans lequel il avoua
plufieurs chofes , qui confirmoient les foupçons qu'on avoit de
Cornia. Le Pape , qui d'une affaire d'état faifoit d'ordinaire une
affaire de Religion, fit fecrettement condamner Cornia par
les Inquifiteurs , ôc envoya en même tems Papirio Capizucchi
pour l'arrêter. Fulvio fon frère , cardinal de Peroufe , fut mis
au château S. Ange , ôc l'on confifqua les grands biens qu'ils
avoient l'un ôc l'autre à Rome & à Peroufe , tant en terres
qu'en argent comptant, On mit dans une étroite prifon à Pe-
roufe , pour le même fujet , la plupart de leurs amis ôc de leurs
parens. On enferma aufïi dans le château S. Ange , peu de
tems après , Camille Colonne, ôc fon frère qui étoit Ecclefiafti-
que , ôc Julien Cefarini.
Le du c d'Albe , juftement irrité de toutes ces violences 3
envoya à Rome Jule Tolfa , comte de San-Valentino , pour
fe plaindre de la conduite du Pape, ôc lui repréfenter : Que
non content de donner un aille aux bannis de Naples ôc de
1 C'eft de cette maifon qu étoit le fa- | gens de Lettres, dont il étoit le protec-
meux cardinal Jean-François de Bagni, teur. Gabriel Naudé fut fon BibIio=
mort en 1 641 ., qui a été fi vanté par les | thecaire,
32 HISTOIRE
. Florence , il avoit fait arrêter , contre le droit des gen? > plufieurs
tt jt miniftres du roi d'Efpagne , que la néceiïité de leurs affaires
^ avoit obligés de paffer en pofte fur fes terres? Quenon-feule-
J J ment il avoit fait intercepter les lettres du roi Ion maître ,
mais encore qu'il avoit depuis peu fait mettre ignominieufe-
rnent en prifon Vega fon ambaffadeur, dont la perfonne de-
voitêtre facrée. San-Vaientino avoit aufTi ordre de dire, que il
S. S. ne vouloit pas faire fatisfa£tion au roi Philippe de tous ces
outrages , qu'on ne pouvoit dilîimuler , il trouveroit les moyens
d'en avoir raifon , ôc de s'en vanger.
Le Pape promit qu'il parleroit de cette affaire aux Cardi-
naux •■> ôc enfin il donna cette réponfe : Qu'il fuffiroit de nier
la plupart de ces faits > pour faire tomber entièrement tous
les fujets de plainte du duc d'Albe : Qu'au refte il étoit fouve-
rain , ôc ne dépendoit de perfonne ; qu'il ne devoit rendre à
qui que ce foit aucun compte de fes actions : qu'au contraire
fon empire s'étendoitfur tous les Princes de la terre» qui étoient
fes inférieurs, ôc qui lui étant fournis, dévoient lui rendre rai-
fon de leur conduite : Que Vega avoit oublié fon devoir , ôc
îe caractère dont il étoit revêtu ; qu'il étoit complice des fédi-
tions , des intrigues , Ôc des différentes conjurations qu'on avoit
formées contre le S. Siège , ôc contre fa perfonne : Qu'ainfî
on ne pouvoit alléguer ce droit inviolable, qui fait refpeéler la
perfonne d'un Ambaffadeur ; puifque par fa faute Vega s'étant
rendu indigne d'en jouir, méritoitle traitement qu'il foufïroit
encore : Que par conféquent Philippe ne pouvoit avoir aucune
raifon de prendre les armes, pour foûtenir une caufe fi injufte :
Qu'au refte les menaces de ce Prince n'étoient pas capables
de l'intimider , ni de l'empêcher de défendre jufqu'au dernier
foupircequi étoit conforme à la juftice, ôc ce qui intereffoit
les droits du S. Siège ôc fa propre dignité. San-Valentino fut
donc renvoyé j ôc Dominique delNero, gentilhomme Romain,
eut ordre de partir avec lui , pour porter la réponfe du Pape au
duc d'Albe. On augmenta la garnifon de Rome , ôc on en
donna le commandement à Camille desUrfins de Lamentano,
Les Vénitiens Les Vénitiens ne voulurent point s'engager dans cette guer-
embraflent la re ^ qU0iqUe \e yo[ d'Efpagne les fît folliciter de s'oppofer aux
progrez ,que faifoit en Italie la puiffancedes François , qui de
jour en jour y devenaient plus redoutables, Le Pape d'un
autre
DE J. A. DE THOU, Liv. XVII. 33
autre côté, pour les faire entrer dans fon alliance , avoit envoyé ':'-.■ , , t
à Venife Antoine CarafFe , ôc leur avoit promis de les revêtir T7 7T
des dépouilles des Efpagnols , s'il pouvoir avec leur fecours , '
affranchir l'Italie du joug de ces étrangers. Comme CarafFe ' '
redoubloit fes follicitations \ le Sénat qui panchoit à la neutra-
lité , ôc qui fouhaitoit également de délivrer l'Italie de la do-
mination des deux Rois , lui répondit après une mûre délibé-
ration : Que le fouverain Pontife devoit, en qualité de père
commun de tous les Chrétiens, ne fonger qu'à la paix , ôc crain-
dre qu'en rallumant la guerre , l'Italie ne fût bien-tôt en proye
aux étrangers : Que tous les peuples étoient avertis des dangers
qui la menaçoient > qu'en effet on devoit être d'un côté dans
une jufte défiance de la part du Turc , dont la puiffance aug-
mentoit chaque jour, à la faveur des guerres qui divifoient la
Chrétienté ; que de l'autre, on voyoitdes effets terribles de la
colère de Dieu , dans des maladies inconnues , qui ravageoient
l'Italie , ôc la dépeuploient prefque entièrement. Ce que les
Vénitiens ne dirent pas fans fondement 5 car il y eut cette
année en Italie , ôc particulièrement à Florence , ôc dans les
contrées voifines , des fièvres pourpreufes , qui y firent de
grands ravages.
Mais ces motifs, qui dévoient toucher le faint Père, ne le
firent point changer de réfolution 5 il ne foiigeoit uniquement
qu'à faire arrêter Cornia, dont il appréhendoit les deffeins.
Il en avoit donné l'ordre , comme je l'ai dit „ à Papirio Ca-
pizucchi , avec des lettres de créance, qui enjoignoientàtous
les officiers de le livrer entre fes mains. Mais Cornia en
ayant été averti par fes amis, ôc fa prudence lui faifant prévoir
le danger, il s'enfuit fécretement par une porte dérobée , avec
peu de fuite. Ayant avec beaucoup de peine renverfé de cheval
un homme qu'on avoit envoyé pour le prendre , il fe rendit
heureufement à Nettuno , où il fit courir le bruit , qu'il avoit
été obligé de s'enfuir de Velletri , parce que les foldats s'éroient
révoltez contre lui. La garnifon de Nettuno le crut pendant
quelque tems, ôc Cornia profita de ce moment favorable, pour
fe mettre en fureté 5 il fe jetta dans un Brigantir\, fur lequel il
gagna Gaïette , d'où il fe rendit à Naples > auprès du duc
d'Albe , qui le reçut honorablement , ôc le fit Maréchal de
camp , comme je l'ai dit ci-deffus,
Tome III, E
H HISTOIRE
Le duc d'Albe attendent encore quinze cens hommes de
Henri II. vieilles troupes Efpagnoles du Milanez, ôc quatre mille Alle-
i c c 6. mands , qu'on, avoit mandez. Mais comme ces troupes tar-
doient trop long-tems , ce Général fe mit en marche avec
fon armée le 4 de Septembre , 6c vint à San-Germano, ou
étoit le rendez-vous , d'où il fe rendit le lendemain à Ponte-
Corvo, fur le Garillan , ville de l'état Eccléfiaftique. 11 y apprit
que Jule des Urfins avoit fait entrer quatre compagnies dans
Frofolone : craignant que s'il lui laifïbit le tems de fortifier
cette place 3 la garnifon ne fît enfuite des courfes dans le
Royaume de Naples , il crut qu'il falloit le prévenir , ôc il
commanda aux troupes de s'affembler à Ifola, proche de Ce-
perano. Dom Garcie de Tolède l eut ordre de prendre les
devants avec l'infanterie Efpagnole , ôc quelques cornettes de
cavalerie ; mais fon arrivée ayant été fçûë plutôt qu'il ne pen-
foit, la garnifon fortit pendant la nuit, ôc abandonna la place.
Le duc d'Albe étant refté pendant trois jours à Frofolone ôc
à Poli , fe rendit maître de Falva-Terra ôc de Caftro , châ-
teaux voifins. 11 s'empara aufïi de Ripi, dont les habitans , qui
étoient attachez aux Colonnes , ayant appris que le duc d'Al-
be approchoit , prirent les armes , tuèrent les foldats du Pape ;
ôc fe faifirent de Trenta-Cofte leur Gouverneur. Le duc d'Al-
be y trouva des vivres en abondance, ôc après y avoir fait
rafraîchir fes troupes, il continua fa marche, ôc envoya de-
vant Dom Garcie à Veruli , ou Baricello de Fabriano , ôc
Laurent de Peroufe s'étoient enfermez avec deux compagnies
Italiennes. On en fit approcher le canon , parce que la garni-
fon refufa de fe rendre 5 la ville fut prife , ôc les foldats furent
défarmez:
Vefpafien de Gonzaguc, qu'on avoit envoyé àBauco, défit
Jean Guafconi Florentin , ôc TomaiTo de Camerino , avec
leurs troupes. L'armée s'étant enfuite avancée du coté d'A-
nagnij Piperna,Terracine , Acuto, Fumone, Fiorentino ôc
Alatro ouvrirent leurs portes , ôc fe rendirent au duc d'Albe :
il eut plus de peine à fe rendre maître d'Anagni. Le cardinal
CarafFe , qui étoit depuis peu de retour de France , avoit éloi-
gné Camille des Urfins., qui gouvernoit les affaires de la guerre
pendant fon abfence > ôc il avoit mis Torquato Conti avec huit
1 II etoitfils de Pierre de Tolède , viceroi de Naples.
DE J. A. DE T HO U , L i v. XVIT. 35-
cens hommes d'infanterie Italienne en garnifon dans la place. ■ »
On fit approcher quatre grottes pièces de canon , ôc deux coule- Henri IL
vrines du côté du couchant , où Dom Garcie avoit fon quartier 1 ç ç 6.
avec l'infanterie Efpagnole 3 de l'autre côté, qui regardoit San-
Francefco , Gonzague eut ordre de dreffer une batterie de trois
canons. On tira pendant trois jours fans difcontinuer ; une
partie du mur fut renverfce , 6c quelques foldats montèrent à
la brèche , mais fans fuccès. La garnifon en fut cependant
épouvantée 5 elle s'enfuit fecretement avec le Gouverneur de
la place pendant la nuit, le 1 y de Septembre, ôc traverfa heu-
reufement avec une extrême diligence, la vallée qui conduit
à Acuto , fans aucune perte confidérable , quoiqu'il fallût paiTer
au travers du quartier de la cavalerie ennemie. Une partie fe
réfugia à Paliano y ôc l'autre à Tivoli , pour fe rendre de-là à
Rome. Le lendemain matin , les ennemis voyant la muraille
ouverte, ôc nuls foldats pour la défendre, montèrent à l'affaiit ,
quoiqu'ils n'en euffent pas l'ordre , ôc pillèrent la place.
Les chemins étoient rompus par les pluves continuelles , Négociations
, 1vr r ., r . J j. . pour la paix ,
qui tombèrent en ce tems-la, comme il arrive ordinairement [uiviesdeplu-
en Automne: Pour employer le tems utilement , on commença fleurs aâes
alors à parler de paix. Thomas Manrique, Dominicain,aufTi dif- itaiie-
tingué par fa naiffance que par la fainteté de fa vie , fut envoyé
pour ce fujet au duc d'Albe , par fix Cardinaux ; ôc le Duc
renvoya à Rome , avec Manrique, François Paceco, pour con-
tinuer cette négociation. L'on convint enfin, que le duc d'Al-
be confereroit avec le cardinal Caraffe , dans le couvent de
Grotta Ferrata > entre Marino ôc Frafcati. Enfuite Diego Vêlez
eut ordre de fortifier Frofolone , ôc le comte de Sarno fut
mis en garnifon à Anagni, avec cinq cens Italiens ôc cent che-
vaux. Le duc d'Albe laifTa Paliano à gauche , ôc vint avec
fon armée à Valmontone , dont Jean-Baptifte Conti lui ouvrit
les portes , à des conditions raifonnables , par le confeil d'Au-
relio Fregofe , qui étoit venu exprès de Rome, pour voir l'é-
tat de la place , ôc qui jugea qu'on ne la pouvoit défendre.
Conti remit aufli Segna entre les mains du duc d'Albe, après
avoir fait une capitulation honorable.
Dans le même tems, Jean deLuna, Gouverneur de la ci-
tadelle de Milan , quitta le parti de l'Empereur , pour prendre
celui de la France. Il avoit aceufé Ferdinand de Gonzague
Èij
36 HISTOIRE1
■„,»„— de malverfation ôc de concuffion : les amis de ce Seigneur
Henri II av°ient obligé Lima , de fe rendre l'année précédente en Flan-
^ ' dre, auprès de l'Empereur, avec François d'Ibarra, pour rendre
raifon de cette accufation. Ce Capitaine fut indigné de ce qu'on
reconnohToit fi peu les fervices importans qu'il avoit rendus , ôc
que les calomnies de fes ennemis fifTent oublier 11 facilement
tout ce qu'il avoit fait en dernier lieu dans la guerre de Sien-
ne. 11 écrivit donc à fon fils , qu'il avoit laifTé dans la citadelle
de Milan , pour l'inftruire du deiïein qu'il avoit formé , ôc lui
donna ordre de remettre la place entre les mains du Gouver-
neur du Milanez.
La défection de Luna arrêta pendant quelque tems les Es-
pagnols dans le Milanez , parce qu'ils craignoient qu'elle ne
fût le commencement d'une plus grande entreprife. Mais le
cardinal de Trente Gouverneur de la Province, reçut la cita-
delle que le fils de Luna lui remit, ôc quoiqu'il n'en eût pas
d'ordre > il en confia la garde à Alfonfe Pefcione, après avoir
fait prêter ferment de fidélité aux foldats de la garnifon. Peu
de tems après François Taverna, chancelier du Sénat de Mi-
lan y qui étoit un des accufateurs de Gonzague , ôc qui fous
prétexte de maladie , n'avoit pas voulu aller à Bruxelles, fur
mis en prifon à Milan. Quoiqu'il parût alors que tout étoit
calme en apparence, les efprits étant néanmoins encore émus,
le cardinal de Trente ôc le marquis de Pefcaire , fon principal
confeil , foufTroient avec peine qu'on retirât les troupes de la
Province , ôc n'envoyoient qu'avec répugnance des fecours au
duc d' Albe , dont la gloire les intéreflbit peu.
Il fe fit alors en Afrique de nouveaux mouvemens, qui firent
retarder les fecours qu'on avoit promis au duc d'Albe. En
effet les Turcs afiiégerent Oran par terre , avec les troupes
qu'ils avoient fait venir d'Alger , ôc par mer avec une armée
navale. Laprincefie de Portugal régente d'Efpagne donna or-
dre à Doria d'aflembler les galères qui étoient en difTerens
endroits , pour aller au fecours des affiégez ; mais ils fe défen-
dirent avec tant de valeur qu'ils n'en eurent pas befoin. Le
comte Alcaudete , qui commandoit dans la place , fit dans une
fortie un grand carnage des ennemis, ôc les obligea de lever
le fiége.
D'un autre côté Marc - Antoine Colonne , étant forti du
DE J. A. DETHOU,Liv. XVII. 37
camp pendant la nuit, avec huit cens gendarmes, courut juf- t~
qu'aux portes de Rome . ôc après s'être mis inutilement en em- -"ENRI 1A°
bufcade , pour furprendre les troupes du Pape , il fit enlever 1 S S ^'
un grand nombre de beftiaux , ôc fe retira. Cette a£Hon jetta
la terreur dans Rome. Cependant les Cardinaux ne vinrent
point à la conférence , ôc il n'y parut perfonne en leur nom ,
quoique le duc d'Albe s'y fût rendu avec un nombreux cor-
tège. Ce Seigneur fe perfuada que les CarafFes avoient eu
deiTein de l'enlever , s'il y î\\t venu fans efcorte \ mais quere-
connoiftant l'impoiîibilité de l'exécution , ils n'avoient pas ofé
venir à Grotta Ferrata. Il eft cependant plus vrai-femblable,
que le cardinal CararTe n'agit ainfi , que pour tirer en longueur
la négociation , afin d'avoir le tems de fortifier Velletri , ôc
Paliano , ôc de pouvoir diftribuer dans les places voifines deux
mille Gafçons, qu'il avoit amenez de France ôc de Corfe, fous
la conduite de Charri , ôc de Marc- Antoine de Montluc fils
de Blaife , ôc dont Boniface de la Mole étoit colonel 5 outre
que le cardinal vouloit encore fçavoir de quel côté les enne-
mis porteroient leurs armes : car le nombre de leurs troupes
diminuoit tous les jours , ôc le bruit couroit que les Allemands ,
qu'on attendoit deLombardie, ne viendroient point.
Ainfi la négociation étant rompue* , le duc d'Albe fit pafTer
fes troupes du côté de Tivoli. On avoit long-tems délibéré fi
on attaqueroit d'abord cette place , ou s'il étoit plus à propos
d'alîîéger Velletri. Enfin ce Général fe détermina à marcher
contre Tivoli , où François des Urfins s'étoit enfermé avec
quatre cens Italiens. Velletri avoit une nombreufe garni-
fon, avec qui les habitans étoient en bonne intelligence, ôc
d'ailleurs cette place étoit dans une fituation très-avantageufe,
Mais comme il n'y avoit pas d'apparence que Tivoli pût réfifïer
aux efforts d'une fi puiffante armée, CararTe y envoya Blaife
de Montluc, avec deux cornettes de chevaux-legers de la gar-
de du Pape > deux compagnies de gendarmes , qui étoient à
la folde de Paliano , ôc aux ordres des capitaines Ambroife ôc
Barthélémy Albanois , avec quatre cens arquebufiers comman-
dez par Marc-Antoine Montluc ôc Charri. Blaife de Mont-
luc fit une extrême diligence pendant la nuit > pour fe rendre à
Tivoli. Il avertit aufïi- tôt du danger le Gouverneur, qui ne
fç.avoit pas même que l'ennemi fût fi proche de lui 3 ôc après
-r-> • • •
Enj
33 HISTOIRE
avoir donné aux foldats un peu de tems pour fe repofer ôc fc
Henri 11. rafraichir , il fit plier bagage. Des Urfins étoit à peine forti
1 S S 6' de la ville , que les ennemis parurent de l'autre côté de la ri-
vière, que CarafFe avoit afTûré qu'on ne pouvoit pafler. Mont-
luc , qui étoit à l'arriere-garde , les arrêta jufqu'à ce qu'on eût
coupé le pont, qui étoit fur la rivière au milieu de la ville , ôc
on y combattit quelque tems. Enfin nos troupes fe tirèrent heu-
reufement de ce mauvais pas , ôc fe rendirent à Rome , fans
avoir fait aucune perte : Afcanio de la Cornia , qui les fuivoit en
queue , fut tout à coup rappelle par le duc d'Albe.
Après laprife de Tivoli, le duc d'Albe marcha contre Vico-
varo., ville appartenant aux Urfins, ôc où François des Urfins, en
fortant de Tivoli, s'étoit rendu avec fes gens ; elle eft fur la riviè-
re de Teveron , ôc n'a pour défenfe qu'une petite citadelle. Les
pluyes continuelles empêchèrent des Urfins de fortifier cette
place : il fut donc obligé de l'abandonner, dès que l'ennemi pa-
rut : ôc elle fit fa compofition avec Cornia. La prife de cette
ville ouvroit les chemins aux convois qu'on vouloit mener à
Tagliacozzo , ôc aux troupes ennemies qui venoient de PA-
bruffe. Il y avoit encore cinquante hommes de garnifon dans
la citadelle ; mais le Gouverneur en étant imprudemment forti,
pour conférer avec Cornia , fut arrêté ; on ne le relâcha,
qu'après que les Efpagnols fe furent rendus maîtres de la place,
qui capitula.
Le voifinage de l'armée ennemie jetta le trouble ôc la confu-
fion dans Rome , enforte que les troupes du Pape n'ofoient pas
même en fortir. Camille des Urfins , qui avoit le comman-
dement des armes , ayant fait abattre un grand nombre d'Egli-
fes ôc de maifons du côté de la porte del Popolo , faifoit faire
de nouvelles fortifications en dedans des remparts , ôc retenoit
le foldat dans la ville. Le peuple qui en murmuroit déjà , en
prit encore l'allarme , comme fi tout eût été réduit aux derniè-
res extrêmitez, Ôc que les murailles de Rome euffent été la
feule barrière capable d'arrêter les ennemis. Blaife de Mont-
luc n'approuvoit point cette conduite ; il foûtenoit au .contrai-
re , qu'il falloit faire fortir les troupes , pour raifurer un peuple
accoutumé aux délices ôc au repos , ôc pour acquérir une ré-
putation de valeur , fans laquelle on ne peut faire la guerre
avec avantage.
DE J. A. DE THOU, Liv. XVII. 32
C'eft-pourquoi le peuple s' étant affemblé , avec l'agrément
du Pape > chez Jean d'Avanfon Ambaffadeur de France , Henrï IL
Montluc y fit une harangue militaire , par laquelle il tâcha de 1 $ $ 6,
ranimer le courage abattu des Romains. Il leur propofa l'exem-
ple des Siennois, qui avoient depuis peu défendu leur liberté
avec tant de courage. On l'envoya enfuite à Velletri , pour y
faire entrer du fecours , parce qu'on craignoit pour cette'place.
Montluc exécuta cet ordre , avec l'activité qui lui étoit ordi-
naire. Il renforça la garnifon de deux compagnies de gen-
darmes , & de crainte qu'on ne lui coupât le chemin dans fon
retour , il fit environ quarante milles (ans s'arrêter , ôc revint
heureufement à Rome. La fuite fit voir qu'il avoit eu raifon
de faire toute la diligence poffible ; car le duc d'Albe ayant
été informé de la marche de Montluc , avoit envoyé un parti
de cinq cens chevaux , qui arrivèrent à Marino deux heures
trop tard, Oc qui ne purent rien faire > parce que ce capitaine
étoit déjà paffé.
Nettuno \ ville bâtie fur les ruines d'Antium , ôc fortifiée
par de larges foffez , ôc par des battions que la mer baigne ,
appartient aux Colonnes. Les habitans de cette place , qui
étoient fort affectionnez à leur Seigneur , fe révoltèrent dans
le même tems, ôc maltraitèrent ôc la garnifon Ôc le Gouverneur,
que les Caraffes leur avoient donné. Dès que le duc d'Albe
en fut informé , il y envoya des troupes , fous la conduite de
Moretto Calabrois ; cet officier défendit courageufement la
place contre les troupes du Pape > qui Taffiégerent vaine-
ment.
Le duc d'Albe avoit fait conduire dans le même endroit
des bateaux, pour former un pont, ôc faire paffer le Tibre à
fes troupes auprès d'Ortie. Le Baron de la Garde , qui étoit à
Civita-Vecchia , l'ayant fçû , écrivit à Strozzi , ôc lui manda
que s'il lui envoyok un nombre fufBfant de gens de pie } il
pourroit les faire paffer fur fes galères à Nettuno , pour brû-
ler ces batteaux. Marc-Antoine Montluc ôc Charri , y allè-
rent donc avec quatre cens arquebufiers d'élite. Mais l'entre-
prife ne réùfîlr point , parce que les ennemis , par les foins ôc
i'induftrie de Moretto, avoient tiré les batteaux fur le rivage,
ôc les avoient entourez d'un foffé , en forte que les brûlots
ne pou voient les accrocher. Outre cela , le duc d'Albe en
N
40 HISTOIRE
ayant été informé , y avoit aufli-tôt envoyé Afcanio de la Coït-
Henri II. nia-> avec douze cens chevaux, ôc douze compagnies d'in-
1 ç c 6. fanterie , pour s'oppofer aux efforts de nos troupes , Ôc les em-
pêcher de mettre le feu à ces batteaux.
Cornia paffa par Marino, où Marc- Antoine Colonne s'é-
toit retiré , comme dans une place qui lui appartenoit. Blaife
de Montluc avoit quelque efperance d'y furprendre Colon-
ne t Ôc après avoir envoyé un détachement pour l'attirer au
combat , il s'étoit embufqué proche de la Ville , avec une trou-
pe de Cavalerie , tirée des compagnies de Paliano ôc d'Aure-
lio Fregofe. Strozzi avoit encore permis à Boniface de la
Mole, de l'accompagner dans cette petite expédition. Mont-
luc croyoit que Colonne, emporté par l'amour de la gloire >
ôc par le feu de fa jeuneffe , fortiroit de la place , ôc tombe-
roit dans l'embufcade. Il fe l'étoit fi bien perfuadé , que com-
me s'il eût déjà reçu les quatre-vingt mille écus d'or, à quoi
il faifoit monter la rançon de fon prétendu prifonnier , il avoit
déjà arrêté ce qu'il en donneroit à fes compagnons, ôc ce
qu'il garderoit pour lui : fe flatant agréablement de cette chi-
mère > il fongeoit même aux terres qu'il pourroit achetter aux
environs de Paris, avec les fommes qui lui en reviendroient.
Mais l'arrivée de Cornia ruina fes grands projets h toutes fes
efperances s'évanouirent, ôc il fe trouva lui-même prefque pris
dans le piège, qu'il avoit tendu à Colonne. Ainfi il n'eut que
de la confufion fans aucun fuccès. Je renvoyé le lecteur aux
mémoires de Montluc même, plutôt que de l'amuferici par
le détail d'une chofe fi ridicule. Cependant les Efpagnols fi-
rent courir le bruit , qu'ils avoient remporté dans cette occa-
iion un avantage allez confiderable , ôc que Montluc avoit
perdu deux cens chevaux : Aleffandro Andréa l'a même ainfî
rapporté. Le Roi en fut d'abord allarmé ; mais ayant enfuite
appris la chofe , comme elle s'étoit paffée , la joie fucceda au
chagrin qu'il en avoit eu.
Les troupes du Pape étoient enfin aflemblées. Alexandre
Colonne avoit levé fix mille hommes d'infanterie dans la cam-
pagne de Rome , Ôc environ fix cens chevaux-legers. Aure-
lio Fregofe avoit amené de la Romagne douze cens foldats
aguerris. Jean- Antoine Tiraldo avoit fait dans le même tems
çje nouvelles levées à Peroufe ôc à Afcoli , ôc Antoine CarafTe
étoit
DEJ. A. DE THOU, Liv. XVII. 41
étoit parti , pour en faire à Boulogne. Il y avoit encore dans ■ *
l'armée du Pape environ deux mille Gafcons , enfbrte qu'elle tj jt
étoit compofée de dix mille hommes de pie , ôc de douze cens t r
chevaux-legers. Si l'on eût fait fortir ces troupes de Rome , ôc l $
qu'on eût d'abord marché à la rencontre du duc d'Albe , il
eft certain que , non-feulement les efforts des ennemis euffent
été inutiles, mais encore, qu'après les avoir fait reculer, on
eut excité quelques mouvemens dans le royaume de Naples,
dont les peuples inconftans fe portent facilement à la révol-
te. On imputa cette faute grofliere, que firent les troupes du
Pape , à Camille des Urfins , qui étant vieux , ôc par confé-
quent défiant ôc trop précautionné , préferoit le parti le plus
fur aux entreprifes hardies ôc périlleufes.
Parmi toutes les Villes occupées par les Caraffes , on avoit
fur tout mis de fortes garnifons dans Paliano , où Jule des
Urfins commandoit , ainfi que dans Veletri , où Adrien Ba-
glioni avoit depuis peu remplacé le duc de Somme. Les garni-
ions étant auffi voilines, on en venoit fouvent aux mains avec
l'ennemi , lorfque les troupes du Pape s'efforçoient d'empêcher
le paffage des convois , qui venoient principalement d'Ifola ,
bourg ainfi appelle, parce qu'il eft environné des eaux du Fi-
breno , près du Garigîiano. C'efl pour cela que le duc d'Albe
avoit mis dans Valmontone Vefpafîen de Gonzague , avec huit
cens hommes d'Infanterie ôc trois cens Cavaliers , pour fa-
ciliter les convois , ôc empêcher les courfes des troupes du
Pape. Jule des Urfins brûla dans le même tems Serrone ,
bourg fitué à trois milles de Paliano , qui fouffroit beaucoup
des fréquentes embufcades que l'ennemi dreffoit en cet endroit.
Après cette expédition , il alla avec cinq compagnies d'Infan-
terie ôc quatre pièces de canon , pour s'emparer de Piglio , qui
appartenoit aux Colonnes. Mais le comte de Sarno , qui étoit
en garnifon dans Anagni , étant furvenu , l'en empêcha , Ôc
l'obligea de fe retirer, après un violent combat.
Sur ces entrefaites , AntoineCaraffe partit de Boulogne avec
quelques foldats, ôc vint à Afcoli.» fitué fur la rivière deTron-
to, qui de ce côté-là fépare la Marche d'Ancone ôcle domai-
ne du Pape , de l' Abruzze ôc du royaume de Naples. Enfuite
ayant levé des troupes dans le comté de Montorio auprès de
la mer Adriatique , il entra dans le Royaume , ôc s'empara
Tom. 111. F
42 H I S T O I-R E
de Contraguerra , où il mit une bonne garnifon. De-là il alla
Henri IL attacluer Corropoli ; mais Ton entreprife ne réùflit point : les
!j ^ habitans demeurèrent fermes ôc inébranlables 3 foit par un
motif de devoir ôc d'honneur , foit qu'ils y fuflent contraints
par les menaces du marquis de Trivico , que le duc d'Albe
avoit envoyé fur la frontière de l'Abruzze, en qualité de Gou-
verneur ; foit enfin qu'ils fuflent retenus par la crainte des
mauvais traitemens qu'on leur feroit , fi leur Ville étoit ré-
prife.
Dans le même tems , Charle Loffredo , frère du Marquis ,
s'étant répandu de tous cotez fur les terres du Pape, avec une
Cornette de Cavalerie, fit un grand butin, ôc poufiafes cour-
fes ,'jufqu'à Monte-fan-Polo , proche Aquaviva. Tandis que
le duc d'Albe étoit à Tivoli, il envoya quinze cens hommes
au Marquis , qui en avoit déjà deux mille , qu'on avoit levés
dans le Royaume , 6c mille autres , qu'on lui avoit nouvelle-
ment envoyés de Naples. Il avoit aufli fait venir d'Aquila
dans la Marche d'Ancone , par des chemins difficiles , deux
pièces de canon , qui arrivèrent à Popoli ôc à Pefcaire , par
les foins ôc la vigilance de Barthelemi Rueccas } Efpagnol ,
ôc maître de l'Artillerie > dans le deflein de livrer la bataille à
CarafTe, s'il ne fe fût pas retiré promptement à Afcoli. Les
troupes du Pape fouffroient beaucoup, ne pouvant recevoir
leur prêt , parce que le thréfor avoit été épuifé dans les der-
nières guerres. Pour y remédier > on leva le centième denier,
ôc on mit de nouveaux impôts, que le peuple fouffrit patiem-
ment, quoi qu'ils fuflent confiderables , à caufe de la neceflité
où l'on étoit réduit alors par la guerre. Caraffe s'étant retiré,
le marquis de Trivico profita de l'occafion pour conduire fes
troupes à Angarano , ville très commode , tant par fa litua-
tion , que par l'abondance des vivres qu'on y trouve. Les ha-
bitans de cette place ayant refufé de fe rendre , il en fit ap-
procher le canon. Cependant on n'eut pas plutôt fait les dé-
charges des batteries , qu'il rafîembla les foldats qui étoient
prêts de monter à l'afîaut , ôc fit tranfporter le canon à Civi-
tella, où il alla fur le champ, parce qu'il avoit appris que les
troupes du Pape étoient parties d'Afcoli, pour fecourir les af-
fiégez. Mais ayant fçû en chemin que ce détachement ne
confiftoit qu'en deux cens hommes 9 qui avoient été repoufles
DE J. A. DE THOU, Liv. XVII. **
dansMalignano par Tes gens, qui par hazardl'avoient rencontré, ■
il marcha de ce côté-là , & fit promptement drefler fes batte- jjenri n%
ries. Ceux qui étoient dans la Ville fe rendirent à difcretion l ^
au Marquis , voyant qu'après fix coups de canon feulement ,
on avoit fait une grande brèche à la muraille , qui étoit foi-
ble, 6c tomboit de vieillefTe. Lorfqu'on eut pillé la place 3 ôc
défarmé la garnifon, Trivico fe retira à Civitella, dont il avoit
d'abord pris le chemin.
Marc-Antoine Colonne s' étoit arrêté à Paleftrina > avec la
Cavalerie ôc trois Compagnies Italiennes d'Infanterie > ôc le
comte de Popoli à Caftel-Santo-Angelo avec les chevaux-
légers. Le duc d'Albe étoit auiîi à Tivoli avec l'Infanterie
Efpagnole, pour fe repofer, ôc redonner de nouvelles forces
aux foldats , qui avoient été fur le point de fuccomber fous le
poids du travail , ôc d'ailleurs très incommodés des pluyes de
l'Automne ; enfin après avoir rafTemblé toutes fes troupes , il
tint confeil , ôc mit en délibération , s'il continueroit la cam-
pagne. On balança , s'il devoit aller à Rieti , pafTer le Tibre à
Monterotondo , ôc fortifier la frontière du Royaume de ce
côté-là , comme il avoit fortifié , de l'autre , Frofolone ôc
Anagni ; ou plutôt s'il devoit tenter le fiége d'Oftie , ôc s'em-
parer d'un Château , qu'on appelle aujourd'hui Corneto, pour
empêcher qu'on ne tranfportât de cet endroit des vivres à
Rome. Tandis qu'on déliberoit , le fénat de Venife envoya
au duc d'Albe , Febo Capello fecretaire de la république, pour
le prier d'arrêter le cours de fes conquêtes fur les terres du
fouverain Pontife, où leurs ancêtres, fuivant les traités ôc une
louable coutume, avoient toujours empêché les étrangers de
porter leurs armes. Le duc d'Albe répondit, que le Pape avoit
été lui-même l'auteur de cette guerre , par les calomnies in ju-
rieufes dont il avoit noirci les Colonnes , que l'Empereur ôc
le roi d'Angleterre avoient refolu de foùtenir dans une caufe
auffi jufte, ôc dans de pareilles circonftances , aufli bien que
leurs vafTaux.
Après cette réponfe , il envoya les Maréchaux des Logis à
Palombarra , pour marquer les logemens d'une Compagnie.
Dans cette Ville il y avoit deux frères, qu'on regardoit com-
me les premiers entre les habitans. Tandis qu'on déliberoit ,
fi l'on y devoit recevoir une gamifon 3 l'aîné obtint par fort
Fij
44 HISTOIRE
mmmmmmimmm «. crédit , qu'on n'en fouffriroit point dans la Ville ; & malgré
~ ZZ toutes les raifons que l'autre alleguoit , pour prouver qu'on s'ex-
' pofoit à perdre la vie 6c les biens en refufant cette garnifon ,
. >*r il l'emporta fur lui. Mais le duc d'Albe piqué de ce refus 3
qu'il regardoit comme une injure , y envoya auffi-tôt Vefpa-
fien de Gonzague , avec des troupes d'élite , 6c la compagnie
d'Ottavio d'Abenante , qui prit la place de force , 6c y commit
toutes fortes de cruautez 6c d'excès. Celui qui vouloit qu'on re-
çût une garnifon , ôc qui n'avoit pu vaincre l'opiniâtreté de
fon frère 3 voyant après un long combat , que ce qu'il avoit
prévu s'accompliffoit , mit le comble par une a&ion héroïque
aux louanges qu'il avoit méritées , en donnant un confeil 11
prudent 6c (i fage. « A Dieu ne plaife, dit-il, que je furvive
» à la ruine de ma patrie , que j'ai envahi tâché de fauver par
» mes avis falutaires ; ou que pour fervir de rifée à l'ennemi,
» je veuille conferver une vie que j'ai expofée pour mon Payis. *
En prononçant ces mots 3 il fe tua d'un coup de piltolet, qu'iî
fe donna dans le cœur \
Le duc d'Albe^ qui étoit campé à Frefcati , avoit déjà diftri-
bué fon armée à Grotta Ferrata 6c à Marino , où l'on appor-
toit tous les jours t même le plus fouvent fans efeorte , des
vivres qu'on tiroit des environs, ôc principalement de Tivoli.
Le Duc s'imaginant donc que les troupes du Pape ne laiffe-
roient pas échapper une occafion fi favorable , donna ordre
au comte de Popoli de fe mettre en embufeade , avec les che-
vaux-legers, dans un endroit avantageux, afin de les envelopper,
lorfqu'ils viendroient fakeles premiers a£les d'hofhlité. La chofe
ne manqua pas d'arriver comme on Tavoit prévue 5 le comte
Baltazar de Rangone étant parti de Rome fur le foir avec cent
cinquante cavaliers , donna le matin dans l'embufcade du comte
de Popoli. Après quelque combat , s'étant jette, fans fçavoir les
chemins ,dans un taillis qui alloiten pente 6c qui étoit environné
de foffez , il fut défait 6c pris lui-même prifonnier avec fes
gens. Le cardinal Caraffe, qui étoit venu à fon fecours , fit de
vains efforts pour ôter au comte de Popoli la victoire qu'il ve-
noit de remporter. Quoique le Comte fût le plus foible, il
fit fi bien , qu'il évita l'ennemi , 6c fe retira en fureté avec fori
i.M. deThou loue le courage & l'a- mettre cette a&ion , quoique l'aélion
mour extrême de la patrie,qui fit com- | en elle-même fut très condamnable;
DE J. A. DE T H O U , Li v. XVII. 4;
butin. Ses gens le reçurent avec joye, ôc le félicitèrent fur *«*"———««
l'heureux fuccès de fon entreprife. Caraffe fut obligé de s'en Henri II'
retourner à Rome fans avoir rien fait. Quelque teins après il i y 5- 6,
arriva la même chofe à Barthelemi del Monte. Comme il
conduifoit quelques troupes, fans prendre beaucoup de précau-
tion , il fut fait prifonnier ôc enveloppé par trois cens cava-
liers, qui mirent fes foldats en déroute , ôc prirent tout leur
bagage.
Cet événement jetta dans une grande confternation les par-
tifans du Pape , ôc le Pape lui-même ; car tout le monde difoit
que le duc d'Albe, voulant profiter de fes victoires , viendroit
à Rome avec toute fon armée , ôc chacun croyoit qu'il s'en
rendroit facilement le maître. Mais le Duc ne voulant pas en-
treprendre une chofe fi périlleufe ôc fi difficile, s'excufa fur la
faiion qui étoit contraire : car il prévoyoit bien qu'il ne pour-
rait faire réùiTir cette entreprife , qu'il ne lui en coûtât le fang de
plulieurs de fes foldats 3 ôc que s'il fe rendoit maître de la
ville , il arriverait de-là } qu'ayant perdu une partie de fes gens
dans le combat/ ôc que l'autre, enrichie du butin , refufant dans
la fuite de porter les armes , toute fon armée ferait bien-tôt
diffipée. Àinfi il reprit le deffein d'afTiéger Oflie 5 ôc ayant
fait conftruire un Fort à l'embouchure du Tibre , dans le mê-
me endroit, où Caius Marius avoit autrefois campé pendant le
défaftre ôc les révolutions de la République, il réfolut de cou-
per le chemin aux vivres qu'on faifoit paffer à Rome.
Pour obliger le Pape à faire la paix à des conditions juftes ôc
honnêtes , avant que les troupes de France fuffent venues à
fon fecours , il avoit fait boucher le chemin de Tivoli. Il mit
auffi de bonnes garnifons à Tivoli, à Frefcati, dans Roca-
di-Papa,ôc dans les places voifines ; enfuite il prit le chemin
d'Oftie. Mais pour ne pas être lui-même preffé par la nécefïité
des vivres , en voulant y réduire le Pape , il ordonna à fes of-
ficiers de n'emmener avec eux que la troifiéme partie de leurs
valets ôc de leurs équipages , ôc de fe difpofer à partir avec le
moins d'embarras qui leur ferait poffible. Ainfi le duc d'Albe
ayant pris la route d'Albano , fit paffer près de-là fon armée
le premier de Novembre : quelques cavaliers étant fortis , il y
eut entre eux ôc les Efpagnols de légères efcarmouches.
Trois jours après étant arrivé dans un bois vers Patriça->
F iij
4<* HISTOIRE
il envoya Afcanio de la Cornia pour s'emparer de Porcî-
HenriII. gnano & d'Ardea. A l'arrivée de ce Général , Ardea fe
j ç c tf. rendit. Les habitans de Porcigliano , qui avoient refufé de fe
foûmettre, ayant perdu deux de leurs Capitaines , témoignè-
rent à Afcanio qu'ils étoient prêts de fuivre fes ordres. Ainii
le paffage fut ouvert aux vivres qu'on portoit à Nettuno ôc à
Marino , pour la nourriture des foldats. A cette nouvelle le
cardinal Caraffe envoya à Porcigliano le duc de Somme,
pour reprendre une place fi utile à l'ennemi. Mais il fut obligé
de fe retirer , après avoir perdu plufieurs de fes foldats. Enfin
on fit conftruire fur le Tibre un pont de batteaux, qu'on avoit
fait venir de Gayette , ôc qu'on avoit joints les uns aux autres
par des chaînes ôc des anneaux de fer , afin que l'infanterie
ôc la cavalerie pufTent traverfer aifément ce fleuve , ôc trans-
porter leur canon de l'autre côté. Le duc d'Albe ayant mis
ordre à tout, partit pour Oftie, où il arriva le troifiéme jour.
La garnifon s'étant préparée à la défenfe, ôcd'Abenante , qui
conduifoit un régiment , ayant été blefîé avec Mario fon fils ',
Vefpafien Gonzague ordonna a François de Tolfa , à Ottavio
d'Abenante , Ôc à Jean-François Caraffe , de mettre le feu à
la porte de la ville > mais comme il y avoit un baftion qui la
défendoit, on jugea à propos de faire approcher le canon.
Laporte ayant donc été rompue, la garnifon abandonna la ville,
pour fe réfugier dans la citadelle.
Gonzague s'étant rendu maitre de la ville, ôc y ayant diftri-
bué de bons corps de garde , alla dans fille , où étoit le canon
ôc toutes les munitions de guerre. Le duc d'Albe campa un
peu plus bas , avec l'infanterie Efpagnole ôc toute fa cavalerie.
En même tems il fit conftruire un Pont, pour tranfporter les
groffes pièces de canon de l'autre côté du fleuve , ôc éleva un
Fort à un mille plus bas , environ à fept cens pas de l'embou-
chure du Tibre. Enfuite on attaqua la citadelle , qu'on battit
du côté qui regarde le Tibre, où elle étoit à couvert d'une
muraille ôc de deux tours. Celle qui étoit au Septentrion , ôc
qui donnoit fur le fleuve , étoit ronde ; l'autre quarrée ôc en-
vironnée d'un petit fofTé. On battit, de l'ifle fituée dans le fleuve,
avec fix canons , les murs qui étoient vis à vis la citadelle , où
Horace de-lo-Sbirro commandoit avec cent quatorze foldats.
Ce Capitaine qui avoit fait faire en dedans un retranchement
DEJ. A. DETHOU,Liv. XVII. 47
à la hâte , ôc aux cotez, des baftions de terre rapportée, ré- ■
folut de s'y défendre courageufement. Pierre Strozzi partit Henri IL
de Rome dans le même tems , avec trois mille hommes d'in- 1 7 c 6.
fanterie ôc trois cens cavaliers , pour animer les afïiégez ôc les
féconder dans leur fortie, fi l'ennemi étoit obligé de lever le
fiége. 11 s'étoit retranché le long d'une rivière qui fe décharge
dans le Tibre , ôc avoit commencé un Fort auprès du même
endroit, pour empêcher les courfes des Efpagnols.
On battit la citadelle pendant fept jours , fans difcontinuer.
La garnifon refufa de fe rendre, ôc n'eut point égard aux fol-
îicitations de la Cornia ; Vefpafien Gonzague pria le duc
d'Albe de le laiffer monter le premier fur la brèche, ou il avoit
réfolu de faire paffer fes troupes , malgré la difficulté qui s'y
rencontrait. Mais le 17 de Novembre, les capitaines ayant
tiré au fort à qui y monteroit le premier , il tomba fur Jean-
François de Tolfa , que Dominique de Maffimo devoit d'a-
bord fuivre , ôc après lui les cinq autres capitaines. Cependant
le duc d'Albe palfa le pont, ôc laifla dans fille une partie de
la cavalerie , ayant donné l'autre à M. Antoine Colonne , Ôc
au comte de Popoli , pour faire des courfes jufqu'à Rome , ôc
amufer le fecours que le Pape envoyoit, jufqu'à ce qu'on eût
donné TalTaut à la citadelle. Lorfqu'on eut donné le fignaî ,
Tolfa , qui approchoit avec fes foldats , fut dangereufement
bîefle à la cuiffe, en defcendant dans le foffé; mais malgré fa
bleffure il paiTa jufqu'à la Tour ; il avoit remarqué que Domini-
que de Maffimo le iuivoit avec très-peu de monde , ôc que Fer-
dinand de Gonzague étoit derrière avec fes gens. Gonzague
s'étant approché , exhorta fes foldats à combattre courageufe-
ment: mais tandis qu'il leurparloit. il reçut une bleffure très-
dangereufe à la lèvre fupérieure , ôc fut obligé de fe retirer. Cet
événement ralîentit l'ardeur des troupes, quoique Tolfa , tout
bleffé qu'il étoit, fe fût déjà empâté de la Tour, & qu'il n'eût
rien ménagé pour s'acquitter du devoir d'un vaillant foldat.
Enfin le duc d'Albe qui étoit près de-là , voyant que fes
gens perdoient courage , commanda à Alvaro d'Acofta d'aller
attaquer les Italiens , avec trois cens hommes d'élite de l'in-
fanterie Efpagnole. Acofta exécuta promptement cet ordre %
îorfqu'il les eut joints , il fit tirer fur eux avec deux pièces de
campagne, qu'il avoit envoyées devant lui 5 ôc s'étant jette dans
43 HISTOIRE
le fofle, il monta avec la même ardeur fur la brèche. Mais
Henri IL ^tant entr^ Par un trou avec quelques-uns de fes amis5 ceux de
i c ? 6. ^a garnifon le furprirent , ôc le maltraitèrent extrêmement avec
fes gens ; il mourut quelques jours après d'une bleffure dange-
reufe , qu'il avoit reçue dans ce combat. Pour comble de mal-
heur, les Efpagnols qui étoient montez à la brèche pendant
qu'on tiroit le canon, étoient tuez par leurs gens mêmes , qui
ne pouvoientfçavoir fur quel côté de la muraille ils étoient. Les
Efpagnols étant donc enmêmetemsexpofez aux coups ôc des
afliégez ôc des afïlégeàns, le duc d'Albe fit fonner la retraite
fur la fin du jour. Outre Acofta qui fut tué , il y eut quatre-vingt
dix Efpagnols qui perdirent la vie dans cette journée. Entre
les Italiens , Gonzaguefutbleffé , avecTolfa , ôc LeonMazza-
cane^ enfaifant avancer cinq compagnies deftinées pour mon-
ter à l'aîTaut, ôc qui matchoient trop lentement. Marcel Mor-
mile, qui avoit monté le premier fur la muraille, Ôc foûtenules
efforts de l'ennemi avec un courage invincible , eut le même
fort que les autres capitaines. On fit prifonniers Ottavio Mor-
mile , Jule Longo ôc environ cinquante foldats. Mais les Ef-
pagnols t quoique repouflez , intimidèrent fi fort les ailiégez ,
que le lendemain ils demandèrent à parler à la Confia 3
ôcfe rendirent, dix jours après qu'on eut commencé à alTiéger
la citadelle, à condition qu'ils auroient la vie fauve.
Trêve faite peu je jours après , on fit une trêve, qui devoit durer juf-
ïteduc d'Al- qu'au 29 de Novembre , entre le Pape ôc le duc d'Albe , par
fre-. l'entremife du cardinal Santafiore. Mais deux jours après, le
duc d'Albe ôc le cardinal Caraffe , s'afiemblerent dans l'ifie,
qui étoit entre les deux armées ; ôc après avoir conféré enfem-
ble , comme de bons amis , ils prolongèrent la trêve de qua-
rante jours, afin de porter au Roi d'Angleterre les conditions
que le Pape ôc les Carafïes avoient propofées , pour conclure
la paix entre le Pape ôc ce Prince , s'il y confentoit. Le duc
d'Albe la défiroit ardemment , perfuadé qu'il étoit de l'in-
térêt de fon maître de mettre la tranquillité dans cepayis , par
la paix qu'on devoit faire avec le Pape. De forte que fi la trêve
qu'on avoit faite. entre les deux Puiffances ' venoit à fe rompre,
comme l'on pouvoit juger que cela arriveroit bien-tôt , on fe-
roit pafier toutes les troupes dans le Milanez ôc dans le
i L'Empereur & Philippe dune part , 6c le roi de France de l'autre.
Piémont,
DE J. A. DE THOU, Liv. XVII. 49
Piémont , Ôc on recouvreroit les places que les François avoient ~
prifes quelque tems auparavant dans ce payis-là : Que fi cepen- Henri II.
dant on ne pouvoit s'accorder avec le Pape , l'on auroit du 1 5* y 6.
moins le tems de foulager le foldat fatigué , ôc qui manquoit
de tout, d'achever les Forts qu'on avoit commencez, 6c de
mettre ordre aux affaires du Royaume. La trêve ne fervit pas
moins aux Caraffes , qui n'avoient fait aucuns préparatifs, ôc qui
attendoient de jour en jour les troupes auxiliaires du duc de
Guile.
Le duc d'Albe, fans perdre de tems, prefTa vivement le Fort
qu'on avoit commencé à élever , ôc réfolut d'en faire confîruire
un autre à Nettuno , parce que cet endroit lui paroiflbit pro-
pre pour faire venir de-là des vivres. Enfuite ayant mis dans
la citadelle d'Oftie huit pièces de canon ôc huit cens hommes
d'infanterie Efpagnole , fous la conduite de Julien Vafquez
d'Avila, ôc de François Hurtado de Mendofe, il décampa le
dernier jour de Novembre, ôc prit le chemin d'Anagni, où il
laiffa , à fon arrivée , le comte de Popoli avec les chevaux-lé-
gers, pour y commander en fon abfence : il congédia l'infan-
terie Italienne , envoya en même tems les Efpagnols en quar-
tier d'hyver , ôc alla à grandes journées à Naples , après avoir
donné ordre à Lopez de Mardones, de faire tranfporter des
vivres de Gayette Ôc de Naples à Nettuno , dans le Fort qu'on
avoit commencé , Ôc dans la citadelle d'Oitie 5 ce qui fut exé-
cuté avec une grande exa&itude. Cependant il ne put éviter
d'être trompé par les mariniers , qui , pour cacher leur larcin,
avoient mêlé du fable avec la farine, afin que le poids qu'elle
devoit pefer s'y trouvât. Cette friponnerie fut découverte ,
ôc on en punit quelques-uns, pour empêcher qu'elle n'allât
plus loin.
Le duc d'Albe étant arrivé à Naples , ôc ayant appris que
le Pape fe preparoit à la guerre pour l'année fuivante , fit af-
fembler les Grands du Royaume , pour les exhorter à le fé-
conder dans une occafion auffi dangereufe , ôc à fournir l'argent
néceffaire pour les frais de la guerre. On réfolut dans cette
affemblée de lever trente mille hommes d'infanterie Italienne,
dont on en envoyeroit une partie dans les places maritimes ,
pour repouffer l'armée navale des Turcs ; l'autre iro'it fur la fron-
tière voifine desEtats du Pape, ôc la troiiiéme, deftinée à paffer
Tom. III, G
5-0 HISTOIRE
■»—«■««— ^ dans îa campagne de Rome , formeroit un corps d'armée»
Henri IL On leva auifi en Allemagne quatre mille hommes d'infan-
I c ç 6, terie, qu'on fit pafler par la Croatie, l'Imûe ôcle Frioul,pour
les embarquer à Triefte^ & les amener par le Golfe Adriati-
que , afin de les faire defcendre dans le Royaume , auprès
d'Aterne , qu'on nomme aujourd'hui Pefcara ou Pefcaire.
Gafpard de Feltz s'étoit déjà joint à l'armée avec deux mille
Allemands , que le Duc fit auiîi-tôt embarquer à Gayette ,
pour les envoyer au comte de Popoli , qu'il avoit laide dans
la campagne de Rome. On fit aufîi venir de la Lombardie
quatre mille Allemands, qu'on mit fous la conduite d'Albe-
rico Lodrone, homme très-expérimenté 3 ôc qui s'étoit fignalé
dans les guerres précédentes. On attendoit encore trois mille
hommes d'infanterie Efpagnoîe , qui étoient déjà arrivez à
Barcelone. On augmenta aufïi la cavalerie par de nouvelles
levées, qu'on fit,jufqu'au nombre de quinze cens chevaux.
Enfuite on délibéra des moyens qu'il falloir prendre pour gar-
der la frontière. On jugea donc qu'il étoit à propos d'aban-
donner la haute frontière , d'en retirer les garnifons , ôc de brû-
ler au milieu d'un champ les vivres qu'on ne pourroit tranf-
porter, de mettre le refte dans les plus fortes places , ôc de
faire affembler routes les troupes aux environs de Naples , afin
de pouvoir réfifter aux François , s'ils venoient faire irruption
de ce côté-là, ôc que s'ils prenoient leur chemin par l'Abruzze
Ôc les endroits où il n'y avoit point "de garnifons , ils y pérîf •
fent , faute de vivres. Tel étoit le plan du duc d' Albe.
Gonzague s'étoit reriré avec quelque mécontentement, ôc
vivoit en Italie comme un fimple particulier > après le juge-
ment que l'Empereur avoit rendu en Flandre , comme nous
l'avons déjà dit : il s'étoit honnêtement défendu , fur le pré-
texte de fa mauvaife fanté , d'accepter les conditions avanta-
geufes , que le Sénat de Venife lui avoit propofées , afin de
l'engager au fervice de la République. Cependant étant allé
dans ie royaume de Naples, où il avoit de grands biens, du
côté d'Ifabelle de Capouë fa femme , il y reçut des lettres
du duc d'Albe , qui le prioit de vouloir bien lui dire fon avis,
au fujet des mefures qu'il falloit prendre , en cas que ce royau-
me fut attaqué. Gonzague voulant fçavoir le fentiment des
autres, avant de déclarer le fien, fe rendit à Naples , ôc parla
ainfi dans le Confeil.
DEJ. A. DETHOU,Liv. XVII. ji
»' Je crois , dit-il , que ceux qui ont entrepris de ne défen-
•» dre que Naples , ôc d'abandonner la frontière , font plus d'at- p{ENRi H.
« tention au peu de tems Ôc au petit nombre de troupes qu'ils \ <: < 6,
» ont, qu'à la grandeur du péril. 11 eft à craindre qu'en ôtant
» les garnifons de la frontière, les François ne s'emparent des
» revenus du Royaume , fans îefquels nous ne pouvons long-
•> tems foûtenir les dépenfes de la guerre ; ôc que favorifez par
■ le peuple , qui fuit ordinairement le vainqueur , à la faveur du
» grand nombre de leurs foldats , qui n'ont encore rien fouffert,
* ils ne fe rendent maîtres de tout le payis , fans être obligez
a> de livrer aucun combat. Je crois donc que le plus fur feroit
35 d'empêcher les François d'entrer dans le Royaume, ôc de
» faire enforte de les mettre en déroute ôc d'arToiblir leurs forces,
•> avant qu'ils puflent fe raffembler. Car il arrivera de-là , que
•' leur première fureur étant réprimée, leurs forces ôc leurs pro-
» jets fe diftiperont en même tems. En effet on a prefque toû-
»> jours remarqué , ôc les faits les plus anciens le prouvent, que
»> les François font plus que des hommes au commencement
»> des combats , ôc à la fin moins que des femmes. Ainfnl faut
« d'abord commencer à mettre les vivres en fureté dans des
« places bien fortifiées ; ôc fi cela ne peut s'exécuter entiére-
« ment , il faut au moins détruire les moulins à bras } qui font
3> en divers endroits du Royaume, afin que l'ennemi ne puiffe
» s'en fervir. Car fi on leur apporte des vivres de loin , n'en
» pouvant pas avoir pour long-tems , ils feront obligez de s'ar-
» rêter fur les frontières ; ou s'ils pénétrent plus avant avec une
» nombreufe armée , ils en feront plutôt expofez à la difette
» ôc à la famine. Cette conduite même encouragera le peuple
« plein d'amour ôc d'affection pour fa patrie > ôc réprimera au
s> contraire la témérité de l'ennemi ôc l'empêchera de nuire à
s* nos defleins. Il faut aufïi laiffer derrière plufieurs places bien
« fortifiées, ôc munies de tout ce qui eft néceffaire dans de pa-
r> reilles conjonctures , pour amufer l'ennemi , quand il s'avan-
3> cera, ôc l'obliger à s'arrêter à chaque endroit pour combat-
* tre : par ce moyen nous ferons à couvert du danger. Il eft
» toujours avantageux à ceux qu'on vient attaquer dans leur
*> payis, de tirer la guerre en longueur : au contraire il eft toû-
a» jours préjudiciable à un ennemi qui vient de loin , ôc qui
» eft éloigné de tout fecours , d'être traverfé fans cefle dans un
Gij
Henri IL
iSS 6.
La Trêve
finie, on re-
commence les
hoftilitez.
S2 HISTOIRE
payis étranger, tantôt par la difette, ôc par les difficultez qui
fe rencontrent dans tant d'endroits differens , 6c tantôt par
l'intempérie d'un air auquel il n'eft point accoutumé. De-là
il arrive ordinairement, que les amis ôc les alliez , changeant
de fentiment ôc de volonté, paflent dans le parti contraire ,
lorfque la guerre dure trop long-tems dans leur payis. C'eft
ce qui arrivera , comme je le prévois , aux peuples de l'o-
béïflance du Pape , aux CarafFes ôc au Pape même, qui laflez
de rinfolence des François , ne pourront plus les fournir, ôc
fe repentiront enfin d'avoir fait alliance avec eux. Voilà, à
mon gré , le moyen le plus fur de faire ta guerre avantageu-
fement , ôc de fauver ce payis. C'eft ainfi qu'un Capitaine
expérimenté peut remporter la victoire ôc acquérir de la ré-
putation, ou mourir glorieufement, fila fortune lui eft con-
traire. Je fuis donc d'avis qu'on défende la frontière , ôc
qu'on mette de bonnes garnifons dans Civitella fur le Tronto ,
dans Pefcara , dans Chieti, dans Arriano , dans Artemifio
vers la Fouille, ôc enfin dans Capoue ôc dans Noie.
Le duc d'Albe fe rendit à cet avis, ôc tous les autres Capi-
taines fuivirent fon exemple. Vefpafien de Gonzague fut auiïï-
tôt chargé du foin de fortifier Noie, ôc de garder cette ville.
Santa-Fiore eut la même commiflion pour Capoue. On don-
na à Dom Garcie de Tolède le commandement dans Veno-
fa , dans Artemifio, qu'on nomme aujourd'hui Santa-Agata,
ôc dans Arriano. On ordonna au marquis de Trivico de fe
tenir dans la Poùille avec fes troupes > pour garder l'entrée
de cette Province , ôc conferver la Doùanne. Comme c'étoit
le plus grand revenu de la Couronne , on préfumoit que les
François ne manqueroient pas de faire d'abord irruption de
ce côté-là 5 en effet , environ trente ans auparavant , Odet de
Foix, feigneur de Lautrec , avoit attaqué le Royaume par
cet endroit.
Sur la fin de la Trêve , les villes de Sermoneta , de Piper-
no , de Sonnino ôc de Sezza > s'étant révoltées , les habitans
d' Algide ou de Rocca-di-Papa , dont Sanfon de Tagliacozzo
étoit Gouverneur, craignant les gens du Pape , demandèrent
du fecours à Pompée Colonne, à qui on avoit donné le com-
mandement général des troupes , en l'abfence du comte de
Popoli. Ce Général ayant donc pris avec lui cinquante Italiens
iH^*5P?^!eTOci-r)sîwfÉil9
D E J. A. D E T H O U , L i v. XVII. s 3
d'élite, de la compagnie de Torralva , ôc cinquante Efpa-
gnols de celle de Ferrante Gomez à partit de Tivoli peu- Henri II.
dant la nuit , avec Pompée Tuttavilla , jeune gentilhomme i y 5 6.
plein de courage , ôc deux cens autres Efpagnols > & ayant
rencontré par hazard Alexandre Colonne , ôc Cencio Capi-
zucchi , qui alloient de Rome à Zagarolo avec leurs trou-
pes, il les furprit, ôc les mit en déroute. 11 y en eut environ
trente de tués j on en prit deux cens , qui furent conduits à Ti-
voli, d'où on les renvoya depuis, après les avoir défarmés. Les
cent hommes de troupes auxiliaires , que Pompée Colonne
avoit fait entrer dans Rocca-di-Papa, ayant fait des courfes
jufqu'à Veletri , où ils n'étoient point attendus > firent un grand
butin. Cependant les habitans de Veletri ayant conçu quel-
que efpérance de s'emparer de Rocca-di-Papa, par le moyen
d'un des premiers de cette Ville , ôc par l'intrigue d'un Fran-
çois , qui alloit ôc venoit de côté ôc d'autre , fortirent au jour
marqué,, ôc fe mirent en embufeade dans un endroit, qui pa-
roi/Toit propre à favorifer leurs delTeins , ôc d'où ils pouvoient
fortir au premier fignal qu'on leur donnerait. Mais Alexan-
dre Androcio , qui commandoit dans la place, ayant décou-
vert cette trahifon, en fit arrêter fecrettementles auteurs , qu'on
étrangla fur le champ. Enfuite il envoya des gens d'élite pour
garder les défilés , par où ceux de Veletri dévoient palier à
leur retour. La précaution d' Androcio ne fut pas inutile. En
effet les habitans de Veletri voyant qu'on ne leur donnoit
aucun fignal de Rocca-di-Papa y tombèrent dans l'embufca-
de en s'en retournant :plufieurs furent taillés en pièces , ôc 70.
furent faits prifonniers.
Sur ces entrefaites , Strozzi ôc le duc de Paliano fortirent
de Rome avec fix mille hommes d'Infanterie, huit cens che-
vaux , ôc lix pièces de canon ; ôc s' étant apperçûs que le Fort
que les Efpagnols élevoient fur le Tibre , incommodoit beau-
coup les Romains, qui commençoient déjà à murmurer , ôc
à donner des marques publiques de leur mécontentement, ils
refolurent de conduire toutes leurs troupes du côté du Fort ,
avant qu'on pût l'achever, ôc rétablir les ruines de la citadelle
ôc de la ville d'Ortie. La refolution d'alïiéger Oftie étant donc
prife , comme l'on ne connoiiToit pas encore la fituation de
cette ville , ni la profondeur du foffé , ôc qu'on ne fçavoit pas
Giij
5-4 HISTOIRE
fi l'eau pouvoit y demeurer 3 Marc- Antoine de Montluc, qui
Henri II commandoit l'Infanterie avec le baron de Benac Ôc Charry ,
x - - ^ emporté par le défir d'acquérir de la gloire , fbrtit de fon polie
pour y aller. Mais après avoir examiné attentivement la place ,
il reçut dans la poitrine, à fon retour, un coup d'arquebufe,
dont il mourut dans la tente de Strozzi , où on l'avoit mis fur
un lit, ôc où à peine put-il dire, avant d'expirer, les remarques
qu'il avoit faites. C'eft ainfi que M. Antoine de Montluc fi-
nit fa carrière. Le courage de ce jeune gentilhomme , ôc fa
prudence fuperieure à fon âge , annonçoient qu'il eût été un
très grand Capitaine , s'il eût vécu plus long- tems. La maniè-
re vive ôc touchante, avec laquelle Blaife de Montluc rappor-
te dans fes commentaires la mort prématurée de fon fils , m'a
engagé à lui rendre, en quelque forte, les derniers devoirs par.
ce court éloge.
Prife d'Of- On prit enfuite la ville d'Ortie fans beaucoup de réfiftance.
tie, par les |?n effet, lagamifon Efpagnole abandonna la citadelle , à Tar-
François. rjv^e de Strozzi y ôc fe retira dans le Fort. Mais au (II- tôt
qu'on eut fait approcher le canon , cette place fe rendit par
ordre de Jean Vafques d'Avila , de François Hurtado de Men-
dofe.» ôc d'OrtizdeVera., qui avoit beaucoup de crédit auprès
du duc d'Albe , ôc qui s'étoit fignalé dans le temsqu'ii com-
mandoit l'artillerie à Orbitello , ôc dans plufieurs autres en-
droits. Les foldats de la garnifon étant fortis , vie fauve , de la
ville , on les conduifit à Nettuno , comme on le leur avoit
promis. Quelque tems après , on rejetta la faute d'une reddi-
tion fi prompte fur d'Avila > ôc on dit que nous l'avions cor-
rompu par argent. Soit qu'il eût rendu cette place par lâcheté
ou par trahifon , il eut , deux ans après cette action , la tête tran-
chée à Bruxelles. Cependant beaucoup deperfonnes l'excufe-
rent, parce que les ruines de cette ville n'étant pas encore re-
parées , ôc le payis étant inondé par les pluyes continuelles ,
on avoit lieu de craindre que, l'entrée du Tibre étant bouchée,
les afîlégez ne fuiTent fubmergez par les eaux de ce fleuve.
Après la prife d'Oftie, on envoya Cencio Capizucchià Pa-
leftrina ôc à Caftel-fanto-Angelo. Peu de tems après François
Villa , ôc Jérôme Frangipani reprirent Frafcati , Grotta Ferrata,
Marino ôc Caftel-Gandolfo. On avoit confié le foin de toutes
ces places à Jean-Thomas Epifanio deNardo, capitaine çj'uft
DE J. A. DE Tll OU, L i v. XVII. ft
grand mérite , qui après avoir employé toute la vigilance Ôc tout
le foin pofTible > pour défendre Caftel-Gandolfo, où il s'étoit ~ TT
retiré avec fes foldats, fut obligé de fe rendre, à leur follicita- WENRI J-
tion. Le comte de Popoli l'ayant blâmé de cette action , iï l $ $
fe retira à Venife, où refufant les offres les plus avantageufes
qui lui furent faites, il vécut en (Impie particulier 5 afin que
dans la fuite on n'eût pas lieu de le foupçonnef , au fujet de
ce qui étoit arrivé. Quelque tems après on reprit aufli San-
Polo , où l'on avoit mis la moitié d'une compagnie Efpagno-
Je. Les bourgeois tombèrent avec tant de fureur ôc d'inhu-
manité fur la garnifon, qui étoit à demi endormie, qu'à peine
en échappa-t'il un feul.
Toutes les places étant donc reprifes,le comte de Popoli,
qui étoit retourné depuis quelques jours de l'Abruzze à Ti-
voli , avec un peu de Cavalerie, ôc deux compagnies Efpa-
gnoles d'Infanterie , voyant que fendroit qu'il occupoit étoit
trop valte ôc trop voifm de nos troupes , pour efperer de le
garder, fans s'expofer à un péril évident, craignit d'y être en-
veloppé s'il y reftoit plus long-tems ; ainfi il en fortit , pour
fe retirer à Vicovaro , où Gafpar Feltz étoit déjà arrivé avec
les Allemands qu'il conduifoit. II y refta trois jours , qu'il
employa à fortifier la place. Enfuite y ayant laiffé , fous la
conduite de Gomez de la Torre ôc de Pierre de Caftille ,
deux compagnies Efpagnoîes , il alla avec les troupes Alle-
mandes à Arzoli ôc à Auricola, pour attendre les événemens.
Ayant appris à fon arrivée, que nos foldats avoient déjà aiîiegé
Vicovaro , il en donna avis au duc d'Albe , qui lui répondit qu'il
ne falloit point fatiguer inutilement les Allemands , ôc qu'il
étoit néceffaire de les ménager , pour conferver Anagni Ôc Fro-
folone , villes d'une plus grande importance. Sur cette répon-
fe , il demeura tranquile. Cependant Vicovaro ayant été
battu du canon pendant cinq jours entiers , on fit brèche,
ôc nos foldats le prirent d'affaut. La garnifon, qui s'étoit reti-
rée dans la citadelle, fe rendit peu de jours après. Il y eut
environ deux cens Efpagnols tuez dans cette place. La fu-
reur du foldat étoit fi grande y que le duc de Paliano , qui
couroit de rang en rang pour l'arrêter , eut bien de la peine à
contenir celle des Gafcons ôc des Suiffes.
Le comte de Popoli , effrayé de ce fuccès , partit de Tivoli
S 6 HISTOIRE
pour aller à Fiorentino , où l'on difoit alors que , fi Strozzi
Henri II avo^ ^lt avanc^r fes troupes jufqu'au Lac Celano , non-feu-
j . ' £ Jement il y eût trouvé beaucoup de vivres & de munitions,
mais qu'il eût même réduit les ennemis à la dernière extrémi-
té. Ce Général au contraire s'étant contenté de piller Anti-
colo de Corrado, ôc d'avoir fait des courfes jufqu'àSubiaco,
s'en retourna à Rome , fans faire aucune autre entreprife. En
même tems François Colonne reprit Cavi } Genazzano ôc
Monte-Fortino, que François Brancaccio abandonna > par or-
dre du comte de -Popoli. Nos foldats brûlèrent quelque tems
après cette dernière place. Ce fut alors que les capitaines Louis
Savello feigneur de Collalto , ôc Jean-Antoine Maneri , quit-
tèrent le duc d'Albe , ôc prirent les armes pour le Pape , mal-
gré les follicitations de Gabriel Moles , qui employa toute
forte de moyens , pour les engager à demeurer fidèles au
roi d'Angleterre qu'ils ferv oient. Savello tenta le fiége du
Celle , mais fans fuccés ; car Moles répoulTa plusieurs fois
fes troupes , Ôc défendit courageufement cette place. Dans
le même tems le duc d'Albe ordonna à M. Antoine Co-
lonne , d'aller fur le territoire de Rome avec quatre mille
Italiens , ôc fix pièces de canon. Le comte de Popoli eut auiïi
ordre de ramener fa Cavalerie à San-Germano , de tirer l'In-
fanterie de Veruli, deBauco, d'Alatro, ôc de Fiorentino, &
enfuite de partir pour Venafro, où il avoit refolu de faire af-
fembîer l'armée , parce qu'il avoit appris que le duc de Guife
avancoit.
On fait mou- Mais avant que d'aller plus loin , il eft neceïTaire de rap-
men France1 p0rter jcj ce qU\ s'eft paffé en France , en Allemagne , ôc
ungrandnom- ^ i f j i j b /
bre de Protef- dans les autres .Royaumes pendant le cours de cette année.
tans. Qn punjt féverement en France Ôc en Angleterre les Proteftans.
Jean Rabec, Cordelier , natif de Cerify-Monpinfon dans la
baffe-Normandie , ôc Jean Rouffeau, Angevin , tous deux pro-
mus aux Ordres facrez , ayant fucé la doctrine des Réfor-
mez à Genève > ôc à Laufane i furent punis de mort à An-
gers , le 24. d'Avril. Jean -Bertrand de Montoire dans le
Vendômois fut brûlé à Blois ; Barthelemi Hector natif de
Poitiers eut le même fort à Turin , ainfi que Jérôme Cafa-
bone, Bearnois , à Bordeaux. On accufa aufîï du même cri-
me Arnaud Monier de Saint Emilion en Bourdelois , âgé de
vingt
D E J. A; D E T H O U , Li v. XVII. 57
vingt- cinq ans , ôc Jean de Cazes de la ville de Libourne. 1 ■ m .
Le fentiment des Juges fut partagé > les uns vouloient qu'on j^ENRI jj
les punît de mort ; les autres penfant plus humainement , di- r c r 5
foient qu'il fuffifoit de les reléguer pendant fix mois, ou plus
long-tems , dans quelque Monaftere , pour voir , fi , en leur
donnant le tems de réfléchir fur les Théologiens ôc les Pères ,
• ils ne renonceroient pas à l'erreur ; que jamais on n'avoit trouvé
ni dans les livres facrez, ni dans les livres profanes , que ceux
qui avoient abandonné la véritable Religion , duffent être pu-
nis fur le champ ôc mis à mort. Ils remontrèrent que l'on n'a-
voit commencé à procéder de cette manière que depuis qua-
rante ans ; que d'ailleurs, puifque le Concile général étoit af-
femblé , on devoit attendre fes décrets ; parce qu'alors on ne
pourroit plus douter des points de la Religion , fur lefquels
jufqu'à ce tems-là onpouvoitcontefler, fansfe rendre coupable.
Comme les juges de laTournelle criminelle ne s'accordoient
point entre eux, ôc qu'il y avoit pourtant quelque inégalité de
voix de part ôc d'autre , on prit le parti le plus fevere , ôc loin
defavorifer l'accufé, comme c'eft l'ufage dans les caufes cri-
minelles t on fe comporta comme dans les affaires civiles. Le
Préfîdent de la Chambre prononça donc à la pluralité des voix ,
ôc les deux jeunes gens furent condamnez à mort , fans avoir
égard à leur âge. Le Parlement ordonna que les portes de la
ville feroient fermées , ôc qu'on mettroit des gardes dans la
place , pendant le tems de leur fupplice. Lorfqu'on les eut
jettez au milieu des flammes, la terreur s'empara fi fort de
l'efprit de ceux qui étoient préfens à cet affreux fpe£tacle , qu'ils
prirent tous la fuite, comme fi l'ennemi les eût pourfuivis. Les
archers même ôc les autres officiers de juftice abandonnèrent
leur pofte, pour fe fauver dans les maifons voifines, en fuppliant
ceux qu'ils rencontroient de leur fauver la vie, ôc de les cacher
chez eux.
Le Parlement de Chambery en Savoye punit auiîl Jean
Trigalet , Antoine Laborie , ôc Jean Vernou , qu'on avoit
envoyés de Genève , pour enfeigner fecrettement la religion
profcrite par les ordonnances du Roi. Ceux du canton de
Berne 3 qui les avoient entretenus à Laufane pendant leurs
études, firent une députation au Roi, pour obtenir leur grâce;
mais ce Prince la leur refufa , ôc répondit que cette licence
Tome III. H
5S HISTOIRE
, tendoît à la ruine de fon Royaume. La conduite du Parle-
tj jt nient de Chambery me fait ici reffouvenir du fameux Arrêt
- ' rendu au Parlement de Dijon , fur le réquisitoire de Julien Ta-
f* ' boiié Procureur général , contre Raymond Peliflbn Préfident
kmentddeDÏ- en cette ^our » Jean Griffonné Confeiller - Clerc , & contre
jon caffé par deux autres Confeillers , Louis du Rofet , ôc Craffins, Toute
d ParfsmCnt ^a Cour Pr'lt Part a cette affaire, Ôc l'Arrêt du Parlement de
Dijon fut cafTé par le Parlement de Paris, de la manière que
je vais le dire. Le préfident Peliflbn avoit fait quelque tems
auparavant une vive réprimande à Taboue , par ordre du Par-
lement: ce dernier picquéde cet affront ne put fe modérer,
ôc s'abandonnant tout entier à fon reflentiment, il attendit une
occaiion favorable pour fe venger. Comme la fraude ôc la
licence n étaient pas encore montées au point, qu'on pût les
mettre ouvertement en ufage , pour piller impunément les
finances du Roi, les grands du Royaume attentifs à s'enrichir,
pour fournir aux dépenfes qu'ils faifoient à la Cour , pro-
ritoient habilement des accufations intentées , ôc des crimes
d'autrui , ôc avoient pour cet effet dans les Provinces des émif-
faires , pour affouvir leur avidité. [Taboue étoit pour cela en
relation depuis quatre ans avec le duc de Guife , à qui le Roi
avoit accordé la confifcation des biens de tous ceux qu'on fai-
foit mourir dans cette Province. Le Procureur général accufa
de concufîionPeliffonôc les autres Confeillers dont j'ai parlé. Le
Parlement de Dijon, où le Duc, en qualité de Gouverneur delà
Bourgogne avoit une très-grande autorité , eut ordre de prendre
connoiffance de cette affaire. On procéda donc dans toute la
rigueur : Craffins fut interdit de fa charge pour un an. On con-
damna Peliflbn à être banni , après avoir été mis au pilori au
milieu de la place publique. On dépouilla Briflbnné Ôc du
Rofet de leurs charges, ôc on les condamna tous deux à de grof-
fes amendes. Cela fe paffa le i de Mai, le 27 de Juin Ôc le
4 d'Août. Mais dans la fuite le connétable de Montmorency,
qui ne s'accordoit pas avec les Guifes , obtint du Roi , en fa-
veur de ces Magiftrats condamnez , que le Parlement de Paris
prendroit connoiffance de leur affaire, quoiqu'elle eût été jugée
par le Parlement de Dijon.
Le Parlement de Paris caffa ces Arrêts, par un jugement ,
qui portoit que Taboue feroit pourfuivi en juftice , comme
DE J. A. DE THOU, Liv. XVII. ?<?
calomniateur , ôc qui ordonnoit à ce fujet une enquête. Le Par-
lement de Dijon offenfé d'un pareil jugement , ôc appuyé d'ail- Henri II
leurs par le duc de Guife > envoya des députez au Roi , pour i y 5 tf.
représenter qu'on a voit bleffé les ufages établis , en réformant
mal à propos le jugement d'une Cour fupérieure. Le Roi ,
Prince foible , panchoit tantôt d'un côté ôc tantôt de l'autre »
fuivant les impreiïions différentes qu'il recevoit des feigneurs
de fa Cour qu'il aimoit. Enfin pour fatisfaire le duc de Guife,
il fit venir Chriftophle de Thou \ Préfident à mortier au Parle-
ment de Paris , ôc les Confeillers Claude Anjoran ôc Jacque
Viole , qui avoient été juges en cette affaire. Le préfident de
Thou parla ôc expofa les motifs de l'Arrêt du Parlement de
Paris. Alors le Vice-chancelier prononça au nom du Roi.> que
le Parlement de Dijon avoit jugé conformément à fon opinion,
ôc celui de Paris conformément à l'équité. Ainfi l'Arrêt du
Parlement de Paris fut confirmé , ôc on choifit un nombre égal
de Confeillers de l'un ôc de l'autre Parlenient , avec fix Maî-
tres des Requêtes, pour informer touchant l'accufation de Ta-
boue, Le 12 d'Oclobre de la même année les Commiffaires
déclarèrent innocens Peliffon , Briffonnet ôc Craffins > ôc con-
damnèrent Taboue à payer une Comme considérable pour les
dépens du procès. Outre cela on le fit conduire par toute la
ville, la tête ôc les pieds nuds, la corde au col ôc une torche
à la main. Ce jugement rendit très-odieux les Princes de la
maiCon de Guife , ôc augmenta en même tems l'inimitié fecrette
qui régnoit depuis long-tems entre eux ôc le Connétable , ôc
qui ayant enfin éclaté , caufa dans la fuite d'affreux défordres
dans le Royaume.
Pendant le cours de cette année , toute l'Allemagne fut tran- Troubles de
quille , hors la Bavière ôc la haute Hongrie > appellée aujour- l'Allemagne
d'hui Autriche. La Confeiîion d'Aufbourg, qui s'établiffoit peu Religion,
à peu dans ces Provinces , avoit excité quelques mouvemens
parmi le peuple. Sur la fin de l'année précédente , le roi Fer-
dinand avoit convoqué une affemblée d'Etats en Autriche , ôc
y avoit envoyé des perfonnes de Ca part , pour engager les Prin-
ces d'Allemagne à lui donner du Cecours contre le Turc , qui
redemandoit la Tranfylvanie , payis fertile ôc qui fournit une
grande quantité de chevaux. Ceux de la baffe Autriche
1 Père de l'Auteur: il fut dans la fuite premier Préfident en i$6%.
H \)
60 HISTOIRE
profitèrent de cette occafion favorable, ôc députèrent au roi
Henri II Ferdinand pour lui demander le libre exercice de leur religion.
If w Le Roi les renvoya à la diète de Ratifbonne , ôc leur enjoi-
gnit en même tems de le venir trouver à Vienne, le 13 de
Janvier : parce qu'il avoit tout à craindre de la part du Turc.
Ils s'y rendirent donc au jour marqué , Ôc répondirent au Roi>
qui les preffoit vivement de lui donner du fecours contre les
Infidèles : Qu'il falloit avant toutes chofes penfer à la religion ;
que depuis quatorze ans , on n'avoit ceffe de lui parler de cette
affaire , fans qu'il eût eu égard à leurs prières ; qu'au contraire
on avoit publié de rigoureux édits pour forcer leurs confcien-
ces •■> qu'en vain on feroit la guerre au dehors , fi la paix ne ré-
gnoit au dedans ; c'eft à-dire, fi l'on ne tranquiïlifoit aupara-
vant les efprits, en rétabliflantla faine doctrine : qu'autrement
on attireroit la colère de Dieu , ôc que quand les efprits fe-
roient partagez , il feroi^dtfnciie de les réunir pour combattre
contre l'ennemi commun : Qu'enfin ils fupplioient le Roi de
ne pas refufer aux peuples d'Autriche ce qu'il avoit accordé
aux autres Provinces ; ôc de faire enforte que les miniftres de
l'Eglife, ôc les profeifeurs des Collèges, qui avoient embraffé la
do&rine la plus pure, ne fuffent point inquiétez à ce fujet.
Ferdinand leur dit : Qu'il n'étoit pas en fon pouvoir de rien
changer , ni de donner aucune atteinte aux articles de la foi
Catholique , qu'il avoit reçue de fes ancêtres , ôc fucée avec
le lait: que cependant n'ignorant pas les troubles, ôc les mal-
heurs que cette divifion avoit caufez, il avoit fait tous fes ef-
forts, conjointement avec l'Empereur fon frère , pour trouver
les moyens d'accommoder ce différend : que pour ce fujet on
avoit même fait affembler un Concile à Trente , à la prière des
Princes d'Allemagne 5 ôc que fi l'affaire n'étoit pas encore ter-
minée , il ne falloit s'en prendre qu'aux malheurs des tems. Ce
Prince ajouta que, par le defir de fatisfaire fes fu jets , il vouloit
bien ne les point forcer à obferver fon ordonnance touchant la
Communion fous les deux efpeces l , pourvu que d'ailleurs ils
ne changeaffent rien à la religion , ôc qu'ils rejettaflent tou-
tes les erreurs des autres fecles. Il leur promit encore qu'on
i II y a une faute dans le texte de
lYdition de Genève , où on lit , De-
sr^um de Domimca cœna fub utraque
fpecie fumendâ. II eft clair que non a e'té
oublie', ÔC qu'il faut lire nonfumendL
DE J. A. DETHOU, Liv. XVII. (Si
n'inquieteroit point les Minières, nilesProfefTeurs des collèges,
s'ils ne paflbient pas les bornes delà modération, & ûa en fe con- Henri IL
tentant de ce qu'on leur avoit accordé , ils attendoient en paix i 5 5 6.
la réfolution que prendroit la Diète. Les députez perfiftant
toujours dans leurs demandes, le Roi leur oppofa l'éditd'Auf-
bourg, & leur fit fentir qu'ils dévoient être fatisfaits de l'indul-
gence qu'on avoit pour eux. Malgré ce difcours , ils protefte-*
rent qu'ils ne fe déiifteroient jamais de leurs propofitions , par-
ce qu'il leur avoit été ordonné de ne rien promettre , avant
que l'on eût fuffifamment pourvu à la fureté de leurs Miniftres
ôc des ProfefTeurs de leurs collèges. Chacun fe retira , fans
qu'il eût été rien décidé. L'afTemblée d'Autriche s'étant fepa-
rée, le Roi fe rendit en Bohême, ôc ayant convoqué à Prague
les états des Provinces voifines , il obtint l'argent qu'il avoit
demandé pour lever des troupes contre le Turc. Enfuite il
écrivit à ceux qui étoient déjà à Ratifbonne , pour leur faire
fçavoîr la caufe de fon retardement î & comme il falloit qu'il
retournât promptement à Vienne pour faire les préparatifs de
la guerre contre le Grand-Seigneur , il indiqua la Diète de
l'Empire , pour le premier de Juin.
Les Bavarois fe comportèrent , comme les Autrichiens , à
l'égard d'Albert leur Prince , gendre du roi Ferdinand. Infor-
mez qu'il devoit leur demander de l'argent, ils le prièrent de
leur accorder la permifïion de communier fous les deux efpe-
ces , & de manger de la viande, les jours d'abftinence, lors-
que lanécefTité l'exigeroit. Albert leur dit d'abord, quelebe-
foin qu'il avoit d'argent ne lui feroit jamais trahir la religion
de fes Pères ; il leur promit néanmoins d'engager l'archevêque
de Salzbourg & les autres Prélats à confentir qu'il leur accor-
dât cette grâce. Quelque tems auparavant , l'erreur d'André
Ofiander touchant la justification avoit excité de grands trou-
bles en Prufle, où elle avoit été unanimement condamnée.
Albert duc de Prufle fe laifla perfuader alors par les lettres
d'Albert duc de Mekelbourg fon gendre , qui avoit quelque Plufeiir*
teinture des belles Lettres , ôc fit publier un écrit où. il déclara a^ilema" ne
qu'il embraiToit la Confeffion d'Ausbourg 5 il manda en même embraflfent la
tems aux J^liniftres eccléfiaftiques, de ne rien enfeigner que de JaiSou"p
conforme à cette doctrine s 6c il leur promit de les protéger,
s'ils fe foûmettoient à fes ordres, Le duc de Mekelbourg
Hiij
6i HISTOIRE
entreprit aufîî de faire changer de fentiment à Jean Funk , hom-
ljfnri me profond, qui s'eft attiré Peftime ôc les louanges des fça-
c 6 vans 3 Par ^es ta^^es Chronologiques qu'il a dreffces avec une
' très-grande exactitude. Le duc y réuffît , avec le fecours de
quelques perfonnes dotées : on vit donc ce perfonnage , qui
tenoit le premier rang entre les Ofiandriftes , reconnoitre
fon erreur , la détefter , 6c promettre enfin qu'il n'enfeig-
neroit jamais d'autre doctrine que celle qui feroit conforme à
la Confeffion d'Ausbourg. La même année le Confeil de Spi-
re reçut dans cette ville deux Miniftres , pour y enfeigner la
même doctrine. Charle marquis de Bade l'embralla auffi , ÔC
fit venir des Miniftres pour établir des églifes Luthériennes
dans fes Etats. Au milieu de ces troubles , les Froteftans , que
la précaution plutôt que l'honneur , avoit ci-devant engagez
à rompre l'alliance qu'ils avoient faite avec nous, commen-
cèrent à craindre que le Roi ne leur fît fentir les effets de fon
indignation. Ayant entendu parler d'une trêve , ils la regardèrent
comme une confpiration que les Princes Catholiques avoient
faite pour les perdre , ôc ils s'imaginèrent que le cardinal
d'Ausbourg, qu'ils regardoient comme leur plus cruel enne-
* mi , n'avoit entrepris le voyage d'Italie , que dans le deffein
d'aller à Rome, pour conférer fecretement avec le Pape, qui
diffimuloit l'union qu'il y avoit entre l'Empereur ôc lui. Ils
croyoient auffi que dans ce deflein les Electeurs de Mayencc ôc
de Cologne,ôc celui de Tréves,nommé Jean de Leïen fuccefïeur
de Jean Yfemburg mort au mois de Février , avoient quelque
tems auparavant prétexté d'aller prendre les bains, pour con-
férer enfemble à ce fujet; ôc que vivement touchez de l'édit
qu'on avoit publié à Ausbourg l'année précédente, en faveur
des Proteftans,ils n'avoient d'autre but que de le faire fupprimer,
ôc de rétablir dans l'Allemagne la jurifdiction Eccléfiafti-
que ; que le Pape en avoit fouvent conféré avec le cardinal
d'Ausbourg , qu'il avoit difpenfé l'Empereur de fon ferment ,
ôc qu'il avoit promis de fournir beaucoup d'argent ôc de
troupes pour cette guerre > qu'enfin le roi Philippe , qu'on
avoit deftiné pour être à la tête de cette entreprife, de voit le-
ver dix mille hommes d'infanterie , ôc les choifir fur-tout, en-
tre les Allemands , pour mieux cacher le deffein qu'on avoit
pris 5 ôc que tandis que les Princes occupez à la Diète de
DEJ. A. DETHÔU,Liv. XVII. 63
Ratisbonne feroient éloignez de leurs Etats , il devoit fondre
tout d'un coup fur les Proteftans , avec toutes fes troupes. Henri II.
Mais le cardinal d' Ausbourg , qui étoit revenu depuis peu 1 c- c <5.
de Rome, où il avoit palTé une année entière, étant .fur le
Lettre cir-
cardinal
d'Auibourg.
point d'y retourner, changea de réfolution, afin de détruire culaire du
les foupçons que les Proteftans avoient conçus , ôc il fe jufti-
fia fur la fin de Mai , par une lettre circulaire écrite en langue
vulgaire.il fit voir que ces bruits n'étoient qu'une calomnie , que
les ennemis du repos public débitoient,femblableà celle qu'Otto
Becken chancelier de George de Saxe avoit inventée l'an 1528,
au fujet de la conjuration contre le Landgrave de HefTe , ôc
FElecleur de Saxe 5 que le mal étant retombé fur l'auteur de
la première, qui eut la tête tranchée à Anvers , il arriveroit aufli
que ceux qui avoient inventé la féconde , pourraient en ref-
fentir les funeftes effets. Enfuiteil aiîura , que tandis qu'il étoit
à Rome, lefouverain Pontife ne lui avoit jamais parlé de cet
edit, ni de la guerre dont il étoit queftion ; que les Princes n'a-
voient jamais eu de deffeins femblables à ceux qu'on leur im-
putoit , non plus que le Pape , qui ne fongeoit qu'à réfor-
mer les abus qui s'étoient gliffez dans PEglife , Ôc qui avoit
daigné l'employer dans cette affaire, avec ceux qu'il avoit choi-
fis parmi toutes les nations pour ce même deffein. Que cette
affaire l'avoit obligé de refter à Rome, plus long-tems qu'il
ne l'efperoit. Qu'au refte > quoiqu'il eût un defir extrême de
conferver la religion qu'il avoit reçue de fes pères , il étoit ce-
pendant bien éloigné de la penfée de la guerre. » II" n'y a ,dit-il>
=> aucun fervice que je ne fois prêt de rendre aux Princes de
« l'Empire, Ôc même au marquis Albert , quoiqu'il n'en ayent
»> encore point exigé de moi. Je ferai aufli toujours difpofé
°> à donner des marques de mon amitié à l'Electeur Palatin, ôc à
s' Chriftophle de Wurtemberg, que j'ai toujours eftimé àcaufe
05 de fa prudence , de fa probité , ôc de fon amour pour la paix;
v je n'oublierai jamais ^non plus le Landgrave de HefTe ,
« quoique les inventeurs de ces calomnies fe foient efforcez de
» me commettre avec ces Princes.
Frédéric , éle&eur Palatin , qui avoit époufé la princeffe
Dorothée , fille de Chriftierne , roi de Dannemarc alors pri-
fonnier , étant mort avant tous ces troubles , à Altzheim le
2.6 Février, accablé de vieillefTe, ôc fans enfans, eut pour
6 4 HISTOIRE
fuccefTeur le fils de Rupert fon frère, nommé Otton Henri;
Henri IL cîu^ zvoh autrefois embraffé hautement la confeffion d'Auf-
j ^ ç ^ bourg , & s'étoit expofé à perdre la vie avec tous fes biens.
Quelque tems après , les Députez des Princes ôc des Etats>
s'afifemblerent à Ratisbonne , au commencement de Mars.
On y agita l'affaire du marquis Albert , 6c on renvoya tou-
tes celles de l'Empire au mois d'Avril fuivant. Quoique l'an-
née précédente fes ennemis euffent demandé du fecours con-
tre lui , les Princes fes parens obtinrent cependant par leur
crédit , qu'il lui feroit permis de revenir en Allemagne , pour
y faire examiner fon affaire.
Enfin la diète commença le 15* de Juillet. Albert duc de
Bavière en fit l'ouverture par l'ordre du roi Ferdinand > qui
ne put s'y trouver, à caufe des mouvemens qui agitoient la
Tranfylvanie , comme nous le dirons dans la fuite. Albert ;
ayant donc fait voir les caufes légitimes de l'abfence de fon
beau-pere , ôc rapporté ce qu'on difoit des préparatifs que le
Turc faifoit pour la guerre > dit qu'il falloit fe déterminer à
envoyer au plutôt du fecours , pour détourner l'orage qui mé-
naçoit non feulement le refte de l'Autriche ôc de la Hongrie,
mais encore toute l'Allemagne ; qu'on devoit donner ordre
aux Tréforiers , de délivrer dans le befoin l'argent qu'on avoit
mis entre leurs mains , 6c qui étoit deftiné pour cette guerre»
que puifque dans la dernière Diète on avoit promis de cher-
cher un moyen , pour terminer les difputes au fujet de la Re-
ligion } le Roi les exhortoit à s'unir tous enfemble , afin d'en
veftir promptement à bout ; Qu'on travaillât enfin à appaifer
le peuple, qui fe plaignoit hautement de l'altération de la
monnoye.
Affaires de Pendant le cours de cette année, les diffentions 6c les
Tranfylvanie troubles qui regnoient dans la Tranfylvanie , furent caufe que
friedeGue°"ë Ferdinand ne put fe trouver à la diète de Ratisbonne. Enfin ,
contre les Pierre Petrovithz, ayant follicité les Turcs de lui donner du
^UiCS* fecours, cette Province fe déclara pour Jean , parce que Fer-
dinand , comme nous l'avons dit , ne gardoit pas le traité
qu'on avoit fait , 6c que les foldats étrangers ôc les Efpagnols
qu'il y avoit fait venir , ruinoient entièrement la Province.
Quelque tems après , les troubles s'étans aufïi élevez dans la
Hongrie , François Bevec 6c George fon frère , s'emparèrent
de
DEJ. A. DETHOU,Liv. XVII. S;
de quelques châteaux & de quelques villes , avec le fecours
des Mœiiens , qu'on appelle aujourd'hui les Valaques. Les Henri IL
Turcs accoutumez à profiter des querelles des autres , faifi- i c c 6.
rent cette occafion pour entrer dans la Hongrie , où ils n'é-
roient pas venus depuis trois ans , ayant été occupez d'une
guerre civile ôc de celle de Perfe. Car après le fameux liège
d'Agria, où ils ne réùfîirent pas > Ferdinand roi de Hongrie
avoit envoyé à Conftantinople Antoine Verautz , évêque d'A-
gria , & François Zay gouverneur de CafTaw*, pour y trai- *©uCaflbvi<S
ter de la paix ; mais ces deux Ambafladeurs furent obligez
d'y refter deux ans , ôc d'attendre que la guerre de Perfe fût
achevée > avant de commencer leurs négociations. Enfin ,
les Turcs s'étant plaints des courfes que nos gens avoient fai-
tes , le Bâcha Thuigon , autrement Cicogne , qui étoit gou-
verneur de Bude, réfolut de s'en venger par les armes. Leurs
plaintes avoient quelque fondement ; car les Heidons , ou Hei-
douts, accoutumez aux brigandages, ôc qui prennent parti,
fans recevoir aucune folde , faifoient de fréquentes courfes
aux environs de Zigeth , de Bacboza , ôc des places voifines
de Cinq-Eglifes , ôc pilloient très-fouvent les petites barques
des Turcs : ce que Ferdinand ne pouvoit empêcher , parce
qu'il ne vouloit pas leur faire de la peine , ni les avoir pour
ennemis , ôc que d'ailleurs ils ne lui étoient attachez par au-
cun ferment, ôc ne recevoient de lui aucune folde.
Thuigon ayant donc levé une armée de deux cens mille
hommes , s'empara de Capozwivar , par la défection des al-
liez : il prit enfuite Bacboza, où il n'exerça aucunes cruautez,
parce que cette ville s'étoit rendue" volontairement. Lorfqu'il
eût paffé plus avant , ôc jette la terreur de tous cotez , il at-
taqua avec la même confiance Zigeth , où étoit Kereczeni ,
ôc campa à la portée de la coulevrine de cette place ; mais
un boulet de canon , qui pafîa au travers de fa tente , l'obli-
gea de fe retirer , comme s'il eût voulu déjà lever le fiége.
Cette retraite ayant ranimé la garnifon, elle le battit deux fois;
ôc lui tua trois cens de fes foldats. Picqué de ce mauvais fuc-
çès , il voulut faire approcher fon canon ; mais la fermeté des
alïiégez l'épouvanta. Enfin , à la perfuafion de fes gens , qui
lui repréfenterent que l'hiver approchoit, il abandonna cette
place. Ces chofes s'étoient pafTées l'année précédente.
Tome IJ1% I
€6 HISTOIRE
h , Au commencement du printems , Soliman ayant fait Verne
Henri II ^e Per^e ^e Bâcha ^an » Albanois , il l'envoya dans la Hongrie,
! ç ç- 5 ' avec ordre de ne point entrer dans Bude, capitale de la Pro-
vince , que Zigeth n'eût été pris. Lorfque Hali fut arrivé à
Sirmifch , il envoya dire à Ferdinand qu'il étoit prêt d'afïiéger
Zigeth. Le Roi répondit, qu'il n'agiroit pas fuivant le droit ÔC
la juftice , s'il le faifoit 3 puifque {qs Àmbaflfadeurs étoient en-
core à Conftantinople , ôc qu'il n'avoit donné aucun fujet aux
Turcs de lui faire la guerre : qu'il le prioit donc de ne pas ve-
nir à ces extrêmitez ; que cependant s'il vouloit prendre la
Voye des armes , il étoit prêt de fe défendre , quoique malgré
lui. Mais le Bâcha ayant fait venir Dervis , Ameth, ôcNaffouf,
gouverneurs de Cinq-Eglifes , de Bacboza ôc de Kophan , il
Campa à un mille de Zigeth. Marc Hoiwath , qui comman-
dent dans la Ville à la place de Kereczeni , avoit fait prêter
ferment à la garnifon 3 qui lui promit de défendre la liberté
de la patrie jufqu'à la dernière extrémité , Ôc de périr pour
elle.
Siège de II y avoit dans la place deux mille hommes d'infanterie »
Zigeth par le fous }a conduite de Benoît Top ordii, ôc de Jacque Radovan-
vayda: Sebaftien Vilaki y commandoit aufli cent-quatre-vingt
cavaliers. Cette ville , plus forte par fa fituation que par fes
fortifications, ôc qui eft très-peuplée ', a été fondée, fuivant les
annales de Hongrie, par un Seigneur nommé Anteme, illu-
ftre par fa nailfance , ôc très-riche. Bâtie dans une plaine ma-
rêcageufe, qui lui a donné fon nom , elle a un Lac du côté
du Septentrion , d'où l'on fait aifément venir de l'eau dans un
triple foffé. Du côté du Couchant , elle s'étend au-deflbus de
la citadelle 3 on ne fçauroit y faire des mines à caufe de la na-
ture du terrein. La citadelle eft environnée de deux baftions , ôc
de remparts formez de fafeines, de branches d'arbres, ôc de terre3
comme font ordinairement les fortifications faites à la hâte.
Lorfque les ennemis approchèrent , ils défendirent aux payi-
fans d'alentour d'apporter des vivres à la Ville. Les Turcs
furent d'abord repoulfés par les fréquentes forties de la garni-
fon , ôc perdirent beaucoup de foldats. Enfin Hali arriva
avec toutes fes troupes le 2 de Juin , ôc après avoir reconnu
la place , il la fomma de fe rendre , par une lettre qu'il envoya
aux aiTiégez. Mais ceux-ci la déchirèrent fans l'avoir lue : eu
DE J. A. DETHOU,Liv. XVII. <f7
•même-rems ils firent une fortie , ôc combattirent depuis midi
jufqu'à la nuit. Trois jours après, les Turcs rirent pointer neuf jjenri II
pièces de canon contre la citadelle . du côté du Midi ; ôc la i <r <r $
nuit fuivante ils firent des retranchemens dans leur camp. Alors
ils commencèrent à battre un des bâfrions 5 mais Radovanii
ayant fait une fortie fur eux avec cinquante Arquebufiers, en
tua un grand nombre. Enfuite Hali ayant fait jetter des bom-
bes , brûla plufieurs maifons de la Ville ôc une partie des mu-
railles, qui n'étoient faites que de terre ôc de paille. De-là il
fit battre la porte delà citadelle Ôc le mur du côté de l'Orient.
Enfin ayant abattu ôc rafé le baftion , où Michel ôc Grégoire
Bikfith perdirent la vie, il fit élever le 21 de Juin pendant la
iiuit & à la faveur du clair de Lune, auprès des moulins à bled >
des plate-formes pour pofer le canon.
Le lendemain les alîiégez entreprirent de les abattre , mais ils
ne réiiilirent point ; enfuite les Turcs comblèrent le foflé avec
une prodigieufe quantité de bois , ôc ayant fait tirer toutes
leurs batteries ôc fait une grande brèche aux murs delà ville,
ils donnèrent un affaut général. Les alîiégez les repoufTerent
quatre fois; mais ils perdirent aufîi plufieurs de leurs foldats.
Enfin ils vinrent à bout de mettre le feu au bois que l'ennemi
avoit fait jetter dans le fofTé, ôc qu'à peine dix mille charretes
auroient pu porter. Au cinquième aiïaut , les alîiégez aban-
donnèrent la place ôc fe retirèrent dans la citadelle. Les Turcs
entrèrent aufïï-tôt dans la ville , plantèrent leurs drapeaux vis-
à-vis la citadelle, ôc environnèrent le folié de tous cotez.
Les officiers ôc les foldats de la garnifon , mêlez avec les La place eft
habitans , voyant qu'ils ne pouvoient demeurer en Ci grand prife, & repri-
nombre dans un lieu fi relTerré, firent leurs prières à Dieu , [eaut *orPsr
ôc s'étant abandonnez à famiféricorde, ils fortirent par un en- même. b
droit inconnu aux ennemis 3 d'où ils vinrent fondre fur eux
avec un courage intrépide. Ils les furprirent fi heureufement ,
qu'après les avoir repoulTés , ôc en avoir taillé en pièces plus
de quatre-vingts , ils reprirent fur eux la ville. Nafibuf gou-
verneur de Kophan , qui étoit d'une taille prodigieufement
haute, ôc aufîi vaillant que cruel, perdit la vie dans ce com-
bat. Ce guerrier enyvré de fes fuccès, qui ne refpiroit que le
carnage , ôc qui s'étoit rendu formidable par la grandeur déme-
surée de fon corps , reçut un coup de cimeterre, qu'un Heidou
Jij
6S HISTOIRE
lui donna au travers du ventre , d'où il lui fit forcir îes en-
H rt tt trailles , en le retirant avec violence. Ameth fut tué d'un coup
g ' d'arquebufe, ôc l'Aga fut pris. On planta les têtes de vingt-
' * * neuf des principaux qui avoient été tués , fur les crenaux des
murailles de la citadelle, pour jetter la terreur dans le camp
des ennemis. Cette victoire coûta beaucoup aux affiégez. Jean
Hagmafii, George Palladii J Jean Hofthothii, George Zekel
6c Macedonay , braves officiers, perdirent la vie dans ce com-
bat, avec quelques autres capitaines. Radovanii yfutblelfé ,■
mais fa bleflure n'étant pas dangereufe, il fut bien-tôt guéri.
Le lendemain Hali , fans paroître touché de la perte qu'il
avoit faite , fît drefler quatre groiTes pièces de canon , pour bat-
tre les fortifications du côté de l'Occident 5 ôc au milieu de la
nuit il fit faire des retranchemens, près d'une levée qu'on appel-
îoit Henyeii. En même-tems on amena le refte du canon
pour abattre une tour ôc une porte de pierre, ôc pour rafer une
muraille qui joignoit l'une Ôc l'autre. Il environna la ville de
tous cotez , ôc laifla feulement deux efpaces , par où il pût at-
taquer ôc fe retirer. L'un étoitdu côté de l'Occident, vers les
moulins à bled, au-deiïous delà levée qui retenoit l'eau qu'on-
faifoit venir du marais, comme par un canal, dans les foiTés
de la ville ôc de la citadelle 5 l'autre étoit fitué vers la levée de
Henyeii : On ne ceffoit d'amaffer dans ces deux efpaces des-
matières propres à combler le fofTé , ôc l'on employa cinq jours
à le mettre à fec. Après ce travail on éleva une plate-forme
vis-à-vis la citadelle 5 on recommença à faire tirer les batte-
ries , ôc on livra quelques combats. Les affiégez perdirent
George Kifdefii , Demetrius ThefTenii, ôc Pierre Petrudii; en-
fuite les ennemis jetterent dans le foffé , au-dellous de la cita-
delle du côté de l'Orient , tout le bois ôc les autres chofes*
dont ils avoient chargé vingt mille charretes. Mais les affié-
gésy ayant mis le feu , tout fut confumé. Les ennemis étant-
venus pour l'éteindre, on les attaqua avec tant vigueur, qu'ils5
perdirent fept cens hommes, qui furent tués fur la place. Il y
périt auffi un grand nombre des affiégez > ôc entr'autres le che-
valier Nicolas Czernel , le capitaine Baiogh , Ôc François Kefas,
qui reçut une bleffure , dont il mourut peu detems après. Les
1 urcs firent pendant la nuit la même tentative , du côté qui
regarde le Couchant; mais ils n'eurent pas plutôt jette le bcÎ3
DE J. A. DE THOU , Liv. XVIL 6p
dans le fofle , qu'on y mit aufïï le feu , ôc ils perdirent en cette
occafion quatre cens hommes. Les afïiégez perdirent Lazare Henri II»
Nagh , Martin Radovanii , & Valentin Thot , tués dans le x^ $t
combat.
Hali voyant que tous fes efforts ne pouvoient ébranler le
courage des afïiégez , voulut employer la rufe pour les vaincre?
il les exhorta par des promeffes ôc des marques de bienveillance 3
à ne pas différer plus long-tems de fe rendre. Les afïiégez ayant
méprifé fes offres , il eut encore recours aux armes. Aufïi-tôt
il fit combler les foffés de terre rapportée , ôc les fit border de
trois rangs de gabions , avec des facs à terre par-deffus } fur
lefquels il fit monter des Janiffaires armés d'arquebufes , qui
couverts de mantelets 3 tiroient de là dans la ville , Ôc y tuoient
beaucoup de monde : Gafpar Batafeghii y fut dangereufement
bleffé. Enfin le douze de Juillet, les Turcs ayant dreffé leurs
batteries vis-à-vis la citadelle , ils firent pendant cinq jours en-
tiers de fi terribles décharges de toute leur artillerie , que les
afïiégez defefpérant prefque de leur falut , furent obligez d'en-
voyer demander du fecours à Ferdinand ôc à Thomas Nadaf»
dii comte du Palais. Cependant étant venus à bout de démonter
avec leur canon la batterie que les Turcs avoient dreffée de-
vant la porte , ils reprirent courage, ôc ayant fait une fortie ,
ils mirent promptement le feu dans ce grand amas de bois qui
rempli ffoit le foffé.
Depuis ce jour jufqu'au 2 1 de Juillet , on fe battit feule-
ment à coups d'arquebufe ôc de canon. Hali ne pouvant vain-
cre l'héroïque opiniâtreté des afïiégez par la force désarmes*
fit conduire fon canon pendant la nuit du coté de Cinq-Eglifes*
fous prétexte d'aller au fiége de Bacboza. Les afïiégez em-
ployèrent ce tems à réparer les ruines de la ville, comme fi le
lïége eût été levé. Nadafdii voulant obliger l'ennemi à fe re-
tirer de devant Zigeth , étoit venu camper devant Bacboza;
place fituée fur la rivière de Rigné. Il s'y donna un combat
meurtrier 3 dans lequel les Turcs perdirent beaucoup de mon-
de. Il refta du côté des Hongrois fur le champ de bataille ,
François Steinenbrun Mettre de Camp , ôc Chriftophle Baron
de Polleviller 3 frère de Nicolas , vaillant ôc fameux Capitai-
ne t qui fe trouva aufïi à cette expédition, avec de bonnes trou-
pes qu'il avoit levées dans la Franche-Comté ôc dans l'Alfaoe*
I iij,
yo HISTOIRE
■ Comme les Hongrois fe retiroient après ce combat ,~ pour aî-
tt tt 1er vers Canifia > ils perdirent encore deux cens de leurs fol-
^ ' dats auprès du Drab , avec le frère de Nadafdii , qui fut en-
^ ' * veloppé dans le carnage. Hali voulant profiter de cette occa-
(îon , retourna au fiége deZigeth, & vint camper auprès de
la forêt d'Hazerduu > où les Hongrois eurent l'avantage dans
quelques efcarmouches, & où Marc Horthwath fe (îgnala
particulièrement dans un duel contre un Turc , qui fe préva-
loit de fa force ôc de fa valeur ; il le vainquit , lui coupa la
tête ôc l'emporta dans la ville avec lui.
Cependant l'ennemi dreffoit toujours des embufcades , mais
fans fuccès. Il alla camper devant la citadelle , d'où il fut re-
pouffé par la garhifon , qui fît une prompte fortie fur lui. Ces
differens échecs n'empêchèrent pas les Turcs de faire des
plate-formes ôc des retranchemens de ce même côté , comme
s'ils euflent voulu continuer le fiége. Ils recommencèrent aufïï
à tirer le canon , ôc à folliciter la garnifon , tantôt par des me-
naces i en expofant à leur vue les têtes de leurs compagnons
ôc leurs cadavres mis en pièces , ôc tantôt en leur parlant de
la clémence de Soliman. Mais pour toute réponfe , les affiégez
firent une fortie fur l'ennemi ôc le repoufferent avec perte. JLe
lendemain on donna un affaut général 3 ôc on combattit pen-
dant huit heures. Quoique la place fût prefque ruinée , l'en-
nemi ne put jamais en chaffer la garnifon , ni l'obliger à fe re-
tirer dans la citadelle. Le Bâcha ayant donc perdu toute es-
pérance de prendre Zigeth , leva le fiége le 29 de Juillet ,
comme s'il avoit pris la fuite, ôc alla joindre le canon ôc tout
l'attirail de guerre qu'il avoit déjà fait conduire proche Cinq-
Eglifes. On dit qu'il périt en cette expédition deux mille Turcs,
ôc cent-feize hommes du côté des affiégez ; onramaffa plus de
deux mille boulets, qu'on garda pour s'en fervir dans le befohv
Hali ne voulant pas paroître n'avoir rien fait dans cette cam-
pagne , fit brûler ou rafer avant fon départ Eacboza , Saint-
Martin , Gerefgal > Selye , Saint-Lorinz ôc Kalmanchze. Mais
F Archiduc Ferdinand , que fon père avoit envoyé au fecours
des affiégez , avec Sforze Pallavicini, ôc de la cavalerie d'élite,
arrêta ces .violences. Ce Prince fe mit en bataille avec le peu
de monde qu'il avoit, contre l'armée formidable des Turcs ,
au-delà d'une terre marécageufe , qu'on ne pouvoit traverfer
DE J. A. DE THO U, L i v. XVII. 71
fans courir de grands rifques. Hali irrité du courage intrépide ?
des Chrétiens , ôc voyant qu'il n'avoit d'autre parti à prendre Henri II
que de fuir honteufement , ou de faire une dangereufe retraite , $
réfolut de hazarder la bataille. Il tourna la bride de fon che-
val , ôc il étoit déjà prêt à entrer dans le marais , lorfqu'un ca-
pitaine Turc fauta promptement du fien, ôc ayant porté la main
à la bride de celui du Bâcha , avec une hardieffe fans exem-
ple , l'arrêta fi à propos , que tous les Chefs de l'armée des Turcs
avouèrent , qu'ils dévoient leur falut à la prudence de ce ca-
pitaine.
Le bruit de cette action s' étant répandu jufques dans Confc
tantinople , les Bâchas , qui ne pouvoient s'empêcher d'ap-
prouver en fecret la prudence du capitaine , ne .voulurent
pas néanmoins qu'une action de cette nature demeurât impu-
nie j ils crurent que quelque bon fuccès qu'elle eût eu , ce
feroit renverfer les loix de la difcipline militaire , fi elle paf-
foit jufqu'à la pofterité, fans être fuivie du châtiment qu'elle
méritoit. Ils rappellerent donc ce capitaine, lui ôterent fa
charge , ôc l'envoyèrent avec les autres exilez j ayant expié
fa faute par cette peine , on lui donna quelque tems après un
emploi plus honorable, afin que tout le monde connût qu'on
l'avoit exilé , plutôt pour maintenir la difcipline , que pour
punir fon action.
Hali étoit eunuque , ôc malgré ce défaut , avoit beaucoup Portraïe
de courage. Il étoit petit, bouffi, d'un teint jaunâtre, ayant d'Hatt»
le vifage trifte , les yeux de travers , la tête enfoncée entre
deux épaules larges ôc élevées, ôc deux dents qui lui fortoient
de la bouche , femblables aux défenfes d'un Sanglier. Tan-
dis qu'il étoit encore devant Zigeth, les Chrétiens furprirent la
ville de Gran par efcalade , ôc un château voifin du même
nom. Ils y firent un grand butin , ôc emmenèrent les femmes
ôc les enfans. On dépêcha auflî-tôt au Bâcha un courrier,
pour lui apprendre cette nouvelle. Comme ce courrier ne la
lui annonça qu'en tremblant , ôc que par la triftefTe répandue
fur fon vifage , il faifoit connoître à Hali qu'il s'agiffoit d'un
grand malheur , on alTûre que le Bâcha fe mocqua de la conf-
ternation du courrier , d'une manière qui fit rire tous les afli£*
tans , ôc que peu touché de la perte d'une place , qu'il pou-
yoit facilement reprendre , il lui dit : « Infenfé , de quoi me
72 HISTOIRE
» parles-tu , de quelle perte fàcheufe viens-tu m'entf ete'nir ? Voî-
Henp i II " * ajoûta-t-il (en montrant l'endroit par lequel il n'étoit point
j c J" £ »>homme ) voilà ce qu'on doit appeller une vraye perte, une per-
« te irréparable ». Enfin ayant perdu à fon retour la meilleure
partie de fon armée, par les embufcades ôc les courfes des Hon-
grois, il fe retira à Bude, découragé ôc honteux. Ce Général,
de qui on avoit conçu de fi hautes idées , mourut en cette ville ,
accablé d'ennui ôc de chagrin , d'avoir furvêcu à une expédia
tion li malheureufe.
Quelque tems auparavant , il parut le 6 de Mars , pendant
douze jours entiers , une grande comète brillante } dont la
chevelure enflammée formoit quantité de plis ôc de replis;
elle étoit au huitième degré de la Balance. L'empereur Charle
la prit pour un préfage de fa mort prochaine , ôc ne penfa
plus qu'à faire préparer toutes les chofes néceffaires pour fon
1 ou Hoejr départ. Quelques jours après , il écrivit à Jean Hoye * évë*
que d'Ofnabruck , ôc préiident de la Chambre de Spire , ôc
à fes afTefTeurs ; il leur exprima fes intentions par une lettre
remplie de termes , qui marquoient la vive amitié qu'il avoit
pour eux. Ayant defTein de faire voile en Efpagne , il partit
Ibr la fin d'Août pour aller à la citadelle de Zuitbourg en
Zelande , qu'il avoit fait bâtir. Avant de s'embarquer il écri-
vit aux Etats de l'Empire le 7 de Septembre, ôc leur manda
qu'il avoit mis entre les mains de Ferdinand fon frère les rênes
de l'Empire , ôc les exhorta à lui rendre dans la fuite l'obéïf-
fànce qui lui étoit due. Mais comme l'Empereur n'ignoroit
pas que les fept Electeurs qui l'avoient élu , n'euffent un plein
pouvoir d'en élire un autre , ôc de recevoir fa cefîion ôc fon
abdication , ôc qu'enfin, on ne pouvoit rien faire fans leur con-
fentement ôc leur autorité , il leur envoya une magnifique am-
bafTade , dont les chefs étoient Guillaume de Naffau prince
d'Orange , George Sigifmond Selden garde des Sceaux , ôc
Volfang Haler fecretaire. Ils n'exécutèrent leurs ordres que
deux ans après , ou parce que la trêve entre Philippe ôc le
Roi de France ayant été rompue , après le départ de Charle--
Quint des Payis-Bas , tout le monde attendoit l'événement
de cette guerre ; ou parce que , fur ces entrefaites , trois E-
îetteurs étans morts , ôc trois autres leur ayant fuccedé , on
jugeoit que de femblables conjonctures n'étoient pas propres,
pour
DE J. A. DE THOU,Liv. XVIL 73
pour tenir une Diète. En effet, Frédéric, électeur Palatin, ^^
étant mort quelque tems auparavant , comme nous l'avons Henri II.
déjà dit, avoiteu pour fucceffeur Othon Henri , peu favora- i S S $\
ble à la maifon d'Autriche , à caufe de ce qui s'étoit paffé au-
trefois à fon égard. Jean- archevêque de Trêves, de la maifon
des comtes d'Ifembourg, qui mourut un peu après Frédéric,
eut pour fuccefleur Jean de Le'ïen. Enfin Adolfe , électeur
de Cologne, étant auffi mort, Antoine fon frère fût élu en
fa place. Ces trois Princes étant revêtus d'une plus éminente
dignité, que celle qu'ils avoient auparavant, étoient occupez à
mettre ordre aux affaires de leurs Etats. Ainfi l'Empereur, fans
attendre le départ des Ambaffadeurs , congédia Philippe fon
fils , & le Duc de Savoye , qui étoient venus pour le voir.
Enfuite il partit de Zuitbourg en Zelande avec fes fceurs,
Eleonor reine de France, ôc Marie reine de Hongrie, le dix-
fept de Septembre, le foleil étant dans le figne de la Balan-
ce, ôc la lune dans celui des Poiffons , à iept heures du foir,
un peu après le coucher du foleil : car ces circonstances
ont été remarquées exactement. La flotte étoit compofée de
feize vaiffeaux de guerre des côtes de Bifcaye , ôc de vingt
autres de celles de Flandre, fans compter l'Amiral qu'il mon-
toit , ôc une grande quantité de petits vaiffeaux Hollandois,
Plufieurs navires Anglois , au nombre de vingt ôc un , joigne
rent la flotte? fçavoir, fept vers Porthmouth , fept proche
l'ide de Wight, Ôc fept dans la Manche.
L'Empereur ayant eu le vent favorable arriva en Efpagne, b?harIer V"
fans avoir fouffert aucune incommodité , ôc aborda au port couronnes
de Laredo en Bifcaye, où un grand nombre de Seigneurs,
de Gentilshommes, Ôc de Députez des villes de ce royau-
me le reçurent ôc le félicitèrent fur fon heureux retour. Les
Impériaux rapportent , qu'il ne fut pas plutôt forti de fon
vaiffeau , qu'il fe mit à genoux , ôc baifa la terre , en pronon-
çant ces mots : Je te Jalué , mère , que fat tant défirée : je fuis
forti nud du fein de ma mère > & je reviens nud four entrer dans
le tien , comme dans celui dyune autre mère j je ne puis iojfrir >
pour les fervices que tu m'as rendus > que mon corps & mes os >
ref ois-les donc , je te les donne , & te les confacre. En même
tems il penfa à faire foîemnellement la démiiîion , qu'il avoit
déjà faite en faveur de fon fils : voici l'ordre qu'on obferva
Tom. III. K '
74 HISTOIRE
■""■' ■"'"■— dans cette cérémonie. Dans toutes les villes qui avoient droit
Henri II. de tenir des aflemblées publiques, deux Hérauts revêtus des
1 5 S 6* niarcîues de la dignité royale , ôc portant fur leurs habits les
armes du Royaume , parurent debout , vis-à-vis l'un de l'au-
tre , fur une eftrade où l'un donna ôc l'autre reçut le Scep-
tre, l'Epée ôc le Cafque > enfuite le premier parla en ces ter-
mes. « Que l'Efpagne ôc toutes les Provinces de ce Royau-
« me joùiiTent heureufement ôc en paix des fruits d'une ac-
» tion fi noble ôc fi généreufe. L'Empereur Charle-Quint ,
a» roi légitime des Efpagnes , fe dépouille de plein-gré de tou-
35 te fa puhTance, ôc veut que Philippe fon fils , à qui il cède
» tous fes biens , monte fur le Trône , ôc qu'il foit revêtu de
« tous les droits de la Couronne ; qu'il règne , qu'il poflede ,
m ôc puifle transférer à d'autres les mêmes droits , fuivant les
35 anciens ufages , ôc les loix qu'on obferve dans les ceilions
95 publiques, ôc particulières ». Après avoir ainfi parlé, il fe retira.
L'autre refta, & promit au nom du nouveau Roi > de travailler
férieufement à la fureté de fon royaume , ôc à procurer le
bonheur de fes fujets : cette cérémonie fut obfervée dans
chaque ville , au milieu des applaudiflemens Ôc des fignes d'une
joye univerfelle.
Enfuite Charle partit en litière pour fe rendre à Vaillado-
lid, où l'on élevoit D. Carlos fon petit- fils. Il y pafla deux
jours , qu'il employa à lui donner des préceptes propres
à le former dans la vertu Ôc à lui infpirer le defir d'acquérir delà
gloire. De cette ville, il alla dans une vallée fituée fur les fron-
tières de Portugal, qu'un air tempéré , des collines riantes ,
des fontaines ôc des ruifleaux qui l'arrofent , rendent très-agréa-
ble. On rapporte que ce fut dans cet endroit , que le grand
capitaine Sertorius, exilé de fa patrie par la profcription de Sylla,
fe retira autrefois , Ôc que ce fut là qu'il perdit la vie par la trahi-
fon de ceux de fon parti. Il y a maintenant dans cette vallée un
Monaftere de Jeronimites , lltué à huit milles de Palencia, pro-
che de Xarandilla , ôc environné de tous cotez de hautes
montagnes. Charle fe retira dans ce Couvent , où il ne gar-
da que douze perfonnes pour le fervir , ôc un cheval pour en
faire ufage dans lebefoin , à caufe de fa foiblefTe & defesin-
firmitez. Il n'y fut pas plutôt arrivé , qu'il apprit avec dou-
jeur que la trêve étoit rompue. Cependant il feconfola, par
X
DE J. A. DE THOU, Liv. XVII. 7f
1 efperance > que la témérité d'un Pape peu judicieux, ôc la
perfidie des Caraffes mettroient bien-tôt des bornes à nos J-[ENÎU u#
heureux fuccès. i r r <5.
Jean Sleidan , qui a écrit avec beaucoup d'exa&itude ôc
de fidélité l'hiftoire de fon teins, mourut d'une maladie épi- fieû°s s$L
demique fur la fin d'Oclobre, âgé de cinquante ôc un ans. Il vans.
étoit né à Sleidan , dont il portoit le nom , ville de la dépen- Sleidan.
dance de Cologne , peu éloignée de Duren. Il s'étoit rendu
illuftre dans ce fiécle, non-feulement par fon érudition , mais
par le talent qu'il avoit pour les affaires. Il pafTa prefque toute
fa jeunefle en France , attaché à la maifon du Bellay , ôc fit
de grands progrès fous les yeux du Cardinal de ce nom. Mais
enfuite, comme l'on commençoit à punir en France ceux qui
étoient fufpe&s de Lutheranifme , il fe retira en Allemagne ,
ôc s'attacha à la République de Strasbourg; c'eft là qu'il com-
mença à écrire les chofes dont il avoit été lui-même témoin,
ôc celles que des gens dignes de foi lui avoient apprifes.
Quelque tems après Jean Forfter d'Ausbourg , homme fça-
vant dans la Langue Hébraïque, qu'il éclaircit beaucoup par
fes écrits pleins d'érudition , mourut le 1 2 de Décembre âgé
de foixante ôc un ans , après avoir enfeigné très4ong-tems à
Wittemberg.
Sebaftien Corrado étoit mort le 18 d'Août de la même
année. Il étoit natif de Caftello d'Arcetto , qui appartenoit ci-
devant aux Boiardi, ôc quepofïede aujourdhui Juie Tieni mar-
quis de Scandiano. Il fut inhumé à Reggio , dans TEglife des
Dominicains , étant alors le premier profeffeur de Bologne en
langue Greque ôc Latine. Il avoit autrefois étudié fous Bap-
tifte Egnazio , dont il fçut fi bien mettre les leçons à profit ,
qu'ayant travaillé fur les ouvrages de Ciceron , il mérita les
louanges des Sçavans , ôc s'attira fur-tout l'approbation de
Pierre Vittorio , de M arc- Antoine Flaminio , de Romulo Ama-
feo , ôc de Paul Manuce.
Il ne faut pas ici paffer fous filence Gelida , natif de Va-
lence en Efpagne, où étoit auffi né Louis Vivez, un des plus
fçavans hommes de fon tems , qui mourut l'an 15*41 s à Lou-
vain , où il profeffoit alors. Gelida ayant étudié en Philofo-
phie dans fon payis , ôc fous des profeffeurs ignorans ôc grof-
liers , vint à Paris , dont l'Univerfite étoit alors la plus floriffante
K ij
76 HISTOIRE
■ de toute îa terre. Mais ennuyé des fophifmes ôc des queftions
Henri II inutiles de l'Ecole, comme il avoit Pefprit vif ôc pénétrant,
i r <* 6 il embraffa un genre d'étude tout différent. Il prit donc les
leçons de Jacque le Fevre natif d'Eftaple , qui étoit alors
le flambeau des fciences ôc des belles lettres renaiffantes, ôc il fe
perfectionna fous ce fçavant profelTeur dans les langues Grecque
ôc Latine. Il travailla enfuite fur Ariftote,dont il fit l'explication
dans le collège du Cardinal le Moine, avec un grand con-
cours d'auditeurs. De-là , on le fit venir à Bordeaux, pour lui
confier le foin du Collège de cette ville , en l'abfence d'An-
toine Govea , qui étoit allé en fon payis , auprès de Jean Roi
de Portugal, pour faire l'ouverture du collège de Coimbre,
où il voulut aulTi mener Gelida t avec Patrice ôc George Bu-
chanan Ecoffois , Nicolas de Gruchi , ôc Guillaume Gueren-
te, tous deux de Rouen, Elie Vinet de Saintonge , Arnaud
Fabri de Bazas , ôc quelques autres. Mais comme Gelida avoit
goûté les mœurs des François , on ne put le réfoudre à retour-
ner en Efpagne. Il demeura donc à Bordeaux, en attendant le
retour de Govea. Celui-ci étant mort en Portugal , Ge-
lida , à qui l'on avoit confié la charge de Principal du Collège
dans l'abfence de Govea , y fut confirmé par le Parlement de
Bordeaux ôc par le peuple. Enfin après s'être acquitté de fes fonc-
tions avec exactitude, ôc après avoir enfeigné pendant fept
ans avec le même appîaudiffement que fon prédeceffeur, il
mourut le ip de Février de cette même année, âgé de plus
de foixante ans, biffant fa femme ôcune petite fille dans une
pauvreté très-grande. On croyoit qu'il avoit chez lui beau-
coup d'ouvrages qu'il devoir donner au public : mais on ne
trouva après fa mort que quelques lettres de lui ôc d'Arnaud Fa-
bri , que Jacque Buline fit dans la fuite imprimer à la Rochelle s
non qu'il les crût dignes de répondre à l'opinion qu'on avoit
conçue d'un fi grand homme, mais pour rendre à fon maître
les derniers devoirs , que la reconnoiffançe exigeoit de lui.
Tin du dix-fepiéme Livre.
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HISTOIRE
D E
JACQUE AUGUSTE
D E T H O
LIVRE DIX-HVITI EUE.
^^S^^S^^^^ii ° u s entrons maintenant dans l'an-
née 15 jy. qui, félon que Charte V. Henri IL
~fii™ * J^ P™ce très-iage , l'avoit prévu fut 1 y j 7.
£ S ** rV¥ très-funefte à la France. Toutétoit
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tranquille & en fureté par la trêve :
mais les Caraffes par leurs perni-
cieux confeils , ôc quelques autres
par leur efprit léger & ambitieux ,
mirent nos affaires dans une trifte
fituation. Ceux qui avoient été
les auteurs de la guerre , furent caûfe que ce Royaume juf-
que-là fi floriffant , mais déchiré depuis par les guerres civiles s
perdit beaucoup de fa fplendeur , & fe vit le jouet ôc la proye
des Efpagnols.
Le Roi, après avoir envoyé, à la follicitation des Caraffes3
Kiij
7* HISTOIRE
- des Ambaffadeurs à l'Empereur , qui étoit encore en Flandre,
Henri IL ôcau Roi Philippe, pour demander qu'on ne fît rien contre
1 S S 7' les înte^ts du Pape , avoir envoyé fur la fin de l'année dernière
une armée en Italie 3 commandée par François de Lorraine
duc deGuife, chef de fa maifon en France. Ce Prince , fui-
vant le traité qui venoit d'être fait , devoit fecourir le Pape
contre le duc d'Albe, qui faifoit déjà la guerre dans la Cam-
pagne de Rome. Mais le Roi prévoyant que le départ du duc
de Guife donneroit lieu à la rupture de la trêve , ordonna à
Gafpard de Coligny Amiral de France , & gouverneur de Pi-
cardie, de fe jetter à l'improvifte dans le payis ennemi, afin
de ne pas recommencer la guerre , fans en tirer d'abord quel-
que avantage.
Rupture de Un certain Banquier de Lucque, homme perdu d'honneur;
la trêve entre après avoir diffipe tout fon bien en débauches » avoit par de-
leRoi&lEm- fefp0jr ^ comme il arrive fouvent, embraffé une vie pieufeôc
folitaire. Pour appaifer les remords de fa confcience , il fe re-
vêtit d'un habit d'Hermite , ôc établit fa demeure fur une col-
line qui regarde la ville de Douay > d'où il defcendoit tous
les jours pour mendier. L'Hermite emporté par fon génie in-
triguant , plus fort que fa vocation Ôc fon vœu , après avoir
confideré à loifir la fituation de la ville , fes remparts, fesfofTez,
Ôc fes endroits les plus foibles , en fit fon rapport à Coligny.
Ce Seigneur fentit d'abord de la répugnance à rompre la trêve,
qu'il avoit lui-même confirmée par un ferment folemnel. Ayant
néanmoins fait reflexion que la guerre étant allumée entre
le Pape ôc les Efpagnols , il faudrait nécelfairement que les
deux Rois priffent les armes, il crut devoir les prendre le
premier , ôc prévenir l'ennemi par quelque a£tion d'éclat.
Ainfi le fixiéme de Janvier , il s'embufqua près de Douay ,
à deffein de furprendre la ville, efpérant trouver les habitans
enfevelis dans l'yvreffe : mais une vieille femme ayant par fes
cris averti les fentinelles , fit échouer l'entreprife. De là Coli-
gny marcha à Lens , fitué entre l'Ifle ôc Arras , que l'on croit
avoir été l'ancien Nimetacum > il prit cette ville , la pilla , ôc y
mit le feu ; enfuite ayant parcouru ôc ravagé la frontière t il re-
vint avec un grand butin.
Ce fut là le commencement de la rupture de la trêve, que
les Impériaux ne manquèrent pas de nous imputer , pour avoir
DE J. A. DETHOU.Liv. XVIII. ?P
voulu furprendre Doûay , ôc avoir brûlé & faccagé Lens. Les .
François au contraire en accuferent le Roi Philippe , pour }{ENRI U,
avoir fait la guerre au Pape qui étoit compris dans le traité , \ < < 7.
ôc publièrent plufieurs autres raifons pour fe juftifîer : on ré-
pandit même fur ce fujet un Manifefte compofé par Charle de
Marillac Archevêque de Vienne. Il contenoit , entr'autres
chofes : Que les ennemis avant que de rendre la Mark , Prince
de Sedan ôc Maréchal de France , fait prifonnier quelque-
tems auparavant , lui avoient donné du poifon , dont il étoit
mort àfon retour : Qu'on avoit effayé de s'emparer de Metz,
ôc que Charle de Brimeu comte de Megen , gouverneur de
Luxembourg , ôc le duc de Savoye, avoient à cet effet gagné
les Cordeliers qui dévoient les favorifer dans cette entrepri-
fe : Que Barlemont Intendant des Finances avoit comploté
pour furprendre Bordeaux: Que près de la Fere en Verman-
dois fur la rivière d'Oife, on avoit arrêté un nommé Jacque
de Fle£tias , habile Ingénieur , qui après avoir été mis à la
queftion , avoit confefTé avoir reçu de l'argent du duc de Savoye,
pour vifiter toutes les places fortes de la frontière de France ,
avec ordre fur-tout de s'attacher à Montreùil > Dourlans , Me-
zieres , Saint Quentin ôc Saint-Efprit de Rue: Que par un cri-
me déteftable on avoit corrompu un foldat Provençal , pour
empoifonner les puits ôc les fontaines deMariembourg j ôc que
tout récemment enfin ceux de lagarnifondu Mefnil , comme
s'ils n'euffent pu vivre chez eux , avoient fait des courfes jufqu'à
Abbeville , ôc Saint Efprit de Rue > ôc qu'ils avoient ruiné le
payis de Chimay , d'Avennes , de la Capelle, de Rozoy, Ôc
d'Aubenton en Tierache } afin fans doute de s'emparer de ces
places., fî l'occafion s'en fûtpréfentée : c'eft ainii qu'on fe jufti-
fioit de part ôc d'autre.
Cependant le duc deGuife, malgré les rigueurs de l'hiver. Guerre
avoit traverfé les Alpes avec fon armée. Après avoir pris fon Italie'
chemin par Turin , Chivas 3 ôc Santià , ôc être arrivé avec la
plus grande partie de fes troupes à Tricerro , entre Vercelli ôc
Trino , il paffa le Pô près de Cafal , ôc fit tranfporter le refte de
fes troupes fur autant de bateaux que l'on en put trouver, juf-
qu'à Pontefture. Il y avoit un an que le duc d'Aîbe avoit fait
fortifier cette place, lorfque nous nous fumes emparés deVoî-
piano. Après l'avoir munie de tout ce qui étoit neceffaire pour
en
8o HISTOIRE
fa défenfe , il en avoit donné le gouvernement à Emanuel
tt tt de Luna : la garnifon fit plusieurs forties , ôc on fe battit plu-
- _ fieurs fois 5 mais les nôtres > dont le nombre étoit beaucoup
plus grand 3 eurent toujours l'avantage.
L'armée du duc de Guife étoit compofée de douze mille
hommes de pied , dont il y avoit fept mille François , ôc cinq
mille Suifles ou Grifons. Sa cavalerie confiftoit en quatre cens
gens Gendarmes ôc huit cens Chevaux-legers , fous le comman-
dement de Claude de Lorraine duc d'Aumale , frère ôc Lieute-
nant du duc de Guife. Les principaux capitaines étoient Jac-
que de Savoye duc de Nemours , qui commandoit l'infante-
rie Françoife, René de Lorraine duc d'Elbeuf aufli frère du duc
de Guife , ( il étoit à la tête des Suiffes ôc des Grifons ) Fran-
çois de Cleves , François de Vendôme Vidame de Char-
tres > Claude de la Chaftre , jeune alors , ôc qui depuis de-
vint un très-grand homme de guerre, Gafpard comte de Nan-
çay fon frère , ôc quantité d'autres de la première dimn£tion ;
comme Philibert de Marcilly Sipierre > Gafpard de Sault
Tavannes , Boniface de la Mole , tous trois Maréchaux de
Camp.
On demanda des vivres aux habitans du Bourg - Fulvien ,
qui de fon ancien nom s'appelle encore aujourd'hui Valenza.
Ilsenrefuferent, ôc la garnifon joignant à ce refus une réponfe
peu civile , tira même des coups d'arquebufe , dont quelques-
uns des nôtres furent bleflez. Le duc de Guife extrêmement
irrité de es procédé, pour en tirer vengence, fit faire à la hâte
une plate-forme plus haute que les murs de la Ville , fit ap-
procher du canon , ôc après avoir battu la place durant cinq
jours , fit brèche à la muraille : alors le comte Alexandre de
Carpegne , ôc Horace Spolverino de Vérone , qui étoient dans
la Ville avec trois compagnies d'Italiens ôc de Grifons , furent
fommez de fe rendre ; ce qu'ayant refufé , les Gafcons mon-
tèrent à l'aflaut : les Suifles ôc la cavalerie réitèrent dans le
camp pour la garde de l'artillerie. Les nôtres à la première
attaque emportèrent la ville , ôc fe mirent à crier, vive le Pape:
Ceux qui étoient dedans fe rendirent après une légère réfiftance,
le 20 de Janvier. Les Efpagnols qui étoient dans la citadelle
fuivirent cet exemple. On renvoya les foldats après les avoir
defarmés , Ôc les murailles de la ville furent rafées : mais le
Pape,
DE J. A. DE THOU , L i v. XVIII. 81
Pape , fous le nom duquel fe faifoit la guerre , voulut qu'on ..
confervât la citadelle. Henri II
La nouvelle de l'entreprife de Douay Ôc du pillage de Lenz, ç .
n'étant pas encore répandue en Italie , le Cardinal de Trente
envoya au duc de Guife, pour lui redemander Valenza, com-
me ayant étéprife durant la trêve. Ce Général répondit , qu'il
n'y avoit plus de trêve , 6c que les Impériaux l'avoient rom-
pue , en faifant tirer fur fes gens , dont il y en avoit eu plu-
fieurs de bleffez : qu'outre cela, comme les troupes qu'il corn-
mandoit n'appartenoient pas au Roi , mais au Pape , à qui il
étoit très permis de leur faire la guerre y puifque Philippe la
lui faifoit très-injuftement dans la Campagne de Rome, il n'a-
voit qu'à s'adreffer à fa Sainteté.
Les ennemis attribuèrent la perte de Valenza au comte
Alexandre de Carpegne , quoiqu'il fût pris ôc bleffé , ôc aux
officiers de la garnifon : le marquis de Pefcaire fit même faire
le procès à ceux-ci , ôc les fit condamner à mort. Le comte
de Carpegne en rejetta la faute fur les Grifons , qui avoient
pafTé dans le camp des François , ôc fur quelques Italiens , que
la peur avoit tellement faifis , qu'ils s'étoient précipitez du haut
des murailles fans combattre.
Le duc de Guife ayant refté quelques jours à Valenza, prit
la route de Plaifance > ôc après avoir laiffé Briffac dans le Pié-
mont avec peu de troupes , il mit une bonne garnifon dans
Santià , dont il donna le gouvernement à Louis de Biragues.
Ce dernier étoit d'avis , que puifque la trêve étoit rompue , on
devoit aller droit à Crémone , ôc que n'y ayant qu'un très-
petit nombre d'Efpagnols pour défendre cette place , la prife
n'en feroit pas difficile j qu'il feroit à propos enfuite de met-
tre vers l'embouchure de l'Adda quatre mille Grifons, dont
le payiseft limitrophe, pour fermer lepaffage aux troupes auxi-
liaires d'Allemagne , que le Roi Philippe faifoit lever j que de
là , fi nous voulions faire la guerre en toute fureté , on ne
devoit pas différer de conduire l'armée dans le Milanez ,
pour unir cette belle Province , alors dépourvue de tout
îecours , avec le Piémont , qui étoit déjà en nôtre puiffance ;
qu'il falloit même s'emparer de Milan , où le cardinal de Trente
étoit réduit à de fâcheufes extrêmitez : il ajouta que nous ne
Tome III. h
Bz HISTOIRE
i^11 ""■""? pouvions laifïer cette Province derrière nous , fans faire une
Henri II. faute confidérable.
1 S S 1' ^e 1"aconteraià Ce fujet une circonftance dont je me reflbu-
viens. Lorfque Paul de Foix-Carmain (homme aufïi iiluftre
par fon rare fçavoir , que par fa haute naiffance , 6c fa pro-
bité fans égale) alla à Rome par ordre de Henri III, le car-
dinal de Trente le reçut à Suriano, maifon de plaifance hors
de la ville , & là il lui dit en ma prefence , avec fa politeffe
ôc fa franchife ordinaires , qu'il avoit de grandes grâces à ren-
dre à Dieu , de s'être tiré toute fa vie fort heureufement de
plufieurs affaires honorables ôc difficiles qu'on lui avoit con-
fiées , foit dans la paix , foit dans la guerre? mais particuliè-
rement de ce qu'après la prife de Valenza , lorfque tout le payis
étoit faifi d'effroi , le duc de Guife n'avoit point tourné fes ar-
mes contre lui : car , ajoûta-t-il , je manquois pour lors de
troupes t d'argent , ôc généralement de tout. En effet , il n'y a
pas de doute , que fi le duc de Guife eût marché de ce côté-
là, il n'eût réduit cette Province fous fa puiffance, foit par la
force, foit à la faveur des conjonctures.
Les trou- Mais ce Général , méprifant de fi fages confeils > ne fuivit
^oint™1^0 ei Clue ^es av*s ^U carcunal de Lorraine fon frère , dont l'efprit,
les du Pape rempli de vaftes idées , s'étoit formé des chimères , ôc ceux
portent la ^u carc|mal Caraffe , qui , ne confultant que fon ambition ôc
guerre dans le ,, r . * • i j • r >\
royaume de 1 eiput de vengence qui le dominoit , ne iongeoit qu a por-
Napk-s. ter la guerre dans le royaume de Naples. Ainli, après avoir
pafTé le Tanaro , ôc pris fa route vers Tortone , il entra fans
aucun obftacle dans le payis de Plaifance ôc de Parme s car
quoi qu'Ottavio eût fait fon accommodement avec l'Empe-
reur ôc le roi Philippe , bien loin de nous témoigner en au-
cune façon, qu'il fût notre ennemi , fes fujets au contraire
fournirent abondamment nos troupes de tout ce qui leur étoit
néceffaire. Le duc de Guife continuant fon chemin par la
voye Emilienne , alla joindre le duc de Ferrare, qui l'atten-
doit au commencement de Février, dans le territoire de Reg-
gio , auprès du Pont de Nice , aujourd'hui appelle Ponte ai
Lenza.
L'armée du duc de Ferrare étoit de fix mille hommes d'in-
fanterie , ôc de huit cens chevaux bien armez : il étoit à la
DE J. A. DE THOU, Lrv. XVÎIL S?
tête de fes troupes rangées en bataille , couvert d'une cotte .
d'armes fort riche > il avoit fur fa tête un cafque enrichi de „ TT
D n.' i J' W J> ' J> - a.*- HENRI II.
pierreries , que I on eltimoit plus d un million a ecus a or ; oc
pour furcroît de magnificence , il étoit fuivi de la première > * ' "
Nobleffe à cheval , dont les armes brillantes , expofées au fo-
,leil, ébloùiffoient tous les yeux. Dès que le duc de Guife eût
apperçu le duc de Ferrare , il mit pied à terre , ôc lui offrit de
fon propre mouvement, 6c au nom du Roi, le Bâton, pour
marque du fouverain commandement. Le duc de Ferrare ne
defcendit point de cheval , ôc reçut le duc de Guife, à mon
avis, plutôt comme un gendre, que comme le Général d'une
armée royale. De-là, ils allèrent à Reggio , où en préfence
du cardinal Caraffe , que le Pape avoit envoyé au duc de Fer-
rare , ôc de Jean de Gabre , évêque de Lodeve , ambaffadeur
du Roi à Venife , ils tinrent confeil touchant la guerre qu'ils
alloient commencer.
Le duc de Ferrare trouvoit à propos qu'on ne la fît pas
loin de chez lui , ôc qu'on menât l'armée droit devant Cré-
mone , qui fuivant le traité, devoit être remife entre fes mains :
BrifTac ôc Biragues avoient été de ce même avis. D'autres
confeilloient de s'emparer de Parme , ôc même le duc de
Ferrare n'étoit point éloigné de ce fentiment; mais le duc de
Guife n'y voulut point confentir, parce qu'Ottavio Farnefe,
gardoit encore le collier de l'Ordre , ôc qu'il n'avoit pas en-
tièrement renoncé au paru de la France. Fourquevaux , qui
avant la bataille de Marciano avoit conduit dans la Tofcane
un fecours d'Allemands, étoit auffi dans ce Confeil : il foutint
que pour affùrer nos affaires en Italie, ôc faire quelque chofe
d'avantageux pour la guerre que nous allions porter dans le
royaume de Naples , nous devions nous emparer de Sienne ,
rendre la liberté à cette République, ôc tandis qu'il n'y avoit
qu'une foible garnifon pour fa défenfe , profiter de la mésin-
telligence, qui étoit entre Corne de Medicis ôc le cardinal
de Burgos. Mais le duc de Guife , ébloui ÔC comme en-
chanté des belles idées de fon frère ôc des vaines promeffes
des Caraffes , demeura toujours ferme dans fon fentiment ,
ôc foûtint avec le cardinal Caraffe que , fans tarder davan-
tage , l'on devoit partir pour le royaume de Naples.
Le duc de Ferrare, qui> fuivant le traité, devoit être chef
Lij
84 HISTOIRE
de cette guerre , n'efpéroit rien d'heureux d'un defTein fi am-
Henri II bitieux & fi téméraire ; au contraire , craignant que tandis qu'il
j f : - feroit éloigné avec fes troupes, il ne fût attaqué chez hn, d'un
côté par Ottavio Farnefe ôc par la garnifon de Milan , ôc de l'au-
tre par Corne de Medicis , il réfolut de refter dans fes Etats.
Ainli , quoique lui pût dire le cardinal CarafTe , il ne changea
point d'opinion, ôc fe contenta, fuivant le traité, de donner
du canon , de la poudre , Ôc d'autres munitions de guerre.
Le duc de Guife ayant pris congé de Ion beau-pere , par-
tit avec le cardinal CararTe , pour fe rendre à Boulogne : le
peuple l'y reçut en apparence avec de grandes démonftrations
de joye j mais ce Général s'appercevant qu'on n'avoit rien
tenu de ce qu'on lui avoit promis , ôc que l'infanterie n'étoit
pas encore arrivée, il en fit de grands reproches au cardinal
CararTe. Celui-ci, pour fe juftifier , s'excufa fur le peu de tems
qu'il avoit eu , ôc l'affûra qu'Antoine Tiraldo levoit actuelle-
ment douze mille hommes dans la Marche d'Ancone.
Cependant le duc de Ferrare ayant laifie à l'armée Alfonfe
fon fils , partit pour Venife. A fon arrivée , le Sénat vint au-
devant de lui fur le Bucentaure , où après l'avoir reçu magni-
fiquement , on le conduifit dans fon Palais le 8 de Mars. Il eut
trois conférences fecretes avec le Doge ôc avec des Députez du
Sénat. Il leur dit ; Que la fidélité qu'il devoit au Pape , à
qui l'on faifoit la guerre , jointe à l'étroite alliance qui
étoit entre lui ôc la France , ôc enfin les injures qu'il avoit
reçues du roi Philippe , étoient les motifs qui l'avoient engagé
à foufcrire au traité. Mais leur ayant demandé leur avis fur ce
fujet, ils lui répondirent feulement, qu'il avoit affez de pru-
dence , ôc affez d'expérience dans les affaires , pour fçavoir
ce qui étoit de fes intérêts , ôc pour fe pafîer de confeil.
Du refte , ils l'affûrerent qu'ils feroient toujours conftans
dans l'amitié que la Republique avoit entretenue jufqu'a-
lors avec lui , ôc avec fon père. Le duc de Ferrare par-
tit enfuite j ôc à fon retour, pour ne paslaiffer fon armée dans
l'inaction , il ordonna à Alfonfe fon fils de s'emparer de San-
Martino , qui par le départ de Sigifmond de Gonzague pour
Milan , étoit à la garde de quelques Efpagnols. Alfonfe ,
fuivant les ordres de fon père , après avoir réduit San-Martino ,
ôc s'être emparé encore de Nuvolara ôc de Rollo , y mit de
DE J.A. DETHOU,Liv. XVIII. 8?
bonnes garnifons ; il alla enfuite à Corregio , où après avoir -•
ravagé les terres d'alentour , parce que quelques Seigneurs Henri IL
de cet endroit, qui auroient pu être neutres, avoientreçu de- 1557.
puis peu des troupes Efpagnoles, ilailiégea Guaftalla, qui ap-
partenoit à Ferdinand de Gonzague 5 mais fon père l'ayant
rappelle , il ne pourfuivit pas fon entreprife.
Le duc de Guife ôc le cardinal Caraffe tinrent confeil à
Boulogne , pour fçavoir par où l'on entremit dans le royaume
de Naples. On propofa quatre routes différentes ; la première}
que les François avoient autrefois vainement effayé de prendre,
par San-Germano , du tems de Gonzalve * le Grand : mais cette * Gonzalve
route fut trouvée trop dangereufe , à caufe qu'il falloit paffer ^e Cordoiie>
^ ro t iip au • iurnomme le
près de Frofolone & d Anagni , que le duc d Albe avoit ex- grand capî-
trêmement fortifiées : la féconde par Tagliacozzo ( ville de la taine'
dépendance des Colonnes , fituée à la droite du lac de Ce-
lano 3 quand on vient de l'Abruzze par Vicovaro l , que la
nailTance de Marc - Antoine Coccius Sabellicus a rendu
célèbre) ôc par l'abbaye de Subiaco ; mais cette route fut en-
core trouvée trop rude à caufe de fes montagnes , aufli bien
que la troiliéme , qui mené , par Civita-Ducale , à Rieti. Il
fut donc réfolu qu'en côtoyant la mer , on prendroit une rou-
te unie ôc aifée , qui conduit par Fermo , Afcoli , Civitel-
la , ôc Giulia-Nova 5 car outre que ces places étoient le ren-
dez-vous des troupes de Tiraldo , on s'ouvroit aufïi par là un
chemin dans la Poùille , payis fertile ôc abondant en toutes
chofes. Ce deffein ayant été pris , le duc de Guife partit de
Boulogne , avec le cardinal Caraffe , pour aller à Imola ôc à Ra-
venne ,.ôc de là prenant fon chemin par la Marche d'Ancone
il paffa à Faenza, Forli, Cefena, ôc enfin arriva à Rimini, où
Paul Jourdain chefdelaMaifon des Urfins, Ôc gendre de Co-
rne de Médicis , fe joignit à lui par les ordres du Pape,
Ce Général ayant enfuite donné ordre que l'armée prît le de-
vant jufqu'à Gefi, il alla à Pefaro pour conférer avec le duc
d'Urbin 3 aufli-tôt après, il fe rendit en pofte à Rome , avec
le cardinal Caraffe, pour faluer le Pape,
Cependant le ducd'Albcfur le bruit de l'arrivée du duc de
Guife, fit partir Afcanio de la Cornia, pour vifiter les places
qu'il avoit donné ordre de fortifier aux environs de NarfTes >
1 Cette ville s'appelle par les uns Valmi vicus , 8c par les autres Varonis vicut*
L iij
$6 HISTOIRE
-■*— -s-gg ôc après avoir mis en garnifon dans les places de l'Abruzze
Henri IL les troupes Efpagnoles & Allemandes , qui étoient dans la cam-
» 5* ? 7. Pagne de Rome, il partit lui-même avec peu de fuite , le n
d'Avril, ôc alla à grandes journées à Sulmone , ôcde là à Chie-
ti ôc à Atri. Ayant ralluré ces peuples ôc envoyé à Civi-
vitella le comte de Santa-Fiore , qui s'étoit chargé de défen-
dre cette place , il revint à Sulmone , où il affembla toutes fes
troupes , tant la cavalerie que l'infanterie , qui étoient répan-
dues en difrerens endroits.
Charle Loffredo , jeune homme d'un grand courage ,
étoit dans Civitella, où le marquis de Trivico fon père l'avoit
laifTé,avec douze cens Italiens, ôc deux enfeignes de gens du
payis. Le comte de Santaliore, après avoir fait une diligence
incroyable , ôc avoir couru grand rifque d'être arrêté par les
François , arriva enfin dans cette ville , accompagné de Fran-
çois de Porto , ôc de trente chevaux-legers : fa préfence raffura le
peuple, quiprenoit déjà l'épouvante, au bruit du fiége dont la
ville étoit menacée ; car nos troupes ayant paffé Fermo Ôc
Afcoli s'étoient jointes à celles du Pape. Lorfque les deux ar-
mées furent afTemblées , Tiraldo > qui commandoit celle du
Pape campa le 17 d'Avril devant Campli, avec quinze cens
hommes de fes troupes , ôc cinq cens des nôtres. Cette Ville,
à trois milles de Civitella , eft divifée en trois parties , qui fem-
blent former trois villes. Le duc de Guife ayant fait fçavoir
aux habitans , qu'il étoit envoyé pour procurer leur liberté ôc
celle de tout le Royaume, leur ordonna d'ouvrir leurs portes.
Les habitans ayant refufé d'obéir , ôc ayant même fait quel-
ques actes d'hoftilité, nos troupes plantèrent aufïi-tôt des échel-
les, ôc montèrent à l'affaut , du côté qui regarde la citadelle.
Les afïiégez les repouflerent d'abord avec un grand carnage >
mais nos troupes , loin de fe rebuter , irritées de cette réfiftan-
ce , revinrent à la charge avec plus d'ardeur ôc de furie , ôc
foutenuës des alliez, qui vinrent de tous cotez à leurs fecours,
ils emportèrent la ville l'épée à la main. Sans diftinclion d'âge
ni de fexe , ils mirent tout à feu ôc à fang : les religieufes mê-
mes ne furent pas à couvert de la violence du foldat. Quel-
ques habitans cependant , mais en petit nombre , qui purent
fe mfrober à la première fureur des vainqueurs , s'étant retirez
dans Nocella ( ainfi fe nomme l'une des parties de la ville )
DE J. A. DE THOU , Liv. XVIII. 87
furent traitez enfuite avec moins de rigueur. Le butin que - ,
Ton y fit fut très-confidérable , & fut eftimé, félon letémoig- Henri II
nage d'Aleffandro Andréa1 , plus de deux cens mille écus d'or.
Nos gens trouvèrent, fous les ruines des murs ôc des maifons,
des richeffes prodigieufes , dont les habitans n'avoient pas mê-
me de connoiffance. On trouva aufîi quantité de vivres , pour
rafraîchir le foldat.
Nos troupes, après la prife de Campli, firent des courfes juf-
ques aux portes de Civitella, prefqu'en même-tems que San-
tafiore s'y rendit par l'ordre du duc d'Albe. Teramo fe rendit
enfuite aux François , qui par des courfes Ôc des degats con-
tinuels portèrent la défolation dans la Vallée-Sicilienne , ôc
pillèrent Colonnella , Contraguerra ; Corropoli , ôc Giulia-
Nova. Cependant on n'étoit point oifif devant Civitella : les
fréquentes forties de la garnifon , fous la conduite de Charle
Loffiredo, occafionnoient tous les jours quelques efcarmou-
ches. Les chofes étoient en cet état , lorfque le duc de Guife,
après avoir attendu long-tems l'armée du Pape , partit le 24.
d'Avril de Fermo > accompagné du marquis de JVlontebeîlo.
A fon arrivée il réfolut , pour conferver fa réputation ■ ôcpour
le foulagement de fes alliez , de tenir plutôt l'armée en payis
ennemi , que dans le leur; ce fut pour cette raifonque ce Gé-
néral mit le fiége devant Civitella. Les huit premiers jours du
fiége fe pafferent 3 ou à reconnoître la place , ou à faire avan-
cer l'artillerie : on drefla enfuite la batterie fur une hauteur >
entre l'orient ôc le midi.
Civitella eft fituée dans un endroit de l'Abruzze , appelle Siège de Ci-
Caraceni, elle eft bâtie fur une colline rude ôc fort efcarpée alîc deGiiifc.
du côté du Nord rune de fes portes regarde le Golfe de Ve-
nife. Il y avoit autrefois au bas de cette colline une citadelle
flanquée de cinq baftions 5 mais les habitans la ruinèrent à l'ar-
rivée de Charle VIII. en Italie , pour ne pas être expofés au
pillage , par i'infolence de la garnifon. Du côté du Couchant j
que cette Ville eft plus en pente, la rivière de Librata,qui
prend fa fource près de l'Apenin & de Cerqueto , lave fes
murs ; ôc après avoir ferpenté dans la vallée à qui elle donne
fon nom , elle fe décharge dans la mer , non loin de San-
1 Aleffandro Andréa Hifîorien de ce tems là.
88 HISTOIRE
i ■ Egidio r. Un peu au-deflbus de cette rivière, il en pafle un
Henri IL autre» appelléele Salinello, qui laiflant Tortoretto à gauche,
j - ^ _ prend fon cours par Giulia-Nova.
Nôtre grofle artillerie étant placée comme nous avons dit,
du côté qui regarde l'Orient Ôc le Midy , foudroya cet endroit
ôc le battit en ruine. Nos troupes cependant ne purent mon-
ter à l'aflaut ; car outre que la colline eft fort roide en cet en-
droit , les pluies exceflives qui étoient tombées , avoient ren-
du le chemin gliflant ôc impratiquable. Ce ne fut pas le
feul mal que nous cauferent ces pluies: elles nous firent en-
core plus de tort , par l'avantage qu'en retirèrent les afliégez >
car n'ayant dans la ville que quelques citernes ôc qu'une fon-
taine, que le marquis de Trivico y avoit fait renfermer , ils
fouffroient une grande difette d'eau. Mais tandis que le duc
de Guile dirTeroit à donner l'aflaut , les afliégez travailloient
nuit ôc jour à reparer les brèches : les femmes s'y portoient
avec le même courage que les hommes î ôc bien que l'on en
tuât un grand nombre , les autres , fans s'épouvanter de la mort
de leurs compagnes , prenoient les armes de leurs maris ; ôc
pour perfuader à l'ennemi que la garnifon étoit plus nombreufe,
elles bordoient hardiment les murailles. Il y avoit outre cela
dans la place quelques petites pièces d'artillerie , que le mar-
quis de Trivico avoit fait venir d'Aquila avant le fiége : com-
me elles étoient fort légères, le comte de Santafiore les faifoit
tranfporter , tantôt à un endroit, tantôt à l'autre, avec tant de
promptitude, qu'il fembloit que toutes les murailles delà ville
fuflent bordées de canons. Leur feu continuel incommoda
fort nos troupes ; la plupart de nos batteries en furent démon-
tées , ôc plusieurs de nos canoniers furent tués.
Le duc de Guife, pour ne pas biffer fes troupes expofées
plus long-tems à ce grand feu des ennemis , fit tranfporter fa
batterie du côté qui regarde les montagnes , ôc où étoit la ci-
tadelle. Enfuite à l'entrée de la nuit , ayant fait conftruire une
machine roulante , avec des manteiets ôc des blindes , qui met-
toient les troupes à couvert du canon des afliégez , il fit
i M. de Thou l'appelle Egidïi fa-
mtm : il faudroit peut-être lire Turtu-
ïemm , félon Alefj. Antlrsa p. 3<J. parce
que fan - Egidio eft aiïes loin de la
mer. Il eft vrai pourtant que Torre' eft
plus près dç la mer que Tortoretto.
approchée
DE J. A. DETHOU,Liv. XVIII. S9
approcher de la muraille deux mille arquebufiers. Nôtre artille-
rie commença alors à battre la citadelle. Le comte de Santafiore Henri IL
y étant accouru , le duc de Guife , environ fur le minuit , fit j ^ <- ~
montera l'aÛàut pour forcer un endroit défendu de tous cotez
par des basions, ôc que les afliégez avoient fortifié par un
foffé creufé au-dedans de la place. Cette attaque fut foûtenue"
avec beaucoup de courage par Angeîo Morro , Virgilio Florio,
6c ïullio citoyen de Civitella , qui commandoit la jeunefïe de
îa ville i 6c nous fumes repouffez : leur deffein étoit de fe tenir
en-deçà du rempart , ôc de laiffer avancer les François entre la
brèche 6c le foffé , efpérant les accabler , 6c les enfer mer
de tous cotez dans un lieu auiïi defavantageux. Mais Santa-
fiore ne fut pas de cet avis ; craignant que les afliégez ne per-
diffent courage en voyant l'ennemi dans la ville , ôc que d'un
autre côté les François ne fiffent de nouveaux efforts , il ne
voulut pas rifquer de donner par fa faute un avantage à l'en-
nemi , qu'il ne pouvoit fe procurer lui-même : il envoya donc
Riecio de Cardino , pour leur dire de défendre la brèche, 6c
d'empêcher nos troupes d'y monter. Tandis qu'ils déliberoient,
il y courut lui-même fuivi de foixante Arquebufiers, 6c trou-
vant à fou arrivée un de nos foldats qui étoit déjà monté : il
le tua d'un coup d'hallebarde 5 fa préfence 6c fon exemple ani-
mèrent fes gens à bien faire. Le combat fut très-meurtrier par
la valeur des uns 6c des autres ; mais nos troupes en butte aux
pierres ôc aux feux d'artifice , que les ennemis leur lançoient
du haut des murailles, ne purent long-tems foûtenir leurs ef-
forts : ceux mêmes qui étoient à couvert fous les blindes en
étoient écrafés. A cette vûë le duc de Guife fit fonner la re-
traite. Il perdit en cette occafion plus de deux cens François :
le nombre des bleffés fut égal. Cupigny ayant eu la cuifTe rom-
pue, 6c étant reftéprefque enfevelifous les débris delà muraille,
fut reconnu à fa voix par les afliégez , qui l'emportèrent dans
la ville. Le duc de Guife y foit qu'il fut étonné du mauvais
fuccès de cette entreprife > foit qu'il fut irrité contre les Ca-
raffes , de ce qu'ils ne donnoientpas le fecours qu'ils avoient
promis , fe plaignit fort du Pape au marquis de ÂIontebelIo>
6c des plaintes , étant paffé tous deux aux injures 6c aux repro-
ches , ils fe féparerent peu amis. Sur ces entrefaites , Antoine
Cararïe ayant laiffé le duc de Guife à l'armée , alla en pofte
Tome III. M
9o HISTOIRE
■» à Rome ) où après avoir conféré avec le cardinal CarafTe fon
Henri II Parent > ^ur ^e fecours qu'on pouvoit attendre des François 3
l - f ils confulterent enfemble fur leurs intérêts particuliers.
Cependant Antoine Doria , capitaine très-expérimenté, ôc fur
d'Albe vient tout dans ce 9U^ concernoit la Marine, vint à Sulmone , 6c
au fecours de de - là fe rendit à Chieti avec le duc d'Albe , pour faire la re-
a p ace. v^ ^ç$ troUpes qUj aVoient ordre de s'affembler en ce payis-
là. Leur armée étoit compofée de trois mille Efpagnols, vieux
foldats, commandez par Sancho de Mardones 5 de dix-huit
cens Allemands, fous la conduite de Gafpard de Feltz 5 de
quatre mille Allemands arrivez depuis peu de Lombardie ,
fous le commandement d'Alberic de Lodron ; d'environ huit
- cens Siciliens , ou Calabrais , qui avoient pour chefs Aniiibal
de Gennaro > les comtes de Nicotera, Ôc de Seminara, Saîva-
dore Spinello ôc Cicco de Loffredo ; ôc de trois mille Italiens
commandez par trente capitaines Napolitains, qui avoient cha-
cun cent hommes fous eux , comme les anciens Centurions.
Outre cela le duc d'Albe avoit mis iix mille hommes d'infan-
terie dans les garnifons de l' Abruzze , dans Chieti , dans Atri ;
Ôc dans Civitella. La cavalerie étoit compofée de quinze cens
Chevaux -légers, commandez par Jofeph Cantelmo comte
de Popoîi , ôc de feptcens Gens-d'armes, aux ordres de Puerto
Carrero Mettre de Camp.
Leduc d'Albe j à la tête de toutes ces troupes, avoit d'abord
deiTein defe camper furies bords de la Pefcara , après en avoir
fait rompre les ponts. Mais voyant le duc de Guife attaché
au fiége de Civitella, ôc d'ailleurs fe trouvant plus fort en in-
fanterie , ôc égal en cavalerie > il réfolut d'aller au-devant de
l'ennemi. Cependant avant de quitter Chieti ôc Atri , foit qu'il
ne jugeât pas que ces places euiTent befoin d'une forte garni-
fon i foit qu'il fe défiât des Gouverneurs , il en tira le mar-
quis de Bucchianico , ôc le comte de Matelone avec toutes
leurs troupes: il mit en leur place dans Atri Tiberio Brancca-
cio , ôc à Chieti Jean-Baptifte de la Tolfa , père de François
qui avoit été blelTé au liège d'Oftie , capitaine au refte qui s'é-
toit diftingué par fa valeur ôc fa fidélité du tems de Lautrec.
Le duc d'Albe ayant fait venir enfuite de la Poùille par mer
quantité de canons ôc d'autres munitions de guerre , partit le
1 o de Mai des bords de la Pefcara. En deux journées il arriva à
DEJ. A. DE T HO U, Liv. XVIII. pi
Atri , ôc le lendemain il campa auprès delà rivière d'Umano* ^
Ce fut -là que ce Général mit fon armée en bataille. LesEf- Henri 11.
pagnols 6c les Allemands étoient à la tête ; l'infanterie Italien- 1 S S 7-
ne au milieu ; le comte de Lodron avec fes troupes formoit le
dernier corps 5 la cavalerie légère étoit en partie à la tête , en
partie fur les ailes , 6c les gendarmes formoient l'arriere-garde.
Le duc d'Albe ayant ainli rangé fes troupes, pour éprouver le
courage du foldat , fit crier aux armes , comme fi l'on eut ap-
perçu l'ennemi : s'étant de cette manière afTùré de leur ardeur ,
il partit avec plus de confiance , pour faire lever le fiége de
Çivitelia.
D'un autre côté, le duc de Guife , qui craignoit l'arrivée de
l'ennemi, prefibit le fiége avec beaucoup de vigueur. Il avoit
renverfé une tour, qui reftoit encore de l'ancienne citadelle rui-
née , 6c fait à la muraille une brèche large de plus de foixante
pas 5 il réiblut alors de faire donner l'affaut du coté qui étoit
fans défenfe, quelque difficile qu'il parut d'y monter: mais con-
jecturant que les alliégez fe feroient infailliblement retranchés
de ce côté~là > il ordonna à cinq cens Arquebufiers , qu'il fit
couvrir de grands facs pleins de laine , de s'emparer du fom-
met de la colline , 6c de s'y fortifier en diligence , afin de fa-
tiguer les afîiégez par le feu continuel qu'ils feroient , 6c les
obliger par là à fe rendre. Ce deffein n'eut aucun faccès :
les ennemis , outre une grêle de pierres qu'ils lançoient fur les
nôtres , firent un fi grand feu de leur artillerie, que nos Arque-
bufiers ne purent rien faire 5 6c peu s'en fallut même que le
duc de Guife n'y fut tué en defcendant de cheval. Ce malheur
fut encore fuivi d'un autre ; le comte de Santafiore dans une
fortie qu'il fit pendant la nuit, après nous avoir tué 6c blefTé
beaucoup de monde, nous enleva les facs de laine , les pelles ,
les hoyaux , les marteaux, 6c tous les autres outils 6c inftrumens
qui fervent pour une attaque.
Comme on ne parloir d'autre chofe que de l'arrivée du
duc d'Albe , 6c que la renommée faifoit fes troupes en-
core plus nombreufes qu'elles n'étoient en effet, le duc de
Guife i pour être mieux informé , envoya trois cens Che-
vaux-légers, 6c cent Gendarmes , pour feconnoître l'enne-
mi. Ceux-ci fe rendirent à Turtureto , 6c la cavalerie légère
fe pofta à Giulia-Nova , ville peu éloignée de la mer ,
p2 HISTOIRE
dont la fimation eft fur une éminence à dix milles d'Umano £
tt II dans un territoire fertile, ôc abondant en vivres ôc en bois.
Le duc d'Albe, à qui cette démarche fit penfer que le duc
' de Guife , au cas qu'il levât le fiége de Civitella , avoit'choifï
cette ville pour fe retirer avec fes troupes , réfolut de le pré-
venir ; à cet effet il envoya le comte de Popoli , & D. Gar-
de de Tolède , avec trois mille hommes d'infanterie Efpa-
gnole , deux cens Gendarmes, ôcfix cens Chevaux-legers , pour
furprendre nos troupes. Ces deux Capitaines décampèrent fans
bruit, la nuit même qu'ils apprirent l'arrivée des nôtres, ôc
après avoir paffé la rivière d'Umano , ils arrivèrent fur les bords
du Tordino , qui fe décharge dans la mer , à peu de diftance
de Giulia-Nova. Ce fut là qu'ils partagèrent leurs troupes ,
ôc que de concert; ils prirent deux routes différentes : le comte
de Popoli avec la cavalerie légère , après avoir fait un grand
tour , prit fon chemin à gauche , pour fe rendre dans un
endroit où il devoit fe mettre en embufcade : D. Garcie
de Tolède tournant fur la droite , prit la route de Turtureto ,
dans le deffein d'attaquer la place de ce côté-là , dans le tems
qu'il jugeroit que le comte de Popoli feroit arrivé à fon porte.
Ils avoient pris ces mefures , parce qu'ils efpéroient , que il
les ennemis , épouvantez à la première attaque , vouloient fe
retirer* par une porte de derrière > ils tomberoient infaillible-
ment dans Fembufcade , que Popoli leur avoit dreffée. Mais
ils prirent mal leurs mefures; Dom Garcie s'étant trop preffé>
nos troupes , averties de fa marche par les efpions , eurent le
tems de prendre les armes. Cependant quarante d'entr'eux
étant fortis de la ville, rencontrèrent un pareil nombre des
gens de Popoli , qui n'étoient pas arrivez encore à leur embuf-
cade. Ils en vinrent aux mains dans un endroit fort refferré*
nos troupes y eurent tout l'avantage 5 ôc après avoir fait pri-
fonniers Henrique commandant de la cavalerie Efpagnole ,
George de Lannoy capitaine de chevaux , Jean-Baptifte de
Capoùe y ôc André Roberto , les autres s'enfuirent avec d'au-
tant moins de honte , que la nuit couvroit leur fuite. Quoi-
que Popoli, à font arrivée , eût rétabli le combat, ceux néan-
moins qui étoient dans la ville , eurent le tems de prendre
leurs armes , ôc de fe retirer en toute fureté vers le gros de
l'armée.
DE J. A. DE THO U, L i v. XVIII. 93
Le lendemain , à la pointe du jour , les Efpagnols voyant -———*
que les François s'étoient retirez , entrèrent dans Giulia-Nova, Kenri II.
qu'ils mirent au pillage. Le duc d'Albe , dans la penfée que 15-5-7.
le duc de Guife accouroit pour fecourir fes troupes , y vint
lui-même avec toute fon armée qu'il rangea en bataille , ôc
y refta quelques jours.
Quoique les François fiflent valoir cet avantage aux yeux
des habitans de Civitella, ôc l'élevafTent fort au-deffus de la
vérité , les aiîiégez cependant n'en montrèrent pas moins de L! âac dc
courage à fe bien défendre. Le duc de Guife fuivit alors l'avis fiége* eve c
de Pierre Strozzi, qui depuis peu de jours étoit arrivé au camp
avec le duc de Paliano. Voyant fon armée diminuée de moi-
tié, ôc fes forces inférieures à celles du duc d'Albe , il jugea
à propos de lever le fiége ; ainli deux jours avant fon départ ,
ayant fait partir l'artillerie ôc le gros du bagage , il s'éloigna de
la place le 1 $ de Mai. Ce Général , pour favorifer la retraite
de fes troupes , demeura à l'arriere-garde , avec un efcadron
de cavalerie d'élite 5 ôc comme il prévoyoit que la garnifon ne
manquerait pas de le venir charger dans fa retraite , il drefïa
habilement une embufcade. Ce qu'il avoit prévu arriva : quel-
ques foldats étant fortis , fans l'ordre de Santafiore , furent dé-
faits, ôc Santafiore lui-même y étant accouru, tomba dans la
même embufcade , ôc perdit vingt-cinq hommes. La perte
qu'il fit dans cette fortie , fut plus grande que celle qu'il avoit
faite pendant tout le cours du fiége. C'eft ainfi qu'on fe re-
tira de devant Civitella , vingt-deux jours après l'avoir affié-
gée : il y fut tiré , fuivant la fupputation de quelques curieux,
huit cens coups de canons.
Tandis que nos troupes Ôc celles du Pape faifoient fi peu Guerre <Lim
de progrès dans le royaume de Naples y les ennemis n'étoient *a T°fone,
pas oififs dans la Tofcane , ôc dans la Lombardie. Corne ,
qui avoit bien prévu que la guerre entreprife pour le Pape
donnerait lieu à la rupture de la trêve , avoit dès le commen-
cement envoyé en Allemagne Bernard de Graziny, avec de
l'argent pour lever trois mille hommes fous le commandement
de Jean-Baptifte d'Arco, qui devoit aufïi par ordre de Philippe
en lever quatre mille, pour envoyer dans le Milanez.
Le duc de Florence avoit mis outre cela deux mille hom-
mes de troupes étrangères en garnifon dans lesvilles de Prato, de
M iij
P4 HISTOIRE
-•■•• - Piftoia ; de Mugello , ôc d'Arezzo. Cependant Chiappino-
Henri II Vitelli , ôc Gabriel Serbellon ne ceffojent de parcourir la fron-
tière, afin d'être prêts en toute occafion à s'oppofer aux en-
treprifes des François. Les Allemands étoient déjà arrivez à
Cafal Maggiore, ôc de-là, après avoir obtenu du cardinal de
Trente quelques vivres , ôc s'être fait payer de leur folde, ils
dévoient paner par le Val de Tare, par Pontremoli , ôc Pietra-
San&a 5 d'un autre côté, le cardinal de Burgos gouverneur
de Sienne avoit donné ordre à Alvaro de Sandi , qui avoit
la principale conduite de cette guerre , de tirer fix cens hom-
mes d'infanterie des garnifons de Crémone , de Porto - Er-
cole , ôc des places voifines.
Blaife de Montluc , qui après la mort de fon fils, ôc lapri-
fe d'Oftie par Strozzi, étoit parti de Rome, arriva en ce tems-
là à Montalcino pour fucceder à Soubife, qui quittoit la pro-
vince : il découvrit à fon arrivée les pratiques fecretes du car-
dinal de Burgos pour furprendre cette ville. Cependant comme
il ignoroit beaucoup de chofes , Ôc qu'il faifoit tous fes efforts
pour pénétrer plus avant dans fes defleins, un certain Sien-
nois l'avertit en fecretde fe tenir fur fes gardes, ôc lui décou-
vrit l'endroit par où les ennemis avoient réfolu d'entrer dans
la place. Pour profiter d'un avis fi important , Jérôme Span-
nocchi par fon ordre fit des recherches , Ôc obferva tout ; après
une vifite très-exa£te de toutes les maifons voifines de la pla-
ce^ il trouva dans une vieille maifon inhabitée une grande
quantité d'échelles bien travaillées. En même-tems FeboTur-
co, habile fourbe ,vint trouver Montluc, ôc lui promit de l'a-
vertir de l'arrivée des ennemis: Montluc fe fiant fur la parole
de cet homme , donna ordre àlagarnifon de GroîTeto , de Chiufi,
ôc de Monticelld . de furprendre l'ennemi par derrière, tandis
que par une fortie qu'il feroit de la ville il l'attaqueroit de front.
L'ennemi n'ayant point paru , il connut la fourberie de ce Febo
Turco,qui fut mis en prifon dans la citadelleunais ayant percé le
mur il eut Tadreffe de fe fauver, ôc de fe retirer à Sienne.où il in-
forma le cardinal de Burgos de la découverte de fes deffeins.
Après toutes les précautions que les ennemis avoiert prifes,
ilscroyoient n'avoir rien à craindre de nous >lôrfqueMoretto3
Calabrois , qui étoit dans Monte-Pefcali-en-Maremma, s'em-
para adroitement de Chiufdino , ôc le fortifia autant qu'il put.
mtKWJ! •miiJIKJI
DE J. A. DE THOU, Liv. XVIII. <??
par les troupes qu'il y envoya de Groffeto , fous la conduite
ci'Afdcubal de Medicis. Dès que Sandi en eût eu avis.il y Henri IL
accourut avec trente enfeignes d'infanterie, cinq cens chevaux, \ < <nt
ôc trois pièces de canon. Montlucdefon côté partit aufïi-tôt
pour fecourir la place s'il étoit pofTlble : a fon arrivée à Mon-
tepefcali , qui eft à fix milles de Chiufdino , il envoya au fe-
cours Saint Génies lieutenant de la compagnie d'Avanfon,
avec trente arquebufiers , ôc autant de gens-d'armes chargez de
poudre j tandis que d'un autre côté il amufoit l'ennemi par ^
de légères efearmouches , ils entrèrent tous dans la ville fous
la conduite de Charry, à l'exception de cinq gendarmes. De
là Montluc revint en diligence à Montalcino , ôc le lendemain
voyant que Sandi s'attachoit au fiége de Chiufdino } il atta-
qua une tour qui étoit dans le voifinage y gardée par foixante
hommes. Après l'avoir battue un jour entier , avec unegroffe
pièce de canon , Ôc une coulevrine , la garnifon fe rendit fur
le foir , vie fauve. Il s'empara le jour fuivant de plusieurs châ-
teaux , qui incommodoient nos troupes ; après ces .petites
expéditions, comme la plupart des capitaines étoient d'avis
d'attaquer Buon-Convento , dans la crainte que Sandi , après la
prife de Chiufdino , ne mît le fiége devant M ontepefcali, Mont-
luc partit pour reconnoître la place. En même tems il donna
ordre de faire des courfes fur l'Etat de Sienne 3 ôc envoya à
cet effet le capitaine de Serres fon lieutenant , ôc Mario de
Santafîore, qui, avec le Grand-Prieur de Lombardie fon frè-
re, étoit rentré depuis peu dans les bonnes grâces du Roi:ils
rencontrèrent alors par hazard une compagnie d'infanterie,
qu'ils taillèrent en pièces. Le cardinal de Burgos, qui fedé-
fïoit de la fidélité des Siennois, en conçût une (i grande frayeur,
qu'il écrivit à Sandi de quitter tout , ôc de venir promptement.
Ce fut pour cette raifon que Saint Génies, ôc le lieutenant de
Moreto , quoiqu'il leur fut abfolument impoifible de défendre
Chiufdino , en fortirent à des conditions honorables.
Sandi,felon l'ordre qu'il en avoit,partit avec tant de diligence,
qu'à peine Montluc eut-il le tems de ramener fon canon. Il fe
glorifie cependant dans fes Memoires,d'avoir fagement prévenu
le péril , 6c de n'avoir pas été de l'avis des autres capitai-
nes, qui lui confeilloient d'attaquer Buon-Convento. Sandi
avoit repris auparavant Pienza. La garnifon qui étoit fous la
96 HISTOIRE
conduite de Faufto de Peroufe , avoit prefque toute été taillée
tt en pièces, quoiqueMario Santafiore combatîtlong-temspour
' favorifer fa retraite : les ennemis firent trente prifonniers , des
cornettes de Montluc , Ôc de Nicolas des Urfins comte de Pe-
tigliano i entr'autres Gourgues, très-brave homme, ôc qui depuis
acquitbeaucoup degloire dans~une expédition des Indesdes au-
tres fe fauverent àMonticello,à la faveur des troupes de Barthe-
lemi de Pezaro. Montluc ayant été averti que Sandi s'étoit mis en
chemin la nuit, à la lueur des flambeaux , pour furprendre Roc-
ca-di-Baldocco r,y arriva le premier avec leGrand-Prieur Santa-
fiore , après avoir donné ordre z à Entre- Cafteaux, neveu du car-
dinal de Tournon, de le fuivre avec fa compagnie armée à la lé-
gère. Sandi voyant fon entreprife découverte, revint fur fes pas.
Les François ayant fait prifonniers de guerre Mantillo ôc
Carillo , gouverneurs de Porto-Ercole , ôc de Buon-Con-
vento , ôc avec eux vingt foldats , parlèrent plufieurs fois de
îes échanger avec des nôtres , qui étoient retenus dans Pienzaî
mais les ennemis n'y voulurent point entendre ; ce qui fit ré-
foudre Montluc à reprendre cette place. Faufto de Peroufe ,
qui en avoit autrefois été gouverneur , lui apprit qu'on pou-
voit aifément furprendre Pienza , par un égoût ou il étoit fa-
cile d'entrer, ôc qu'il n'y avoit entre la ville ôc cet égoût qu'une
muraille , qu'on pourroit efcalader fans beaucoup de difficul-
té. Montluc partit donc la nuit avec fes troupes, bien réfolu
d'envenir à la force ouverte , fi la rufe ne lui réùfîiilbit pas
il étoit fuivi des compagnies d'Entre-Cafteaux , du capi-
taine Avanfon , ôc de LufTan , qui peu de tems après mou-
rut de maladie ; outre cela , trois cens hommes lui furent en-
voyez par le duc de Somme > qui ne pouvant fournir l'orgueil
ôc la perfidie des Caraffes , avoit quitté l'armée du duc de
Guife : Barthelemi de Pezaro lui en envoya cent de Monti-
cello. Le baron de Clermont , que le duc de Guife , à la prière
des Siennois , avoit fait revenir de Groffeto dans fon armée,
eût ordre de fe mettre en embufcade avec Blacon , ôc une
partie de la Cornette de Petigliano, dans les chemins qui font
2, Montluc la nomme la Roque de
Badoc,
i MontlucTappelle par méprife, An-
dré Cafteaux , au lieu d'Entre- Caf-
teaux , qui étoit fon véritable nom.
Il étoit fils d'une fœur du cardinal de
Tournon. M. de Thou l'appelle Tri-
caftrinus ; il devoit plutôt lui donner
le nom àUntercafirinaus,
entre
DE J. A. DETHOU,Liv. XVIIL 97
entre Pienza ôc Montepulciano , pour tâcher de furprendre le
fecours que Corne y envoyoit. La garnifon cependant, qui Henri IL
étoit avertie de notre entreprife, attendoit avec un grand fi- i;y 7-
îence l'occafion favorable de charger l'ennemi s mais comme
nos troupes tardoient trop à venir , les capitaines Trappes ,
Coffeil, les Auflillons, Caftelfagrat , Bidonnet , ôc la Motte
attaquèrent la place avec peu de troupes. Les ennemis les
ayant repouflez , les échelles rompirent fous eux ; ce qui fut
caufe qu'ils réitèrent entre les deux murailles , fans avoir rien
fait.
Montluc affligé , qu'une entreprife pour la liberté des pri-
fonniers eût fervi à en augmenter le nombre , dès que le jour
commença à paroître , réfolut d'en venir à la force. Il fit donc
approcher fes troupes du baftion , ôc s'étant lui-même avan-
cé du côté de la porte , il emporta avec les mains la muraille
qui étoit foible , ôc peu épaifle , ôc ayant enfuite fait apporter
les échelles , il fe difpofa à faire monter à l'afiaut : les pri-
fonniers qui étoient dans la ville, ayant pris les armes dans
cette circonftance , ôc mis la garnifon en fuite , il fe rendit
maître de la place fans aucune réfiftance. On y fit prifonnier
Jacque-Pierre de la Staffa , capitaine de cavalerie , fon lieu-
tenant > fon porte-Enfeigne , ôc quelques foldats de la garnifon :
cette a£tion fe pafla le 29 de Juin. Monluc en parle comme
d'un exploit , qui l'a comblé de gloire en Italie. Adriani
au contraire n'en fait pas tant de cas : il affûre que cette place
étoit foible ôc dépourvue' de gens de guerre, ôc qu'elle fut
prife dans le tems que les Efpagnols faifoient tout avec né-
gligence ôc lenteur ; qu'ils en avoient même retiré la garnifon,
indignez que Philippe eût cédé l'autorité fur la ville de Sienne
à Corne de Medicis : c'eft de quoi nous parlerons bientôt.
Le duc de Ferrare d'un autre côté , à la tête de fon armée ,
foûtenu des François , fe rendoit redoutable à fes voifins : les
princes de Correggio fur tout , pour avoir fuivi le parti de
l'Empereur , avoient tout à craindre de fon reffentiment ; ils
fe virent par là dans la néceflité de traiter avec le Duc, ôc lui
donnèrent même des otages. Mais comme Jérôme , l'un des
Princes de Correggio , qui n'avoit pas foufcrit à ce traité ,
prétendit que fes frères n' avoient pu rien conclure fans fa
participation , on reprit les armes de nouveau. Jérôme de
Tome III. N
■pi HISTOIRE
concert avec Tes frères , retira les otages qu'on avoit laiiTé aller
Henri II cnez eux ^ur ^eur Par°ïeJ & \zfc en apparence maigre eux ,
i r T 7 pour empêcher qu'on ne leur imputât un manque de foi. Il
s'empara enfuite de Correggio , par le fecours du marquis de
Pefcaire > ôc mit dans cette place Louis del Borgo Milanois
avec huit cens hommes d'infanterie. Cependant Àlfonfe fils
du duc de Ferrare s'étant jette en armes fur leurs frontières,
porta la défolation de tous cotez ; ôc fes troupes étant enfuite
augmentées de deux mille Suiffes arrivez depuis peudetems
de la Aîarched'Ancone , ôc de mille Gafcons, que le duc de
Guifelui avoit envoyez de la Campagne de Rome ; fans comp-
ter la garnifon de Briffeilo, qu'il avoit fait venir avec toute fon
artillerie , il prit la route de Nuvoiara, fuivi de Corneille Ben-
tivoglio.
A fon arrivée François de Gonzague lui remit cette place*
qui étoit la principale ville de fon petit Etat. Peu de tems
après Alfonfe s'empara encore de Luzzara, qui étoit un châ-
teau de la dépendance des Gonzagues. Après la prife de ces
deux places* il mit le fiége devant Guaftalla ; ce qu'il avoit
jufqu'alors différé d'exécuter , à caufe des ordres qu'il avoit reçus
de fon père. Le cardinal de Trente, dans cet intervalle, ôcle
marquis de Pefcaire y avoient mis une bonne garnifon , ôc du
confentement de Ferdinand de Gonzague, ils en avoient con-
fidérablement augmenté les fortifications. Alfonfe marcha
contre cette place , ôc après s'être emparé de tous les paffages ,
il en forma le fiége ôc l'attaqua vivement. Il ne put néan-
moins empêcher que le comte de Buocardo ne fit entrer de
grands fecours dans la ville , ôc fur-tout de la poudre, dont les
aflïégez avoient le plus de befoin : on drefla les batteries ôc le
Canon fut pointé contre les murailles ; mais fans fuccès,. par
l'ignorance des officiers de l'artillerie. Alfonfe ayant chan-
gé plufieurs fois fes batteries , les affiégez fuient enfin ré-
duits à l'extrémité : ils étoient fur le point de fe rendre* lorf-
que ce Général craignant l'arrivée du marquis de Pefcaire ,
dont le bruit s'étoit répandu , fit ceffer les batteries , retira fon
canon ôc leva le fiége. Cette retraite ne lui fit pas honneur ,
il s'en prit à Bentivoglio , qui lui avoit , difoit-il , fait perdre
du tems devant cette place.
Briflac n'en perdoit point : Après la prife de Valenza parle
DE J. A. DE THOU; Liv. XVIIL 99
duc de Guife , ayant mis fon armée en campagne, il réfolut -
au commencement du mois d'Avril, de mettre le fiége de- Henri IL
vant Valfeniera. Cette place eft fituée dans le territoire d'Afte, 1 ? c 7.
entre Villanova ôc Carmagnolle : Ferdinand de Gonzague l'a-
voit autrefois fortifiée 5 Alvaro de Sandi en augmenta depuis
les fortifications par une infinité de travaux , & mit dans la
place une bonne garnifon •-, elle confiftoit en quatre Enfeignes
d'Italiens, trois d'Allemands, ôc deux d'Efpagnols. Toutétoit
préparé pour afliéger cette ville > lorfque Briflac , qui étoit fort
fujet à la goûte , fut attaqué de cette maladie : mais ne vou-
lant pas pour cela laiffer échapper une fi belle occafion , il
chargea Paul deThermes.de la conduite de cette entreprife.
Son armée étoit compofée de huit mille hommes d'infanterie,
Ôc de fix cens hommes de cavalerie : il avoit outre cela un grand
nombre de pionniers ôc feize pièces de canon. De Thermes
avec ces forces poufTa la tranchée jufqu'au foffé , ôc fit tirer
contre la place toutes fes batteries ; il fit enfuite monter fes
troupes à l'affaut 5 mais les afliégez les repoufierent avec beau-
coup de vigueur. Il fçut néanmoins mettre fes foldats à cou-
vert du feu des afTiégez , ôc fit enfuite travailler à des mines.
La vivacité avec laquelle on avançoit ces travaux épouvanta
les afliégez. Le marquis de Pefcaire , qui pour lors étoit occu-
pé à élever un Fort , pour mettre à couvert la vallée Lomellina »
eut beau les exhorter à fe bien défendre, ôc leur promettre de
venir en perfonne à leur fecours, il ne put les raflfurer. Dans cette
conjon£ture,les Allemands , dont l'ardeur étoit fort refroidie ,
parce qu'ils n'étoient pas payez, s'étant mutinez, contraignirent
les Efpagnols à* capituler à des conditions peu honorables : ils
fortirent tous fans armes, ôc nous abandonnèrent leurs dra-
Ï>eaux > leur canon , Ôc toutes leurs munitions. BrifTac fit rafer
a place , parce que nos troupes en étoient incommodées , ôc
qu'elle empêchoit la correfpondance entre les garnifons de
San-Damiano Ôc de Cifterna.
Au commencement du mois de Mai, ce,Général attaqua
Cheerafco avec le même fuccès. Cette ville , prefque au con-
fluent des rivières de Stura ôc de Tanaro , eft fituée fort
avantageufement fur un lieu haut ôc efcarpé. Il y avoit dans
la place quatre cens hommes de garnifon 5 mais ce nombre ne
fu&foit pas pour fa défenfe. Briflac fit battre la place , ôc
Ni;
ioo HISTOIRE
■■' donner trois afTauts. Les habitans , laiTés de la domination Efpa-
Henri II. gnole , ayant refufé de prendre les armes , la ville fut emportée,
1 S SI' -^s cîue BrifTac s'en fut rendu maître , il mit tous fes foins à la
faire fortifier.
Il ne fut pas aufïi heureux au fiége de Coni , où Menicone
commandoit avec une forte garnifon. La fituation de cette
place eft fort avantageufe : elle regarde d'un côté Savillan ôc
le Mont de l'Argentera , ôc de l'autre Saluées 5 mais ce qui con-
tribuoit le plus à fa défenfe , étoit le nombre des gens de guerre
qu'on y avoit fait entrer , ôc l'union qui regnoit entre les ha-
bitans de cette ville. Les François drefTerent leurs batteries,
firent un feu continuel pendant quelques jours , ôc donnèrent
plufieurs alTauts : nous perdimes beaucoup de monde ôc ces
attaques ne réùfïirent point. BrifTac voyant la réfiftance opi-
niâtre des habitans ôc de la garnifon , prit d'autres mefures.'
Il fit travailler à des mines par un grand nombre de pionniers,
ôc par ce moyen il vint à bout de faire fauter une grande par-
tie des murailles Ôc des battions : ce defaftre ne fut pas capa-
ble de ralentir l'ardeur des foldats de la garnifon ôc des bour-
geois. Ceux-cij à leur exemple, couroient aux portes les plus dan-
gereux : ils étoient encouragés par les femmes , qui , fans s'é-
pouvanter du péril , s'emprefîoient avec leurs enfans à reparer
les brèches , ôc s'employoient avec courage à tout ce qui pou-
voit contribuer à la défenfe de leur ville. BrifTac tenta encore
un autre moyen: ce fut d'inveftir la ville ôc delà tenir bloquée,
pour la contraindre de fe rendre par famine. Mais les aiïiégez
reçurent en ce tems-là une grande quantité de vivres , qu'il
ne put empêcher d'entrer dans la place. Briffac voyant donc
fon armée diminuer tous les jours , ôc ayant d'ailleurs appris
que le marquis de Pefcaire étoit parti d'Afte , ôc qu'après avoir
laifTé Carmagnole à gauche, il s'avançoit à la tête de cinq
mille hommes d'infanterie Ôc des nouvelles recrues de cavale-
rie , il fe crut obligé de lever le fiége , ôc de fe retirer.
Il apprit , comme il étoit en chemin, que le Marquis de Pef-
caire , à la tête de la plus grande partie de la NoblelTe , avec
de nouvelles troupes, étoit campé à peu de diftancej ce qui
le fit réfoudre à tourner de ce côté-là. S'étant mis en embuf-
cade dans une forêt , par où les ennemis dévoient paffer , il
les attaqua lorfqu'ils s'y attendoient le moins : ils perdirent
DE J. A. DE THOU, L ïv. XVIII. ioï
tons en cette occafion leurs armes , ou leur liberté. François
de Gonzague comte de Nuvolara fe fauva par le moyen de Henri IL
Julien Carvajal Efpagnol : le butin fut très - confidérable. 1557.
Le marquis de P efcaire de retour à Coni , en fit reparer les
brèches , ôc après y* avoir mis une plus forte garnifon , il alla
à FolTano , où il combattit contre BrifTac , dont l'armée étoit
plus nombreufe. Le fuccès du combat fut fort douteux : mais en-
fin Pefcaire, pour éviter les embufcades ôc les pièges qu'on lui
pouvoit tendre , fit fa retraite par des chemins détournés , ôc
arriva heureufement à Afte avec toutes fes troupes. BrifTac fit
enfuite des efforts inutiles pour furprendre Foffano , qui étoit
défendu par une forte garnifon Efpagnole , fous la conduite
de Jean- François Cofta, comte de la Trinità 5 cette place ,
outre fa fituation avantageufe, avoit été fortifiée nouvellement
ôc munie de foldats 5 ôc notre armée étoit trop foible pour pou-
voir s'en emparer.
Corne de Medicis vit en cetems-là fa puifTance s'accroître
confidérablement. Philippe , contre le gré des Efpagnols , ôc
ce qui eft plus étonnant , malgré lui-même , lui céda la fou-
veraineté de l'Etat de Sienne, fur le même pie qu'il l'avoit re-
çue de l'Empereur Charle fon père. C'eft en quoi on ne fçait
fi l'adrenVôc l'habilité de Corne furent plus admirables que
fon bonheur. Par là , il établit plus folidement fa domination,
qui avoit eu des commencemens affez heureux dans la Tofca-
ne, mais qui depuis avoit effuyé plufieurs viciffitudes ; il éloi-
gna aufîi par ce moyen ôc éteignit même en un moment la guer-
re allumée dans le fein de fon Etat : car comme la trêve fub-
fîftoit encore entre lui ôc nous , ôc que Montluc avoit grand
foin de ne la pas rompre , la guerre ne fe faifoit qu'entre les
François , ôc les Efpagnols , qui étoient en poffeffion de Sienne
ôc des places maritimes. Mais Corne étant devenu maître de
cette ville , la guerre fut éloignée des frontières de Florence,
Ôc ne fe fit que dans les contrées maritimes de cet Etat , que
les Efpagnols avoient retenues. Comme cet événement a été
très-célébre , je crois qu'il n'eft pas inutile d'en détailler les , .
n Négociation
circonftances._ _ du £lc deFlo_
Corne avoit fait demander plufieurs fois aux Impériaux, rence,poiir
qu'on lui rendît les fommes qu'il avoit dépenfées au fervice yeraineté de"
de l'Empereur , ou qu'on le mît en poffeffion de l'Etat de sienne.
N iij
io2 HISTOIRE
■ Piombino. On lui accorda cette dernière demande ; mais on
Henri II sen dédit prefqu'aufïi-tôt , ôc il fut même dépouillé de cet Etat
. ■ .. f _ avec une efpece d'affront. Si ce procédé étoit trop ofFenfant pour
n'être pas fenti , ce Prince étoit aufïi trop politique pour ne
le pas diflimuler : il fit néanmoins toujours folliciter l'Empe-
reur , ôc enfuite Philippe , de lui accorder quelque fatisfac-
tion ; mais ayant fait depuis de grandes dépenfes dans la guerre
de Sienne , il ne défefpéra plus d'obtenir Piombino , ôc pouffa
même fes vues jufques fur l'Etat de Sienne. Il ne faifoit ce-
pendant rien connoître de fes deffeins , de crainte que fa fi-
délité ôc fes fervices ne devinffent fufpe£ts aux Efpagnols 5 ainfi
fe contentant de renouveller fes demandes fur l'Etat de Piom-
bino y il attendoit une occafion favorable de fe déclarer } ôc
d'obtenir ce qu'il fouhaitoit.
Tandis qu'il étoit dans cette attente , ôc qu'il obfervoit tous
les évenemens , il arriva fort à propos pour lui , que Bon-
gianni-Gianfigliacci, fon envoyé à Rome, dans une conver-
fation qu'il eut avec le Pape , étant tombé fur les moyens
d'appaifer les troubles d'Italie , ce Pontife lui dit : « Je n'en
» vois point de moyen , à moins qu'on ne me mette , d'un com-
» mun accord > en poffeflion de l'Etat de Sienne ; les Fran-
» cois ennuyez des grandes dépenfes qu'ils font dans cette
» guerre , y confentiront fans peine, ôc les Efpagnols ne s'opi-
»> niâtreront pas à la continuer , fi les François abandonnent
=» la Tofcane ». Le S. Père l'affùra même que les Miniftres
de Philippe lui avoient fait efpérer , que ce Prince ne s'en
éloigneroit pas , pourvu que Côme y voulût bien confentir ,
ôc qu'on dédommageât ce Prince des dépenfes qu'il avoit
faites dans cette guerre , Ôc de tout ce qui lui étoit dû par les
Efpagnols. Bongianni écouta tout attentivement , fans rien ré-
pondre ; mais comme il fçavoit les vues de fon Maître > il l'in-
forma auiïi-tôt des deffeins du Pape. Côme fut furpris de cet
avis > mais comme il étoit fçavant dajis l'art de difîimuler, il
écrivit à fon Envoyé de ne rien faire connoître de fes deffeins,
mais de remettre le Pape fur les mêmes difcours 3 ôc de tâcher,
autant qu'il pourroit , de découvrir fes fecrets dans les confé-
rences qu'il auroit avec lui.
François Pacheco revint en ce tems-là d'Angleterre , où il
avoit été envoyé 3 pour traiter des conditions de la paix. Entre
DE J. A. DE THOU, Liv. XVÎÏI. 103
les ordres qu'il apportent de la part du roi Philippe, ce'Prince -
ordonnoit au duc d'Albe de faire la paix avec le Pape , à Henri IL
quelque prix que ce fût, ôc que s'il n'y avoit point d'autres l S S 7"
voyes d'accommodement, il mît les Caraffes en poffelfionde
l'Etat de Sienne , aux meilleures conditions qu'il en pour-
roit tirer : il lui mandoit cependant de faire enforte que ce fût
avec le confentement du duc de Florence. Philippe , dans
les conjonctures préfentes , jugeoit plus à propos pour fes in-
térêts d'en gratifier de nouveaux vafTaux , que le duc de
Florence .. qui étoit affez puiflant , ôc qu'il avoit déjà comblé
de bienfaits : car il efpéroit que l'Italie , étant partagée en-
tre plufieurs Souverains, il pourroit plus facilement y confer-
yer fa fuprême autorité.
Corne ayant été averti par le duc d'Albe fon allié , fit en-
forte auprès de lui , qu'on ne précipitât point la chofe ; Ôc après
lui en avoir fait fentir les conféquences, il le pria de lui ac-
corder le tems de faire partir un Envoyé pour la cour du
roi Philippe , afin de le détourner d'un deffein fi pernicieux
à l'Italie , ôc fi contraire à fes intérêts particuliers. Il obtint
facilement cette grâce d'un allié , qui ne demandoit qu'à l'o-
bliger. Corne cependant écrivit à Alfonfe Tornabuoni qui
étoit en Angleterre , pour le mettre au fait de cette affaire , ôc
lui manda , qu'en attendant qu'il eût envoyé à Philippe Louis
de Tolède fon beau-frere, il follicitât ce Prince pour le rem-
bourfement des fommes qui lui étoient dues.
Il faifoit pour lors ces demandes avec d'autant plus de con-
fiance , qu'il voyoit bien que Philippe avoit befoin de fon fe-
cours ôc de fon amitié ; fur-tout dans un tems que BrifTac
faifoit de grands progrès dans le Piémont, ôc que le duc de Gui-
fe à la tête d'une armée entroit dans un Royaume fort fujet
aux révolutions : car les affaires des Efpagnols en Italie étoient
alors en fi mauvais état, que l'amitié où l'inimitié du duc de
Florence étoient d'une extrême importance pour les rétablir
ou les ruiner. Aufii faifit-il adroitement cette occafion. Il en-
voya donc Louis de Tolède à Philippe, ôc lui donna ordre
de dépeindre à ce Prince le déplorable état où étoit réduite
l'Italie, de lui faire voir la mauvaife fituationde fes affaires dans
le Milanez ôc dans la Tofcane , ôc de le prier de ne trouver
pas mauvais, s'il fe plaignoit > au nom du duc de Florence,
io4 HISTOIRE
l~ du peu de reconnoiffance qu'on témoignoit pour fes fervi*
Henri IL ces, après avoir mis tout en ufage pour maintenir les peuples dans
1 S 5 7> le devoir, ôc faire refpecler par toute l'Italie, ôc fur-tout dans
la Tofcane , l'autorité de Philippe , ôc celle de l'Empereur
fonpere : que pour leur avoir rendu fervice il étoit accablé
de dettes : que ceux, dont il avoit emprunté des fommesjexcefïï-
ves , étoient ruinez j 6c que quoique tous les jours ils le folli-
citaffent de tenir fa parole , ôc de les leur rendre , il ne pou-
voit cependant le faire , fans fe ruiner lui-même , ni le refufer
fans une injuftice extrême : qu'ainfi il ne devoit pas s'étonner,
s'il demandoit ces rembourfemens avec tant d'importunité :
que fes affaires étoient réduites dans un tel état, qu'il ne pou-
voit plus fe contenter de paroles , comme il avoit fait jufqu'a-
lors , mais qu'il avoit befoin qu'on en vînt aux effets ; à moins
qu'on ne voulût ruiner en même-tems les affaires du roi Phi-
lippe ôc les Hennés : d'ailleurs qu'il n'y avoit plus lieu de dif-
fimuler; que Côme avoit appris que fans avoir égard ni à lui,
ni à fes fervices , ni aux dettes qu'il avoit contractées pour les
affaires de Philippe dans la Tofcane , on avoit parlé dans
fon Confeil de donner l'Etat de Sienne aux Caraffes , ôc que
le duc d'Albeen avoit reçu les ordres : qu'il étoit vrai que Co-
rne ne penfoit pas que fa Majefté agit férieufement dans cette
affaire ; mais qu'il craignoit néanmoins que ce qui fe faifoit en
apparence pour appaifer les Caraffes , ne devînt dans la fuite
d'une nécefïîté indifpenfable-: qu'il prioit donc très-humblement
fa Majefté Catholique , de faire attention à quel péril iialloit
s'expofer, fi des hommes naturellement fuperbesôc cruels, ôc
qui, félon l'idée commune, ne refpiroient que la vengence
quand ils avoient reçu une injure , montoient à ce haut point
de gloire , ôc devenoient fouverains d'une des plus belles
parties de la Tofcane. Il ajouta qu'il n'y avoit pas de doute
que les Caraffes, peu reconnoiffans d'un bienfait qu'ils croiroient
avoir obtenu de force , fi on le leur accordoit , ne fe reffouvint
fent de l'ancienne injure qu'ils avoient reçue , ôc 11'employaf-
fent tout ce qu'ils auroient de crédit ôc de puiffance pour en
tirer raifon : que par conféquent, Côme , qui avoit toujours
fuivi le parti de l'Empereur , ôc qui par là étoit devenu en-
nemi du Roi de France , étant foupçonné par les Caraffes ,
d'avoir été complice de l'injure qu'on leur avoit faite , devoit
avec
DE J. A. DE THOU,Liv. XVÎIÎ. 107
avec raifon redouter les effets de leur reffentiment. Philippe -^^^■^— ■
à la vérité n'avoit rien à craindre à caufe de fa puifTance : Henri II.
mais qui pouvoit affurer Corne que les Caraffes, devenus plus 1557.
entreprenans par cet avantage , ne fe vengeroient pas fur lui,
comme fur le plus foibîe, 6c ne prendroient pas contre lui
des armes , qu'ils n'ofoient ou ne pouvoient tourner con-
tre un aufïî puilTant Prince que Philippe? Qui fçait même, fî
quelque jour ilsnepouroient pas venir à bout par leurs calom-
nies , de priver le duc de Florence des bonnes grâces de fa
Majefté Catholique? Et puifque même aujourd'hui, qu'il eft
étroitement uni avec elle , ôc qu'il eft lié par les mêmes inté-
rêts , fes ennemis veulent le rendre fufpecl à ce Prince, que doit-
il attendre , lorfque t les François étant challez de la Tofcane,
la caufe de cette alliance Ôc de cette union ne fubiiftera plus ?
Mais quand même le roi d'Efpagne feroit allez puilTant pour
n'avoir rien à craindre des CarafTes , Corne n'eft-il pas par trop
foible pour négliger de pourvoir à fa fureté , s'il eft obligé d'a-
voir pourvoifins ceux aufquels il a toujours fait la guerre pour
les intérêts de fa Majefté? Ce feroit doncs'expofer à un péril
trop manifefte , s'il rendoit aux CarafTes les places qu'il tient
dans l'Etat de Sienne. Si cependant on lui rembourfe les fommes
qu'il a avancées , il eft prêt à remettre ces places dès-à-préfent,
pourvu qu'elles demeurent en la puifTance de Philippe 3 car
il ne fouhaite rien tant que d'avoir pour voifm un Prince
qu'il a toujours honoré comme fon protecteur. Si Philip-
pe, ennuyé des grandes dépenfes qu'il eft obligé de faire, ai-
moit mieux difpofer de l'Etat de Sienne en faveur de quel-
qu'un, il ne pouroit certainement fans faire tort à Corne, ôc
fans une injuftice manifefte , en gratifier un autre que lui : car
autrement il s'enfuivroit qu'un auffi grand Roi que Philippe
fe défierait de la fidélité du duc de Florence, ou qu'il feroit
fi peu de cas de fes forces , qu'il ne craindrait pas de le mé-
contenter , pour fe rendre favorables quelques perfonnes foi-
bles ôc impuilTantes. Enfin le duc de Florence fit dire à Phi-
lippe, qu'il étoit dans de grandes inquiétudes, ôc que fes affai-
res ne permettant pas qu'il attendit un événement qui pou-
roit lui être funefte , il le prioit de lui faire fçavoir fa volonté
ôc fes deffeins ; que s'il vouloit avoir Corne pour ami , il de-
voir pourvoir à fa fureté , ôc qu'il n'attendoit que fa réponfe*
Tom. III. < O
io6 HISTOIRE
pour prendre le parti qu'il jugeroit le plus convenable à fes in-
Henri IL téréts.
1557. Tandis que Tolède alloit trouver Philippe , Côme avoif
donné ordre à Gianfigliacci de folliciter le Pape à fe portei!
à la paix. Il lui fit dire que pour lui il accepteroit toute forte
de conditions , pourvu qu'on mît fes Etats à couvert du coté
du Roi de France 5 que fa Sainteté fçavoit bien les defîeins de
ce Monarque, que Côme croyoit avec raifon être fon enne-
mi. « Je connois , répondit le Pape , à quoi tend ce difcours*
» C'eft parce que je fçai les deffeins du Roi très- Chrétien, que
w je fuis bien perfuadé de fa bienveillance à l'égard de Côme^
» & que j'ofe au nom de ce Prince, offrir à votre maître des con-
« ditions très-honorables, que je promets de faire confirmer par
« une belle alliance. « Gianfigliacci, qui étoit inftruit par le
duc de Florence , répondit que fon maître ne fouhaitoit rien
avec tant d'ardeur 5 mais que dans une affaire de cette impor-
tance, il ne pouvoit fe déterminer à quoique ce fut fans en
être entièrement affuré 1 qu'il falloit donc négocier cette affai-
re avec un grand fecret & une telle promptitude , qu'elle ne
fe conclût pas peu à peu , mais tout d'un coup, avant que les
émiffaires , que Philippe avoit répandus de tous cotez, en euf-
fent eu le vent : d'ailleurs que Côme avoit fort fouhaité que
cela fefît par fon entremife, afin de joindre ce bienfait à plu-
fieurs autres faveurs qu'il avoit reçues de fa Sainteté.
Dès que le Pape eut donné avis de cette négociation à ceux
qui étoient chargez à Rome des affaires de France , ils écri-
virent aufli-tôt à la Cour ce qui s'étoit paffé avec le duc de
Florence. Ils mandèrent que ce Prince avoit fort à fe plain-
dre des Impériaux ; qu'il en avoit été trompé depuis quelque
tems, que maintenant Philippe & fes Miniftres le traitoient
d'une façon tout-à-fait indigne? qu'il avoit eu de la peine à
obtenir du cardinal de Trente des vivres pour les Allemans ,
qu'on envoyoit dans le Milanez 5 que le cardinal de Burgos
gouverneur de Sienne lui faifoit effuyer tous les jours quel-
que chofe de fâcheux , foit par fes difeours , foit par fes ma-
nières : que ces mauvais traitemens enfin l'engageoient à
rechercher l'amitié du Roi de France ; mais qu'il vouloit que
ce fût à des conditions honorables : que le Pape lui avoit fait
cfpérer que Sa Majefté très-Chrétienne lui accorderoit une de
DE J. A. DE THOU, Liv. XVIII. 107
fes filles, pour François fon fils aîné ; ôc que fi le Roi con-
fentoit à cette alliance , le duc de Florence ne balanceroit Henri IL
pas un moment à quitter le parti Efpagnol, pour embralTer les 1 $ 5 7.
intérêts de la France. Ils mandèrent aufli que le Pape, par
î'entremife duquel fe négocioit cette alliance , vouloit, fuivant
l'intention de Corne, que l'affaire fût conduite avec beaucoup
-de fecret 5 qu'ainfi il feroit à propos d'envoyer une per-
fonne chargée de pouvoirs nécefîaires , pour ratifier les pro-
mettes de Sa Sainteté.
La Cour ne fit aucune difficulté, 6c envoya aufli-tôt Charle
de Marillac , archevêque de Vienne , qui s'étoit acquis beau-
coup de réputation dans l'ambaflade de Conftantinople , Ôc
dans toutes les affaires qu'il avoit négociées , qui d'ailleurs étoit
€n faveur auprès du cardinal de Lorraine , ôcqui n'en eut pas
néanmoins dans la fuite toute la reconnohTance poflible. Il
arriva donc à Rome , ôc préfenta au Pape une lettre du Roi ,
où après de grands remerciemens, ce Prince donnoitau S. Père
un plein pouvoir de terminer cette affaire. Il lui envoyoit, di-
foit-il , l'Archevêque de Vienne , avec ordre de faire en fon
nom tout ce que Sa Sainteté trouverait à propos.
Cependant les François , remplis d'une fauffe joye } répan-
doient dans la ville de Rome , que Corne , par I'entremife
du Pape , avoit fait fon accommodement avec le Roi de Fran-
ce. Ils croyoient par-là faire avancer l'affaire , ôc ils comptoient
que Corne , voyant la chofe découverte, ne pourrait plus
chercher de fubterfuges , ôc embrafferoit ouvertement le parti
de la France y dans la crainte de perdre en même tems l'a-
mitié des deux Monarques. Quoique Corne en apparence
voulût qu'on tint cette affaire fecrette, il n'étoit pas fâché
néanmoins que l'on fit courir ces bruits , perfuadé que fon pro-
jet en réùffiroit mieux à la Cour de Philippe : ce qui arriva
en effet. Car dès que Tolède , après de longues excufes , eut
expofé le fujet de fa commifïion , Philippe fut d'abord étonné
de cette liberté extraordinaire 5 mais étant informé des bruits
quicouroient à Rome, Ôc s'étant rappelle plufieurs circonftances ,
il crut que Ton travailloit à détacher le duc de Florence de fon
parti ; ôc il jugea que fi cela arrivoit dans les conjonctures
prélentes , fes affaires iraient fort mal en Italie. Ce qui le
confirma dans cette penfée, fut la dignité ôc le caractère de
Oij
io8 HISTOIRE
la perfonne > par Fentremife de laquelle on difoit que celte
Henri II a^re ^e conduifoit. Faifant réflexion enfuite fur les difcours
de Tolède, il ne douta plus que Corne ne cherchât un pré-
rexte pour quitter fon parti. « Car , difoit-il , à quoi tendent
» ces difcours ? Il ne peut refber plus longtems en fufpens ; je
» n'ai qu'à déclarer fi je veux être de fes amis 3 & lui en don-
» ner des marques , non par des paroles > mais par des effets >
05 il exige que je lui donne des moyens de pourvoir à fa fù-
=> reté ; il n'attend que ma réponfe pour prendre fon parti. Tous
« ces difcours ne marquent-ils pas que fon efprit eft déjà ébranlé,
» &c qu'il ne cherche qu'un prétexte à fa défection ? v
Philippe , qui , dans des circonflances aufli lacheufes , ne
vouîoit pas donner à Corne des fujets de mécontentement ,
réfolut , malgré l'avis de fon Confeil , de le gratifier de la fou-
veraineté de l'Etat de Sienne. Il lui fit d'abord propofer des
conditions affez dures par Jean de Figueroa 5 mais le duc de
Florence hs ayant rejettées avec beaucoup de hauteur, Phi-
lippe fut convaincu plus que jamais que Corne le vouîoit aban-
donner. Ainfi, comme il s'étoit douté de ce refus , il avoit don-
né ordre à Figueroa , que fi Corne refufoit ces conditions , il
ne fortît pas aufli-tôt de Florence , mais qu'il y refiât , jufqu'à
ce qu'il eut reçu de nouveaux ordres, afin d'obferver les dé-
Traite entre marches de ce Prince. Le traité fut enfin conclu, à condition
le roi Philip- ^ A . r r . n • \ • r r a
pe & le duc que Conie & les entans recevroient oc tiendroient en nef de
de Florence Philippe l'Etat de Sienne > de la manière qu'il î'avok reçu de
au luiet de 1,-r-. i i r xl, . i - m * i *» i " t? i
l'Etat deSien- 1 Empereur Ion père , a 1 exception de Porto -iircoie , leia-
»e. mone, la montagne de PArgentiere, & la citadelle de Piom-
bino,que Philippe fe refervoit : Que par ce moyen les forn-
mes que l'Empereur & Philippe dévoient à Corne, & les dé-
penfes qu'il avoit faites dans cette guerre feroient tenues pour
rembourfées. On demeura aufii d'accord par le même traité, que
Philippe & Corne contribueroient à la défenfe de l'état de Mi-
lan, du royaume deNaples, ôcdelaTofcane : Que Corne four-
niroit quatre mille hommes de pié & quatre cens chevaux 5 &
Philippe , quatre cens Gendarmes , fix cens hommes de ca-
valerie légère Italienne , ôc dix mille hommes d'infanterie i &
que dès à prefent Philippe feroit tenu de donner quatre mille
fantafïins, & quatre cens hommes de cavalerie, avec la paye
de fix mois , pour recouvrer ce que les François occupoienr.
—H—» »H
DE J. A. DE TKOU,Liv. XVIII ic^
Les Efpagnols ajoutèrent encore à ce traité , pour infulter au
malheur de Sienne , qu'on laifferoit l'adminiftration de la ré- tt ,r tt
publique à fes Magiftrats ; comme (i Philippe eût fongé à la
liberté de cet Etat, ou eût efpéré que cette claufe pût avoir > > *'
lieu. Ainfi Corne, après s'être joué du Pape ôc du roi de France,
ôc avoir tiré avantage de nôtre crédulité , de la haine des Ef-
pagnols , ôc de la jaloufie des deux nations , acquit par fa po-
litique ôc fa patience la fouveraineté de l'Etat de Sienne.
Le cardinal de Burgos , fans l'avis duquel on avoit conclu
ce traité , eut beaucoup de peine à digérer cet affront ; cepen-
dant comme il nepouvoit defobéïr à Philippe, qui lui ordon-
nent expreffément de fortir de Sienne , il ne trouva pas d'au-
tre moyen de retarder l'exécution du traité , que de faire fou-
lever les Efpagnols. En effet les foldats s'étant mutinez pour
le payement de leur folde , menacèrent de refter dans la ville ,
il on ne leur donnoit de l'argent. Après beaucoup de difputes
très difficiles à terminer, Philippe , qui avoit fait cette donation
à regret Ôc malgré lui , voulut néanmoins s'attacher entière-
ment le duc de Florence ; il envoya donc de nouveaux ordres
au cardinal de Burgos, ôc commanda à Figueroa de faire exé-
cuter le traité. Ainii la garnifon Efpagnole fe retira le 19 de
Juillet, ôc Figueroa remit la ville entre les mains de Louis
de Tolède, qui la reçut au nom de Corne , après avoir prêté
le ferment dont on étoit convenu fuivant le traité. Chiappino
Vitelli y entra en même-tems avec quatre Enfeignes d'Alle-
mands , ôc Frédéric Montalto eut le gouvernement de la ci-
tadelle. Ernand Saftre , avec une compagnie d'Efpagnols qui
étoit à la folde du duc de Florence , fe mit peu de tems après,
au nom de ce Prince , en poffeflion de Buon-Convento qui
eft à l'oppofite de Montalcino. Par ce moyen la trêve , que
Monîuc gardoitavec Corne , s'étendit aux Etats nouvellement
fournis à la puiffance de ce Prince ; enforte que nous ne fîmes
plus la guerre en Tofcane , qu'à l'égard des places maritimes
qui appartenoient aux Efpagnols. Philippe envoya auiïi à fon
tour Charle Deza , pour recevoir la citadelle de Piombino } que
le duc de Florence avoit fait fortifier : car à l'exception de cette
place , ôc de la ville que Côme avoit fait bâtir dans i'ifle d'Elbe,
dont elle porte le nom , ôc qui fut retenue par les Efpagnols ,
aufïi-bien que fon port , Bernard de Bolea remit, fuivant les
O iij
no HISTOIRE
ordres du due d'Albe , tout l'Etat de Piombino entre les mains
Henri II ^e Jacclue Apiani fon légitime Seigneur.
i r c y Dès 4ue Corne fe vit poffeffeur de l'Etat de Sienne , il fit
femblant de fuivre le plan des Efpagnols, qui en reduifantle
pouvoir de la république à celui d'un feul homme , avoient
l'impudence de prétendre lui conferverfa liberté. Il fit donc
d'abord élire des Magiftrats , comme dans une ville libre ; mais
il fe referva le choix des principaux , ôc ôta pour la féconde
fois aux habitans toutes leurs armes , après en avoir fait une re-
cherche très-exacle. Les Florentins fe mêlèrent enfuite avec
les Siennois , ôc s'il étoit refté quelques privilèges aux ancien-
nes familles de Sienne après la perte de leur liberté , les Flo-
rentins eurent le même avantage , afin que peu à peu ils ne
fiffent plus qu'un même corps , ôc qu'ils s'accoûtumaffent à
obéir au même maître.
Cependant Philippe , qui fe voyoit en fureté du côté du duc
de Florence , ne fongeoit plus qu'à nous faire la guerre. Il
vouloir commencer par fe concilier le Pape , ôc fe venger du
duc de Ferrare , qui avoit pris les armes contre lui dans des
conjonctures fi facheufes, Ôc qui traitoit il cruellement les alliez
de ce Prince : il tâcha d'abord de faire quelque traité de paix
avec le Pape , par l'entremife du duc de Florence ? mais ce fut
inutilement. Le cardinal Caraffe, qui ne refpiroitque la guer-
re, détourna le Pontife d'un pareil deffein. Ce projet n'ayant
donc point eu de fuccès, Philippe ne fongea qu'à tourner fes
armes contre le duc de Ferrare. Il donna le commandement
de fes troupes à Ottavio Farnefe , à qui le duc de Guife n'avoit
pas voulu qu'on fît la guerre : Corne qui venoit de recevoir
une fi grande grâce du Roi d'Efpagne , devoit fournir des fe-
cours confidérables.
Dans ces circonftances Jean Walter aborda à Napîe , à la
tête de quatre mille hommes d'infanterie , que le duc d'Albe,
comme nous avons déjà dit, avoit fait lever en Allemagne: il
avoit pris fa route par l'Evêché de Trente , ôc de-là s'étoit em-
barqué fur les galères de Gènes. Le cardinal de Trente , le
marquis de Pefcaire, ôc Caftaldo , qui voyoient Corregio af-
fiégée par le duc de Ferrare , firent en vain tous leurs efforts
pour les retenir à Milan ; mais Louis de Barientos , ôc Jean-
Paul Beuct, que le duc d'Albe avoit chargez de les conduire,
DE J. A.. DE THOU, Liv. XVIII. m
n'y voulurent jamais confentir , ôc firent toute la diligence
poflîble pour arriver au Royaume de Naples. Ces troupes HENRI ]|
etoient compofées de quinze enfeignes. Le duc d' Albe en garda x f ? 7
huit dans fon camp, ôc donna les fept autres à Marc- Antoine
Colonne , qui étoit parti avec quatre mille hommes de troupes
Italiennes & quatre pièces d'artillerie, pour faire la guerre dans
la campagne de Rome. A fon arrivée il s'empara de Pratica»
qui.appartient à Frédéric Conte. Cette place eft fituée entre
Frofolone ôc Supino. George de Terny ôc Ottavien d'Afcolis
qui etoient dedans avec deux compagnies d'infanterie Italien-
ne, fe rendirent après une légère réliftance , ôc quelques Ef-
pagnols furent tuez. Colonne ayant mis enfuite cent hommes
d'infanterie dans la place, s'occupa à faire fortifier Frofolone
ôc Anagni ; parce que ces places , depuis le départ de l'armée
du duc d'Albe, etoient trop foibles pour réfifler aux troupes
du Pape. Colonne mit fon infanterie en garnifon dans les
villes voiflnes , dans Anagny , Frofolone , Fumone , Acuto -,
Montefortino , Pratica , Terracina , Giuliano , ôc Sonnino ; il
ne garda auprès de lui que quatre compagnies, pour s'en fer-
vir en cas d'accident , ôc les diftribua dans Veruli ôc Alatro,.
Cependant la garnifon de Rocca-di-Papa étoit réduite aux
dernières extrêmitez •-, ceux de Velletri la défoloient tous les
jours par quelques nouvelles hoftilitez : comme elle étoit trop
éloignée pour recevoir des vivres ôc du fecours de Colonne ,
elle fut contrainte de fe rendre. Cette place eft fituée entre Ana-
gni ôc Valmontone : Jean-Baptifte Conte, en quittant le parti
de Philippe , avoit entraîné ces villes dans fa défection , auffi-
bien que Cavi ôc Genazzano.
Tandis que les ennemis fe tenoient dans leurs garnifons;
Jean des Urfins profita de cette occafion , pour fe mettre en
campagne avec toutes fes troupes. Il étoit à la tête de trois-
mille hommes d'infanterie Italienne , de la cavalerie du Pape 3.
ôc de deux enfeignes de vieilles troupes Allemandes , arrivées
depuis peu de Montalcino : il avoit outre cela quatre pièces de
canon. Avec toutes ces forces, il mit le fiége devant Monte-
fortino , d'où Popoli avoit fait revenir peu de tems avant Fran-
çois Brancaccio , à la place duquel Colonne avoit mis Antoi-
ne de Piacenza, ôc Jean Ceccolella , qui étoit fort aimé dans la.
ville, Les habitans firent dans le commencement une vigoureufe
wmm b— — —
112 HISTOIRE
réliftance,ôc repoufïerent avec courage les troupes du Pape ?
Henri II. Cecco-Conte,fils deJean-Baptifte,ôc George Terni furent tuez.
iyy y, La divifion s'e'tant mife , comme il arrive fouvent , entre la gar-
ni Ton 6c les habitans , ceux-ci fe rendirent à difcrétion , ôc com-
mirent par-là une grande imprudence : car les troupes du Pape
s'étantreffouvenuës delà trahifon que ces habitans avoient faite
à ceux de Velletry , pafferent tout au fil de l'épée , fans diftinc-
ttion d'âge ni de fexe , ôc mirent même le feu à une Eglife , où
les femmes ôc les enfans s'étoient réfugiés. Les habitans de
Montefortino avoient quelque tems auparavant envoyé des
députez à ceux de Velletri , pour les affùrer qu'ils étaient prêts
de rendre au Pape l'obéïffance qu'ils lui dévoient : fur leur pa-
role on avoit fait partir la compagnie de Vicino des Urfins >
mais les habitans lui drefferent une embufcade , ôc la taillèrent
en pièces. Ce fut pour fe venger de cette perfidie , que les
vainqueurs les traitèrent à la rigueur : la garnifon cependant re-
çut des conditions plus honorables 5 car elle fortit de la ville
avec fes armes , enfeignes déployées , ôc tambour battant.
Jule des Urfins fut de là à Piglio, où il crut avoir le même
fuccès : il mit donc pour la deuxième fois le fiége devant cette
place > qu'il avoit déjà attaquée fans effet. Il s'imaginoit par
cette conquête acquérir beaucoup de gloire , ôc qu'après la
prife de cette ville, Verdi, Alatro ôc Bauco, quiétoient dé-
pourvues de garnifon, fe rendroient fans aucune réfiftance. Mais
Marc-Antoine Colonne, qui s'apperçût de fes defTeins, com-
prit à quel danger les villes d'Anagni,de Fiorentino, ôc de
Frofolone feroient expofées , fi les ennemis s'emparoient de
Pigîio. Il fit donc fes efforts pour s'y oppofer , ôc mit à cet
effet George Dria dans Anagni, ôc prit lui-même enfuite la
route d'Acuto , qui eft une place fortifiée entre Piglio ôc Ana-
gni. Piglio s'étend le long d'une vallée fort étroite : cette ville,
du côté qui regarde Acuto , eft défendue par une montagne
dont les avenues font rudes ôc difficiles : à l'oppoiite, elle eft
commandée par une colline fort haute , au bas de laquelle eft
un monticule. Les troupes du Pape ne pouvoient drefler ail-
leurs leurs batteries , ni dans un lieu plus avantageux : le mê*
me jour que des Urfins , Général des troupes du Pape , campa
devant Piglio , M. Antoine Colonne s'empara de cette colline
dont l'accès étoit très difficile > ôc furprit un grand nombre des
ennemis
DE J. A. DE THOU , L i v. XVIIL 113
ennemis qui s'y croyoient en fureté , ôc les tailla en pièces. Cet
échec fit peu d'impreflion fur des Urfins > qui s'imagina que Henri II.
les habitans des bourgades voifines avoient formé cette en- 1 y 5 7.
treprife , ôc y avoient aifément réûflî, parla connoifTance qu'ils
avoient du payis. Ainfi , fans fe déconcerter,, il fit le lendemain
fommer Charle de Cuccaro de fe rendre; ce Capitaine corn-
mandoit dans la place avec fa compagnie, ôc avec environ
trois cens hommes des vaflaux de Colonne : fur fon refus le
Général du Pape fit approcher fept pièces de canon , ôc com-
mença à battre la ville. Alors Colonne parut fur la colline
avec toutes fes troupes , qui fembloient de loin encore plus
nombreufes qu'elles n'étoient en effet. Ce fpettacle, qui en-
couragea extrêmement les afîiégez, effraya ôc concerna les
troupes du Pape. On ne laifTa pas néanmoins de recommen-
cer les batteries , ôc même de faire brèche à la muraille 5 mais
Colonne ayant appris par Pompée Colonne , ôc Mario d'A-
benante qu'il avoit envoyé dans la ville , que la place pou-
voit encore fe défendre , fi elle recevoir du fecours, il y fit en-
trer deux cens hommes d'élite > fous la conduite du capitaine
Taffo , Génois.
Le courage des afîiégez , ranimé par ce fecours , fit perdre
à des Urfins l'efpoir de fe rendre maître de la ville : il fit donc
le lendemain retirer le canon , chargea les Allemands de le
conduire , ôc leva le fiége. Les Colonnes firent quelques ten-
tatives pour furprendre l'artillerie ; mais la valeur des Alle-
mands fit échouer leur projet. Dès que le canon fut arrivé à
Paliano , des Urfins retourna à Rome , fans avoir entrepris au-
tre chofe. Colonne voyant fes forces augmentées des com-
pagnies de Walter , que le duc d'Albe venoit de lui envoyer,
ayant outre cela deux compagnies d'Italiens, ijo hommes de
cavalerie , ôc fept pièces de canon , fortit d'Anagni où il
s'étoit retiré : il s'empara d'abord d'une tour, qui eft au-defTous
de Paliano , ôc prit enfuite Gavignano par compofition. Pour
s'oppofer à fes progrès , Mathieu Stendardo marcha à fa ren-
contre avec fon infanterie, ôc une partie de fa cavalerie : dès
qu'il fut arrivé à Paleftnna , il donna ordre à Léonard de la
Rovere de prendre le devant avec i^o hommes depié, ôc
cent chevaux. Ce Capitaine ayant rencontré en chemin Pom-
pée Colonne , que Marc-Antoine avoit aufïi envoyé de foa
Tome III, P
ii4 HISTOIRE
, côté , ils en vinrent aux mains. Le combat fut meurtrier : la
Henri II R°vere étant aux prifes avec Vincent de Ligoro, y fut dangereu-
j f w 7 fement bleffé par Jean-Bâtifte de Regina. Cecco d'Urbino
fon lieutenant y fut fait prifonnier par Gabriel Moles : douze
cavaliers ôc la plupart de Pinfanterie eurent le même fort. Ce
qui reftoit des troupes du Pape, fe voyant dépourvu de Chefs,
fit retraite. Du côté des ennemis Antoine Capuano fut tué ,
ôc quelques autres furent bleffés. Stendardo , après la défaite
de fes gens , fe retira à Valmontone, où après avoir laiffé trois
compagnies fous la conduite de François Colonne , de Papi-
rio Capizucchi, ôc d'Angelo de Spolete, il revint avec fon in-
fanterie à Paleftrina. Marc- Antoine Colonne conduifit auffi-
tôt fon armée devant Valmontone , ôc le lendemain il fit avan-
cer fon canon du côté qui regarde Anagni 5 dès qu'on eut
commencé la batterie , la garnifon fe trouvant trop foible pour
foûtenir Pattaque des ennemis , fut obligée de fe rendre. Il y
avoit dans le camp ennemi des habitans de Montefortino , qui
ne cherchoient qu'une occafion de fe venger ; ils crurent la
trouver dans la prife de cette ville : ils entrèrent fur le foir
dans la place 5 ôc tandis que le foldat étoit occupé au pillage ,
ils mirent le feu aux maifons. Quelques foins que pût appor-
ter Colonne pour éteindre cet incendie , la ville fut toute
confumée.
Les ennemis menèrent enfuite leur armée devant Paleftri-
na. Stendardo 3 en partant pour Rome avec le refte de fa ca-
valerie ôc de fon infanterie , avoit confié la défenfe de la ville
ôc de la citadelle à cinq cens hommes, que Colonne avoit ren-
voyés de Valmontone , après leur avoir ôté leurs armes. A la
première approche des ennemis la citadelle fe rendit ; la ville
fut mife au pillage , ôc abandonnée aux foldats , ôc fur tout
aux Allemands fort avides de butin. Cependant comme le tems
de la moiffon approchoit, Colonne , fuivant les ordres du duc
d'Albe , partit pour Paliano > afin de ravager la campagne , ôc
de mettre le feu aux grains. Mais ayant appris par fes efpions
que les ennemis fe difpofoient à faire partir de Rome un grand
convoi pour Paliano , qui devoit être efcorté par deux cens
hommes de cavalerie , ôc par trois mille Suifies, que l'évêque
de Terracine avoit levés par ordre du Pape dans le canton
d'Underwalt, il en donna avis auiïi-tôt au duc d'Albe. Il lui
rtmrm
DE J. A. DE THOU ,Lïv. XVIII. n;
manda aufîî que ces SuilTes étoient aux ordres de "Wertz , — -»
jeune homme fort courageux ôc fort riche , mais peu au fait jjenri JJ#
de la guerre. Le Duc d'Albe , fuivant cet avis, envoya aufe- If .-
cours de Colonne fept compagnies d'Efpagnols , autant d'Al-
lemands de Feltz , avec quelques gendarmes. La cavalerie prit
fa route par Sora ; ce qui fut caufe qu'elle n'arriva pas à tems >
mais l'infanterie Efpagnole ôc Allemande , après avoir cottoyé
le lac de Celano , paffa par Capiftreilo , ôc de-là tournant fur
la droite , defcendit par la Serra de S. Antoine , par Filletino ,
ôc arriva dans une plaine vis-à-vis d'Anagni , où elle joignit
Marc-Antoine Colonne. Ce Général fe voyant appuyé de
toutes ces troupes , s'avança fans perdre de tems , Ôc s'étant
pofté avantageufement , il le rendit maître du chemin par où
les ennemis dévoient arriver.
Jule des Urfins ôc le marquis de Montebello , Généraux des
troupes du Pape , en furent bientôt informés : ils s'arrêtèrent
entre Valmontone 3 Paliano ôc Segna , ôc afin d'être moins
embarraflés , ils renvoyèrent à Rome une partie du convoi , ôc
firent même reconduire à Segna toute leur artillerie. Ils com-
mirent en cela une grande faute , comme l'événement le fît
voir ; car s'ils prévoyoient qu'ils dûiTent combattre, à quel au-
tre ufage plus important, refervoient-ils leur canon ? Le len-
demain Colonne fit avancer fon armée, ôc donna ordre à Feltz
de s'approcher avec fes troupes , de fe porter avantageufement,
ôc de drelTer fes batteries le plus près qu'il pourroit des enne-
mis. Feltz , fuivant ces ordres , s'empara d'une éminence , dont
la fituation naturelle formoit une efpece de retranchement, du
côté que les troupes du Pape dévoient arriver; il y fit conduire
enfuite du canon , mais avec beaucoup de peine , parce qu'il
falloit traverfer un folié rempli d'eau. Salinas avec 400 arque-
bufiers Efpagnols , fe rendit maître aufîi d'une autre éminence
fort proche de celle où Feltz étoit pofté. Ceux-ci attirèrent
au combat les ennemis , qui s'étoient étendus de l'autre côté de
la colline s on combattit au milieu de la vallée. Des Urfins
s'en rendit d'abord le maître , par le moyen d'environ mille Ita-
liens qui combattirent avec beaucoup de valeur. Mais ce foi-
ble avantage , qui épuifa fes forces , fut de peu de durée ; cai?
Feltz étant furvenu avec fes troupes , il l'en chalTa prefqu'aufli-
tôt. Feltz , à qui ce fuccès faifoit efperer une plus grande
Pij
ntf HISTOIRE
victoire \ envoya dire à Colonne , qui conduifoit l'arriere-gaf-
Henri II. de , de venir promptement à fon fecours ; parce que l'occafion
15-57. étoit fi favorable , que s'ils en fçavoient profiter , il y avoit lieu,
d'efperer que cette journée mettroit fin à la guerre. Colonne
connut toute la difficulté de cette entreprife 5 il comprit qu'a-
près être defcendu dans la vallée , il falloit franchir le fofle ;
ôc regagner la colline , ce qui ne fe pouvoit faire fans un ex-
trême danger : il craignoit d'avoir un fort pareil à celui de
Pierre Strozzi, qui fut défait à Marciano dans un lieu fembla-
ble. Comptant néanmoins fur le courage de fes troupes 5 ÔC
d'ailleurs vivement follicité par Feltz, il fe difpofa au combat.
Il partagea fes troupes en quatre corps : il en mit deux com-
pofés d'infanterie à la tête : les Efpagnols , qui occupoient la
pointe droite , étoient oppofés aux Italiens : les troupes de
Feltz, qui étoient à la gauche , fe trouvoient vis-à-vis des Suif-
fes. Walter,avec les SuiiTes qu'il commandoit , formoit le troi-
fiéme corps , ôc avoir la garde de l'artillerie.
Bataille entre Les Généraux ennemis étoient campez de l'autre côté de la
&SiesPtaroupes montagne : ayant laifle une forêt derrière eux , ils rangèrent
du Pape. leurs troupes & en formèrent deux corps. Les Italiens étoient
dans le premier, ôc dans l'autre étoient les SuiiTes, que l'on avoit
oppofez aux Efpagnols ôc aux Allemands : la cavalerie étoit
à la queue de l'infanterie , pour fervir de corps de réferve ôc
fe porter dans le combat , où il feroit neceffaire. Les deux t
armées ainfi rangées s'attaquèrent avec beaucoup de vigueur*
Les Efpagnols eurent de la peine à foûtenir le premier effort
des Italiens 5 mais Colonne étant venu à leur fecours, ôc ayant
Défaite des fa[t tourner le canon contre la cavalerie du Pape , les Italiens
Pape" commencèrent peu à peu à rompre leurs rangs ôc à lâcher pied.
Les Efpagnols au contraire ayant repris courage , revinrent à
la charge avec plus de fureur, ôc firent reculer les Italiens , qui
ne pouvoient leur réfifter , parce qu'ils manquoient de poudre :
ceux-ci eurent en même tems les Allemands fur les bras. La
cavalerie du Pape > que le canon avoit déjàmife en défordre*
étant attaquée en flanc par celle de Colonne , les Italiens pri-
rent alors la fuite , ôc fe fauverent dans la forêt voiline. Il ne
leftoit plus que les SuiiTes , qui occupoient encore la colline.
Gafpard de Feltz les attaqua , du côté que les enfans perdus pof-
tez au milieu de cette colline formoient des rangs moins ferrez >
DEJ. A. DE TH OU, Liv. XVIII. 117
il les enfonça , les défit , ôc les contraignit après une affez vi- '
goureuferéliftance, à chercher comme leurs compagnons un Henri II,
azile dans la forêt. Le marquis de Montebello voyant que la 1557.
cavalerie ne lui feroit d'aucun ufage dans un endroit fi refferré,
ôc qu'elle étoit outre cela fort incommodée de l'artillerie des
ennemis , marcha vers Segna , où l'on avoit déjà envoyé le
canon. Il arriva qu'en failant fa retraite , il s'embarralTa dans
l'infanterie qui avoit été défaite > & qui prenoit la fuite : ce
nouveau défordre remplit les rangs de confulion s les cuiraf-
fiers Suifles , qui étoient à l'arriére-garde , furent ceux qui ré-
fifterent le plus , ôc qui arrêtèrent le plus long-tems l'ennemi.
Cependant après un long combat , ils s'enfuirent ainfi que
les autres , ôc il s'en fauva fort peu. Les Impériaux en firent
quatre cens prifonniers , en tuèrent un grand nombre, ôc leur
prirent fept drapeaux. Jule des Urfins fît en vain fes efforts
pour rallier fes troupes Ôc les ramener à la charge ? ayant été
lui-même bleffé dangereufement à la cuiffe , il fut fait prifon-
nier. Du côté des vainqueurs il n'y eutprefqueperfonne de tué.
Dominique de Mafilmo commandant de la cavalerie y fut
bleffé avec quelques autres. Ceux qui fe fignalerent le plus en
ce combat , furent Gafpard de Feltz qui avoit confeillé à Co-
lonne de donner bataille , George Madruce fon Lieutenant ,
Salinas, Mofquera ôc Martin de Godoy.
Colonne fut d'avis de pourfuivre fa victoire, ôc envoya Feltz
avec fes troupes ôc trois pièces de canon ,pourafliégerla Roc-
ca di Mafilmo. Cette place eft bâtie fur le fommet d'une mon- .
tagne inaccefiible ; elle appartenoit à Jean des Urfins , qui y
étoit pour la défendre, ôcquila croyoit imprenable. Colonne
alla lui-même enfuite à Segna, où les débris de l'armée du
Pape s'étoient retirez , avec le marquis de Montebello , la ca»
Valérie Ôc le canon : il efperoit qu'après avoir pris cette place, ôc
fait des dégâts dans fon territoire , il s'empareroit aifément de
Paliano , où commandoit Flaminio de Stabia.
Feltz voyant qu'on ne pouvoit contraindre Jean des Urfins
à rendre la place , ni l'emporter de force , parce qu'il étoit im-
pofiible d'en approcher le canon, eut recours à larufe. Com-
me il étoit fort expérimenté dans l'art militaire, ôc qu'il avoit
fait fon apprentifiage fous le marquis de Marignan , Général
aufïi rufé que brave , il joua aux ailiégez un tour de vieux
P ii j
n8 HISTOIRE
i Capitaine. Il mit lefiége devant Aftura ôc invertit tellement fe
Henri II P^ace > clue ^es allégez ne pouvoient rien apprendre de ce qui
. le paffoit dans fon camp : il laiffa enfuite fon artillerie dans un
lieu fecret , ôc ayant fait mettre fur des roues pluiieurs pièces
de bois qui avoient la figure de canon \ il les fit traîner à travers
la forêt par quantité de beufs ôc de bufles. Toute la vallée re-
tentiffoit du bruit des fouets ôc des bêtes , qui fembloient tirer
ce fardeau avec beaucoup de peine , à caufe de la difficulté
des chemins. Les habitans de la garnifon de la Rocca di Maf-
fimo «'imaginant que réellement les ennemis faifoient appro-1
cher du canon , pafTerent de la confiance où ils étoient au der-
nier defefpoir , ôc demandèrent à capituler : Jean des Urfins
même s ayant pris des furetez pour fa perfonne , fortit de la
ville avec fept de fes principaux capitaines, pour traiter des
articles. N'ayant rien conclu , il demanda d'être renvoyé dans
la place ; ce qui lui fut accordé : mais on retint les autres ca-
pitaines , parce que des Urfins , homme de peu d'efprit , s'é-
toit contenté de prendre des furetez pour fa perfonne , ôc
n'avoit pas eu la précaution d'en demander pour ceux qui l'ac-
compagnoient. Etant donc rentré dans la place , fans fes offi-
ciers , il fit demander aux afîiégeans la permiilion d'aller trouver
Colonne. Feltz la lui accorda, à condition qu'avant de par-
tir , il auroit une conférence avec lui. Des Urfins y confentit.
Mais étant dans le camp des ennemis , on ne le laifla point
aller qu'il ne fe fut engagé par écrit de rendre la ville , aux
conditions qu'il plairoit à Colonne d'impofer. On le fit partir
enfuite pour fe rendre auprès de ce Général : la compagnie de
foldats qui l'efcorta avoit ordre de le conduire par le chemin le
plus long ; Feltz pendant ce tems là dépêcha par un chemin
plus court un Courier à Colonne , pour lui mander ce qui s'étoit
pafTé à l'égard de des Urfins , ôc lui confeilla de ne lui accorder
aucunes conditions honorables , puifqu'il avoit eu l'imprudence
de s'engager fi témérairement. Ainfi des Urfins fut trompé trois
fois par Feltz ; ôc la Rocca di Mafïimo fut abandonnée à la
difcretion de l'ennemi , qui la mit au pillage.
Colonne , fuivant le plan qu'il avoit formé , alla camper au-
près de Segna, ôc tandis que le duc de Guife avoit fon camp
dans une plaine au-deffous de Nereto , ôc de Corropoli , le
duc d'Albe étoit à Julia avec fon armée? mais les chaleurs
v D E J. A. DE THOU, Liv. XVIIL 119
exceflives, qui avoient rendu l'air de cette contrée très-mal-
fain , ôc la quantité de mouches ôc de coufins dont fon armée Henri IL
étoit incommodée, l'obligèrent de décamper. S'étant donc em- 1 ç c 7.
paré de Turtureto , qui eft fitué dans un territoire très fertile
en pâturages , ôc très-commode à caufe de fes eaux , de fes bois,
ôc de la température de l'air, il alla camper vis-à-vis du duc
de Guife fur les bords de la Librata. Cette conduite de l'en-
nemi donna lieu au duc de Guife de palier le Tronto avec
fon armée , ôc de la conduire à Monte-Brandone ôc à San-
Benedetto dans les terres d'Afcoli ôc de Ferme : ce fut là
qu'il préfenta la bataille au duc d'Albe. Mais ce Général , qui
fçavoit que nous étions plus forts en cavalerie , ôc qui d'ail-
leurs ne vouloit pas rifquer une action décifive , refufa tou-
jours le combat , ôc trouva plus à propos de vaincre fans pé-
ril : le duc de Guife ne pouvant l'engager au combat fut con-
traint de s'éloigner. Sur ces entrefaites il arriva d'Efpagne trois
mille hommes d'infanterie fous la conduite de Dom Ferdinand
de Tolède , ôc mille de Sicile fous le commandement de D.
Sanche de Londono. Le duc d'Albe congédia les troupes
qu'on avoit levées dans le Royaume, ôc fur-tout celles qui
avoient pour chef le marquis de Torre-maggiore , tirées de-
puis peu de la terre d'Otrante.
Les habitans de Civitella recurent du duc d'Albe les louan-
ges, que méritoit le courage qu'ils avoient montré dans la
défenfe de leur ville. Après en avoir été récompenfez par
plufieurs exemptions ôc privilèges , ce Général accompagné
du marquis de Trevico conduifit fon armée à Angarano,
Il fit d'abord fommer les habitans de fe rendre 5 mais n'ayant
reçu d'eux qu'une réponfe hautaine & injurieufe , il fit drefler
fes batteries. Les affiégez reconnurent auffi-tôt la faute qu'ils
avoient faite ; mais le duc d'Albe ne fe laiffa fléchir, ni par
leur repentir, ni par leurs prières : la ville fut prife, pillée, ôc
brûlée ; on pafla prefque tous les habitans au fil de l'épée ,
ôc il y en eût treize de pendus j Thomas de JacufTo } en-
tr'autres , fubit ce fupplice par une raifon particulière. Il
avoit autrefois reproché à Afcanio de la Cornia la perfidie
avec laquelle il avoit quitté le parti du Pape ? celui-ci piqué
de l'infulte lui promit de le faire pendre : il lui tint pa-
role. Après la prife de cette place , le marquis de Trevico
I
120 HISTOIRE
»»..—..,- prit fa route vers Maltignano , ôc s'empara en chemin de la
Henri II R°cca & Moro , qui eft à trois milles d'Afcoli : il en fit fauter
les murailles par le moyen des mines. Il prit alors avec
lui dix compagnies d'Italiens, deux cens chevaux, ôc du ca-
non , ôc alla afîiéger Filignano. Cette place , fituée dans le
territoire d'Afcoli , eft bâtie fur une montagne efcarpée , ôc
refferrée entre deux autres montagnes : il n'y avoit pour toute
défenfe que cinquante hommes de garnifon , les habitans s'é-
tant enfuis. La garnifon ne laiffa pas néanmoins de fe dé-
fendre avec beaucoup de courage; mais elle fut enfin con-
trainte de céder à la force. Le marquis de Trevico les fit
prefque tous paffer au fil de l'épée, pour avoir ofé foûtenir un,
fiége dans une place fi foible.
Cependant le duc de Guife étonné-du progrès des ennemis;
ôc irrité contre les Caraffes, de ce qu'ils ne donnoient pas le
fecours qu'ils avoient promis, blâmoit ouvertement la con-
duite du Cardinal fon frère 3 qui les avoit crûs trop légèrement ,
Ôc parloit fort fouvent de retourner en France. Les CarafFes
jugèrent que ce départ ne pourrait que leur être très-préjudi-
ciable ; auiîl mirent-ils tout en ufage pour détourner ce Géné-
ral d'un pareil delfein : il lui promirent de nouveaux fecours,
des vivres, du canon , de l'argent , ôc offrirent même de mettre
leurs enfans en otage : en effet le marquis de Cavi fils du
duc de Palianofut donné en garde à François de Strozzi, qui
le conduifit au Roi de France. Mais Strozzi favorifoit fecrette-
ment l'ambition des Caraffes ; car , à leur recommandation ,
le Pape venoit d'honorer Laurent fon frère d'un chapeau de
Cardinal. Sur ces entrefaites le duc de Guife reçut ordre du
Roi de refter en Italie , ôc d'obéir au Pape en tout ce qu'il
lui commanderoit. Les efprits s'étant par-là reconciliez en
quelque façon , le duc de Guife prit la route de Macerata. Ce
Général efperoit faire quelques grands exploits , ôc croyoit
qu'il y alloit de la gloire du Roi ôc de la fienne : il fit revenir
à cet effet les Suiffes ôc les Gafcons , qu'il avoit envoyez au
duc de Ferrare fon beau-pere. Ce Prince fe voyant privé de
ce fecours, ne fongea qu'à la défenfe de fes Etats, ôc diftribua
ce qui lui reftoit de troupes dans les garnifons de Modene , de
Reggio , ôc de Carpi , pour les rafraîchir , ôc les délaffer des
longues fatigues qu'elles avoient elfuyées durant les grandes
chaleurs
DE J. A. DE THOU» Liv. XVIII. 121
chaleurs de cet Efté. D'un autre côté le marquis de Pefcaire , ■»,— ^.-n,
qui étoit relié dans Foffano , comme s'il y eût été affiégé, ôc J|ENRI nt
qui n'avoit pu fe joindre à Madruce , ni aux Allemans qui re- - - _
venoient de Milan 3 faille cette occafion pour fortir de fa re-
traite : Il fe mit à la tête de l'infanterie , ôc après avoir laiffé à
Foffano la cavalerie , fous la conduite de Cefar Maggi , il prit
la route la plus longue ôc la plus difficile par Nice de la Paille
ôc par le Montferrat ' , ôc pafla le Pô auprès de Guaftalla. Il
partit de-là avec huit cens Allemans , nouvellement levez
par les ordres du cardinal de Trente ; ôc pour fe venger des
dégâts qu'Alfonfe avoit faits danslepayis de Correggio , il ra-
vagea à fon arrivée les campagnes de Briffello s Ôc de Carpi,
ôc y mit tout à feu ôc à fang ; il continua fes violences dans le
territoire de Modene ôc de Reggio , où il fie un grand butin ;
fes courfes avoient plus l'air de brigandage que de guerre.
Sandi reçut ordre en ce tems-là de fe joindre à lui , avec les
troupes qu'il commandoit dans la Tofcane.
Cependant le duc de Florence , pour fervir le jufte reflen-
timent du roi Philippe y affembla fes troupes à Pefcia , ôc y
fit venir du canon de la ville de Pife : il décampa enfuite de
Barga s dans le defTein d'aller à Carfagnana , ville fituée fur
les frontières des Etats du duc de Ferrare > ôc de mettre le fiége
devant Caftelnuovo , qui appartenoit à ce Prince. Mais il re-
çut un contre-ordre de la part du duc d' Albe , qui lui envoya
Dom Sanche de Leva , pour lui dire d'entrer dans la campa-
gne de Rome. On connut , par la lenteur avec laquelle il
s'acquitta de cette commiiîlon , qu'il vouloit montrer d'un côté
une entière obéilfance aux miniftres de Philippe , ôc que néan-
moins , en faifant la guerre aux ennemis de ce Prince , il ne
vouloit pas s'en faire des ennemis particuliers. Cependant le
duc de Guife , qui étoit à Macerata , craignant que le duc
d' Albe , qui s'étoit rendu maître de Maîtiniano , ne mît le fiége
devant Afcoli, envoya Sipierre dans cette place , avec quatre
1 II y a dans le texte per Niceam
& Provinciœ montes ; ce qui d'abord
parok lignifier , par Nice & par les mon-
tagnes de Provence. Mais quelle route
le marquis de Pefcaire , auroit-il prife ,
pour fe rendre de Foffano à Guaftalla ?
cela ne fe peut comprendre , il auroit
précifément tourné le dos au lieu ou. il I feriat.
Tome 11L Q
vouloit fe rendre. C'efi ce qui fait ju-
ger que Nicea n ell point en cet endroit
Nice , vilie maritime , mais Nizza, ou
Nice de la Paille dans le Montferrat :
en ce cas il n'y a aucune difficulté. Pro-
vince montes, ce font les montagnes du
pays de Nizza, c'eft-à-dire le Mont-
122 HISTOIRE
"" g cornettes de cavalerie , fept compagnies de Gafcons, 6c du ca-
Henri II. non, qui avoit été endommagé au fiége de Civitella. Jean- An-
1 S S 7' toine Tiraldo étoit dans Afcoli avec douze compagnies d'Ita-
liens,qu'il avoit levées dans cette contrée, ôc à la tête defquelles
il s'étoit emparé de Campli : le fecours ne fut pas inutile > car le
duc d'Albe y étant arrivé , on commença par quelques efcar-
mouches. Une partie de la garnifon , qui s'étoit embufquée
dans les vignes qui font autour de la ville 3 ôc qui s'étoit poftée
dans des endroits avantageux ôc fortifiez par une efpece de re-
tranchement, étant fortie de fon embufcade, le duc d'Albe,
qui étoit venu reconnoître la place avec trois mille Efpagnols
ôc une partie de la cavalerie , gagna une éminence qui regarde
la ville, d'où il envoya quelques arquebufiers , ôc quelque ca-
valerie - légère , pour harceler nos troupes. On fe battit long-
tems furies bords du Verde, vulgairement appelle Marino , ôc
la victoire fut balancée. Enfin les troupes du Pape fe retirèrent
dans le chemin de Civitella, ôc pafferent fur le pont de la Caf-
tellana. Cette rivière de ce côté-là lave les murs de la ville, ôc
fe va perdre dansleTronto, qui paffe de l'autre côté ; deforte
qu' Afcoli , prefqu'environnée de ces deux rivières , paroîtune
efpece de péninfule. Les ennemis les y pourfuivirentaufii-tôt?
mais le canon de la citadelle, qui commande le pont, les in-
commoda fort dans leur pourfuite : le combat fut fanglant Ôc
très-meurtrier , ôc eut l'air d'une bataille 3 félon le témoignage
même du duc d'Albe , ôc des hiftoriens Efpagnols. Chaque
parti perdit plus de deux cens hommes ; mais fi on les en doit
croire , nous y fifmes une plus grande perte qu'eux. Roch de
Chaftaigner de la Rochepozay y fut fait prifonnier. Cet offi-
cier fit en cette journée tout ce qu'on peut attendre d'un grand
capitaine, ôc fe rendit aufïi eftimable par fa valeur, qu'il l' étoit
déjà par fa naiffance.
Les habitans d'Afcoli, épouvantés de cet échec , craigni-
rent que la ville ne fut emportée d'affaut, ôc quoique les Fran-
çois fiffent tous leurs efforts pour les raffurer , ils ne laifferent
pas de faire fortir delà ville > par la porte Romaine , leurs fem-
mes , leurs enfans , ôc leurs effets les plus prétieux. Le duc
d'Albe voyant qu'il étoit comme impofïible d'emporter cette
place en peu de jours , & que d'ailleurs le duc de Guife n'é-
toit pas fi éloigné, qu'il ne la pût fecourir3 reprit le chemin de
DE J. A. DETHOU,Liv. XVIII. 123
Maltiniano. Ce Général trouva qu'il auroit afles fait , s'il pou-
voit chafler les François du Royaume ôc contraindre le Pape J^ENRI n.
à recevoir la paix , après avoir porté la guerre dans les terres r ç ^ 7,
de l'Eglife , fans péril ôc fans effufion de fang. Le duc de
Guife, d'un autre côté., quoique fâché de n'avoir pas reçu le
fecours des Caraffes , ôc de n'avoir rien fait d'éclatant dans
cette guerre , croyoit cependant n'avoir pas tout-à-fait perdu
fon tems dans le royaume de Naples , puifqu'il avoit obligé le
ducd'Albe d'employer toutes fes forces à en défendre les fron-
tières.
Dès que la nouvelle de la défaite des Suifles fut venue jus-
qu'au Pape , ôc que ce Pontife eut appris que Segna étoit preffé
de plus en plus , ôc que les ennemis, après s'être emparés de
tous les pafTages , avoient réduit Paliano à une extrême difette
de vivres , il manda au duc de Guife de fe rendre à Rome.
Ce Prince , fuivant ces ordres , prit fa route par le duché de
Spolete , vint à Tivoli , ôc de là diftribua fon armée dans les
places voifines. Le duc d' Albe cependant , qui craignit que l'ar-
rivée du duc de Guife n'arrêtât les progrès de Colonne , laifîà
le marquis de Trévico dans Y Abruzze avec des forces allez
confidérables , ôc arriva au commencement du mois d'Août
à Popoii , où le Seigneur du lieu le reçut fort honorablement.
Il divifa enfuite fon armée en plulieurs corps , pour être moins
embarraffé dans fa marche? ôc après avoir côtoyé le Lac de
Celano , il defcendit dans la vallée d'Orvieto , ôc arriva à Bau-
co , le quatorze du même mois. Ce Général aflembla tou-
tes fes forces à Sura, Ôc donna ordre au marquis de Santafiore,
ôc à Cornia , de prendre le devant , ôc d'aller au fecours de
Colonne , qui affiégeoit Segna > mais Colonne , qui vouloir
avoir feul la gloire de prendre la place, prévint le fecours qu'on
lui envoyoit.
Dès qu'il eut appris les préparatifs que faifoit le duc d'Albe* Siège &Pri-
il redoubla fes efforts, ôc fît battre la place pendant trois jours. re de Segna
Cependant la poudre lui ayant manqué , il demeura deux jours Far ° onnc#
à ne rien faire 5 mais en ayant fait venir d'Anagni , il recom-
mença à faire tirera fes batteries. Il fe difpofoit à donner l'af-
faut jlorfqu'il apprit que les aiTîégez avoient creufé un grand fofle
derrière la brèche , ôc avoient préparé des pièges , ôc des feux
d'artifice. Ils avoient formé outre cela des retranchemens
124 HISTOIRE
«. des deux cotez , ôc y avoient dreffé une batterie de fix ca=
Henri II nons : ^Pr^s clue ^e canon & les feux d'artifice auroient
fait leur effet , cent cuirafTiers dévoient charger les affail-
îans. Quoique cet avis lui caufât beaucoup d'inquiétude >
il fe prépara cependant à livrer l'a (Faut , ôc ordonna aux Alle-
mans d'y monter les premiers. Mais les Efpagnols piqués de
ce qu'on les privoit d'un honneur qu'ils croyoient leur appar-
tenir, efcaladerent les brèches fur le déclin du jour , fans at-
tendre l'ordre des Chefs : ils ne furent pas plutôt arrivez au
haut de la muraille , qu'ils reconnurent leur faute. Ils prirent
néanmoins une réfolution conforme au danger où ils fe trou-
voient : ils pouffèrent un grand cri , fuivant la coutume , com-
me s'ils euffent voulu s'élancer dans le foffé ; les afîlégez en
même-tems tirèrent le canon ôc allumèrent les feux d'artifice
qui fe confumerent fans effet. Les Efpagnols fe jetterent
auffi-tôt dans la ville, ôc ils furent bien-tôt fuivis des Allemans.
Dans un moment cette ville fi riche fut pillée, faccagée ôc brûlée.
Le foïdat , le citoyen , tout fut paffé au fil de î'épée. Il étoit venu
un grand nombre de femmes des villes vifines., comme d'Anagni
de Veruli , de Fiorentino , ôc d'Alatro , ôc elles s'étoient reti-
rées dans Segna, comme dans un lieu de fureté. Après la prife
de la ville , elles fe réfugièrent dans des Couvens de Reli-
gieufes : mais ni elles ni les Religieufes ne furent point à cou-
vert de la brutalité ôc de la fureur du foldat. Tout ce qu'on
put fauver de l'incendie, fut une petite partie des vivres, avec
quatorze pièces de canon qu'on envoya àAnagni. Le defor-
dre ôc la cruauté y furent pouffes à un tel excès , qu'on dit que
Colonne même , qui avoit taché de reprimer le foldat effréné.,
eut horreur d'un fpeclacle il affreux.
Le Pape fut très - affligé de la ruine de cette ville. Aleffan-
dro Andréa dit , que ce Pontife en conçut une douleur excef-
ffve , Ôc qu'il déplora ce malheur en plein Confiftoire. Le mê-
me Hiftorien ajoute que , comme il croyoit que les Efpagnols
fe rendroient bien-tôt maîtres de Paliano ôc du Vatican mê-
me , ôc qu'ils le traiteroient avec la même cruauté , il prononça
ces paroles : Je fouhaite être uni avec Je fus - Chrift , & fattens
avec courage la couronne du martyre ; comme s'il eut été quef-
tion dans cette affaire de la caufe de Dieu , ôc comme fi
l'ambition ôc la témérité de fa famille n'euffent pas été le
DE J. A; DE THOU, Li v. XVIÎL 11$
flambeau de cette guerre 3 ôc la feule caufe du péril où il fe
voyait expofé. Henri IL
Colonne , après la pnle de Segna , alla camper à Pahano , i ç ? 7
ôc mit fon armée en garnifon à Ponte di Sacco , entre Segna
ôc Valmontone : il en avertit aufiî-tôt le duc d' Albe , qui don-
na ordre à fes troupes de fe joindre à celles de Colonne. Sur
ces entrefaites Alexandre Placidi arriva au camp de la part du
cardinal de Santafiore , pour négocier quelque accommode-
ment : il avoit cependant des ordres fecrets d'avertir le duc
d'Albe de la déroute des François auprès de S. Quentin en
Vermandois , afin qu'il traitât avec le Pape à des conditions
plus avantageufes.
Tandis qu'on conteftoit touchant les articles , le duc d'Al- Entreprifc
be envoya fecrettement à Rome les capitaines Mofquera, & bepourfer^n-
Palazio , avec ordre de confiderer exactement les endroits , dre maître de
par où l'on pourroit entrer plus aifément dans la ville. Ils rap- llome*
portèrent à leur retour , qu'en approchant du canon de la
grande porte, ôc en faifant fauter les gonds ôc les ferrures,
on pourroit très-facilement entrer dans Rome. Le duc d'Al-
be, qui prétendoit contraindre le Pape à traiter à des conditions
raifonnabîes , vouloit faire la paix dans Rome même. Placidi
fe retira donc , fans rien conclure , 6c dès qu'il fut parti 3 le
duc d'Albe fe mit de grand matin en campagne avec fon
armée, ôc arriva fur le midi à Colonna, où il fit repaître fes
troupes , ôc paffa le relie de la journée. Sur le foir il fit ap-
peller les Capitaines , ôc leur dit 3 qu'il alloit dans une ville
amie, où il étoit appelle par des amis : il leur fit en même
rems promettre que , quand ils y feroient arrivez, ils défen-
droient à leurs foldats de faire aucune violence , ôc leur or-
donneroient d'attendre , pour entrer dans la ville , les ordres'de
leurs officiers , ôc que les logemens fuifent préparez. Après
ces précautions , il fit laiiTer tout le bagage } Ôc ordonna que
chacun mît une chemife blanche fur fes armes ; il fit en-
fuite partir fon armée vers la féconde veille de la nuit. Elle
marchoit dans cet ordre : le duc d'Albe étoit à la tête avec
la cavalerie légère 5 l'infanterie Efpagnole ôc Allemande ve-
noit enfuite, ôc les Gendarmes formoient Parriere-garde. La
Huit étoit fi fombre ôc fi pluvieufe , qu'ils marchèrent fans
être découverts , ôc fe trouvèrent vers le point du jour , vis-à-vis
Qiij
f26 HISTOIRE
des murs de la ville. Le duc d'Albe cependant , qui crai-
IIenri II. gnoit que le duc de Guife ne fut parti lui-même de Monte
i S S 7- Rotondo , ôc ne fe fût rendu à Rome , où qu'il n'eût fait entrer
dans la ville une partie des troupes qui étoient à Tivoli , en-
voya la même nuit une compagnie de cavalerie d'élite, avec
mille Arquebufiers , pour s'emparer des chemins par où ces
troupes pouvoient palier.
Placidi , qui étoit déjà arrivé à Rome > rapporta au cardi-
nal Caraffe , que tandis qu'il étoit en chemin , il avoit vu l'ar-
mée ennemie en campagne ; mais qu'il ne pouvoit fçavoir la
route qu'elle prenoit. Ce Cardinal , craignant que le duc d'Albe
n'allât à Tivoli avec toutes fes troupes , pour y furprendre la
cavalerie Françoife , en quoi confiftoit la plus grande partie
de nos forces , fit avertir promptement les nôtres du péril où
ils étoient , Ôc leur confeilla d'aller joindre l'armée , qui étoit
alors difperfée dans plufieurs villes. Pour lui, qui avoit lieu de
fe défier du peuple Romain , ôc qui fçavoit que la NoblefTe
favorifoit fecrettement le parti des Colonnes , il ne voulut ja-
mais permettre que le peuple prît les armes , dans la crainte
qu'une multitude légère Ôc inconftante , ne tournât contre le
Pape ôc les Caraffes ces mêmes armes qu'elle auroit prifes
pour fa défenfe. Il fe contenta donc de vifiter pendant la nuit,
à la clarté des flambeaux , les endroits de la ville les plus foi-
bles. Mais il arriva fort à propos qu'Afcanio de la Cornia, à
qui le duc d'Albe avoit donné ordre de prendre les devans ,
rencontra trois heures avant le jour quatre cavaliers > qui
étoient fortis de Rome, pour faire quelque butin , ôc qui n'a-
voient aucune connoiflance de leur entreprife. Ce qui lit con-
jecturer à ce Capitaine , qu'on avoit envoyé ces cavaliers pour
reconnoître l'ennemi , ôc que l'entreprife étoit découverte. Il
fit faire aïteà fes troupes, en attendant l'arrivée du duc d'Albe,
ôc qu'on eût apporté les échelles. On apprit auiTi que Strozzi,
qui étoit à Tivoli , en étoit parti fur le foir , avec quatre cens
chevaux , Ôc dix compagnies de Gafcons ; mais on n'avoit
point de nouvelles de ceux , que le duc d'Albe avoit envoyez
pour furprendre les nôtres , parce qu'ils s'étoient égarez pen-
dant la nuit , pour n'avoir pas eu de bons guides.
Le duc d'Albe étoit dans de grandes inquiétudes : le
jour commençoit à paroître , ôc Feltz , qui devoit conduire
imi ■wfi iTn'rirr n \
DEJ.A. DETHOU, Liv. XVIII. 127
le canon , n'étoit pas encore arrivé. D'ailleurs , ce Duc ne
s'appercevant d'aucun trouble dans la ville , Ôc ne voyant £[ENRÎ j|o
point de foldats fur les murailles , s'imagina qu'ils étoient dans j r r 7.
la ville tous rangez en bataille , ôc que fon entreprife étoit
éventée. Mais comme il étoit trop prudent pour rifquer un
combat, où, fi la fortune lui eût été contraire , il eût bazardé fa
réputation , Ôc fe fût expofé à ruiner fes affaires qui étoient en
bon état , il fit peu à peu défiler fes troupes , & les ayant en-
fuite fait repofer dans une plaine, il les ramena à Colonna.
Tel fut le fuccès de l'entreprife du 16 d'Août, par laquelle
le duc d'Albe efpéroit s'emparer de Rome. Quelques-uns ra-
content différemment le fait : ils difent , que le duc d'Albe
n'avoit d'autre deffein que de faire peur au Pape > pour l'obli-
ger à recevoir des conditions plus raifonnables , ôc que ce Gé-
néral ne voulut pas en venir à la force , parce que les Alie-
mans , qui fe reffouvenoient encore du pillage de Segna ,
n'afpiroient qu'au butin ; car fi une fois on eût forcé les portes ,
il auroit été impofTible aux Capitaines d'arrêter la fureur du
foldat , ôc de fauver la ville du pillage.
D'autres croyentque cette entreprife fe fit de concert avec
le Fape, qui cherchoit un prétexte fpecieuxpour abandonner
le parti François. Dégoûté de cette guerre , il avoit déjà don-
né des marques de fa mauvaife difpofition à notre égard. On
rapporte même à ce fujet, que quand il eut appris le nouveau
traité fait entre le Roi ôc le cardinal Carafie., il ne put s'em-
pêcher de dire , que les loix des amis étoient bien dures , ôc
que s'il eût voulu traiter avec un Roi ennemi , il l'auroit fait
à des conditions plus avantageufes. Il eft cependant plus vrai-
femblable que leDuc avoit deffein de fe rendre maître de Rome;
parce qu'il efpéroit la trouver dépourvue de gens de guerre*
ôc pleine de divifions , caufées par la haine que le peuple por-
toit aux CarafFes. Colonne même s'étoit perfuadé( ôc iH'avoit
fait entendre au duc d'Albe) que le peuple fe révolteroit à
la vûë de l'armée, Ôc qu'animé contre le Pape ôc fes créatu-
res , il recevroit les ennemis dans la ville.
Le Roi donna ordre en ce tems - là au duc de Guife de
revenir en France ; ôc après avoir renvoyé les otages , il
laiffa la liberté au Pape de prendre le parti qu'il jugeroit le
plus convenable à fes intérêts. Le duc de Guife pria donc le
128 HISTOIRE
■■■■■.. Pape de trouver bon qu'il revînt en France : le S. Père n'y vou-
Henri II ^ut P°^nt confentir ; mais le Duc lui dit que les affaires du Roi
j ç * 7 " demandoient fa préfence. Enfin après beaucoup de contefta-
tions vives ôc de paroles ameres , on dit que ce Pontife , ou-
bliant les obligations qu'il avoit au Roi fie au duc de Guife ;
reprocha à ce Général d'avoir peu fait dans cette guerre pour
les intérêts de fon maître , très-peu pour ceux de l'Eglife , ôc
bien moins encore pour fa gloire particulière.
Le duc d'Albe , à fon arrivée à Colonna , diftribua fon
armée dans Alatri > Veruli , Ôc Bauco, qui font des places voi-
fines. Il alla enfuite à Genazzano , dans le deffein de mettre
le fiége devant Paliano > qui avoit donné occafion à cette
guerre. Mais tandis qu'on s'y préparoit , le Duc eut plu-
iieurs conférences avec le cardinal Caraffe , tant à Paleftrina ;
qu'à Cavi, ville fituée entre Paleftrina ôc Genazzano. Enfin la
paix fut conclue par les foins du duc de Florence , ôc par l'en-
tremife d'Evrard de Medicis ôc des Cardinaux de Santafiore ôc
Traité de Vitellozzo. Il fut arrêté que le duc d'Albe , au nom du Roi
î?ape& leroi d'Efpagne, feroit fes fourmilions au Pape , ôc que pareillement
d'Efpagne. fa Sainteté accorderoit à fa Majefté catholique fon amitié ôc
renonceroit à l'alliance des François : Que le Roi lui remettroit
cent places , dont il s'étoit rendu maître dans cette guerre ,'
après qu'il en auroit fait abattre les fortifications : Qu'il lui
reftitueroit auiïi les biens ufurpés ôc confifqués : Que de part
ôc d'autre il ne feroit plus fait mention des injures , des offen-
fes , ôc des pertes que la guerre avoit occafionces : Qu'on n'in-
quiéteroitperfonne, pour avoir porté les armes pour l'un ou pour
l'autre parti : Que Paliano , dans l'état où il étoit alors , feroit mis
en fequeftre entre les mains de Jean Bernardin Carbone parent
des Caraffes , qui donneroit fa parole , de la garder avec une
garnifon de huit cens hommes , ôc de ne la remettre à qui que
ce fut , jufqu'à ce que les parties d'un commun accord en euf-
fent décidé autrement. Ce traité fut fait ôc rendu public à
Cavi le 14 Septembre. Mais le même jour ôc au même lieu
on en fit un autre fecrettement , par lequel on convint , que
Jean Caraffe, au lieu de Paliano , recevroit en échange ce
que jugeroit à propos le Sénat de Venife , qui s'étoit rendu arbi-
tre dans ce différend. On demeura d'accord queRoffano, ville
fort riche 3 lui feroit accordée avec titre de Principauté: Qu'après
que
DE J. A. DE THOU, Liv. XVIII. 119
que Jean Caraffe l'auroit reçue , le fequeftre cefferoit , ôc
que Paliano feroit rafé : Que Caraffe cederoit au roi d'Efpagne Henri IL
tous les droits qu'il avoit fur cette place , ôc que ce Prince les 1 S S 7«
pourroit tranfporter à qui bon lui fembleroit, pourvu qu'il ne
fût ni excommunié ni ennemi déclaré du Pape j ce qui fut
ajouté , pour exclure Marc-Antoine Colonne , dont on ne fit
point mention , non plus que du comte de Bagno. Au refte ,
le duc d'Albe crut devoir accorder cet article à un vieillard
chagrin ôc intraitable , tel qu'étoit le Pape , ôc qui , félon les
apparences ,n'avoit pas long-tems à vivre; dans l'idée qu'après
fa mort , Philippe pourroit à fon gré difpofer de Paliano.
La même nuit que le traité fut conclu , le Tibre fe débor- Déborde-
da fi extraordinairement , qu'il entraîna prefque tous fes ponts, ment d'eaux à
abattit quantité de maiions ôc d'Eglifes , ôc ébranla même les Jlome & ail"
baftions du château faint Ange. La ville de Rome fembloit
flotter au milieu d'une vafte mer. Il périt dans la ville une gran-
de quantité de bœufs , de chevaux , d'ânes , Ôc de beftiaux de
toute efpece. Le peuple, qui habite les endroits les plus bas,
fe fauva à peine fur des bateaux , qu'on fit venir à la hâte. On
perdit par cette inondation une grande quantité de marchan-
difes , de meubles prétieux , de grains , de vins , ôc d'autres ef-
fets ; enforte que le dommage rut eftiiné de plus d'un million
d'écus d'or. L'Arne s'enfla pareillement à Florence, par deux
jours de pluye continuelle, ôc cette rivière étant fortie de fon
lit ordinaire , fit de grands ravages. Depuis un efpece de délu-
ge , arrivé 224 ans auparavant, ôc qui avoit prefque fubmergé
la ville, il n'y avoit pas de mémoire d'une pareille inondation.
Il en arriva autant à Mugello ôc à Cafentino ; la violence des
eaux ayant entraîné les moulins, les vivres furent pendant quel-
jours d'une cherté exceiîive j mais comme la paix venoit d'être
concluëjon en fit venir de Tivoli à Rome,ôc de Pife à Florence.
Nous ne fumes pas non plus exempts de ces inondations : il
y eut en Languedoc le 1 1 d'Octobre de grands tonnerres , fui-
vis d'éclairs ôc de pluies extraordinaires , qui fubmergerent à
Nimes prefque entièrement ces magnifiques monumens de
l'antiquité, dont on voit encore les reftes avec admiration , Ôc
remplirent la ville de ruines ôc de démolitions. Le même
défaitre fe fit fentir cette année enplufieurs endroits de l'Euro-
pe, ôc comme par une confpiration fecrete des Cieux , il en
Tome III. R
13° HISTOIRE
arriva autant dans les climats de l'Alie les plus éloignez. En
Henri II. effet à la Chine , dans la province de Sanciam , il tomba du
1 S S 7* ^aut ^es montagnes des torrens 11 impétueux , caufez par les
pluies, qu'ils fubmergerent fept villes & quantité de bourgades,
firent périr les hommes ôc les beftiaux , & formèrent un Lac,
qui de fa forme s'appelle aujourd'hui le Lac-Rond : il ne refta
d'une fi grande défolation qu'un feul enfant, qu'on trouva vi-
vant fur le tronc d'un arbre , préfervé par une faveur finguliere
de la Fortune.
Le duc d'Albe, dès que le traité fut conclu , en donna les
articles à l'évêque d'Aquila , pour les porter au Roi d'Efpagne?
& après avoir envoyé à Rome Frédéric fon fils , il partit lui-
même pour s'y rendre & faire fes foumifïions au Saint Père,
comme on en étoit convenu. Il arriva fur le foir dans cette ville,.
6c le lendemain il rendit fes refpe£ts au Pape. Ce Général refta
à Rome trois jours , pendant lefquels on fît de grandes ré-
joùhTances au fujet de la paix. Delà il partit pour Naples , où
après avoir mis ordre aux affaires, il laiffa trois compagnies
d'Allemands , fous la conduite de Ferdinand de Lodrone , frè-
re d'Alberic , qui avoit fuccedé à Walter , mort depuis peu.
Il fit embarquer enfuite le refte de fes troupes à Gaieté, dans
le deffein de faire la guerre au duc de Ferrare , qui afïiégeoit
Correggio : il avoit réfolu de les aller joindre inceffamment à
Gènes ; mais une tempête, qui le furprit en chemin, fit qu'il
s'y rendit un peu tard. De Gènes il fe retira à Milan , parce
que l'hiver approchoit. Pour le duc de Guife , il fit embar-
quer fes troupes à Civita-vecchia , prit la pofte , ôc revint en
France.
Fin du dix-huitième Livre,
i5i
<r^u ;~^» r^» c^» r^cu r^.» c^* <^u r^x» <"*4* <^* tsu r^, c^, rsu o^ oa* f1^, r^., r^, r^u f^, rXo, r^ c ^ <^l> c"W
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^ Il MWi^S^rlîJîiîS^îft^fîimwmîîi^^ Il pg*
I STOIRE
DE
JACQUE AUGUSTE
DE T H O U.
LIVRE D I X-NEWIE ME.
&&&&&&?&&&& ES évenemensfi malheureux mirent
*f& o=c^'"VD —O ^ non ^eu^ement des bornes à Ja prof- Henri IL
dg n~ ^ ~u ?$• perité des armes Francoifes en Italie; ■. T ? t n
*£ i^ç ^5* mais les affaires du roi rhilippe, qui Atf. ,,T
^ S 1 <? • Peu tems auparavant y etoient en talïe.
*k #ï* S JL-^ g ^ i? fort mauvais état , prirent une nou-
Sro&a&'s&fe || *r velle face , ôc fe rétablirent entière-
^j Ô=2^:2)(3^=0 ^ ment. Voici quelle étoit leur fituation
l^^^^fc^âSSi^ ^anS ^e^^anez- Le marquis dePef-
ajrt-^t^t»îi * * j^^j^i^rt cajrej après avoir perdu Valfenieraôc
Cherafco , n'ofoit fortir de FofTano , ôc fe trouvoit obligé d'y
confumer tous fes vivres, fans pouvoir obtenir aucun fecours
du duc de Florence. Ce Général enfermé, pour ainfi dire, au
milieu d'un payis ennemi , étoit enfin forti de cette place, ôc
fon départ avoit eu bien moins l'air d'une marche que d'qpe
R ij
i32 HISTOIRE
fuite ; fa cavalerie qu'il yiaiffa demeura alors comme afïiégée
Henri IL par Briffac. Pour comble de malheur, la méfintelligence fe mit
i S S 7' entre les miniftres de Philippe > jaloux les uns àçs autres. Com-
me Jean de Luna ôc François Taverne avoient depuis peu
fait des plaintes à l'Empereur de Ferdinand de Gonzague , il
arriva de même que Caftaldo & Jérôme de Correggio x rirent
des plaintes à Philippe , aufujet de l'avarice que le cardinal de
Trente faifoitparoitre dans fa manière de gouverner.Cesrepro-
Le mînifle- ches étoient néanmoins fans fondement 5 fi ce miniftré étoit bla-
Te Trente eft mable en quelque chofe, c'étoit plutôt par fa grande fecurité , fie
taxé d'une par fa prodigalité ôc fon luxe, que par une fordide œconomie.
aomk? œC°" Ce Cardinal accoutumé à la magnificence ôc à l'éclat, n'étoit
pas d'un caractère à vouloir accumuler des richelTes; il n'ai-
moit l'argent , que pour en faire un noble ufage dans les oc-
cafîons , où fon honneur exigeoit de la dépeniè.
On croit communément que Caftaldo avoit fait cette dé-
marche contre le cardinal de Trente , dans l'idée que, s'il étoit
révoqué , le marquis de Pefcaire obtiendrait fon gouverne-
ment. Caftaldo le favorifoit fecrettement , parce qu'il avoit fait
l'apprentiiTage du métier des armes fous ce capitaine fi célèbre
par le nombre des victoires qu'il a remportées. On ôta donc
au cardinal de Trente l'adminiftration des finances 5 ce
Miniftré s'en voyant dépouillé , ôc jugeant que fon auto-
rité , dépourvue de ce puifiant reiTort , alloit devenir très-
Figueroa foible , demanda à Phiiipe la permifiion de quitter le Mi-
d^Miiancz à lanez , ôc il l'obtint. Mais fon gouvernement , contre l'at-
U place du . tente de Caftaldo , fat donné à Jean de Figueroa gouver-
SS? de neur de la citadelle de Milan.
Le traité étant conclu entre le Pape ôc le duc d'Albe,le
cardinal Caraffe fut envoyé au Roi d'Efpagne , ôc le cardi-
nal Trivulce au Roi de France :l'un prit ainfi la place de l'au-
tre, pour tâcher, par l'entremife du Pape , de reconcilier ces
deux Monarques. Mais le cardinal Caraffe , qui , à l'infçû du
Pape, avoit abandonné le parti François, parce que la For-
tune fembloit l'abandonner, ne travailla à la Cour de Philip-
pe que pour fes propres intérêts. Ainfi de part Ôc d'autre il ne
fut plus queftion d'accommodement.
Ce fut alors que Philippe , hors d'inquiétude du côté de
1 Girolamo de' Signori di Correggio.
Trente.
DE J. A. DE THOU, Liv. XIX. 133
l'Italie, ne fongea qu'à porter au plutôt la guerre dans les
Etats du duc de Ferrare ; Ottavio Famefe devoit y avoir le Henri IL
commandement général des troupes. Alvaro de Sandi partit 1557.
de Tofcane , ôc alla joindre ce Prince avec mille Allemans
ou Espagnols , ôc deux cens chevaux-legers Napolitains. Mais
voyant à fon arrivée y que de trois mille hommes d'infante-
rie ôc de quatre cens chevaux, que le duc de Florence, fui-
vant le traité , étoit obligé de fournir pour cette guerre > il
ne paroifîoit que feize cens hommes d'infanterie , divifez en
huit compagnies, fous la conduite de Sigifmond de Rofïî
comte de Sanfecondo , ôc de François de Montauti , il fe
plaignit, en préfence de Figueroa ôc d'Ottavio , du procédé
de Corne, ôc menaça même d'en donner avis au Roi d'Ef-
pagne. La conduite du duc de Florence juftifioit allez les
plaintes de Sandi 5 car il étoit manifefte, que Corne favorifoit
le duc de Ferrare. Ce Duc fe voyant abandonné des Fran-
çois , avoit envoyé le comte Hercule de Tafîbni , ôc enfuite
Hippolyte de Pagano , pour chercher avec Corne quelque
voye d'accommodement, entre Philippe 6c lui; ôc au cas que
cela réùlTit, il lui avoit fait efpérer de faire une alliance avec
lui : Corne, qui vouloit rendre fervice au duc de Ferrare, ôc
qui cependant fe trouvoit obligé , par la grâce qu'il avoit
reçue depuis peu , de féconder le jufte reiTentiment des Ef-
pagnols , ne vouloit pas les contredire ouvertement : mais il
agiiîbit avec toute la lenteur poilible , Ôc tâchoit , en afToi-
bliffant leurs forces, de faire échouer leurs entreprifes. Ne vou-
lant pas néanmoins paroître manquer tout- à-fait à fes obligations,
il envoya au camp fept Cornettes de cavalerie, fous la con-
duite d'Aurelio Fregofe , qui ayant quitté depuis peu le parti
des François , s'étoit attaché au duc de Florence.
La mefintelligence de Sandi ôc de Figueroa commençoit à
éclater. Ce dernier, jaloux de la gloire de l'autre, ne luien-
voyoit qu'avec peine les fecours dont il avoit befoin. Corne 3
qui s'offroit toujours pour médiateur, fomentoit adroitement
leur divifion , ôc retardoit par là les opérations d'une guerre
qui n'étoit pas de fon goût. D'un autre côté , le duc de Fer-
rare, pour le mettre à couvert de la tempête qui fembloit le
menacer , raflembla toutes fes troupes ôc les mit en garnifon
dans les places , afin de fe précautionner contre les évenemens^
R iij
r
r?4 HISTOIRE
5t
& d'attendre tranquillement que la conduite de Corne eût
Henri IL produit quelque effet , par rapport au reffentiment des Efpa-
l C C 7. gno^s-
Cependant Ottavio, à la tête de toute fon armée, alla le pre-
mier d'Oclobre camper à Ponte-di-Lenfa , ôc partit de là ,
avec quatre pièces de canon , pour affiéger Montecchio , châ-
teau du Reggiano. Cette place étoit gardée par deux cens hom-
mes, qui fe rendirent aulti-tôt ôc furent renvoyés avec leurs
armes. Dès qu'Ottavio s'en fut rendu maître, il la fît fortifier,
pour fervir de retraite à l'infanterie , ôc de magaiin aux vivres ,
qui n'arrivoient auparavant de Parme qu'avec beaucoup de
danger. San-Polo fe rendit bien-tôt après avec quatre petites
places. Paul Vitelli , qui commandoit l'infanterie , fut envoyé
enfuite , avec cinq compagnies de Tofcans , ôc avec du canon,
pour affiéger le château de CanofTa, fitfté fur une colline fort
efcarpée. Il drefTa d'abord fes batteries , ôc ayant fait brèche , il
fit donner l'aiTaut. La garnifon fe défendit allés long-tems avec
beaucoup de courage? mais enfin elle fut contrainte de fe ren-
dre. Il s'empara prefqu'aulli - tôt du château de Varano fitué
dans la vallée Lunigiane , à peu de diftance de Fivizzano.
Tandis que l'armée étoit dans l'inaètion , parce que les Gé-
néraux étoient occupez à faire fortifier Montecchio , Céfar
Maggi, à la follicitation de Jérôme de Correggio, arriva avec
le fecours qu'on attendoit de Milan. Ce capitaine ayant pafTé
le Pô avec fes troupes , ôc mis des vivres dans Correggio, alla
joindre Ottavio : ce renfort conlîftoit en deux mille hommes
d'infanterie , partie Allemande , partie Efpagnole (car on ren-
voya auili-tôt la cavalerie Allemande ) en quatre compagnies
de Gendarmes > ôc une cornette de cavalerie légère. Ottavio
fe voyant appuyé de ce nouveau fecours fe rendit maître des
montagnes , du territoire de Reggio , après avoir mis , fui-
vant l'avis de Sandi , le fiége devant Scandiano. Cette pla-
ce eft à quatorze milles de Montecchio ôc à fept de Reggio.
Il la battit avec trois pièces de canon , la prit , ôc la fit forti-
fier ôc remplir de munitions de bouche } qu'il fit venir de
Parme. Le duc de Ferrare avoit fait élever aux environs trois
Forts , Stellata , SafTuolo ôc Vignale. Ce fut dans ce tems-là
qu'Ottavio , qui alloit tous les jours de Montecchio à Scan-
diano , à la tête de quatre mille hommes d'infanterie ôc de
DE J. A. DE THOU,Liv. XïX. t^
fix cens de cavalerie, fortifia Mozzadella ôc Chiarucolo , qui
étoient fur fa route. Henri IL
Alfonfe , fils du duc de Ferrare , croyant l'occafion favorable i $ î 7.
pour furprendre les ennemis , tandis qu'ils étoient occupés à
faire conduire des vivres , fortit de Reggio , avec Corneille
Bentivoglio , dans le dedein d'attaquer une partie de l'armée,
s'il ne pouvoit pas la combattre toute entière. Il alla donc
camper à Ri'valta , fur la rivière de Croftolo , où après avoir
laiffé paffer l'avant-garde conduite par Aurelio Fregofe ôc
Sandi, avec les Efpagnols , il attaqua l'arriére -garde , avec
quelques petites pièces de canon. Mais un fécond corps de »-
troupes étant furvenu , compofé de cinq compagnies d'Alle-
mands avec des Gendarmes , ôc un troifiéme compofé d'infan-
terie Italienne fous la conduite de Paul Vitelli,le combat de-
vint très-fanglant. Comme le jour commençoit à baifier lorf- Combat de
qu'il commença , il dura plus d'une heure dans la nuit. Al- Rivaka.
fonfe y eut du defavantage : du côté des ennemis , Sigifmond
de Rofïi , François Montauti , Pierre Martelli 3 ôc deux capr*
taines Efpagnols y furent dangereufement bleflés.
Alfonfe après le combat fe retira à Rivaka 3 comme s'il
eût dû y féjourner : mais craignant d'y être enfermé le lende-
main par toutes les troupes ennemies, il en fortit la nuit, ôc
fe retira à Reggio avec toute fon armée. Les ennemis de
leur côté, ne laifferent pas d'être fort embaraflez; car fe voyant
en défordre , ôc d'ailleurs la nuit étant très-obfcure , ils ne
fçurent où' faire retraite? mais dès que le jour eût commencé
à paroître, ils s'emparèrent de Rivaka. Ils eurent enfuite def-
fein d'adiéger Brifîello 5 mais ce projet ne rendit point. Le
duc de Ferrare en fut averti , par les intelligences qu'il avoit
dans le camp des ennemis. Il arriva même fort à propos pour
ce Prince , que Montluc , qui , à la follieitation du duc de
Guife , avoit obtenu de revenir en France , fe trouva pour lors
à Ferrare. Ce Capitaine entreprit de défendre cette place , ôc
fit tant par fes foins ôc par fa préfence , comme il l'a écrit lui-
même , qu'il fit changer de dedein aux ennemis. Il eft bon
de remarquer ici une faute échappée à la mémoire de Mont-
luc ; il dit que Ferdinand de Gonzague commandoit alors
l'armée ennemie , ôc que le duc de Ferrare apprit le dedein
de ce Général , par le cardinal Hercule de Mantouë fon frère»
l5S7-
i3<5 HISTOIRE
Il eft néanmoins confiant qu'il y avoit alors quatre ans , que
tt tt Gonzague n'avoit aucune part dans les affaires d'Italie , 6c
que tandis que ces choies s'y paffoient, & même auparavant,
il étoit ailé par l'ordre de Philippe dans les Payis-bas , où il
avoit été un de ceux qui avoit le plus contribué par fes con-
feils à l'entreprife du fiége de Saint-Quentin.
Après le combat de Rivalta , comme l'hiver approchoit , 6c
que le nombre des foldats > ôc particulièrement des Italiens ,
diminuoit tous les jours , Ottavio diftribua fes troupes dans les
garnifons voifines. Il étoit impoffible à ce Général de tenir la
campagne plus long-tems ; tout fon camp étoit en défordre :
Figueroa , par haine contre Sandi, 6c Corne, pour favorifer
le duc de Ferrare, ne lui fourniffoient pas les fecours néceffai-
res. Cependant Corne lui avoit envoyé Ferdinand Saftre avec
une compagnie d'Efpagnols , 6c Céfar Cavaniglia avec une
d'Italiens. Sandi en fit fes plaintes au Roi d'Efpagne , 6c ac-
cufa le duc de Florence de tirer exprès cette guerre en lon-
gueur , pour favorifer le duc de Ferrare. Il repréfenta même
à ce Prince , que Corne , ne fongeant qu'à fes intérêts parti-
culiers faifoit tous fes efforts > au mépris des intentions de fa
Majefté, pour pouvoir ménager un accommodement fans ef-
fufion de fang.
Il eft vrai que le duc de Florence s'étoit entretenu avec le
duc d'Albe des moyens de pacifier l'Italie , lorfque ce duc
partit de Naples 6c le vint trouver à Livourne. Corne lui
avoit repréfenté, qu'à la vérité ce n'étoit pas fans fondement
que Philippe avoit conçu de la haine contre le duc de Fer-
rare ; mais que fi ce Monarque vouloit affûrer {es affaires en
Italie , le plus fur moyen étoit de facrifier fa jufte colère , ôc
d'appaifer des troubles, dont fon reffentiment feul étoit la
caufe. Il lui remontra que les peuples , abattus 6c épuifés par
cette guerre 3 ne foûpiroient qu'après la paix 3 6c que c'étoit
le fruit qu'ils attendoient des victoires du roi d'Efpagne 1 qu'au
contraire il étoit à craindre , que fi ce Prince continuoit une
guerre qui pourroit en allumer encore d'autres 3 l'affection des
peuples ne fe refroidît, 6c qu'enfin fes fujets perdant toute
efpérance de voir la fin de leurs maux , ne priffent quelque
dangereufe réfolution dictée par le defefpoir. C'eft par là que
Côme avoit perfuadé au duc d'Albe , de faire enforte que
Philippe
DE J. A. DE THOU, Liv. XIX. 137
Philippe rendît le calme à l'Italie, à quoi un accommodement
avec le duc de Ferrare pouvoit beaucoup contribuer > parce Henri IL
que dès que ce duc fe feroit reconcilié avec le roi d'Efpagne , 1 S S 1*
il ne reftoit en Italie , ni Prince , ni République , qui voulût
fuivre le parti François.
Ce fut dans ces circonftances que les Siennois , qui avoient
tout ofé & tout fouffert pour conferver leur liberté, ne pou-
vant plus fuffire aux frais de la guerre , ôc d'ailleurs dégoûtez
delà forme du gouvernement républiquain, confièrent, fui-
vant l'avis d'AmbroifeNuti, toute l'autorité du gouvernement
à Blaife Monluc 6c à Eoniface de la Mole, & remirent fous
îa puiffance des François , Montalcino , GrofTeto ôc Chiufi ,
avec tout le territoire de ces villes ; ils en firent même un
a£te qu'ils envoyèrent au roi de France. Ces peuples efpé-
roient- que Henri conferveroit ces places avec d'autant plus
de zélé, qu'il défendroit fon propre bien , ôc non celui des
autres.
Au commencement de cette année , Albert de Brande- t Affaires
bourg , fils de Cazimir , qui depuis peu avoit obtenu , par Jx^td'AKert
l'entremife de quelques Princes des Etats de l'Empire , la per- de Brande-
miflion de revenir en fon payis, pour défendre fa caufe , mou- boul'g-
rut chez Charle marquis de Bade fon allié , le 8 de Janvier à
Schwartzwalt , d'une maladie contractée par fes grands cha-
grins ôc fes anciennes débauches. Il fut un grand exemple
de l'inftabilité des chofes humaines ôc de la vengence divi-
ne. Ce Prince , qui à la tête d'une formidable multitude de
foldats , avoit autrefois femé en tant de lieux l'allarme ôc l'ef-
froi , qui avoit ravagé prefque toute l'Allemagne , ôc faifoit
tout trembler au bruit de fon nom, éprouva fur la fin de
fes jours les vicifïitudes de la Fortune 5 il mourut miférable-
nient , abandonné de tout le monde , méprifé de fes ennemis
même , ôc de ceux qui l'avoient le plus redouté.
Le 1 3 de Mars , on finit la Diète de Ratifbonne commen-
cée l'année précédente. On y publia l'édit , qui portoit qu'on
établiroit une conférence à Worme le 14 Août, pour termi-
ner à l'amiable les différends au fujet de la Religion : qu'on
continueroit de fournir à Ferdinand des fecours contre leTurc ,
ôc que pour cela on payeroit encore une fois les huit mois
Tome III, S
I^s
HISTOIRE
•— "==«5 Romains r : Qu'on maintiendroit la paix , foit par rapport aux
Henri IL affaires de la Religion , foit à l'égard des autres affaires ci-
1 S S 1' viles ôc politiques : Qu'enfin la chambre Impériale feroit ré-
tablie. Peu de tems après, Jean, Palatin de Simmern, Pré-
fident de la chambre Impériale , mourut au mois d'Avril : il
étoit père de ce Frédéric , qui deux ans après fucceda à
Othon Henri dans l'éle£torat. Jean fut un Prince auffi diffrn-
gué par fon érudition , que renommé par fa juftice ôc fa pru-
dence.
Ce fut aufîl en ce tems-là, que le fameux différend, qui
duroit depuis plus de cinquante ans , entre les Princes de
Naffau & de Heffe , touchant la fouveraineté de Catzenelenbo-
gen , fut terminé à Francfort par un accommodement , fuivant
l'arbitrage de pluiieurs Princes , & autres Juges nommés à cet
effet. Les électeurs Othon Henri Palatin , ôc Augufte de Saxe s
Guillaume duc de Cleves, & d'autres Seigneurs, furent les ar-
bitres. Le comté de Catzenelenbogen demeura à Philippe de
Heffe , qui fut obligé de donner à Guillaume de Naffau prince
d'Orange 600000 écus d'or ôc de lui rendre le comté de Diez
pour ijoooo.
Cependant comme le tems de la conférence approchoit,
les Théologiens de la haute Allemagne > qui fuivoient la Con-
feffion d'Aufbourg, s'affemblerent , ôc s'accordèrent enfemble
touchant leurs difputes particulières. Mais étant convenus avec
ceux de la Confeilion de Saxe , qu'avant de conférer avec les
Catholiques Romains, ils auroient enfemble une- entrevue le
premier d'Août , ils ne fe rendirent à la conférence que vers le
commencement du mois de Septembre.
Jules Phlug évêque de Nawmbourg, qui préfidoit à la con-
férence , demanda avant toutes chofes , que ceux qui fuivoient
entre les Ca- la Confeffion d'Aufbourg , fiffent une déclaration autentique,
tholiques & qu'ils réprouvoient l'opinion des Zuingliens , des Ofiandriftes,
lesProteftans. des Synergiftes ^ & des Adiaphoriftes 3, & qu'ils déteftoient
1 On appelle ainfi en Allemagne les
importions que payent les membres de
l'Empire , pour des dépenfes extraor-
dinaires , comme font les guerres de
l'Empire , les élections , les couronne-
mens, les voyages de l'Empereur, 8cc.
On avoit déjà payé une fois huit de
ces mois Romains pour la guerre con -
tre le Turc ; il eft ordonné ici qu'on les
payera encore une fois , ce qui s'ap-
pelle double mois , duplicatis auxiliis,
z C'eft-à-dire les Cooperateurs,
3. Ceft-à dire les IndifFerens.
DE J. A, DE T H O U , L i v. XII. 159
leur doctrine. Il ajouta que l'Empire n'avoit accordé la paix, 'J!"!SH=!iii!ïJ
qu'à ceux de la Confefïion d'Aufbourg ; que la conférence n'é- Henri II.
toit établie que pour eux > que l'Empereur n'ignoroit pas que 1 $ $ 7>
plufieurs d'entr'eux avoient ordre de faire cette déclaration ; Ôc
qu'enfin Ci l'on vouloit tirer quelque fruit de cette conférence ,
on devoir unanimement condamner ces fe&aires. C'eft, difoit-
il , le véritable moyen de trouver moins de difficulté fur les
autres articles. s
Les miniftres des jeunes Princes de Saxe furent de cet avis ;
entr'autres Erafme Sarcier , Erard SchneprT, Viclorin Strigel-
lius , Jean Steffel ôc Joachim Molin. Après avoir montré les
ordres qu'ils avoient , ils déclarèrent qu'ils ne comprenoient
pas dans leur Confeflion les fentimens de ces hérétiques 5 mais
Philippe Melanchton foûtint qu'avant de condamner leur
doctrine , on devoit la faire connoître ôc l'expliquer : il ajouta
que les Zuingliens , les Synergiftes 3 Ôc les Adiaphoriftes , ne
pouvoient être condamnez , fans avoir été entendus. Brentzen
foûtint la même chofe à l'égard d'Ofiander.
Les Catholiques Romains ne vouloient point continuer la
conférence , que l'Empereurt n'eût été confulté fur cette diffi-
culté. Mais Ferdinand donna ordre de procéder fans délay,
ôc dit qu'il fuffifoit de mettre par ordre les erreurs les plus
groflieres , qui fembleroient mériter une condamnation unani-
me. Cependant comme l'évêque de Nawmbourg voulut, avant
toute chofe , être affuré de la foi de ceux avec lefquels il avoit
à conférer , on fe fépara fans rien conclure , fi l'on excepte deux
traitez que quelques Théologiens examinèrent entre eux au
commencement delà conférence ; l'un fur le péché originel;
ôc l'autre fur une forme de jugement qu'il falloit établir dans
l'Eglife. Les Catholiques rejetterent fur les Proteltans la rup-
ture de la conférence , ce qui les rendit fort odieux.
Tandis que la paix régnoit en Allemagne 3 ôc qu'elle n'étoit
troublée que par les difputes des Théologiens , il s'en fallut
peu que la guerre ne s'allumât dans la Saxe, à l'occafion que je
vais dire. Chriftophle de l'illuftre maifon des ducs de Brunf-
wick , archevêque de Brème , avoit été nommé coadjuteur de
cet Archevêché dès l'année 1 5 1 1 par l'archevêque JeanRoden,
qui fe fentoit hors d'état de foûtenir plus long-tems la guerre,
que lui faifoient l'électeur de Saxe * ôc le comte d'Oldenbourg, Ma£m°
S ï)
i4o HISTOIRE
ôc qui fe voyoit d'ailleurs méprifé de fes peuples , à caufe de la
Henri II bafleffe de fon extraction. Chriftophle étoit accablé de dettes ;
j f - 7 qu'il avoit contractées , tant par fa mauvaife conduite , que
par les guerres qu'il avoit eu autrefois à foûtenir contre le mar-
quis Albert de Brandebourg. Se voyant prefle par fes créan-
ciers , il voulut obliger fes fujets à lui donner la feiziéme partie
de leur revenu. Ce nouvel impôt parut infupportable ôc révolta
îe peuple : la plupart ne voulurent pas fouffrir qu'on fît un état
de leurs biens , & que leurs facultez fuiTent connues. Cepen-
dant ceux qui avoient ordre de faire ce dénombrement, y pro-
cedoient avec beaucoup de févérité, fur-tout à l'égard des ha-
bitans d'Urfaz, dans la Fiïfe orientale. L'archevêque de Brè-
me haïflbit depuis long-tems ceux de ce payis-là , parce qu'ils
s'étoient montrez fouvent rebelles à fes ordres : ces peuples
en donnèrent même des marques en cette occafion 5 car fe
rappellant leur ancienne liberté , ils refuferent de payer les
nouvelles impofitions.
L'Archevêque prit occafion de ce refus, pour les punir de
toutes leurs révoltes. Il chargea Henry Sultz de fblliciter un
nommé Chriftophle Wrifberg , homme hardy ôc entreprenant,
de lever des troupes , Ôc il lui donna de l'argent à cet effet.
Le Prélat ne vouloit pas au commencement qu'il parût que la
guerre fe faifoit en fon nom ; c'eft pourquoi les foldats ôc les
capitaines interrogez, pour quel fujet ils avoient pris les armes;
répondoient, que l'Archevêque leur devoit de l'argent pour
leur folde, ôc qu'ils feroient la guerre , jufqu'à ce qu'ils fulTent
payez. Ils commencèrent leurs hoftilitez dans les terres de
Lunebourg ôc de Brème , Ôc après y avoir fait beaucoup de
ravages , ils entrèrent dans la Frife , ôc affiegerent le bourg
d'Urfaz. Ceux qui étoient en état de porter les armes , fe mi-
ïent en défenfe; mais à la première attaque il y en eut yo de
tuez, Wrisberg en fit 300 prifonniers , ôc le refte fut mis en
fuite. Ceux qui purent échapper , fe retirèrent , ôc allèrent
implorer le fecours des Etats de Brème , qui avoient déjà pris
les armes pour défendre leurs frontières.
Ces troubles arrivèrent dans le tems que Henry ôc Eric de
Brunfwick alloient trouver le roi Philippe, avec toutes les trou-
pes qu'ils avoient levées. Ces Princes ayant été informez des
ravages que Wrisberg faifoit dans les terres d'Urfaz > partirent
DEJ.A. DE THOU.Liv. XII. 141
le deux de May , à la tête de leur armée , ôc prirent la route "" *
de Veherdan , daus le deffein de combattre Wrisberg. L'Ar- Henri II.
chevêque de Brème prit l'épouvante à leur arrivée , Ôc les pria 1 5 5 7.
de ne pas ufer de violence , ôc d'avoir égard à fes remontran-
ces. Us continuèrent leur route , ôc après avoir fait rafraîchir le
foldat à Veherdan, ils partirent en diligence fur les fix heures
du matin, ôc prirent Rodebourg par compofition. Ce fut alors
qne l'armée de l'Archevêque , qui n'étoit compofée que de
troupes ramaffées à la hâte, fe difïipa d'elle-même. Les foldats
fe retirèrent en divers lieux: Wrisberg, le flambeau de cette
guerre , fut pris par un gentilhomme, appelle Jean Berner, ôc
livré à Brunfwick , qui le fit mettre en prifon : Sultz eut le
même fort , ôc fut enfermé dans les prifons de Lunebourg.
Eric de Brunfwich voyant ces troubles appaifez , revint le
ii de May à Veherdan. Il fit aifembler à fon arrivée les Etats
de la province, ôc leur confeilla de fe défaire de leur Arche-
vêque, comme d'un homme incapable, ôc qui jufqu'àprefent
les avoit fort mal gouvernez. Il leur reprefenta qu'ils dévoient
l'enfermer dans quelque couvent, où il pût paner tranquille-
ment le refte de fes jours , fans fe mêler d'autres chofes que
de fes fonctions Eccléfiaftiques 5 il ajouta que , du vivant
de Chriftophle, les Seigneurs auroient l'adminiftration des affai-
res , ôc que cependant ils rembourferoient les frais de cette
guerre, que leur Archevêque avoit entreprife avec autant de
témérité que d'injuftice. » Car, difoit-il, il n'eftpas vrai-fen>
» blable que fans le fecours ôc le confentement des Seigneurs 3
» votre Prélat eut entrepris une guerre contre fes fujets , ôc eût
=» ravagé leurs terres : il eft bien plus naturel de croire , que
» c'eft par leur confeil qu'il a tourné contre fes peuples des
» armes , qu'il ne devoit prendre que pour leur défenfe. « Les
Etats ne répondirent autre chofe , finon qu'ils feroient citer
leur Archevêque , ôc lui feroient de rigoureufes défenfes de
ne plus faire à l'avenir de pareilles entreprifes ; qu'au refte dans
la fituation préfente , ils ne pouvoient priver ce Prélat de
fa dignité ôc de fes revenus : Que pour ce qui concernoit les
frais de la guerre , ils exécuteroient tout ce qui feroit décidé
dans l'affemblée des Princes ôc des Etats de Saxe.
Le calme étant rétabli dans la province , Eric conduiflt
Farinée à Philippe, qui pour lors afTiégeoit Saint Quentin. La
S iij
i42 HISTOIRE
1 ■■ diète ayant depuis été convoquée à Halberftat le 28. de Juin;
Henri IL l'archevêque Chriftophle fut accufé devant l'afTemblée des
1 S S 7» Seigneurs qui la compofoient , d'avoir troublé le repos public,
en faifant la guerre à fes fujets , ôc d'avoir caufé des défor-
dres fur les frontières de fes voiiins. Ce Prélat, pour fejuf-
tifier, dit qu'il n'avoiteu d'autre defTein , que défaire la guer-
re aux peuples d'Urfaz, nation indomptable , qui depuis 32
ans qu'elle avoit fait une tranfa&ion avec lui , ne payoit qu'avec
beaucoup de peine , ôc de mauvaife foi , le tribut dont elle
étoit convenue : Qu'ainfi il avoit crû lui être permis' de pren-
dre les armes , pour réprimer l'audace d'un peuple qui ne
cherchoit depuis long-tems qu'un prétexte pour fe révolter;
qu'au relie il étoit très affligé que fes voifins en euffent reçu
quelques dommages : il ajouta que ce n'avoit pas étéfon in-
tention en puniffant les rebelles.
Les malheurs ôc l'affliction de ce Prélat attendrirent l'af-
femblée, qui fatisfaite de fes excufes lui fut dans la fuite très-
favorable. Quelque tems après cet Archevêque réfolut de cé-
der fes diocefes à quelque prince , qui fatisfît fes créanciers,
ôc lui fit une penfion honnête. Il alla à cet effet à Berlin ,
pour trouver l'électeur Joachim de Brandebourg. Mais en
revenant il mourut à Tangermund fur l'Elbe, d'une attaque
d'apoplexie. Sa mort arriva le 22 de Janvier 1 5* 5* 8 : il étoit âgé
de foixante ôc treize ans. Il eut pour fuccefleur George fon
frère , qui étoit déjà dans un âge avancé.
Affaires de Revenons maintenant aux affaires de France. Comme après
l'entreprife de Douay , ôc le pillage de Lens , la trêve avoit
été rompue, ôc que tout tendoit ouvertement à la guerre, il
fe prefenta de notre côté de grandes difficultez. Le duc de
Guife avoit emmené avec lui en Italie la plus brave Nobleffe
ôc les meilleurs troupes du Royaume ; ce qui nous avoit fort
affoiblis. Cependant le Connétable de Montmorency, qui
n'avoit pas été d'avis d'entreprendre cette guerre, parce qu'il
en prévoyoit les fuites fâcheufes , raffembla ce qu'il pouvoit
avoir de troupes , pour défendre les frontières. Il donna or-
dre aux Gensd'armes , qui font les meilleures troupes de Fran-
ce , de s'affembler fur la fin de Janvier en Champagne , par-
ce qu'il y avoit apparence que les ennemis attaqueroient le
Royaume de ce côté là.
France.
DE J. A. DE THOU Liv. XIX. 143
Le duc de Ne vers , ôc Bourdillon fon lieutenant , travail-
loient cependant à faire fortifier la frontière. Ils s'attachèrent Henri IL
fur-tout à Roc-roy, où commandoit Chambri, & y mirent 1557.
une bonne garnifon. Cette place étoit de grande importan-
ce pour la confervation de Mariembourg ôc de Maubert-Fon-
taine. Il étoit très-aifé outre cela d'envoyer de Roc-roy des
vivres dans ces deux places. Roc-roy , fitué dans un payis fte-
rile , d'un côté eft environné de grands marais ôc de terres
graffes , ôc de l'autre , de buiflbns ôc de rochers efcarpez 5 ce
qui rend cette place prefque inacceflible ôc fort difficile à
afliéger. Elle eft flanquée de quatre grands baftions , ôc de la
vieille citadelle qui en forme le cinquième. On a donné 3
fuivant l'ufage un nom particulier à chaque baftion. Le pre-
mier a été appelle le baftion du Roi , le lecond du Dauphin,
le troifiéme de Montmorenci , le quatrième de Nevers , le
dernier de Bourdillon. Cette ville étoit encore entourée d'un
large folTé ôc d'un rempart de terre , qui ne pouvoit être ce-
pendant endommagé par les pluies : le tout étoit accompagné
de petits baftions plus bas que les cinq autres : de forte que
comme cette ville étoit très forte , ôc lituée très-avantageufe-
rnent , il y avoit beaucoup de monde qui venoit s'y établir.
Les ennemis cependant faifoient fecretement leurs prépa-
ratifs ; ce qui fit que l'hiver ôc le printems fe palTerent avant
que les troupes fe fulTent affemblées départ ôc d'autre. Mais
enfin le 4 d'Avril, les garnifons de Charlemont, de Philip-
peville , de Givais ôc d'Avennes , étans forties en même terns^
réfolurent de s'emparer du vieux Roc-roy, ôc d'en détruire les
nouvelles fortifications : ce qui étoit d'autant plus aifé, qu'elles
n'avoient pas alors trois pieds d'élévation. Les nôtres à la vue
de l'ennemi, s'imaginant d'abord que c'étoit des coureurs qui
venoient pour fourager, allèrent audevant d'eux. Mais aune
certaine diftance 3 s'étant apperçûs de l'embufcade que les
ennemis leurs avoient drefTée , ils firent alte 3 ôc avant que d'ê-
tre envelopez, ils fe retirèrent fans aucune perte.
Sur ces entrefaites , Marie Reine d'Angleterre, à la perfua- La reine Ma-
fion de fon mari • , déclara la guerre à la France ; elle envoya rje envoyé
à cet effet un Héraut nommé Guillaume Norri , qui arriva en terreau Roi;
France fous un habit déguifé } tandis que le Roi étoit à Reims,
1 Philippe roi d'Efpagne,
,44 HISTOIRE
i Le Connétable accufa d'abord ce Héraut , d'être entré dans
Henri IL ^e royaume fans lettres , ôc fans porter les armes de fa Maî-
j , -_ trèfle , comme s'il eût commis en cela un crime capital. Ce-
pendant il le préfenta au Roi le 7 de Juin. Après que Norri
fe fut mis à genoux , ôc qu'il eût expofé fes ordres > le Roi lui
dit en préfence des Grands du Royaume, du Nonce du Pape,
des Ambafladeurs du Roi de Portugal , de la République
de Venife , ôc de l'Envoyé du duc de Ferrare , qu'il acceptoit
volontiers cette déclaration de guerre ; mais qu'il vouloit que
toute la terre fçût, qu'il avoit toujours fait fon poflible , pour
fatisfaire aux articles du traité fait entre la France ôc l'An-
gleterre , ôc qu'il avoit cultivé l'amitié de la Reine , avec au-
tant de fincerité que jamais il avoit fait à l'égard d'aucun autre
Prince. Il ajouta, qu'il efpéroic que la juftice Divine le ven-
geroit de la rupture de ce traité , ôc que les Anglois ne fe-
roient pas plus heureux dans cette guerre , que dans prefque
toutes les précédentes, Afin que le Héraut ne pût rien ré-
pliquer ) ce Prince lui dit : « Au refte, je vous parle de la forte,
a» parce que c'eft une Reine qui vous envoyé ; li c'étoit un
» Roi , je vous parlerois fur un autre ton. » Il lui commanda
enfuite de fortir au plutôt du Royaume. Norri après s'être re-
tiré, fut conduit à l'hôtel de l'Ambafladeur d'Angleterre , d'où
après avoir reçu du Roi une chaîne de la valeur de 200 écus
d'or, il partit avec l'Ambafladeur.
- Le Roi n'eût pas plutôt reçu cette déclaration de guerre ;
qu'il envoya en Ecofle des Ambafladeurs à la Régente, pour
demander , que fuivant le traité , les Ecoflbis déclaraflent la
guerre aux Anglois ; puifque Marie , non contente de fecou-
rir ouvertement fon mari , avoit été la première à déclarer la
guerre à la France. On Ht la le£ture de la lettre du Roi ,
dans une aflemblée des Grands du Royaume, à peu près dans
le tems que les Ambafladeurs, qu'ils avoient envoyez en An-
gleterre , revinrent fans apporter ni aflurances de paix ni
déclaration de guerre. La Régente , qui étoit à cette Aflem-
blée i repréfenta aux Ecoflbis les courfes ôc les ravages des
Anglois , les torts qu'ils en avoient reçus , ôc le peu de fatis-
fa&ion qui leur en avoit été faite. Enfin cette Princefle les
ayant exhortés à faire la guerre aux Anglois , pour laver des
affronts fi injurieux à la gloire de la nation Ecoflbife , elle les
follicita.
DE J. A. DE THOU, L'iv. XIX. 14?
follicita en même tems de donner du fecours au Roi de France.
N'ayant pu leur perfuader de prendre les armes les premiers, Henri IL
elle réfolut, fuivant le confeil que lui donna d'Oifel > de leur j...
faire entreprendre cette guerre, même malgré eux. Voici la ma-
nière dont elle s'y prit. Elle donna ordre de bâtir un Fort à
l'embouchure de la rivière d'Ail, pour s'oppofer aux courfes im-
prévues des Anglois , ôc où elle pût mettre rarement du canon,
ôc d'autres munitions de guerre , ôc les en tirer quand il feroit
néceffaire. Par-là, elle faifoit femblant de vouloir épargner
la peine d'en faire venir des extrêmitez du Royaume 5 afin que
la longueur ôc la difficulté des voitures , ne lui fit pas man-
quer des occafions favorables d'entreprendre quelque chofe.
Mais comme elle avoit bien prévit que les Anglois s'oppo-
feroient à cet ouvrage , ôc ne fouffriroient pas qu'on bâtît une
forterefle il près de Warwic , elle comptoit que les Ecoffois
auroient par ce moyen un fujet de prendre les armes , ôc d'en
rejetter la faute fur leurs ennemis. L'événement fit voir que
cette Princeffe avoit penfé juite; en effet les EcofTois , trou-
blez dans cet ouvrage par les Anglois , fuivirent l'intention de
la Régente , ôc fe réfolurent à la guerre. Ils convinrent d'un
jour pour s'affembler , ôc fe rendirent en grand nombre à Edim-
bourg.
Cependant d'Oifel, qui craignoit que les Ecoffois ne chan-
geaffent de réfolution , fi l'on tardoit davantage , n'attendit
pas la délibération de l'Affembiée. Il donna ordre à quelques
compagnies Françoifes , de paffer la rivière de TVed , ôc
d'affiéger la citadelle de Warka , avec le canon qu'il avoit
amené. Une pareille entreprife déplut infiniment aux Seigneurs
d'Ecoffe : « Quoi > difoient-ils , un étranger nous voudra gou*
=» verner à fa fantaifie , ôc s'attribuera plus d'autorité qu'aucun de
■» nos Rois n'en a eu jufques-ici ! Nos Rois , avant d'entre-
*> prendre une guerre , en expofent les raifons dans l'affem-
=» blée du Parlement , où elles font long-tems ôc mûrement
05 examinées. « Ils firent donc un décret, par lequel ils ordon-
nèrent à d'Oifel de ramener fon canon , ôc le menacèrent ,
en cas de défobéïflance , du fupplice dont on punit les traî-
tres ôc les rebelles. La Régente ôc d'Oifel furent très-mécon-
tens d'un tel procédé. Cette Princeffe crut qu'il bleffoit fon
autorité , ôc d'Oifel , qu'il étoit injurieux au Roi , dont il étoit;
Tom. III. T
i4<* HISTOIRE
l'AmbaiTadeur. Ils n'y trouvèrent point d'autre remède > que
Henri II. de faire enforte que la jeune Reine > déjà en âge d'être ma-
1 S S 7# r^e ■ ^Pou^t au plutôt le Dauphin. Ils efpéroient que le Con-
feii d'Ecofle perdroit beaucoup de fon autorité , Ci une fois la
Reine avoit un mari. Ils en écrivirent donc au Roi , qui en-
voya aufll-tôt une lettre au Confeil de la Régence d'Ecofle»
On propofe Pour en faire la lecture , on convoqua un Parlement, au mois
le mariage de de Décembre , à Edimbourg. Le Roi dans fa lettre, aprèsun
ja4eu?re rcine Ions récit des anciennes alliances de la France ôc de l'Ecofle,
d Ecofle avec © . . . , , .
le Dauphin, ôc des iervices réciproques que les deux nations s etoient ren-
dus , prioit le Confeil compofé de perfonnes choifies des trois
ordres de l'Etat , d'envoyer en France des députez , avec pou-
voir de conclure le mariage de leur Reine avec le Dauphin , qui
fur la fin de Décembre devoit entrer dans un âge nubile. 11 leur
faifoit entendre que c'étoit le feul moyen d'unir, par un nœud in-
diiïoluble deux nations qui jufques-là avoient toujours été alliées,
•Le Parlement s'aflembla, ôc la lettre du Roi y fut lûë. On
nomma d'un commun accord huit députez pour conclure ce
mariage, il y en avoit trois du Clergé , fçavoir , Jacque de
Béton archevêque de Glafcou , Robert Reid évêque des Or-
cades , ôc Jacque Stuart frère naturel de la Reine , ôc Prieur
de S. André : on en choiiit trois de la première Noblefle j
Gilbert Renned comte de Caflilis , Georges Lelley comte
de Rhotes , ôc Jacque Fleming Milord de Cumbernald. Le3
deux derniers n'étoient pas d'une aufli grande diftin&ion : c'é-
toient George Seton Ôc Jean Areskin, l'un gouverneur d'E-
dimbourg , ôc l'autre de Montrofe. Ces députez partirent pour
fe rendre en France ; mais dans le trajet ils furent battus d'u-
ne violente tempête : enfin après avoir perdu deux vaifleaux ,
ils prirent terre près de Boulogne, ôc arrivèrent en France au
commencement de l'année 1 5" 5" 8.
La guerre étant allumée entre l'Ecofîe ôc l'Angleterre , ces
deux nations firent pendant l'hyver des courfes les uns fur les
autres , avec differens fuccès ; ce qu'il y eut de plus remarqua-
ble, fut un petit combat qui fe donna au pied du mont Te-
veot, entre le duc de Northfolk ôc André Ker. Le courage des
uns ôc des autres fit longtems balancer la victoire, qui enfin fe
déclara pour les Anglois. Ker y fut fait prifonnier , ôc les plus
braves gens de part ôc d'autre furent bleflez.
DE J. A. D E T H O U , L i v. XIX. 147
On prenoit en France toutes les précautions que la ptu- —
dence pouvoit di£ter , pour faire la guerre avec avantage , ôc Henri II.
l'on fe difpofoit plutôt à fe bien défendre qu'à attaquer. Enfin 1557,
il parut clairement que cette guerre, qu'on avoit entreprife
avec tant de témérité , fe termineroit à notre honte ôc à notre
défavantage. Sur ces entrefaites } le duc de Savoye , fuivi du
duc d'Arfchot , du comte de Mansfeld, du comte d'Egmond,
de Meghen ôc de Barlemont > arriva au commencement de
Juin à Givais, qui étoit le rendez-vous de toutes fes troupes.
Les nôtres conjecturèrent par cette marche du duc de Savoye,
que le deffein des ennemis étoit d'entrer en Champagne , ôc de
s'emparer de Mezieres ôc de Roc-roy, afin de fermer le paffage
aux lecours qu'on pourroit envoyer à Mariembourg, où com-
mandoit de Loffes. Le duc de Nevers , qui étoit gouverneur
de cette Province , fit donc tous fes efforts pour fortifier ces
deux places , ôc les remplir de provifions ôc de munitions ne-
ceffaires pour foùtenirun fiége. limita cet effet dans Roc-roy,
pour y commander , de Fontaines lieutenant du duc deMont-
penfier , avec une cornette de cavalerie de ce même duc: Gil-
les de Bouviers lui fut envoyé pour renfort, avec la cavalerie
légère, ôc onze compagnies d'infanterie. Mais comme le Roi
n'éroit pas affuré de la force de cette place, fur le rapport que
lui en avoit fait S. Heran , qui par ordre du Connétable avoit
vifité toutes les villes frontières , le duc de Nevers écrivit à ce
Prince, qu'il devoit être tranquile fur cette place, ôc qu'elle
étoit fi forte, qu'il avoit refolu, fi l'ennemi en formoit le fié-
ge , de s'y enfermer lui-même avec fes amis. On choifit le
bourg d'Attigny pour le rendez-vous général de toutes nos
troupes. Le Rhingrave, après avoir eu de la peine à s'ouvrir
un chemin à travers la Lorraine, s'y étoit déjà rendu, avec fes
troupes ôc les arquebufiers à cheval.
Les ennemis ayant efcarmouché devant Mariembourg, pri-
rent avec eux quantité d'échelles ôc d'autres inftrumens neceffai-
res pour une attaque imprévue > ils marchèrent enfuite vers
Roc-roy, perfuadez que cette ville ne pourroit tout au plus foû-
tenir qu'un affaut de fix heures. Ils arrivèrent donc devant cet-
te place le 27 de Juillet. Les François avertis de leur marche,
firent aufli-tôt une fortie , ôc les répoufferent avec avantage.
Les ennemis fe voyant en même tems fort incommodez du
r-pi • •
T 1;
i48 HISTOIRE
canon de la ville, abandonnèrent une entreprife,oùilsavoîont
Henri IL déjà perdu beaucoup de leurs gens , ôc firent leur retraite au
1 ç < 7 §u^ ^e l^011^ ' entre le village de Nîmes Ôc Hauteroche.
De notre côté Eouviers qui conduifoit la cavalerie légère.» ôc
les capitaines Oger, Jacque, ôc le Bois, furent ceux qui fe dis-
tinguèrent le plus en cette occafion. Le duc de Nevers en-
voya enfuite les capitaines Sainte Marie ôc la Lane, pour re-
connoître les ennemis. Ils rapportèrent à leur retour, que leur
armée n'étoit compofée que d'environ quarante compagnies
d'infanterie, Ôc qu'ils avoient au plus quatorze pièces de canon,
mais qu'ils en attendoient de jour en jour de Malines. Ils
ajoutèrent que le deilein des ennemis étoit d'attaquer Roc-roy »
ôc de remettre la prife de Mariembourg à un autre tems. Mais
ce rapport fe trouva fans fondement •■> car les ennemis prirent
leur route par Chimay , Gîaïon , Trelon ôc Monftreùil-aux-
Dames, ôc conduifirent leur armée à la Capeîîe ôc à Vervins,
où ils mirent tout à feu ôc à fang. Ils vinrent enfuite à Guife ,
où VafTé s'étoit enfermé pour défendre la place qu'on croyoit
devoir être afïiegée. Ce fut alors qu'on apprit avec certitude,
que les forces des ennemis fe montoient à 35*000 hommes
d'infanterie t ôc à 12000 chevaux , la plupart Allemands. Us
attendoient outre cela 8000 Anglois, qui après être defcen-
dus à Calais, dévoient les joindre auprès de S. Quentin? Ôc
ils ne furent pas trompez dans leur attente.
Les forces du duc de Nevers confiftoient en 18000 hom-
mes d'infanterie, ôc en 5000 hommes de cavalerie, dont la
plupart étoient Allemands. Ce fut avec ces troupes que les
nôtres fuivirent les ennemis à travers la Tierafche, ôc s'affem-
blerent à Pierre-pont. Le duc de Nevers cependant fuivi du
prince de Condé, du Rhingrave » de Joachim de Chabannes
baron de Curton , ôc delà Roche-du-Maine , vint au village de
Notre-Dame de LielTe, où eft une églife qui eft en grande
vénération parmi les habitans de cette contrée s il eft fitué à
peu de diftance de la belle maifon de Marchez , qui appar-
tenoit alors au cardinal de Lorraine, ôc qui avoit été bâtie avec
une magnificence royale , par ce fameux Longueval , qui avec
Martin Roflem avoit entrepris l'expédition de Flandre. Le
connétable de Montmorency , l'amiral de Coligny , le maré-
chal de S. André, qui étoient à la Cour, arrivèrent le 28 de
DE X A. DETHOU,Liv. XIX. i^
Juillet. On tint Confeil ce même jour fur le parti qu'on avoit
à prendre. Les avis furent partagez : les uns pour favorifer aveu- Henri IL
glement les auteurs de cette guerre , prononcèrent des difcours i ç c- 7.
étudiez, qui tendoient à diminuer lappréhenfion du péril 5 ilsdi-
foient que les ennemis s'étoient affemblez trop tard , pour croire
qu'ils puffent remporter quelques avantages dans cette campa-
gne , quand même la difficulté des lieux ne leur erf ôteroit pas
tous les moyens. Ils affuroient que 3 files ennemis avaient une
armée fi nombreufe,ce n'étoit que pour faire montre de leurs
forces , Ôc nous empêcher de rien entreprendre. Ils ajoûtoient
que ces mêmes ennemis ayant perdu i'efperance de faire quel-
ques progrès fur la frontière de Champagne , comme ils fe l'é-
toient promis , ne cherchoient plus qu'un prétexte pour fe reti-
rer. Les autres, du nombre defqueîs étoit Montmorency , foû-
tenoient au contraire que les ennemis avoient leurs vues 3 en
quittant les frontières de Champagne, que leur deffein étoit
de fe jetter fur celles de Picardie > & de s'emparer de quel-
ques villes , avant que les François les eulfent mifes en état
de défenfe. « Car , difoient-ils s pourquoi auroient-ils affem-
03 blé de fi grandes forces, s'ils ne dévoient rien entrepren-
oî dre , fur tout fçachant que nous leur fommes très inférieurs
=» en nombre ? Quant aux prétendues difficultés , il n'y a pas
» lieu de croire qu'elles euffent arrêté les ennemis jufques
» à prefent , s'ils n'enflent pas eu deffein par ce retardement
m affeclé, de nous attaquer, lorfque nous y penferionsle moins."
L'événement juftifia le raifonnement du Connétable > car pref-
que en même-tems Coligny gouverneur de Picardie avertit fon
oncle , que Senarpont & Jean d'Eftouteville de Villebon lui
avoient mandé, que les ennemis dévoient faire irruption fur les
frontières de cette Province. Cet avis fut encore confirmé par
les nouvelles qu'on reçut , que le duc de Savoye s'étoit re-
tiré de devant Guife, trois jours après fon arrivée, & qu'il
n'avoit pas mis le fiége devant cette place , comme tout le
monde l'avoit crû. En effet ce Prince avoit donné ordre à fa"
cavalerie légère de prendre les devans , ôc étoit allé lui-même
enfuite affiéger Saint Quentin.
Julien Goffelini , qui a écrit la vie de Ferdinand de Gon- ^ Siège de
zague , rapporte que ce fiége fut entrepris par fon confeil. jl\Quemi»
Philippe l'avoit fait venir depuis peu d'Italie, pour avoir dans Coligny.
T iij
i;o HISTOIRE
■ mi i i » fes affaires de la plus grande importance , le confeil d'un capi-
Henri IL tame très-experimenté. Gonzague trouva donc à propos qu'on
j - - _ fit femblant d'abord de vouloir aflléger Guife ( parce que les
François trompés par ce ftratageme , y feroient venir infailli-
blement la garnifonde S. Quentin , qui n'en étoit pas éloignée)
6c qu'on conduisît en même-tems l'armée devant cette place
qui feroit dtgarnie. » Il eft très-probable , difoit-il, qu'on pour-
» ra fans péril , ôc néanmoins avec beaucoup de gloire , s'em-
« parer d'une ville , ou négligée , parce que les François la
» croyent affés forte , ou du moins affoiblie par les troupes
» qu'ils en auront retirées. » Il fit même voir, que (I les François
y faifoient venir du fecours , comme il ne pourroit venir
que de fort loin , il feroit facile à fon arrivée de le combattre
ôc de le vaincre.
Le capitaine Brueil, de Bretagne , commandoit dans Saint
Quentin ; il avoit avec lui Châtie de Teligny-la-Sale , Lieu-
tenant du Dauphin, une cornette de la cavalerie de ce Prince,
ôc quelques autres troupes. Mais ces forces n'étoient pas ca-
pables de défendre la place contre une puiffante armée. C'en:
pourquoi Coligny , après avoir confulté avec fon oncle , partit
le 2 d'Août de Pierrepont, avec fa cornete, ôc celle de cavalerie
du Comte d'Arran 3 de Jarnac 3 ôc de la Fayette 3 Ôc trois com-
pagnies de chevaux - légers. Il donna ordre avant fon départ
au capitaine Tenelles, qui avoit une connoiffance parfaite du
payis , de prendre les devans avec fa cornette de cavalerie
légère 3 Ôc de marcher fur la droite. Il fe rendit en même-tems
àlaFere fur Oyfe. Il fut obligé de faire ce circuit, parce que
l'ennemi s'étoit emparé de tous les autres paffages. De là il
alla à Han , avec les compagnies d'infanterie de Rambouil-
let ôc de Saint André. Celles de Caumont ôc de Lalain , qui
avoient ordre de le fuivre , n'arrivèrent pas à tems. Pendant
fon féjour à Han , Vaulperghe lui apporta des lettres de
Brueil , qui lui mandoit le trifte état où la ville étoit réduite.
Il lui écrivoit que l'épouvante étoit Ci grande parmi les habi-
tans, que, fans un prompt fecours , ils parloient déjà de fe
rendre. Vaulperghe l'avertit auiïi , que s'il vouloit fe hâter
il pourroit aifément entrer avec fes troupes dans Saint
Quentin ; mais qu'il ne devoit pas différer ; parce que ce qui
çtoit poffible aujourd'hui pourroit demain ne le plus être.
DE J. A. DE THOU, Liv. XIX. tfi
Coligni fè difpofa donc à partir avec lui , ôc malgré les remon- ..■■ ^ ■»
trances de Jarnac ôc de Cenami-Luzarches fon Lieutenant , qui j^ENRI jj
lui reprefenterent qu'il ne convenoit pas à un Gouverneur de
province de s'expofer à un péril fi manifefte , il ne laiiTa pas
dcfc rendre à Saint Quentin , fans mener avec luini bagage ,
ni équipage , ni prefque aucuns domeftiques , afin d'arriver
plus promptement.
Un fauxbourg de la ville , appelle le fauxbourg d'Ile , qui s'é-
tend au-delà de la Somme , avoit été abandonné par lagarnifon,
qui fe trouvoit trop foible pour le défendre. Coligny à fon arri-
vée réfolut de s'en rendre maître au plutôt. Il fit donc une fortie,
êc mit le feu aux maifons dont l'ennemi s'étoit déjà emparé s
elles étoient fituées fur une éminence 3 ôc avoient vue fur cette
partie de la ville qui leur eft oppofée. Il reprit enfuite le faux-
bourg , ôc y mit des troupes pour le défendre. Cependant ,
pour ne rien négliger, Coligny fit lavifite de la place, raffura
les habitans , ôc en choifit un certain nombre parmi ceux
qui pouvoient porter les armes. Il fit outre cela une recher-
che exacte de tous les outils propres à fouiller la terre , don-
na ordre d'en faire de nouveaux , ôc fît faire un état des vi-
vres qui fe trouvoient pour lors dans la place. Languetot , Of-
ficier d'une vigilance ôc d'une exactitude extrême , fut chargé
de l'artillerie. Il fit un rapport très-exa£t de la quantité de pou-
dre , de boulets ôc d'autres munitions qui fe trouvoient dans
la ville. Il eut aufîi le foin de faire préparer des Moulins. Co-
ligny , après avoir pris ces précautions , diftribua les capitai-
taines dans les differens quartiers de la ville, Ôc les pria, que
s'ils avoient quelques avis à lui donner , ils le fiiïent avec li-
berté. Il leur dit , qu'il ne doutoit pas , que plufieurs d'en-
tr'eux , qui s'étoient louvent trouvés dans des places afïïégées ,
n'euffent remarqué plufieurs chofes d'importance, qui pouvoient
quelquefois échaper aux plus habiles 1 il ajouta , qu'ils ne pour-
roient lui faire un plus grand plaifir,que de lui faire part de
leurs lumières. Il mit tous fes foins enfuite à faire reparer les
fortifications 1 il fit reparer fur-tout le baftion qui regarde le
fauxbourg d'Ile , ôc on y travailla nuit ôc jour j on coupa auffi
par fon ordre les arbres qui déroboient la vue" aux afïiégés „
ôc qui auroient pu favorifer l'approche des ennemis.
Coligny n'eut pas plutôt repris le fauxbourg, par une fi
î>2
HISTOIRE
heureufe fortie , qu'il jugea bien qu'il y auroit du danger de le
Henri II gar<^er avec une poignée de foldats; il craignoit que fi l'en-
l s r 7 nemi faifoit quelque attaque de ce côté-là, il ne mît les nôtres
en déroute , ôc qu'entrant dans la ville pèle mêle avec les
fuyards , il ne fe rendit maître delà place , auffi-bien que du
fauxbourg. Il crut donc qu'il étoit plus à propos de le garder
auiïï long-tems qu'il pourroit , pour amufer l'ennemi , mais non
avec une opiniâtreté périileufe. Dans cette vue il réfolut de
faire une féconde fortie, pour reconnoître les logemens des
ennemis , ôc pour confidérer par quel endroit on pourroit plus
fûrement faire entrer du fecours dans la place. A cet effet ,
il donna ordre à Teligny de faire fortir un certain nombre
de cavaliers de la cornette du Dauphin. Mais comme Co-
ligny étoit alors retenu au lit par un très-violent mal de tête , il
pria inftamment Teligny de ne pas fortir lui-même. Ces ca-
valiers eurent ordre de faire des courfes jufques au village de
Raincourt. Cependant Teligny ayant appris que ces coureurs
en étoient venus aux mains avec les ennemis, ôc qu'ils lâchoient
pié, il ne put fouffrir que fesgens fuffent repoufTés. Il donna
une pleine autorité àCuifieux, ôc l'ayant laifTé dans fon porte
au-delà de la porte faint Jean , avec foixante chevaux, ilfor-
tit , malgré les ordres qu'il avoit eu. Il ne fut pas plus heu-
reux que fes gens : il reçut quantité de bleffures , ôc fut mê-
me dépouillé, fans être fecouru de perfonne j foit qu'on n'eût
pas connoifîance du péril ou il étoit , ou qu'il y eût des or-
dres pour cela.
Coligny , qui étoit un peu foulage de fon mal de tête , en
fut averti auffi-tôt par Jarnac ôc Luzarches , Ôc ayant appris
que Teligny , prefque mourant , n'étoit pas fort éloigné , il
voulut l'arracher mort ou vif des mains des vainqueurs. Il fit
donc une fortie , mit les ennemis en fuite , ôc Teligny, tout
bleffé qu'il étoit , fut porté dans la ville. Cet Officier fit de
grandes excufes à Coligny , ôc lui demanda plulieurs fois par*
doude n'avoir pas fuivi fes ordres. Coligny lui répondit : « Ce
» n'eft pas à moi , mais à Dieu à qui vous devez vous adreffer ,
*> pour lui demander les grâces dont vous avez befoin dans l'é-
« tat où vous êtes. Il vécut encore environ une heure. .Sa mort
fut pour nous une perte conlidérable : la cornette qu'il corn-
mandoit fe voyant privée d'un fi brave chef, montra depuis
moins
DE J. A. DETHOU.Liv. XIX. ifi
moins d'ardeur pour les fondions de la guerre. C'étoit un ca-
pitaine d'un grand jugement, d'un grand courage, & d'une Henri II.
extrême activité dans l'exécution des ordres dont il étoit char- l S 5 7-
gé •■> il avoit montré jufques-là beaucoup de fidélité , & avoit
acquis beaucoup d'expérience.
Les ennemis ne travaillèrent les jours fuivans, qu'à creufer
un folié auprès des maifons dont ils avoient été chafïés. Ils s'ap-
prochèrent tnfuite de plus près 3 dans le deffein de reprendre
le fauxbourg. Ce fut alors que Coligny fit faire un fécond
état des vivres, ôc fit publier fous des peines très-rigoureufes,
que chacun fe difposât à travailler. Ceux qui le refuferent
furent chaflés de la ville. On fit fortir dans une nuit par la
porte du Han 800 bouches inutiles de l'un ôc de l'autre fexe ,
ce qui fouîagea beaucoup les aiïiégés.
Les ennemis cependant attaquèrent le fauxbourg. Mais
Coligni,qui s'y étoit attendu, avoit eu la précaution défaire
emporter dans la ville tout ce qui auroit pu être de quelque
utilité aux alfiégeans 5 il avoit fait outre cela percer les mai-
fons , afin qu'il pût mettre le feu au fauxbourg avec plus de
facilité , au cas qu'on fut obligé de l'abandonner. Son deffein
eut tout le fuccès qu'on en pouvoit attendre. Dès que les fol-
dats furent rentrez dans la place , ( ce qui fe fit fans aucune per-
te) on mit le feu au fauxbourg, qui fut prefque tout réduit
en cendre : le feul monaftere d'Ile fut préfervé de la flamme.
Coligni fit fortifier enfuite la porte , par où les nôtres étoient
rentrez dans la ville. Mais il arriva qu'ayant trouvé une gran-
de quantité de poudre dans les deux tours qui défendent cette
porte , on craignit que les batteries des ennemis n'y miffent le
feu , ôc ne fiffent fauter par là une partie des murailles. On jugea
donc à propos de tranfporter cette poudre dans un autre en-
droit. Mais pour éviter un danger,on tomba dans un plus grand :
car tandis que Coligni, fuivant fa coutume, faifoit fa ronde
dans la ville, le feu prit à cette poudre. On ne fçait fi cette
accident fut caufé par quelques étincelles du fauxbourg , qui
étoit encore tout en feu , ou par quelque coup de canon
que l'on tira. Quoiqu'il en foit une partie de la muraille en
fut abattue. Il périt en cette occafion environ quarante hom-
mes , dont il y eut cinq gentilshommes domeftiques de Co-
ligni. L'Amiral accourut , ôc étant monté fur les ruines de
Tom. III. V
ij4 HISTOIRE
la muraille , il s'y tint pendant une heure ôc demie , avec fept de
Henri II. fes gens feulement de peur que les ennemis ne profîtafTent de*
1 S S 7- cet accident pour faire quelque entreprife ;mais foit quel'em-
brafement du fauxbourg leur ôtât la vue de ce qui fe paffoit du
côté de la ville, foit que le tumulte qui y regnoitles empêchât
d'entendre le bruit qu'avoit fait la chute de la muraille , ils ne
parurent point. Les affiégez cependant réparèrent cette brèche
avec toute l'ardeur ôc la diligence poffible , ôc la muraille fe
trouva en peu de jours plus forte qu'elle n'étoit auparavant.
Ils furent fécondez en cela par Varîetde Gibercourt , Maïeur
ou Maire de la ville , qui rendit en cette occafton toutes fortes
de bons fervices.
Montmorenci , à qui Coligni avoit fait fçavoir en quel état
étoit la place, n'étoit pas fans inquiétude fur les moyens d'y
faire entrer du fecours. Il vint à la Fere avec fon armée 3 &
donna ordre au maréchal de Saint André d'aller jufqu a Han
avec trois cens Gens-d'armes. Il y envoya aufli le prince de
Condé, avec une partie de la cavalerie légère qui étoit fous le
commandement de ce Prince , ôc d'Andelot frère de Coligni
avec huit compagnies d'infanterie. Ils avoient ordre d'amufer
l'ennemi , ôc de tâcher , en s' approchant de Saint Quentin ,
de profiter de quelque occafion , pour y faire entrer du fecours.
Sur ces entrefaites Vaulpergue, qui par ordre de Coligni étoit
venu pour leurfervir de guide, ôc les conduire par un lieu , que
le gouverneur lui avoit fait voir du haut de la plus haute tour
de la ville, fe joignit à d'Andelot qui étoit à la tête de deux
mille hommes d'infanterie. Ils partirent enfemble, ôc pafTerent
parle quartier deftiné aux Anglois , qu'on attendoit de jour en
jour -, c'étoit l'endroit où il y avoit le moins de corps-de-gar-
de. Mais foit que leur deiTein eût été découvert par quelques
cavaliers Anglois, qui avoient porté les armes dans notre ar-
mée , ôc qui par ce rapport fe conferverent la vie , foit que
cet accident arrivât par la faute de Vauîpergue , d'Andelot
tomba dans un corps-de-garde des ennemis. Ayant été environ-
né de toutes parts , la plupart de fes troupes furent taillées en
pièces , ôc il ne fe fauva lui-même qu'avec très-peu de fuite :
on reconnut depuis que, fi fon guide ne fe fut pas trompé ,'
il auroit pu fans danger prendre le chemin d'une colline, ôc
paffer fûrement entre deux corps- de-garde.
D E J. A. D E T H O U , L i v. XIX. 157
Cet accident remplit la ville d'épouvante ; les habitans, pri-
vez de l'efpoir d'être fécourus, commencèrent à perdre cou- Henri II
rage , ôc ne travaillèrent plus qu'avec lenteur ôc négligence, j c - _
Le comte de Pembroch ôc les milords Grey ôc Clinthon , qui
arrivèrent en ce tems-là, à la tête des troupes Angloifes, aug-
mentèrent l'effroi des afïiégez. Les Anglois avoient tenté fur
leur route de furprendre Ardres 5 où commandoit Sanfac ;
mais leur entreprife ne leur avoit pas réùfïi. Ils occupèrent à
leur arrivée tout le terrein , par où les nôtres efperoient faire
venir du fecours de la ville d'Han.
Coligny i pour raffermir les habitans , alloit fouvent à l'hô-
tel de ville , ôc leur faifoit efpérer que le Connétable leur
envoyeroit bien-tôt du fecours : mais pour les encourager en-
core davantage, il donna ordre à Colincourt ôc à d'Avernal ,
gentilshommes de la meilleure nobleffe de la frontière , de
faire armer les payifans des bourgades voifines , qui s'étoient
retirez dans la ville. De ces hommes robuftes ôc accoutumez
à porter les armes on forma deux compagnies , ôc Coligny
leur ayant payé le prêt, donna ordre de les faire marcher par
la ville avec des enfeignes.
Cependant Coligny avoit remarqué du haut d'une tour ;
que de la façon dont étoient difpofées les fentinelles des en-
nemis, on pourroit facilement faire entrer du fecours dans la
place. Il en donna aufli-tôt avis au Connétable ; mais les
ennemis ayant changé leurs corps de garde ( ce qui leur étoit
affez ordinaire ) ce projet n'eut point lieu. Les afliégeans de
leur côté avancèrent leur tranchée , ôc firent quantité de mi*
nés, dont les nôtres fe défendirent d'abord par des contremi-
nes. Ils étoient aidez dans cet ouvrage par des Anglois, qui
montrèrent en cela beaucoup d'habileté. Dans la fuite il fut
impoffible à Coligny de troubler les ennemis dans leurs tra-
vaux ; car n'ayant que quelques petites pièces de canon , ôc
encore très-mal montées , il ne put faire de forties , ni fe battre
à forces égales. Les ennemis au contraire avoient élevé (i
avantageusement une platte-forme , dans le fauxbourg d'Ile ,
ôc avoient fi bien dreffé leurs batteries , qu'ils incommodoient
fort les affiégez dans leurs travaux : ils rirent même un tel car-
nage de nos pionniers, que Coligny , malgré les vivres ôc l'ar-
gent qu'il leur diftribuoit , eut dans la fuite beaucoup de pei-
ne à en trouver. V ij
±j6 HISTOIRE
«— Enfin on découvrit un chemin , qui parut très-propre à Coli-
Henri II. §nY Pour ^a*re entrer du fecours aans la place. Il faîloit tra-
j ^ - _ verfer pour cela un marais , où il n'y avoit que quelques fentiers
fort étroits, ôc encore falloir- il les deffécher. Au fortir de ces
fentiers , on trouvoit un ruiffeau qui couloit au milieu du ma-
rais , ôc qu'on ne pouvoit paffer qu'avec des batteaux. Le con-
nétable de Montmorency fit avertir Coligny d'en faire prépa-
rer? ôc pour s'affùrer lui-même de ce paffage , il partit de ra
* d'Août. Fere le 8 de ce mois* , à la tête de 2000 chevaux ôc de 4000
hommes d'infanterie, commandez par le capitaine EnardMef-
tre de camp. Dès qu'il fut arrivé à un village, appelle le grand
EfTigny, il y laiifa fes troupes rangées en bataille, ôc s'étant
fait fuivre du prince de Condé, du duc de Nevers, d'Honorat
de Savoye comte de Villars , de Louis de Bueil comte de
Sancerre , de Montmorency fon fils, Ôc d'Andelot , il s'avança le
plus près qu'il put du marais 5 il envoya enfuite Fumet ôc deux
autres capitaines , pour reconnoître ces fentiers , les corps de
garde des ennemis , la diftance des uns ôc des autres , ôc leurs
fituations. Ces capitaines 3 après s'être acquittez deleurcom-
mifîion avec toute la diligence pofTible , firent un rapport très-
uniforme de ce qu'ils avoient remarqué, chacun en particulier.
Le Connétable plus confirmé que jamais dans le deffein de
faire entrer du fecours dans la place , revint fur le foir à la Fere,
ôc le lendemain, au foleii couchant , il fit paffer fon infanterie
fur un pont, qu'il avoit fait préparer pour cet ufage 5 elle con-
fiftoit en ij compagnies Françoifes ôc 2.2. Allemandes. Il fit
aufli paffer quatre grofles pièces d'artillerie 3 quatre couîevrines,
ôc quatre autres petites pièces de canon. Le jour fuivant, fête
S. Laurent, il partit de grand matin avec fa cavalerie , ôc alla
joindre le refte de fes troupes. Il mit fon armée en bataille,
ôc arriva fur les neuf heures au fauxbourg d'Ile , où étoient lo-
gées 14 compagnies Efpagnolles , les mêmes qui au commen-
cement de ce liège s'étoient emparées de ce fauxbourg. Le
duc de Savoye étoit campé du même côté > ôc fon logement
s'étendoit au de-là du marais ôc de la rivière. Deux compa-
gnies d'Efpagnols , qui étoient poftées vers un moulin , fe mi-
rent d'abord en défenfe h mais les nôtres les chafîerent bien-
tôt du terrein qu'elles occupoient, ôc firent un fi grand feu de
leur canon , qu'ils mirent le camp du duc de Savoye tout en
DE J. A. DE THOU, Liv. XIX. 157
défordre : fa tente fut renverfée 5 ce prince même eut à peine
le tems de prendre fa cuirafTe , ôc de fe fauver dans le quar- Henri IL
tier du comte d'Egmond. 1557.
A trois mille du fauxbourg , le] Connétable de Montmo-
rency avoit remarqué qu'il y avoit des vallons ôc des che-
mins forts étroits , lieu qui auroit pu être avantageux aux en-
nemis, pour y dreffer une embufcade, ôc attaquer nos trou-
pes à leur retour. Il réfolut donc de s'en emparer le premier,
ôc envoya à cet effet la compagnie d'Arquebufiers à cheval du
Rheingrave pour fe faifirde ce paffage. Il ne fut pas d'avis d'y
envoyer de l'infanterie , dans la crainte que fi les ennemis la
mettoient en déroute , elle ne pût rejoindre l'armée , ôc qu'elle
ne fe trouvât dans un grand péril à caufe de la longueur du
chemin. Le Connétable d'un autre côté faifoitfes efforts, pour
faire traverfer le marais aux troupes qu'il vouloit jetter dans
Saint Quentin» mais comme il n'avoit qu'un petit nombre de
batteaux, il étoit difficile d'en faire paffer un grand nombre
à la fois, quoique les foldats y entraffent enfouie. Cet incon-
vénient fut fuivi d'un plus grand. Il arriva que les foldats ne
purent abordera l'autre rive. Les batteaux étant trop chargez,
s'enfoncèrent dans la bourbe, ôc les foldats ne purent fauter
à terre qu'avec un grand danger : les uns tombèrent dans
des trous profonds où ils furent abîmez , les autres s'étant éga-
rez dans les fentiers qu'ils ne connoiffent pas, fe difperferent
de côté d'autre , ôc fervirtnt de jouet à l'ennemi. Il en
arriva très-peu dans la ville : heureufement d'Andelot frère de
Coligni fut de ce nombre.
Les ennemis cependant tâchoient de profiter de ce défor-
dre. Dès que le duc de Savoye eut réuni fes forces avec celles
du comte d'Egmond ,ils confulterent enfemble fur les moyens
de furprendre nos troupes à leur retour \ ils réfolurent pour
Cela de s'emparer de cqs paffages , dont le Connétable avoit
envoyé fe faifir par la compagnie du Rheingrave. Le Con-
nétable avoit commandé au duc de Nevers de fuivre cette
compagnie avec la fienne , ôc avoit donné le même ordre aux
compagnies du baron de Curton, d'Aubigny, ôc de Vaffé.
Cependant les ennemis , qui y avoient envoyé une partie de
leur cavalerie , ôc donné ordre à leur infanterie de la fuivre de
près» s'étoient déjà failis de ces défilez, îorfqu'ils rencontrèrent
V iij
i$$ HISTOIRE
w ' "^ le duc de Nevers qui y arrivoit. Le premier de/Tein du
Henri II. duc dans un péril il prenant, fut de combattre les ennemis,
1 S S 7- avant la jonction de toutes leurs forces. Ce deffein parohToit
fort téméraire ; l'événement fit voir néanmoins qu'il étoit
avantageux ôc falutaire : car par le danger que quelques trou-
pes auroient couru , on auroit évité la déroute de toute l'ar-
mée ; mais les ordres qu'il avoit reçus du Connétable l'empê-
chèrent de prendre ce parti : d'ailleurs les officiers qui étoient
avec lui lui confeillerent , de ne rien faire qui pût engager une
bataille. Il fit donc garder les rangs , ôc alla joindre le prince
de Condé, qui s'étoit porté avec de la cavalerie légère vers ce
moulin, dont nous avons déjà parlé : delà tournant fur la gau-
che , ils allèrent enfembie trouver le Connétable qui faifoit déjà
retraite.
Les ennemis ayant afièmblé toutes leurs troupes , pourfuivi-
rentlcs François , avec huit efcadronsde cavalerie. Mais s'étant
aperçus du petit nombre des nôtres, ils laifferentSchaumbourg
avec fon efcadron pour garder les paffages , ôc nous approche-
Bataille de rent de plus près. Le comte d'Egmond commença la char-
Saint Quen- „Q avec deux mille chevaux , ôc attaqua notre armée en flanc.
tmouieCon- ^ . ^ • , 1 ^ %> 1 v
nètabie eft Lnc ôc Ërneft de .Bruniwick donnèrent 1 attaque de 1 autre
battu. c£t^ avec chacun mille arquebufiers à cheval ; ils étoient fui-
vis de Philippe de Montmorency comte d'Home , qui com-
mandoit mille Gens-d'armes. Pierre Erneft de Mansfeld accom-
pagné des comtes de Vuillen , d'Hocftrate ôc Lallain, atta-
quèrent en même tems l'armée de front avec tant de furie ,
qu'ils remplirent nos rangs de défordre ôc de confufion. Le
trouble s'étant augmenté , les uns fe renverferent fur les au-
tres, ôc il ne fut plus poffible aux nôtres de foutenir l'effort
des ennemis. La déroute commença par les goujats, les mar-
chands, ôc autres gens de cette efpecequi fuivent les armées;
ceux-ci entraînèrent les foldats dans leur fuite. Il arriva, pour
comble de malheur , que le duc de Nevers , qui s'avançoit à
gauche dans une vallée profonde, pour faire face aux ennemis,
fe trouva tout à la fois accablé par leur nombre ôc par la
multitude des nôtres , qui descendirent d'une éminence pour
fe joindre à lui. Ce nouvel accident culbuta ôc rompit les
rangs. Le Duc, après différentes attaques, ôc un grand car-
nage de fes troupes , fut contraint de fe retirer avec le petit
nombre de foldats qui purent échaper.
DÉJ. A. DE THOU, Liv. XIX. i$9
Quoique la cavalerie eût été mife en déroute > l'infanterie
réfiftoit encore , ôc fe tenoit en bon ordre s mais quelques Henri IL
pièces de canon que les ennemis tirèrent fur eux de fort loin , 1557.
la rompirent ôc la mirent en défordre , entre Efiîgni ôc Rize-
rolles , dans un endroit appelle Blanc-Foffé. Enfin , après un
grand carnage, ôc un combat de quatre heures, elle fut en-
tièrement défaite. Nous perdîmes en cette journée deux
mille cinq cens hommes : les ennemis n'en perdirent pas plus
de cinquante. Ceux de notre infanterie , qui ne périrent pas
en cette occafion , ne purent éviter d'être faits prifonniers.
Les ennemis nous enlevèrent tout notre canon , à l'exception
de deux , qui par les foins de Bourdillon , furent conduits à
la Fere. Il périt dans cette action des Officiers Généraux du
premier rang. Jean de Bourbon, frère du prince de Condé ,
après avoir fouvent rétabli le combat , ôc donné des preuves
de valeur dignes de fon fang, fût percé d'un coup d'arqué-
bufe, ôc emporté dans le camp des ennemis, où il mourut un
moment après ; François de la Tour , vicomte deTurenne, eut
le même fort , auffi bien que Nicolas Tiercelin , fils de Char-
le de la Roche du Maine 5 Claude de Roche-choùarn Chan-
denier , cornette du duc de Monpenfier ; Guron , cornette de
la Roche-fur-Yon 5 Goulaines, cornette delaR oche-du-Maine;
Saint- Gelais , cornette de Pierre Strozzi 5 ôc Rochefort de
Pluviot, cornette de Bourdillon.
Le Connétable fut fait prifonnier, après avoir reçu une bief- leConnêta-
fure dans les aînés. Ce Général fut accufé de trop de préfomp- panier"
tion, en ce qu'il avoit efperé faire fûrement fa retraite , avec tou-
te fon armée , à la vue des ennemis. Monpenfier , après s'être dé-
fendu courageufement , ôc avoir même repris de fa main une
enfeigne > tomba vif entre les mains des ennemis ; on prit auffi
le maréchal de Saint- André, Eleonor d'Orléans duc deLon-
gueville , Louis de Gonzague frère du duc de Mantouë ,
Vaffé , Curton , la Roche du Maine , le Rheingrave colo-
nel des Allemans , tous Chevaliers de l'Ordre du Roi. Les
ennemis firent encore pxifonniers , François comte de la Ro-
chefoucault, d'Aubigni, Gabriel de Montberon fils du duc
de Montmorenci , Jean Gontaud de Biron , qui mourut de
déplaifir du mauvais traitement qu'il reçût dans fa prifon , Ro-
chefort , la Chapelle - Biron , Saint Heran , cornette de
160 HISTOIRE
- Montmorenci, Lavernade cornette du duc d'Engulen , Neu-
Henri IL fui cornette de Bourdillon , Marcai cornette delà Roche-du-
* S S 7' Maine , Buffai ôc Monftreuil Jieutenans de la Roche-fur-
Yon , Robert du Bellai baron de Thouarcai , Mouy , Mo-
linont, Fumet, Rezé, Montfalel , ôc quantité d'autres. Villars,
beau-frere de Montmorenci , fut dangereufement bleffé. Le
duc de Nevers , après la bataille s rit fa retraite à la Fere avec
le prince de Condé , le comte de Sancerre , Bourdillon ôc
d'autre nobleffe. François de Montmorency s'y rendit auili
avec fes troupes , mais par un chemin différent.
Cette défaite fut très-fatale à la France : elle lui fit perdre
en une journée le fruit de tant de victoires qu'elle avoir rem-
portées depuis plusieurs années , ôc éclipfa prefque toute la
gloire du règne de Henri. Mais ce qu'il y eut de plusfuneïte ,
fut que cePrince.fi heureux jufqu'alors , fevit contraint de faire
une paix defavantageufe , qui donna lieu aux guerres civiles
qui depuis defolerent ce Royaume. En effet , ii l'on excepte
la perte de l'Etat de Sienne > ôc la journée de Marciano , où
l'on fit prefque la même faute, ce Monarque avoit toujours
réûflîdans ks entreprifes. Mais cette guerre allumée par l'am-
bition de quelques-uns > ôc entreprife contre la parole qui avoit
été donnée , fut recueil de fa fortune Ôc de fa gloire 3 ôc lui
fit perdre ôc fes conquêtes 3 ôc celles de fon père.
Le connétable de Montmorenci , dès le commencement
de cette guerre , en avoit prévu les fuites fâcheufes. Ce grand
homme, qui par fa prudence , fon amour pour fa patrie, ôc
le crédit qu'il avoit auprès du Roi , étoit devenu l'homme le
plus puiffant du Royaume , fe vit privé , après cette défaite ,
de la faveur de la Fortune , ôc en même-tems de celle des
hommes. Mais on peut dire que 11 fa difgrace fut la ruine de fon
illuftre maifon , elle le fut auffi de toute la France. En effet fes
rivaux , qui tirèrent avantage du malheur public , ôc qui dans
ces conjonctures prirent le maniment des affaires, fçurent
gagner la faveur du peuple , dont le Connétable par fa mau-
vaife fortune fe voyoit dépouillé , ôc trouvèrent les moyens
de fe la conferver , autant par leur activité 3 que par leurs ar-
tifices.
Le bruit fe répandit d'abord , ôc il parvint même jufqu'au
duc de Nevers , que le Connétable s'étoit échappé du péril ,
*S S7-
DE J. A. DE THOU.L'iv. XIX. i6x
Ôc qu'avec le fecours de quelques troupes qu'il avoit ralliées
il avoit rétabli le combat , ôc fe battoit encore. Mais ce bruit jjenr jt
fut bien-tôt diffipé. Le duc de Nevers, à fon arrivée à la Fere >
dépêcha d'Efcars au Roi , qui pour lors étoit à Compiegne »
pour lui faire fçavoir le mauvais fuccès de la bataille. Il for-
tifia enfuite la frontière , en diftribuant fes troupes dans les
garnifons voifines. Le comte de Sancerre , de fon propre mou-
vement i alla s'enfermer dans Guife , avec fa cornette de ca-
valerie , celle de la Roche-fur-Yon , ôc les deux compagnies
d'infanterie d'Eftrée ôc de Pifieux. Bourdillon relia à la Feue ,
avec cinq compagnies d'infanterie , la cornette de cavalerie
du duc de Lorraine ôc celle de Villars , ôc les compagnies d'E-
nard Mettre de Camp. Le Baron de Salignac , avec fa com-
pagnie d'infanterie ôc celle du Baron de Clerac , fe rendit au
Catelet , dont il étoit gouverneur ; d'Humieres fut mis dans
Perrone avec fa cornette de cavalerie , 6c celles du Maréchal
Strozzi , ôc de Martin du Bellay Seigneur de Langey , ôc
avec fix compagnies d'infanterie. On lui envoya depuis les qua-
tre compagnies de Grammont. Le comte de Chaumes fut mis
dans Corbie, avec fa cornette, ôc celles deVillebonôc de
Vaffé, ôc avec les compagnies d'infanterie de Bellefourriere ôc
de Blamecourt. Peu de tems après Crevecœur l'alla joindre.
Sépois fut envoyé à Han s avec trois compagnies d'infanterie
ôc avec la cornette du maréchal de Saint André. Jacque de
Clermont de Bufïï d'Amboife alla à Saint Dizier avec la cor-
nette de le Roche-du-Maine , ôc deux compagnies d'infante-
rie. On mit à Coucy Bouchavannes avec trois compagnies
d'infanterie. Enfin Montigny fut envoyé à Chaulny,avec la
cornette du duc de Montpenfier ôc deux compagnies d'in-
fanterie.
Comme il ne paroifïbit parmi nous que de la crainte ôc de
la triftefle , on ne voyoit aufli parmi les ennemis que de la
confiance ôc de la joye. Ils croyoient que toute la fleur de
notre NoblefTe avoit péri dans cette bataille , ôc ils ne pou-
vaient s'imaginer, qu'il en pût refter encore, après un fi grand
carnage. En effet, lorfque le duc de Nevers eut envoyé un
Trompette au duc de Savoye , pour reconnoître les morts ôc
les prifonniers , à peine les ennemis voulurent-ils ajouter foi
£tux paroles de ce Trompette 5 ils foupconnerent même fa lettre
Tome IIL X
i62 HISTOIRE
de faufTeté. Ils croyoient que le duc de Nevers avoit été
Henri II. tu^ , ôc dans cette idée Mansfeld le fît chercher parmi les morts.
j ç ç _ Mais ne l'y ayant pu trouver , on fit publier que les prifon-
niers feroient conduits devant le duc de Savoye. Ce fut alors
que Mansfeld , pour fe dédommager, comme il le difoit >
des pertes que fa prifon lui avoit caufées > fit un trafic infâ-
me. Il acheta à vil prix lés prifonniers du foldat qui ne les
connoiflbit pas 3 ôc en tira depuis de grofTes rançons. Tout le
monde trouva ce procédé dur , cruel > ôc contraire au droit
des gens. Il eft toujours fur que la manière indigne dont il
traita fes prifonniers, en obligea plufieurs à donner pour leur
rançon plus que leur fortune ôc leur condition ne leur per-
mettoient. Biron même mourut prifonnier , foit qu'il n'eût
pas le moyen de payer une fi groffe fomme , foit qu'il ne la
voulût pas donner.
Cette bataille enfla tellement le cœur de nos ennemis ;
qu'ils furent d'avis de pourfuivre leur victoire , & de porter
au plutôt la guerre dans le fein de la France : ils efpéroient
même ne trouver aucun obftacle à fe rendre bien-tôt maîtres
de Paris. Ferdinand de Gonzague étoit de ce fentiment, ôc
fit fes efforts pour le perfuader à Philippe. Mais ce Prince ,
plus prudent que courageux 3 craignit qu'en laiffant S. Quen-
tin derrière lui, le Roi n'affemblât de nouvelles forces > Ôc qu'a-
vec le fecours de la Noblefle , qui eft très nombreufe dans ce
Royaume , il ne lui arrachât des mains le fruit de fa victoire :
il ne voulut donc pas aller plus loin , qu'il ne fe fût rendu maî-
tre de cette place.
Dès que le Roi eut apris la défaite de fes troupes , il ren-
voya d'Efcars au duc de Nevers , ôc lui donna une lettre pour
rendre à ce Général. Henri y donnoit des marques d'une
profonde douleur , ôc d'une confiance entière dans le fecours
de la Providence. Il loùoitles foins ôc la prudence de ce Duc ,
d'avoir pourvu fi à propos à la fureté de la frontière. Il lui
faifoit fçavoir qu'il lui envoyoit Montgommery-de-L orges ,
avec ordre de faire aflembler à Noyon l'élite des gentilshom-
mes de fa maifon ôc de fes gardes , ajoutant qu'il jugeoit à
propos de confier à de Pot la défenfe de Han } Ôc à Noail-
les celle de Coucy ; il lui ordonnoit de fe rendre lui-même
à Laon 3 avec le prince de Condé , Montmorenci, ôc Villars 3
HMfrattoaymmMe»
DE J. A. DE THOU Liv, XIX. 163
pour y rallier les débris de l'armée , ôc pour y recevoir les trou-
pes qu'il y envoyeroit de toutes les provinces du Royaume. Henri IL
Le Roi cependant quitta Compiegne , ôc fe rendit à Paris. 1 5 5 7.
Il trouva cette grande ville dans une confternation étrange ;
fes timides habitans fe retiroient çà ôc là dans les villes voi-
fines, ôc s'imaginoient déjà voir l'ennemi à leurs portes. Le
Monarque , par fa préfence ôc par fes difcours , raffura les
Pariiiens. Il les exhorta à ne pas perdre courage , ôc leur pro-
mit de ne les pas abandonner , pourvu qu'ils ne s'abandon-
naffent pas eux-mêmes. Il leur dit , qu'il les avoit traitez juf-
qu'à prefent avec une affection paternelle , qu'il avoit mieux
aimé engager fon domaine , ôc emprunter de groffes fournies,
pour foûtenir les dépenfes de l'Etat , que de fouler fes peu-
ples par de nouvelles impofitions. Il leur reprefenta enfin ,
que la néceffité exigeoit maintenant qu'ils eulTent égard à fa
fituation préfente , ôc qu'ils ne négligeaient pas un danger ,
qui ménaçoit généralement toute la France.
Les Parifiens s'étant un peu remis de leur frayeur , offrirent
de leur propre mouvement trois cens mille francs pour les
frais de cette guerre , ôc promirent au Roi toute forte de fidé-
lité. On leva enfuite 6000 Suiffes } fous la conduite du colo-
nel Luc Riet de Bafle, ôc 8000 dans les cantons de Glaris
ôc d'Uri. Reckrod fut aufïi envoyé en Allemagne 3 pour y le-
ver de nouvelles troupes. Mais ce payis étoit prefque épuifc
d'hommes , par le grand nombre de foldats que les ennemis en
avoient tirés. Le Baron de Polviller de Weiffembourg venoit
tout nouvellement de lever 3 au nom de Philippe , vingt compa-
gnies d'infanterie ôc quelques-unes de cavalerie. Le Roi fit
aum* lever des troupes dans tout fon Royaume , ôc donna or-
dre à tous les Gentilshommes 3 ôc à tous ceux qui avoient cou-
tume de porter des armes } de s'affembler à Laon 3 où feroit
le duc de Nevers } afin de combattre pour la gloire ôc le fa-
lut de l'Etat. Il menaça de punir de mort tous ceux en géné-
ral qui refuferoient le fervice , ôc de dégrader les nobles en
cas de defobéïffance.
Le duc de Nevers , à fon arrivée à Laon } fit la revue des
débris de l'armée. De la cavalerie Françoife , qui avant la
bataille confiftoit en neuf cens Gensd'armes ôc mille chevaux-
légers, ôc arquebufiers à cheval , il n'en trouva que treize cens.
X ij
*-"*
tfa HISTOIRE
De quinze compagnies d'infanterie Françoife ; il n'enreftoit
Henri II. que quatre, dont les foldats même étoient incapables de ren-
i S S 7' dre aucuns fervices , foit par les bleffures qu'ils avoient reçues,
foit parce que l'ennemi les avoit defarmés. Il ne reftoit non
plus que trois cens hommes de la cavalerie Allemande , qui ,
durant la prifon du R he ingrave , étoit aux ordres du comte
de Barbize. L'infanterie Allemande commandée par Sternes ,
ôc qui étoit de 12000 hommes, étoit réduite à quatre mille.
Le duc de Nevers eut encore beaucoup de peine à leur faire
prendre les armes -, parce que la plupart avoient été faits pri-
fonniers , & n'avoient été relâchés qu'après avoir juré, qu'ils
neporteroientde fixmois les armes pour le fervice du Roi. On
peut juger par là combien cette bataille nous fut préjudiciable.
Le duc de Nevers, après cette revue , diftribua fes trou-
pes dans les garnifons voifines. 'Il s'attira généralement l'a-
mitié de tout le monde , par la générofité dont il ufa à l'é-
gard des Officiers , ôc par l'humanité avec laquelle il traita les
foldats malades ôc bleffés. Par ce moyen , il les encouragea
à fupporter avec patience les travaux ôc les fatigues de la
guerre. Il fit venir enfuite quatre compagnies de Metz , ôc
donna ordre à de Jours , de lui amener fon régiment de
Champagne. Le prince de Condé de fon côté faifoit tout
ce qui dépendoit de lui, ôc fatiguoit les ennemis par des cour-
Ïqs continuelles ; il elt vrai qu'ils ne laifferent pas que de lui
rendre quelquefois la pareille , furtout lorfqu'après la defer-
tion d'une comète de cavalerie-legere Angloife , qui avoit
abandonné Grey fon capitaine, ils s'avancèrent jufqu'àlatête
de nôtre camp pour reconnoître les gués , les paflages ôc la
fituation des lieux. Le comte de Sancerre,qui étoit à Guife ,
faifoit fouvent des courfes fur les ennemis : Bourdillon en
faifoit autant à la Fere.
Suite du Les habitans de Saint Quentin ignorèrent deux jours la
Quentin. ain* défaite de nos troupes : cette nouvelle , lorfqu'ils l'apprirent,
les jetta dans une extrême confternation. Quoique Coligny
n'eût aucune efpérance de pouvoir défendre la place , il fit ce-
pendant tous fes efforts pour les raiïurer , ôc pour amufer
l'ennemi, jufqu'à ce que leRoipût envoyer de nouvelles trou-
pes, capables d'arrêter les progrès des vainqueurs. Sur ces en-
trefaites d'Andelot fe jetta dans la ville, avec cinq cens hommes
DE J. A. DE THOU^ Liv. XIX. \6t
d'élite , ôc quelques gentilshommes volontaires , du nombre ■" ■'■ ' ■
defquels étoient le vicomte du Mont-notre-Dame , la Curée , Henri IL
de Matas, Ôc S.Remy. Ce dernier s'entendoit parfaitement 1557.
au travail des mines. Il y arriva aufïi quelques officiers d'Artil-
lerie , dont les afîiégés avoient grand befoin. On fit , à leur ar- *■
rivée , une nouvelle diftribution des quartiers j Saint Remy Ôc
Lanfort tinrent confeil au fujet des mines ôc des pionniers.
Les afîiégés étoient fort incommodés des batteries de l'en-
nemi. A l'arrivée de Philippe dans le camp , les Efpagnols re-
commencèrent à tirer avec tant de furie , qu'il fut impoïfible aux
afîiégés de fe tenir fur le rempart. D'Andelot,pour remédier
à ce mal, ufa de cette invention : il prit des batteaux ou Pon-
tons, dont on fe fert à la guerre pour palier les rivières -, il les
fit remplir de terre , ôc mettre enîuite fur le rempart les uns
fur les autres j par ce moyen les nôtres furent à couvert de
tous côtés du feu des ennemis. Les affiégeans cependant
avançoient tous les jours leurs travaux , ôc mettoient en bat-
terie le canon , que Philippe avoit fait venir de Cambray. Nos
Généraux délibérèrent donc pour la féconde fois, fur les moyens
de faire entrer du fecours dans la place. Le duc de Nevers ,
le prince de Condé, ôc la plupart des autres Seigneurs , furent
d'avis d'y envoyer trois cens arquebufiers qui étoient à Crepy
en Valois , ôc d'en donner la conduite à Saint-Simon , cor-
nette du duc de Nevers, ôc à Chafteluz lieutenant de Bour-
dillon. Leur confeil fut fuivi : ces capitaines partirent , avec
chacun une cornette de cavalerie , ôc conduisent ces trou-
pes jufqu'à un marais , vers un fentier étroit , qui fut indiqué
par des pêcheurs , ôc où le foldat avoit de l'eau jufqu au nom-
bril. Ils y arrivèrent , à la faveur d'une belle nuit , ôc après s'y
être arrêtés quelque-tems , pour donner le loifir aux arquebu-
fiers de traverfer le marais , ils fe retirèrent avec leur cavale-
rie , fans être aflurés fi le fecours étoit entré dans la place.
Mais comme au premier bruit qu'on entendit les ennemis
crièrent aux armes , les troupes qu'on faifoit entrer dans la
place 3 foit qu'elles euffent pris l'épouvante , ou qu'elles fe fuf-
fent égarées dans les fentiers, périrent en cette occafion, ou
fe difperferent de côté ôc d'autre. Il n'en entra dans la ville
que cent - vingt ; encore , comme c'étoient des troupes nou-
vellement levées t Ôc qu'elles avoient perdu leurs armes , elles
Xiij
i66 . HISTOIRE
ne furent pas d'un grand fecours. Ce malheur arriva par la
Henri II. faute des cavaliers, qui avoient eu la conduite de ces troupes,
i S S 7. Car fi ( comme Coligny le dit dans fes Mémoires ) ils euffent
fait face à l'ennemi déjà épouvanté , ôc qu'ils l'euiTent amufé
* par une légère réfiftance ( ce qui pouvoit fe faire fans péril )
ils euffent donné le tems à ces arquebufiers detraverfer le ma-
rais ôc d'entrer dans la ville.
Coligni fe voyant privé de toute efperancede fecours, em-
ployoit tous fes foins à faire des contremines. Saint Remy
lui étoit d'un grand fecours dans ce travail; car Lanfortcom-
mençoit déjà à fe relâcher, foit qu'il défefpérât du fuccès,foit
qu'il fut effrayé du péril qui le menaçoit personnellement.
Coligni s'attachoit avec d'autant plus d'ardeur à cet ouvrage,
qu'il efperoit par là rendre les travaux des ennemis inutiles,
ôc les chaffer du folfé qu'ils occupoient. Les affiégeans avoient
commencé leurs batteries le i\ d'Août , dix-neuf jours après
avoir mis le liège devant la place. Ferdinand de Gonzague,
qui par fes confeils avoit engagé Philippe à cette entreprife,
preflbit les travaux avec toute l'activité poflïble, ôc ne fortoit
prefque pas du foffé ou de la tranchée. Ce général fit faire alors
une batterie à revers , dont les affiégez furent fort incommodez;
car avant ce tems là les ennemis netiroient qu'à coups perdus,
à caufe des parapets que d'Andelot avoit fait faire , par le
moyen des pontons. Les ennemis outre le grand feu de leur ar-
tillerie qui tira pendant llx jours , fe mirent à miner le fofTé:
quoiqu'ils n euffent rien à craindre du canon , ni de la mouf-
queterie des affiégez, cependant, pour fe garantir des pierres,
ils fe fervirent de mantelets ôc de blindes. Se voyant alors à
couvert de tous cotez , ils battirent en brèche, depuis la porte
faint Jean jufqu'à celle delà rivière, avec plus de fuccès qu'on
n'avoit cru de part ôc d'autre ; ils ébranlèrent les tours qui
étoient entre ces deux portes , ôc abatirent un pan de murail-
le, que les affiégez avoient cru capable de réfifter atout l'effort
du canon. Quatre jours après que les ennemis eurent com-
mencé cette batterie, ils en drefferent une nouvelle fur le plus
haut toit du monaftere d'Ile , de dix pièces de canon, qu'ils bra-
rent contre cet endroit de la muraille, où nous avons dit que
le feu avoit pris à de la poudre.
Saint Remy voyant que les ennemis avoient entièrement
DEJ. A. DETHOU,Liv. XIX. i67j
miné le foffé, défefpera du fuccès de fes mines , aufquelles il fbi-
foit travailler avec tant de diligence : il avertit même Co- Henri lï»
ligni, que le courage des troupes commençoit à fe ralentir. \< <*>.
Suivant cet avis , Coligni tâcha d'encourager les foldats , en
allant viliter les brèches ; il les appelloit familièrement par
leur nom , ôc confultoit les moindres Officiers. Il ne laiffoit
cependant pas d'entendre beaucoup de murmures. Mais il les
fçavoit difïimuler , ôc témoignoit devant tout le monde qu'il
avoit réfolu de défendre la place, jufqu'à l'extrémité , malgré
tous les efforts des ennemis. Il ajouta qu'il permettoit qu'on
le traitât avec ignominie , ôc qu'on le chafsât honteufement
de la ville, fi jamais il parloit de fe rendre : il demanda le
même droit fur ceux qui auroient l'ame allez balfe , pour
ofer parler de capitulation. Les foldats ranimez par fes dis-
cours cefferent de murmurer, ôc fe portèrent au travail avec
toute l'ardeur qu'on pouvoit attendre.
Les ennemis , après un feu continuel de leurs batteries pen-
dant fix jours , s'avancèrent en bataille , comme s'ils eulfent
voulu donner l'affaut. La garnifon fe préparoit à une vigou-
reufe défenfe , lorfque les afliégeans firent jouer des mines qui
ébranlèrent les murailles avec un fracas terrible ; elles n'eu-
rent cependant pas l'effet qu'ils s'en étoient promis. Les enne-
mis voyant ce peu de fuccès , ne firent que confiderer la
brèche, que Coligni avoit entrepris de défendre, ôc après être
defcendus dans le foffé , que d'Andelot défendoit , chacun
fe retira dans fon quartier. Coligni , la nuit fuivante , fit ré-
parer les ♦ brèches ôc éteindre le feu , que le vent avoit
pouffé dans des maifons couvertes de chaume , fituées der-
rière le couvent des Dominiquains. Il fit abattre les mai-
|fons voifines , pour empêcher l'incendie de fe communiquer.
Mais Saint Remy lui ayant donné avis pour la féconde fois
des plaintes des foldats, qui fe trouvoient fort incommodez
dans leurs travaux par le canon de l'ennemi , Ôc qui croyoient
perdre leur tems à défendre ôc à fortifier une place fi foible,
Coligni fut obligé de vifiter en perfonne les corps-de-garde,
ôc d'exciter les troupes par fa préfence à continuer leurs
travaux.
Le lendemain les affiégeans redoublèrent leurs batte-
ries avec plus de furie qu'auparavant. Alors Coligni fit appeller
,i6S HISTOIRE
d' Andelot fon frère ôc Saint Remy, pour qui il avoit beaucoup
Hfnrt TT d'eftime, & adreflantla parole à ce dernier, il lui demanda
'le fecours de fon art , contre les mines des ennemis. Ce ca-
^ pitaine lui répondit : » Je ne vois aucun moyen de s'oppofer
o> à de fi grands efforts. Les ennemis fe font déjà rendus mal-
oï très du folié, ils ont renverfé les tours ôc les battions : il
a> n'y a pas de doute qu'ils ne s'emparent peu à peu ôc fans
o> danger des murailles ; fi cela arrive , le rempart eft trop étroit
n pour que nous y puifïions faire une longue réfiftance : il eft
» inutile aufli de creufer un folié en deçà du rempart ; les enne-
» mis maîtres de ce rempart , y drefleront avantageufement
°> des batteries à caufe de fon élévation au-deffus de la vil-
o^ le. Mais j'ai fait préparer deux mines que jô ferai jouer;
» -quand il en fera tems ; je crains cependant qu'en mettant
» lé feu à la première , elle ne renverfé une tour , dont la
3> chute, bien loin d'être funefte à l'ennemi, lui procureroit au
35 contraire le moyen de monter à l'affaut. Aufli ne ferai- je
jouer cette mine-qne lorfque la néceflité femblera l'exiger.
Coligni fit à ce difcours la réponfe fuivante : » Je vais ,
Meffieurs , dit-il , vous communiquer une chofe de la der-
nière importance ; mais je vous prie que ce fecret ne foit
=•> point divulgué. Vous m'avez dit, Saint Remy, que vous
0> ne trouviez plus de reffource contre les mines des enne-
=> mis > ce n'eft pas ce qui m'afflige : je fuis prêt de répan-
y> dre jufqu à la dernière goûte de mon fang , pour le falut
de ma patrie, ôc la glo*ire de mon Roi. Je fçai combien
les jours ôc les momens même , que nous arrêterons ici
l'ennemi , peuvent contribuer au rétabliffement des affaires
de fa Majefté. Mais le fouvenir ôc l'exemple delà prife de
Terouenne fait fur moi une forte impreflion. On y accufe^
Montmorency d'imprudence, de n'avoir pas traité avec l'en-'
nemi à des conditions honorables , dès qu'il le vit maître
du folié , ôc prêt de faper la muraille : il eût pu les obtenir,
s'il eût capitulé deux jours plutôt. Je n'ignore pas qu'en
pareilles occafions , on blâme fouvent ceux qui le méritent
le moins ; c'eft dans cette vue" que j'ai lieu de craindre,
« qu'on ne m'accufe de témérité , d'avoir expofé les plus bel-
*> les troupes du Royaume , ôc l'élite de la cavalerie , qui
i» dans .les conjonctures préfentes , feroient d'un grand fecours
pour
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a»
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35
35
DE J. A. DE THOU, Lrv. XIX. i<fc
» pour la défenfe de plufieurs autres places. Mais , Meilleurs, -
»> Je fuis perfuadé que les ennemis n'ont fait aujourd'hui de Henri II,
» il furieufes décharges de leur canonique pour donner bientôt l S S 7?
» un affaut terrible. Si nous le foutenons en gens de courage, ôc
»> fi nous pouvons les repoulTer 3 j'ai lieu de croire qu'ils n'o-
a> feront plus nous attaquer à force ouverte , mais qu'ils traî-
» lieront le fiége en longueur : nous profiterons alors de ce
« délai , pour faire fçavoir au Roi l'état où nous fommes ; ôc
« fi c'eft fon avis ôc fa volonté , nous traiterons avec l'enne-
» mi. Mais en attendant foyez fûrs , que j'aime mieux périr,
» que de faire la moindre démarche indigne de moi. Jefçai
" qu'il y en a beaucoup parmi nous , qui n'ont pas tout le
» courage qu'ils devroient avoir : ufons d'artifice > infpirons
» leur du courage par nos difcours ôc notre exemple , ôc tâ-
3ï chons , s'il fe peut , de perfuader à ces lâches qu'ils font
» braves. Au refte quand nous entendrons recommencer les
« batteries , préparons-nous à nous bien défendre. Si nous
* venons à bout de repouffer l'ennemi, comme je l'efpere,
o> nous demanderons au Saint Efpnt les lumières dont nous au-
» rons befoin dans la fuite. » Après ce difcours chacun re-
tourna dans fon pofte.
Il n'y avoit dans Saint Quentin , pour toute garnifon , que
huit cens hommes d'armes. Coligni les diftribua dans onze
endroits où il y avoit des brèches , ôc plaça les bourgeois en
différens polies , afin que, fi les ennemis donnoient l'affaut
avec des échelles , ils ne trouvaient aucun endroit des mu-
railles fans défenfe. Le capitaine Brueil , Breton , gouverneur
de la place, fut choifi pour défendre la première brèche : de
Humes comte d'Aran fut mis à la féconde 5 Coligni , dans
fes mémoires, dit que ce capitaine, fut celui qui s'acquit le
plus de gloire dans ce fiége : Cuifieux eut la défenfe de la
troifiéme ; la Garde , avec une partie de la compagnie de
Saint André, ôc une partie de la cornette du Dauphin fut
mis à la quatrième : Coligni lui-même étoit à la cinquième,
avec la compagnie de Gourdes , qui avant les grandes dé-
charges de l'artillerie des ennemis étoit de cinquante hom-
mes , ôc qui à la fin fut réduite à dix-fept. La fixiéme fut don-
née à d'Angenne-Rambouillet : la feptiéme à Jarnac , qui
avoit avec lui le capitaine Bune d'Arbouville : la huitième
Tome III. Y
i7o HISTOIRE
, aux capitaines Forces , Ogier, ôc Soleil, ôc à Vaulperghe, avec
Henri IL quelques cavaliers ; la neuvième à d'Andelot ôc à la compa-
x < ç 7. gme ^e Saint Roman : la dixième au capitaine Lignieres:
l'onzième enfin à Salevert, avec une cornette de cavalerie
de la Fayette. On y joignit les capitaines Sagauville, Haque-
ville ôc la Barre.
Les ennemis , fans faire aucun bruit , ôc fans battre le tam-
bour , commencèrent à donner l'aiTaut à une heure après mi-
di. Alfonfe Cazera * capitaine des vieilles bandes Efpagno-
les,ôc Lazare Sch^endi , conduifoient le premier corps
compofè d'Efpagnols ôc d'Allemans , qui pour la plus grande
partie furent tuez à la première attaque. Navarrette avoit la
conduite d'une partie du fécond , qui ètoit compofè d'Ef-
pagnols ; l'autre moitié compofèe de Flamans ètoit aux ordres
de Charle de Brimeu, comte de Megen '■> le troisième qui confif-
toit en trois compagnies Efpagnoles , ôc en deux mille Anglois,
étoit commande par Julien Romero , qui s'étant lailTé tomber
de la brèche où il ètoit monté , fe rompit la cuiffe. Le qua-
trième enfin fut donné , avec trois compagnies de Francom-
tois , à Carondelet , qui eut la main coupée en combattant.
On crut d'abord que les ennemis commenceroient par atta-
quer la brèche défendue par Coligni, ôcles alliégez s'étoient
préparez à s'y bien défendre. Mais les àiTiégeans fe détournè-
rent tout à coup vers une tour extrêmement haute , du quar-
tier confié à La - Garde 3 ôc l'ayant trouvée fans défenfe 3 ils s'en
emparèrent prefque auiii-tôt. Coligni y accourut avec Sar-
ragoufTe 3 pour les en chaffer : mais fes troupes l'abandonnè-
rent 3 ôc il ne refta avec lui que quatre hommes 3 ôc un page.
Prife de S. Les ennemis entrèrent fur le champ dans la ville, où les Aile-
l/amiraî'de mans exercèrent mille cruautez. Coligni fut bien-tôt environ-
Coiigni eft né d'ennemis : mais comme il tâchoit de tomber plutôt en-
nicr.pn°a" tre ^es mains des Efpagnols que des autres, il fut faitprifon-
nier, ôc conduit par une mine que les ennemis avoient faite.
Il s'y repofa quelque tems , ôc au fortir il rencontra Cazera -,
ôc peu de tems après le duc de Savoye , qui le fit conduire
dans une tente. La ville de Saint Quentin fut ainli prife
Ôc pillée : il eft vrai qu'elle étoit très-foible~; mais il y eut auiîï
beaucoup de la faute de la garnifon , Ôc principalement de la
i Nos Hiftoriens le nomment de Cazieres.
DE J. A. DE T H OU, L iv. XIX. 171
compagnie de cavalerie du Dauphin , dont le Cornette prit ™
honteufement la fuite. Ce qui fait voir combien il importe tjv^tTt
adesloldats courageux d avoir de braves omciers. Cette corn-
pagnie , depuis la mort de Teligni fon capitaine , fe comporta
toujours lâchement, & fur-tout dans les occafions où le coura-
ge étoit le plus nécefifaire. Quoique la ville fût prife , d'An-
dclot ne lailTa pas de fe battre avec opiniâtreté dans le
quartier où il commandoit : mais enfin accablé par la multi-
tude des ennemis , il reçut plufieurs bleffures , 6c fut fait pri-
fonnier. Nous perdîmes en cette occafionle fils de la Fayette,
Sallevert enfeigne de la Fayette, Ogier, Vicques , la Barre,
l'Eftang , ôc Gourdes capitaines d'infanterie. Les ennemis,
outre Coligni , ôc d'Andelot qui depuis s'échapa de leurs mains,
firent prifonniers Jarnac, Saint Remy , de Humes, la Garde,
Cuifieux , Moulins , Brueil, Rambouillet ôc Saint Roman. Ce
fut le 27 d'Août que la ville fut prife.
Cependant le duc de Nevers, qui étoit à Laon avec les
troupes dont le nombre groffiffoit tous les jours, faifoit for-
tifier les places voifines, ôc y mettoitdesgarnifons. Il harcel-
loit aufïi les ennemis par fes courfes continuelles , ôc tâchoit
d'arrêter leurs progrès en furprenant leurs convois ôc leurs fou-
rageurs. Le Roi, avant la prife de Saint Quentin, avoit ré-
folu de camper à Han , ôc avoit fait pour cela tous les pré-
paratifs néceffaires : mais les ennemis ayant pris Saint Quen-
tin plutôt qu'on n'avoit cru , il changea de deffein , ôc ne
fongea qu'à faire fortifier les frontières, Il envoya à cet effet
de vieux foldats de la garnifon de Metz , pour fecourir Bour-
dillon , qui étoit à la Fere , aufïi bien que le comte de San-
cerre, qui commandoit dans Guife ôc dans la Capelle, ôc
d'Humieres gouverneur de Peronne.
Sur ces entrefaites , Philippe fortifia Saint Quentin autant
qu'il lui futpoffible , ôc donna ordre à fes troupes d'aller cam-
per devant le Câtelet. On y conduifit du canon , ôc Barban-
fon comte d'Aremberg fut commandé avec douze cens Siège &prî
chevaux ôc trois compagnies d'Allemans , pour s'emparer d'
marais qui s'étendoit jufqu'à l'Abbaye de faint Martin. Les
ennemis drefferent enfuite une batterie de vingt-une pièces
de canon , du côté qui regarde Cambray ôc Saint Quentin.
Ilsrenverferentpar ce moyen les deux bâfrions qui leur étoient
Y i ;
fe du Câtelec.
172 HISTOIRE
oppofez , ôc firent une grande brèche à la muraille. Le baron
Henri H. de Solignac commandoit dans la place : c'étoit un capitaine
1 S S 1' ^ort renommé > ôc qui fembloit promettre au-delà de ce qu'il
fit paroître. Le duc de Nevers avoit mandé plufieurs fois au
Roi qu'il n'eut aucune inquiétude touchant le Câtelet, que
Solignac en viendroit aux dernières extrêmitez , avant de
rendre la place ; il ofa même aflurer que cefiége arrête-
roit les ennemis , au moins pendant vingt jours. Tout le
monde en étoit fi perfuadé, qu'on eut peine à croire que cette
place fe fût rendue' à Barbanfon , comme il arriva le 7 de
Septembre. Solignac fut arrêté ôc conduit dans lesprifons de
Paris : il s'excufa , en remontrant que que la place étoit foi-
ble , que les fortifications qu'on y avoit commencées, n'étoient
pas encore à leur jufte élévation ; qu'enfin il auroit fallu deux
mille hommes de garnifon pour défendre cette place, ôc qu'il en
avoit eu un pareil nombre dans la défenfe d'Eftrée : il ajouta
que le courage du peu de troupes qu'il avoit avec lui,s'étoit
d'abord ralenti , ce qui l'avoit engagé malgré lui à capituler.
Pendant le fiége du Câtelet , les nôtres remportèrent quel-
ques avantages dans des efcarmouches. La cornette de Vil-
lars tailla en pièces quarante fourageurs , ôc prit quantité de
chevaux de grand prix. La cornette du Prince de Condé
Ôc celle d'Archifon Ecoffois tuèrent dans une autre rencon-
tre vingt fantaflins ôc l'avantage eut été plus grand , fi la cava-
lerie fut venue à leur fecours. Barbanfon , après la prife du
Câtelet, alla à Fonz-Somme trouver Philippe,qui s'y étoit déjà
rendu avec le refte de l'armée. Ce Monarque , pour réjouir
Charle V. fon père , qui pour lors étoit dans fa retraite , lui
lit fçavoir les vicloires qu'il avoit remportées , Ôc lui deman-
da fon confeil fur les affaires préfentes. Voici la réponfe que
fit Charle.
Sentimens * Quoique dans ma retraite , je fois indifférent fur tous les
de Charle v. „ évenemens , cette nouvelle cependant me fait un plaifir fen-
des vidoires sc fible. Je me réjouis que mon fils, que j'aime uniquement,
4e fon fils. =» foit fi heureux dans les commencemens de fon règne. Je
?» rends grâces au Tout-puiffant , avec toute l'humilité poffi-
» ble , de ce qu'il n'a pas laiflé la perfidie impunie , ôc de
:•» ce que dernièrement en Italie, ôc récemment fur les riron-
■jo tieres des Pays-bas, il nous a vengés des parjures. Je l'avok
DE J. A. DE flTHOU, Liv. XIX. *75
» toujours efperé , 6c je me confolois dans cette attente. J'é- m B
» tois cependant fâché devoir, que tandis que la trêve avoitmis jjenri jj
m la tranquilité dans l'Europe , ôc que je me propofois de goû-
» ter quelque repos, la Chrétienté fut en feu par une guerre
» inopinée. Au refte je ne veux donner , ni ne donnerai à l'a-
» venir aucuns confeils à mon fils : il a auprès de lui çjes
o> perfonnes d'une fidélité reconnue , & qui ont acquis fous
» moi une telle expérience , que je les confulterois moi-mê-
» me, fi j'avois encore en main les rênes du gouvernement.
» Qu'il agilfe donc fuivant leurs confeils > ôc qu'il pefe leurs
»> raifons i mais qu'avant tout il implore le fecours ôc les gra-
a> ces du ciel.
Le camp ennemi étoit en ce tems-là rempli de défordres.
Les Allemans , après la victoire 3 n'étant pas payés de leur
folde y fe mutinèrent ; mais les Efpagnols ne reçurent leurs
plaintes qu'avec cette hauteur qui leur eft naturelle. Les An-
glois, d'un autre côté, fe plaignoientdes Efpagnols, qui pour
fe venger , comme ils difoient , des mauvais traitemens qu'ils
avoient reçus depuis peu en Angleterre , en agiflbient fort
mal à leur égard. Us demandèrent même la permiiîion de fe
retirer : ce qui leur fut accordé pour éviter quelqu'accident
plus fâcheux. Plufieurs croyent que le départ des Anglois fut
une des raifons , pour lefquelles Philippe , après de II grands
avantages , ne fit plus rien de confidérable, ôc laifla fon armée fe
diiïïper. Ferdinand de Gonzague n'étoit pas de ce fentiment ,
ôc foûtenoit que ce Prince devoit confet ver toutes fes forces ,
foit afin de pourf^ivre fa victoire , foit pour s'oppofer aux Fran-
çois , qui après une fi grande défaite , aflembleroient des trou-
pes innombrables , ôc feroient les derniers efforts pour repa-
rer leurs pertes.
Le Roi , qui craignoit que les Anglois ne fiflent quelque
entreprife dans leur retraite , donna ordre à Senarpont , qui
commandoit dans Boulogne ôc dans Montreùil , de ne fortir
de ces places qu'après le paffage des Anglois. En même-tems
il manda pour la féconde fois à Sanfac de s'enfermer dans Ab-
beville , avec fa cornette ôc celle de d'Angenne , qui avoit été
tué depuis peu de tems.
Les ennemis en attendant quelque réponfe d'Efpagne ,
Y iij
174 HISTOIRE
jugèrent à propos d'aller camper devant la ville de Han. Cette
Hr^ïo t tt place eft dans une fituation très-avantageufe.Bâtie dans une plai-
j c c _ ne, elle nelt commandée par aucune eminence, ôc eft entou-
rée d'un côté par la rivière de Somme, ôc de l'autre par un marais
prefque inaccefïïble , qui a cinq cens pas d'étendue. Il eft vrai
que les murailles font de peu de réliftance > mais elle eft dé-
fendue par une citadelle flanquée de quatre baftions ronds ôc
d'une tour quarrée , fans rampart ôcfans dehors. Le Connéta-
ble de Saint Pol de Luxembourg l'avoit fait bâtir ancienne-
ment. Cette ville paffoit dans ce tems-là pour une place d'im-
portance , ôc ce Connétable en avoit même une telle idée ,
qu'il eut la témérité de fe rendre arbitre entre Louis XI. ôc
Charle duc de Bourgogne , qui pour lors fe faifoient la guerre;
fans confidérer que ceux-là feulement fe doivent rendre mé-
diateurs, qui font allés puiffans pour contraindre par la force
celui qui ne veut pas fe foumetrre à leur décifion ; comme en
effet l'événement le fit voir.
Sepois , quicommandoit dans la ville de Han , jugeant cette
Ï)lace trop foible pour foûtenir un fiége , fut d'avis d'y mettre
e feu , afin d'en rendre la prife inutile aux Efpagnols. Il crut
aum* que, pour amufer l'ennemi, on devoit fe contenter de met-
tre quelques troupes dans la citadelle. Son confeil fut fuivi ,
Ôc Piffeleu fieur de Heilly Gentilhomme de la première no-
bleffe , ôc capitaine fort expérimenté , fut envoyé pour défen-
dre cette citadelle. François de Montmorency partit en mê-
me-tems pour Amiens } avec fa cornette de cavalerie ôc celle
de fon père : François d'Ailly Vidame de ce^te ville , Auguef-
fant ôc Morvilliers s'y étoient déjà rendus , avec leurs cor-
nettes. Le prince de Condé eut ordre d'aller dans le Soiffo-
nois avec de la cavalerie légère , pour garder les gués des riviè-
res ôc faire des courfes fur les ennemis. Ce Prince mit le Ba-
ron de Cleri dans Noyon, avec fa compagnie de cavalerie ôc
quelques Ecoffois. On donna à de Lille feigneur de Mari-
vaux la défenfe de Beauvais ôc de Saint- Dizier , ôc Raffes
Prife de fut envoyé à Senlis. Les ennemis cependant firent approcher
Hap- du canon de la citadelle de Han, ôc après une violente bat-
terie , ils firent brèche à la muraille. Alors , comme il étoit im-
poflible aux affiégez de creufer un fofle en dedans 3 ils fe ren-
dirent le 12 Septembre,
DE J. A. D E THOU,Liv. XIX. 17?
Après la prife de Han, onignoroit parmi nous quelle route
prendroit l'ennemi. On ne fçayoit, s'il fe jetteroitdans le Bou- Henri IL
lonnois , fi au contraire il iroità Compiegne , ou fi enfin, pour 1 S S 7-
ne pas incommoder fes peuples par le pafiage de fon armée ,
il s'en retourneroit par la Champagne , ôc mettroit , chemin fai-
fant, notre payis au pillage. Cette dernière opinion n'étoit
pas fans fondement. On avoit appris que le Baron de Pol-
viller , qui par ordre de Philippe , étoit allé depuis quelque-
tems en Allemagne , en étoit de retour , ôc qu'il étoit fur la
frontière , avec vingt compagnies d'infanterie Ôc douze cens
chevaux Allemans. On difoit aufli que ces troupes étoient dcf-
tinées pour l'Angleterre. Ainfi comme il falloit que ce capi-
taine traverfat laChampagne, pour fe rendre dans ce Royaume,
il étoit alfés vraifemblable que Philippe iroit au-devant de lui.
C'eft pourquoi François de Montmorency, qui commandoit en
Picardie , en fit fortifier la frontière. D'Eftrée fut mis enfuite
dans Soiffons , avec trois compagnies d'infanterie nouvelle-
ment levées , ôc quatre vingts chevaux , commandés par Fave-
rolies, fans compter les troupes qu'on y avoit déjà envoyées.
Le prince de Condé , avec Charmazel ôc Gondrin , qui s'é-
toient venu joindre par les ordres du Roi, gardoit les paffa-
ges de la rivière , ôc avoit répandu fur les bords de part ôc
d'autre fa Cavalerie - légère. Le Roi avoit aufîi pourvu à la
fureté de la Champagne , ôc y avoit envoyé Jametz ôc d'Efche-
nets avec leurs cornettes de cavalerie. De-Jours eut ordre en
même-tems d'affembler le régiment de Champagne.
Philippe employoit le tems à faire fortifier Saint Quen-
tin ôc Han, afin que fes troupes euffent des logemens com-
modes ôc des vivres en abondance. Il furprit Noyon de la
manière que je vais dire. Il y envoya quelques cornettes de
cavalerie, qui étant entrées fans enfeignes dans cette ville, en
chafferent aifément le Baron de Clery , qui y commandoit
avec quelques Ecoffois. Au refte, cette place étoit très-foible,
ôc avoit été brûlée quelque tems auparavant. Les enne-
mis fe rendirent maîtres en même-tems de la ville de
Chaulny. Ils ne la fortifièrent pas , mais ils y mirent une bon-
ne garnifon ; parce que cette place leur étoit d'une grande
commodité pour faire vendanger le payis d'alentour , & pour
faire conduire des convois dans le camp. Les mois de
i7<* HISTOIRE
— ~" """£ Septembre 6c d'O&obre fe pafferent à faire des courfes les uns
Henri IL fur les autres. Enfin les Allemans s'étant foûlevés ouverte-
* S S 7* ment , abandonnèrent Philippe ; ôc comme fi leurtems de fer-
vice fût expiré, ils fe mirent dans celui de la France. Ils furent
incorporés dans nos compagnies d' Allemans , diminuées con-
sidérablement par nos pertes précédentes.
Le Roi raffembloit des troupes de toutes parts. VarafTieux
par fon ordre alla recevoir fur les frontières de Bourgogne ôc
6c de Champagne les SuifTes qu'on avoit levés. Mendofe fe
rendit à Lyon , pour y recevoir 4000 Suiffes qui venoient de
Piémont. Marolles fut envoyé à Iffutille 1 , pour faire la revûë
des nouvelles recrues d'Allemans , arrivées depuis peu dans
cette ville , fous la conduite de Reckrod ôc de Reiffemberg.
On atteiibloit de jour en jour le duc de Guife , qui revenoit
d'Italie avec fon frère le duc d'Aumale , félon les ordres qu'il
en avoit reçus du Roi après la journée de Saint Quentin. Le
duc de Nevers eut aufli ordre de quitter Laon ôc de fe ren-
dre à Compiegne , pour faire fortifier cette place. A fon arrivée
il fit travailler à un camp près de la ville , ôc à cet effet on en-
toura de fofTés un terrein aflfés fpacieux.
Pendant ces travaux , le duc de Nevers ne fut pas oifif à
Compiegne. Il avoit remarqué que la garnifon de Chaulny for-
toit jufqu'au nombre de 15" 00 chevaux , ôc faifoit des courfes
continuelles. Il donna ordre à Bourdillon, de fe trouver aYec
fes troupes dans un certain endroit, ôc lui marqua le jour qu'il
devoit s'y rendre. Pour lui il alla à SoifTons , fous prétexte d'y
recevoir dix-huit compagnies Suiffes, qui venoient d'y arriver.
Ayant raffemblé les garnifons de la Fere, de Coucy ôc de Soif-
fons , ôc le prince de Condé s'étant aufli trouvé au rendés-vous
avec fa cavalerie-legere , il dreffa des embufeades autour de
Çhaulny. François d'Hangeft de Jenlis eut ordre enfuite d'attirer
l'ennemi au combat , pour le faire tomber dans l'embufcade ,
en reculant peu à peu. Mais comme la plus grande partie de
la cavalerie de la garnifon avoit été rappellée dans le camp en-
nemi , ceux qui réitèrent n'oferent pourfuivre les François ;
ainfi le projet n'eut pas le fuccès qu'on avoit efpéré. On fur-
prit cependant quelques cavaliers Albanois avec leur capitaine.
Le Prince de Condé défit aufli un détachement d'infanterie
1 Sur la rivicre de Tille près de Dijon.
Efpagnole ;
i i «ni ihii i
DE J. A. DE T HOU, L iv. XIX. 177
Efpagnole , qui voyant qu'elle s'étoit trop avancée , alla s'enfer-
mer dans une chaumière : maisAUigny ayant mis pié à terre avec Henri IL
fa compagnie d' Arquebufiers , contraignit ces troupes à fe r en- 1 r e- 7.
dre. Le capitaine Launay tua leur Chef en préfence du Prince
de Condé , qui irrité d'une a&ion fi barbare voulut le faire pu-
nir j mais Launay le pria d'excufer fa colère, ôc lui remontra
que cet Efpagnol avoit ufé de la même cruauté fur des prifon-
niers François ôc même fur fesgens. Les ennemis, au bruit de
ce combat , firent fortir de leur camp 4000 chevaux, pour pour-
fuivre les nôtres ■■> mais ce fut fans effet 5 car ils s'étoient déjà
retirés.
Tandis que les Efpagnols fortifioient Saint Quentin , le Câ- Mort 3e
telet ôc Han, Philippe fur la fin d'0£tobre partit pour Cam- Ferdinand de
bray , ôc fe rendit à Bruxelles avec toute fa Cour. Ce Prince SoTcàuOere;.
étoit accompagné de Ferdinand de Gonzague , qui épuifé
par fes travaux paffésj ôc par les fatigues qu'il venoit d'effuyer
au fiége de Saint Quentin , tomba malade , Ôc mourut le 1 $ de
Novembre , âgé de cinquante-un ans. Ce fut un homme d'un
grand courage , mais d'un efprit opiniâtre. Il fut employé
dans de grandes entreprifes , ôc la Fortune lui fit éprouver tou-
tes fes viciiTitudes. Sur la fin de {qs jours il fut accufé d'une
avance ôc d'une cupidité infatiables. On pouvoit dire de lui
ce que les Romains difoient autrefois de L. Lucuilus, que ce
Général prefqu'invincible avoit été vaincu par fon avidité , ôc
qu'elle l'avoir enfin chaifé de fon gouvernement. La rapacité
de Gonzague engagea l'Empereur à lui ôter le gouverne-
ment du Milanez. Mais ce Prince , qui connoiffoit fa pruden-
ce ôc fa capacité > confeilla à Philippe fon fils de le confulter
dans toutes fes affaires importantes , mais de ne lui jamais con-
fier ni gouvernement , ni aucune charge publique. Gonzague
s'étoit attiré la haine des Efpagnols, par la févéritéavec laquelle
il avoit puni les rebelles de Sicile. Cependant les Flamansl'ai-
moient : ils lui firent des obfeques magnifiques , où les plus
grands Seigneurs de la Cour affilièrent. Philippe lui rendit de
fréquentes vifites dans fa maladie : ce monarque même, en con-
sidération de fes fervices, honora Cefar , fon fils aîné , Prince de
jVIolfetta , du commandement général de la cavalerie, dans l'E-
tat de Milan. Après le départ de Philippe , Henri fe rendit à
S.Germain. Ce Prince avoit avec lui des troupes innombrables,
Tome III. Z
I78
HISTOIRE
qu'il avoit fait lever, tant dans fon Royaume, qu'en Allema-
Henri IL gne ^ en SuiiTe > & d l^ en atnvoit encore continuelle-
j - . 7 4 ment.
Entreprife Sur ces entrefaites îe baron de Polwiller l traverfa les mon-
du Baron de tagnes de Vôge , ôc defcendit dans le comté de Ferrette. Il
prit des vivres des Franc-Comtois, contre le traité, ôcfutde
là en Brefle , à la perfuafion du duc de Savoye. Granger de
Mions , Gentilhomme de Brefle , accufé du crime de leze-ma-
jefté ôc de celui de faufle monnoye, s'étoit réfugié auprès de
ce Général. Il lui avoit fait efpérer que les peuples de cette
province fe foûleveroient , s'ils voyoient des troupes étrangè-
res dans leur payis. Sur cette aflurance le baron de Pobeiller
vint à Trefort , à la tête de dix mille hommes d'infanterie ,
ôc de douze cens chevaux Allemans , que le roi de Bohême ,
à ce qu'on difoit , lui avoit envoyez. Il ne refta dans cette ville
que le tems qu'il lui falloit , pour raflembler les reftes de fes trou-
pes , répandues dans les villes d'alentour. Il partit enfin le 1 5:
de Septembre 2 , avec toute fon armée , ôc vint camper allés
près de Bourg-en-BrelTe 3 , capitale de la province. Cette ville
eft fituée dans unterrein marécageux, mais très-fertile. Elle eft
bornée à l'Orient par le Mont Saint Claude , ôc par d'agréa-
bles coteaux , couverts de vignobles. Elle regarde la Franche-
Comté au Septentrion , ôc la ville de Lyon au midi. Au cou-
chant elle a une grande plaine , qui s'étend jufqu'à la Saône.
Le baron de Digoine , qui commandoit dans la ville , étoit lieu-
tenant de la Guiche gouverneur de la province , qui pour lors
étoit malade. Sur le bruit qui couroit de l'arrivée des enne-
mis , le Baron fit fortifier la place , y mit bonne garnifon
ôc manda à d'Efchenets de le venir trouver avec le régi-
ment de Champagne. Il ruina la campagne ôc les terres d'a-
lentour , afin que l'ennemi ne pût rien trouver pour fa fubfif-
tance ; il fit enfin tous les préparatifs nécefîaires pour foûte-
nir un fiége. Le duc deGuifè , après avoir traverfé les Alpes,
revint en ce tems-là d'Italie. A fon arrivée , il envoya dans
Bourg François de Vendôme Vidame de Chartres , avec deux
1 Nos Hiftoriens le nomment de
Polleville. Il étoit Allemand , de Maf-
munfter en Alface , félon Pierre Mat-
thieu, tom, i. p. 1751.
2 On a ici corrigé la date qui paroit
fautive dans le texte.
3 Cette ville , félon quelques-uns ,
eft le Tamtm des anciens.
DE J. A. DE THOU, Liv. XIX: 179
mille hommes de vieilles troupes. Le refte de fon armée , corn- ■
pofé de Suiffes ôc d'Allemans , fut diftribué dans le Mâconnois Henri II
ôc le Lyonnois , pour fervir félon les conjonctures. Cependant [Çf,
toute la province étoit en allarmes : les habitans emportoient
ce qu'ils pouvoient de leurs meubles > ôcs'enfuyoient dans les
villages d'au-delà de la Saône. Les bois , les montagnes Ôc
les cavernes étoient remplis de vieillards , de femmes Ôc d'en-
fans , qui y cherchoient un' azile contre la fureur de l'ennemi.
Polwiller , à fon arrivée à la Sardiere ôc à Chalez , envoya
l'élite de fa cavalerie pour reconnoître la fituation de Bourg.
Mais ces cavaliers furent fort maltraités par une volée de ca-
non qu'on tira fur eux , lorfqu'ils s'y attendoient le moins. Le
lendemain 29 de Septembre 1 Y armée * ennemie s'avança juf-
qu'aux moulins de Rozieres , ôc après avoir paffé le ruiffeau ,
elle vint jufques à la chapelle de Saint Jean , vis^à-vis la porte
de Mâcon 3 ôc campa en cet endroit. Elle fit enfuite trois dif-
férens campemens ; mais les nôtres ayant fait une fortie , ils fur-
prirent les ennemis 3 tuèrent les fentinelles , ôc portèrent la ter-
reur ôc le carnage jufques au milieu des corps-de-garde. Les
Allemans difoient tout haut , qu'ils avoient été trahis. D'un au-
tre côté> la faifon étoit très-incommode, Ôc les grandes pluyes
qui étoient tombées 3 empêchoient les foldats de continuer les
travaux qu'ils avoient commencés. Enfin les Bourgeois ayant
fait une fortie le 14 Octobre pour mettre le feu aux ouvrages
des ennemis , d'Efchenets les attaqua en même-tems 3 ôc les
pourfuivit jufques dans leurs retranchemens : mais la déroute
fut plus grande que le carnage. Ainfi comme la promeffe de
Mions, au fujetde la révolte des habitans, n'avoit aucun effet,
les ennemis prirent le parti de publier plufîeurs Manifeftes , au
nom du duc de Savoye ôc de Polwiller même , où ils faifoient
voir les injures qu'ils avoient reçues de François I. ôc de Henri.
Ils femerent dans leurs écrits plufieurs traits amers ôc piquans ,
pour exciter la haine des autres Princes 3 ôc engager les peu-
pies à la révolte. Les ennemis refterent encore là pendant cinq
1 La date a paru encore fautive en
cet endroit , 8c on a cru qu'il falloir
lire III. Kal. VIII bres. au lieu de III.
Eid. VIII bres. au moyen des deux
reftitutions préce'dentes , il n'y a plus de
difficulté dans la date du 14 d'Octobre,
qui fuit. Ces me'prifes , qui font rares,
fe rencontrent dans le texte, non par la
faute de M. de Thou, mais des Editeurs.
Il feroit à fouhaiter que ceux de Lon-
dres les eufTent toujours corrigées dans
leur magnifique e'dition.
Zij
i8o HISTOIRE
. jours : mais Polwiller apprit alors par fes efpions , que îe duc
Henri II d'Aumale » ^a Guiche qui fe portoit mieux, ôc Vilîefrancon,
s'étoient affemblés à Mâcon , ôc que les troupes qui étoient à
5 ' Mont-Revel , étoient déjà en marche ; il fçut d'ailleurs qu'on le-
voit des foldats dans Lyon ôc dans Mâcon, ôc que les bords
de la Saône en étoient tous couverts '■> il décampa donc pen-
dant la nuit ôc conduifit fes troupes à Mont-July ôc à Cefiria.
Ce capitaine repafla par la Franche-Comté , ôc fit fa retraite
avec tant de bonheur ôc de célérité , qu'il avoit déjà fait cinq
lieues de chemin , avant que les nôtres fuflent avertis de fon
départ. Les Allemans cependant voyant qu'on ne leur tenoit
point parole, fe débandèrent. D'Efchenets les pourfuivit jufqu'à
ce qu'ils euflent traverfé la Franche-Comté ; mais ce fut fans
fuccès.
Le dixième de Décembre de cette même année , Granges
de Mions, dont nous avons déjà parlé 3 Charle de Luzingues
fieur des Alimes, Claude Dupuy 3 Buchard , Liatod,Briod ,
Rouffet , ôc Verdet , furent condamnés par contumace , par
le Parlement de Chamberi , comme rebelles ôc auteurs de
l'entreprife du baron de Polwiller. Il fut ordonné qu'on les ar-
rêteroit , en quelque endroit qu'on pût les trouver , ôc qu'on
les mettroit entre les mains de l'exécuteur de la haute Juftice?
qu'ils feroient traînés fur une claye dans la ville de Bourg 5 que
leur corps feroit mis en quatre quartiers ; ôc que leurs têtes fe-
roient plantées dans une place marquée par l'arrêt , pour y
fervir d'exemple. Il fut ordonné enfin , qu'à caufe du crime de
trahifon , ils feroient notés d'infamie , eux ôc leurs defcendans 5
déclarés incapables de tefter , d'être appelles en témoignage ôc
d'occuper jamais ni charges ni dignités. Telle fut la fin de la
formidable Ôc vaine entreprife du baron de Polwiller.
Lorfque le duc de Guife fe fut rendu à faint Germain, le
Roi lui fit un très-bon accueil , Ôc lui donna le principal foin
des affaires de la guerre, dont le duc de Nevers étoit chargé,
depuis la prife du Connétable. Le duc de Guife pria alors
îe Roi de permettre à Montluc de revenir en France 5 ce
qui lui fut accordé. Le Duc avoit delfein de fe fervir de ce
Capitaine , parce que d'Andelot , colonel général de Finfan-
rie ) lui étoit devenu fufpecl , ôc qu'ils fe ha'ùToient mutuelle-
ment a ôc étoient jaloux l'un de l'autre : il avoit encore le
DE J. A. DE THOU, Liv. XÎX. 181
prétexte de la religion , qui excita en ce tems-là de grands trou- «^«^^«.
blés dans le Royaume : voici ce qui y donna lieu. Henri IL
Comme le nombre des Proteftans augmentoit tous les jours j . , 7>
à Paris, ils s'alTemblerent le quatrie'me Septembre fur le foir,
à l'hôtel de Bertomier, dans la rue faint Jacque, pour y prier
Dieu, ôc y célébrer la Cène. Les voifins l'ayant fçû, prirent
des armes ôc des pierres , pour les attaquer au fortir de leur
Prêche. L'affemblée n'ayant fini que bien avant dans la nuit,
les premiers qui fortirent furent attaquez à coups de pierre?.
Toute la populace accourut aufTi-tôt , comme à un lignai qui
auroit été donné, ôc fit fes efforts pour enfoncer les portes de
l'hôtel. Ceux qui étoient dedans prirent un parti conforme à
la nécefiité où ils fe trouvoient. Ils fortirent l'épée à la main,
ÔC quoiqu'il y en eût quelques-uns de bleflez , ils fe fauverent
tous , à l'exception d'un feul qui fut tué dans la foule. Les
femmes ôc les autres qui ne purent fe défendre , fe ren-
dirent à Martines , procureur du Roi au Châtelet de Paris. Ce
Magiftrat, le lendemain à la pointe du jour , les fit con-
duire en prifon , ôc put à peine empêcher le peuple de les
aflbmmer entre les mains des Archers.
Il courut divers bruits au fujet de cette afTemblée noctur-
ne , qu'on traitoit de chofe nouvelle ôc odieufe. On difoit que
ces gens s'étoient affemblez la nuit, pour y faire la débauche,
ôc qu'après le repas , ils avoient commis des crimes horribles ;
que le père n'avoit pas eu honte d'avoir commerce avec fa
fille , le fils avec fa mère , ôc le frère avec fa fœur. On ajou-
tait , qu'on avoit trouvé des tables dreffées , l'appareil d'un
feftin , ôc des tapis qui confervoient encore les marques tou-
tes récentes d'une infâme lubricité. Pour animer encore plus
le peuple contre eux , on faifoit exprès courir le bruit qu'ils
avoient facrifié des enfans. Le Roi en fut averti , ôc perfonne
n'ofa prendre la défenfe de ces malheureux , de peur d'être
foupçonné du même crime. Cependant les Religionnaires s
pour fe juftifier, mirent au jour un écrit, fous le titre d' Apo-
logie , où ils démontroient la fauffeté de ces bruits > ôc fai-
foient voir , par le témoignage des Pères de l'Eglife , que les
Payens en avoient agi autrefois avec les premiers Fidèles , de
la même façon que les Catholiques en ufoient alors à leur
égard. Afin que le Roi eût connoiflance de cette Apologie ;
Z iij
l82
HISTOIRE
Le Parle-
ment de Paris
fait mourir
des Religion-
naires.
, ils la jetterent dans fon appartement. Antoine de Mouchi * ,
Henri II théologien 3 inquiflteur de la Foi , ôc Robert Cenalis s évêque
x - f _ d'Avranches , rirent une réponfe à cet écrit. Cependant Jean
Munier , lieutenant civil , eut ordre de faire le procès aux pri-
fonniers.
Le Parlement prit connoiffance de cette affaire i Nicolas
Ciinet, natif de Saintonge , âgé de foixante ans 3 qui avoit en-
feigne long-tems dans l'Univerfité de Paris , ôc Taurin Gra-
velle , avocat au Parlement , furent brûlez vifs , par arrêt de
cette Cour. Philippine Luns de Perigord , depuis peu veuve
de Graveron, fut étranglée le 14. de Septembre z3 ôc enfuite
jettée au feu. Quatre jours après , Nicolas le Cène 3 Nor-
mand y médecin de profeflion 3 ôc Pierre Gambard , Poitevin,
furent brûlez > François de Rebeziers de Staffort né dans le
Condomois , ôc Frédéric Danville , d'Oleron en Bearn 3 furent
pendus , ôc jettez au feu.
Le Parlement avoit interrogé douze autres de ces accufez,
ôc le tems approchons où ils dévoient être jugez, lorfqu'une
Dame de condition , qui étoit du nombre 3 préfenta une re-
quête au Parlement 3 pour qu'il lui fût permis de recufer les
Juges-CommifTaires 3 ôc quelques - autres Confeillers, ôc pro-
pofa plufieurs moyens , pour appuyer la juftice de fa deman-
de. Tandis que le Parlement délibéroit fur cette requête ,
les Suifles , ôc les Princes Proteftans d'Allemagne , envoyè-
rent des Députez au Roi , pour demander la grâce de ces
infortunez , qui profeffoient la même Religion qu'eux. Le Roi
voyant que Philippe venoit de jour en jour plus redoutable ,
jugeant d'ailleurs , qu'il auroit befoin du fecours des SuifTes
ôc de ces Princes d'Allemagne 3 permit en leur confédération ,
que le Parlement traitât cette Dame avec plus de douceur.
On élargit quelques-uns des prifonniers , ôc les autres furent
renvoyez devant le Juge Eccléfiaftique. Par-là , ces malheu-
reux échappèrent au fupplice qui leur étoit deftiné. Les Dames
de Rantigni ôc de Champagne , femmes de la première qua-
lité, dont les maris n'étoient pas de cette Religion , ôc la
i Appelle' Demochares.
2. II y a dans le texte XIX Kal.
VlIIbres Ceft une faute fenfible , car
il ne peut y avoit dans Septembre
que 1 B jours avant les Calendes d'Oc-
tobre. On a juge' à propos de lire
XVIII. pour XIX.
DE J. A. DE THOU,Liv. XIX. 183
Dame d'Oûarti , furent mifes dans la maifon de la Reine
Catherine. • , , . Henri II
Le Roi fît publier cette année un édit auffi favorable à la
Religion , qu'à l'honnêteté publique, pour défendre les ma-
riages clandeftins , conformément au droit Romain. Cet édit lef mariages*
déclaroit nuls tous les mariages faits fans le confentement des clandeftins.
parties contractantes , ôc fans celui de leurs parens. Il per-
mettoit aux pères ôc mères de déshériter leurs enfans , s'ils fe
marioient fans leur aveu. Il ordonnoit aux Juges de punir ,
félon la rigueur des loix, ceux qui auroient procuré ou favo-
rifé de pareils mariages. Il y avoit cependant cette exception :
Si les garçons avoient trente ans paffez, ôc les filles vingt-cinq,
ou fi les mères s'étoient remariées , les enfans , en ces cas-là,
dévoient feulement demander confeil à leurs parens, ôc n'é-
toient pas obligez néceltairement de le fuivre. -Auparavant ,
6c furtout en Italie , il étoit permis aux enfans , en puiffance
de père 6c mère, de fe marier fans leur confentement : enforte
que ces mariages clandeftins étoient valides 6c légitimes ; ce
qui étoit contraire , non feulement aux bonnes mœurs , 6c à
îa tranquillité publique, mais encore à la focieté civile, 6c à
îa loi Divine. Cette licence étoit alors fi commune , même
en France, qu'il fe contractait quantité de mariages entre
perfonnes d'inégale condition > ce qui deshonoroit 6c rui-
noit en même tems les maifons les plus confidérables.
On croit communément que ce fut le Connétable de Mont-
morenci, qui pouffé par des raifons particulières, engagea le
Roi à faire publier cet édit. Le Connétable craignoit que
François fon fils aîné , qui aimoit éperduëment Mademoifelle
dePienne, del'illuftre maifon d'Haluyn, ne fe mariât avec
elle, fans fon confentement 6c à fon infçu. Quelque tems au-
paravant il avoit envoyé fon fils à Rome, 6c avoit fait folliciter
le Pape de caffer la promette de mariage, que fon fils avoit faite
à cette Demoifelle.Mais le Pape avoit toujours éludé fa deman-
de, 6c avoit renvoyé au confiftoire cette affaire , comme dou-
teufe. Le Connétable , fuivant le confeil de fes amis , ne vou-
lut pas attendre de la faveur du Pape ce qu'il pouvoit obte-
nir par l'autorité du Roi. Ainfi , comme il avoit beaucoup de
créait auprès de fon maître , cet édit fut fait , ôc enfui'te en-
legiftré en Parlement le premier de Mars. On y ajouta ( en
184 HISTOIRE
faveur du Connétable ) que puifque Fédit étoit conforme à
Henri IL la loi divine , il auroit lieu pour le paffé, fi le mariage n'étoit
i S S 7* Pas encore confommé. Cet édit fut différent des autres , en
ce qu'il étoit rétroaclif , & que les édits des Princes n'ont lieu
feulement que pour l'avenir. Quoique celui - ci fût très-
jufte en lui-même , bien des gens cependant i'appellerent
un édit ambitieux. Après la promulgation de cette loi, Fran-
çois de Montmorenci avoiia qu'il avoit fait une promeffe
de mariage à Mademoifelle de Pienne , mais à condition que
le Connétable fon père y confentiroit. Cette promeffe étant
déclarée nulle, il époufa Diane fille naturelle du Roi, ôc veu-
ve d'Horace Farnefe duc de Caftro , qui avoit été tué au fiége
d'Hedin.
On fit un autre édit très-fevere, pour punir les mères, qui
avoient la cruauté de faire périr leur fruit. Cet édit fut enre-
gistré au Parlement le 3 de Mars , tet que cette Cour l'a-
voit demandé. Ce crime jufqu'alors avoit été impuni 5 ôc ce-
pendant depuis la loi , il n'a été que trop fréquent. Il arri-
voit que fi les filles devenoient groffes , elles avoient foin,
pour ménager leur réputation , de cacher leur groffeffe. Souvent
même , accumulant crime fur crime , elles jettoient leurs en-
fans dans des latrines , ou les faifoient noyer dans quelque
rivière , ôc les privoient par là du bâtême & de l'honneur de
la fépulture. Si quelquefois ces filles , fur le foupçon de
cet affreux parricide , étoient citées en juftice , elles di-
foient , pour fe juftifier , qu'elles étoient accouchées d'un en-
fant mort ; & comme il fe trouvoit rarement des preuves
pour les convaincre, elles échapoient au fupplice dû à Ténor-
mité de leur crime. Le fentiment des Juges dans ces fortes
d'affaires étoit prefque toujours partagé > les uns condamnoient
à mort les coupables : mais le plus grand nombre, touché de
compafiion , étoit d'avis feulement de les mettre à la quef-
tion , pour leur faire déclarer , fi leur fruit étoit venu au
monde mort ou vivant. Si elles avoient affez de courage pour
fupporter les tourmens, elles étoient renvoyées fans autre pu-
nition. Le Roi par cet édit ordonna que toutes celles qui
au roient caché leur groffeffe, ou quin'auroient pas de témoins,
qu'elles étoient accouchées d'en enfant mort ou vif, feroient
punies comme coupables du meurtre de leur enfant , s'il n'y
avoit
DEJ. A. DETHOU,Lrv. XIX. 18;
avoit pas de preuve d'ailleurs , que cet enfant eut été bâtifé,
ou enterré félon l'ufage ordinaire. Depuis la publication de Henri IL
cette loi , il n'y a pas eu de crime qui ait été puni avec plus i 5- y 7.
de rigueur. Afin que perfonne ne fe faffe une excufe de fon
ignorance , tous les jugemens qui fe rendent fur cette ma-
tière portent , que l'édit fera affiché ôc publié à fon de trom-
pe dans l'étendue des Jurifdictions fubalternes , ôc dans toutes
les places ôc carrefours publics, ôc que les Curez en feront
la lecture au prône. Malgré cela, il neft point aujourd'hui de
crime plus ordinaire : il ne fe pafTe point de femaine qu'on
ne juge à la Tournelle criminelle une ôc même pluiieurs cou-
pables d'une action fi déteftable. Tant il eft vrai que la crainte
des jugemens du monde , ôc la mauvaife honte ont plus de
pouvoir fur ce fexe foible ôc timide , que la crainte des fup-
plices , ôc que les remords de la confcience.
Le Roi , cette même année , par une autre déclaration, qui Edk pour la
fut donnée à Villiers-Cotterez le premier de Mai. ôc enre- refidence des
•n / 1 t»i j t-« a /r-> Eveques Se
giltree le 17 au Parlement, ordonna aux Eveques ôc aux Cu- des Cuicz.
rez , de faire leur réfidence dans leurs diocefes ôc dans leurs pa- '
roifTes , ôc de prêcher le peuple eux-mêmes 3 ou d'avoir des
vicaires qui s'en acquitaflent à leur place. En cas de défobéif-
fance l'édit les privoit de leur temporel. Louis XL avoit fait
une pareille ordonnance l'an 1476 , le 8 de Janvier 3 au Pleflls-
lez-Tours. Le Roi créa en même tems des receveurs dans
tous les diocefes du Royaume , afin de lever les impofitions
établies pour la folde de cinquante mille hommes d'infan-
terie 3 ôc les décimes qui fe prennent fur les biens de l'Egli-
fe , ôc qui entrent dans le tréfor royal , en un mot tous les au-
tres droits extraordinaires. Cet édit fut porté, le 6 de Juillet ,
à la Chambre des Comptes ôc à la Cour des Aides.
Le Roi fit publier ôc enregistrer en Parlement le 2 du mois Edit tou-
fuivantun édit, par lequel il créoitun Prefident dans tous les chantlesPié-
Prélidiaux , qu'il avoit établis depuis fix ans dans chaque Gou- l iaux'
vernement. Il donnoit pouvoir à ces Cours de juger en der-
nier reffort, ôc fans appel, touchant les héritages ôc biens im-
meubles, dont le revenu pouvoit aller à cinquante livres,ôc tou-
chant les effets mobiiiaires de la valeur de mille livres. Déjà,
fous prétexte d'équité , on avoit ouvert un chemin à la fean-
daleufe vénalité des charges : faut-il s'étonner fi les magiltrats
Tom. III. A a
3S£ HISTOIRE
fubalternes commencèrent alors à vouloir fe revêtir de grands
Henri IL titres ?
i S S 7- Ce fiécle d'or avoit vu fleurir en Italie P. Bembo, A. Na-
Mortdeplu- vagero, B. Egnazio , Henri Fracaftor, ôc quantité d'autres
««""célébrés ^eaux efpriîs- La République des Lettres perdit cette année
dans la litte- celui quireftoit encore, je veuxdire, J.BrRamufio, filsdu jurif-
rature. fu[te . jj £tQ-lt fort verfé dans les langues Grecque ôc Latine ,
ôc avoit acquis beaucoup d'expérience dans les affaires. La
République de Venife , qui connoiffoit fon mérite, l'avoit
employé pendant quarante-trois ans , dans les affaires de la
plus grande importance. Il s'étoit toujours diftingué dans les
emplois qu'il avoit eus , foit en qualité de Secrétaire, foit à
la fuite des Ambafladeurs que cette République avoit envoyez
en différais tems à des Princes étrangers. C'eft à fes foins que
nous devons la connoiffance de différais voyages fur mer ,
dont il a fait un receùil , qu'il a enrichi de préfaces fçavantes ,
ôc furtout d'un difcours Phyiique fur le débordement du NiL
Les anciens ont fouvent traité cette matière , fur laquelle les
modernes n'ont encore que fort peu de lumières. Il dédia cet
ouvrage à Fracaflor , avec qui une conformité de goût ôc
d'études l'avoit étroitement lié. Il avoit aufîi commencé un
traité qu'il a laifïé imparfait, fur le flux ôc le reflux de la mer ;
queftion que plufieurs Sçavans ont vainement tâché d'appro-
fondir. Enfin , fe voyant dans un âge avancé , il demanda fon
congé à la République, à qui il avoit rendu jufqu'alors de
grands fervices , Ôc l'ayant obtenu , il paffa le refte de fes jours
à Padouë, où il mourut âgé de foixante ôc douze ans. Son
corps fut tranfporté à Venife , ôc enterré dans l'églife de fainte
Marie des jardins.
Sur la fin de cette année, Nicolas Tartalea, de Brefle, finit
fes jours à Venife. Il s'eft rendu célèbre par le bel ouvrage
qu'il a compofé fur les nombres ôc les mefures , ôc qu'il a
diftribué en fix livres, ôc par plufieurs autres écrits fur Eucli-
de. Il a éclairci ôc corrigé ce que le moine Luc de Bruges
avoit écrit fur cette matière. Cet auteur , à l'imitation de Jé-
rôme Cardan , a traité avec efprit plufieurs queftions , ôc a
toujours employé la façon de calculer, qui eft en ufage parmi
les négocians.
Pierre Nannius , natif d'Alkmar en Hollande , décéda &
DE J. A. DE THOU Liv. XIX. 187
Louvain le 21 de Juillet, âgé de cinquante-fept ans. Il avoit "
enfeigné en cette ville fort long - tems , ôc avec beaucoup Henri IL
de réputation, les langues Grecque ôc Latine, dans le Collège l S S 7-
de Bufleiden *, Il nous a laiffé quantité de beaux ouvrages,
qui ont fort contribué à l'avancement des belles Lettres. I!
fut enterré dans la principale églife. Sigifmond-Frederic Fug-
ger prononça fon oraifon funèbre. Corneille Valere Oudewa-
ter , Hollandois , qui fut mis en fa place , s'acquit beaucoup
de gloire, ainfi que fon prédecefleur , par la politefTe de fon
efprit , ôc par fes vaftes connoiffances : il mourut l'an 15-88.
Vitus Amerbach , né à Wedingen en Bavière , après avoir
enfeigné la Philofophie dans l'Univerfité d'Ingolftad, mourut
îe 13 de Septembre âgé de 70 ans. Nous ne pafferons pas fous
filence Macrin de Loudun2, qui mourut chez lui accablé de
vieilleffe. Il fit refleurir parmi nous la poëiie , qui avant lui
avoit été fort négligée , ôc à laquelle il s'étoit fort appliqué
dans fa jeuneffe. Ce fçavant homme avoit commencé fes étu-
des fous le Fevre 3 d'Eftaples. Il fut tiré enfuite de l'Univerfité ,
pour être précepteur de Claude ôc d'Honorat de Savoye , fils
de René de Savoye comte de Tende. Ce pofte lui donna ac-
cès à la Cour, où il devint ami des Seigneurs du Bellai, qui
par leur mérite avoient acquis beaucoup de crédit auprès
de François premier. 11 fut en grande liaifon avec le cardinal
du Bellay , à qui il dédia quantité de vers liriques , que nous
lifons aujourd'hui avec admiration -, car c'eft en quoi Macrin
excelloit. On eftime furtout ceux qu'il fit fur les chaftes amours
de fa Gelonis , lors qu'ennuyé du célibat il réfolut de fe marier.
31 l'époufa en effet, ôcen eutplufieurs enfans. L'aîné qui s'ap-
pelloit Charilaùs fut aufïl bon Poëte que fon père ; mais il le
furpaffa dans la connoiffance de la langue Grecque. Par le cré-
dit de fa mère , il devint précepteur de Catherine fœur de
Henry, alors roi de Navarre. Il périt malheureufement à Paris s
avec plufieurs autres dans le tems des troubles.
Angelo Caninio d'Anghiari mourut à peu près en ce tems-
là. Ce grand homme pofTedoit parfaitement , non-feulement les
1 Jérôme Bufleiden fonda ce Col-
lège au commencement du feiziéme
fiécle, pour y enfeigner le Latin, le
Grec & l'Hébreu. On l'appelle pour
cela Callegium triton lingtiarum , & en
Flamand dry tonghen.
z On l'appelloit vulgairement Mikron»
l Ou Faber.
Aaij
x88 HISTOIRE DE J. A. DE THO U,&c.
langues Grecque , Latine a ôc Hébraïque , mais encore la Sy-
Henri IL riaque ôc toutes les langues Orientales. Il enfeigna long-tems
i < < 7. ces tangues à Padouë , à Venife, à Boulogne , ôc enEipagner
De là il entra chés André Dudith Hongrois, fi renommé de-
puis par fon grand fçavoir Ôcpar fes ambalTades. Au fortirde
chez Dudith , Caninio enfeigna à Paris ; Ôc enfin fur la fin de
fes jours, il trouva un azile dans la maifon de Guillaume Du-
prat évêque de Clermont,ôc mourut en Auvergne.
Maladie II fe répandit cette année une nouvelle efpéce de maladie;
contagieufe& qUi fit de grands ravages, furtout en Efpagne; on l'appeîloit
ingu ici fièvre Pon£ticulaire , à caufe des petites taches qui paroifibient
fur le corps de ceux qui en étoient attaqués , taches différen-
tes de celles qui paroiffent dans les fièvres pourpreufes. Cette
maladie, qui étoit du genre des putrides , a été inconnue aux an-
ciens 5 elle étoit maligne ôc épidemique, ôc relTembloit affés à
la pefte. Elle n'étoit pas néanmoins entièrement contagieufe ;
elle ne fe communiquoit point par la refpirarion , mais feule-
ment par l'attouchement. Il n'y avoit aucune partie du corps
où elle s'attachât particulièrement. Son principe étoit tantôt
dans la bile , tantôt dans la pituite 3 ôc tantôt dans l'humeur
mélancholique h ça été au moins le fentiment de Louis de Toro
Médecin de Plaifance : d'autres Médecins ont penfé différem-
ment. Cette maladie populaire, après avoir fait de grands ra-
vages en Efpagne , alla en diminuant jufqu'à l'année 1 570 ; mais
peu de tems après la guerre de Grenade , elle commença à
renaître , Ôc fit périr beaucoup de monde. Elle devint enfin
aufli commune dans l'Ifle de Chypre ôc en Afie , qu'elle l'é-
toit en Europe.
Jean B. Adriani rapporte que la fièvre , que les Florentins ap-
pellent Petecchie 3 ôc qui Tannée précédente avoit fait de grands
ravages fur les côtes de la mer de Tofcane , fe répandit dans
toute l'Italie. Il dit aufli que les perfonnes , qui étoient atteintes
de cette fièvre , avoient la peau couverte de taches livides , ôc
que cette maladie n étoit différente de la pefte , qu'en ce qu'elle
n'étoit pas fi contagieufe.
Fin du dix-neuvième Livre.
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U Soooo^^ooo^^ooo^^ooo^poooit^ooo^^oooo^lîooooë 21
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JACQUE AUGUSTE
DE T H O U.
LIVRE VINGTIEME.
MMhM>S^j^S;^AÀmv;Mi& U i l me ioit permis de deiaiier . par
P # •& # # # 4c <i quelques traits de l'hiftoire étrangère , Henri il.
* mmmm & i le le&eur, qu'une longue & trille nar- i 5 5 7-
* ^ /""*\ ^ # $* ration a peut-être fatigué, ôc d'éloigner
* 8 V^J 8 * ® ^e ^on e^Pr!t ^es ^flexions fâcheufes
m
m
as
fur la fituation de nos affaires , en ra-
,, ^ ^, « « ., ^ portant des evenemens plus agréables,
& ou au moins qui s étant paliez dans des „
^^a&<ss^|£»s^^»m payis éloignez , feront moins capables
de nous affliger. J'ai parlé fort au long dans le feptiéme livre
des differens royaumes des deux Mauritanies 3 ôc du commen-
cement de l'Empire des Cherifs dans ces contrées : ainfi il
me paroît à propos d'en continuer l'hiftoire , puifque ce fut
en cette année , que leur domination s'affermit fur la plus gran-
de partie de l'Afrique. Affaires de
Buhaçon étoit venu à Aufbourg trouver l'Empereur , comme Maroc.
A a iij
fto HISTOIRE
, nous l'avons dit, ôc étoit retourné en Efpagne avec îe roi
Henri II Phihppe* Peu de tems après Muiey-Bucar qui le joignit , ôc
quelques habitans de Fez qui lui écrivirent , l'avertirent de
faire approcher de Vêlez le plus de troupes qu'il lui feroit
poffible. Buhaçon voyant qu'il ne pouvoit efperer aucun fe-
cours des Efpagnols , eût recours aux Portugais. Le roi Jean ■
lui fournit de l'argent , ôc il partit de Portugal en 1553. Il
entra avec fa flotte dans le port Alhuzemas , ôc dès qu'il eût
pris terre , il en vint aux mains avec les Barbares des contrées
voifines > ôc principalement avec les habitans de la vallée de
Botoya , Ôc des Montagnes de la Gomera. Pendant qu'on
combattoit, Salh-Rais, ennemi de la puiflance des Cherifs,
qui commandoit dans Alger au nom de l'Empereur Soliman,
palTa par hazard dans cet endroit , avec dix-huit vaifïeaux bien
équipez , en revenant du détroit de Gibraltar, Ayant recon-
nu des vaifleaux Chrétiens dans ce port, il les attaqua fur le
foir, ôc après un combat qui dura pendant toute la nuit.» ilfe
rendit maître de la flotte entière. Buhaçon s'échapa, ôc fe
plaignit , que Salh-Rais fe fût déclaré contre lui , dans le tems
qu'il étoit lui-même en guerre avec le Cherif 5 mais celui-ci
lui reprocha avec aigreur , qu'il avoit employé le fecours des
Chrétiens pour attaquer le Cherif, quoiqu'il fût leur ennemi
commun, au lieu d'avoir recours aux Turcs , dont il pouvoit
employer les forces pour cette expédition , avec plus debien-
féance ôc de fureté, fans bleffer ni fa confcience, ni Ion honneur.
Enfin Buhaçon traita avec Salh-Rais , ôc fe rendit à Alger, où
non feulement il paya la rançon de tous les efclaves Chrétiens,
mais encore il convint avec Salh-Rais que ce dernier fe char-
geroit lui-même de la guerre de Fez , avec les troupes auxi-
liaires des Turcs , à condition que Buhaçon les payeroit pen-
dant quarante jours , à raifon de mille écus d'or par jour ,
dont il donna caution ; ôc que fi l'on fe rendoit maître de
cette ville , tous lesthréfors qu'on y trouveroit /feroientpour
les Turcs. Salh-Rais, après ce traité, ie rendit à Tremecen avec
quatre mille hommes, ôc douze canons. Muley Amar, fei-
gneur de Dubudu ,qui étoit à Melilla > fe joignit à lui , pour
reprendre avec le fecours des Turcs , ce que le Cherif lui
avoit enlevé.
1 Jean III,
DE J. A, DE THOU, Liv. XX. jj>i
Le Cherif Mahamet éroit alors occupé à la guerre contre
••ni MHRMWM
les barbares de Derenderen. Dès qu'il eût appris l'arrivée de Henri IL
Salh-Rais, qui marchoit contre Fez, il s'y rendit à grandes 1557.
journées : enfuite il envoya devant à Tezar , fur la frontière
des royaumes de Fez Ôc de Tremecen , les troupes qu'il avoit
affemblées de toutes parts , ôc campa proche les murs de la
ville , 011 il fçavoit que les ennemis dévoient paffer. Il y refta
pendant plus de cinquante jours : mais Muley-Nacer } ôc Ma-
hamet } fils de Buhaçon , qui s'étoient retranchez dans les
montagnes voilines de Matagara , d'où ils faifoient des cour-
fes de tous cotez , Ôc enlevoient les marchands , ôc ceux qui
alloient au fourage , le contraignirent d'abandonner ce pofte ,
par ledéfaut de vivres, & de fe retirer plus avant dans le payis ,
après qu'il eut mis deux cens hommes de garnifon dans Te-
zar , avec Meluco pour les commander.
Peu s'en fallut que Salh-Rais ne prévînt le départ de Ma-
hamet. Dès qu'il parut , les habitans de Tezar fe rendirent,
à condition que Meluco & la garnifon auroient la vie fauve;
il laiflfa dans la ville une garnifon de deux cens Turcs, ôc com-
me il avoit beaucoup d'infanterie , il prit la route de Fez par
des chemins montagneux ôc difficiles , afin d'éviter la nom-
breufe cavalerie du Cherif , qui occupoit la plaine. Il battit
dans des défilez Muley Abdaîa, qui conduifoit l'arriere-garde,
ôc lui prit tous fes bagages ôc fes équipages; enforte que le Che-
rif fon père fut contraint de marcher toute la nuit ôc le jour
fuivant, pour fe retirer à Fez, ôc de s'enfermer dans la ville.
Salh-Rais campa enfuite fur le rivage du fleuve Cebu : le
Cherif, qui fe défioit de la fidélité des habitans de Fez, fut
obligé d'envoyer au Turc , pour lui préfenter la bataille , par
la feule néceffité où le réduifoit le mauvais état de fes affai-
res. Les habitans de Fez ont un droit particulier : ils peuvent
capituler avec un ennemi qui s'avance jufqu'à une lieuë de
leur ville , avec une armée affez confidérable pour s'en empa-
rer, fans qu'on puifTe les accufer d'être infidèles à leur Prince,
lorfqu'il n'eft pas en état de lui livrer bataille. Les rois de Fez eux-
mêmes leur ont accordé ce privilège , ne croyant pas que cette
ville riche ôc opulente dût être expofée au pillage ôc à tous les
dangers de la guerre , en foûtenant inutilement un fiége , par une
vaine orientation d'attachement ôc de fidélité. Ainfi le Cherif
i9i HISTOIRE
BsimaaMa réglant fes defiêins fur les' circonftances prefentes ; réfolut
Henri IL d'attaquer Salh-Rais , dont les troupes étoient fatiguées , ôc dif-
i S S 7' perfées en difFerens endroits. Il fortit donc de la ville avec
huit mille chevaux 'de Sus , ôc craignant que Haly , capitaine
de fes gardes Turcs , ne tramât fecretement quelque confpira-
tion contre lui, il lui fit trancher la tête. Ayant rangé en ba-
taille toute fon armée compofée de quatre- vingt mille che-
vaux; il campa fur le chemin de Dubudu 3 à deflein , ou d'ar-
rêter Salh-Rais dans fa marche , ou de le mettre en fuite , lorf-
qu'il feroit occupé à palier le gué. Il feflattoit de réûffiravec
d'autant plus de facilité , qu'il fe fouvenoit d'avoir huit ans
auparavant défait fans peine ôc par le même moyen le roi
de Fez à Buacuba. Il (it prendre les devans aux huit miile che-
vaux de Sus , qui s'avancèrent jufques fur les bords de la rivière,
dont il n'y avoit que la largeur qui féparât les deux armées.
Salh-Rais s'en apperçut , ôc comme il avoit pris la réfolution de
faire tous fes efforts pour paffer le gué , il braqua fes douze pie-
ces d'artillerie contre les troupes du Cherif, ôc fit en même-
tems entrer dans le gué fes cavaliers , chacun avec un arque-
bufier en trouffe.
Dès que le fignal fut donné , les Turcs fe jetterent dans l'eau
avec tant d'ardeur , qu'à la faveur du canon qui tiroit fur les
troupes du Cherif , ôc qui les avoit obligées de fe mettre à
couvert derrière une éminence , ils gagnèrent prefque tous,
fans faire aucune perte , le rivage oppofé ; ils s'y retranchè-
rent auiïi-tôt , ôc furent toute la nuit fous les armes. Le lende-
main le Cherif fit fortir fes troupes ôc les rangea en bataille : il
les avoit divifées en trois corps , avec l'un defquels Muley Ab-
daîa eut ordre de fe porter à Dardubag , petit village qui eft
proche du grand chemin : le Cherif lui-même fe plaça dans la
plaine de l'autre côté du chemin , avec le fécond corps de
troupes : le troifiéme étoit au milieu du même chemin : il y
avoit fait faire un foffé de communication de l'un à l'autre , 6c
avoit drelfé en cet endroit une batterie de douze pièces de canon.
Salh-Rais partagea fes troupes en deux efcadrons qui mon-
toientenviron à douze mille hommes , la plupart archers. L'un
de ces corps, qui formoit Pavant-garde , fut mis fous la conduite
de Buhaçon ôc du Seigneur de Dubudu., avec ordre de marcher
vers Zefero, ahn que pendant que le Cherif s'obftineroit à
défendre
DE J. A. DE THOU, Liv. XX. ipj
défendre cette place, Salh-Rais lui-même pût s'emparer de Dar- ; gjgjjg;*^
dubag, qui n'avoit point de garnifon, d'où enfuite il pourroit pé- f£ENRI jj
nétrer jufqu'au centre du Royaume par des chemins difficiles , . ^ f _
fans craindre les infultes de la nombreufe cavalerie du Cherif.
Un heureux fuccès fuivit un projet fi-bien concerté. Car la
cavalerie de Sus s'étant mife en marche pour défendre Zefero,
Salh-Rais avec fes arquebufiers fe rendit maître de Dardubag :
il reçut cependant quelque échec à fon retour j car la même ca-
valerie lui prit trois pièces de campagne.
Le fignai du combat fut bien-tôt donné : les armées étoient
prêtes à fe mêler , lorfque le Cherif s'apperçut que fes Gardes
Turcs tiroient à coups perdus. Cela lui fit craindre une trahifon ;
c'eft pourquoi, il leur fit faire alte, & fit marcher devant eux
les Renégats 5 on appelle de ce nom ceux qui quittent la Re-
ligion Chrétienne pour embrafTer la Religion Mahometane :
mais cette précaution fut trop tardive ; car les gardes Turcs ,
gagnés par Caraguardi de Malaga leur capitaine 3 arrachèrent
l'étendart du Cherif, ôc l'ayant abattu , comme pour fervir de
fignai à leurs camarades , ils fe jetterentfur les Renégats, & après
en avoir tué un grand nombre , ils mirent le refte en fuite.
Dans le même-tems Salh-Rais Attirer le canon fur les ennemis ,
ôc les Turcs tombèrent de tous cotez des éminences voifines
fur les troupes du Cherif, qui déjà étoient écartées. Le Che-
rif lui-même fut obligé de fuir , avant d'être entièrement enve*
îoppé , ôc fe retira , avec ceux de Maroc ôc de Sus , dans Fez
la neuve : ceux de Fez avoient pris la fuite avant lui , ou s'é-
toient retirés dans Fez la vieille. Les Turcs les fuivirent ;
mais la pourfuite fut moins vive , parce qu'ils gardèrent
toujours leurs rangs : ainfi ils trouvèrent les portes fermées
avant leur arrivée. La plupart des amis de Buhaçon aban-
donnèrent le Cherif, & fe joignirent aux Turcs.
Dès que le Cherif fut entré dans Fez la neuve , il ordonna à
Abdala fon fils defe pofter dans la vieille ville avec fa cavalerie.
Cet ordre fut exécuté avec diligence ; Abdala trompant l'attente
de tout le monde , fit faire feu fur les Turcs , & par fa fiere con-
tenance fit croire qu'il vouloit foûtenir un fiége. Salh-Rais en
fut indigné contre Buhaçon , comme fi ce dernier n'eût eu que
des efpérances mal fondées de prendre la ville : mais Buhaçon,
pour faire voir qu'il ne s'étoit point flatté vainement , demanda
Tome III, Bb
iM HISTOIRE
■ i .. à Salh-Rais cinq cens JanifTaires. Dès qu'il les eut obtenus ;
Henri II ^ ^t d°nner l'affaut , ôc après avoir rompu les portes de la ville ,
. ' ^ il fe jetta dedans avec fes troupes. Abdala , qui fe défioit de
la fidélité des habitans , fe fauva par une faufle porte , ôc
fe retira auprès de fon père dans Fez la neuve. Le Cherif ne
fut point étonné de ce péril : il conferva toute fa prefence d'ef-
» ^eft.à. prit. Ayant mis aux portes Ali-ben-Bubcar * pour les garder ;
«Jire Bnbcar il entra dans le ferrail > ôc ordonna à toutes fes femmes de fe
d AlL fauver fur des chevaux , avec ce qu'elles avoient de plus pré-
tieux. Le Cherif monta lui-même fur le plus vigoureux de fes
chevaux , ôc ayant pris un bouclier ôc mis l'épée à la main ,
il fortit de la ville par une fauffe porte , abandonnant tous
fes thréfors , que ceux de Fez pillèrent le même jour. Dès que
Bubcar , que le Cherif avoit laiffé pour la garde de la ville, eut
jugé que fon maître étoit en fureté , il commença à parlemen-
ter avec Salh-Rais , ôc lui ouvrit les portes de la ville, après avoir
pourvu par une capitulation à fa fureté , ôc à celle des habitans.
Salh-Rais étant maître desdeux Fez, fit proclamer Roi Merini
fils d'Oataz, après avoir fait emprifonner Buhaçon , à la per-
fuafion de Laadel , de Cacen Zarahoni , ôc de Muley - Maha-
metBarrax, les trois principaux gouverneurs du Royaume, ôc
les ennemis mortels de Buhaçon , qu'ils accufoient d'être fecre-
tement d'intelligence avec les Chrétiens. Le bruit courut qu'on
avoit maffacré ce dernier : aufli-tôt les habitans du vieux
Fez fe foûleverent ? la fédition alla fi loin, qu'on fut obligé de
leur faire voir Buhaçon , pour les affùrer qu'il étoHt encore vi-
vant h mais le feul afpe£t de ce Prince , qu'on leur prefentoit
comme un fantôme , ne put les appaifer ; ils voulurent en-
core le voir libre : Buhaçon fut donc mis en liberté , ôc Salh-
Rais fut obligé de dépofer Merini fils d'Oataz , ôc de mettre
Buhaçon fur le Thrône : il conçut tant de dépit de s'être
trouvé réduit à cette néceffité , qu'il envoya Ali-ben-Bubcar
au Cherif qui étoit à Maroc, fous prétexte défaire un échan-
ge des femmes de Buhaçon qui étoient refiées à Sus , ôc de
celles du Cherif , qui étoient tombées entre les mains des
Turcs , dans la prife de Fez , mais en effet pour l'exciter à en-
treprendre le recouvrement de cette ville , ôc l'affûrer qu'il ne
devoit rien craindre de la part de Salh-Rais, qui lui promet-
toit de ne donner dans la fuite aucuns fecours à Buhaçon. Ainf]
DE J. A. DE THOU.Lrv. XX faf
Salh-Rais après avoir exige une once d'argent de chaque mai- ■ m
fon de Fez , pour punir les habitans d'avoir pris les armes con- JJENR1 JJ.
tre les Turcs , en partit le premier d'Avril avec de riches dé- x - - 7
poùilles, 6c un butin immenfe. Il entra enfuite comme en triom-
phe dans Alger , après avoir employé quarante jours à cette
expédition.
Peu de tems après , le gouverneur de Penon de Vêlez re-
mit cette Place à Mahamet fils de Buhaçon. Salh-Rais la re-
demanda auffi-tôt à ce dernier. Mais il refufa de la rendre,
fous différens prétextes , 6c entr'autres , parce que fon fils s'y
oppofoit. Le Turc en fut irrité , ôc donna ordre au corfaire
Yahaya , qui croifoit fur ces mers avec quinze galères , de
s'emparer de cette Place par quelque moyen que ce fut. Le
Coriaire enleva Mahamet, qui étoit forti de la ville pour fe
promener , 6c le traita avec tant de dureté , que ce dernier
jugea qu'il n'avoit point d'autre parti à prendre, pour fe tirer
des mains de ce barbare , 6c avoir fa liberté, que de lui remet-
tre la Place. Ainfi les Turcs fe rendirent maîtres de cette ville,
6c elle a été fous leur domination , jufqu'à ce que , quelques
années après , les Chrétiens la conquirent fur eux , fous lesauf-
pices de Philippe II. , comme nous le dirons dans la fuite. D'un
autre côté le Cherif ordonna à fon fils qui étoit dans Mequi-
nez , d'abandonner cette place , ôc de le venir trouver à Ma-
roc. Dès qu'il en fut parti, Buhaçon s'en empara. Hamet
frère du Cherif crut auffi avoir trouvé une occafion favora-
ble , de fe venger des outrages qu'on lui avoit faits autrefois ,
6c ayant alTemblé le plus grand nombre de troupes qu'il put,
il marcha contre Tafilete : les habitans lui ayant volontiers
ouvert leurs portes, il s'en rendit maître fans combat.
Le Cherif ayant reçu les avis fecrets, qu'Ali- ben-Bubcar
îui avoit donnez par ordre de Salh-Rais , ôc étant par là infor-
mé de l'état des affaires de Fez , donna une partie de fes trou-
pes à Abdala pour marcher contre Buhaçon, ôc partit lui-mê-
me avec le reite, pour aller à Tafilete. Abdala ayant avec lui les
Arabes d'Arrahamena , nation puiffante ôc belliqueufe , mar-
cha droit à Fez. Muley-Nacer ôc Mahamet allèrent à fa ren-
contre : le premier étoit fils naturel de Buhaçon , ôc le fécond,
fon fils légitime. Leur père leur avoit donné la conduite d'une
armée; mais la jaloufie les divifa bien-tôt ; Mahamet fuivk
Bb ij
i96 HISTOIRE
, les mauvais confeils de fesflateurs, ôc ce jeune Prince trop
tj tt avide de gloire voulut avoir feul tout l'honneur de la victoi-
re , qu'une confiance téméraire lui faifoit regarder comme cer-
**'* taine. Il fépara donc fes troupes de celles de ion frère,
ôc ayant voulu charger avec trop de précipitation les Portu-
gais qui étoient en embufcade > il fut battu ôc obligé de pren-
dre la fuite. Muley-Nacer craignit que cette déroute ne fût
une trahifon, ce qui l'engagea de faire partir fes bagages ôc
• de fe retirer à Fez. La perte que fit Buhaçon parut plus con-
fidérable , qu'elle ne l'étoit en effet : mais il la répara bien-tôt
par fon activité ; car en témoignant toujours la même intré-
pidité, il fe mit auffi-tôt en campagne, livra bataille à Ab-
dala , le vainquit , le pourfuivit jufqu'à Maroc , ôc tailla en
pièces prefque toutes les troupes auxiliaires de Sus , que le
Cherif avoit répandues dans la province de Tremecen. Tous
ces évenemens arrivèrent en 15* 5* 5*.
Cependant le Cherif afîiégeoit Hamet fon frère , qui s'étoit
enfermé dans Tafilete. Il y apprit la défaite d'Abdala fon fils?
mais cette fàcheufe nouvelle ne le troubla point : il prit au
contraire avec adreffe ôc prudence de juftes mefures pour dif-
fïmuler cette difgrace , en faifant courir un bruit contraire :
que Buhaçon avoit été défait, qu'étant fans efpoir il s'étoit ré-
fugié à P'enon de Vêlez, ôc qu'Abdala victorieux s'étoit déjà
rendu maître de Fez. Hamet en fut allarmé , ôc fon defef-
poir alla fi loin , que ne doutant point de la défaite de Buha-
çon , fur lequel il comptoit beaucoup , il confeilla lui-même à
fes enfans d'aller trouver leur oncle , ôc de fe jetter humble-
ment aux pieds du vainqueur pour implorer fa clémence , fans
lui demander autre chofe que la vie. Ain-fi Hamet , ayant
rendu la place , fe mit avec fes enfans entre les mains du
Cherif fon frère : il fut aulïi-tôt relégué dans un lieu defert ;
que la Religion faifoit regarder comme un azile. Mahamet
mit garnifon dans Tafilete, ôc emmenant avec lui Nacer , ÔC
Zidan fils de Hamet fon frère , il alla camper à Garciluy :
étant entré de ce côté-là dans le royaume de Fez , il fit égor-
ger fes neveux , de crainte de quelques nouveaux mouve-
mens , s'il les lauToit vivre plus long-tems. S'étant enfuite
avancé dans le payis , il en vint aux mains avec Buhaçon : le
combat, qui fut très- fanglant , mit fin à une longue guerre?
DE J. A. DE THOU , L i v. XX. 15*7
Mahamet fils de Buhaçon , qui combattoit à la tête de l'ar-
mée , fit de fi grands efforts de valeur , qu'ayant chargé les Henri IL
ennemis avec quatre mille Arabes , il tailla en pièces pref- 15 5 7-
que toutes les troupes de Maroc , & mit en fuite tout ce qui
s'oppofa à lui : mais ceux de Fez ne fécondant pas {qs efforts
avec le même courage, ôcle Cherif ayant rallié fes troupes,
Mahamet fut contraint de reculer peu à peu , fon armée ploya,
ôc cet heureux fuccès augmenta le courage des ennemis. Bu-
haçon, qui combattoit en défefperé avec Nacer fon fils, fut
tué d'un coup de lance qu'il reçut dans la cuiffe : ceux qui
étoient à côté de lui prirent aufli-tôt la fuite. Nacer , fuivi
d'un petit nombre de fes gens , fe retira dans les montagnes
voifines : fon frère Mahamet prit la route de Fez avec cin-
quante cavaliers 5 mais voyant que cette défaite avoit refroidi
l'affection des habitans , il fortit de la ville , ôc s'étant joint
à fon frère , ils allèrent enfemble à Mequinez ôc à Sa-
lé , où s'étant embarquez fur le vaiffeau d'un Marchand
Chrétien , ils furent pris par des Corfaires Bretons , fur la côte
d'Efpagne. Ali-ben-Bubcar , qui s'étoit trouvé à la bataille
avec Buhaçon , fe rendit à Tremecen > ôc paffa à Alger , où
il mourut peu de tems après de- la pefte
Ainfi le Chetif reprit Fez fans combattre. Il y laiffa Ab-
dala , pour aller châtier ceux de Derenderen , qui s'étoient ré-
voltez tant de fois : mais cette expédition n'eut pas le fuccès
qu'il attendoit, parce que ces peuples étoient trop puiffans pour
pouvoir être domptez en peu de tems. Il fit venir près de lui ,
fous bonne garde , Hamet fon frère , avec les enfans ôc les
petits-fils qui lui reftoient , ôc comme fi tout eût été tranquille,
il retourna à fes anciens plaifirs , ôc réfolut de prendre une
nouvelle époufe , félon fa coutume 5 car les carefTes de fes
femmes ne pouvoient ordinairement lui plaire que pendant
un an. Ayant formé ce defTein , il fe mit en marche pour fe
rendre à Sus , accompagné de deux de fes filles , avec deux
mille hommes de fes gardes Turcs , ôc une nombreufe ca-
valerie ? mais ce voyage lui fut fatal. En effet Hafcen , fils
d'Airadin Barberouffe , qui avoit été roi d'Alger, ayant fuc-
cedé dans le gouvernement de cette ville à Salh-Rais , qui
étoit mort quelque tems auparavant , prit ombrage de la puif-
fance du Cherif, ôc pour s'en défaire , il engagea un fcelerat,
Bb iij
5P8 HISTOIRE
accoutumé aux brigandages 6c aux meurtres, qui portoit le
Henri IL même nom que lui, d'aiïafïiner Mabamet , de quelque raa-
1 S S 7- niere que ce fût. Ce Hafcen, pour faire réùfïir fon projet, fei-
* ou De &nlt C1U '^ avo^ ^té maltraité par le Roi * d'Alger , ôc comme
s'il eût été obligé de prendre la fuite , il pafla par Tremecen,
d'où il fe rendit au plutôt à Fez } avec vingt confpirateurs.
Abdala qui haïffoit les Turcs , ayant fçû le fujet de fa fuite ,
comme le perfide le lui raconta, lui confeilla de pafTer outre,
ôc d'aller trouver le Cherif fon père , qui fans doute le com-
bleroit d'honneurs. Hafcen arriva à Maroc , dans le tems que
le Cherif étoit prêt de partir pour Sus. Ce Prince le reçut
honorablement , ôc le fit même Capitaine de fes gardes ; ce
fcelerat ayant un moyen fi facile d'exécuter le crime qu'il avoit
projette , gagna fecrettement les Turcs qui haïffoient déjà le
Cherif, parce qu'ils n'étoientpas payez depuis un an, ôc que
Bugumeda fon tréforier les avoit maltraitez. Il les flatta de
l'efpérance de piller les thréfors du Cherif. Ce motif leur fit
prendte la réfolution d'enlever le Prince , ou même de le
tuer , s'ils ne pouvoient faire autrement. Hafcen leur fit voir
encore , pour difïîper entièrement leurs craintes , qu'après ce
coup ils pourroient facilement fe retirer par la Numidie * à
* ou le Bile- Tremecen , où ils trouverpient une retraite affûrée : le com-
duigend. mencement de l'entreprife fut heureux ; mais le fuccès aveu-
gla les conjurez : ils devinrent infolens , par conféquent té-
méraires , ôc incapables de prévoir le danger. Ainfi ils trou-
vèrent la jufte punition de leur crime.
Le Cherif étant donc arrivé dans un endroit du Mont An
las, appelle Alguel , fitué au milieu des défilez de Bibona,!»par
où il faut pafTer néceffairement , pour aller de Maroc à Taru-
dante , piufieurs Turcs choifis } conduits par Hafcen , fous
prétexte de le faluer, le rencontrèrent devant fa tente, ac-
compagné feulement de Bugumeda , dont nous avons déjà
parlé , ôc d'un renégat Portugais. En même tems Hafcen
met l'épée à la main : le Cherif épouvanté veut s'enfuir ;
mais il tombe en courant avec trop de précipitation : l'afTafîin
l'ayant atteint lui coupe les jarêts ; le refte des conjurez fur-
vient aufïi-tôt, ôc le perce de mille coups. Bugumeda avoit
eu le tems de fe fauver ; mais le renégat Portugais défendit
courageufement fon Maître , ôc fut tué avec lui dans le même
endroit.
DE J. A. DE T H O U , Liv.XX. 199
Telle fut la fin du Cherif Mahamet. Il eft difficile de dé-
cider fi fon génie fuperieur, ôc fa préfence d'efprit au mi- Henri IL
lieu des plus grands périls , l'ont emporté fur fa perfidie, 6c 1 c c j,
fon inhumanité. Il fut cependant fort regreté de tous fes fu-
jets , à caufe de fon habileté dans le gouvernement, 6c de l'ex-
périence qu'il s'étoit acquife durant une longue vie,ôc un règne
de 37 ans. Cet événement fe palfa au mois de Septembre de
cette année. Ses thréfors furent auiTi-tôt pillez, ôc fes deux fil-
les tombèrent entre les mains d'Hafcen. Celui-ci fit tous fes
efforts pour excufer ce meurtre, comme commis avec juf-
tice en la perfonne d'un tyran, 6c promit l'impunité à ceux qui
voudroient le fuivre. Enfuite il continua fa route, parlaprc-
vince de Sus, avec les Turcs dont il pouvoit difpofer, avec les
Maures 6c avec quelques renégats , ôc il marcha vers Tarifan-
te , où étoit Muley-Odman fils du Cherif, que d'autres appel-
lent Abel Mumen. La place ayant été abandonnée par Qà-
man , Hafcen s'en empara aufli-tôt , auffi bien que de la ci-
tadelle , ôc des thréfors qu'on y gardoit.
Il y avoit dans la ville un Juif , appelle Gazi Muca, qui avoit
renoncé à fa religion pour embrafîer celle de Mahomet : il
étoit en prifon , foupçonné de quelque crime , au refte d'un
efprit rufé , ôc homme d'expédition. Hafcen le mit aufïi-tôt en
liberté , ôc le fit premier Cadi de cette ville. Il avoit confeillé
à Hafcen de faire promptement fortifier Tarudante, pour y
demeurer en fureté , jufqu'à ce qu'il lui fut venu du fecours
d'Aller , ôc de Tremecen. Hafcen refta dans l'irréfolution ,
ôc perdit inutilement vingt jours, foit àfe déterminer, foità
rafraîchir fes troupes : enfin croyant que le Juif lui donnoit
un mauvais confeil, il s'enfonça dans de vaftes deferts pour
tromper l'ennemi. Mais le Juif, qui après le départ du Turc
fe voyoit fans appui, crut qu'il étoit de fon avantage de ga-
gner les bonnes grâces ôc de mériter la protection de ceux
fous la domination defquels il alloit être. Il fit donc avertir
Abel Mumen, fils du Cherif, du départ d'Hafcen , ôc l'exhorta à
venger la mort de fon père, par la facilité qu'il trouveroit dans
l'exécution de cette entreprife. Abel Mumen fuivit cet avis, ôc
ayant laifTé à Maroc Ali-ben-Bubcar , il marcha contre les
Turcs, avec huit millechevaux.il fit informer de cette expé-
dition Abdalafon ftere qui étoit alors àFez,ôc qui affembloit
200 HISTOIRE
— " — J ■ fon armée. Cependant le Juif, en attendant que ïes deux frètes
Henri II. euffent joint leurs forces, fe mitàlapourfuite des fuiards avec
1 S S 7* des coupes levées à la 'hâte >• les ayant enveloppez il les tailla
prefque tous en pièces , recouvra les thréfors de Mahamet , ôc
délivra fes deux filles: il reçut aufli le ferment de fidélité des
habitans deTarudante, oùHafcen avoit porté le nom de Roi
pendant quelques jours.
La nouvelle de la mort du Cherif fe répandit bien-tôt de
tous cotez. Ali-ben-Bubcar , l'un des gouverneurs du Royaume
qui avoit le plus d'autorité, craignant que Hamet, quoiqu'âgé
de quatre-vingt-dix ans, avec fes enfans «5c fes petits-fils , n'ex-
citâifent des troubles pour difputer la fuccefïion à la couron-
ne, les fit maffacrer tous , fans attendre un ordre d'Abdala : il
n'épargna pas même les enfans de Zidan ôc de Mariem , fceur
d'Abdala. Cette cruauté fut peut-être falutaire au Royaume ,
mais elle fut fatale à Bubcat ; car Mariem , après la mort de
fon mari Ôc de fes enfans , cacha le reffentiment qu'elle en avoit
Ôc fe retira auprès de fon frère Abdaia. Dès qu'elle fe vit dans
fes bonnes grâces , elle chercha aufïi-tôt l'occafion de fe ven-
ger de la cruauté de Bubcar , ôc elle fe fervit enfin de cet artifice.
La converfation roulant un jour fur la fuccefïion du Royaume,
Mariem dit à fon frère, qu'il étoit à craindre, qu'au cas qu'il
mourut dans les circonftances prefentes , le fils unique qu'il
avoit, ôc qui étoit encore en bas-âge, ne lui fuccedât pas: elle
ajouta que les grands du Royaume , ôc Bubcar lui-même n'au-
roientpas les mêmes intentions qu' Abdaia , ôc qu'ils croirpient
qu'il feroit plus avantageux pour l'Etat de mettre fur le Tnrône
fon frère, qui étoit eviàgQ de gouverner, que d'obéir à un en-
fant. Pour prouver ce qu'elle avançoit , elle perfuada à Abdaia
de feindre une maladie , ôc de faire venir enfuite Bubcar , com-
me fi ce Prince fut mort : elle ajouta qu'alors elle confereroit
de la fucceffion avec Bubcar , ôc que par ce moyen le Roi ap-
prendroit de la bouche même de ce Seigneur tout ce qu'il pro-
jettoit.
La rufe réûiïit ; car dans le même-tems Abdaia tomba véri-
tablement malade, ôc ne fe fit voir à perfonne pendant quel-
ques jours : Bubcar vint trouver Mariem, ôc la pria de lui dire des
nouvelles delà fanté du Roi , parce que les affaires du Royau-
me étoient en un tel état , qu'il ne pouvoit refter plus long-tems
dans
DEJ. A. DE THOU, Liv. XX. 201
dans l'incertitude fur une chofe de cette importance. Mariern «
fit alors entrer Bubcar dans une chambre ,011 Abdala étoitcou- j-|ENRI jj
ché fur un lit , ôc couvert d'un drap , comme s'il eût été mort. x . _
Elle dit à Bubcar d'une voix plaintive , que le Roi fon frère ve-
noit d'expirer , en lui montrant le corps avec fon doigt : elle le
pria de faire enforte par fa prudence , que la Couronne ne fût
pas donnée à d'autres qu'aux héritiers légitimes , ôc qu'on con-
servât les droits de Mahamet fils d' Abdala. Ces Royaumes , ré-
pondit Bubcar, ne font pas afles tranquilles, pour qu'on puuTe
en confier l'adminiitration à un enfant ; Ci d'un côté j'ai juré une
éternelle fidélité à Abdala, l'amour de la patrie m'oblige de
l'autre , à fonger avant toutes chofes à fon repos , ôc à fa fu-
reté. Le Roi a un frère d'un âge mûr ; il efl capable de gou-
verner ; il faut donc le couronner : c'eft l'intérêt même du fils
du Roi dans les circonftances prefentes 5 la tranquillité publique
ôc notre repos particulier l'exigent. Bubcar, après avoir ainfi par-
lé , voulut fortir brufquement du Palais : mais le Roi s'étant
aufli-tôt levé , ôc ayant jette le drap qui le couvroit , prit un
bâton pour fe foûtenir(car fa maladie l'avoit fort affbibli ) ôc
rappella Bubcar qui fe retiroit. » Eft-ce là , perfide , lui dit-il , la
» reconnoiflance que vous avez de tous mes bienfaits Ôc de tous
» les honneurs , dont je vous ai comblé ? Vous voulez ôter ma
3> couronne à mon fils , pour la donner à mon frère ! Mais je vis
» encore, ôc je vivrai ailés pour récompenfer, ou punir ceux
35 qui le méritent. « Ces paroles couvrirent de honte, ôc rempli-
rent de crainte Bubcar, qui s'enfuit aufli-tôt chez lui: il prit alors
un habit de femme pour fe déguifer, Ôc il fortit de la ville. S'étant
couvert le vifage , de crainte d'être reconnu , il fe mit au pie
d'un olivier pour y attendre fes gens } à qui il avoit donné
ordre de lui amener en cet endroit le plus vite de fes chevaux.
Mais quelques cavaliers fatiguez de la chafle l'ayant apperçu ,
le prirent pour une fille publique , ôc piquèrent de fon côté.
Ils lui ôterent fon voile, ôc l'ayant reconnu , ils craignirent
qu'il n'eût quelque mauvais deflein 5 ils le conduisirent donc
dans le même état à Abdala , qui le fit aufli-tôt étrangler. Ainfi
Ja dernière action de Bubcar fit oublier tous fes fervices paffez ,
ôc la vengence d' Abdala fut aufli celle de Mariem fa fœur ,
fans que ce Prince eût deflein de la venger.
Peu de tems après Abdala, pour ne plus trouver perfonne qui
Tome III. C c
502 HISTOIRE
cenfurât fes débauches , ôc qui le troublât dans fa molle oifiveté*
Ienri j ^ tuer Abdel-Cader-ben-Mahamet , feigneur de Mequinez ,
c _ fon coufin > parce qu'il étoit aimé, ôc qu'on refpectoit fa ver-
tu : il lui avoit fait époufer Lela Sophia fa nièce. Depuis ce
tems-là il jouit paifiblement de ce varie ôc puiffant empire ,
que fon père ôc fon ayeul lui avoient acquis. Il comprend les
deux Mauritanies , la Tingitane, la Cezarienne , ôc une grande
partie de la Numidie , comme la Getulie '■> ce qui forme qua-
torze Provinces. 11 eft borné au midi par les fleuves de La-
rache ôc de Sus , à l'Orient par celui de Saffaya , au Nord Ôc
à l'Occident par le détroit de Gibraltar , Ôc la mer Atlantique.
Les troupes de cet Etat montent à foixante mille chevaux ,
qu'on paye tous les quatre mois en tems de paix , comme en
tems de guerre : les provinces de Dara ôc de Sus en fournif-
fent quinze mille, le Royaume de Maroc vingt-cinq mille ,
ôc celui de Fez vingt mille , entre lefquels on choifit ordinai-
rement cinq mille hommes pour la garde du Prince. Toute
l'infanterie ne confifte qu'en un corps de deux mille Renegats3
ôc de mille arquebufiers de Sus , qui font en garnifon dans la
nouvelle Fez: on y met aufîi cinq cens cavaliers Renégats ;
ôc quand il en eft befoin , on y joint des Arabes , ôc d'autres
Lybiens , qui reçoivent tous les jours leur paye. Voilà à peu
près les forces de ce puiffant empire ; que les Cherifs ont fondé
de notre iiécle en Afrique.
Il faut maintenant quitter ces payis éloignés , ôc revenir au
récit de nos malheurs : les commencemens de cette narration
feront agréables , mais elle aboutira enfin à de trilles évene-
mens , ôc à une paix defavantageufe , fuivie de troubles fu«
.-. , nèfles à ce Royaume. Les troupes étant enfin aflemblées ,
Affaires de , . J . r SJ .r ^ ,,,.,
Fance. on en donna le commandement au duc^de Guile. Unaeiibera
enfuite de quel côté on les feroit marcher , ou pour re-
prendre les places que nous avions perdues , ou pour faire
quelque nouvelle conquête. Car il étoit nécelTaire , pour la dé-
fenfe du Royaume ôc la gloire de la nation, de ne pas laif-
fer dans l'inattion une Ci grande armée , quoique la faifon fût
avancée } ôc très-rude. On ne jugea pas à propos de s'atta-
cher aux places que nous avions perdues , parce que l'ennemi
les avoit fortifiées , ôc y avoit mis de nombreufes garnifons , ôc
tout ce qui eft néceffaire pour foûtenir un fiége. On craignoit
DE J. A. DE THOU, Lïv. XX. 203
aufïï que le foldat ne fût épouvanté à la vue des marques ré-
centes de notre défaite , ôc qu'il eût moins de courage dans fjENRI jj
ce payis fatal , que dans un autre. Ainfi on reprit le deffein 1 ç r 7
d'afîiéger Calais. Senarpont Gouverneur du Bouîonnois l'avoit
propofé au connétable de Montmorency , ôc ce projet aurok
été exécuté l'été dernier, Ci nous n'euffions pas été battus à S.
Quentin. La proportion de ce fiége ayant été faite dans un
confeil fecret qui fe tint à Compiegne , où étoit le Roi 3 Pierre
Strozzi homme d'exécution fe chargea d'aller reconnoître la
place. Il fe déguifa fous un mauvais habit , 6c partit le 2 de
Novembre avec Maxime Delbene } ôc peu de fuite. Dès qu'il
eut exactement obfervé les dehors de la place , la forme ôc
la folidité des battions ôc des ouvrages qui les accompa-
gnoient , il revint trouver le Roi , ôc l'afifûra que la conquête
en feroit facile , fi l'on voulait y employer du foin ôc de l'ac-
tivité.
L'armée fut partagée en pîufieurs corps , pour tenir la chofe
plus fecrete. On donna au duc de Nevers la conduite d'une
partie , qui confiftoit en vingt compagnies SuifTes , pareil nom-
bre d'Allemandes , quinze Françoifes , ôc fix cens Gendarmes,
avec quelques pièces de canon. On fît en même-tems cou-
rir le bruit que ce Général avoit quelque deffein fur Luxem-
bourg ôc fur Arlon 3 afin que les ennemis divifaffent leurs forces
pour couvrir ces places 3 qui n'avoient pas d'affez fortes gar-
nifons. Le duc de Guife alla fur la frontière , comme pour
empêcher qu'on ne fît entrer des vivres dans S. Quentin ,
Han 3 ôc le Câtelet. Le duc de Nevers ayant fait pafier les
troupes qu'il commandoit aux environs d'Argone , fe rendit à
Stenay. Après quelque féjour dans cette ville > il fit toute la di-
ligence poflible pour renvoyer fes troupes au duc de Guife ,
qui étoit alors à Amiens 3 où les ennemis s'irnaginoient qu'il
s'arrêtoit 3 pour faire entrer un convoi dans Dourlans. Dès
que l'armée du duc de Nevers fe fut jointe au duc de Guife ,
celui-ci entra dans le Bouîonnois , comme pouraflurer Ardres
ôc Boulogne. Dès qu'il vit tout préparé pour le fiége de Calais,
étant d'ailleurs parfaitement inftruit de l'état de la place , il s'y
rendit à la hâte, ôc fans y être attendu. Le premier de Janvier j * * jg
1 $$ 8. il campa près du Pont de Nieullay, qui n'eft éloigné que
de mille pas de la ville , ôc où conduit une levée entourée de
C cij
204 HISTOIRE
._»«---. marais des deux cotez. Les Anglois avoient bâti un Fort à l'en-
Htt trée de la levée,, proche le bourg de Sainte Agathe. On y en-
ENRI 11. -ii i r • i • j' i_i/ v~
„ voya trois mille arquebuiiers qui le prirent d emblée , après
* ' avoir repoufle la garnifon qui avoit fait d'abord une fortie.
Ce premier fuccès donna de l'épouvante aux Anglois, ôc ra-
nima le courage de nos troupes î enforte que quoique la nuit
approchât, elles s'avancèrent jufqu'à Nieullay, & s'y retran-
chèrent i après que le duc de Guife , & Paul de Thermes eu-
rent reconnu l'endroit. On fit même approcher le canon , pour
commencer dès le lendemain à battre la ville. Comme le
duc de Guife attendoit principalement l'heureux fuccès de ce
fiége, ôc de fon activité, ôc de la diligence avec laquelle on le
prefTeroit, il fit prendre la gauche à une partie de l'armée vers
les côtes de la mer, pour attaquer leRifban qui défend l'en-
trée du port , afin qu'étant maître de tous les Forts , il n'eût
plus qu'à s'emparer de la ville qui étoit au milieu , ôc qu'on
ne pût la fecourir , ni par terre du côté de la Flandre , ni
par mer du côté de l'Angleterre. La ville de Calais eft fituée
dans une plaine , ôc entourée par la rivière ; des ruiffeaux ôc
des marais la rendent inacceflible de trois cotez. A l'occident,
elle a un vafteport, ôc la mer pour barrière : trois baftions qui
font fur les angles de la place , ôc un quatrième qui eft au mi-
di, où eft la vieille citadelle , la rendent de figure quarée. Il
y a un large rampart , qu'on croyoit être degafon, quoiqu'il
ne le fût pas , comme nous le reconnûmes à nos dépens ; car
la terre eft fabloneufe dans tout cet endroit , ôc les batteries
de canon les plus violentes ne peuvent que la faire voler ,
comme la pouffiere. La place eft encore fortifiée par un foffé
auiîi large que profond , qui fert de lit à la rivière de Hames,
ôc où les ruiffeaux des marais voilins viennent aufii fe dé-
charger-. T>u côté du marais, on ne peut entrer dans la ville
que par la levée , où eft le pont de Nieullay j du côté de la
mer on ne peut entrer dans le port qu'avec l'agrément de la
garnifon du Rifban ; c'eft pour cela qu'il falloit abfolument
s'emparer de ces deux poftes, pour fe rendre maître de la
ville.
Calais affié- Ainfi le duc de Guife , accompagné du duc d'Aumale fon
de Guife. UC ^ere > de Pierre Strozzi maréchal de France , de Paul de Ther-
mes , de Jean d'Eftrée grand-Maître de l'artillerie, de S anfac.
DE J. A. DE THOU, Liv. XX. 20?
d'Àndelot, de Tavanes , ôc de Senarpont, fe rendit dans.
la même nuit fur le bord de la mer, pour reconnoître le Henri lî.
Rifban , dont il approcha de vingt-cinq pas , fans que les i ç ç 8.
ennemis s'en apperçuffent. Il envoya aufli-tôtle jeune d'Alé-
grej ôc un de fcs gentilshommes, pour fonder un gué, que
Charle de la Rochefoucault-Randan avoit trouvé dans le port.
Après qu'on eut fondé le gué, on arrêta au Confeilde guerre,
que dès le lendemain on battetoit avec le canon en même
tems Nieullay , ôc le Rifban, ce qui fut exécuté dès le point
du jour. Ceux de Nieullay fe rendirent les premiers, avec
la permiflTion du gouverneur de Calais , qui , comme on l'a fçu
depuis , ne vouloit pas expofer la gat nifon à un danger évi-
dent, parce qu'il n'avoit avec lui que peu de troupes dans la
ville. Le Rifban fe rendit à difcretion une heure après. On
trouva dans ce Fort un grand nombre de canons , ôc d'autres
^chofes en abondance. Mais pour empêcher qu'aucun fecours
ne pût entrer , on plaça , de l'avis des principaux officiers,
entre la ville 6c le marais , au bout de la levée , vingt com-
pagnies d'infanterie Françoife , avec le régiment du Rhein-
grave ', huit cens chevaux Allemands, ôc trois cens Gens-
d'armes, fous la conduite du Prince de la Roche-fur-Yon. De
Thermes étoit pofté vers la mer fur le chemin de Guines , avec
le relie de la cavalerie , ôc les Suiffes. Enfuite , fans perdre
de tems , on braqua le quatre de ce mois fix pièces de gros
canon contre la porte de la Rivière , ôc trois cens coulevri-
nes pour foudroyer les fortifications , ôc on pouffa la tranchée
avec ardeur, comme fi les afliégeans euffent voulu s'attacher
particulièrement de ce côté là, 6c y réunir tous leurs efforts.
La porte fut ébranlée parla violence du canon; quelque tours
voifines n'y purent réfifter. Les afïiégez ne craignoient rien
du côté de la citadelle , quoique les murailles n'en fuffent pas
terraffées. On fit cependant , fans qu'ils s'y attendiffent , une
batterie de quinze groffes pièces d'artillerie , ôc on battit la
citadelle avec tant de furie ôc filong-tems, que le bruit du
canon fe faifoit entendre jufqu'à Anvers , qui en eft éloigné
de trente-trois milles d'Allemagne.
Dès qu'on eut fait brèche , ôc qu'on vit approcher la nuit,
on donna ordre à d'Andelot de paffer au-delà du port avec
1 Philippe.
C c iij
206 HISTOIRE
. douze cens arquebufiers ôc un grand nombre de Gentilshom*
Uri,niTT mes, ôc de fe retrancher entre la ville ôc le rivage. On don-
Henri H. ' r , , , ., e & .
g na aux ioldats des outils , que benarpont , après avoir reconnu
* exactement le terrain , avoit préparez pour ouvrir la tranchée.
Elle fut pouffée jufqu'au foffé de la ville , afin que les eaux
qui y étoient entraient dans cet efpece de canal , d'où elles
s'écouleroient dans la mer : par ce moyen ce folTé, que les
Anglois regardoient comme la plus forte défenfe de Calais,
de voit refter à fec. On employa un grand nombre de claies
enduites de poix, fur lefquelles les foldats pouvoient être à
pied fec dans ce terrain fangeux, où fans cette précaution ils
auroient été abîmez. Senarpont avoit aufii inventé une efpece
de boucliers faits*de pieux entrelaffés d'ozier , d'un demi pied
d'épaiffeur, qui étoient couverts en dehors de trois cartons $
on pouvoit les porter facilement, ôcles planter en terre, quand
on le jugeoit à propos , par le bout des pieux qui étoit fer^*
ré h les foldats s'en couvraient comme d'un parapet , ôc ti-
roient par de petites ouvertures qu'on y avoit faites exprès.
Enfin fur le déclin du jour la muraille étant ouverte ,
le duc de Guife , de crainte que les affiégez ne reparaflent
la breche,ordonna à Grammont de s'avancer à huit heures,avec
trois cens Arquebufiers , lorfque la marée fe retireroit , pour
faire un feu continuel ôc empêcher l'ennemi de travailler.
Strozzi eut aufli ordre de fe pofter de l'autre côté du port
avec trois cens Arquebufiers , ôc cent pionniers qui étoient
fous la conduite de Sarlaboz : mais il fut repouffé par le feu
des ennemis, ôc contraint de fe retirer vers le quartier du
duc de Guife , avec perte de vingt-cinq de fes gens. Dès que
le jour parut, ce Prince s'étant avancé jufqu'au port, avec les
ducs d'Aumale Ôc d'Elbœuf fes frères , François de Mont-
morenci, le duc de Bouillon, Ôc le refte de la Nobleffe , il fit
reconnoître la brèche par Brancaccio. Celui-ci rapporta qu'elle
étoit affez large , ôc qu'on pouvoit y palier. On donne aulïi-
tôt le fignal pour monter* à l'affaut ; Grammont eft comman-
dé pour marcher devant avec fes Arquebufiers 5 Strozzi de-
voit le fuivre avec trois cens Cuiraffiers , foutenus par un
pareil nombre d'autres troupes. Le Général lui-même fe jette
dans l'eau jufqu'à la ceinture , ôc paife de l'autre côté de lai
rivière , avec le refte de l'armée. On arrive enfin au pied du
D E J. A. D E T H O U , L i v. XX. 207
mur. Nos foldats aufll-tôt montent à l'affaut avec tant d'ar-
deur ôc de furie , qu'ayant renverfé tout ce qui fe préfentoit Henri IL
devant eux , ils emportent en un moment la citadelle , ôc j - f g
ôc contraignent le peu de foldats qui reftoient encore , à fe
réfugier dans la ville. Le duc de Guife y mit une garnifon
capable de foutenir les efforts des ennemis > s'ils vouloient
l'attaquer pendant la nuit, ôc voyant que la marée commen-
cent, il s'en retourna de l'autre côté.
Mais les ennemis , foit par défefpoir , foit par honte d'a-
voir fi-tôt abandonné la citadelle , ôc reconnoiflant trop tard
de quelle importance étoit ce polie pour fe rendre maître
de la ville , fe préparèrent aufli-tôt à la reprendre. Ils l'atta-
quent , mais ils font repouffez ; ils reprennent cependant cou-
rage , ôc à la faveur du feu de quatre pièces de canon bra-
quées au bas du pont , ils retournent à l'affaut avec plus d'ar-
deur •■> ils battent fans difeontinuation la porte de la citadelle ,
au moyen d'un cavalier, qu'ils avoient élevé au milieu de
la place de la Ville : enfin ils font obligez de fe retirer après
un combat opiniâtre , avec perte de deux cens de leurs meil-
leurs foldats.
Milord Dumfort , gouverneur de Calais , perdit l'efpérance
de pouvoir fe défendre, après le mauvais fuccès de cette der-
nière action , ôc demanda à capituler. Après plusieurs con-
teftations , on traita à ces conditions : Que les habitans , leurs
femmes , ôc leurs enfans auroient la vie fauve , ôc fortiroient
fans qu'on leur fit aucun outrage ; Qu'ils pourroient en toute
fureté fe retirer en Flandre, où en Angleterre : Que Milord
Dumfort ôc cinquante autres perfonnes , au choix du duc
de Guife , demeureroient prifonniers : Qu'on laifferoit de
bonne-foi dans la ville les canons , les boulets , la poudre ,
les armes , les drapeaux , ôc toutes les machines de guerre ,
qui y étoient : Que le duc de Guife pourroit difpofer à fon
gré des meubles , del'of, de l'argent, ôc des chevaux : Que
les Anglois laifleroient tout en entier , fans pouvoir démolir
les maifons , arracher même un clou , ou remuer une pierre
de fa place , ni fouiller la terre , ni dépaver les rues. Cette
dernière condition fut ajoutée, pour prévenir la malice des
Anglois , qui quelques années auparavant ayant rendu Bou-
logne par capitulation , avoient prefque ruiné cette ville
avant d'en fortir.
ao'8 HISTOIRE
■r— — •*— Ces articles ayant été fignez le 8 de Janvier , tous les An-
Henri IL glois fortirent de la ville dès le lendemain , après un fiége de
155-8. fept jours, fous le règne de Philippe roi d'Angleterre K Après
Prife de Ca- ^a bataille de Crecy, deux cens ans auparavant , les Fran-
hïs. çois s'y étoient maintenus pendant un an , fous Philippe de
Valois , quoique les forces du Royaume fufTent épuifées ;
mais enfin Jean de Vienne , qui en étoit gouverneur , fe
voyant, fans aucune efpérance de fecours, alTiegé par mer ôc
par terre s fut obligé de rendre la place à Edouard III. On
croit que Xlccius-Portm , dont parle Céfar 3 Ôc d'où il dit
qu'il n'y avoit qu'un petit trajet en Angleterre , étoit en cet
endroit. En effet du port de cette ville , aujourd'hui fi célèbre
par fon commerce à caufe de fa commodité , on ne compte
que vingt milles jufqu'à Douvres. Calais a pris fon nom de
celui de toute la contrée , comme il arrive ordinairement ;
car les peuples du payis , qui eft depuis l'embouchure de la
Seine, jufqu'à la rivière d'Aa , qui baigne les murailles de
Gravelines , s'appelloient autrefois Caleti \ L'endroit appelle
GeJJoriacus pagus eft auffi dans la même contrée , quoique plu-
fieurs fe foient imaginé , fans aucun fondement que c'eft
Gifors , ville limée dans le Vexin , au-deffus de Rouen.
La place étoit à peine rendue 3 qu'il parut en pleine mer
une flotte , qui venoit au fecours des afîiégez ; mais ayant re-
marqué de loin les Enfeignes Françoifes , les Anglois recon-
nurent qu'ils arrivoient trop tard , ôc fe retirèrent. Philippe
avoit préifenti nos delfeins , ôc y ayant fait reflexion , il en
avoit écrit à la Reine fon époufe , ôc lui avoit offert des fe-
cours d'hommes , ôc d'argent h mais la méfiance des Anglois
les empêcha de profiter de cet avis : ils crurent que Philippe ,
par une rufe Efpagnole, n'agiflbit ainfi , que pour s'emparer
lui-même de Calais 5 cependant l'événement confirma ce qu'il
avoit prévu avec tant de clairvoyance. Quoiqu'on eût négli-
gé fon premier avis, il ne difcontinua point fes fervices, ôc il
envoya un fecours de troupes Efpagnoles à Guines , qui étoit
preffé par les François.
1 M. de Thou donne fouvent dans
cettehiiloireà Philippe roi d'Efjpagne
le titre de Roi d* Angleterre , quoique
réellement il ne fût que le mari de la
Ileine. Apparemment que du vivant
de la reine Marie , c'e'toit l'ufage de
Tappeller ainfi.
z Une partie de ce payis conferve
encore ce nom ; ôc on l'appelle Payis
de Caux.
En
DE J. A. DE THOU, Liv. XX. 2o<>
En effet 3 après la prife de Calais , on agita dans le Con-
feil de guette, s'il étoit à propos d'allet attaquet G innés , qui Henri IL
n'eft éloignée que d'environ une lieuë, ou Gravelines : Calais eft i ç ç 8.
entre ces deux places. Aptes une mute délibetation on réfolut „., c
j» tr < r^ • i < Siège &pn-
ct allieget Guines , patce que cette place étant en notre pou- fe de Guines.
voit ferviroit beaucoup plus à la confervation de notre det-
niere conquête , que Gravelines , qui en eft plus éloignée.
Milord Grey étoit dans Guines 3 avec une forte gatnifon. Le
duc de Guife parut devant la place le 1 5 de Janvier , & la
ptit d'emblée. Les Anglois s'étoient retirez dans la citadelle:
nos foldats fongeant plutôt au pillage , qu'à mettre des
corps-de-gardes pour leur fût été , les ennemis fitent fut eux
une fûttie, les chafferent > mirent le feu auxmaifons., ôc ren-
trèrent dans la citadelle. Ttois jouts aptes , on ouvtit lattan-
chée y qui fut pouifée jufqu'au folfé , àla faveut des gabions ,&
on dreffa une battet ie de trente-cinq gros canons , pout battre
de revers la citadelle. Le baftion 3 qui défendoit la potte , en
fut ébranlé ôc ruiné en partie ; la brèche fut ouverte 3 mais
la montée en étoit difficile. Le duc de Guife la fit reconnoî-
tte plufieuts fois , ôc commanda cent vingt hommes d'élite ,
ôc des pionniers , pour applanir le chemin , avec défenfe d'en-
treprendre autte chofe. Enfin 3 le 20 de Janvier s d'Andelot
ayant reçu ordte defe tenir fous les armes 3 un régiment Alle-
mand 3 qui étoit commandé pout l'attaque , monta impé-
tueufement à l'alfaut. Le duc de Guife franchit un folTé
très-profond , parle moyen d'une efpece de pont fait avec des
clayes placées en travers fur des tonneaux flottans^ôc gagna une
colline , qui étoit vis-à-vis , pour y attendre le fuccès de cette
attaque. Il fut bien-tôt obligé de venir au fecours de fes
ttoupes. Sa préfence rétablit le combat 3 ôc infpira aux fol-
dats une nouvelle audace. Les aiïiégez , trop foibles pour
leur réllfter, abandonnèrent la brèche 3 avec perte de trois
cens hommes , ôc entre-auttes de deux cens Efpagnols -, ils
futent enfuite contraints de fe retirer auprès de Grey 3 dans
la vieille citadelle.
D'un autre côté , le régiment de Reckrod emporta deux pe-
tits baftions ; ôc pat ce moyen les François s'emparèrent en-*
tierement de la faufîe-braye. Milord Grey 3 qui étoit encore
maître du plus grand baftion 3 d'où il pouvoit foudroyer ceux
Tom. III. D d
210 HISTOIRE
dont nous venions de nous emparer , fut fi étonné de cet heu-
Henri II. reux faccès , que fans ofer attendre un nouvel affaut , il en-
i 5 c 8. voya aufïi-tôt deux gentilshommes au duc de Guife , pour
régler les articles de la capitulation. On convint le len-
demain , que les foldats de la garnifon fortiroient avec leurs
armes , mais fans drapeaux, ôc qu'ils laifieroient les canons ,
les boulets , la poudre , ôc toutes les autres munitions ; Que
Grey lui-même , avec les Officiers, ôc toute la Nobleïïe, ref-
teroit prifonnier de guerre. Il en fortit plus de huit cens
hommes Anglois , Flamands, ou Efpagnols. Milord Grey^
. qui avoit donné des preuves de fon courage en d'autres oc-
cafions , perdit dans celle-ci toute fa réputation ; parce qu'il
ne fit que peu de réiiflance, quoiqu'il eût avec lui des Offi-
ciers de mérite, ôc des foldats aguerris, dans une place bien
fortifiée. On prit auffi Chriftophle de Mondragon, qui quel-
que tems auparavant, s'étoit échappé de la baftille, où il étoit
prifonnier. Les Anglois s'étoient autrefois emparez de Guines
en 1 3 5* i pendant une trêve, par la trahifon du lieutenant de
Beaucourroi, gouverneur de la Province, dont la perfidie fut
punie du dernier fupplice.
Il ne reftoit plus dans ce payis qu'on appelle ordinairement le
comté d'Ôye, qu'un château, qui à la vérité étoit fans fortifica-
tions, mais que fa fituation rendoit prefque inaccefiible : il étoit
environné de tous cotez de marais , Ôc onnepouvoity aborder
que par une levée fort étroite ; la plupart des ponts de bois ,
avoient été coupez. La garnifon qui y étoit, ayant appris la prife
de Guines , n'attendit pas l'arrivée de nos troupes > ôc aban-
donna le canon de la place pour s'enfuir plus vite. On envoya
auiïi-tôt Sipierre pour s'en emparer , avec la cornette du duc
de Lorraine , dont il étoit Lieutenant.
Affemblée Cependant le Roi avoit convoqué les Etats du Royaume à
Paris."" a Paris, afin d'en tirer des fommes d'argent , dont il avoit befoin
pour recouvrer ce que nous avions perdu , ôc foûtenir les ef-
forts des ennemis. Le 6 de Janvier on s'aflembla dans la cham-
bre de Saint Louis , qui étoit magnifiquement préparée. Le
Roi monta fur fon thrône , ayant à fa droite un peu plus bas
le Dauphin ôc le duc de Lorraine avec les Cardinaux 5 ôc^
fa gauche le prince de la Roche-fur-Yon , le duc de Nevfft
Sancerre, d'Urfé , Bourdillon, ôc le refte de laNoblefle 5 les
D E J. A. D E T H O U , L i v. XX: au
autres Ordres du Royaume étoient au-defïous. Le Roi fitl'ou- - — "
verture des Erats par un difcours majeftueux ôc folide. Il Henri IL
reprefenta que depuis ion avènement à la couronne , il na- l S $ %•
voit rien eu plus à cœur , que de foûtenir non-feulement la
gloire de toute la Nation, mais encore de témoigner à tous
les Ordres en particulier une affe&ion paternelle , Ôc de
conferver les droits ôc les privilèges de chacun , comme un
bon Prince devoit faire : Qu'il étoit de la gloire du Royaume
ôc de l'intérêt de tous les Ordres particuliers , de repouffer les
efforts des ennemis , de conferver les anciens fiefs de la Cou-
ronne , de recouvrer ce qu'on avoit perdu , ôc d'affurer les
frontières : Qu'ayant toujours eu ces fentimens dès qu'il s'étoit
vu furleThrône, il avoit entrepris, pour recouvrer Boulogne
ôc les payis voifins s une guerre dangereufe contre l'Angleterre,
mais dont le fuccès avoit e'té heureux : Que pour foûtenir cette
guerre , ôc pour plusieurs autres befoins que par un enchaîne-
ment fatal, elle avoit fait naître > il avoit fait des dépenfes excefli-
y es : Que les revenus ordinaires ne pouvant y fuffire, il avoit en-
gagé fon domaine , ôc , ce qui lui faifoit plus de peine, qu'il avoit
été obligé d'établir de nouveaux impots : Que ces extrêmitez
où il avoit été réduit, ôc aufquellesun bon Prince devoit tou-
jours être fenfible , l'avoient extrêmement touché , ôc l'avoient
engagé à demander la paix à des conditions defavantageu-
fes ; que n'ayant pu l'obtenir-, ôc fçachant que l'ennemi en-
flé de fes fuccès , faifoit de plus grands préparatifs , pour con-
tinuer la guerre , il avoit voulu déclarer à tous les Ordres de
fon Royaume fes intentions ôc fes deffeins , Ôc leur témoigner
publiquement combien , après la confiance qu'il avoit aux fe-
cours du Ciel , il comptoit fur la fidélité ôc le courage de fes
fujets : Qu'il croyoit donc néceffaire d'oppofer toutes fes
forces aux efforts des ennemis : Que perfonne n'ignoroit
que l'argent étoit le plus grand reffort de la guerre , fans lequel
on ne pou voit ni entretenir une armée , ni retenir des foldats
dans le devoir , ôc fans quoi on perdoit ordinairement les plus
belles occafions de réûffir , qui fe prefentoient inutilement :
Qu'ainfi ils dévoient donner tous les fecours pofTibles à leur
Roi , ôc fubvenir aux befoins du Royaume ôc à la néceflité pu-
blique , puifqu'ils y étoient eux-mêmes intereffez : Qu'il n'i-
gnoroit pas que le malheur des tems Ôc les circonftances
D d ij
212 HISTOIRE
fâcheufes avoîent corrompu les mœurs, ôc introduit dans le gou-
Henri II vernement des a^us » dont les peuples étoient les viêtimes :
Iffg mais qu'il les réformerait , ôc qu'il promettoit en même-tems
de décharger le peuple des impôts qui l'accabloient , dès que
par leur fecours il feroit debarrafle des difficultez qui l'envi-
ronnoient , ôc qu'il auroit afluré la uaix par la force de fes ar-
mes : Qu'il avoit voulu que le Dauphin , l'héritier du Royaume,
fût préfent à cette affemblée , non feulement comme témoin,
ôc comme garant despromeiTes de fonpere, mais pour l'enga-
ger lui-même à exécuter un jour ce que le Roy promettoit d'ac-
complir exactement fur la foi de fa parole royale.
Après que le Roi eut ainfi parlé , le cardinal de Lorraine fe
leva, ôc fit un difcours enflé, diffus , ôc félon fa coutume , rem-
pli de loùangues ôc de flatteries. Il s'étendit fort au long fur l'af-
feclion du Roi envers tous les Ordres du Royaume ôc fur fa gé-
néralité, ôc il promit au nom du Clergé de grandes fommes d'ar-
gent. Enfuite le duc de Nevers , qui portoit la parole pour la No-
bleffe, feleva, ôc dit en peu de mots qu'elle étoit prête , comme
elle l'avoit toujours été , de prodiguer ôc fon fang ôc fes biens,
pourfon Roi , pour la défenfe du Royaume, ôc pour la gloire
_ , , de la Nation.
Cjrdrc des
Magiftrats Alors Jean de Saint André s'étant jette aux genoux du Roi,
des Cours fu- ]e remercia au nom du Parlement , ôc de toutes les Cours fupe-
pfacé entrela rieures du Royaume dont les députés étoient prefens , de ce
Noblefle & le <qu'il avoit formé, ôc uni aux Etats du Royaume un quatrième Or-
dre diftingué des autres, qui étoit celui des Magiftrats, qui dépo-
, fitaires de fon autorité rendent la juftice en fon nom 5 après avoir
loué la bonté , ôc la prudence du Roi , il offrit les biens ôc la
vie de ceux pour lefquels il parloir.
Enfin André Guillart du Mortier , pour le tiers Etat, s'étant
aufïi jette aux pieds de Sa Majefté donna de grandes louanges
à la bonté ôc à la fagefTe du Roi , qui avoit réfolu de faire une
paix glorieufe par la force de fes armes , ôc de corriger les
abus qui s'étoient gliffés dans le gouvernement à la faveur du
malheur des tems 5 il dit encore que quoique le peuple fût
chargé d'impôts , ôc accablé par les maux d'une guerre con-
tinuelle, fçachant néanmoins que des fujets dévoient tout à
leur Roi , ôc voulant donner des marques autentiques de leur
parfait dévouement , ôc de leur fidélité dans hs circonftances
DE J. A. DE THOU Liv. XX. 213
préfentes, ils ne refuferoient point de fournir des fommes affés
confidérables, pour remédier auxbefoins de l'Etat , ôc foûtenir jj[enri jj#
avec gloire la guerre qu'on avoit commencée. 1 ç c S
Après que du Mortier eut fini , Jean Bertrandi Garde des
Sceaux , qu'on appelloit alors le cardinal de Sens , fe mit à
genoux , fuivant la coutume , pour prendre l'avis du Roi : ayant
repris fa place , il dit que Sa Majefté ordonnoit que pour com-
mencer la réforme , le tiers Etat donneroit un cahier , où il ex-
poferoitfes fujets de plaintes, ôc les differensabus qu'il ialloit re-
former, ôc le remettroit entre les mains de Du Mortier, qui en fe-
roit fon rapport à Sa Majefté pour y remédier fuivant fa volonté.
Enfuite on congédia l'afTemblée. Dès que le Roi fut forti , le
Cardinal de Lorraine par fon ordre fit venir en particulier les
députez du tiers Etat : il leur repréfenta que le Roi avoit befoin
de trois millions d'écus d'or , pour les frais de la guerre : Que
le Clergé ayant offert un million , outre les décimes , il étoit
îufte que le tiers Etat fournît les deux autres : Que pour le faire
avec plus de commodité ôc plus promptement , parce que le
befoin qu'on en avoit demandoit plus de diligence, il falloir
que les députez donnaient les noms de deux mille bourgeois
les plus confidérables de toutes les villes du Royaume, qui prê-
teroient chacun mille écus d'or. Les députez refuierent d'abord
de donner ces noms , ôc foûtinrent que ce moyen étoit odieux,
6c qu'il y avoit même du danger de l'exécuter : Que d'un côté
onnepouvoit, fans exciter des murmures ôc s'attirer la haine
de tous les particuliers , les obliger de donner des déclarations
de tous leurs biens , ôc d'en faire une efpéce de dénombrement :
Que d'un autre côté le commerce du Royaume fouffriroit
beaucoup , fi les biens des Négotians étoient connus de tout
le monde ; parce que 3 comme on les croit fouvent plus ri-
ches qu'ils ne le font, la perte de leur crédit ruineroit leur
négoce. Enfin on jugea plus à propos de faire une impofition
de cette fomme furies Provinces, ôc fur les Villes qu'elles ren-
ferment , pour la répartir enfuite entre les plus riches particu-
liers, afin que cette contribution > qu'un petit nombre de bour-
geois n'auroient pu payer fans en être accablez , parût plus lé-
gère par la répartition qui en feroit faite entre un grand nom-
bre de perfonnes.
Après la tenue' des Etats , le Roi accompagné de la Reine
Ddiij
2i4 HISTOIRE
fon époufe, du Dauphin, & de tous les Seigneurs , afîifta a
Henri IL une Meffe qui fut célébrée avec folemnité dans la fainte
i $ $ S. Chapelle du Palais le 10 de Janvier. On rendit des aciions
de grâces à Dieu pour le recouvrement de Calais. Le Roi
devoit aller vifiter cette place 5 mais avant de partir il vint
félon la coutume au Palais , où il tint un lit de Juftice. On
y renouvella , ôc on y enregiftra de nouveau plufieurs édits
Ôc déclarations , touchant l'adminirlration des affaires civiles ,
qui n'éto^ent plus obfervez. Enfin |e Roi partit pour Calais ôc
après avoir vifité la place, dont il donna le gouvernement à Paul
de Thermes, il réfolut de la faire fortifier, fuivantl'avis du Con-
feil de guerre , ôc revint enfuite dans l'intérieur du Royaume.
Le duc de Nevers étant de retour en Champagne, com-
manda aux Gouverneurs des places, où il y avoit des garnifons*
de mettre leurs foldats en état de marcher , ôc donna ordre
aux Commandans des compagnies de cavalerie de Bouillon
Ôc de Jamets , $c à Senarpont qui étoit à la tête de la fien-
ne , d'affembler leurs troupes. Il fe rendit lui-même à Yvoy
au commencement de Février. On y tint Confeil de guerre,
où aflifta Jamets vieux capitaine qui avoit beaucoup de réputa-
tion , ôc on y réfolut d'afîiéger Herbemont , à la prière de
Haultcourt. Herbemont eft un château iitué dans la forêt d'Ar-
denne , fur un rocher efcarpé de toutes parts , fi ce n'eft du
côté par où l'on y entre, ôc qui appartient au comte deBei-
liftein. Il fervoit de rendez-vous aux ennemis pour faire des
courfes , qui incommodoient beaucoup Yvoy ôc la contrée voi-
fine. Léon Defpot , qui commandoit fur la frontière delà Pro-
vince en l'abfence de Bourdillon, avoit déjà un nombre fuffifant
de pionniers ôc de chevaux , pour conduire l'artillerie où le duc
de Nevers le jugeroit à propos. On envoya donc en diligen-
ce ôc fecretement , par différentes routes , Trouffebois gou-
verneur de Mezieres , ôc Chambry gouverneur de Maubert-
Fontaine, pour inveftir la Place avec leurs troupes. On con-
duifit par Sedan une partie de l'artillerie efcortée de la ca-
valerie légère , ôc Haultcourt fit paffer l'autre partie avec tous
les équipages par une route différente fous la conduite dejaç-
que Wolf. Le duc de Nevers les fuivit avec ce qu'il avoit de
troupes armées à la légère. Le paffage du canon fur la rivière
de S émois, qui eft au-deffous du château , fut très difficile^
DE J. A. DE THÔU, Liv. XX. \mf
à caufe de la glace , ôc des neiges extraordinaires. La garni- •M——^
fon fit d'abord une fortie,, ôc on combatit vigoureufement. Henri II.
Ayant été repouffée , Cormon s'empara du chemin couvert où 155 8.
les payifans s'étoient retirez avec tous leurs troupeaux. On
éleva enfuite une batterie du côté où l'on entre dans le châ-
teau : la violence du canon abattit le baftion qui en couvroit
la face, ôc la brèche étant allez confidérable , on fe prépara
à donner l'affaut. Mais le Gouverneur n'en voulut pas atten-
dre l'événement 3 Ôc offrit de fe rendre , au moyen d'une
capitulation honorable. Ayant été refufé , il fe rendit le 6 de
Février à difcretion au duc de Nevers , qui , à la prière de Ja-
mets , le renvoya fans rançon , avec fa femme ôc toute fa fa-
mille , ôc renvoya de même les foldats de la garnifon : le duc
de Nevers donna le gouvernement de cette Place à la Croix
lieutenant de Haultcourt. On envoya enfuite des troupes pour
s'emparer des châteaux de Jpnoigne 3 de Chigny 3 de Roiïi-
gnol , ôc de Villemont 3 que les ennemis avoient bâtis dans ce
payis; mais la plupart avoient été abandonnez par les garni-
ions , au bruit de l'arrivée du duc de Nevers , ôc les autres fe
rendirent, dès que nos troupes parurent.
Le bruit de la prife de Calais s'étant répandu en Italie, y Affaires
fit non feulement oublier la défaite de Saint Quentin, mais d'Italie?
encore releva le courage des François ôc du duc de Ferrare,
ôc leur fit former de plus grandes entreprifes. Les François
avoient d'abord eudefleinde furprendre Orbitello, parce qu'on
leur avoit rapporté qu'on faifoit peu de garde du côté de l'é-
tang. Ils partirent donc fans bruit de Montalcino pour exécu-
ter ce projet 3 mais étant arrivés fur le lieu, les échelles qu'on
avoit préparées pour l'efcalade fe trouvèrent trop courtes , par
îa faute de- celui qui avoit été chargé de les faire ', ainfî ils
furent obligez de fe retirer, avec perte de quelques foldats qui
furent tuez parle canon de la place. Le duc de Ferrare de fon
côté voyant que les ennemis étoient fort fatiguez, ôc que les in-
commoditez qu'ils fouffroient les avoient obligez de fe retirer
dans leurs quartiers d'hiver , fe mit en campagne , ôc s'éten-
dit dans les terres de Parme qu'il ravagea. La garnifon de Brif-
fello ayant fait des courfes jufqu a San-vitale , prit huit gre-
nadiers , ôc le Porte-étendart du prince d'Afcoli. Dans le mê-
me tems Alfonfe accompagné de Corneille Bentivoglio ,
.-»»ji'*"w:vï«*r>afc«
21e HISTOIRE
étant forti de Reggio avec quatre mille homme de pié , &
Henri II 9uatre pieces de canon , reprit San-Polo, ôc défarma le petit
o * nombre de foldats qui y étoient ; ils pafferent enfuite fans bruit
la rivière de la Lenza , qui fépare l'état de Parme des terres
de Reggio , pour afïiéger le château de Guardigione , dont
la garnifon fe rendit, après quelques volées de canon. Roffe-
na , château de la dépendance des Correggio , fut enfuite atta-
qué, Ôc battu à coup de canon? ayant été emportée il fut
faccagéôc brûlé. Delà on marcha vers Canofîa : la place effuya
le feu de l'artillerie , fans vouloir fe rendre •■> mais elle futprife
d'affaut , ôc prefque toute la garnifon futpafleeaufil de l'épée.
Ottavio touché de ces pertes, ou plutôt de la honte de ne
pouvoir arrêter ces conquêtes , follicitoit des fecours de tous
cotez ; il en envoya chercher à Milan , ôc en Tofcane. Il pria
Jean Figueroa de lui prêter deux mille Allemans , mille Efpa-
gnols , Ôc deux compagnies de Gendarmes , que ce dernier
avoit envoyés dans leurs quartiers d'hiver pour fe rafraîchir,
comme s'ils euffent fait quelque expédition d'importance, en
prenant Ponzone , qui n'eft qu'un petit château fur le chemin
d'Alexandrie de la Paille à Gènes. Mais Ottavio n'en put af-
fembler qu'un petit nombre , parce que l'argent lui man-
quent pour payer fes troupes. Ainfi voyant qu'il fe fatiguoit
inutilement , il fe borna au deffein de reprendre ce que
le duc de Ferrare lui avoit enlevé , ôc de demeurer chez
lui. Le cardinal Alexandre fon frère l'exhortoit d'exécuter
promptement cette réfolution , parce qu'il prévoyoit, que dès
que la flotte Turque paroîtroit, toutes les troupes fe réuniraient
pour défendre les côtes d'Italie , ôc que par conféquent il
étoit hors de faifon ôc même préjudiciable à fon frère , de
s'engager témérairement dans une guerre contre un Prince
voilïn. Outre cela François d'Eft , frère du duc de Fer-
rare , qui jufqu'alors avoit fuivi le parti de l'Empereur , ôc
lui avoit rendu des fervices importans dans la guerre d'Alle-
magne, ayant reçu dans le même tems le collier de l'Ordre,
étoit pafTé de notre côté , ôc avoit été envoyé en Tofcane ,
en qualité de Généraliflime des armées de France , pour y
faire la guerre au nom du Roi : ce qui contribua beaucoup
h établir la réputation des François dans ce payis , ôc à y affer-
mir la puilTance du duc de Ferrare. Corne qui n'avoit jamais
éprouvé
DE J. A. DE THOU,Liv\ XX. 217
éprouvé la guerre qu'.on faifoit à ce Prince, fe fervit de cette — ««muw
occafioa , pour agir plus ouvertement avec les Efpagnols , jjENRI jj
ôc prefler Philippe de traiter à l'amiable avec le duc de Fer- lî?g(
rare.
Ce Prince , qui étoit déjà vieux, & dont les deffeins n'a-
voient pas eu le fuccès qu'il attendoit , fe prêtoit volontiers
à un accommodement s mais il ne vouloit quitter notre al-
liance , qu'à des conditions honorables. Enfin , par l'entre-
mife de Côme, qui avoitun plein pouvoir du Roi Philippe,
on convint , que le duc de Ferrare renonceroit au titre de
Généralifïime des armées de France en Italie * & à la ligue
qu'il avoit faite avec le Pape , ôc le Roi contre Philippe :
Qu'il embrafferoit la neutralité , fans pouvoir fournir au Roi
de l'artillerie , ni aucunes autres munitions de guerre 5 qu'on
rendroit réciproquement tout ce qui avoit été pris de part ôc
d'autre dans cette guerre : Que le Duc vivroit en bonne in-
telligence avec OttavioFarnefe,ôc qu'il rendroit à Sigifmond de
Gonzague la ville de San - Martino , qu'on lui avoit prife, ôc
fes autres biens que le Duc avoit confifquez. Ce dernier article
étoit infupportable au duc de Ferrare , parce qu'il lui ôtoit la
liberté de punir à fon gré un de fes fujets. Barthelemi Con-
cini fut envoyé pour faire ratifier ce traité par le Roi d'Ef-
pagne , ôc lui demander fon agrément , pour l'alliance que
Corne ôc le duc de Ferrare vouloient contracter enfemble ;
On lui en faifoit voir les motifs ôc l'utilité. Le Roi d'Efpagne
approuva les traitez , ôc la paix fut conclue avec le duc de
Ferrare. Alfonfe vint aufll-tôt à Florence , où il époufa Lu-
crèce , princeffe âgée de quatorze ans ; car Marie , qui étoit
plus avancée en âge ôc qui lui étoit deftinée , étoit morte
quelque tems auparavant. Les noces furent célébrées avec
beaucoup de magnificence.
Les fêtes ôcles divertiflemens , qui accompagnèrent ce ma*
rjage , ne firent pas refter Corne dans l'inaction 5 il employoit
tous fes foins à faire fortifier les côtes de la mer , pour s'op-
pofer aux defcentes de l'armée navale des Turcs , qui , corn-
mêle bruit couroit, devoit attaquer l'iile d'Elbe, Portercole
Piombino, Savone, ôcNice. Chiappino Vitelli fut envoyé à
Portercole, pour faire entourer d'un foffé une colline qui corn-
mandoit la ville , -ôc à qui le Roi d'Efpagne donna dans la,
Tome IJL E e
ai8 HISTOIRE
fuite fon nom , ôc pour faire rétablir avec des pionniers les
Henri II ouvrages de ^a citadelle de Piombino , que les Efpagnols
g ' avoient négligez. Gabriel Serbellone eut ordre de fe rendre
dans l'ifle d'Elbe > pour y faire fortifier Portoferraio , en ajou-
tant de nouveaux battions au Fort deFalcon. Côme prenoit ces
mefures pour mettre les côtes de la mer à couvert des mena-
ces des Turcsmiais s'étant apperçù que dans l'intérieur du payis,
les François étoient devenus à charge aux peuples, parce qu'ils
ne payoient pas les troupes , il entreprit d'enlever toutes les
moiiTons , pour attirer à lui peu à peu les Bannis de Sienne ,
qui avoient déjà quelques fujets de mécontentement ; car la
garnifon de GrolTeto diminuoit de jour en jour , à caufedu mau-
vais air ; ôcles débordemens de l'Ombroncqui avoient ren-
verfé les fortifications, mettaient cette place en grand danger.
La flotte Turque , compofée de cent vingt voiles , parut
proche de la Previza , fur les côtes de Calabre. Ayant pafle
à la vûë de Brindili , qu'on fortifioit à la hâte , elle prit la
même route que celle qu'elle avoit tenue auparavant , lorf-
qu'apres avoir doublé le Fare de IVIeirine , Ôc faccagé Reg-
gio , elle aborda à l'ifle de Stromboli. Les Turcs fe répan-
dirent enfuite dans le Golfe de Surrento , ôc ayant fait une des-
cente proche de Salerne, ils enlevèrent plus de quatre mille
perfonnes , qu'ils réduifirent à une dure fervitude , ôc entre
autres , plufieurs Religieufes , ôc un grand nombre de Moines
des couvents voifins , que l'agréable fituation de ce payis y
avoit fait bâtir. Us mafîacrent les enfans ôc les vieillards , Ôc
viennent à la vûë de Naples : fans reconnoître Terracine ,
ville de l'état Eccléfiaftique , ils defcendent dans l'ifle d'Elbe s
Ôc après une nuit de féjour feulement dans Porto-longone 3
croyant que toute la côte étoit bordée de foldats 3 ôc qu'Au-
relio Fregofe, qui étoit depuis peu arrivé de Lombardie s
paroiflbit avec fa cavalerie , félon l'ordre qu'il en avoit reçu ,
ils prennent la route de l'ifle de Corfe , où ils efpéroient trou-
ver encore la flotte Françoife. Mais elle en étoit partie quel-
que tems auparavant, Ôc le bruit courut qu'on avoit defïein,
ou d'efcalader Savone, ou d'afliéger Nice, ou de s'emparer du
port de Ville-Franche. Le Génois , qui en furent allarmez 3
envoyèrent de riches préfens au Bâcha , pour détourner l'o-
rage de deflus leurs terres , quoique Gomez de Figueroa leur
DE J. A. DE THOU,Liv. XX. ni9
repréfentât que c'étoit offenfer Piulippe , ôc malgré les re- ___ s
montrances d'André Doria , que fon extrême vieillefle ren- Henri II.
doit alors méprifable à fes concitoyens. Les Génois firent plus : i c j 8.
ils réfolurent d'envoyer des AmbaiTadeurs jufqu'à Conftanti-
nople, pour obtenir de Soliman l'entière liberté de leur com-
merce, ôc pour demander, par un traité qu'ils offroient de faire,
la permiffion d'acheter ôc de tranfporter des bleds pour la Ré-
publique , parce que les Efpagnols ne leur en fourniffoient
tous les ans de la Sicile , que médiocrement ôc avec peine.
Le bruit fe confirma , lorfque la flotte Turque eut pris
la même route que la flotte Françoife : on conje&ura qu'elles
fe rendroient de concert fur les côtes de Provence , pour fe
joindre enfemble , 6c enfuite attaquer Nice. On croyoit en-
core que le maréchal de BrifTac partiroit de la Cour avec de
l'argent , Ôc pafferoit le Var pour féconder avec une armée de
terre les efforts des deux flottes ; mais tout arriva autrement.
Le Maréchal étant venu à la Cour , ou de fon propre mou-
vement, ou par ordre du Roi , auprès duquel il prétendit s'ê-
tre pleinement juftifié des aceufations fecretes de concufîion
dans fon gouvernement , intentées contre lui , donna des éclair-
ciffemens fur l'état prefent des affaires ; ôc ayant fait voir la
nécefîlté où l'on étoit de continuer la guerre, il fut renvoyé en
Italie. Comme l'argent furtout lui manquoit, il eut ordre d'en
prendre à Lyon des Banquiers, à quelque prix que ce fût ,
pour foûtenir les frais de cette guerre j mais ayant inutilement
perdu beaucoup de tems à Lyon , il fut obligé de retourner en
Piémont, où étant hors d'état de former de plus grandes en-
treprifes , il crut faire affés , s'il ravageoit les terres voifines de
Foffano , ôc de Cuni , ôc s'il fe rendoit maître de ces deux pla-
ces, qu'il affiégeoiten quelque forte depuis long-tems , en les
reduifant par la famine aux dernières extrêmitez.
D'un autre côté Jean de Figueroa faifoit la guerre de la mê-
me façon. Il ravagea les environs de Saint Damian pour in-
commoder la garnifon , ôc faifoit voir d'autant moins d'activité*
qu'il attendoit de jour en jour un fucceffeur. En effet après
que le duc d' Albe eut remis au roi d'Efpagne le commande- ^ » Ou Gow>
ment général de fes armées en Italie, le duc de Seffa petit-fils fa,ez >, f*v~
du grand Gonfalve*, fut choifi pour gouverneur du Milanez , Grand-Capi-
& on donna la Viçeroyauté de Naples à Dom Perafan de taine!
E e ij
■
220 HISTOIRE
Ribera duc d'Alcala Viceroi de Catalogne : en fon abfence
Henri II. Pierre Manrique fut chargé du gouvernement du Royaume.
i $ $ 8. L'armée Navale des Turcs s'étant rafraîchie en Provence
pendant quelque-tems , fit une defcente dans l'Ifle de Minor-
que ; ils y affiégerent une ville appellée Citadella. Après en
avoir fait approcher le canon i ôc donné plufieurs aflauts , ils
l'emportèrent enfin avec une perte confidérable ; car on rap-
porte qu'il périt dans ce fiége plus de quatre cens de leurs fol-
dats. Ils ne rirent aucune autre conquête , malgré tous les ef-
forts des François pour les retenir ; ils abordèrent proche de
Savone , où Cefar Maggi s'étoit enfermé , ôc biffant derrière
eux les cotes d'Italie , ils firent voile vers l'Orient au commen-
cement d'Août,
Cependant le Roi fit faire en France de nouvelles levées ;
& principalement en Gafcogne ôc en Guienne, payis fertiles
en bons foldats : on leva aufïi en Allemagne de l'infanterie
ôc de la cavalerie en plus grand nombre qu'à l'ordinaire , parce
qu'il étoit néceffaire de garnir la frontière de ce payis. Tou-
tes ces troupes eurent ordre de s'affembler fur la fin d'Avril pour
la revue générale.
Mariage du ^ur ces entrefaites* on célébra à Paris le 24 d'Avril avec
Dauphin^ la dernière magnificence les noces du Dauphin François , ôc de
StïLÎ*Rdù Marie Stuart reine d'Ecofre i fille de Jacque V. ôc de Marie de
d'Ecoffe. Lorraine, fœur des Guifes. Les Cardinaux , Charle de Bourbon
Charle de Lorraine , Odet de Coligny de Chaftillon, ôcjean
Bertrandi, les Princes de Condé, ôc de la Roche-fur-Yon ,
de la maifon de Bourbon , les ducs de Lorraine , de Nemours,
de Guife , de Nevers Ôc d'Aumale y affifterenr. Il s'y trouva
entre les feigneurs Ecoffois l'archevêque de Glafcow Primat
du Royaume , l'Evêque des Orcades, les comtes deRothes
ôc de Caffilis ou Caffellei , Fleming , Seton , ôc Dunes, dont
nous avons déjà parlé. Le Roi permit avec trop de facilité au
duc de Guife de faire , en l'abfence du connétable de Mont-
morency que les ennemis avoient fait prifonnier, l'office de
Grand-maître de la maifon du Roi dans le repas fomptueux
qu'il donna. Le duc de Guife briguoit déjà cette charge, qu'il
ôta dans la fuite à la maifon de Montmorency. Après la cé-
lébration du mariage , les Ambaffadeurs d'Ecoffe furent intro-
duits dans le Conlèih Bertrandi Garde des Sceaux conféra
D E J. A. D E T H O U , L i v. XX. 221
avec eux , pour les engager à repréfenter la couronne ôc les '""
autres marques de l'autorité fouveraine , ôc à proclamer Roi Henri IL
d'Ecoffe l'époux de leur Reine. Les AmbafTadeurs ayant ré- * 5 5 &
pondu qu'ils n'avoient pas d'inftrutYion fur une affaire de cette
importance , Bertrandi repartit qu'il n'exigeoit pour lors que
ce qui dépendoit d'eux ; qu'ils dévoient donc promettre par
écrit , d'appuyer dans l'affemblée des Etats par leurs fuffrages
la prétention du Dauphin , qui demandoit un honneur qui lui
étoit dû à fi jufte titre : mais les AmbafTadeurs le refuferent ,
fous prétexte que leurs pouvoirs étoient limités , ôc ne pou-
voient s'étendre jufques-là. Ils promirent feulement de rendre
tous les fervices pollibles aux François > à qui ils étoient unis
par tant de raifons , ôc de foufcrire à tout ce que des amis pour-
voient honnêtement demander ', mais ils prièrent en même-
tems qu'on n'exigeât d'eux , que ce qui étoit dans les termes
de l'équité.
Ainfi les A mbafladeurs furent congédiez, ôc quoiqu'ils fif-
fent toute la diligence pofïible pour le rendre en Ecoffe 3 ils
perdirent cependant, avant de fortir de France î'évêque des Or-
cades, lescomtesd'Angus ôc deCafïllis, ôc Fleming qui étoit
le chef de fa maifon : ces quatre Seigneurs étoient de la pre-
mière qualité , ôc aufïi illuftres par leur vertu , que par l'amour
de leur patrie. Plufieurs de ceux qui les accompagnoient mou-
rurent aufïi , non fans quelque foupçpn d'avoir été empoifon-
nés par les frères du Régent , comme le bruit s'en répandit en
Ecoffe , parce qu'ils étoient contraires à leurs deffeins.On crut
aufïi qu'ils avoient voulu fe défaire par le même moyen de Jac- deAfarrayfils
que * frère de la Reine î car quoique fon tempérament vigou- naturel de
reux , ôc la force de fa jeunefle l'euffent empêché de fuccom- Jacclue v*
ber à la violence du poifon , cependant depuis ce tems-là il
fut toujours incommodé d'un mal d'eftomach, tant qu'il vécut.
Ceux qui revinrent jufque dans leur payis } obtinrent facilement
dans l'affemblée des Etats la ratification des acles, aufquelsils
avoient confenti en France. On donna enfuite audience à no-
tre Ambaffadeur. Après s'être étendu fort au long fur l'ancien-
ne ôc fidèle amitié que les François avoient toujours eûë pour
les Ecoffois , il fe fervit des termes les plus forts > pour les con-
jurer tous en général ôc en particulier d'accorder à l'époux de
leur Reine une couronne , qu'il appelloit conjugale ; il ajouta
E e iij
222 HISTOIRE
, que le Dauphin ne prétendoit point en tirer avantage >
Henri IT n* cIue^e ^ul donnât un plus haut degré de puiffance , mais
« ' qu'il ambitionnoit feulement le finiple nom de leur Roi. Quoi-
* ' que plufieurs s'oppofaffent à la demande de l'Ambaffadeur ,
cependant par les brigues de ceux qui étoient dans nos inté-
rêts , il obtint qu'on accorderoit la couronne d'Ecoffe au Prin-
ce. Gilepfic Cambell comte d'Argathley,ou d'Argathel, ôc Jac-
que frère de la Reine , furent choifis pour la lui porter ; mais
ils fe préparèrent fi lentement à ce voyage , qu'en le différant
de jour à autre fous difFerens prétextes , Marie reine d'Angle-
terre mourut fur ces entrefaites : cet accident occafionna quel-
ques changemens dans la face des affaires , non-feulement en
Angleterre , mais encore en France , comme nous le ver-
rons dans la fuite.
Après que la Couronne eût été décernée à François mari
de la Reine, on le nomma le Roi Dauphin , du confente-
ment de fon père. La plupart des Ecoffois difoient que cette
alliance feroit fatale à leur patrie , ôc plufieurs fages politi-
ques conje&uroie.nt pareillement qu'elle nous feroit préjudi-
ciable , par l'accroiffement de la puiffance des Guifes. La pri-
fon du connétable de Montmorenci leur ennemi ôc de l'a-
miral de Coligni leur fourniffoit déjà une occafion de faire
tous leurs efforts pour s'emparer de toute l'autorité, dans une
cour pleine de factions. Après le Connétable ôc Coligni, ils
avoientpour adverfaires d'Andelot colonel de l'infanterie Fran-
çoife , que cette charge rendoit très-confidérable dans l'ar-
mée. C'eft pourquoi le duc de Guife > qui vouloit s'attribuer
toute l'autorité fur les troupes , fit accufer d'Andelot devant le
Roi, d'avoir de mauvais fentimens fur la Religion , afin de le
dépouiller de cette dignité. Le Roi confidéroit d'Andelot ,
tant à caufe de l'amitié qu'il avoitpour fon oncle, que par fon
propre mérite , ôc à caufe des fervices importans qu'il avoir
depuis peu rendus au fiége de Calais. Le Cardinal , pour lui
faire perdre l'affection du Roi , fe fervit d'une occafion qui fe
*ouChrtf- préfenta dans le mêmetems. La ducheffe Chriftine *, mère de
tieme. Charle duc de Lorraine , fille d'un Tyran ' barbare ôc inhumain,
ôcd'Elifabethfœur de l'Empereur, haiffoit la nation Françoi-
fe. Cette Princeffe ayant accompagné Philippe, s'étoit avancée
i ChrifUeme II. Roi de Dannem^rc.
DE J. A. DE THOU, Liv. XX. 223
jufqu'à Peronne avec l'agrément du Roi pour y conférer -■
avec fon fils. Le cardinal de Lorraine obtint du Roi la per- Henri II
million de fe rendre au même endroit , avec le duc fon frère. 1 s S 8.
On parla d'abord des moyens de faire la paix , et on dit qu'An-
toine Perrenot évêque d'Arras , qui accompagnoit Chrifti- Conférence;
ne par l'ordre du Roi d'Efpagne ', eut avec le Cardinal des fccretes du
conférences fecretes, dans lesquelles il lui repréfenta,que le Roi Lorraine &
d'Efpagne étoit très-fâché , que des guerres allumées par des de l'évêcuie
motifs d'ambition entretinffent une défunion fatale au vain- dAna-'
queur même, ôc que l'inimitié augmentant de jour en jour
épuisât peu à peu les forces des deux nations , qu'elles dévoient
plutôt réunir contre le Turc leur ennemi commun, ôc celui
de toute la Chrétienté , auquel il négligeoient de réfifter ,
parce qu'étant plus éloigné, il leur par oiffoit moins redoutable :
qu'au refte les deux nations avoient un ennemi beaucoup plus
dangereux, qu'elles nourriffoient dans leurfein, Phéréfie,qui
à la faveur de la défunion des Princes répandoit fon poifon,
ôc qui en attaquant la Religion , corrompoit tous les cœurs;
que laFlandre, ôc la plus grande partie de la France en étoient
infeclées , ôc qu'on ne pouvoit y remédier tant que la guerre
dureroit : qu'une paix fincere ôc folide pouvoit feule étouffer
ce monftre j qu'au contraire fi la divifion continuoit, il étoit
à craindre que les pertes, que les deux Rois feroient dans l'in-
térieur de leurs Royaumes, nefufTent plus confidérables, que
les avantages que l'un ou l'autre remporteroit au dehors :
que Henri en devoit être perfuadé , ôc que le Cardinal méri-
teroit la reconnoiflance ôc la vénération de tous les gens de
bien , s'il engageoit le Roi à confentir à la paix , ôc s'il uniffoit
parce moyen deux Princes puiffans, pour joindre toutes leurs
forces en faveur de la Religion , dont ils ne pouvoient con-
ferver la pureté , tant qu'ils fouffriroient les fedaires répandre
leurs erreurs de tous cotez.
Perrenot , homme pénétrant , découvrit facilement l'effet
de ce difeours fur l'efprit du Cardinal de Guife : connoiffant
d'ailleurs fon génie ambitieux, il ajouta, pour l'ébranler davan-
tage, que Philippe prévoyoit tous les mouvemens ôc tous les
foupçonsque ce projet exciteroit,fi l'on n'en commençoit l'exé-
cution avec une extrême prudence , ôc avec beaucoup de bonne
foi; parce que la réuflite des entreprifes dépend toujours d'un
224 HISTOIRE
? commencement bien concerté : que par cette raifon il avoït
Henri IL long-tems héfité , avant de découvrir à aucun François fes fen-
i j" f 8. timens fur une affaire fi délicate ; mais qu'il profitoit de cette
heureufe occaiion pour fortir de fonirréfolution : que le Génie
tutelaire de la France avoit confervé au milieu des malheurs
qui l'avoient accablée , le Cardinal ôc le duc de Guife fon frère,
pour exécuter un projet Ci falutaire à leur Roi , ôc qui interef-
foit la gloire de Dieu même , fi utile au Royaume ., dont les dis-
putes de religion altéroient la tranquillité , ôc qui combleroit
de gloire la maifon de Guife , en leur attirant la vénération
du peuple, à qui un tel projet feroit agréable , ôc dont ils
avoient intérêt de ménager l'affection, pour prévenir des ré-:
volutions inopinées.
L'évêque d'Arras voyant que la rufe réuflïflbit, ôc que l'am-
bitieux Cardinal ne pouvoit entièrement diflimuler la joie fe-
crete , qu'un difcours fi flateur lui caufoit , continua en ces
termes : *> La Fortune , qui afuggeré ce projet à mon maître,
» vous préfente une occafion pour l'exécuter, tandis que le
» connétable de Montmorenci ôc l'amiral de Coligni fon
=> principal confident font prifonniers : on fca.it qu'ils font
*> vos rivaux , ôc les ennemis de la gloire de votre illuftre
=> maifon : il efl encore public que les Colignis font en Fran-
=> ce l'appui des Sectaires , ôc que Montmorenci , quoique
» peut-être oppofé à leurs opinions , a tant d'affection pour
« cette maifon , qu'il eft prêt de s'expofer lui-même , pour en
;» défendre les biens , ôc la gloire. D'Andelot , qui depuis peu
« s'eft échapé de nos mains , a fur la religion des fentimens
=> impies Ôc indignes d'un Chrétien , dont il infecte les gens de
« guerre , ôc fon mauvais exemple les corrompt , comme nous
=» l'apprenons tous les jours : quoique nous duffions paroître
» nous réjouir de tous ces maux , comme des ennemis ont coû-
=» tume défaire, cependant nous en gémiffbns, ôc nous croyons
« qu'il eft jufte de vous fournir un remède, dont l'effet fera aufïï
*> prompt que falutaire j nous le croyons avec d'autant plus de
» raifon, qu'il nous fera à nous-mçme avantageux, puifque cette
« peftcqui ravage laFrance,s'étenddéjà dans la Flandre,où elle
» s'eft gliffée par le voifinage de l'AUemagne.Or je ne crois pas
» que dans les circonftances préfentes il y ait un plus puif-
p faut moyen de remédier à tous ces maux , qu'une paix afîurée
entrç
DE J. A> DE THOU, L'iv. XX. 22$
* ehtre deux Princes, qui ont autant de puiffance, que de zélé ,
»> pour Ja Religion. Mon Maître ne défefpere pas deréuflîr urMn, tt
r, 1 rr ■ r i • HENRI 11.
»> dans cette grande amure , 11 vous voulez y concourir avec f 8
»> lui , Ôc l'aider de vos confeils : il vous demande votre ami-
» tié , comme il vous offre la tienne par mon miniftere , en
a> vous engageant fa foi , qu'il fera toujours votre protecteur , ôc
» celui de votre illuftre maifon. Mais comme une entreprife
» de cette importance demande un grand fecret , je prendrai
»> dans la fuite de fi juftes mefures, puifque le Roi monmaî-
» tre m'a confié la conduite de cette affaire, que fans donner
»> lieu à desfoupçons , ôc fans hazarder votre réputation , nous
a» pourrons agir de concert , en communiquant enfemble par
=» le moyen de certaines perfonnes , qui paroîtront n'avoir de
•» commerce qu'entre elles. »
Le Cardinal reçut avec joie des propofitions fi honorables,
Ôc en même tems fi avantageufes à lès frères , ôc à toute fa
Maifon déjà très-puiffante en France. Il remercia Perrenot ,
en lui difant que fon mérite juftifioit le choix que le Roi d'Ef-
pagne avoit fait de lui, pour être l'arbitre, ôc le médiateur
d'une affaire de cette importance ; il lui promit de faire pour
les intérêts de fon maître tout ce qui dépendroit de lui , ôc
de fes frères. Telle fut la bafe de l'amitié , ôc tel fut le mo-
tif des complots des Princes Lorrains avec l'Efpagne. Si les
circonftances des tems les ont quelquefois obligez d'abandon-
ner la fuite de ce premier projet , ils y font bien-tôt après re-
venus. Ainfi l'on fe retira de part ôc d'autre de Peronne. On
débita alors que Chriftine étoit feulement entrée en quel-
ques pourparlers de paix , mais qu'on n'avoit pu. rien faire.
te Cardinal , à fon retour, fit courir adroitement le bruit, pour
prévenir les foupçons qui pouvoient naître de cette confé-
rence , que les ennemis l'avoient pourfuivi contre leur parole,
& qu'il n'étoit échapé qu'avec peine de leurs mains. La prife
de Nèfle , qu'un parti de troupes forties de Saint Quentin ôc
de Han faccagea , après avoir taillé en pièces la garnifon, ren-
dit ce bruit affez vrai-femblable.
Dès que le Cardinal fut arrivé à la Cour , il rapporta avec
artifice au Roi les entretiens qu'il avoit eus avec la Ducheffe
Chriftine , ôc l'évéque d'Arras. Il y repréfenta que Philip-
pe craignoit , qu'à la faveur de leurs divifions , les Sectaires
Tom. III. F f
22* HISTOIRE
n infe£taffent de leurs opinions les deux Royaumes , fans qu'on
Henri II Pllt ^ans *a **u*te ^ remedier ; qu'on voyoit déjà les funeftes
< <r 8 progr^s de l'héréfie. Il ajouta qu'il fçavoit par lui-même que
la plupart des Seigneurs du Royaume en étoient imbus , ôc
communiquoient aux autres leurs dangereux fentimens : que
l'évêque d'Arras lui avoit particulièrement défigné Andelot ,
qui avoit ofé proférer en public des paroles facrileges con-
tre le faint facrifice de. la Méfie : que ce motif engageok
Philippe, qui voyoit la religion en péril, à propofer un accom-
modement , fous des conditions que les circonftances pou?*
voient faire accepter 3 quoiqu'une heureufe fortune femblàt
guider les armes de ce Prince 3 ôc que le feu de fa jeuneffe
l'excitât à pouffer plus loin fes conquêtes.
Ce difcours fit imprefîlon fur l'efprit du Roi. D'un côté
l'efpérance qu'on lui donnoit d'une paix prochaine , ôc pref-
que néceiTaire pour remédier au mauvais état de fes affaires,
le flatta beaucoup : ôc de l'autre 3 ce que le Cardinal lui avoit
rapporté 3 touchant les Sectaires qui fe repandoient de tous
cotez, l'allarmai car il avoit pour eux une haine mortelle,
qui lui avoit été infpirée dès le berceau , quoique d'ailleurs
ce Prince fut très-moderé. C'eft pourquoi il ne crut pas de-
voir négliger les avis que le Cardinal lui avoit donnez fur les
fentimens d'Andelot , dont il avoit déjà appris quelque chofe.
Ainfi il donna ordre au Cardinal de Chamllon frère d'Ande-
lot ôc à Montmorenci fon coufm de le faire venir 3 ôc de l'a-
vertir auparavant de répondre avec modération aux demandes
qu'on lui feroit : il leur dit même qu'il trouveroit en lui
un juge favorable , ôc qu'il fouhaitoit le voir innocent du
crime dont on l'accufoit. On manda donc Andelot : après
avoir été averti delà conduite qu'il devoit tenir , ilfepréfenta
au diner du Roi qui étoitàMonceauxjmaifon deplaifance delà
Reine , proche de Meaux.Le Roi témoigna d'abord combien
il avoit d'affection pour lui, ôc s'étendit aufïi fur les fervices
qu'il en avoit reçus. J'ai appris avec chagrin de plufieurs en-
droits , lui dit-il 3 que vous vous éloignez des fentimens ca-
tholiques > ôc en même tems il lui ordonna d'expofer fa foi
fur le facrifice de la Meffe , que les Calviniftes attaquoient ôc
die d'Andelot avoient en horreur. Andelot 3 qui avoit beaucoup de fierté ôc
au Roi. de hauteur , répondit à cette demande , fans rien déguifer \
DE J. A. DE THOU,Liv. XX. 227
fuivantla do&rine de Calvin. Le Roi, qui attendoit ôcfouhai- „•
toit même une autre réponfe , l'exhorta avec bonté à faire quel- jjENRI jj#
ques réflexions fur le danger où il s'expofoit, & qu'il pouvoit ' x ç ç 8.
prévenir 5 mais Andelot répondit avec encore plus de liberté
qu'auparavant : Que les louanges que fa Majefté donnoit à fes
fervices , ôc à fa fidélité le combloient d'honneur , ôc le fla-
toient beaucoup j qu'il avoit tâché de donner en tout des mar-
ques de fon parfait dévouement à fon Souverain , qui avoit
répandu fes faveurs avec libéralité fur lui, ôc fur toute fa fa-
mille; mais qu'en matière de Religion on ne pouvoit uferde
déguifement , ni tromper Dieu : que le Roi pouvoit difpofer
à fon gré de fa vie , de fes biens , de fes charges ; mais que fon
ame,indépendante de tout autre Souverain,n étoit foumife qu'au
Créateur de qui il l'avoit reçue, ôc à qui il croyoit devoir
obéir dans les circonitances préfentes , comme au Maître le
plus puiflant.
Le Roi fut fi irrité de cette réponfe hardie , que de colère „ ǰ,er.e ,du
ayant pris une aiiiette pour la jetter par terre, il en bleiTa par jot eit anêtc.
malheur le Dauphin , qui étoit affis au-deflbus de lui. S'étant
aufïi-tôt levé de table , il donna ordre à Jean de Babou , fieur
de la Bourdaifiere , maître de la garde-robe , de conduire
Andelot à Meaux , où il fut gardé dans l'évêché pendant
quelque tems , ôc d'où il fut enfuite transféré , par un autre ordre
du Roi , au château de Melun. Après l'éloignement d' Andelot,
on ne délibéra pas long-tems fur le choix d'une perfonne , à
qui on pût donner la charge de colonel de l'infanterie Fran-
çoife; on jetta auiTi-tôt la vue fur Blaife de Montluc, à caufe
des fervices qu'il avoit rendus à l'Etat , ôc particulièrement ,
parce qu'il avoit été élevé à la cour du Duc de Lorraine , &
que par conféquent , il étoit attaché à cette maifon. Il refufa
d'abord cette dignité , comme il le rapporte lui-même dans
fes Mémoires, craignant de fe rendre odieux en l'acceptant,
ôc prévoyant en homme fage , qu'il s'attireroit l'indignation
des Montmorencis , dont il croyoit devoir par intérêt ménager
l'amitié, ou du moins ne pas s'attirer l'inimitié.
Le cardinal > enflé de ce fuccès , pour ne pas perdre la moin-
dre occafion de traverfer fes ennemis , entreprit volontiers la
défenfe de Françoife d'Amboife, veuve du comte de Senighem
qui étoit honteufement pourfuivie , comme coupable de la
Ffij
228 HISTOIRE
_, fuite du duc d'Arfchot : Jean Munier, lieutenant civil , qui
Henri II. avo^ informé de cette affaire , fembloit en avoir fait fa pro-
i ç < 8. Pre cau^e^ comme les témoins, qu'il avoit fubornez , le dé-
poferent. La comtefTe de Senighen , qui redoutoit la puiffance
Arrêt con- du Connétable, quoiqu'il fût abfent , abandonnoit prefquefa
lieutenantrci- justification -•> mais à la follicitation du Cardinal , elle accufa
yil Munier de prévarication ; il fut convaincu , ôc puni avec une
rigueur extrême, non pas néanmoins du dernier fupplice ; car
les Juges fe biffèrent fléchir par les larmes du Greffier, qui
écrivoit leurs opinions , & qui avoit été Secrétaire de Mu-
nier. En effet, cet homme ayant eu ordre de lire les opinions,
comme on a coutume , les fanglots lui étouffèrent la voix ; un
des Confeillers , ayant pris le regiftre du Greffier , fut furpris
de le voir fi mouillé de larmes , qu'elles avoient prefque en-
tièrement effacé l'écriture , & il le montra à fes confrères. En
ayant appris la caufe du Greffier même , ils furent touchez de
compaffion , ôc quoique d'une voix unanime ils euffent tous
opiné que Munier méritoit le dernier fupplice , cependant ils
lui remirent la peine de mort. Ce malheureux fut conduit dans
tous les carrefours de la ville, noté d'infamie, ôc enfuite re-
légué dans rifle de Ré. L'affront en rejaillit en quelque fa-
çon fur le Connétable ; car on crut que Munier , qui d'ail-
leurs étoit un magiftrat fevere ôc un bon juge , n'avoit prévari-
quéfi groflierement dans l'affaire de la comteffe de Senighen,
que pour plaire à ce Seigneur.
Le Connétable étant inftruit de tout ce qui fe paffbit , fit
efpérer aux ennemis , qu'il pourroit faire confentir le Roi à
un accommodement ; ils lui permirent donc fur fa parole d'al-
ler à Beauvais , où il parla auRoi , Ôc où il regagna t'es bonnes
grâces ; il fe remit enfuite , avec plus de tranquillité , entre leurs
mains , comme il l'avoit promis. Dès que le Connétable fut
Ï>arti , le duc de Guife , pour fonder les fentimens du Roi ,
ui dit dans une converfation familière : « Je ne doute point,
■ Sire, que le Connétable ne vous ait prié de lui conierver fa
« charge ôc fes biens , ôc d'accorder votre protedion à fes
» enfans. Il paroît jufte que Votre Majefté ait égard à ce qu'il
» vous a demandé, & que vous le laiffiez dans le rang qu'il
» occupe, tant à caufe de fon mérite perfonnel , que des fer-
.» vices qu'il a rendus à l'Etat s mais > s'il mouroit , j'efpere
91
DE J. A. D E T H O U , L i v. XX. 22$
que vous ne donneriez pas à un autre qu'à moi fa char- ~
» ge de Grand-Maître de votre Maifon , dont j'ai déjà fait Henri lî,
» les fondions au mariage de M. le Dauphin ». Le Roilui ré- 1 ^ j 8,
pondit , que le Connétable ne lui avoit point parlé de cela,
mais que les fervices l'engageoient à lui accorder ce qu'il pour-
roit demander, tant pour lui que pour fa famille. Le duc de
Guife i trompé par cette réponfe , n'ofa répliquer , avec d'au-
tant plus de raifon , qu'il fçavoit que la puiffance de fa maifon
faifoit ombrage à la ducheffe de Valentinois , dont le duc
d'Aumale fon frère avoit époufé la fille ; ôc que l'orgueil du
cardinal de Guife , dont cette PrincefTe avoit fait des plaintes
au Roi , l'avoit engagée à fiancer la fille du duc de Bouillon fon
gendre à Henri de Montmorenci fécond fils du Connétable.
Cependant le Roi ayant appris l'arrivée des Allemans , pro-
pofale fiége deThionville. Bourdillon dans ce deffein avoit
été envoyé à Metz , au commencement de Mai , fous pré-
texte de recevoir les Ambaffadeurs de quelques Princes d'Al-
lemagne ; mais en effet , afin de reconnoitre une féconde fois la
place , Ôc préparer ce qui étoit néceffaire pour en former le
fiége. Le duc de Lunebourg y étoit venu : Grombach , "Wol-
fang Schenefes , Baudopré 3 Henri Stoup capitaine de ca-
valerie , ôc Reiffenberg lieutenant de l'un des fils du Land-
grave de HelTe 3 qui commandoit quatre compagnies 3 s'y
ctoient aufïi rendus. Toutes leurs troupes montaient à cinq
mille chevaux ou environ ; les regimens de Rockendorff, de
Reckrod , de Luflebourg 3 des deux ReirTenhergs frères , 6c
de Valdebourg , qui y étoient 3 compofoient un corps d'envi-
ron quatorze mille nommes d'infanterie. Bourdillon mit le
fiége devant Thionville avec ces troupes , aufquelîes Vieille-
Ville, gouverneur de Metz, fe joignit avec une cornette de
cavalerie , ôc les vieilles garnifons de Verdun, de Toul 3 Ôc de
Damviliiers.
Thionville eft dans le Luxembourg ; cette place a cinq Siège Je
angles , ôc a prefque la figure d'une gibecière j elle eft fituée Th
dans une plaine marécageufe , qui la rend prefque inaccefïî-
ble, ôc où elle n'eft commandée par aucune éminence. A
l'Occident, vers le Nord, elle a la Mofelle, qui y paffe mê-
me dans un foffé fort profond. Du même côté , il y a deux
grands baftions éloignez l'un de l'autre , ôc qui n'ont pas allez
Ff iij
hionviae.
23o HISTOIRE
de faillie pour battre ceux qui les attaquent en flanc s elle a
Henri II ^e gran(^es tours en dehors , ôc un large rempart en dedans.
' g Quarebbe , gentilhomme de Louvain , commandoit dans
cette place avec dix-huit cens hommes de pié,ôc deux cens
chevaux.
Le duc de Nevers fe mit en marche le 1 8 de Mai , ôc
étant arrivé à Pont- à-Mouflon , il raflembla toutes les troupes
à Stenai , pour fe rendre avec le duc de Guife à Metz. La
place ayant été reconnue le premier de Juin, le duc de Guife
partit le lendemain, ôc difpofa ainfi fon armée. Il en devoit
commander lui-môme le corps , ôc fe loger auprès de Flo-
renges , au-delà de la rivière. Le duc de Nevers , qui con-
duisit l'avant-garde , devoit aufli pafler le fleuve , ôc fe pofter
à la grange aux poiflbns. Le duc de Nemours avoit ordre
d'avancer plus loin avec la cavalerie légère , ôc d'occuper le
chemin de Luxembourg au-deflus du mont d'Eftrain. Le Sei-
gneur de Jamets étoit au-deflus de lui , proche le chemin de
Mets , avec quelques compagnies de Gendarmes , ôc la ca-
valerie Allemande.
Nos troupes en faifant les approches de la place , avoient ou-
vert de l'autre côté de la rivière > ôc hors de la portée du ca-
non , une tranchée large , ôc très-profonde , avec une levée
afles haute ôc aflés large pour y drefler des gabions ôc de -l'ar-
tillerie , ôc fe couvrir contre le feu des ennemis. On mit fur ce
retranchement trois couîevrines, ôc cinq grofîes pièces de canon
qui tiroient fur le baftion oppofé -, pour démonter, s'il étoit p of-
ficie , une batterie de quatre pièces , qui d'une tour de la ville ,
tiroient fur notre camp , où elles faifoient un grand ravage. De
l'autre côté, on conduifit la tranchée jufqu'à une plate -forme ,
ôc on y drefla une batterie de fix canons , qui battoient à revers
les ouvrages qui couvroient le baftion. On fit encore plus près de
la Mofelle un autre retranchement , où l'on mit cinq canons
pour battre la courtine des deux battions. D'Eftrée ôc plu-
sieurs autres Gentilshommes s'expoferent courageufement au feu
des ennemis , ôc firent voir leur habileté ôc leur expérience dans
cet ouvrage , auquel ils travaillèrent eux-mêmes.
Le cinquième jour du fiége,on commença à battre la place
avec trente-cinq pièces de canon ; ce qui épouvanta extrême-
ment les afliégez , parce que la ville manquoit de défenfeurs,
DE J. A. DE T HOU, L iv. XX. 231
6c qu'ils n'avoient pas cru que la circonvallation dût être Ci-
tât faite. Philippe de Montmorency , comte de Horn , s'étoit Henri ÏI.
avancé pendant la nuit pour faire entrer dans la place trois , , jg(
compagnies de vieilles troupes Efpagnoles ; mais il avoit été
repouffé par les corps de gardes , ôc contraint de fe retirer avec
perte de quelques foldats. Deux jours après quatre compagnies
de Flandre 6c de Namur, avec cinquante chevaux tentèrent inu-
tilement la même chofe. Après que le canon, qui battoit en
flanc, eut renverfé ces ouvrages, oncanonna la place de front
le dix de Juin. Le feu continuel de nôtre artillerie, qui dura pen-
dant trois jours, ouvrit, 6c renverfa prefque entièrement le
baftion rond , 6c fit à la muraille une brèche de plus de qua-
rante pas ; mais il y avoit derrière un rempart prefque impéné-
trable, 6c il falloit , pour aller jufqu'à la brèche, traverferla
Mofelle , quoiqu'on affurât qu'on pouvoit la paffer à gué dans
cet endroit. Cependant quelques autres diffîcuitez , qui re-
gardoient la montée , firent différer l'aiTaut. Le duc de Gui-
fe , qui vouloit ménager fes troupes , fit reconnoître l'en-
droit , 6c chargea de ce foin Blaife de Montluc , qui y alla
avec Salaboz , Millas , Sipierre , Saint Eftef , 6c Montluc
fils. Le lieu ayant été reconnu , 6c le gué fondé avec des piques ,
Montluc rapporta au duc de Guife , qu'au pied de la Tour les
foldats n'auroient de l'eau que jufqu'à la ceinture -■> mais qu'a-
vant que d'y arriver, il y avoit une palliffade qui environnoit
la tour 6c retenoit l'eau.
Le duc de Guife foûtint qu'il n'y avoit point de palliffade ;
6c Montluc, quoique fâché qu'on n'ajoutât pas foi à ce qu'il
affùroit , fe chargea d'examiner une féconde fois l'endroit. Il
prit donc avec lui la nuit fuivante quatre cens piquiers , qu'il
fit coucher par terre à cent pas de la Ville , 6c il approcha de
la Tour avec un pareil nombre d'arquebuliers. Étant arrive près
delà palliffade, il attaque une garde avancée de vingt-cinq fol-
dats , en tuë une partie , met l'autre en fuite , pourfuit les fuyards
jufque dans le retranchement voifin , ôc y entre avec eux.
Enfin il fut obligé de s'arrêter à une porte qu'il ne put forcer,
Il prit cependant une petit pièce de canon , ôc fes troupes
étant forties par la brèche la plus proche , on combattit quel-
que-tems ; on eût pu même donner fur le champ l'affaut à la
Ville , fi les échelles euffent été prêtes. Montluc fit du moins
252 HISTOIRE
. tout ce qui lui étoit pofïible > car on abattit à coups de hache
Henri ÎJ ^a P^h^de, & l'eau s'étant auffi-tôt retirée , les troupes retour-
. , « nerent au camp à pie fee. Nous fîmes quelque perte dans
cette téméraire attaque. Saint Eftef , Sipierre enfeigne , ôc
quelques autres y furent tuez. Cet accident ne troubla point
le duc de Guife; il craignoit néanmoins qu'on ne mandât au
Roi que fes troupes avoient été repoufTées dans un affaut.
Auili-tôt après , par l'avis du Confeil de guerre , on pafTa la
rivière : Montluc ouvrit une tranchée aux pieds de la tour ,
qui regardoit le quartier du duc de Nevers , ôc la conduifit en
trois jours jufqu'au pié d'une groffe tour, appelléelaTourdes
Puces. Montluc étant attaché à faire avancer ces travaux, les
affiégez crurent devoir profiter de l'occafion , ôc rirent une for-
tie du côté de la Mofelle , avec trois cens hommes de pié ,
ôc foixante chevaux , ayant à leur tête Jean Quarebbe : ils
entrèrent dans la tranchée ôc renverferent tout ce qui fe pre-
fenta devant eux i mais Montluc avoit fait faire des coupures
de part ôc d'autre dans les flancs de la tranchée, d'où en biai-
fant on voyoit fur la levée 5 ainfï les foldats qui y étoient
de garde > conduits par le capitaine Lago , prirent tout à
coup en flanc les ennemis , qui fe glorifioient déjà de l'a-
vantage qu'ils avoient remporté. S'étans ralliez , ils foûtinrent
d'abord le choc ; mais ayant feint inutilement de vouloir parle-
menter avec le duc de Lunebourg, ôc nos troupes ne pou-
vant fournir qu'on les amufât , ils furent repouffez dans la ville
avec perte.
Les Anglois que le duc de Guife avoit amenez , firent des
mines fous cette tour. Les ennemis s'en étant apperçus élevè-
rent à la hâte , en dedans , de petites plate-formes , pour tirer
fur nos troupes , dès que la muraille feroit ouverte. Le duc
de Guife , pour remédier à cet inconvénient , fit approcher
une groffe pièce de canon , pour faire brèche en même-tems
qu'on renverferoit ces nouveaux ouvrages. Il commanda aufïï
des pionniers , pour faciliter la montée à la groffe tour. Avant
que de donner l'affaut de ce côté-là , il vouloit fairedreffer une
batterie de quatre coulevrines , pour renverfer les fortifications
oppofées , ôc il avoit retenu Strozzi malgré lui , pour choifir
enfemble le lendemain un lieu qui y fût propre. Mais en exa-
minant cet endroit, Strozzi fut tué d'un coup d'arquebufè , qui
le
D E J. A. DE T H O U , L i v. XX. ±tf
le blefTa au-deffous de la mamelle gauche. Le duc de Guife r -
s'appuyoit alors fur fon épaule ; Adrien Baglioni, ôc le comte Henri IL
Théophile Calcagnini fes amis intimes étoient à côté de lui. w, g_
Le coup fut fi mortel qu'il ne put dire que ces paroles : Le
Roi perd par ma mort un bon <& fidèle ferviteur. Strozzi fut un
homme d'un grand courage , que fa prefence d'efprit , fa va-
leur , fon habileté , Ôc fon expérience , égalèrent aux plus fameux
Capitaines de fon tems 3 ôc mirent au-dellus de pluiieurs. On
cacha fa mort par l'ordre du duc de Guife , de crainte que cet
accident ne décourageât le foldat prêt à monter à l'aflaut.
La pièce de canon ayant été placée , le duc de Guife fit met-
tre devant des planches de l'épaifleur d'un pied 3 qui étoient
portées fur des roues , ôc qu'on pouvoit élever avec des cordes
après que le canon auroittiré , pour mettre la batterie ôc les ca-
noniers à couvert du feu des ennemis. Il y a voit au ffi entre la
Tour Ôc l'ouvrage voifin quatre cens hommes couverts par des
mantelets , ôc qui écartoient à coups de moufquet les ennemis
qui ofoient paroître pour tirer d'en haut. Il fe faifoit de part
ôc d'autre un grand carnage 5 les logemens que nous avions faits
au pié des fortifications de la ville , ôc une batterie de quatre
coulevrines, dont François Rafin , dit Poton, Sénéchal d'A-
genois, avoit foin , incommodoient extrêmement les afîiégez;
mais de leur côté ils mettoient tout en ufage pour leur défenfe >
nos troupes étoient en bute aux pierres } aux arquebufades , aux
pots à feu que les ennemis lançoient ; enforte qu'on ne pou-
.voit même dreffer les gabions 3 qu'on met ordinairement pour
couvrir les batteries. Le duc de Nevers ôc Bourdillon averti-
rent inutilement Montluc de fe retirer d'un endroit où il étoit
expofé à un danger manifefte ? il craignoit qu'en fe retirant
tous fes gens n'abandonnaiTent ce pofte. Comme s'il eût été
réduit aux dernières extrêmitez , il prit un parti que le defef-
poir fembla lui fuggerer : il donne ordre à Volmar capitaine
d'infanterie de fe jetter , à la faveur du canon qui droit, avec
fix arquebufiers } ôc deux piquiers /dans les ravelins que les
ennemis avoient faits depuis peu derrière le mur, ôc de les en
chafTer. Il commande en même-tems à un autre capitaine de
monter fur la Tour avec quelques foldats , par ce chemin dont
nous avons parlé ; mais à peine ce dernier y fut-il parvenu avec
un de fes gens \ qu'on tira fur lui d'un ouvrage voifin , ôc qu'il
Tome III. G g
234 HISTOIRE
tomba mort erître le duc de Nevers & Bourdillon. Montîuc
Henri IL ne perd cependant pas courage, il preffe, il excite Volmar
1558. par l'exemple de l'autre capitaine, il lui dit qu'il eft déjà fur la
tour : Volmar fe jette avec les Tiens dans ces ravelins, qui n'é-
toient encore couverts que de planches ; l'ennemi les abandon-
ne : Volmar eft bien-tôt fuivi deMontluc le fils , de ColTens , de
la Mole, de Caftel-Sagrat, ôc de Des-Aufillons, tous Gafcons.
Montluc le père leur infpire une nouvelle audace , 6c les ani-
me à tout tenter pour la gloire de leur payis. On combat vi-
goureufement 5 l'ennemi fait tous fes efforts pour regagner ce
pofte , mais leur chef eft tué. D'Anglure, Ôc Vallenville iurvien-
nent avec trente hommes d'élite î le duc de Lunebourg, qui
avoit ordre d'y envoyer quelques-uns de fes foldats > accourt
lui-même avec fes troupes : enfin les François reftent maîtres
de ces ravelins. On a fçu depuis que la jaloufie avoit defuni
les Efpagnols ôc les Flamans \ chacune des deux nations vou-
lant fe charger à l'envi de la défenfe de ces ravelins , ôc
que Quarebbe , pour finir la conteftation , en avoit donné
la garde à fa compagnie. Les Efpagnols lui en firent même
un crime auprès de Philippe ; il fut arrêté ôc retenu long-tems
prifonnier en Efpagne , où l'on a coutume de punir avec fé-
vérité la lâcheté des foldats , ôc les fautes des commandans.
En effet cette defunion fut caufe que ni les uns ni les autres
n'agirent pas dans cette action avec toute la vigueur dont ils
étoient capables.
Le duc de Guife accourut aufli-tôt en cet endroit , ôc fit ■
abattre les ravelins. Les Allemands y travaillèrent eux-mêmes ,
ne pouvant fouffrir la lenteur des pionniers. Dès que ces ou-
vrages furent démolis , ils étendirent d'avantage leurs loge-
mens dans la Tour. On réfolut enfuite de faire des mines fous
les fortifications qui étoient derrière, ce qui fut promptement
exécuté la nuit fuivante , fous les ordres du duc de Nevers Ôc
de Bourdillon.
Frife de Le lendemain les afiiégez ne pouvant rien efpérer d'une
Thionville. réfiftance plus opiniâtre , envoyèrent un Trompeté pour de-
mander à parlementer. Rabutin rapporte que Quarebbe fortit
lui-même de la place , pour traiter ues articles de la capitula-
tion , après qu'il eut pris fes furetez , ôc qu'on lui eut donné
en otages Haultcourt Gouverneur d'Yvoy , ôc le capitaine
DE J. A. DE THOU, Liv. XX. 23?
Cadiou gouverneur de Montmedi. Si ce fait eft vrai , Qua- *
rebbe agit alors contre les règles de la guerre , qui ne permet- Henri II.
tent pas qu'un Gouverneur d'une place afîiégée en forte pour 1 5 y 8.
parlementer. ?4ontluc rapporte qu'on donna de part ôc d'au-
tre quatre otages , mais il ne dit point que le Gouver-
neur fortit pour la capitulation. Elle fe fit à ces conditions :
Que la Ville feroit remife de bonne foi au duc de Guife dans
l'état où elle fe trouvoit : Que l'artillerie , la poudre , les bou-
lets , les enfeignes ôc les armes refteroient entre les mains du
vainqueur : Que la cavalerie pourroit fortir avec armes ôc che~
vaux,ôc l'infanterie avec leurs épées, leurs bayonnettes , ôcles
autres bagages , fans crainte qu'on les attaquât : Que les Ecclé-
fiaftiques,les Gentilshommes, ôc le refte des habitans pourroient
emporter leur or , leur argent , ôc leurs autres effets : Qu'on
ne feroit aucun outrage aux femmes , ôc qu'enfin on prêteroit
des chariots , des batteaux , ôc tout ce qui étoit néceffaire pour
conduire en lieu de fureté , tant les malades , que ceux qui
étoient en fanté. Ceci arriva le 22. de Juin. Le même jour
quatre mille habitans fortirent de la place , ôc furent fuivis le
lendemain par quinze cens hommes de la garnifbn , qui étoient
prefque tous bleffez à la tête, parceque nos troupes, qui étoient
logées au pie de la Tour, à couvert fous des mantelets , avoient
tiré de bas en haut fur tous ceux qui ofoient paroître. Nous
perdîmes quatre cens foldats dans ce fiége ; mais il y en eut
un plus grand nombre de bleffez , qui furent conduits à Metz>
pour être traités dans l'hôpital que Gafpard de Coligny y avoit
autrefois fait bâtir avec autant de prévoyance que d'humanité.
Le duc de Nevers entra enfuite dans la Place , pour empêcher
que le foldat ne fe portât à des excès contraires à la capitu-
lation. On donna le gouvernement de la ville à François de
Vieille-Ville , avec huiteompagnies d'infanterie pour la garder.
Après la prife de Thionville, le duc de Guife écrivit à
l'électeur de Trêves , dont les terres n'en font pas éloignées,
pour l'affurer de l'affection du Roy à l'égard de tous les Princes
de l'Empire ôc de l'Empire même , ôc il lui promit que les
garnifons Françoifes ne feroient aucun dégât dans les terres de
fa dépendance.
On attaqua enfuite le château d'Arlon, qui eft à dix mille
de Metz. La garnifon étoit compofée de cent - cinquante
Ggij
A3* HISTOIRE
Allemands , 6c de quatre cens Flamans. L'efpérance d'être fe-
HenriII. courus les empêcha de fe rendre, quoiqu'on les eût fommés.
i $ 5 8. Montluc ayant fait furie foir la circonvallation de la place ,
fit defcendre pendant la nuit un foldat Flamand dans le fofle.
Ce foldat monta , par un degré qu'on avoit fait dans la terre ,
jufqu'aux retranchemens que les ennemis élevoient à la hâte.
Après qu'il eut reconnu le lieu , fans être vu ni entendu de
perfonne. , il revint trouver Montluc , ôc lui rapporta qu'on ne
faifoit point de garde de ce coté là, qu'on pouvoit y monter
fi facilement , que s'il vouloit s'emparer de ce porte, ilfe ren-
droit infailliblement maître de la place. On renvoya le foldat
avec quatre arquebuliers , ôc deux capitaines > dont l'un s'ap-
pelloit Gous : le foldat s'étant approché des fortifications , à la
faveur de la nuit qui étoit fort obfcure, la fentinelle lui cria
en Allemand , qui va là ? Il répondit en la même langue , Ami ,
ôc lui dit que l'affection qu'il avoit pour fes compatriotes l'o-
bligeoit de les avertir du péril , où ils aîloient être expofez >
que le lendemain le duc de Guife devoit arriver pour foudroyer
la place avec toute fon artillerie; mais que ce Général voulant
épargner les Allemands, 1 avoit chargé de les avertir, que s'ils
ne fongeoient de bonne heure à leur falut , tout le fais de la
guerre tomberoit fur eux , ôc qu'ils fentiroient les terribles ef-
fets de la fureur du foldat. Pendant qu'il amufoit ainfi la fen-
tinelle ) un grand nombre de nos troupes venoit à la file , ôc
Montluc lui-même étoit defcendu dans le foffé. Le foldat Fla-
mand demandent du vin, pour fe rafraichir de la chaleur qu'il
difoit avoir foûtenuë pendant le jour entier , lorfque nos trou-
pes entrèrent , ôc ayant chaiTé les ennemis de ce pofte , les pour-
fuivirent jufqu'aux maifons. Le foldat accourut à l'endroit où
les Allemands s'étoient enfermés : il fit tant par prières ôc
par menaces, qu'ils ouvrirent les portes, ôc fe rendirent. Les
foldats victorieux n'en vinrent à aucune violence : il fut aifé de
voir que ces vieilles troupes étoient accoutumées à la difei-
pline militaire , puifqu'elles furprirent cette place , ôc l'em-
portèrent fans répandre de fang. Mais par malheur le feu ayant
pris aux poudres , ôc s'étant communiqué à trois maifons , le
vent qui étoit violent augmenta l'incendie , enforte que la
Ville , où il y avoit beaucoup de lin , qui croît en abondance
dans ce payis , fut prefque entièrement réduite en cendres.
DE J. A. D E T H O U , L i v. XX. 237
Cet accident arriva le trois de Juillet. Enfin le feu étant éteint, '-
en ruina toutes les fortifications de la Ville , ôc on la laifla ou- Henri II.
verte de tous cotez. 1 S S %-
On forma enfuite le deflein d'afïiéger Luxembourg , où
Pierre Erneft de Mansfeld , gouverneur de la Province , s'é-
toit enfermé avec Je comte de Hoye , ôc une forte garnifon
d'Efpagnols , ôc d'Allemands. Le duc de Nevers ayant mar-
ché de ce côté-là , avec trois mille chevaux Allemands , ôc
quelque cavalerie Françoife , perdit inutilement le tems à
efearmoucher. Haultcourt y fut aum* envoyé à la tête de cinq
compagnies d'infanterie, ôc de deux cens «arqucbufiers à che-
val , appeliez Carabiniers ' , ôc avec de Prie , 6c la cornette du
comte de Viliars dont il étoit lieutenant, pour s'emparer de
Roffignol , de Villemont ôc de Chiny , trois Forts que les enne-
mis avoient repris , 6c qui font proche d'Herbemont. Il brûla, ôc
fit rafer Roffignol ôc Villemont , mais on jugea à propos de for-
tifier Chiny, pour couvrir Yvoi ôc Herbemont. La divifion fe
mit quelque tems après entre les troupes Françoifes , Ôc les Alle-
mands , qui ordinairement de l'oifiveté parlent bien-tôt à la
fédition 5 ils en fullent venus aux mains , ii le duc de Nevers
n'eût interpofé fon autorité. Ces expéditions de peu de consé-
quence, ôc les accidens qui furvinrent après îaprife deThion-
ville, arrêtèrent nos troupes fans aucun fruit. Dans le même
tems les tentes , les chevaux , ôc les équipages du duc de
Guife , ôc une partie de ceux de Bourdillon furent brûlez ,
fans qu'on pût fçavoir la caufe de ce malheur : enfin on
pafTa dix-fept jours à faire repofer l'armée à Arlon, ôc à Vi-
reton, dans un tems où le duc de Guife eût pu fe joindre
à Paul de Thermes , ôc prévenir par fa diligence une défaite
qui ruina entièrement nos affaires , déjà en affez mauvais
état.
On avoit réfolu dans le Confeil du Roi, que de Thermes,
à qui on avoit exprès donné le gouvernement de Calais , fe-
roit des courfes dans le comté de Saint-Pol , pour répandre la
terreur dans tout ce Payis j que dans le même tems , le duc
de Guife marcheroit de ce côté - là , avec les Allemands
ce & ailleurs , appeliez carabins 6c de-
puis carabiniers. Une carabine étoit
1 C'eft la première fois que l'Au-
teur parle de cette efpece de trou-
pes , qui ont parte d'Efpagne en Fran- une petite arquebufe à roiiet
G g »i
2j8 HISTOIRE
— auxiliaires , qu'il devoit lever dans le payis de Mets , ôc de Touï,
Henri IL & qu'il attendroit le duc d'Aumale fon frère , qui raflembloit
i s* < 8. ^es tr°upes à la Fere en Vermandois. Si ce projet eût été
exécuté j Philippe eût été réduit à une telle extrémité , qu'il au-
roit été obligé de recevoir de nous les loix qu'il nous donna
dans la fuite : mais les intérêts perfonnels étouffant déjà dans
le cœur de quelques François l'amour de leur patrie , ce pro-
jet 3 qui devoit être fi avantageux , fut éludé par un retarde-
ment pernicieux , ôc comme quelques - uns l'ont crû , par
une lenteur concertée avec nos ennemis.
De Thermes partit donc de Calais, au commencement de
Juin, avec cinq mille hommes d'infanterie , en partie Gafcons,
mais la plupart Allemands, ôc quinze cens chevaux , emmenant
avec lui Jean d'Eftouteville, fieur de Villebon, Annebauld, Se-
narpont, ôc le comte de Chaulnes. Après avoir pafifé la Foffe-
neuve, qu'on appelle ordinairement Boîaïe , il mit en fuite des
payifans , qui vouloient s'oppofer au paflage de fes troupes.
Laiffant derrière lui Gravelines ôc Bourbourg, il arriva à Dun-
kerque, port de mer, le 2 de Juillet. Quatre jours après on
prit cette ville d'affaut , pendant que les Bourgeois parlemen-
toient ; elle fut pillée, ôc on y mitgarnifon. De Thermes s'avan-
çant enfuite plus avant dans le payis, fe rendit maître fans beau-
coup de peine ôc abandonna au pillage Bergues-faint-Winoc,
ville fort riche. Mais la goûte, dont il étoit ordinairement in-
commodé, l'empêchant alors d'agir , il remit le commandement
de l'armée à d'Eftouteville. Ce Capitaine , accoutumé aux pilla-
ges ôc aux embrafemens , laifla trop de liberté au foldau il fe
commit des cruautez inoûies dans ce payis , qui fut ravagé juf-
qu'à Nieuport.
Philippe , pour détourner l'orage que fa prévoyance lui fai-
- foit craindre , fi le deflein des François , dont il avoit été in-
formé , eût été exécuté aufïi fidèlement qu'il avoit été prudem-
ment conçu , avoit envoyé le duc de Savoye vers le comté
de Namur , avec ordre d'affembler les troupes à Maubeuge, ôc
de s'oppofer au duc de Guife. Mais voyant qu'après la priie de
Thionville , ce Général perdoit fon tems à Arlon ôc à Vi-
reton , il crût devoir profiter de l'occafion , ôc réfolut d'atta-
quer les François embaraffez de leur butin , avant qu'il leur
fût venu un renfort plus coniidérable de troupes. Il chargea de
DE J. A. DE THOU, Liv. XX. 23P
î'exécution le comte d'Egmond , capitaine de grand courage 3
dont l'activité lui avoit fait remporter la victoire de Saint- Henri II,
Quentin. Le Comte vint de Flandre, dontiiétoit Gouverneur, * S S &•
à Gravelines ; il s'y pofta , ce lieu étant entre Dunkerque , ôc
Calais où nous devions faire nôtre retraite. Ponce de Laîlain
fieur de Binicour , maréchal de camp , fe joignit à lui dans cet
endroit : ayant raffemblé les garnifons de Bethune , Saint Orner,
Aire ôc Bourbourg , ôc reçu le renfort que le duc de Savoye
lui avoit envoyé de Maubeuge , il forma une armée de douze
mille hommes de pié , ôc de trois mille chevaux , outre un
grand nombre de Payifans , tant hommes que femmes ,
qui fe rendoient de tous cotez à fon camp , pour profiter de
l'occafion de fe venger de tous les outrages qu'ils vendent
de recevoir.
Dès que de Thermes , qui attendoit le duc de Guife de jour à
autre , en fut informé , il fit revenir fes troupes , qui étoient
difperfées de tous cotez. Quoique malade , étant monté à
cheval , il campa proche de Gravelines , pour chercher les
moyens de fe retirer ; mais il y fongea trop tard : le comte
d'Egmond étoit déjà en préfence à la portée du moufquet. De
Thermes tint pendant la nuit un Confeil de guerre , où l'on
réfolut unanimement de fe retirer du côté de la mer , à Calais ,
pendant le reflus , ôc de profiter du moyen que la nature
offroit pour fe mettre en lieu de fureté. Nos troupes paffe-
rent facilement à l'embouchure de la rivière d'Aa 3 que le
reflus rendoit plus baffe. Dès qu'Egmond s'en apperçut 3 il
paffa aufli la rivière au-deffus de Gravelines avec lès troupes,
Ôc fe préfenta de front à l'armée Françoife , qui avoit déjà
franchi ce mauvais pas. Alors deThermes ne fe voyant d'autre
reffource que fon courage , ayant la Mer au Nord , la Foffe-
neuve à dos , ôc l'ennemi à gauche , ôc en tête ; fe rangea
en bataille de "telle forte, que croyant n'avoir rien à craindre
ni derrière lui ni à fa droite, il mit à fa gauche vers le Midi
les chariors ôc le bagage , ôc plaça à la tête de fes troupes
fon artillerie , qui confiftoit en quatre Coulevrines ôc trois
Fauconneaux : il laiiTa un grand efpace à la cavalerie , que
les Gafcons foûtenoient des deux cotez , ôc qui étoient fuivis
des troupes Françoifes ôc Allemandes.
Le comte d'Egmond au contraire ne jugeant pas à propos
24û HISTOIRE
de différer, ni d'attendre du canon, de crainte que* pendant
Henri II. Ce tenis les François ne lui échapaffent , partagea fa ca-
1 S S $' valerie en cinq efcadrons : il envoya devant les chevaux-
légers , qui étoient divifez en trois corps ; le comte de Pont-
de-Vaux avoit la conduite de l'aile droite , Henrique Hen-
riquez Aragonois étoit à la gauche , ôc d'Egmond au corps
de bataille > la cavalerie Allemande fuivoit , fous la condui-
te de Lazare Schwendi ; les compagnies de Gensd'armes
Flamans marchoient enfuite ayant à leur tête les comtes de
Renty ôc de Reux : l'infanterie étoit divifée en trois corps,
Î>arce qu'elle étoit compoféede trois différentes nations , d'Al-
emands, de Flamans, Ôc de vieilles troupes Efpagnoles; elle
étoit commandée par Hildmar de Munchaufen gentilhomme
de Saxe, Binicourt, ôc Carvajal Efpagnol.
Le comte d'Egmond ayant ainfi difpofé fon armée , fon
courage ne put foufïrir un plus long retardement; Nous fommes
vainqueurs , s'écria-t-il , que ceux qui aiment la gloire ôc leur
patrie me fuivent. Il pouffa en même tems fon cheval avec
impetuoiité : les Gafcons foutiennent ce premier choc avec
beaucoup de fermeté , à la faveur du canon qui renverfa les
premiers rangs des ennemis , ôc qui tua même le cheval du
comte d'Egmond : l'ennemi fuperieur s'approche : l'infanterie
contre l'infanterie, la cavalerie contre la cavalerie ; tout fe mêle,
tout combat : l'efperance d'une vicloire prefque certaine ani-
me les Flamans : le défefpoir donne aux François une nou-
velle audace. On fut long-tems fans s'appercevoir de quel côté
panchoit la vi&oire ; les Gafcons pour l'emporter firent des
prodiges de valeur , ôc s'expoferent à tout , par un courage
naturel à leur nation; mais les Allemands n'étoient que com-
me des fpe6tateurs inutiles du combat , qu'ils regardoient d'un
ceil tranquille , ôc la pique haute. La cavalerie fe trouva trop
refferrée , ôc n'agit que foiblement. Enfin un accident imprévu
décida du fort de cette journée ; car pour comble de mal-
heur, dix vaiffeaux Anglois abordèrent par hazard fur cette
côte : ayant vu de loin le combat , ils tirèrent fur le côté droit
de nos troupes, où elles croy oient avoir moins à craindre. L'in-
fanterie ne put foutenir cette attaque inopinée : les rangs s'ou-
vrent , la cavalerie fe fépare , le corps de bataille plie ; en-
fin la cavalerie ayant la première pris la fuite , l'infanterie fut
entièrement
DE J. A. DE THOU, Liv. XX. 241
entièrement défaite , après une vigoureufe réfiftance , êc un ■ !
combat opiniâtre. HenriII.
Il refta fur le champ de bataille quinze cens François; mais un 1 j $ Ê .
plus grand nombre tomba entre les mains des payifans , Ôc des Défaite dea
femmes mêmes : le fouvenir des maux au ils avoient foufferts taS'dt **
les rendoit furieux , ôc ils fe firent un plaifir cruel de mafia- Gravelines,
crer ces malheureux , que l'épée du vainqueur avoit épargnez.
Plusieurs périrent dans les flots de la mer 5 prefque tous les
principaux ofïiciers,comme de Thermes, Villebon,Annebauld,
Senarpont , le comte de Chaulnes , & Morvilliers furent pris.
Les vaiffèaux Anglois firent deux cens prifonniers , qu'ils euf-
fent pu. noyer , mais à qui ils aimèrent mieux fauver la vie ,
pour les conduire comme en triomphe en Angleterre , ôc les
préfenter à leur Reine. Cependant cette vicloire coûta du fang
aux ennemis , qui perdirent plus de cinq cens hommes , ôc en-
tr' autres Pelu , gentilliomme Flamand , Ôc officier très-
brave.
On blâma de Thermes de ce qu'il avoit été trop facile à per-
mettre le pillage , fans prévoir ôc fans fe mettre en état de
prévenir le danger , ni fonger à la retraite , ôc de n'avoir pas
profité du moins de la nuit qui précéda le combat, pour dé-
camper. Mais fa maladie l'excufa en partie , ôc les ennemis
même le juftifierent 3 car leurs écrivains difent que ce Général
ne refta fi long-tems dans le comté de Saint-Pol , que par les
ordres du Roi, pour y attendre le duc de Guife, qu'il efpe-
roit devoir le venir joindre , comme on en étoit convenu.
Tel fut le trifte fort de la bataille de Gravelines qui fe don-
na le 13 de Juillet. Cette fatale journée, qui fuivit défi près
celle de Saint Quentin , dont la France commençoit à répa-
rer les pertes, mit le comble à nos malheurs, ôc obligea le
Roi, qui s'ennuyoit de la guerre , quoique les commencemens
en euffent été heureux , à confentir à la paix , que l'amour du re-
pos lui fit fouhaiter , quelque défavantageufe qu'elle fut. Lorf-
quele duc de Guife, qui etoit à Vireton,eut reçu cette facheufe
nouvelle , ôc qu'il eut appris en même tems que les ennemis
s'étoient déjà affemblez en grand nombre aux environs de
Maubeuge ôc de Marolles places peu éloignées de Guife ,
voyant qu'on étoit dans l'impuiflance d'attaquer la Flandre ,
comme on l'avoit projeté, paffa par Sedan, Mezieres, ôc la
Tome III. H h
mbMSmJim
242 HISTOIRE
■5 Tierache , êc fe rendit le 28 de Juillet à Pier r e-Poftt ; pofte
HenriII. fitué entre la Picardie, ôcla Champagne, & commo de pour
155-8. y former un camp, afin de marcher par tout où il fer oit né-
ceflaire.
. °"cIllnte Dans le même tems qu'on recevoit de tous cotez de fa-
des Pfeaumes , r „ r À _.
en vers Fran- cneules nouvelles , au iujet des avantages que remportoient
cois à Pans,. ies ennemis de la France, ce Royaume étoit encore agité
cîercT. ' de divifïons inteftines. Une grande quantité de perfonnes
prenant à Paris le frais fur le foir, comme c'eft la coutume,
dans le pré aux Clercs, au-delà du fauxbourg" faint Germain,
quelques Religionnaires , dont le nombre s'augmentoit de plus
en plus , eurent la hardieffe de chanter en fe promenant les
Pfeaumes de David en vers François. Les zelez Catholiques
.s'imaginèrent que ces Proteftans n'agiflbient ainfi, que pour
fe faire des profelytes, par la douceur de ces chants, ôc par
l'amour de la nouveauté , qui fait toujours beaucoup d'im-
preffion fur les efprits foibles. Cette conjecture n'étoit pas fans
fondement ; car prefque tous ceux qui étoient à la promena-
de, quittèrent les jeux qui les amufoient, ôc fe joignirent
à ceux qui chantoient, pour chanter les mêmes Pfeaumes.
La promenade fut plus fréquentée les jours fuivans ; on y vit
même Antoine roi de Navarre , ôc la reine Jeanne fon épou-
fe, dont les fentimens fur la Religion étoient déjà fort fuf-
petts. Le Clergé ne le put fouffrir , prétendant qu'on ne chan-
toit ces Pfeaumes en vers François , qui étoient entendus
de tout le monde , que pour faire méprifer au peuple l'ancien
ufage introduit par FEglife Romaine,fuivant lequel on doit faire
le fervice divin en langue Latine. La chofe fut rapportée au
Roi , comme s'il y eût eu de la cabale , ôc de la fédition ; il
donna ordre qu'on informât contre les auteurs de ce fcanda-
le , ôc on défendit , fous peine du dernier fupplice , de tenir
dans la fuite de pareilles affemblées , Ôc de chanter ces Pfeau-
mes en public.
Defcente §ur ces entrefaites, on apprit que l'armée navale Angloife,
des ennemis r, -, . l .* / vrr j *-"
snBi-etaone. compolee de cent-vingt navires de dinerente grandeur, avoit
paru fur les côtes de Normandie fous la conduite de Milord
Clinthon. Comme on craignoit principalement pour le Havre
de grâce , ôc pour Dieppe , le duc de Bouillon gouverneur de la
Province eut ordre de s'y rendre , pour défendre ces côtes. La
DE J. A. DE THOU, Liv. XX. 243
flotte Angloife ayant côtoyé la Bretagne , en cherchant un — — . ■»■■■■■
endroit commode pour une defeente , aborda enfin le dernier jjenri H.
de Juillet au Conqueft, port fameux de Bretagne , où eft le . . g^
Couvent de S. Mahé , fitué dans un endroit que les habitans
du payis appellent le bout du monde. Elle mit à terre des
foldats dès la pointe du jour : cent cinquante payifans , à la fa-
veur du canon de la place , foûtinrent pendant quelque-tems
l'effort des ennemis. Mais fept mille Anglois s'étans jettez
fur ces payifans , qui la plupart étoient fans armes , ôc le ca-
non des vaiffeaux favorifant leur defeente , les habitans n'o-
ferent plus refifter , ôc n'efpérant pas de fecours , ils abandon-
nèrent la place. Les Anglois s'en emparèrent auffi-tôt. La
ville fut livrée au pillage 5 la fainteté des Temples ne les mit
point à couvert de l'avarice du foidat j tout fut en proye à la
barbarie la plus cruelle > ôc à la dernière brutalité. Mais Ker-
fimon , feigneur de ce payis arriva à l'improvifte avec fept
mille hommes, qu'il avoit alTemblez en faifant allumer de
grands feux dans la campagne pour fervir de lignai 5 on chaffa
les ennemis , qui furent enfin obligez de regagner leurs vaif-
feaux avec perte de fix cens hommes. On fit plus de cent
prifonniers , entre lefquels il fe trouva un Hollandois, qui dit
que la flotte Flamande compofée de trente voiles ou environ t
fous la conduite de Waackene , s'étoit jointe dans l'Ifle de
Wight y par l'ordre du Roi d'Efpagne , à la flotte Angloife >
qu'on avoit enjoint aux officiers fous peine de la vie de s'em-
parer de Breft, qui eft un port de mer très- fur dans ce payis 5
ôc qu'à delTein de s'en rendre les maîtres , ils avoient fait cette
defeente. Cependant les milices des Diocefes de Léon ôc de
Cornouaille s'étant affemblées jufqu'au nombre de trente mille
hommes , les ennemis fe retirèrent à fille de Bail qui eft éloi-
gnée de douze lieues de la terre ferme , quoiqu'ils euffent reçu
un renfort de trente vaiffeaux de guerre 5 mais les payifans les
fuivirent des yeux , le plus loin qu'il leur fut poffible 3 de crain-
te d'en être furpris. Jean de BroiTes duc d'Eftainpes , gouver-
neur de la Province , ayant levé fept mille chevaux ôc quinze
mille hommes de pié , accourut de ce côté-là, ôc les fortes
garnifons qu'il mit dans Breft Ôc dans Saint - Malo , rendirent
inutiles tous les efforts des ennemis.
Le duc de Guife étant arrivé à Pierre-Pont ? Jean Guillaume ,
H h ij
244 HISTOIRE
ggg » l'un des fils de l'éle&eur Jean Frédéric de Saxe y vint auiïi
Henri IL avec fept cornettes de cavalerie Allemande, qui formoient un
! f ç g. ' corps de deux mille hommes , la plupart de Pruffe ; il étoit ac-
compagné de Jacob d'Aufbourg , capitaine d'expérience ôc de
réputation , qui commandoit dix compagnies d'infanterie bien
entretenues , ôc qui avoit été autrefois lieutenant d'Albert de
Brandebourg fi fameux par fes ravages dans l'Allemagne. Le
Roi étant à Marchetz alla le fept d'Août au-devant du Prince
de Saxe , qui avoit à fa fuite cent Gentilshommes > ôc le reçut
magnifiquement : il le remercia des fecours qu'il lui amenoit,
ôc promit de rendre le même fervice à ce Prince Ôc à fon illuf-
tre maifon 3 quand l'occafion s'en prefenteroit. Le lendemain
le Roi fît la revue de fon armée. Jamais aucun de nos Rois n'en
avoit eu une fi nombreufe, fi l'on en croit Montiuc , qui ra-
porte s que lorfqu'elle fut rangée en bataille , elle occupoit une
lieue ôc demie de terrein , ôc qu'il falloit trois heures de tems
pour en faire le circuit : depuis l'aîle droite jufqu'à la gauche ,
elle formoit un demi cercle : l'aîle gauche s'étendoit jufqu'à
Laon fur le chemin de Crecy 5 elle étoit compofée des arque*
bufiers de Faverolles ôc de Trichafteau au nombre de deux cens,
Ôc de la cavalerie légère fous la conduite des capitaines Pieries ,
Nogaret , la Vallette , Rotigotty , Lagny ; ôc du Bâtard de
Bueil : les cornettes étoient chacune compofées de cent hom-
mes. Le duc de Lunebourg les fuivoit à la tête de quatre
compagnies de cavalerie. Les gens armés à la légère, qui for-
moient un corps de quatre cens hommes ou environ , dont
Antoine de Luxembourg comte deRouiîi , Lombay , Truche-
pot, Thomas Albanois, ôc de Cleves comte d'Eu étoient les prin-
cipaux officiers, marchoientenfuite, avec la compagnie de Gen-
darmes du duc deNemours, qui commandoit la cavalerie-legere.
Le duc de Guife étoit au corps de bataille, avec les com-
pagnies de Gendarmes de la Roche-fur-Yon , de Curton , de
la Roche-Foucault-Randan , de Defcars , de la Vauguion ;
d'Hangeft-Janlis , de la Roche-du-Maine , ôc de Montmoren-
ci , qui étoient chacune de cinquante chevaux. Il y avoit aufïî
quatre compagnies Allemandes fous la conduite des Sche-
neves , qui étoient foûtenuès par celles de Beauvais , de Tava-
nes , de Bourdillon , du duc de Lorraine , ôc du duc de Guife
même. Baudopré étoit devant le duc de Guife, avec cinquante
DE J. A. DETHOU, Liv.XX. 24*
des gardes de ce Duc à cheval , 6c à côté cinquante arquebu- ——■—"— »—
fiers à cheval, fous la conduite de Ventou. Le iils de JeanFre- Henri II.
deric de Saxe étoit au - deffous du duc de Guife , à la tête 1558.
de fept compagnies , ôc à côté de lui les regimens de Reiffen-
bergers & de Falkemburg , qui étoient couverts par quatre
cornettes de cavalerie Allemande, que commandoit Henri
Stoup. Les cornettes du Prince de Salerne ,d'Eleonor Chabot
comte de Charni , ôc du connétable de Montmorenci étoient
fur la même ligne. Elles étoient fuivies de dix compagnies
Allemandes fous la conduite de RockendorfF, ôc de fix com-
pagnies SuifTes , que commandoit Guillaume Frelich. On avoit
placé en cet endroit quinze gros canons, douze coulevrines,
ôc tous les équipages , que couvroient de ce côté feize com-
pagnies de pionniers , ôc pardevant quatre compagnies de vo-
lontaires. Huit compagnies Françoifes couvroient ï aîle droite,
ôc derrière elles il y en avoit neuf autres d'Allemands fous la
conduite de Reckrod. Le fils du Landgrave étoit à leur côté
droit avec quatre compagnies. Les cornettes du Dauphin ,
des ducs d'Aumale ôc de Bouillon , compofées chacune de
cent chevaux , étoient fur la même ligne : on avoit placé au-
deffous d'elles les Regimens de Luffeburg, ôc de Jacob d'Aus-
bourg, chacun de dix compagnies.
Du côté de Marie où étoit l'aîle droite, ôc l'arriére - garde
commandée par le duc de Nevers ôc par le duc d'Aumale
fous lui , on avoit rangé la cornette du duc de Nevers , ôc
celle de S. André, chacune de cent chevaux , celles de Choi-
feul ôc d'Efchenetz de cinquante chevaux, qui étoient précé-
dées par Grombach à la tête de quatre compagnies de cava-
lerie , ôc au-deffous de celui-ci , par celles du duc de Mont-
penfier ôc du marquis d'Elbceuf. Après des décharges de l'ar-
tillerie en ligne deréjoiiiffance, on fit la revûë de l'armée. Le
Roi fe retira enfuite à Marchetz , ôc l'armée prit le chemin de
la Fere en Vermandois.
D'un autre côté le roi d'Efpagne, qui étoit à Arras, vint au
camp le 21 d'Août. Il avoit avec lui le duc d'Albe, dont nous
avons fouvent parlé , qui étant depuis peu de retour d'Italie ,
avoit emmené avec lui plufieurs Seigneurs du royaume de Na-
ples , comme les ducs de Seminara ôc d'Atry , le Prince de Sul-
mone , Policaftro , le comte de Bagno, ôc Afcanio de la
H h iij
2i6 HISTOIRE
Cornia. Erneft ôc Eric deBrunfwick , Othon comte de Shaum*
Henri II. bourg, ôc l'Ambaifadeur de i' électeur de Brandebourg accom-
ï 7 S* 8. pagnoient aufli Philippe. On craignit qu'à fon arrivée les
ennemis ne s'emparaifent de quelque place fur la frontière;
ainfi Montluc fit entrer dans Corbie fept compagnies de trou-
pes auxiliaires , fous la conduite du capitaine Brueil , Breton.
On mit à Peronne , dont d'Humieres étoit Gouverneur , huit
compagnies de cavalerie-legere , ôc quatre d'infanterie ; on en-
voya à Dourlans la Ferté , avec trois cens arquebufiers que
commandoit Drenelle , quoique Bouchavanes ôc Crevecœur
s'y fuffent déjà enfermez. Après qu'on eut ainfi pourvu à la
fureté de la frontière, l'ennemi n'ofa plus rien entrepren-
dre. Le roi d'Efpagne campa fur la rivière d'Authie qui n'en
eft pas éloignée. Les deux armées fe retranchèrent dans leurs
camps , avec tant de précaution 3 qu'il fembloit que chacune
de fon côté craignît d'y être afiiégée.
On parloit toujours de la paix , que le Connétable ôc le
maréchal de Saint André tâchoient de ménager , pendant qu'ils
étoient prifonniers. Le Connétable , qui étoit âgé.» avoitpeu
de penchant à la guerre , ôc pour travailler avec plus de fruit
à la paix , qu'il croyoit devoir être avantageufe au Roi ôc à
toute la Nation , il avoit promis pour fa rançon , ôc celle de
fon fils , cent foixante-cinq mille écus d'or. Le crédit du duc
de Savoye auprès du roi d'Efpagne ne lui fervit pas peu dans
cette affaire ; car ce Prince , qui fongeoit aux moyens de ren-
trer dans fes Etats , n'efpéroit les recouvrer que par un traité
entre les deux Rois : s'étant perfuadé que le Connétable pou-
voit beaucoup contribuer à la paix , il lui avoit ménagé la li-
berté d'aller où bon lui fembloit. Chriftine mère du duc de
Lorraine , faifoit l'office de médiatrice , ôc le Cardinal de
Lorraine , qu'elle introduifit auprès du roi d'Efpagne , comme
le bruit en courut 3 fous prétexte de conférer de la paix , con-
firma lui-même la parole qu'on avoit donnée à Granvelle.
Les deux armées étant dans cette iituation, le duc de Ne-
mours , qui étoit logé à Pecquigny avec la cavalerie-legere 3
ayant pris la compagnie du comte d'Eu , celles de Tournon , de
Roufïïllon, dePeiou, d'Hallewin feigneur dePienne, de Jean
Nogaret, de la Valette , de la Ferté, de Tuty , de Lagny , de
Jean Leomont Puy-Gaillard , ôc du Baron de Banna, marcha
E J. A. DE THOU,L'iv; XX: 247
de nuit , ôc dans un grand filence vers le camp des ennemis ; «.■■—■■,
il tua les fentinelles , pouffa jufqu'à l'endroit où étoit Partillerie , J-[enri II
renverfa les tentes après en avoir coupé les cordes , ôc ayant j ç t g
mis le defordre , ôc jette l'épouvante dans toute l'avant-
garde, il revint heureufement au camp. Dans le même tems
le bâtard de Bueil ayant pris l'étendart de Bourgogne , pour
tromper l'ennemi , vint à Arras avec fa compagnie, comme
pour y prendre des vivres, ôc eut la hardieffe de piller, ôc de
mettre le feu à une partie des fauxbourgs.
De Thermes étant prifonnier , on donna le gouvernement de
Calais à François de Vendôme vidame de Chartres. Il avoit
quelque efpérance de furprendre Saint Orner, avec le fecours
des prifonniers François qui y étoient. Il fe rendit donc à A r-
dres fous prétexte de faire fortifier cette place , ôc donna jour
à Sipierre , lieutenant de la cornette du duc de Lorraine } à
Lagny ôc à Thomas Albanois , capitaines de cavalerie-legere ;
ôc à quelques efcadrons d'arquebufiers à cheval , pour fe trou-
ver à Deuvre, où les corps de troupes étoient affemblés :
Alailly gouverneur de Montreùil devoit aufli s'y rendre avec
douze compagnies d'infanterie. Sipierre arriva le premier à
Deuvre ; il défit en y allant quelques foldats de la garnifon
de Renty , qu'il rencontra lorfqu'ils alloient au fourrage. S'é-
tant joint au Vidame de Chartres > ils approchèrent enfemble
de Saint Orner ; mais l'entreprife fut découverte. Nos troupes
qui étoient en marche, n'en furent point informées t quoique
ceux avec qui elles avoient intelligence dans la place , le fçuf*
lent 5 les prifonniers François prirent donc les armes à l'heure
marquée, ôc ayant égorgé les corps de garde, ils s'emparèrent de
la citadelle. Mais les habitans qui en connoiffoient la fcibleffe,,
en rirent auiTi-tôt approcher le canon ; la brèche fut ouverte 3
ôc ils maflacrerent les prifonniers. Le Vidame fut ainii obli-
gé de retourner à Calais fans avoir rien fait.
Dans le meme-tems de-Jours vint avec le régiment deCham-
pagne au camp , d'où on l'envoya à Calais 5 dix compagnies
Suiifes arrivèrent aufli , avec un pareil nombre de vieilles ban-
des Italiennes , dont Boniface la Mole étoit colonel, ôc qui
avoient pour capitaines Moneftier , le Baron de Dorade s.
Bourdet, Barthelemide Pefaro , Colincourt, Jaulnay, Mazey3.
Valfenieres , la Chapelle , qui fut tué queîque-tems aprèâ
248 HISTOIRE
^p~~— proche de Ferrare , ôc Béguin. On apprenoit auflî que l'armée
Henri II ennemie grofïifïbit de jour en jour , par les nouvelles trou-
i c r 8. Pes cîu^ ven°ient d'Allemagne.
Affaires En Tofcane , le départ des Turcs diiïipa les craintes du
d'Italie. duc de Florence. La trêve qu'on avoit faite avec lui n'étojt
pas fort religieufement obfervée. Il follicitoit les Efpagnols à
profiter de la foibleffe de nos garnifons , pour faire des cour-
tes fur les côtes , ôc il en avoit même écrit à Philippe. Le Roi
d'Efpagne donna donc ordre à Chiappino Vitelli , ôc à Simeon
RofTermini qui fervoit déjà le duc de Florence, de fe joindre
à Sanche de Levé , Ôc à Lodogno qui commandoit quinze
cens Efpagnols , qu'on faifoit paffer du royaume de Naples
dans le Milanez, 6c de s'emparer des places que les François oc-
cupoient encore fur les côtes de la mer. De Levé ôc Lodogno,
fuivant ces ordres , n'entreprirent point le fiége de Groffeto ,
parce que cette place étoit trop avancée dans les terres ; mais
ils marchèrent contre Telamone > que la garnifon qui n'étoit
compofée que de trente foldats , abandonna dès que les enne-
mis parurent. Ils firent enfuite approcher le canon de Cafti-
glione de la Pefcaia , où il y avoit quarante hommes en garni-
fon , qui fe rendirent lorfque la brèche fut ouverte.
François d'Efte , voyant qu'il étoit de fon honneur de ne pas
fouffrir au commencement de fon gouvernement , que les en-
nemis s'emparaflent à fa vue , 6c fans prefque aucun combat,
des places qu'on lui avoit confiées, fe difpofaàles reprendre.
Mais le duc de Florence fit échouer ce projet par fon adrefle.
En effet Caftiglione 6c Tille de Giglio , qui appartenoient an-
ciennement à la famille des Picolomini , 6c qui avoient tou-
jours été feparées de l'état de Sienne , étoient palTées dans une
autre famille , par le mariage de Sylvie Picolomini fille du duc
d'Amalfi avec le duc de Capeftrano. Le duc de Florence en
fit un achat fimulé des véritables Seigneurs , 6c fit dire à Fran-
çois d'Efte qui fe préparait à la guerre, que Caftiglione n'appar-
tenoit plus aux Efpagnols , mais qu'il en étoit lui-même le maî-
tre , 6c que les François ne pouvoient employer la force , pour
reprendre cette place , fans violer la trêve. François d'Efte y
acquiefça d'autant plus volontiers , qu'il ne cherchoit qu'un pré-
texte plaufible de ne pas prendre les armes ; parce que n'étant
pas en état de fe mettre en campagne , il craignoit l'événe-
ment de cette guerre. Côme
DE J. A. DE T HOU, L iv. XX. 24P
Corne s'étant fervi de ce moyen pour conferver Cafti- !
glione , menageoit aufTi avec adreffe les Siennois , pour lesac- Henri IL
coûtumer peu à peu à l'empire de leur nouveau maître. Il 1 5 £ 8.
leur fourniffoit des vivres en plus grande abondance qu'ils
n'en avoient fous la domination des Efpagnols. Il reftitua à
la République de Sienne une partie des terres que les Floren-
tins lui avoient ôtées ; il rendit même Aima- Longa , ôcTur-
rita , qu'on avoit regardées comme une dépendance de Luci-
gnano , qui appartenoit aux Florentins. Mais l'amour de la li-
berté l'emportoit toujours dans le cœur des Siennois. Les
François leur avoient été à charge , ôc ils en avoient beaucoup
fouffert ; cependant ils étoient capables de fouffrir encore d'a-
vantage pour la recouvrer , ôc il n'y avoit qu'une force fupe-
rieure ôc invincible , qui pût les faire fléchir fous une puiffan-
éti mge
Dans le même-tems les AmbafTadeurs d'Efpagne , fuivant y^f0^^
les ordres de leur maître , prétendirent à Venife le même rang la préférence
qu'avoienteu ceux de Charle-quintperede leur Roi, tant dans * ^^Fran-
l'Etat de Venife , que chez les autres Princes , ôc qui n'eft dû ce fur celui
qu'à la majefté Impériale. Ils vouloient précéder tous ceux des d'EfP2sne-
autres têtes couronnées , quoique l'Empire ne fut pas pafTé à
Philippe , mais à Ferdinand fon oncle. François de Noailles
évêque d'Acqs étoit alors AmbafTadeur de France. Ce Pré-
lat, qui avoit autant de fermeté que d'habileté, refifta coura-
geufement aux entreprifes des Efpagnols. La querelle s'étant
échauffée , ôc le Sénat ayant été informé du différend , ces fages
Républiquains refuferent de décider , de crainte de s'attirer
l'inimitié de l'un ou l'autre des deux Rois. Mais les Efpagnols
ne purent fouffrir plus long-tems que Noailles , qui l'emportoit
par fon crédit Ôc qu'une ancienne poffeiTion appuyoit , prît
toujours le pas fur eux , avec une égale fermeté î ôc ils fi-
rent infiance pour que l'affaire fût décidée. Le Sénat , comme
le rapporte Pierre Giuftiniani , jugea que, fuivant l'ancienne
coutume , l'Ambaffadeur de France précederoit celui d'Ef-
pagne dans les cérémonies publiques. Le roi d'Efpagne rap-
pella fon Ambaffadeur ordinaire , ôc n'en renvoya un autre
à Venife , que long-tems après. Jean-Baptifle Hadriani fait'
auiïi mention de ce fait dans le dix-feptiéme livre de l'hifloire
de fon tems.
Tom, III. I i
*jo HISTOIRE
Cependant les Princes concouroient , avec la même af-
Henri II ^eur, * ^a concluiion de la paix. On s'étoit d'abord affemblé
i c c 8 ^ l'Me en Flandre 5 mais on trouva plus commode , pour le
Congrès , le monaflere de Sercamp , dans le Cambrefis. Les
Plénipotentiaires s'y rendirent de part & d'autre, vers la mi-
O&obre. Le Roi y envoya le cardinal de Lorraine , Anne
de Montmorenci , Jacque d'Albon de Saint- André marquis
de Fronfac maréchal de France , Jean de Morvilliers évê-
que d'Orléans , ôc Claude de l'Aubépine fecretaire d'Etat.
Dom Ferdinand Alvarez de Tolède duc d'Albe grand-
maître de la maifon du Roi , Guillaume de Naffau prince
d'Orange , tous deux chevaliers de la Toifon d'Or , Ruy
Gomes de Silva comte de Melito , Antoine Perrenot évêque
d'Arras , ôc Ulric Viglius feigneur de Swichen 3 autrefois
aufli fameux par fa fcience dans la jurifprudence qu'il étoit
alors habile politique , affilièrent au Congrès de la part du
Roi d'Efpagne. Les Plénipotentiaires de la Reine d'Angle-
terre 3 étoient Thomas Thirleby évêque d'Eli 3 Thomas Hov-
vard d'Effingham premier gentilhomme de la Chambre 3 ôc
Nicolas Woton doyen d'Yorck. Thomas Langufci comte
deStropiano 3 ôcle Préfident de la cour cl' AU y foûtenoient les
intérêts du duc de Savoye. Chriftine ôc Charle duc de Lorraine
fon fils y affilièrent aufli comme médiateurs, ôc comme amis,
Dès la première conférence 3 on convint qu'il étoit nécef-
faire de renvoyer les troupes 3 parce que le voifinage de deux
armées ennemies convenoit. peu à une affemblée qui devoit
terminer la guerre. C'eft pourquoi l'armée des Espagnols ,
après avoir fait une féconde marche du côté d'Abbeville, fur
les bords de la rivière d'Authie , fe retira aufTï-tôt à Saint
Orner 3 ôc fe fépara entièrement dans l'Artois. Le Roi de fon
côté diftribua l'infanterie dans les places frontières 3 ôc ren-
voya la cavalerie pour fe rafraîchir après les travaux de cette
guerre. On congédia aufli les troupes Allemandes, ôc le duc
de*Nevers eut ordre de les reconduire. On retint cependant
3e duc de Lunebourg , parce que dans le camp proche d'A-
miens il avoit ofé mettre l'épée à la main contre le duc de
Guife Général des armées du Roi : il fut arrêté ôc mis à la
Baftille.
Il y eut entre les Plénipotentiaires une grande conteflation
DE J. A. DE THOU,Lîv. XX. a;r
au fujet de Calais. Les François vouloient retenir cette -
place, comme étant une ancienne dépendance du Royaume, Henri IL
qui avoit été depuis peu reconquife; les Anglois au contraire , i $ $ 8.
refufoient de foufcrire au traité , fi cette place ne leur étoit
rendue. Pendant que cette difficulté les arrêtoit, le Roi d'Ef-
pagne envoya en Angleterre le comte de Feria, pour faluer
la Reine fon époufe , qui étoit déjà malade , ôc lui propofer
Je mariage d'Elifabeth fa fceur, avec le duc de Savoye, puif-
qu'il n'y avoit aucun moyen d'engager les François à rendre
Calais.
Mais la mort de la Reine d'Angleterre leva la difficulté ;
ôc termina la conteftation au fujet de Calais. On travailla au
traité fur un nouveau plan , & on donna une nouvelle forme
aux proportions qui avoient déjà été faites. Pendant la vie
de Marie , les Efpagnols ne pouvoient rien relâcher de leurs
prétentions fur Calais 5 mais depuis fa mort , ils paroiflfoient
ne devoir pas les foutenir avec la même fermeté. Cette Prin-
ceffe avoit projette le mariage de Dom Carlos , fils de Phi-
lippe, avec Elifabeth fa fceur, que Philippe demanda pour
lui-même , après la mort de la Reine fon époufe. C'eft pour-
quoi , il n'ofoit pas abandonner tout à coup les intérêts des
Anglois •■> il vouloit encore voir , avant la concluûon du
traité , comment les affaires tourneroient en Angleterre '■> les
Plénipotentiaires jugèrent donc à propos de fe féparer dans
les circonftances préfentes , ôc convinrent de remettre la
négociation au mois de Janvier fuivant.
Quant à la Reined' Angleterre, lorfqu'elle vit que la guerre
qu elle avoit déclarée à la France avec trop de légèreté , ne
lui étoit pas favorable , que Calais , ôc les autres places que
les Anglois poffedoient au-delà de la mer avoient été prifes ,
ôc que le Roi fon époux , dont elle ne pouvoit fouffrir l'ab-
fence , étoit engagé dans la guerre de Flandre , elle en con-
çût un chagrin inexprimable ; elle devint outre cela hydro- Mort &?
pique , ôc prenant cette maladie pour une véritable groflefTe , d'Angleterre,
elle refufa tous les remèdes qui auroient pu lui convenir , Ôc & au cardinal
voulut obferver un régime dévie très-contraire à fa guërifon, °
ôc à fa fanté. Une fièvre d'abord affez légère furvint , mais
augmentant peu à peu , elle conduifit enfin cette PrincefTe au
tombeau le 15 de Novembre,
li ij
252 HISTOIRE
; Le cardinal Renaud Poole mourut le même jour d'une
Henri IL fîévre double quarte , feize heures après la Reine ; elle avoir
i S S 8. toujours été fort unie de fentimens avec le Cardinal 3 ôc il
y avoit eu beaucoup de rapport entre eux , par la reffemblance
de leur fortune pendant leur vie : la mort même fembla ne
pas vouloir les défunir. Le Cardinal dès fa jeuneffe efîuya
plufieurs revers , ôc il ne fut rappelle dans fa patrie , que lorf-
que Marie monta fur le trône. Il eut une fageffe, une droi-
ture , une prudence 3 ôc une érudition peu communes ; fon
mérite ôc tes vertus éminentes le rendoient dignes du Sou-
verain Pontificat -, ôc s'il ne monta pas fur la chaire de faint
Pierre , il n'en fut exclus que par l'envie ôc l'ambition qui
régnent à la cour de Rome. Son innocence ôc fa vertu fu-
rent toujours à l'épreuve des coups d'une Fortune aveugle ;
qui le perfécuta jufqu'à la fin de fa vie. Paul IV. qui étant Car-
dinal s'étoit oppoféavec chaleur à fon élévation au Pontificat,
lui avoit cependant donné , avec des louanges magnifiques ,
l'archevêché de Cantorbery , outre la légation d'Angleterre 3
qu'il avoit reçue de Jule III. Mais la trêve ayant été rom-
pue , ôc la guerre s'étant rallumée entre la France ôc l'Efpa-
gne 3 ôc quelque tems après avec l'Angleterre , en faveur du
Pape ; Paul IV. apprit que le Cardinal n'approuvoit point
cette guerre : il en fût fi irrité, qu'il lui ôta fa légation ôc le
fit citer à Rome 3 comme fi fes fentimens fur la Religion
euffent été fufpecls. Guillaume Peyt cordelier 3 homme de
baffe naiflance 3 qui n'étoit cardinal que depuis un an > fut
mis à la place de Poole. Dans le même tems le Pape fît
arrêter prifonniers dans le château faint Ange, fous le même
prétexte 3 le cardinal Jean Morone, aufli recommandable par fa
probité , que par fa prudence 3 Ôc Thomas San-Felice évêque
de la Cava > Ôc il fit mettre dans les prifons de l'Inquifition Gille
Fofcararo évêque de Modene 3 parce qu'il étoit ami du
cardinal Morone.
Philippe ôc la Reine fon époufe prièrent le Pape de chan-
ger de réfolution , ôc lui firent remontrer que Féloignement
du cardinal Poole feroit préjudiciable à l'Etat ôc à la Reli-
gion, dont il étoit le plus ferme appui. La Reine lui repré-
fenta que , fi les fentimens du Cardinal étoient fufpeêts , fa
Sainteté pouvoit l'en inftruire , ôc qu'elle nommeroit en
DE J. A. DE THOU, Liv. XX. 253
Angleterre des Commiffaires Eccléfiaftiques , devant îefquels
Poole paroîtroit pour rendre raifon de fa foi. La défaite des Henri IL
troupes du Pape à Segna , ôc la perte de la bataille de Saint 1558»
Quentin firent plus d'imprefîion fur fon efprit 3 que toutes
ces remontrances : il ceffa enfin de perfécuter le Cardinal s
& modéra un peu fon animofité. La Reine empêcha que Poole
ne fe rendît à Rome j mais pour faire voir qu'il refpectoit
les ordres du Pape , il ne voulut plus depuis ce tems permet-
tre qu'on portât devant lui la croix d'argent , qui eft la mar-
que du Légat , Ôc il n'en rît plus aucune fonction -, il envoya
même à Rome Ormaneto ..pour y rendre compte de fa léga-
tion 3 ôc fe purger des foupçons qu'on pouvoit avoir de fa
foi. Le Pape parut fatisfait j il confola même le Cardinal, de
ce qu'à l'exemple de Jefus-Chrift il avoit été expofé à plu-
fieurs faufles accufations. Il fit févérement interroger le Car-
dinal Morone par des Cardinaux qu'il commit pour cette affai-
re 3 ôc le mit enfuite hors de prifon.
Quelque tems avant fa mort 3 le Cardinal Poole fentant
augmenter fa maladie avoit fait fon teftament le 4 d'Oclobre,
par lequel il inftitua fon héritier Louis Priuli qui étoit dans
fa plus étroite confidence depuis vingt-fix ans. La vertu de
ce noble Vénitien 3 ôcla conformité de leurs inclinations 3 l'a-
voient rendu inféparable du Cardinal. Toutes les propofitions
avantageufes qu'on lui fit pour l'en détacher furent inutiles : Jule
III. ne put même y réuflir 3 quoiqu'il lui offrit un chapeau de
cardinal. Priuli refufa la fuccefïion de fon ami, ôc exécuta ce-
pendant toutes les autres difpofitions du teftament avec la
dernière exa&itude. Il lui furvêcut vingt mois, ôc employa
tout ce tems à recouvrer tous les biens de la fucceflion du
Cardinal , qui étoient difperfez en différens endroits 3 pour
les diftribuer avec toute forte de bonne foi ôc de droiture.
L'aclion de Priuli eft un exemple refpe&able d'une vraie ôc
fincere amitié 3 dont la feule vertu fans aucun motif d'inté-
rêt avoit formé les nœuds , que la différence des tems ôc la
diftance des lieux ne purent jamais rompre 3 ôc qui enfin unit
inféparablement ces deux parfaits amis jufqu'au dernier
foupir.
La mort de Marie occafionna de grandes révolutions en
Angleterre , ôc caufa même quelques mouvemens en France,
li jij
a*4? HISTOIRE
La Reine d'Ecofïe fe porta aufli-tôt pour Therltiere de
Henri II Marie,, ôc fit mettre fur fes meubles , ôc fur tous les équipa-
i ç <; 8 §es ^e ^a ma^on j les titres ôc les armes des Rois d' Angleter-
_, . „ re. Ainlî quoique dans le même tems la France s'épuisât en-
Marie Stuart . \ *. , „ . . r r
reine d'EcoUe tierement dans les guerres qu elle avoit entreprîtes , pour fou-
ie porte pour tenir fes droits fur Milan , Naples , ôc les Payis-bas , cepen-
Mane,àiafol- dant p°ur mettre le comble aux malheurs des peuples, on
licitation de forma encore de chimériques prétentions fur le royaume
PrinTes^e" d'Angleterre. Un excellent hiftorien rapporte que les oncles
Lorraine. de la Reine en furent les auteurs :leur vanité leur faifoit croire
qu'ils paroîtroient par là ayoir donné un nouveau luftre à la
gloire de la nation.
Philippe , pour retenir en quelque façon dans fa maifon le
titre de Roi d'Angleterre qu'il perdoit après la mort de la Rei-
ne fon époufe, confeilla à l'Empereur fon oncle de ména-
ger le mariage d'Elizabeth , fœur de Marie, ôc qui avoit été
reconnue Reine d'Angleterre , avec Ferdinand l'un de fes fils.
L'Empereur ne négligea point cet avis , ôc il envoya en An-
gleterre le comte de Lodrone ; mais le ferment d'Elizabeth
étoit directement oppofé aux projets ambitieux de la maifon
On croit en d' Autriche : car on dit que cette Princeffe avoit promis à fon
France que le r » 11 »•/ .r • t> ■ ' r\
Roi d'èfpag- lacre , qu elle n epouleroit aucun r rince étranger. On crut en
neveutépou- France que Philippe fongeoit lui-même férieufement à épou-
Elizlabeth"0 ^er Elizabeth i ôc qu'il envoya pour cet effet en Angleterre
le comte de Feria (comme il paroît par les lettres , dont j'ai
les copies entre les mains ) Ôc que le Roi de France écrivit
dans ce tems à Philibert Babou évêque d'Angoulefme fon
AmbafTadeur à Rome.
Henri avoit vu fon Thrône ébranlé par les forces de l'Ef-
pagne ôc de l'Angleterre jointes enfemble. Craignant
que Philippe , en réunifiant par cette nouvelle alliance les
troupes Flamandes ôc Angloifes , ne reprît avec plus d'ardeur
fes anciens projets d'attaquer la France , il manda àfonAm-
baiTadeur de fe fervir de l'afcendant des Theatins fur l'efprit
du Pape, qui les confidéroit beaucoup, pour empêcher le
fuccès de cette affaire ; d'engager par un motif de Religion
ce bon vieillard, qui étoit fcrupuleux obfervateur de ladif-
cipline Eccléfiaftique , àrefufer desdifpenfes à Philippe, pour
époufer la foeur de Marie fon époufe , ôc de lui repréfenter
DE J. A. DE THOU, Liv. XX. a^
qu'Elizabeth protegeoit les Protellans, ôc quelle étoit aum* i
éloignée des fentimens catholiques , que Philippe y étoit atta- Henri II '
ché. Le Roi recommandoit en même-tems à fon ambaffadeur | ç ç g,
de prendre de fi juftes mefures } que les Miniftres de Philippe
ne s'apperçurTent aucunement que le Roi agiiïoit fous mains
parce qu'ils euffent pu en informer Elizabeth : car comme
on ne pouvoit encore prévoir quel fuccès auroit cette affaire,
il étoit de fon intérêt , qu'on ne crût pas que , bien loin de
ménager la nouvelle Reine 3 il eût cherché l'occafion de l'ir-
riter , & de renouveller les anciennes querelles de la France
& de l'Angleterre.
Fin du vingtième Livre.
§*******•**-*•*•****■*****&)
******************** *(*;
********************tZ
******************** *;?;
<3
<3
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HI STOI RE
D E
JACQUE AUGUSTE
DE T H O U.
H£NRI II.
ï $ $ 8.
Affaires
d'Italie.
vi/ S* * ■* * («5 N2?
*g^
LIVRE VINGT-VNI EME.
$$m&mmmMm Près qu'on eut levé le fiége de Fof-
' <J) <J) <J) <?> <J> (J) |§ fano 6c de Coni , villes du Milanez 3
qu'on n'avoit attaquées que foible-
ment , le duc de SefTa voulant fe
fignaler par quelque entreprife con-
fidérable , s'avança vers Centale avec
douze mille hommes d'infanterie 3 ôc
deux mille chevaux. Il commença le 1 8
d'Août le fiége de cette place 3 peu é-
loignée de Foffano 3 qui avoit pour
gouverneur le capitaine Pierre-longue ; ôc ayant ouvert des
brèches avec le canon 3 ôc fait faire des faignées pour détourner
les eaux, il la prit ôc larafa. Ce fut durant ce fiége , qu'Artus
Codé de Gonor, frère du maréchal de Brifïac, défit auprès
de Cérifolles cinq cens hommes de pie , ôc autant de ca-
valerie qui venoient d'Aft pour fe rendre au camp des ennemis.
Aptes la prife de Centale > le duc de Sefla prit Sommerive,
Roquemont
^1* À
D E J. A, D E T H O U , L i v. XXL an
Roquemont, Roche- Sparviere ôc Carail, ôc fe rendk àAft,
où il paya fes troupes. Enfuite il marcha droit à Montcalvo , Henri IL
place fituée au milieu du Montferrat , ôc en forma le fiége. 1 5 c 8.
La garnifon de cette ville , compofée de huit bataillons Siège de
François , de deux Enfeignes Italiennes , ôc de deux Al- M?ntj,al™ „
**',:* jP a -■'"-ri \v j d • Pns daflaut
lemandes , etoit commandée par Antoine Dailli de recquigni, par les enne-
Ôc fous fes ordres , par le capitaine de l'Ifle , ôc par François mis*
de Beaumont baron des Adrets , dont nous aurons occafion
de parler plufieurs fois dans la fuite de cette hiftoire. Les nô-
tres envoyèrent, d'Alba ; au fecours de la place , quelques trou-
pes , qui furent taillées en pièces par les Efpagnols. Enfin on
lit venir vingt-cinq pièces de canon pour battre la ville :
quoique les ennemis euffent fait un feu continuel , cependant
la brèche ne parut pas affés grande le 2 Octobre 3 pour donner
un affaut général , ôc l'on remit l'attaque au lendemain.
Ce jour-là l'Artillerie fit encore un feu très-vif jufqu'à midi.
Alors quelques Efpagnols étant fortis de la tranchée , pendant
que le duc de Seffa dînoit , ôc ayant jugé la brèche fuffifante,
montèrent par le côté que défendoit Dailli ; des-Adrets oc-
cupoit un autre pofte. Le peu de foldats qui étoient fur la
brèche n'eurent pas plutôt vu les Efpagnols , qu'ils prirent la
fuite. Aufli-tôt les alFiégeans montent tous à l'aflaut , ôc em-
portent la place , fans que Dailli, qui fe retira dans la citadelle
avec plus de mille foldats , eût fait la moindre réfiftance. Cette
conquête ne coûta aux Efpagnols que vingt-cinq hommes.
De l'Ille , ôc le baron des Adrets , qui croyoient que Dailli
défendoit fon pofte , fe trouvèrent enveloppez lorfqu'ils s'y
attendoient le moins , ôc furent faits prifonniers. Enfuite les
ennemis attaquèrent la citadelle que les François avoient for-
tifiée > mais où ils avoient lailTé peu de munitions , comptant
que la ville tiendroit plus long-tems. La garnifon promit de
fe rendre , Ôc d'abandonner le canon , fi dans deux jours le ma-
réchal de BrifTac ne venoit à fon fecours , à condition qu'elle
fortiroit avec fes armes, tambour battant , ôc enfeignes dé-
ployées. Dans la fuite le baron des Adrets ayant payé fa ran-
çon , cita Dailli devant François IL qui avoitfuccedé à Henri,
pour le faire condamner à lui reftituer l'argent de fa rançon ,
ôc à l'indemnifer de fon équipage , qu'il avoit perdu à Mont-
calvo , il prétendoit que cette place n'auroit pas été prife fans
tome III. K k
253 HISTOIRE
la mauvaife défenfe du commandant. Dailli , qui voyoit fon
tt 77 honneur cruellement attaqué par une telle accufation 3 fît de
'l " * grandes plaintes > ôc demanda à la Cour juflice d'un pareil ou-
Piaintes du tfage> Alors le Baron mettant le comble à l'injure 3 offrit de
Baron des prouver par le duel la vérité de ce qu'il avançoit, ôc fuppliale
^^scontre Roi de le lui permettre. Ces deux Gentilshommes avoient cha-
cun leurs protecteurs à la Cour. Mais Dailli étant foûtenu par
les Princes de la maifon de Lorraine , alors tout- puilTans , ob-
tint un jugement favorable , qui déclara qu'on ne de voit point
lui imputer la perte de Montcalvo , le déchargea de l'accufa-
tion du Bâton , ôc fit défenfe à l'un ôc à l'autre de s'attaquer
à ce fujet , à peine d'être regardez comme criminels de leze-
majefté. Le Baron fut fi irrité de cet arrêt du Confeil du Roi,
, qu'il jura hautement de fe venger , non de Dailli , dont il di-
foit qu'il étoit fatisfait, mais des Princes de la maifon de
Guife , fi l'occafion s'en préfentoit. Plufieurs croyent que des
Adrets , qui étoit attaché à la Religion Catholique , embralla
dans cette vue le parti des Huguenots , ôc eut part au meurtre
de la Motte-Gondrin , lieutenant du duc de Guife , après la
prife de Valenza.
Après que Montcalvo eut été pris par la faute des François,
ôc qu'on y eut mis une bonne garnifon , le duc de SeiIa
marcha vers Cafal, ayant envoyé devant le marquis de Pef-
caire , pour faire le dégât clans le payis 3 ôc pour empêcher
qu'on ne fit entrer des munitions de bouche dans la place.
Nos troupes firent durant cefiégeune vigoureufefortie, ayant
à leur tête Bellegarde, la Curée 3 ôc Gazette, mirent le camp
en defordre , ôc enlevèrent une enfeigne aux ennemis. Ce
defavantage 3 les pluyes continuelles qui tombèrent en abon-
dance , le befoin d'argent qu'avoit Sella , qui s'étoit vu con-
traint de tirer de grofles contributions de la Province , tout
cela détermina ce général à lever le fiége de Cafal. Après avoir
pris Pomaro fur fa route 3 il fe rendit à San- Martino , château
litué entre Valence ôc Cafal, qu'ilfit fortifier , ôc où il jugea
à propos de mettre une bonne garnifon , pour harceler nos
troupes,
la CourTl'é- Cependant BrifTac étoit réduit à de grandes extrêmitez : il
gard du ma- avoit beau preflfer $c folliciter la Cour 5 le Roi ôc les courti-
Briîfcc de ^ans ^e moccluoient de ^es juftes plaintes : ils difoient que la
DE J. A. DE THOU , Liv. XXL ^9
néceffité preffante où il fe trou-voit lui devoit fournir des ref- 1
Iburces. On ajoûtoit que le tréfor du Roi , déjà épuifé par Henri II.
tant de dépenfes, ne pouvoit fuffire à entretenir les garnifons 1 r e 8.
de tant de villes que nous avions en Italie. Quoique la Cour
eût donné à Briffac le pouvoir de nommer les Gouverneurs
des places , il recevoit fouvent des mortifications à ce fujet.
De Gordes ayant quitté fon gouvernement de Montdovi ,
pour prendre la lieutenance de la cornette du connétable de
Montmorenci , la Cour mit de Pelous en fa place , quoique
Briffac eût déjà nommé de Laval beau-frere de Gordes pour
Commandant, lequel fut obligé de fe retirer avec honte. Briffac,
qui jufque-là avoit eu l'eftime ôc la confiance des troupes ,
eut le chagrin de tomber peu à peu dans le mépris. Il arriva
même , que les cinq petits Cantons Catholiques, voyant le peu
de cas que faifoit le Roi de fes Officiers ôc de fes troupes
d'Italie, rappellerent leurs foldats. Ainfi Briffac fe vit prefque
abandonné. Le peu de foldats qui lui reflètent , quittoient
tous les jours leurs garnifons > pour aller à Turin , ôc méprifant
fes ordres , refufoient de retourner à leurs quartiers. Tant de
difgraces l'obligèrent d'envoyer Gonnor fon frère à la Cour ,
pour inftruire le Roi de l'état de toutes chofes , afin qu'on ne
lui imputât pas les fâcheux événemens qu'on pouvoit craindre.
Après que les Electeurs ôc le Roi Ferdinand fe furent ren-
dus à Francfort, comme on en étoit convenu, les Ambaffa- ^étnet ^e'
déurs dont j'ai parlé , le prince d'Orange , Selden , Ôc Haller l'Empire.
y vinrent auîîi le 24 de Février, avec les pleins pouvoirs de
l'Empereur , pour renoncer en fon nom à la dignité Impéria-
le en faveur de Ferdinand. On avoit choifi le 24. jour de Fé-
vrier que fe célèbre la fête de faint Matthias, parce que Char-
le l'avoit toujours regardé comme un jour, qui lui étoit heu-
reux. En effet à pareil jour il étoit né à Gand , avoit gagné
une célèbre victoire auprès de Pavie , avoit reçu des mains
du Pape Clément la couronne impériale à Boulogne, ôc avoit
fait nommer à Aix-la-Chapelle Ferdinand fon frère roi des
Romains. Lorfqu'on eut lu la démifïion de l'Empereur , Ôc que
les Electeurs eurent donné leur confentement en faveur de
Ferdinand à certaines conditions , on fit les préparatifs néce£
faires pour le couronnement , fuivant l'ancien ufage. On bâ-
tit au milieu de la place publique un édifice de bois , où l'on
Kkij
srfo HISTOIRE
montoit par des degrez , ôc dont le dedans étoit orné
Henri IL de riches tapis d'or , 6c de foye. Ferdinand s'y rendit au
1 5 S S. jour marqué , revêtu des ornemens de l'Empire , avec une
nombreufe fuite , ôc monta fur le thrône qui lui étoit prépa-
ré. Les fept Electeurs tous enfemble , ôc fuivis d'un grand
nombre de cavaliers , coururent trois fois au galop autour
du thrône Impérial , leurs enfeignes marchant devant eux au
bruit de leurs trompettes & de celles de Ferdinand. Enfuite
ils dépendirent de cheval , ôc s'approchant du thrône , cha-
cun fuivant la prérogative de leur dignité , ils fe mirent à ge-
noux , ôc prêtèrent le ferment de fidélité. Ferdinand écrivit à
Charle pour le remercier , & l'affûta que Philippe fon fils lui
feroit aufii cher , ôc à tous les Ordres de l'Empire , que fes
propres enfans. Il écrivit aufïi aux Seigneurs qui tenoient la
Chambre de Spire , pour leur faire part de fa nouvelle digni-
té y leur mandant de rendre à l'avenir la juftice en fon nom ,
ôc leur permettant de fe fervir du fceau de Charle V. jufqu à
ce qu'il leur eût envoyé le fien. L'afiemblée ayant été con-
gédiée, le nouvel Empereur s'embarqua fur le Danube vers
le mois de Novembre, & defcendit à Vienne , où il fut reçu
avec de grandes réjoùiffances. Après cela, il envoya à Rome
Martin Gufman fon grand Chambellan , pour rendre en fon
nom l'obéhTance filiale au faint Père , fuivant l'ancien ufage, ■
après lui avoir fait part de l'abdication de Charle en faveur
de fon frère déjà élu Roi des Romains. L'Ambaffadeur avoit
ordre d'afîurer le Pape, que le nouvel Empereur ne feroit pas
moins affectionné au Saint Siège ôc à l'Eglife Romaine , que
fes prédecefieurs , ôc qu'il feroit paroître autant de zélé pour
elle , que ceux qui dans les tems difficiles s'étoient le plus
fignalez pour fa défenfe, ôc pour celle des autres églifes. Il
devoir ajouter aufii, que Ferdinand envoyeroit inceiîamment
une ambafïade folemnelle au faint Père à l'occafion de fon
couronnement , fuivant l'ancienne coutume. Telle étoit la com-
mifîlon de Gufman ; ôc il fembloit que ces marques refpec-
tueufes d'arïe&ion , d'obéiffance , ôc de fidélité de la part de
l'Empereur dévoient être reçues du Pape avec des fentimens
de confiance réciproque. Cependant le vieux " Pontife , qui
malgré le dernier traité de paix, n avoit pas oublié les fu jets de
i Paul IV.
DEJ.A.DETHOU,Liv. XXL 161
mécontentement qu'il croyoit avoir reçus de la maifon d'Au- ■
triche, refufa de donner audience àGufman , ôc d écouter des pjENFI jj
proportions dont il avoit pénétré l'objet. Il affembla le facré . ç g
Collège , & leur propofa les points fuivans à examiner.
Si Gufman , qui fe difoit envoyé de la part de Ferdinand au
fouverain Pontife ôc au faint Siège , ne devoit pas leur faire
part de ce qui s 'étoit paffé entre Charle-Quint ôc le Prince
fon frère , à l'occafion de l'abdication , ôc leur communi-
quer les conditions mutuelles de cette renonciation. Suppofé Difficulté*
que l'Ambafladeur fatisfît en ce point, les Cardinaux étoient de'laCowdc
chargez de difcuter , fi l'élévation de Ferdinand fans le con- Rome.
fentement du Pape ôc du faint Siège pouvoit être regardée
comme légitime , ôc s'il n'y avoit pas encore quelques autres
raifons qui la rendiffent nulle. Les Cardinaux 5 que le faint
Père avoit choifis pour l'examen de cette affaire , étoient fes
créatures dévouées , toujours prêts à prononcer fuivant fes
vues, ôc d'ailleurs portés à élever au plus haut point l'auto-
rité pontificale. Ainfi après avoir exagéré fort au long l'em-
barras, ôc l'importance de la matière propofée, ils répondirent
qu'avant toute chofe il falloit juftifier au faint Siège par des
titres autentiques, comment la dignité Impériale étoit devenue
vacante par la démifîîon de Charle , ôc enfuite à quel droit
Ferdinand en étoit revêtu : que cependant on ne devoit pas
reconnoître fon AmbafTadeur, avant qu'il fût décidé, fi Charle ,
qu'on difoit s'être démis, l'avoit fait légitimement i enforteque
fon fuccelfeur pût être regardé comme un jufle pofïefleur. Ils
ajoutèrent que ce qui s'étoit paffé à Francfort n'étoit de nulle
confidération , puifque l'autorité du faint Siège n'y étoit pas
intervenue, ni celle du fouverain Pontife, à qui les clefs du
cielôc de l'Empire de la terre étoient confiées, ôc fans le confen-
tement duquel on ne pouvoit pas dire , que Charle fût délié
juridiquement de l'Empire , ni Ferdinand élu à jufte titre : Qu'il
étoit vrai que ce Prince avoit été créé roi des Romains à Co-
logne , ôc que Clément VIL avoit confirmé cette élection -,
que cepedant il n'avoit pu fucceder à l'Empire , à moins qu'il
ne fût devenu vacant , ou par mort , ou par renonciation , ou
enfin par une privation forcée ; ôc que ces deux derniers
moyens étoient du feul reffort du Pape Ôc du faint Siège ;
Qu'une raifon efTentielle rendoit nul encore tout ce qui s'étoit
Kkiij
262 HISTOIRE
,i paffé à Francfort; que des hommes infectez d'héréfie avoient
Tj tt concouru à cette élection , quoique déchus de tout droit de
s ' fufFrage , depuis qu'ils s'étoient féparez de l'Eglife Romaine :
Que ce commerce de Ferdinand avec des hérétiques le ren-
doit même coupable ; que c'étoit à lui à fe venir juftifier , ôc
à avoir recours au remède falutaire de la pénitence : Qu'au
refte ce Prince pouvoitfe promettre d'obtenir aifémentle par-
don de fa faute , d'un père tendre ôc indulgent ; qu'ainfi il
devoit envoyer un miniftre à Rome avec fa procuration, pour
déclarer qu'il fe défiftoitde tout ce qui s'étoit fait à Francfort
en fa faveur , comme étant abfolument nul, ôc qu'il fe remet-
toit au Pape de confirmer fon élection , quoique peu légitime.
Les Cardinaux difoient encore , qu'on devoit produire devant
le Pape le décret Impérial par lequel Charle abdiquoit l'Em-
pire y qu'on fçavoit que cet acte n'étoit adreffé qu'aux fept
Electeurs 5 mais que ce défaut pouvoit être fupplée par celui
qui avoit un pouvoir fuprême en ces matières.
Suivant ces articles ,1e Pape fit dire à Gufman, qui folli-
citoit une audience , que puifque Charle n'avoit pu fe démet-
tre de la dignité Impériale qu'en fes feules mains , ni Ferdi-
nand la recevoir que de fon confentement , ce Prince de-
voir dans Fefpace de trois mois fatisfaire à ce que les Car-
dinaux déléguez demandoient de lui , ôc que jufque - là fa Sain-
teté ne pouvoit écouter fon miniftre. Dans ce même tems
Philippe voulut employer fa médiation ôc fes bons offices en
faveur de Ferdinand fon oncle. Il écrivit à Vargas fon Am-
baffadeur à Venifedefe rendre à Rome, ôc de folliciter puif-
famment en fon nom l'affaire dont il s'agiffoit. Mais le faint
Père n'eut point d'égard à fon entremife. Il défendit même
à Figueroa, qui venoità Rome de la part de Philippe, d'en-
trer dans la ville ; alléguant pour prétexte , que ce miniftre
avoit encouru les cenfures Eccléfiaftiques , pour avoir fait em-
prifonner un courier du Pape , lorfqu'il étoit gouverneur de
Milan. On croit cependant que ce refus fut l'effet des intri-
gues de Vargas , qui fe flatoit de remplacer Figueroa , ôc que
quelques Cardinaux , ôc fur-tout les Caraffes , entrèrent dans les
vues de cet Ambaffadeur , qui leur avoit promis de fe laiffer con-
duire en tout par eux , dans les affaires du Roi fon maître. Au
relie lorfque Ferdinand eût appris par les lettres de Gufman les
HmaeasKTrvi'-.-WETï1
DE J. A. DE THOU) Liv. XXL 263
difpofitions du Pape à fon égard , il manda à fon Miniftre ; qu'a-
près avoir mis ordre à fes affaires , il eût à partir fans délai , s'il Henri II
n'obtenoit pas audience du Pape dans trois jours , à compter 1 ç r g.
du jour de la réception de fa lettre. Il lui ordonnoit en mê-
me tems de déclarer au facré Collège, qu'il étoit venu à Rome
en qualité d'ambafTadeur de l'Empereur, pour rendre au faint
Père , félon l'ancien ufage , les devoirs d'un refpeft filial ; ôc
que n'ayant pu obtenir une audience demandée fïlong-tems,
il ne pouvoitplus demeurer à Rome avec bienféance , ôcfans
bleffer la majefîé de la perfonne facrée de fon maître : qu'il
partoit , pour faire part à l'Empereur de ce qui s'étoit païTé à
cette occafion ■> ne doutant point que ce Prince n'inftruisît les
Electeurs de toutes chofes, pour prendre enfuite des mefures
convenables à la dignité de l'Empire. Suivant ces ordres, Guf-
man ayant encore follicité une audience , ôc déclaré qu'il lui
étoit ordonné de fe retirer de Rome , s'il ne l'obtenoit incef-
famment ; enfin le 13 de Juillet il fut admis en qualité d'Am-
baffadeur de l'Empereur ( car ce Miniftre infifta fortement fur
ce titre ) non à une audience publique du Pape , mais parti-
culière, où afîiftérent fept Cardinaux.
D'abord le faint Père s'excufa de n'avoir pas plutôt fatis-
faità la demande de TAmbafTadeur , fur l'importance de l'af-
faire dont il étoit chargé : il ajouta , que n'ayant pas eu encore
le tems de difcuter férieufement les différens chefs propofez
par les Cardinaux déléguez , ôc que PAmbafTadeur ne pouvant
demeurer à Rome plus long-tems , il confentoit qu'il partît,
lorfqu'ille jugeroità propos: qu'au furplus il envoieroit incef-
famment un Nonce à l'Empereur. C'eft ainfi qu'il lui plaifoit
d'appeller encore Charle V. quoiqu'il fe fût démis de l'Em-
pire. Alors Gufman expofa au faint Peie les ordres qu'il avoir
de protefter , en cas de refus d'une audience publique 5 à
quoi ce Pontife répondit , qu'il ne le trouveroit pas mau-
vais , ôc que cela pourroit être avantageux à l'Empereur , ôc
à lui. Ainfi Gufman fit faproteftation, prit congé de fes amis,
& partit. Quelque tems après Paul IV. étant mort , Pie IV.
qui luifucceda, approuva la démifïion de Charle en faveur de
Ferdinand, ôc reçut avec de grands honneurs les AmbalTa-
deurs de ce Prince, qu'il regarda toujours comme Empereur
egitime.
2<$4 HISTOIRE
■ Ferdinand fignala fon avènement au thrône Impérial par un
Henri II. jugement mémorable', & plein d'équité. Il s'étoit élevé un grand
i $ c 8. différend entre les parens ôc héritiers d'Albert marquis de
Brandebourg, qui etoient ibutenus par les Princes de Saxes
ôc de Heffe , leurs anciens alliez , ôc les évêques de Fran-
conie joints au Sénat de Nuremberg , fur ce qu'Albert , à
l'occafion des guerres paffées , avoit fait d'horribles dégâts dans
la Franconie , ôc dans les Provinces voilines. Les premiers
foûtenoient qu'on devoit leurrefrituer les terres d'Albert, dont
on s'étoit emparé après fa mort , ôc les indemnifer des places
de ce Prince , qu'on avoit démolies. Les Evêques de Fran-
conie demandoient au contraire, que les puiffances Germani-
ques fupportaffent également les frais d'une guerre entreprife
contre un Prince profcrit par un décret de l'Empire. Ferdi-
nand jugeant que ce démêlé n'étoit pas une affaire particu-
lière , mais qu'il intereffoit la tranquillité publique , travailla
à le terminer de bonne heure. Quoique ce qu'on avoit fait
contre Albert fût légitime, cependant, comme la mort fem-
bloit avoir effacé fon crime , ôc dû éteindre la haine qu'on
lui portoit , l'Empereur voulut cimenter la paix ôc l'union
entre les Princes , les Evêques ôc les Villes libres de l'Em-
pire, ôc qu'on eût égard aux pertes qu'avoit fouffertes la
maifon de Brandebourg. Il ordonna donc aux Alliez de payer
cent foixante ôc quinze mille écus d'or , pour dédommage-
ment des places démolies , à George Frédéric marquis de
Brandebourg, couiin ôc héritier d'Albert, à qui dès le mois
de Mars ils avoient déjà reftitué les payis dont ils s'étoient
emparez. Ce jugemenr fut enfin accepté des Evêques , qui
facrifierent en cette occafion leurs intérêts particuliers à la tran-
quillité publique , ôc évitèrent par là les fuites fâcheufes d'une
guerre civile.
L'cvêquede Le rp d'Avril de cette même année Melchior Zobel , évê-
cit aflafluicf que de Wirtzbourg , duc de Franconie , fut affafïiné dans fa
ville par quinze conjurez , crime inoui jufqu'alors en Alle-
magne , depuis plusieurs fiécles. Car depuis que Philippe Ce-
far, duc de Sueve ôc deTofcane, avoit été lâchement affaiîi-
aé dans fa fortereffedeBambergle 22 de Juin de l'année 1207
par Othon Wittelfbach comte Palatin , ôc qu'Engilbert Arche-
vêque de Cologne avoit été tué de même , vingt-deux ans
après
DE J. A DE THOU, Liv. XXL itf
après > par Frédéric comte d'Ifembourg , on ne fe fouvenoit ■
point qu'il fût arrivé rien de femblable dans l'Empire. Cette Henri IL
action déteftable donna de juftes allarmes aux Souverains j 1558.
enforte que ceux , qui s'étoient crus aflez en fureté , par la
fidélité Ôc l'amour de leurs fujets, fongerent alors à pren-
dre des gardes. Au refte telles furent les circonftances du meur-
tre de Zobel. Ce Prélat revenant d'un château qu'il avoit au-
delà du Mein , dans fa ville, pour y rendre juftice à fes fujets,
ôc paflant devant une hôtellerie , fut attaqué par des cavaliers,
qui comme prêts à partir demandoient le vin , félon la coutume
d'Allemagne. Ils le tuèrent, lui 6c deux hommes à cheval qui
l'accompagnoient , Ôc en blefferent quelques autres. Aufîi-tôt
un grand tumulte s'éleva dans la ville 5 le peuple courut en
foule , comme pour éteindre un incendie , parce que les meur-
triers en fuyant ciïoient au feu. Ils s'échappèrent dans ce
défordre par une porte quegardoient leurs complices, ôc s'en-
foncèrent en des vallons détournez , par des chemins imprati-
cables. Ayant rencontré Jean Zobel coufin de l'Evêque, qu'ils
venoient d'afTaiTiner , ils l'attaquent , l'arrêtent , ôc comme s'ils
l'eulTent fait prifonnier de guerre , ils le font jurer qu'il fe repré-
fentera à tel jour ôc à tel lieu , qu'ils lui marquèrent. On igno-
ra quelque tems fauteur de ce meurtre. Mais après d'exaêles re-
cherches , ôc telles que le méritoit l'atrocité du crime , on
en accufa Chriftophle Kretzen, comme l'ayant fait àl'inlti-
gation de Guillaume Grombach. L'année fuivante il fut con-
damné à mort à la diète d'Aufbourg : après s'être long-tems
caché , il fut pris enfin dans la citadelle de Schaumbourg fur
les confins de la Lorraine , par l'adrelTe ôc les foins de Ku-
gelfbach. On le menoit à Wirtzbourg lieu de fon fupplice, lorf-
qu'il s'étrangla lui-même, pendant que fes gardes étoient en-
dormis , après avoir auparavant déclaré fes complices. On ne
douta plus alors , que le crime n'eût été commis par l'ordre
de Grombach. Ce gentilhomme de Franconie étoit irrité
contre Zobel , de ce qu'il n'avoit pas voulu payer à fa femme
ie legs , que lui avoir fait Conrad Bibrach évêque de "Wirtz-
bourg avant Zobel , ôc de ce que ce dernier l'avoit dépouillé
de fes biens, lorfque joint à Albert marquis de Brandebourg
il portoit le fer ôc le feu dans une partie de l'Allemagne.
En cetems-là , le grand duc de Mofcovie commit plufieurs
Tom. III. L 1
266 HISTOIRE
hoftilitez en Livonie , province qu'on peut regarder, corn*
Henri II. me dépendante de l'Empire. Mais, avant que d'en parler ,.
1 S S 8* je crois qu'il eft à propos de dire quelque chofe de la fitua-
tion s ôc de l'état de ce payis. Au-delà de la Viftule s qui
fépare l'Allemagne de la Pologne > du côté de l'Orient , s'é-
tend vers le Nord une vafte contrée , que Ptolomée a dési-
gnée fous le nom de Borufîie. Ce payis eft habité par les
Affaires de BorufTes , appeliez PrufTes aujourd'hui par corruption. Au-
Livome. ^ej^ ju Cron , qu'on nomme aufïi vulgairement Memel, ou
Samoiten , ( ôc Reufïen , dans cet efpace de fon cours , qui eft
repoufifé par la barre de la mer,) eft la Samogitie , qui dé-
pend de la Pologne, comme la PrufTe; quoique la Saxe la
reclame , ôc la comprenne dans fon Cercle. La Livonie eft
fituée entre les PrufTes , les Samogitiens , les Lithuaniens 5
ôc les RulTes , ou Mofcovites. Elle a pour bornes au cou-
chant le Golfe de PautzKerwich , ôc au levant Nerwa , ôc
beaucoup de lacs ôc de forêts , qui la féparent de la Mof-
covie. Ce payis eft plat, couvert de bois, entre-coupé de
rivières , ôc a d'excellens pâturages. Il a dans fes dépen-
dances la Curlande , l'Eften, ôc le Letten > contrées habitées par
des peuples différens en moeurs , ôc dont les langues ne font
pas les mêmes, quoiqu'elles ayent toutes beaucoup de con-
formité avec le Saxon. La Curlande eft féparée du Letten ;
du côté du Nord par la Duina, qui fortant du lac de Rufîiea
placé environ huit lieues au-deflus de Moskwa , fait plufieurs
détours , arrofe la Lithuanie , ôc la Livonie , ôc fe perd enfin
dans la mer vers le couchant , une demie lieuë au-defTous de
Riga , capitale du payis de Letten. Le Volga fort de ce
même lac en un endroit , qui n'eft éloigné de celui d'où
la Duina prend fon cours que d'environ trois lieues , quoi-
que quelques-uns foutiennent que le Volga a fa fource dans
une forêt marécageufe, nommée Volkoska. Ce grand fleuve*
qui arrofe l'Europe ôc l'Afie , prend fon cours vers l'Orient ,
ôc traverfe les vaftes provinces de la Mofcovie , ôc de la
Tartarie. Au-defTous de Volochga il porte batteau , ôc a plus
de mille pas de largeur : fes bords , dont la terre eft fort
graffe , font couverts de Bouleaux ôc de Chênes. Enfin il
détourne fes eaux vers le midi , ôc après avoir reçu dans fon
fein foixante ôc dix rivières , il fe jette dans la mer Cafpienr
ne , près d'Aftracam.
DE J. À. DE T H O U, L i v. X XL 267
Le Borifthene * vient aufti du même lac , ou de la même —
forêt , ôc coulant vers le midi , baigne les murs de Smo- Henri ÏI.
îensko , ville fi célèbre par les combats des Polonois ôc des 1 S 5" 8«
Mofcovites j parle à Kiou , autrefois capitale de la Ruflie *0UieNié er.
Polonnoife, ôc va enfin fe perdre dans le pont Euxin 3 40
milles au-deflbus delà Circaflie. Peu loin de-là eft encore une
autre rivière nommée Lowat , qui paffe à "Wieliki-Luki, ôc à
Novogrod , à travers le lac Ilmen s puis changeant de nom , eft
appellée Wolchow , ôc fe rend enfin dans un lac 3 au-deffus
de Coporie. Quelques - uns ajoutent à ces fleuves le Tanaïs,
ou le Don , qui étoit regardé autrefois comme une des bor-
nes de l'Europe , ôc qui prenant fa fource un peu au-deflbus
du Volga 3 a un cours moins étendu , ôc fe perd dans le
Pont-Euxin. Au-delà de la Duina 3 eft le payis de Letten ,
dont la capitale eft Riga , ôc qui compte encore entre fes
villes Kokenhufen, Venden, ôc Volmer. Là, font aufll les
Livoniens proprement dits , qui ont donné leur nom à toute
la contrée , ôc qui habitoient autrefois Salis ôc Parnaw le
long des rivages de la mer s ôc vers l'embouchure de la Duina.
La capitale du payis d'Eften eft Revel. Hapfel en eft le Siège
épifcopaU établi autrefois àLéal, ôc depuis tranfporté à Ofel,
qui eft une Ifle vis-à-vis la terre ferme , d'environ trois lieues
Ôc demie de circuit 3 ôc qui eft aujourd'hui le patrimoine des
Evêques d'Hapfel. En marchant vers l'Orient , vous trou-
vez Derpt 3 ville épifcopale 3 qui confine aux Mofcovites.
Cette province a environ vingt-deux lieues de longueur fur
douze de largeur.
On lit dans l'hiftoire de ces peuples 3 que les Allemands 3
entre-autres ceux du payis de Brème 3 ayant été jettez par
la tempête dans le Golfe de Livonie , firent amitié avec ceux
du payis 3 dans la vue d'établir un commerce utile avec eux ;
qu'ils conclurent enfuite un traité, quialfùroit aux Marchands
qui y viendroient négocier une exemption de tous droits 5 ôc
qu'ils y bâtirent une chapelle dans une Ifle ,, à l'embouchure
de la Duina , où ils célébrèrent le Sacrifice à la manière des
Chrétiens,. La plupart des feigneurs de la Livonie > touchez
xde la douceur des mœurs de ces Allemands 3 Ôc perfuadez par
leurs difeours , fe convertirent à la foi , ôc preflerent ceux de
Brème 3 de leur envoyer quelque perfonnage d'une pieté
Ll ij
258 HISTOIRE
. éminente , qui fut le chef des Miniftres de la Religion en
Henri II. ^eur PaY^s* On leur donna pour premier évêque Ménard ,
j c c g moine de Segelberg, qui fut facré par l'archevêque de Brè-
me, fous l'empire de Frédéric BarberouiTe, 6c fous le Pon-
tificat d'Alexandre III. Il établit fon fiége à Uxkul , fur les
bords de la Duina , Ôc étendit le culte des Chrétiens dans
ce payis. Il eut pour fuccelTeur Bertolde , religieux de S.
Paul , envoyé de Brème comme Ménard. Ce fut en ce mê-
me tems , fuivant le témoignage d'Adam dans fon hiftoire
Eccléfialtique , où. il fait mention de Ménard , qu'Adalbert ,
archevêque de Hambourg, envoya piufieurs Evêques dans
la l Cherfonefe - Cimbrique , ou le Dannemarc , ôc dans la
Peninfule de Scandinavie , que les anciens ont crue une
ifle, ôc appellce Thulé. Je dirai en paffant, qu'il ne faut pas
croire, que l'ifle de Thule des anciens foit ce que nous
appelions aujourd'hui l'Ifland , comme quelques-uns l'ont
avancé * ôc entre autres Scaliger.
Au refte , Bertolde , fécond Evêque de Livonie , ayant
voulu établir la Religion par la force , plutôt que par la per-
fuafion de la parole de Dieu , fut tué en l'année 1 197 par
ces peuples féroces , dont piufieurs étoieiit encore payens.
Ce fait eft rapporté dans l'hiftoire des Archevêques de Brème }
où. Bertolde eft nommé entre les Evêques de Livonie. Al-
bert , qu'on tira du Chapitre de Brème , lui fucceda , ôc fit
bâtir la ville de Riga , qu'il entoura de murailles , dans le
tems qu'Hartwig étoit archevêque de Brème. Cet Albert ,
qui fuivit les traces de fon prédéceffeur , prit de plus juftes
mefures , ôc s'unit , par le confeil d'Engilbert ôc de Théo-
doric de Tifenhaufen fes parens , aux Chevaliers 2 de l'Or-
dre Teutonique , Religieux militaires , qui avoient été en-
voyez dans ces payis Septentrionaux , pour y foutenir la Re-
ligion , ôc qui étoient comme une branche de l'Ordre des
Templiers , inftitué par Foulques roi de Jerufalem. Ce fut
avec le fecours de ces Chevaliers , qu'Albert fournit la Livo-
nie , dont il leur donna la troifiéme partie , par un ménage-
ment alors nécefTaire, mais qui fut très-préjudiciable dans la
fuite à fes fucceffeurs. Ce fut auffi fous ce Prélat , qu'on établit
1 Elle comprend la Norwege , la 1 z On les appellent Porte-glaives,
vmede , la Mofcovie , & la Tartarie.
DE J. A. D E T H O U , L i v. XXI. &j>
en Livonie une réildence de Chevaliers Teutoniques , dont
Vinno fut le premier Maître. Auffi-tôt il joignit fes forces à Henri IL
celles de l'Evêque } fit de grands progrès en Livonie, envoya ï $ S 8>
le chevalier Volquin à Torpa, ville foumife aux Mofcovites ,
qu'il prit , ainfi que Kokenhaufen , ôc chafla enfin de la Livonie
tous les RufTes , que leur perfidie avoit rendu odieux.
Albert eut pour fuccefTeur Nicolas } ôc celui-ci un autre
Albert , dans le tems que le chevalier Volquin fut mis en la
place de Vinno lâchement afTaiIiné. Ce fut alors que le
liège de Riga fut décoré du titre d'Archevêché, ôc que les
Evêques de Warmeland, de Culm, dePomefanie ,ôc de Szam-
land , villes de PrufTe , fe reconnurent pour fes SufTragans.
Les Chevaliers Livoniens s'étant unis à l'Ordre des Teuto-
niques , la dignité de Volquin devint plus éminente. Mais il
ne jouit pas long-tems du magiftere , ayant été tué par les
Lithuaniens. Il eut pour fuccefTeur le chevalier Herman Valk,
qui avoit été durant fept ans chef de l'Ordre dans la Pruflè.
Ce fut lui , qui rendit aux Danois Revel , Wefeberg , ôc
Nerva, que Waldemar II. roi de Dannemarc avoit bâties,
lorfque vingt ans auparavant ce Prince avoit envoyé des trou-
pes dans la Livonie Septentrionale. Au refte, tant que les
Archevêques de Riga , ôc les Grands - Maîtres de l'Ordre
Teutonique eurent des guerres à foutenir contre les Lithua-
niens , les Mofcovites , ôc ceux de Samogitie ôc de Semigale ,
l'union Ôc la concorde régna entre eux. Mais lorfqu'ils n'eu-
rent plus rien à craindre au dehors, la jaloufie alluma bien-
tôt entre ces puiffances des diffentions domeftiques. Les Che-
valiers, enflez de leurs victoires, avoient peine à fe foumet-
tre aux loix eccléfiaftiques. Des hommes toujours fous les ar-
mes ne pouvoient fouffrir le joug pacifique des Prêtres. Le
fultan Melec ayant pris la ville d'Acre, où le Chef de l'Or-
dre Teutonique faifoit fa réfidence, ce Grand -Maître étoit
venu s'établir d'abord à Marbourg , enfuite à Mariembourg.
Les Chevaliers de Livonie venant fouvent en cette dernière
ville , faire leur cour à leur Chef , ôc prenant infenfiblement
des fentimens de fierté ôc d'indépendance , auprès de celui
qu'ils regardoient comme leur unique Souverain , ne pouvoient
fe réfoudre à obéir à des Prélats , qu'ils croyoient leurs infé-
rieurs. Ils chafferent Jean comte de Suerin , qui fe retira à
Ll iij
û7o HISTOIRE
Rome ,~ ôc après lui Ifaure , qui fe réfugia en Dannemare,
Henri II. Enfin Frédéric de Bohême fut contraint aufli d'aller à Rome,
i T c 8. °^ ^ demeura trente-neuf ans. Ce fut durant cette longue
abfence , que les Chevaliers ayant afiiegé Riga , les habitans
appellerent les Lithuaniens à leur fecours , ôc qu'il fe donna
plu fieurs combats avec des fuccès différens. En ce tems - là
les payifans prirent aufïi les armes, ôc égorgèrent la plupart
des Gentilshommes dans Ofel , Virtlandt , ôc Harnlandt , fans
épargner ni l'âge , ni le fexe.
Enfin , le différend qui regnoit depuis fi long-tems entre
les Archevêques de Riga, ôc les Chefs de l'Ordre Teutoni-
que , fut fournis à la décifion de l'Empereur Charle IV:
ôc de Clément VI. fouverain pontife, qui prononcèrent en
faveur des Prélats. Mais peu après Fromilde archevêque de
Riga , ôc le duc de PrufTe , qui avoit acheté Nerwa , Revel >
ôc Wefemberg de Valdemar IV. roi de Dannemarc , pour
le prix de dix-neuf mille marcs d'argent , ôc qui avoit joint
ces villes à la Livonie , fe rendirent à Dantzick le 7 de Mal
de l'année 1348 , pour régler à l'amiable les droits de 1 Eglife ,
ôc ceux des Chevaliers. On convint , que l'Archevêque au-
rait une jurifdiction fouveraine fur la ville de Riga , ôc que
le Chef de l'Ordre Teutonique ferait difpenfé de prêter à
l'avenir au Prélat la foi ôc hommage, que les Grands-Maîtres de
l'Ordre fes prédecelTeurs 3 lui avoient toujours rendu jufqu'alors*
Cet accord ne fît qu'aflbupir pour un tems les démêlez du
Clergé 3 ôc de l'Ordre , ôc donna même occafion à ces Re-
ligieux militaires de faire d'injuftes entreprifes contre des Prê-
tres fans défenfe. En effet , lorfque Siffroi-Blomberg fucceffeur
de Fromilde eût quitté , du confentement du Pape , l'habit
de Religieux Prémontré, pour prendre celui de l'Ordre des
Auguftins , les Chevaliers prirent de-là occafion de faire la
guerre à leur Archevêque > ôc de le chaffer de Riga. On
vit alors plufieuts Chevaliers entrer dans le Chapitre de
Riga, ôc l'on vit même dans la fuite monter fur le Siège
Archiépifcopal de cette ville Jean Wallenrod , chevalier de
i Ordre , que le Pape Boniface confirma, foit qu'il y fût con-
traint, foit qu'il voulût faire plaifir au Grand-Maître. Enfuite
l'Archevêque fut dépouillé peu-à-peu de fes domaines ; ôc
en l'année 1424 3 Herminge-Scherffenberg vendit au Grand-
DE J. A. DE THOU, Lîv. XXI. 271
Maître de l'Ordre le payis de Semigale , ôc tout ce qu'il m ,
poffedoit au-delà de laDuina. Henri IL
Silveftre Toron, qui fut le fucceflèur d'Herminge> futcon- l j j 8a
traint de fe foûmettre à une loi que lui impoferent les Che-
valiers vingt-fix ans après, ôc de jurer que lui ôc fes Chanoi-
nes porteroient à l'avenir l'habit de l'Ordre Teutonique. Ce
même Prélat confentit qu'on annullât la tranfa&ion de Fro-
milde , ôc du duc de PrufTe , renonça lâchement à tous fes droits,
ôc à tous fes privilèges énoncés dans le jugement de l'Empe-
reur Charle IV. ôc du Pape Clément VI. céda au maître de
l'Ordre un droit de juridiction fur la moitié delà ville de Riga;
ôc perdit enfin le titre de prince de Livonie , qu'il avoit eu
la foibleffe de partager avec un rival plus puiffant que lui. Les
habitans de Riga fouffroient impatiemment depuis long-tems
l'orgueil , les vexations , ôc les entreprifes injuries des Cheva-
liers. Ils prennent les armes , afïiégent Dunamond , place forte,
qu' avoit bâtie Moncheim grand-maître de l'Ordre , ôc après un
fiége affés long , la prennent , ôc la rafent jufqu'aux fondemens.
Cependant en 14.95 "Walter Plettemberg chevalier d'un mérite
rare, ôc d'une valeur diftinguée, reftaurateur de l'Ordre après
Vinon qui en fut le premier chef, ôc après Herman qui unit
les Chevaliers de PrufTe à ceux de la Livonie , perfonnage au-
deflus de l'envie , fçut terminer les differens de fes Chevaliers
avec les habitans de Riga , joignit à la ville la citadelle, que
ceux-ci avoient abattue, ôc enfuite relevée , ôc défit les Mof-
covites au commencement de ce fiécle , en deux grandes ba-
tailles , la première en Livonie , ôc l'autre auprès de Pleskou ,
ôc contraignit le grand Duc de confentir enfin à une paix de
cinquante années , qui le combla de gloire , ôc fut très-avan-
tageufe à toute la Livonie. Après cela, il affranchit les chevaliers
de Livonie de la dépendance du grand-maître de Pruffe,moyen-
nant une fomme d'argent , qu'il paya à Albert , dont nous
avons ci-devant parlé; ôc étant devenu le premier chef de fon
Ordre , il gouverna la Livonie avec une grande fageffe juf-
qu'en 1555 , foit durant la guerre, foit durant la paix.
Mais vingt ans après les anciennes diffentions s'étant renou-
vellées entre Guillaume de Brandebourg , archevêque de Riga
Chriftophle de Mekelbourg , ôc Henri de Galen grand-maître
de l'Ordre 5 Guillaume, ôc Chriftophle furent faits prifonniers
.17* HISTOIRE
par Furftemberg chef des Chevaliers , Ôc délivrés enfuite par
Henri II. Sigifmond roi de Pologne , qui entra dans cette Provin-
i y y 8. ceavecunepuhTante armée , rétablit le Prélat dans fes ancien-
nes prérogatives , ôc humilia le Grand-maître de l'Ordre Teuto-
nique , en le forçant defoufcrire à un traité honteux. Au relie,
ces démêlez toujours renaiffans , qui inquiétoient fans cefle
les Princes voifins , ôc faifoient craindre, aux Polonois , que
les Mofcovites dans ces tems de trouble ôc de confufion ne
s'ouvriflent un chemin par la Livonie , pour entrer en Po-
logne, furent enfin funeftes aux Chevaliers, comme ils l'a-
voient été d'abord aux Archevêques. Car, comme Sigifmond
roi de Pologne , avoit jugé à propos trente-trois ans aupara-
vant d'éteindre l'Ordre Teutonique en Pruffe , ôc de donner
la fouveraineté de cette province à Albert de Brandebourg
fon neveu , à condition d'en rendre hommage à la Pologne ; de
même Sigifmond Augufte , à l'exemple du Roi fori père , abo-
lit les chevaliers de Livonie , ôccréa duc de Curlande Gothard
Ketler dernier Grand-maître de cet Ordre. De plus pour étein-
dre jufqu'aux moindres éteincelles de difcorde ôc d'envie , il
ôta à Chriitophle de Mekelbourg la dignité Archiepifcopale ,
ôc unit à la couronne de Pologne toutes les prééminences
de cette prélature. Mais cela n'arriva que quelques années
après. Je croirois aifément , que cette grande révolution en
Livonie fut une fuite du changement de Religion arrivé quel-
ques années auparavant dans cette province, qui avoit reçu la
doctrine de Luther.
Au refte , il eft à propos de rapporter de quelle manière
cette doctrine fe répandit dans la Livonie. Treptaw eft une ville
fituée dans la Pomeranie Orientale fur les bords de la rivière
de Rega , qui l'environne de tous cotez , ôc va fe perdre peu
loin de là dans la mer Baltique. La fituation agréable de cette
ville, dont les environs font très- fertiles , l'a fait choifirpour
y établir le collège de la Nation : c'étoit là que toute la jeu-
neffe de Livonie venoit faire fes études. Or dans le tems que
Jean Bugenhagen , dont je parlerai bien-tôt , y étoit profeffeur,
on y apporta le livre de Luther, qui a pour titre de la capti-
vité de Babilone. Cet homme irrité contre la cour de Rome ,
qui l'avoit tout récemment maltraité , fe déchainoit dans cet
ouvrage contre le faite du fouverain Pontife , ôc contre les
abus
DE J. A. DE T H O U, L i v. XXL *7j
abus qui regnoient à Rome , difoit-il , ôc qui de là s'étoient ., . ■ m*
rép3iidus dans l'Eglife d'Occident, foûmife au Saint Siège. Henri IL
Ce Livre répandu par Othon Sluton, Sénateur deTreptaw , i ç c 8.
& approuvé par Bugenhagen, ôc par André Cnoffné à Cu-
ftrïn au confluent de l'Oder ôc de la Varte , fut alors extrê-
mement goûté par la plupart des étudians. Enfuite il fe
forma des aflemblées ôc des conférences , où l'on faifoit des
prières fuivanr la liturgie de Luther. L'ardeur de l'âge joint au
zélé de la Religion échauffant les efprits, on dit ôc l'on fit
beaucoup de chofes avec infolence contre les Chanoines du
Chapitre , ôc contre les Moines de la ville , ôc l'on abbattit
même quelques ftatuës d'une églife qu'on jetta dans un puits
voifin. Les Chanoines , qui regardoient cette injure comme
leur affaire particulière , ont recours à Erafme Mandwel évê-
que de Camin, dont ils dépendoient, fouleventle peuple, ÔC
chaflent de Treptaw les nouveaux Docteurs , avec les écoliers
qui leur étoient atrachés , ôc les menacent du dernier fupplice.
Bugenhagen fe retira à Wittemberg , où Luther le reçut avec
bonté, ôc le garda auprès de lui fort long-tems, ôc jufqu'à fa
mort. André Cnoff, accompagné dejoachim Mullern ôc des
jeunes Livoniens fes difciples , alla à Riga trouver Jacque fon
frère Chanoine de cette ville-là.
L'évêque de Camin n'arrêta que pour un tems le cours des
nouvelles opinions, qui s'élevèrent fur la fin du règne de Bo-
giflas duc de Pomeranie. Car Barnims ôc Philippe fes enfans
lui ayant fuccedé , ils alfemblerent en 15" 34 les Etats du payis
à Treptaw , y abolirent l'ancienne Religion d'un confente-
ment général , Ôc reçurent la dodrine de Luther. D'un autre
côté CnorT, qui prêchoit à Riga, parloit dans fes fermons de
la corruption de 1 Eglife , paroilfant néanmoins ne pas defap-
prouver les coutumes reçues. Par cette adreffe , il infinua peu
à peu à fes auditeurs de la haine pour le Pape. Mais les autres
Prédicans,ôc fur-tout Silveftre Teget-mejer, homme emporté,
quiétoit venu depuis peu de Roftoch , n'enuferent pas avec tant
de modération. Car ce dernier fe déchainant contre les Bulles
des Papes, anima tellement les efprits déjà difpofez par CnorT,
foit par fes déclamations , foit par la le£lure des lettres qu'il rece-
voit fouvent de Luther, que les peuples coururent un jour en
foule à l'églife , pour abattre les ftatuës , ôc que la fureur fe
Tome III. M m
^74 HISTOIRE
couvrant du voile fpécieux de la pieté , ils renverferent plu-
HenriII. fieurs autels : cela arriva à Riga, lorfque Gafpard Lindenéroit
1 5" 5 8. Archevêque. On commit de pareils excès à Derpt, à l'infti-
gation d'un marchand de peaux de Wittemberg , dans les
églifes de la fainte Vierge , ôc de faint Jean. Les fe£taires al-
lumèrent un grand feu dans la place publique, & y jetterent
les plus prétieux ornemens des temples ; difant , qu'ils vou-
loient ôter par là tout lieu de croire , qu'ils eufïent foulevé le
peuple pour piller, plutôt que pour abolir un culte fuperfitieux.
Ils en uferent de même dans les églifes de faint François , ôc
de faint Dominique , ôc dans un monaftere de Religieufes ,
fans que le Sénat de Derpt parût fe mettre en peine d'arrêter
ces defordres. Les Moines chaflez de leurs couvens , échape-
rent à peine à la fureur des Proteftans. On vit néanmoins des
Religieux Ôc des Religieufes , flattez d'une révolution qui leur
promettoit une vie plus libre ôc plus douce , renoncer à leurs
vœux , ôc fe marier. C'eft ainfi que l'ancien culte s'abolit peu
à peu , ôc que de nouveaux miniftres ayant pris la place des Prê-
tres , l'Eglife changea de face.
De fi grands excès obligèrent le Clergé de Livonie , ôc Jean
Blankelfeldqui avoitfuccédé à Lind dans l'archevêché de Riga,
de porter leurs plaintes à l'Empereur. Philippe marquis de
Bade , qui gouvernoit les affaires de l'Empire en l'abfence de
ce Prince 3 leur fit une réponfe favorable, Ôc ordonna au Sénat
fous de grandes peines de rétablir l'Archevêque , les Chanoi-
nes ôc les Prêtres dans leurs biens ôc dans leurs dignitez. Ceux
de Riga , qui fçavoient que l'Empereur étoit occupé de guer-
res étrangères , rirent peu de cas de ces menaces. Avant que
l'Empereur arrive en Livonie , difoient-ils , fa cavalerie fera
ruinée ôc hors de combat. S'il vient avec une grande armée ,
elle fera bien-tôt vaincue par la faim , ôc la difette de toutes
chofes : s'il n'amené que peu de forces , il n'eft pas à crain-
dre. Au refte les Proteftans voyant que leurs permiers efforts
avoient réùfTi , crurent qu'ils fe pouvoient tout promettre à
l'avenir. Les marchands Mofcovites avoient bâti des temples
à Riga i à Rével , ôc à Derpt , où ils faifoient l'exercice de
leur Religion fuivant le rit des Grecs. Les fetlaires , qui de-
venoient plus hardis de jour en jour , ôc pour qui une folle licen-
ce avoit des charmes, attaquent ces Eglifes , ôc les démoliffent
DE J. A. DE THOU; Liv. XXL 27;
de fond en comble. A Derpt on fit un arfenal de l'églife '■
des Dominicains , ôc on fit fervir celle des Religieux de faint Henri IL
François à cuire de la chaux > afin que les Catholiques ne puf- 1 c c 8.
fent faire fervir aux exercices de leur culte les reftes de ces
lieux démolis. Le temple des Mofcovites fut donné aux Al-
lemands , pour faire un cloaque public d'un lieu deftiné aux
prières. On dit , que Bafile IV grand duc de Mofcovie ayant
appris ces excès impies , jura hautement que des que la trêve
feroit expirée , il vengeroit cette injure par une guerre fanglante.
Mais une mort prématurée empêcha l'exécution de fes def-
feins. Car cette action fcandaleufe étant arrivée en 172 3 , il
mourut douze ans après , lahTant pour fuccefleur le duc Jean
fon fils qui conferva la même haine contre les Livoniens.
Avant que d'aller plus loin , il faut dire quelque chofe de
l'Empire des Mofcovites , dont nous n'avons point eu encore
occafion de parler. La Mofcovie, dont les états font vaftesôc
immenfes , commence à Nerwade Ruffie , qui eft feparée ; par
une rivière de même nom, d'une autre ville de Nerwa en Li-
vonie. Elle s'étend, depuis cette place bâtie en 1400, vers
l'Orient ôc le Septentrion , jufqu'à la mer Cafpienne , ôc juf-
qu'à la Tartarie. Elle tire fon nom de la citadelle de Mofca,
6c d'une rivière du même nom , qui fe jette dans l'Occa , ôc
dans le Wolga , fur laquelle Jean fils de Daniel bâtit un Fort
il y a environ 200 ans. C'eft le fentiment de Sigifmond Her-
berftein , qui prétend l'avoir lu dans les annales de ce payis ,
ôc qui ne croit pas que les Mofcovites ayent emprunté leur
nom de ces Mofques , qui confinoient à la Colchide au-delà
de la mer Cafpienne , dont parle Strabon , ôc que Plutarque
dit avoir été fubjuguez par Pompée. Les Ruffes, qui viennent
peut-être des anciens Roxolans , ( ces deux noms ayant quel-
que reffemblance , ) fubjuguerent ces vaftes Provinces. Leurs
chefs viennent des Varages, peuples qui habitoient un payis au-
delà de la mer , s'il faut s'en rapporter à leurs hiftoriens. Ils
établirent d'abord le fiége de leur Empire à Nowogorod r , en-
fuite à Kiow , ôc enfin à Wolodimer avant que de le fixer en
Mofcovie. Ruric Prince de cette Nation, ayant fait la guerre
en Bulgarie avec avantage , s'y établit , engagé par la douceur
1 II y a plufieurs villes de ce nom | Wolkowa. Celle-ci s'appelle Nowo-
cn Mofcovie ; l'une fut la rivière de grod la Grande , ou Nowogorod-
Wolga , & l'autre fur la rivière de I Veliki.
Mmij
27* HIST OIRE
! du climat, 6c par la fertilité du payis. Il avoit laifle fes enfans
Henri IL à Nowogorod, qui en furent chafTés par un certain Ulodimir
i y y 8. qui étoit efclave , ôc fils d'une fervante , auquel il avoit don-
né le gouvernement de la ville. C'eft de cet ufurpateur que
defcendoient ceux qui tinrent cet empire , qui fut partagé en
douze Principautez pour les douze enfans que lailTa Ulodimir :
Jatopolk fils de Ruric , fit de vains efforts pour remon-
ter fur le trône de fes pères. Ces Princes , ôc leurs peuples
embrafferent enfuite la Religion Chrétienne, ôc furent redeva-
bles des lumières de la foi à une alliance auffi heureufe qu'il-
luftre. Ulodimir époufa ' Anne foeur des Empereurs Bafile
Porphirogenete , ôc Conftantin , vers l'année ppo : de là
vient qu'aujourd'hui encore les Mofcovites fuivent le rit des
Grecs. Ce fait eft rapporté dans les annales de Mofcovie ,
ôc de Pologne , quoique l'hiftoire Bifantine n'en dife rien. Il
y a lieu de s'étonner, que les Grecs, toujours vains ou cré-
dules 3 ayent paffé fous filence une circonftance aufïi mémora-
ble , eux qui d'ailleurs rapportent au fujet des RufTes les faits
allés conformes à ce que nous en avons dit. Car Zonaras a
écrit , que Nicephore Phocas pria le prince des Bulgares de
refufer le paffage aux Hongrois ôc aux Turcs , qui venoient
par fes Etats , pour faire une irruption dans la Romanie ; ôc que
ce Prince s'étant excufé fur fon impuiflance , ôc fur l'alliance
qu'il avoit avec les Turcs , Phocas follicita le fouverain des
RofTes de faire la guerre au prince de Bulgarie > ôc lui envoya
dans cette vûë Calocyre fils du Cam des petits Tartares. Zo-
naras ajoute , que Sphendoftable ( c'eft ainfi qu'il appelle le
chef des RofTes ) entra en Bulgarie avec une puiffante ar-
mée , qu'il y fit d'horribles dégâts , ôc un grand butin ; qu'en-
fuite Phocas étant mort , les RofTes fubjuguerent la Bulgarie
fous l'empire de Jean Zimifque , ayant pour chefs Borife ôc
Romain , ôc qu'ils réfolurent de fixer leur demeure en cette
Province , à la follicitation de Calocyre , qui leur promit que
l'Empereur leur cederoit ce qu'il avoit en Bulgarie ôc s'allie-
roitavec eux, s'ils vouloient le reconnoître pour Roi des Ro-
mains. 11 dit encore que les RofTes ayant refufé ces propofi-
tions avec hauteur , ôc même maltraité les AmbafTadeurs de
i M. de Thou s'étoit trompé en di- 1 phirogenete : Bafile 8c Conftantin , ê-
fant qu'Anne étoit fille de Bafile Por- ] toient frères ôc fils de Romain le jeune.
D E J. A. DE T H O U , L i v. XXL 277
Zimifque , ce Prince réfolut de leur faire la guerre '■> qu'à fon ^^r
arrivée les Taurofcytes prirent la fuite 5 que Calocyre fe re- Henri IL
tira chés les RofTes '■> qu'il fe donna un grand combat auprès 1 ç j 8.
de Drifter fur les bords du Danube 3 où les RofTes furent tail-
lés en pièces > qu'alors Zimifque fit le fiége de Drifter s qui
fut très-long ; que les afTiégez fe voyant réduits à de grandes
extrêmitez , tentèrent un nouveau combat , fous les ordres de
Sphendoftable , où ils furent entièrement défaits , après avoir
long-tems difputé la victoire ; qu'après cela il s'étoit fait un
traité entre Zimifque & Sphendoftable , qui portoit que ce
dernier abandonnerait avec les RofTes la Bulgarie, ôc retour-
nerait dans fon payis , & que dans fa retraite il avoit été taillé
en pièces par Pazinacarez } qui lui avoit drelfé des em-
bûches.
Voilà ce que rapporte Zonaras ; en quoi il s'accorde par-
faitement avec ce que les annales de Ruflïe racontent de l'ex-
pédition de Ruric. Cet événement arriva en neuf cens foixante
& douze 3 la féconde année de l'empire de Zimifque. En ce
tems-là , Bafile Scamandrée étoit Patriarche de Conftantino-
ple , ayant fuccedé à Theophila£te fils de Romain -Lecapéne.
C'eft lui qui établit la Religion Chrétienne chés les RufTes ,
s'il en faut croire leurs annales. Dans la fuite destems André
duc de Susdalie , qui étoit iffu des enfans d'Ulodimir , fit un
accord avec fes onze coufins > chaffa Miciflas qui occupoit
Kiow , fixa à Ulodomirie * le fiége de fon empire , ôcaffura la * ou Wlodzi
couronne dans la branche des ducs de Sufdalie. Au refte , mierz'
quoique les autres Ducs , defcendus de la même tige que lui,
ne le reconnufTent pas pour fouverain , cependant ayant pris
le titre de Grand Duc, il fit enforte que ces Princes rendiffent
un efpece d'hommage à fa dignité. Mais après que les Tarta-
res , dont nous parlerons dans la fuite , eurent défait Cottiana
duc de Polaquie, ôc Miciflas fils de Romain , & duc de Sier-
navie, ôc plufieurs autres Princes alliez le 17 Mai de l'année
1224 , ou l'année du monde fix mille fept cens trente-deux ,
fuivant la manière de compter des RufTes , ôc lorfque treize
ans après ces mêmes barbares , fous la conduite de Batti , eurent
vaincu ceux de Rofan & d'Ulodomirie, ôc eurent rendu toute
la Rufïie tributaire ; on choifit chez les Tartares les grands
ducs de Ruffie , qu'on ne prenoit auparavant que dans la
M m iij
iy;8.
2?g HISTOIRE
maifon des princes de Sufdalie. Enfin après la mort d'André fils
tt |t d'Alexandre arrivée en 1304 , la couronne fut difputée entre
Michel duc de Twerin fils de Jaroilas, ôc George duc de
Mofcovie fils de Daniel. Ces deux concurrens demandèrent
la grande principauté d'Ulodomirie auxTartares , qui pronon-
cèrent d'abord en faveur de Michel , ôc quelque-tems après en
faveur de George à l'exclufion de Michel, en l'année 6825 ,
fuivant le calcul des Grecs.
Ce fut ce dernier Prince , qui rranfporta en Mofcovie le
fiége de fon empire, ôc qui tranfmit à fes defcendans cette
grande monarchie, malgré î'oppofirion de tous les RufTes , qui
foûtenoient , que les Tartares dévoient rétablir dans cette au-
gufte dignité les princes delà maifon de Sufdalie. De ce Geor-
ge fortit Jean fils de Daniel , qui bâtit le château de Mofcow.
De ce Jean font iffus en ligne directe un autre Jean Deme-
trius , ôc Bafile qui époufa la Princeffe Sophie fille de Witto-
len duc de Lithuanie. Quelque tems après un autre Bafile ,
fils de ce dernier , fut chaffé du trône , ôc privé de la vue ; De-
metrius Siemacha duc de Suerien, ôc fils de fon frère George,
confpira contre lui avec Jean fils d'André duc deMofaicen ;
Ôc Boriffe fils d'Alexandre duc de Tweren. Cependant dans
la fuite , ce Prince infortuné recouvra fes Etats par le fe-
cours de ceux de Nowogorod , ôc régna paifiblement jufqu'à
fa mort. Il eut pour fucceifeur fon fils Jean , qui prit le titre de
Prince de toute la Rufïîe, ôc qui fut furnommé le Grand. Sous
prétexte de venger l'injure faite au Grand Duc fon père , il
dépouilla le duc de TVeren de fes Etats , quoiqu'il eût époufé
une Princeffe de cette maifon. Il furprit la grande ville de
No^ogorod , qu'il unit à fon Empire , ôc abaiiïa tous les autres
Princes de Rufïïe , profitant de leurs mutuelles difcordes. En-
fin il fecoùa le joug odieux des Tartares , qui jufques-là avoient
toujours donné à fes prédéceffeurs l'inveftiture , ôc le droit à la
couronne. Sophie, de la maifon Impériale des Paleologues ,
Princeffe d'un grand courage , qu'il avoit époufée après la
mort de la fille du duc de TVeren > lui avoit infpiré ce no-
ble deffein. Ce Monarque fut toujours heureux ôc vainqueur,
fi l'on excepte les batailles qu'il perdit en Livonie, ôc auprès
de Pleskow , qui furent fuivies d'une trêve de cinquante ans,
qu'il "fit avec fes ennemis , pendant laquelle il eut le tems de
réparer fes pertes,
DE J. A. DE THCU Liv. XXL 27P
Bafile fon fils , qui lui fucceda 3 ne fut pas moins heureux !
que fon père. Il augmenta fes Etats de la principauté de Smo- Henri II.
lensko , ôc des terres qui reftoient au duc de Suerien. Ce l S $ %-
Prince affiégea par mer ôc par terre la ville de Cafan ; ôc
ayant ôté aux Princes fes parens les portions de l'empire , qu'ils
retenoient encore , il fournit la ville de Pleskow. Il fut le pre-
mier Grand Duc , qui prit le nom de Czar , titre qui figni-
fie Roi en langue Efclavonne : fes prédéceffeurs n'avoient
porté que le titre de Knez *. En l'année ipf, il lailfa *C'eft-à-dire,
par fa mort fa couronne à Jean fon fils 5 prince auiiï heureux Comte , ou
ôc aufïi brave que fes pères 5 ôc qui de plus joignant la rufe elsneur*
ôc la fineiTe à une exatîe difeipline dans l'art Militaire, confer-
va non-feulement les vaftes Etats que Bafile lui avoit laifkz ,
mais fcût encore en reculer fort loin les frontières. En effet
il réduifit fous fa puiffance les royaumes de Cafan ôc d'Aflra-
can , que le Grand Duc fon père n'av'oit pu conquérir. Il y avoit
envoyé des troupes difeiplinées , qui étonnèrent ces peuples
plus vaillans qu'aguerris. Enfuite il pouffa fes conquêtes juf-
qu'à la mer Cafpienne ôc jufqu'au royaume de Farfi J qu'il
fubjugua , après s'être flgnalé par de grandes actions , dont fa
cruauté ternit quelquesfois l'éclat , comme nous le dirons dans
la fuite.
Au refte , les Mofcovites font prefque toujours en guerre Mœurs des
avec les Tartares Précopites , Nogaïs ou de Crimée , ôc avec Mo^comes-
les Turcs. A peine ont-ils la paix avec ces peuples 3 qu'ils
tournent leurs armes contre la Lithuanie, ôc contre les Li-
voniens. Le Grand Duc , ou Czar , peut entretenir très-long-
tems de nombreufes armées j car il ne paye point fes troupes.
Ceux à qui il loué' des terres pour un prix affez modique 3 font
obligez de le fervir à leurs dépens. Au refte, les levées fe font de
cette forte. Les foldats, dont les noms font inferits dans des
rôles 3 fe préfentent l'un après l'autre devant le Prigce , ôc lui
donnent une pièce de monnoye , nommée Ein-Denninck en
langue Ruiïienne 3 à peu-près de la valeur d'un Gros de Po-
logne, laquelle ils font' obligez de venir lui redemander, la
guerre étant finie. Le Czar voit par les pièces de monnoye,
qu'on ne vient point reprendre, combien il a perdu d hom-
mes à la dernière guerrs. Outre cela , on prend encore dans
1 ou Farfïfian,
2$o HISTOIRE
o^-»uu— u» les provinces des hommes de condition médiocre , pour les
Henri IL arm^es » & on ^lt tous ^es ans un r^le exacVde ceux qui
g> fe contentent d'une modique paye. Mais le Czar ufe d'une
févérité bien plus grande à l'égard des Grands de l'Etat. Soit
qu'un Seigneur (bit mandé à la Cour , foit qu'on l'envoyé à
la guerre , ou en ambaffade dans un payis éloigné , il eft obli-
gé de marcher à fes frais. Leur foumillîon eft fi prompte ,
que , dès qu'ils reçoivent un ordre du Prince , qu'ils (oient
à table ou couchez , quand le Courier de la Cour arrive ,
ils prennent fur le champ leurs armes en fa préfence, mon-
tent à cheval, ôc fe mettent en chemin, accompagnez d'un
Ecuyer. Ceux qui n'obéuTent pas périffent dans les tourmens.
Il n'eft point de Prince, qui pu n fie plus féverement fes fu-
jets; ôc il n'y en a point, qui en foit plus aimé, ni fervi avec
plus de zélé Ôc de fidélité. Les bons Princes , qui traitent leurs
peuples avec le plus de douceur ôc d'humanité , ne trouvent
pas un attachement plus inviolable. Les voifins de la Mof-
covie apportent ces raifons , pour rendre croyable une chofe
fi extraordinaire. Outre la cruauté des fupplices , qui intimide
les Rudes , ils regardent encore comme barbares , Ôc ont en
horreur les autres Peuples , qui ne fuivent pas leur religion ;
fans même excepter ceux qui font attachez , comme nous ,
à l'Eglife Romaine. Le Czar , qui a furtout cette opinion
fortement imprimée, ne donne jamais audience à des Am-
baffadeurs de Princes étrangers, qu'il ne lave fes mains dans
un bafïïn d'eau , qui eft auprès de lui ôc deftiné à cet ufage,
dès qu'ils fe font retirez ; comme fi la conférence qu'il vient
d'avoir avec eux l'avoit fouillé. D'ailleurs les Mofcovites ,
fuivant les dogmes de leur foi, croyent devoir à leur Prince
autant de refpetl ôc de fidélité , qu'à Dieu même. Leur ex-
travagance va jufqu'à vanter autant un homme , qui eft de-
meuré fid#le à fon Prince jufqu'au dernier foupir , qu'un vé-
ritable Chrétien, qui a confervé jufqu'à la fin une foi vive , ôc
une charité brûlante pour Jefus-Chrift ; ôc ils croyent que le
ciel , après cette vie > eft également le partage de l'un ôc de
l'autre.
Afin que ces opinions foient toujours inaltérables dans l'ef-
prit de ces peuples , le Prince leur défend avec une extrême
févérité tout commerce avec les Etrangers , ôc les voyages
au
DE J. A. DE THO U, Li v. XXL 281
au dehors de l'Empire. Lesfeuls AmbafTadeurs, que le Czar <
envoyé dans les Cours , ont ce privilège. Mais on leur donne Henri IL
des furveillans , pour obferver leur conduite , ôc pour être 1 c c 8.
préfens , lorfqu'ils confèrent avec les Etrangers 5 d'où il ar-
rive , qu'ignorant la douceur du gouvernement des autres
nations , ils préfèrent l'efclavage à une lu jettion raifonnable 3 leur
étatpréfentàune condition meilleure , ôcce qu'ils connoiflent
à des biens incertains ôc douteux. De plus ; lorfque les Grands-
Ducs envoyent quelqu'un de leurs fujets en Ambaflfade 3 ou
qu'ils lui donnent quelque emploi important , foit à la guerre ,
foit dans les provinces , ils ont la précaution de retenir auprès
d'eux, comme en otage, fa femme ou fes enfans, afin que
des gages fi chers foient de fùrs garans de fa fidélité. Si le
Prince trouve que cet homme le foit mal comporté dans
fon emploi , ôc n'ait pas agi fuivant fes intentions , on fait
fouffrir de cruels tourmens à ces otages infortunez. C'eft
ainfi que parmi eux, ceux qui foupirent le plus après la liberté ,
ôc qui font le moins nez pour la fervitude , demeurent dans le
devoir , ou par des motifs de religion , ou par la crainte des
fupplices , ou par la vue des périls où ils expoferoient leurs
proches.
Au refte le Czar Jean voyant que la trêve , que fon père
avoit conclue après fa défaite, alloit expirer en l'année i^yo 3
ôc que les anciens démêlez fe renouvelloient entre l'Arche-
vêque de Riga, ôc le Grand-Maître de l'Ordre Teutonique,
crut devoir profiter de ces heureufes conjonctures , ôc fe prépara
à la guerre. Alors JodocReck , que Jean Beck Grand-Maî-
tre de l'Ordre avoit fait évêque de Derpt, fçutfi bien ména-
ger le Mofcovite , dont il avoit tout à craindre par la fitua-
tion de fes Etats , qu'il obtint une prolongation de la trêve
pour cinq ans. Les conditions du traité furent qu'on rebâti-
roit à Derpt , à Riga, ôc à Revelles temples des Mofcovites,
qu'on avoit abattus -, que la province de Derpt payeroit fans
fraude au Grand-Duc le tribut accoutumé, à ce que difoit ce
Prince , ôc qu'au furplus on donneroit fatisfa&ion fur quelques
autres articles 5 moyennant quoi le Mofcovite promettoit , au
bout de la trêve de cinq ans de confentir à une paix de quinze
autres années,!! on exécutoit les conventions de bonne foi. Lorf-
que la trêve fut expirée , le Grand-Maître de l'Ordre ôc Herman
Tome III. N n
2%2 HISTOIRE
évêque de Derpt envoyèrent des Ambaffadeurs au Czar pour
Henri IL négocier une prolongation. D'abord ce Prince refufa d'en-
1 S S 8. tendre à aucune proportion ', difant que les Allemands n avoient
pas exécuté les articles du dernier traité , n'ayant ni payé le
tribut , ni rétabli les Eglifes démolies. Enfin il accorda en-
core une fufpenfion d'armes pendant trois années, aux mêmes
conditions que celles du précèdent traité. Il y ajouta néan-
moins un impôt d'un marc d'argent par tête fur chaque habitant
du territoire de Derpt , dont il exempta les feuls Prêtres Catholi-
ques, par une politique ra-finée, ôc pour entretenir les diiTenfions
domeftiques. Les Livoniens jurèrent en préfence des Ambaf-
fadeurs Mofcovites d'obferver religieufement le traité, 6c baifé-
rent la croix , en prêtant un ferment qu'ils violèrent bientôt. Au
bout de la trêve de trois années , le Mofcovite déclara la guer-
re aux Livoniens, ôc fit publier un manifefte, où il reprochoit au
Grand-Maître de l'Ordre, à l'archevêque de Riga, à l'évêquede
Derpt , aux autres Prélats , ôc à tous ces peuples > l'infraclion
des articles de la trêve , qui portoit : qu'on répareroit les dom-
mages que les Mofcovites avoient foufferts : qu'ils auroient
la liberté du commerce en Livonie , où ils pourroient vendre,
ou échanger de la cire , du fuif , des cuirafles Ôc des armes :
que l'évêque de Derpt leveroit dans fon diocefe le tribut con-
venu , ôc envoyeroit la troifiéme année de la trêve une ca-
pitation d'un marc par tête ; ce qu'il feroit tenu de faire cha-
que année après la fin de cette trêve. Le manifefte contenoit
encore , que les Livoniens s'étoient engagez pareillement de
donner paffage à tous ceux qui iroient en Mofcovie par leurs
terres , foit pour le fervice du Czar , foit pour leurs affaires
particulières î ôc qu'ils avoient aufli promis de n'aider ni de
troupes ni d'argent le Roi de Pologne , ôc le duc de Lithua-
nie , ou ceux qui reprefenteroient ces Princes. Le Czar ajoû-
toit , que puifque les Livoniens avoient violé tant de fois des
traitez , qu'ils avoient juré d'obferver religieufement , en bai-
fant la croix , ôc en donnant la main , Ôc qu'ils avoient fcel-
lez du fceau de la nation joint au fceau de fon empire , il fe
voyoit contraint de prendre les armes , pour venger l'outrage
fait à Dieu, ôc à lui : qu'il les avoit avertis plus d'une fois de
prendre garde, que leur perfidie ne fît répandre le fang inno-
cent, Ôc n'occafionnât des meurtres, qu'il avoit en horreur*
DE J. A. DE T H O U , L i v. XXL m
comme prince Chrétien: qu'enfin il efpéroit, que Dieu n'im- - — l-liëj.. -
puteroit tant de maux> qu'ils s'étoient préparez par leurs par- Henri II.
jures, qu'à ceux qui en feroientles feuls auteurs. 1^58.
L,qs Livoniens ayant reçu cette déclaration du Grand
Duc datée du mois de Novembre de l'année 7067 l , fui-
vant la manière de compter des Mofcovites , furent extrême-
ment confternez. D'ailleurs Guillaume de Furftemberg grand
Maître des Chevaliers de Livonie , qui avoit fix compagnies
d'Allemands, dont il s'étoit fervi pour faire la guerre au Roi
de Pologne , avoit envoyé des députez en Moicovie , pour de-
mander la prolongation de la trêve , ôc avoit eu pour réponfe,
que s'il fouhaitoit la paix , il devoit congédier fes troupes,
parce que le Czar ne vouloit pas que l'on crût qu'il eût été
forcé de continuer la trêve. On tint un grand confeil au fujet
de cette réponfe du Mofcovite. Les fentimens furent parta-
gez. Les uns étoient d'avis , que non-feulement on devoit re-
tenir les troupes qu'on avoit fur pied , mais qu'il falloit faire
de nouvelles levées. Les autres, du nombre defquels étoit
Furftemberg , difoient qu'il falloit congédier les Allemands ,
pour ôter au Czar tout prétexte de faire la guerre j Ôc que fi,
malgré ces précautions , ce Prince vouloit entreprendre quel-
que chofe , on ne manqueroit ni de courage ni de troupes
pour le repoufTer. Ce dernier avis ayant prévalu, parce que
cetoit celui des Proteftans fupérieurs en nombre , on arrêta,
qu'on enverroit au Czar une célèbre ambaffade , dont les chefs
furent Elard Cmiflen , ôc Nicolas Franck.
Ces miniftres arrivèrent à la Cour du Grand Duc > avec une
fuite nombreufe , & avec toute la magnificence de ces peuples
feptentrionaux , ôc furent reçus avec une pompe extraordi-
naire. Le Prince étoit dans un vafte appartement richement
meublé, afTis fur un thrône d'or, ayant une couronne ôcun
fceptre à la main , ôc étant revêtu d'une robe facerdotale. On
voyoit à fa gauche auprès d'une table dorée douze Knez , fes
principaux Confeiliers d'état, qui avoient des habits tiffus d'or,
à la manière des Lévites. Il y avoit auili deux interprètes ,
qui fçavoient l'Allemand ôc la langue du payis. Le Czar ayant
fait demander fièrement aux Ambaffadeurs , s'ils venoient
1 Les Mofcovites , à l'exemple des leurs années depuis la création du
Grecs , dont ils fuivent le rit, comptent monde.
Nnij
n$4 HISTOIRE
: — — ■ demander la paix , ils répondirent , qu'ils étoient envoyez par
Henri IL le Grand-Maître deLivonie, ôc par l'évêque de Derpt, pour
i 5* 5* 8. en traiter ; ôc préfenterent en même tems au Prince des cou-
pes d'or , qui furent portées par fon ordre dans une falle à
manger près de-là. Alors le Czar reprocha aux Livoniens
leur perfidie , ôc leurs parjures ; n'ayant jamais obfervé une
feule des conditions de la trêve , quoique munie du fceau de
leur province , ôc cimentée par la religion du ferment. En-
fuite il leur repréfenta , combien ils avoient dégénéré de la
vertu des anciens Livoniens , peuples fi recommendables par
leur religion , leur courage , ôc leur fidélité à garder leur pa-
role ; exagérant à deffeia, pour les mieux confondre , les
grandes qualitez de leurs pères. Il ajouta , qu'ils avoient re-
noncé à leur ancien culte , abattu les temples , pillé ou
prophané les Monaiteres des Religieux ôc des Vierges ;
qu'enfin , bien loin de coniidérer le Grand - Maître de l'Or-
dre & l'Evêque , comme des Princes de l'Eglife , on ne les
devoit regarder que comme des hommes plus cruels que les
peuples les plus fauvages , ôc qu'ils étoient indignes qu'il leur
donnât la paix.
Les Livoniens répondirent, qu'après avoir parcouru leurs
regiftres des tems les plus reculez 3 ils n'avoient pas trouvé ,
qu'il fut du aucun tribut aux Mofcovites; que du refte, puif-
qu'on leur refufoit la paix 3 ils en porteroient leurs plaintes
au Chef de l'Empire , dont ils étoient membres, ôc qui les
devoit protéger. Le Czar foûrit , lorfque les Livoniens rirent
mention de l'Empereur î fçachant bien que les fecours 3 que
pourroit leur envoyer ce Prince, n'arriveroient que bien tard.
Puis il prit occafion de-là, de reprocher encore aux Ambaf-
fadeurs l'impiété de leurs peuples , qui avoient méprifé les
ordres de leur Empereur , en détruifant les églifes Catholi-
ques , violant le refpecl dû aux Autels , ôc traitant indigne-
ment les Prêtres. Il leur dit cependant , que s'ils vouloient
lui payer une fomme de quarante mille Joachims , pour être
quittes de ce qu'ils lui dévoient des années précédentes, ôc
s'engager à lui donner tous les ans mille pièces de Hongrie
pour le payis de Derpt , il leur accorderoit la paix. Peu de
jours après , ce Prince fe repentant de s'être relâché à leur
égard 3 leur envoya demander le payement de la fomme }
E3K9.VO& *CWJB'
D E J. A, DE THOU, Liv. XXI. 28;
dont nous venons de parler. Les Ambafladeurs firent répon- «
fe, qu'ils ne l'avoient pas , mais qu'ils étoient prêts à donner Henri IL
caution de ne point partir, qu'elle ne fut entièrement payée, i ç c 8.
Le Grand Duc, qui vouloit la guerre, leur fit dire, au'il
ne pouvoir fe fier à des gens, qui l'avoient trompé tant de
fois 5 qu'ainfi ils eufTent à retourner au plutôt dans leur payis,
où il les fuivroit bien-tôt, pour les forcer de payer les fommes
qui lui étoient promifes. Telle fut la manière dont le Czar reçut
ces Députez, qui ne purent arriver chez-eux, que vers la
fin du mois de Février, parce qu'on leur donna des guides
infidèles , qui leur firent prendre exprès de longs détours ôc une
fauffe route.
La fuite fit voir qu'on en ufa ainfi à leur égard ; afin de fur-
prendre les Livoniens , ôc qu'ils ne pûfTent fe préparer à la
guerre. En effet le Mofcovite ayant affemblé une puifTante
armée , entra dans le payis de Derpt le p de Février , avant
le retour des Ambafladeurs. Ne trouvant point de réfifrance.,
il met tout à feu ôc à fang, brûle les granges ôc les gre-
niers , tuë tout ce qu'il rencontre , jufqu'aux beftiaux qu'il ne
peut emmener. Les garçons au-deflus de dix ans furent égor-
gez, ceux de vingt vendus aux Tartares, Ôc ceux qui paflbiem
cet âge périrent par le fer , fans que rien pût fléchir ces hom-
mes impitoyables. Tous les villages étoient en feu, ôc les fo-
rêts retentiffoient des cris lamentables des femmes ôc des en-
fans. Aucun lieu ne fut exempt de la défolation générale , à
l'exception de la ville de Derpt , ôc de quelques places fortes;
ôc ces affreufes hoftilitez enfanglanterent une étendue de
payis de plus de feize milles. On exerça fur-tout d'horri-
bles cruautez fur les Allemands. On coupoit les bras à ceux
qu'on avoit pris^ôc le fein aux femmes* ou bien on les met-
toit en morceaux , ôc on couvroit les chemins de leurs mem-
bres épars, pour infpirer de la terreur. Ceux qui purent écha-
per à la fureur du ioldat, fe retirèrent en foule à Derpt avec
leurs femmes , Ôc leurs enfans. Mais comme un fi grand nom-
bre ne pouvoit loger dans la ville , plus de dix mille fe cachèrent
dans les foffez , où ils eurent à fouffrir les plus grandes extrê-
mitez , fe trouvant expofez durant un hiver très-rigoureux aux
injures de l'air , prefque nuds. La plupart furent emportez par
les maladies, ou parla faim. Enfin les Mofcovites furvenant
Nn ii)
226 HISTOIRE
firent périr ces miférables reftes , que le froid , & la faim avoient
Henri II épargnez. Ils entrent dans ces foflez profonds , ôc trouvant
c c g un peuple fans défenfe,le paiTent au fil del'épée. Leshabitans
de la ville, n'ofant fortir de leurs ramparts pour fecourir ces
malheureux , fe contentèrent de canoner les ennemis. Ceux-
ci fe répandirent enfuite dans le payis deLetten, de la dépen-
dance du Chef de l'Ordre , ôc y commirent les mêmes cruau-
tez : il paroiflbit bien , qu'ils vengeoient les injures de plu-
fleurs années. Ces furieux ayant parcouru , la flamme à la main,
la campagne de Nerva , ôc de Virlandt t ôc une partie du payis
de Riga brûlèrent ôc ravagèrent tout , ôc retournèrent chez eux
chargez d'un riche butin.
En ce tems-là parut une grande Comète avec une longue ôc
terrible chevelure, qui acheva de confternerles Livoniens. Ces
peuples fupermtieux s'imaginant que ce phénomène leur annon-
coit des malheurs plus grands encore que ceux qu'ils venoient
d'éprouver , aflemblerent à "Wenden les Etats du payis , pour
délibérer fur ce qu'ils avoient à faire. D'abord les efprits
étant animez par les maux récens, on fut d'avis d'envoyer des
! troupes dans le payis ennemi , pour y faire les mêmes ravages
qu'on avoit foufferts , ôc pour venger par de pareilles cruautez
le fang innocent qu'on venoit de répandre. Mais d'autres pré-
férant la fureté du payis à un reflentiment généreux , dirent
qu'il falloit à force d'argent acheter lapaix d'un ennemi extrême-
ment avide. Tous étant revenus à cet avis , le Grand-maître de
l'Ordre fit partir un courier, pour demander au Mofcovite
une trêve de quatre mois , ôc la liberté de faire partir une Am-
baflade , pour traiter de la paix. Le Czar ayant agréé ces pro-
polirions , les Ambaflfadeurs fe mirent en chemin au commen-
cement du mois de Mai. Mais tandis qu'ils faifoient leur route
de Derpt à Mofcow , réfidence du Grand Duc diftante de
Derpt de cent-cinquante milles d'Allemagne, il furvint un évé-
nement qui rit évanouir les efpérances de la paix.
Il y avoit dans la ville de Nerva de Livonie , qui eft vis-
à-vis de Nerva de Rufïie , une garnifon de trois cens hom-
mes, Ôc de cent-cinquante chevaux , qui faifoit une garde
exacte , de crainte de furprife. Ces foldats ayant crû. voir dans
la ville voifme, plus d'hommes qu'à l'ordinaire , foit qu'ils crai-
gnirent d'être attaquez , foit que le vin les eût rendu furieux,
DE J. A. DE T HOU, L iv. XXL 287
pointèrent deux pièces de canon de ce côté-là , ÔC tirèrent »
plufieurs coups. A ce bruit les gamifons voifines , croyant la Henrt IL
trêve rompue , prennent les armes à l'exemple de la ville de x r- ^ 3,
Nerva de Livonie , font un grand feu de leur artillerie , ôc
tuent beaucoup de Mofcovites. Ceux-ci, pour ne pasenfrain-
dre la trêve, au lieu de commettre des hoftilitez, envoy enta
Mofcow donner avis de ce qui s'étoit palïé. Le Czar Jean
reçut ces plaintes , dans le tems qu'on introduifoit les Ambaffa-
deursLivoniens à l'audience. Ce Prince fort irrité foûtint à ces
miniftres , que ces hoftilitez avoient été commifes à deflein, ôc
non par malheur & à leur infçu. Il leur reprocha encore leur per-
fidie , ôc leur changement de Religion , ajoutant que les Livo-
niens , en renonçant au culte de leurs pères , avoient renoncé à la
bonne-foi, & à toute pudeur, Ôc il les renvoya fans avoir voulu les
entendre, ni recevoir l'argent qu'ils apportoient. En même-tems
il leva une grande armée , qu'on fait monter jufqu'à trois cens
mille hommes , ôc qui étoit compofée de quatre corps de
Rufîîens , deux de Tartares ôc un autre de douze mille arque-
busiers ôc piquiers. Toutes ces troupes étoient commandées ,
en l'abfence du Prince, par le fameux Corfaire Pierre , fur-
nommé Sifegaleider , ou félon d'autres Zerfigal , parce qu'il
a voit fait long- tems le métier de Pirate fur le Pont-Euxin avec
fept grandes galères. Ce général marcha droit à Nerva de
Livonie à la tête de l'armée , ôc fuivi d'une nombreufe artille-
rie. Il n'y avoit que huit jours que le iiége étoit formé , lorf-
qu'il fit jetter dans la ville des feux d'artifice , qui ayant em-
brafé les maifons , qui étoient toutes de bois , gagnèrent fort
vite tous les- quartiers , ôc même les portes de la ville. Les
habitans voyant leur ville ouverte de toutes parts , fe retirèrent
dans la citadelle , avec la garnifon. Peu après manquant de
vivres ils capitulèrent, à condition que les Allemands ôc eux
auroient vie Ôc bagues fauves. Cependant ils furent dépouil-
lez de tous leurs biens : le gouverneur de la place reprefenta
inutilement , qu'on violoit la foi donnée. Ceux qui demeu-
rèrent dans la ville, furent obligez de prêter ferment au Mof-
covite.
Après que l'armée eut defolé la campagne de Nerva , elle
entra dans le payis de Derpt , Ôc alla camper auprès de New-
haus 3 place forte appartenant à l'évêque de Derpt , dont elle
28g HISTOIRE
« .vj^mmvmm eft éloignée de dix huit milles. Les Livoniens difolent , qu'il
ii,Mni tt V avoit environ cent-vingt-un ans , que les Mofcovites avoient
HENRI II. J i / i ° i« ■ "" ti
P reçu un grand échec en ce lieu. Ils tenoient pour cer-
tain , que la garnifon étant en ce tems-là réduite aux dernières
extrêmitez , le gouverneur avoit imploré le fecours du ciel , ôc
lancé en même-tems un trait , qui perça le Prince ennemi :
qu'alors les Rufïiens épouvantez de cette mort , comme fi le
coup fut parti du ciel , avoient levéhonteufement le fiége. Je
n'ofe affurer , fi ce fait eft véritable , ou fuperftitieufement con-
trouvé. Ce qui eft de certain , c'eft qu'on gardoit dans l'Eglife
principale de Newhaus un arc fufpendu à la voûte , comme un
monument de cette heureufe délivrance. Mais alors le ciel ne
fut pas fi favorable aux habitans. Car la garnifon , ôc les bour-
geois ayant tenu environ un mois , ôc voyant qu'il ne leur venoit
point de fecours , ôc que le Grand-Maître de l'Ordre fe tenoit
depuis vingt-jours renfermé dans fon camp de Kiériépe-à fix
milles de Newhaus , fans ofer en fortir , ils fe rendirent , ôc ob-
tinrent la vie ôc la liberté pour eux , ôc pour leurs femmes. Sur
ces nouvelles le Chef de l'Ordre , qui avoit peu de forces , fe
retira dans le fond de la Province.
Alors les garnifons de plufieurs places ayant pris la fuite ,
Weifemberg, Tolfburg, Warnebeck, Newhaus , ôc Ringen ou-
vrirent leurs portes aux vainqueurs , qui ayant fait le dégât dans
une étendue de payis de trente milles , vinrent camper à fix
milles de Derpt. Ces barbares prennent fur la route quelques
Allemands , ôc des femmes , coupent les bras aux uns, Ôc le
fein aux autres, ôc les renvoyent ainfi mutilez , pour intimider
ceux qui oferoient faire réfiftance. L'évêque de Derpt avoit
fait venir le capitaine Groeninghen avec foixante foldats , ôc
donné le commandement de la place à cet officier , qui étoit
d'une grande réputation à la guerre. Mais les bourgeois étoient
defunis au fujet de la Religion. L'évêque ôc fon Chapitre
avoient de grands différends avec les Magiftrats , qui étoient
les plus puhTans: ceux-ci prétendoient qu'on fermât les portes
de l'Eglife, ôc qu'on n'y pût adminiftrer les Sacremens qu'à la
manière des Luthériens s les premiers au contraire vouloient
garder le culte de leurs ancêtres , déteftant les deffeins de leurs
adyerfaires , blâmant la conduite du Sénat , ôc difant tout haut,
que depuis qu'on avoit changé la Religion , ils avoient été
accablez
DEJ. A. DETHOU,Liv. XXL i%o
accablez de malheurs , 6c qu'on nepouvoit attribuer qu'à cette
funefte révolution Finvafion des Mofcovites. Enfin l'intérêt JJENR1 ]J#
commun fit prendre ce parti. On arrêta, que puifqu'il ne s'a- i ç ç 8.
giiToit pas alors de la Religion , mais de défendre fa patrie , ôc
fes foyers , il feroit libre à chacun de demeurer dans la Reli-
gion qu'il croiroit la meilleure ; ôc tous jurèrent de combat-
tre jufqu'au dernier foupir , plutôt que de fe rendre.
Cependant les ennemis s'approchèrent de la ville l'onziè-
me de Juillet à la faveur d'un brouillard fort épais , ôc ouvri-
rent la tranchée du côté de la porte S. André. Les quatre pre-
miers jours , il y eut divers légers combats , dans les forties que
firent les afïiégez ï ôc le canon de la place ayant fait un grand
feu , plufieurs cavaliers Mofcovites furent tuez ou blefTez : les
ailiégeans de leur côté firent approcher leur artillerie ; ôc
au lieu de braquer les canons contre les murs de la ville , ils
tiroient fort haut , afin que les boulets que deux hommes au-
roient eu bien de la peine à porter, venant à retomber fur les
maifons , qui étoient toutes de bois , écrafafTent les femmes ôc
les enfans. Enfin les mines ayant joué vers la porte S. André,
ôc le feu continuel de l'artillerie ayant fait en ce lieu une brè-
che confidérable le 17 de Juillet , les cris des femmes ôc des
enfans répandirent la confternation dans la ville. Les Magiftrats
allarmez , ôc craignant l'avenir, vont trouver l'Evêque ôc le
Clergé, ôc leur font rapport de l'état de la place ; ajoutant ,
que puifqu'on ne pouvoit tenir plus long-tems , on ne devoir,
pas attendre les dernières extrêmitez 5 ôc que fe rendant quel-
ques jours plutôt , on obtiendrait des conditions plus avan-
tageufes. Ceux-ci répondirent, que les Magiftrats agifToient
contre la foi de leurs fermens ; ce qui n'empêcha pas le Sénat ,
qui avoit enfin attiré à fon avis l'Evêque , prélat d'un caractère
allez doux , de députer aux ennemis , pour demander à capi-
tuler , à condition qu'on leur accorderoit la vie ôc les biens.
Les Mofcovites propoferent , félon leur coutume, que lesha-
bitans euffent à renoncer à la domination du Pape ôc de l'Em-
pire Romain. Les députez ayant promis de la part des bour-
geois une fourmilion (încere à cet égard , les ennemis s'enga-
gèrent de traiter à ces conditions.
Mais le bruit de l'accord qu'on projettoit s'étant répandu
dans la ville , les Prêtres ôc le Gouverneur , qui avoit foixante
Tome 11L O o
spo HISTOIRE
, Soldats à fes ordres , excitèrent un grand tumulte > difant3 que
Z^r 77 les Luthériens les trahiflbient , ôc que non contens d'avoir
' quitté la Religion Catholique , ces perfides Ôc ces impies vou-
1 * * ' loient encore les livrer aux Mofcovites. Us ajoûtoient , que
pour eux ils étoient préparez à tout événement, & qu'ils ne vou~
loient pas que la pofterité les aceufât d'avoir facrifié à l'amour de
îa vie leur patrie, leur liberté ôc la religion de leurs pères. L'en-
nemi étoit fort fatisfait de ces divifions domeftiques. D'un au-
tre côté , il craignoit qu'un parti abandonné au defefpoir n'en-
gageât le parti contraire à fe défendre jufqu'à l'extrémité. C'efl
pourquoi il fit dire aux afîlégez , qu'il ne vouloit forcer per-
fonne à renoncer à l'obéiiTance du Pape , ôc à prêter ferment
au Czar ; qu'il étoit réfolu de fe rendre maître de la ville , ou de
force , ou du confentement des habitans : Que s'il y en avoit
qui ne vouluffent pas obéir aux Mofcovites , on leur donne-
roit un fauf-conduit , pour fe retirer en Allemagne : Que la
vie ôc les biens feroient confervez à ceux qui voudroient re-
connoître le grand Duc pour leur Souverain ; mais qu'on fe-
roit mourir ceux qui refuferoient d'accepter ou l'un ou l'autre
parti ; qu'enfin ils n'avoient que peu de tems pour déterminer
ce qu'ils avoient à faire , puifque les portes de la ville feroient
fûrement forcées le lendemain au matin. Enfin la ville fe ren-
dit le 18 de Juillet , malgré l'oppofition du Gouverneur, de
îa garnifon ôc des Prêtres. Deux cens Gentilshommes des plus
qualifiez, ôc autant de Dames, aimèrent mieux abandonner
leur payis , que de renoncer au Pape , ôc que de fe donner aux
Mofcovites. Ce départ fut un trifte fpeâacle. On voyoit le
mari quitter fa femme , la fœur fon frère , les enfans leur père
ôc leur mère , ôc ceux qui étoient unis par les liens du fang
le féparer. Les autres aimèrent mieux céder à la néceflité , que
d'abandonner leurs maifons par attachement au S. Siège , qu'ils
ne reconnoiffoient pas , quoiqu'ils euffent d'ailleurs une grande
haine pour les Mofcovites. LesTartares, quis'étoient promis
un riche butin dans le pillage de la ville , ne goûtoient guéres
les conditions d'un traité > qui leur déroboit leur proye. Déjà
ils bandoient leurs arcs contre les Livoniens , qui feretiroient
fur la foi publique , lorfque les cris ôc les hurlemens des femmes
ayant été entendus du Général , il fît fonner la retraite , ôc arrê-
ta la fureur des barbares. Ces malheureux habitans ayant traverfé
DE J. A. DE THOU, Liv. XXL 291
l'armée ennemie , ôc évité la fureur des Tartares, arrivèrent en- ■—MtUfclaM—
fin à Revel , d'où quelques-uns fe retirèrent àLubec. Herman pjENRI \\
de Wefel delà maifon de Reck , évêque de la ville , fut détenu 'y - -. g
queîque-tems prifonnier dans le couvent de Falkenaw 3 puis
mené en Mofcovie. Tel fut le fort de la ville de Derpt, qui ayant
été autrefois fous la domination des Ruffiens , avoit été prife
parWolquin grand-Maître de l'Ordre, où Herman avoit établi
le liège Epifcopal en l'année 1230, ôc qui revint enfin fous
l'empire de fes anciens maîtres. La jaloufie de deux puiffans
partis fut caufe de cet événement. Les Prêtres ôc les Catholi-
ques imputoient ce malheur aux Chevaliers , ôc à ceux qui
fuivoîent la Confefllon d'Aufbourg. Mais plufieurs difoient
que les deux partis avoient caufé également la prife de la ville?
que prefque tous amollis par les plaifirs , ôc plongez dans de
honteufes débauches , avoient renoncé au célibat , ôc que leurs
grands biens ne pouvant fuffire à entretenir leur luxe , ils dé-
voroient le miferable peuple , le furchargeoient d'impôts 3 lui
faifoient toutes fortes d'outrages , ôc le chargeoient de coups,
comme de vils efclaves j qu'enfin ils s'abandonnoient à tous
les excès , qui attirent tôt ou tard les vengences d'un Dieu tou-
jours jufte, quoique lent à punir.
Les autres villes de la province , étonnées des progrès que
faifoient les Mofcovites , ne pouvant compter fur leurs pro*
près forces , ôc n'ayant aucune efpérance du côté de l'Empire,
furent contraintes de s'adrefTer aux Princes voifins. Ceux de
Revel , à qui le Czar avoit déclaré la guerre par des lettres
remplies de menaces , ôc la Nobleffe de ce territoire , envoyè-
rent des députez à Chriftierne III. roi de Dannemarc , pour lui
offrir de mettre fous fa prote&io'n royale , leur ville , Ôc les
payis d'Harlandt 3 de "Wirlandt , Ôc d'Eften : ôc pour lui dire
que la juftice ôc la reconnoifTance les obligeoient , auiïi-bien
que la néceflité^de lui faire ces propofitions ; puifque Walde-
mar II. roi de Dannemarc avoit bâti leur ville , ôc que la
nobleffe de Wirlandt Ôc d'Eften tenoit de ce même Prince fes
plus beaux privilèges. Mais Chriftierne, prince modéré, déjà
vieux , ôc fe voyant près de fa fin , refufa d'entrer dans cette
guerre : il allégua la foibleffe de fon âge , peu propre à foûte-
nir tant de foins , ôc un fi grand fardeau ; ôc dit , qu'il ne
penfoit point à étendre fes Etats, en y joignant ce qui ne lui
Ooij
191. HISTOIRE
appartenoit pas ; qu'au refte il n'étoit pas fi puiffailt qu'ils fe
Henri II ^magui°ient > n* en état de défendre des peuples éloignez
I g ' contre un ennemi fi redoutable. Enfuite il les congédia avec
des marques de bonté s leur ayant donné de l'argent, des vivres^
& fur tout de la poudre , dont ils manquoient. Cependant le
Prince de Mekelbourg 3 qui avoit fuccedé à Guillaume 3 arche-
vêque de Riga 3 ôc qui avoit été confirmé dans fa dignité par
Frédéric "Wolckerfam 3 afîembla une armée , ôc étant entré
dans le payis de Derpt, tailla en pièces les Mofcovites au-
près du village de Torefer 3 ôc reprit le château de Ringen.
Mais la rigueur de l'hiver l'empêcha de faire de plus grands
progrès, Peu après , ôc au commencement de l'année fuivante.,
les Mofcovites entrèrent par un autre côté dans le payis de
Riga , à la faveur des rivières glacées , y firent de grands dé-,
gâts ôc vengèrent leur dernière défaite.
Mort de Enfin le 2 1 de Septembre, jour de S. Mathieu , l'Empereur
Charle v. Charle V. père de Philippe roi d'Efpagne finit i^cs jours ac-
Réflexions fur caD]i d'infirmitez. -Il avoit vu mourir au mois de Février de
les grandes A . . ,
quahtez de ce cette même année la reine iileonor la iœur , qui avoit epoule
Prince. Emanuel roi de Portugal 3 ôc enfuite François I. roi de
France. Avant que Charle mourût , on avoit vu. le treizième
d'Août fur le foir une Comète , fous la chevelure de Bérénice,
dont la queue paroiflbit regarder l'Efpagne , ôc qui s'avançant
enfuite vers l'Orient ne parut plus le cinquième de Septem-
bre. On peut dire à l'égard de ce Prince 3 que la Vertu fem-
bla difputer avec la Fortune 3 pour l'élever à l'envi lune de
l'autre au plus haut point de la félicité , dont il étoit digne ?
ôc je ne crois pas que notre fiécle., ni les temsles plus recu-
lez puiiTent nous donner uir modèle d'un prince orné de plus
de vertus , ôc plus digne d'être propofé aux Souverains , qui
veulent gouverner par des principes de juftice ôc de vertu,
Car que lui manqua-t-il 3 pour être un prince accompli ; foit
qu'on confidere fon génie ôc fa prudence dans la conduite
de fes defleins 3 fa fermeté dans les malheurs 3 fa modération
dans laprofperité ; foit qu'on fe reprefente fon fang froid dans
les dangers , fon éloignement des plaifirs , ou enfin fa juftice ;
vertu, qui met le comble aux grandes qualités des Souverains ?
Sa vie fut ferieufe dès l'enfance 3 ôc depuis toujours agitée par
de grandes affaires , par de longs voyages 3 ôc par diverfes
DE J. A, DE THOU, Liv. XXL a^
expéditions de guerre. Nous pouvons ajouter fans flaterie ,
que depuis qu'il fut élevé à l'Empire , la Religion fut fon objet J|ENRI H,
principal , ôc qu'on doit rapporter à ce motif prefque tout ce l y ^ g,
qu'il fit durant la guerre ôc durant la paix , ôc fur tout ce
qu'il entreprit pour procurer , malgré des obftacles infinis ,
un Concile légitime , qui pût mettre la paix dans l'Eglife ;
defTein, qui fut tant de fois traverfé, foit par l'ambition des
Papes , qui n'agifloient pas en cela de bonne foi , foit par nos
guerres toujours renouvellées avec un malheureux fuccès.
Cependant il fuivit toujours ce pieux projet, ôc en vint heu-
reufement à bout : de forte qu'on ne doit point s'étonner 3
que les defleins , les difeours , ôc les actions d'un Prince qui
avoit des vues fi religieufes , ayent toujours été éclairez, ôc
favorifez par le fecours du ciel. Au contraire il feroit furpre-
nant, qu'un Empereur qui prit toujours la juftice ôc la pieté
pour règle de fes actions , qui forma fes miniftres aux mêmes
vertus , ôc laiiTa au Roi fon fils un Etat appuyé fur de fi foli-
des fondemens , n'eût pas tranfmis à fes defeendans ôc per-
pétué dans fa famille , inftruite par de fi bons exemples, ce
bonheur dont il a joui toute fa vie. Je dirai cependant, que
plufieurs ont regardé Charle V. comme un prince trop fin ,
ôc plus artificieux qu'il ne lui convenoit dans une fi haute for-
tune. On affure qu'il prenoit beaucoup de plaifir à lire la Vie
de Louis XL écrite par Philippe de Comines, auteur très-fage
ôctrès fenfé ; ouvrage où je conviens que l'on trouve de grands
préceptes de prudence ôc de bonne conduite, mais où il faut
demeurer d'accord que l'on voit aufîi plufieurs exemples qui
marquent un efprit fourbe ôc difïimulé , ôc une ame peu royale,
On blâme dans Charle ce voyage qu'il fit par les provinces
de la France , pour aller au plus vite appaifer les troubles qu'a-
voient élevez les Gantois.il pafTa par laFrance comme un renard*
il y trompa le connétable Anne de Montmorenci , qui ayant
trompé le Roi à fon tour , fut renvoyé pour ce fujet dans fes
terres : cependant on peut exeufer Charle en cette occafion.
On reproche fur-tout à fa mémoire la captivité du Land-
grave de HeiTe > qui contre la foi donnée , fut enfermé cinq
ans dans une étroite prifon , fous prétexte d'un traité dont
quelques termes étoient équivoques ôc captieux , ôc qui fut du-
rant tout ce tems l'objet des railleries ameres des Efpagnols i
O o iij
2<?4 HISTOIRE
procédé non- feulement honteux , ôc indigne de ce prince
Henri IL ( °IU^ cependant agit alors moins de fon propre mouvement,
i y 5" 8. <3ue Par les confeilsdu duc d'Albe & de Granvelle) mais qui
lui fut encore très-préjudiciable. Carie duc Maurice, qui lui
avoit rendu de fi grands fetvices , ôc qui avoit tant contribué à
affermir fon autorité en Allemagne , quitta fon parti, indigné
de cette infidélité , ôc lui fit perdre par cette défection le fruit
de tant de victoires. Ce malheur fut fuivi du iiége de Mets , où
Châtie échoua avec toutes fes forces, 6c l'année fuivante,
de la bataille de Renti , dont chaque parti s'attribua le fuc-
ces. Mais ces taches , qui viennent de l'infirmité humaine, doi-
vent moins paroître dans un Prince élevé fi haut , & font com-
me effacées par tant d'aoions dignes de l'immortalité. La fin
d'une vie remplie de tant de merveilles fut fur-tout admira-
ble, ôc fit mieux voir encore la grandeur d'ame de cet Em-
pereur, que tout ce qu'il avoit fait. Après avoir remporté tant
de victoires il fait fe vaincre lui-même. Pour mener une vie
plus chrétienne ôc plus tranquille, il abandonna une vie agitée;
ôc après avoir vécu pour fes peuples , il commença à vivre pour
lui-même, ôc pour Dieu. Il fe retira les deux dernières années de
fa vie dans un monaftere de l'ordre des Jeronimites , où con-
duit par les avis de fon Confeffeur nommé Conftantin, il fe
confoloit dans fa retraite, par la lecture des ouvrages defaint
Bernard né François t ôc où s'uniffant à Dieu par la prière, il
difoit fouvent ces paroles : Qu'il étoit indigne d'obtenir le
royaume du ciel par fes propres mérites ; mais qu'il comptoit
uniquement fur ceux du Seigneur fon Dieu , à qui le ciel ap-
partenoit par deux droits différens , ôc comme fils du Père éter-
nel, ôc comme ayant fouffert la mort fur la croix 5 que le
Sauveur content de jouir du célefte héritage en vertu du pre-
mier titre , lui faifoit part du fécond ; qu'il y prétendait par
cette feule raifon , ôc qu'il fe confioit que fon efpérance ne
feroit point confondue : Que l'huile de la miféricorde ne cou-
loit pour ainfi dire , que dans les vafes de la confiance , ôc que
cette confiance confiftoit à ne point compter fur foi , ôc à s'ap-
puyer uniquement fur fon Dieu : que c'étoit être perfide , ôc
non fidèle de penfer autrement ; que nos crimes nous étoient
pardonnez par la pure bonté du Seigneur , ôc que nous de-
vions croire, que celui-là feulpeut effacer les péchez, contre
DE T. A. DE THOU Liv. XXL 29$
qui nous avons péché .> dans qui il n'y a point de péché , ôc
par qui feul nos péchez nous font remis. Henri IL
Enfin une fièvre aiguë s'étant jointe à une maladie de lan- 1 ç r 8.
gueur , il prit le crucifix , qu'il embraffa avec une grande fer-
veur , ôc dit tout haut , qu'il n'attendoit fon falut que d'un
Dieu crucifié. Ayant reçu le viatique : Demeurez en moi, dit-
il, aimable Sauveur, afin que je demeure en vous. Il expira
en difant ces mots , ôc finit une vie comblée de gloire , en ren-
dant fon ame à Dieu , de qui il Tavoit reçue. Il vécut cinquan-
te-huit ans fix mois, ôc vingt-cinq jours, ôc mourut, après
avoir gouverné quarante ans fes payis héréditaires, ôc tenu
l'Empire trente ôc un ans. Il y avoit dix ans , qu'étant à Auf-
Bourg , après avoir abaiffé les Princes d'Allemagne , il avoit fait
fon teftament , par lequel il exhortoit le Prince fon fils , qui
étoit abfent , à fe charger du gouvernement de fes Etats. Iî
lui recommandoit la pieté fur toutes chofes , ôc difoit qu'après
avoir effayé différens moyens, pour appaifer les troubles fur
îe fait de la Religion , il n'en avoir point trouvé de plus con-
venable, que la célébration d'un Concile ; qu'il lui ordonnohy
fi Dieu difpofoit de lui, de faire tous fes efforts avec l'Empe-
reur Ferdinand, ôc les autres Princes Chrétiens ,pour mettre
la dernière main à un ouvrage qu'il avoit entrepris pour la
gloire de Dieu. Il confeilloit au Prince d'aimer la paix , que
Dieu a tant recommandée aux hommes , ôc de n'entreprendre
aucune guerre, fi elle n'étoit très-jufte , ôc s'il n'y étoit forcé.
Après cela il lui donnoit de fages préceptes , pour lui appren-
dre de quelle manière il devoit fe conduire avec le Roi des
Romains, ôc les Princes fes enfans, avec les autres puiffances
de l'Empire , avec les Allemands , ôc les cantons SuifTes , avec
la République de Venife, avec les Ducs de Florence, de Fer-
rare, ôc de Mantouë, avec les Républiques de Gènes, ôc de
Sienne , avec le Roi de France, ôc enfin avec les fouverains
Pontifes , qui étoient mal intentionnez , à caufe de la Pragma-
tique de Caftille , ôc des droits litigieux qu'ils prétendoient fur
les Royaumes de Naples ôc de Sicile, Il ajoûitoit, qu'il fal-
loit toujours être fournis au faint Siège, fans avoir égard aux
bonnes ou mauvaifes qualitez de ceux qui l'occupoient. Il fe plai-
gnoit dans ce teftament de Paul III. qui n'avoit pas agi de
fconne foi avec lui, au fujet de la convocation d'un Concile^-
z96 HISTOIRE
Enfuite il prefcrivoit à Philippe fon fils ce qu'il devoit faire en
Henri II. faveur du auc deSavoye,ôc de fon fils , pour les rétablir dans
! j j§( leurs Etats* Il lui confeilloit encore d'entretenir les traitez d'al-
liance avec l'Angleterre , ôc d'être uni d'amitié avec rEcoffe;
de ne point inquiéter le Roi de Dannemarc , au fujet des dif-
férends qu'on avoir eus avec fon prédeceffeur > de donner le
gouvernement des Indes à desVicerois, gensde bien, éloignez
de toute avarice , ôc de toute avidité s ces payis exigeant de
lui une attention d'autant plus grande, qu'ils étoient plus re-
culez. Enfuite il luiparloitdu mariage des PrincefTes fes filles,
ôc confeilloit à Philippe d'époufer ou la fille du Roi de Fran-
ce , ou l'héritière de la maifon d'Albret , princeffe d'une fanté
vigoureufe, d'un caraftere admirable, vertueufe, ôc d'un cœur
digne de fa nahTance. Après lui avoir donné ces éloges, il
ajoûtoit qu'il falloit avant que défaire cette alliance, conve-
nir avec elle de fes droits. Car ce fage Prince avoit fur-tour
en vue qu'on rendît juftice à la maifon d'Albret , à qui on avoit
enlevé le Royaume de Navarre, ôc qu'enfuite on unît cette
Couronne , par le mariage de la Princeffe , aux autres de l'Ef-
pagne. C'eft pourquoi il fouhaitoit qu'on lui remît Jeanne
d'Albret , du confentement du Roi Henri fon père.
Il fit enfuite peu de jours avant fa mort un codicile, qui fut
inféré dans le teflament de Philippe. Il difoit dans cet écrit,
qu'il croyoit que Ferdinand fon ayeul avoit eu de jufres rai-
fons pour réduire la Navarre fous fon obéiffance 5 que cepen-
dant il prioit Philippe de fatisfaire ceux fur qui on lavoit con-
* Codicile de qUife. Ilajoûtoit à cela certaines conditions, qui furent peut-
Swfa-réfti- ^tre al°rs employées, à deffein d'éluder la reftitution de cet
tution de la Etat , ou qui furent interprétées depuis avec plus de fubtilité
Navarre. ^ ^Q détours , que de bonne foi. Enforte que les Princes qui
y avoient le principal intérêt, ôc nos Rois même, ont efperé
en vain jufqu'ici de recouvrer ce Royaume. Charle laifla trois
enfans d'Elizabeth de Portugal ; Philippe fon fuccefleur, Ma-
rie Augufte , qui époufa Maximilien IL fon coufin germain,
ôc Jeanne qui fut mariée à Jean prince de Portugal , dont for-
tit Sebaftien , fils pofthume, qui fut Roi après fon ayeul. Avant
que d'être marié , Charle eut d'une maîtreffe la Princeffe Mar-
guerite, femme d'Alexandre de Medicis , ôc enfuite d'Ottavio
Farnefe duc de Parme. Ayant perdu l'Impératrice long-ten^
avant
DE J. A. DE T H O U , L i v. XXL 191
avant fa mort , il eut Dom Juan d'Autriche d'une dame de
Rati/bonne. Au refle ce Prince eut tant de retenue par rap- 7J~
port à fes foibleffes , qu'excepté fes plus affidez domeftiques, "ENRI ■
on ignora toujours le nom de la mère de Marguerite, & qu'il l ^ $
ne parla jamais de Dom Juan, que peu de jours avant fa mort,
îorfqu'il chargea quelques-uns de fes courtifans de le recom-
mander de fa part au Roi Philippe. Ce qui doit fervir de leçon,
fur-tout aux Princes, ôc leur apprendre à refpecterle public,lorf-
qu'ils ont commis des fautes, & à prendre foin de les lui cacher.
La mort de Charle V. fut bien-tôt fuivie de celle de Ma-
rie reine de Hongrie fa fœur, qu'il a imoit très-tendrement,
ôc qui étant morte le 1 8 Octobre furvécut à l'Empereur un peu
moins d'un mois. C'étoit une Princefle d'une vertu ôc d'une
modeftie dignes des premiers tems , ôc d'un courage au- defliis
de fon fexe. Quoi qu'elle eût toute fa vie protégé les bon-
nes mœurs dans fa Cour , & qu'elle en eût banni la galan-
terie , cependant nos François } en haine des courfes que fai-
foient fur eux les Impériaux , lorfqu'elle étoit gouvernante des
Payis-bas , oferent la décrier par des fatyres ôc par des chan-
fons compofées avec une licence militaire ; comme 11 elle
avoit eu quelque penchant pour Barbançon , le feigneur le
mieux fait de fon tems, mais dont la conduite fage ôc refpec-
tueufe égaloit fes autres belles qualitez. Elle avoit tant d'éloi-
gnement pour le vice , qu'on lui reprochoit mal à propos, qu'un
Seigneur favori de l'Empereur foi* frère ayant féduit une de
fes filles d'honneur, elle ne voulut jamais lui pardonner , quoi-
que ce Prince l'en priât ; ôc qu'elle déclara , que s'il ofoit le
préfenter devant elle , fut-ce même à la fuite de l'Empereur,
elle le feroit mourir. Philippe rendit à Bruxelles les derniers
devoirs à fon père avec une magnificence extraordinaire. Il
avoit fait conftruire un vaiffeau avec beaucoup d'art 3 où l'on
voyoit l'Efpérance debout près de la prouë, la Foi qui tenoit
une croix, ôc étoit afîife fur un thrône près le malt , ôc la Cha-
rité , qui tenoit le gouvernail. Philippe vouloir faire voir par
cette reprefentation, que fon père n'avoit eu d'autre deifein, du-
rant le cours de fa vie agitée , comme la mer, de fréquentes tem-
pêtes, que de procurer la gloire de Pieu , Ôc de l'augmenter ,,
r r j Mort de quel*
par toutes lortes de moyens. qucs hommes
Cette année fut aufil remarquable par la mort de quelques te lettres,
Tom, IIL Pp
Fer ne t.
29S HISTOIRE
- hommes illuftres dans la République des lettres. Jean Bugen-
Henri IL hagen né à Wollin dans I'ifle de Wollin en Pomeranie , mou-
i 5* 5 8. rut à Wittemberg le 2 1 de Mars dans la foixante ôc treizième
année de fon âge. C'étoit un homme d'un efprit doux ôc mo-
déré, ôc d'une grande érudition. Six jours après nous perdîmes
en France Jean Fernel d'Amiens , premier médecin du Roi 5
il mourut à l'âge de cinquante- deux ans , ôc fut enterré à
Paris , à faint Jacques de la Boucherie. Ce grand homme s'é-
tant appliqué long-tems à la Philofophie , ôc aux Mathémati-
ques avec fuccès , fe donna tout entier à la Médecine. Il a fait
des traitez fur toute la Médecine , où l'on remarque un fça-
voir profond , ôc un ftile pur ôc poli. Quoique la mort l'ait
empêché de mettre au jour tous fes écrits , ôc le livre de fes
Obfervations fi fouhaité du public , cependant les ouvrages que
nous avons de lui, lui ont acquis tant d'honneur dans toute l'Eu-
rope, que l'Ecole de Médecine de Paris fera toujours endroit
de fe glorifier d'avoir formé dans fon fein un fi digne élevé.
Un autre grand Médecin mourut aufïi peu après cette même
année. Ce fut Cornaro de Zuickaw , qui ayant mis au jour,
ôc traduit en Latin la plupart des Philofophes , des Médecins,
ôc des Théologiens Grecs , a rendu de grands fervices aux gens
de Lettres. Il finit fes jours dans fa patrie le 1 6 de Mars âgé de
cinquante-huit ans. On perdit aufli cette année Jacque Mi-
cylle né à Strafbourg la troifiéme année de ce fiécle. Il étoit
ami particulier de Joachim Camerarius. Après avoir enfeigné
long-tems avec une grande réputation les humanitez à Wit-
temberg,ôc donné plufieurs ouvrages eltimez,il mourut le 28
de Janvier.
Jean Pena , né à Aix d'une famille diftinguée dans la magif-
trature, le fuivitde près. Il fut célèbre par la connoilTance pro-
fonde des Mathématiques, dont il infpira le goût à Pierre Ra-
mus , lorsqu'ils enfeignoient l'un ôc l'autre à Paris dans le col-
lège de Prefle. Ce fut lui qui mit au jour plufieurs ouvrages
d'Euclide, qu'on n'avoit point encore publiez. Il les traduifit
en latin , ôc y joignit des commentaires. Dans la préface qui
eft à la tête des Catoptriques , il dit plufieurs chofes de l'ufa-
ge du miroir cylindrique , qui font prefque incroyables , ôc
qui donnent de l'étonnement, comme files effets n'en étoient
pas naturels. Lorfqu'on avoit tout lieu d'attendre encore de
DE J. A. DE THOU,Liv. XXL 299
grandes choies de lui, il rut emporte par une hevre violente a _
l'âge de trente ans ,1e 23 d'Août , ôc fut enterré à Paris dans le Henri 11.
cloître des Carmes. Romulus Amafeo mourut aufïi à Rome l S S b#
iemême mois , dans fa foixante-neuviéme année. Il étoitné à
Udine , qui fut la patrie de Robortello ôc de Luifino ; mais fa
famille étoit originaire de Boulogne, où il enfeigna long-tems
avec réputation le Grec ôc le Latin , 6c où il époufa une fem-
me de la maifon de Guafta-Viliani. Cette alliance jointe à fon
mérite lui fit rendre le droit de citoyen de Boulogne qu'il avoit
perdu , avec les privilèges qui y font attachez.- Enfuite le Pa-
pe Paul III. le fit venir à Rome , pour être le précepteur du
Cardinal Alexandre fon neveu 5 emploi , dont il s'acquitta fî
dignement, que le fouverain Pontife l'honora fuccefhvement
de plufieurs Ambaffades auprès de l'Empereur , & de divers
Princes de l'Allemagne, ôc auprès du Roi de Pologne. Ayant
perdu fa femme fous le pontificat de Jule III. il vint à Rome
auprès du Pape , ôc fut regardé dans cette Cour comme
l'homme le plus diftingué entre les fçavans de ce tems-là.
Plufieurs ouvrages qu'il a mis au jour rendent témoignage de
fon grand fçavoir , qu'il tranfmit à Pompilio fon fils * comme
une riche fuccefïïon.
Le 2 1 d'Oclobre Jule Cefar Scaliffer âs[é de foixante ôc JULE ScAU
quinze ans mourut a Agen en Guienne, ou u s etoit marie. .L an-
tiquité n'a point produit un plus grand homme* ôc notre fiécle
n'a point eu de fçavant qui l'égalât. Car fans parler de fa l no-
bleffe , dont tout le monde convient* il furpafTa tous les hom-
mes de fon rems , par la force de fon corps ôc par la fublimité
de fon génie. Quoiqu'il eût pafTé fa jeunefTe dans les emplois
de la guerre, où il s'acquit beaucoup d'honneur par fon cou-
rage , ôc par fon habileté dans l'art militaire , ôc qu'il ne fe
fût appliqué aux fciences qu'allez tard , cependant il y fit de
il grands progrès par la force de fon génie , qu'il joignit à une
parfaite connoiffance de la Philofophie, celle des langues* ôc
fur-tout de la Grecque ôc de la Latine , où il a excellé , comme
îe prouvent la profe ôc les vers que nous avons de lui. Quoi-
qu'il eût peut-être un jufte fujet de fe plaindre d'Erafme,il
1 Jule Cefar Scaliger pre'tendoit 1 ont difputé cette _ origine , & l'ont
être defcendu des Frinces de l'Efcale accufé d'une vanité ridicule ; quoi-
fouverains de Vérone. Plufieurs lui \ que dife M. de Thou.
Ppij
GER,
3oo HISTOIRE
fit un ouvrage contre lui trop rempli de fiel & d'aigreur , êc
Henri IL peu digne de deux fi grands hommes. Nous avons cet écrit
i 5" c 8. & un autre qui eft plus rat?e3 où il avoue le premier, ôc où
l'on reconnoît la même amertume. Dans la fuite Scaliger,
qui étoit né généreux , fe repentit de fon emportement , 6c
marqua dans un ouvrage , combien il étoit mortifié de ne s'être
pas reconcilié avec Erafme avant fa mort; ajoutant qu'il avoit
toujours admiré en lui un grand fçavoir joint à une pieté fin-
guliere, un goût lur ôc exquis dans les belles lettres , ôc un
efpriten quelque forte divin. Nul des grands hommes de l'an-
tiquité ne peut entrer feul en parallèle avec Scaliger, foitque
l'on faffe attention à fon courage , foit que l'on penfe aux qua-
litez de fon efprit; il peut être comparé tout enfemble àXé-
nophon ôc à Mafïiniffa. Il époufa , étant déjà allez avancé en
âge , Andiette de Rocques Lobéjac fille d'une maifon illus-
tre , âgée de 1 3 ans , dont il eut plufieurs enfans.
Eloge de Le dernier de tous fut Jofephjufte Scaliger, qui vit en-
Scaliger.0 °P core. Celui-ci marchant fur les traces de fon père , l'emporte ,
au jugement de tous , fur les autres fçavans de ce tems , ôc
peut être regardé, félon l'exprefïion d'un homme d'un efprit
fort orné, comme un autre Apollon entre les gens de Lettres.
Sa modeftie, ôc les fervices qu'il m'a rendus, ne me permet*
tent pas d'en dire d'avantage, quoique je n'aye pas lieu de
craindre de bleffer la vérité en le louant, puifque tout ce que
je pourrais dire ferait fort au-defTous de l'eftime publique. Je
me contente donc de parler de lui comme en paffant , ôc
d'honorer par un filence religieux un ami , qui joint à un ef-
prit fublime une rare probité. J'ajouterai feulement , qu'il penfe
comme fon père du fameux Erafme , ôc du démêlé littéraire
que ces deux grands hommes eurent enfemble > comme je viens
de le dire.
Cette année fut encore funefte par la mort d'Aloyfio Lipo-
mano , qu'on vit fuccefîivement évêque de Modon, de Vérone,
ôc de Bergame. Ce fut un homme recommandable par l'inno-
cence de fes mœurs , ôc par fon érudition. Quoique employé
en diverfes ambaffades , dont il s'acquitta dignement , il ne
fe relâcha jamais de fon application à l'étude, ôc compofa, au
milieu de fes pénibles occupations , fes ouvrages fur la Genefe,
fur l'Exode ; Ôc fur les Pfeaum.es. Sur la lia de cette année
DE J. A. DE THOU3Liv. XXL 30Ï
André Tiraqueau finit fes jours. Il étoit né à Fontenai en — ,i-""i-"ËËJÎ
Poitou, d'une honnête famille. Joignant à une grande littérature Henri IL
une parfaite connoiflance du Droit, il fut le plus célèbre Ju- 1558.
rifconfulte de fon tems. Sa réputation le fitchoifir par Fran-
çois I. pour être Confeiller au Parlement de Bordeaux , ôc
enfuite par Henri IL pour remplir une pareille Magiftrature
dans le Parlement de Paris. Il laifla une nombreufe pofterité
ôc un grand nombre d ouvrages , donnant tous les ans un en-
fant à la république , ôc un livre au public. Il fit un grand
honneur à la patrie , ainfi que les Imberts , les Briffons , les
Vietes , ôc les Rapins } qui fe font diftinguez dans la jurifpru-
dence , dans les Mathématiques , ôc dans les Belles-Lettres.
Tous ces grands hommes ont également contribué à la gloi-
re de la France, quia fait part à tous les payis, où les Let-
tres fleuriiTent , des ouvrages de ces fçavans. Jean Vergara
Chanoine de Tolède âgé de 64 ans , y mourut le 2 1 Février.
Il avoit vu mourir 1 3 ans auparavant , ôc le même mois , Fran-
çois fon frère , fort verfé dans les langues Grecque ôc Latine.
Ils travaillèrent très-utilement l'un ôc l'autre , avec Ferdinand
de Valladolid ôc Antoine de Nebrija, à l'édition de la Bible
de Complute , ou d'Alcala de Henarez.
Quoique les EcofTois n'euflent point de guerre déclarée avec „ Affaires
I Angleterre , on ne pouvoit pas dire néanmoins quils eulient
la paix , les deux Nations faifant fans ceife des actes d'hoftili-
té, enlevant des beftiaux , ou brûlant des maifons. Dans ces
efearmouches , où il y avoit fouvent des hommes tuez } les
Anglois prirent deux Gentils-hommes , Guillaume Keith fils
du Comte Martial , ôc Patrice Grey chef de cette maifon. Dans
îe même tems, les Anglois ayant mis une flotte en mer , dont
Jean Clare étoit Amiral , pour faire le dégât fur les côtes
d'Ecofle , firent une defeente dans les Orcades , Ôc brûlèrent
Kirkwalle ville épifcopale (la feule de toutes ceslfles) lituée dans
Mainland la plus conlidérable de toutes. Cette action ne fut
pas long-tems impunie. Car il s'éieva une furieufe tempête ,
qui difperfa la flotte Angloife ôc l'éloigna de l'Jfle , avant que
ceux qu'on avoit mis à terre , pudent rentrer dans leurs vaif-
feaux , qui battus long-tems par les vents , eurent bien de la
peine à regagner l'Angleterre. Ceux qui étoient reftez dans
Mainland , furent tous taillez en pièces par. les Infulaires.-
d'Ecolle,
502 HISTOIRE
Il y eut durant le cours de cette même année de grands
Henri II. démêlez fur la Religion, fans qu'on pût rien décider. Car dans
i S S 8- le tems même que les Prêtres d'Ecofle tâchoient de foûtenir
leur autorité ôc de retenir le peuple dans l'ancienne religion ,
par les châtimens févéres dont on puniflbit les Prédicans 5 ceux
qui penchoient vers les nouvelles opinions, déchiroient les Ec-
cléiiaftiques par de fanglantes fatyres , ôc faifoient craindre de
plus grands troubles. Ni le fupplice de Vaultier de Milli , qui
avoit été dénoncé par Sommerville , ôc condamné à mort >
ni le banniffement de Paul Mefan , n'avoient point arrêté la
licence des fectaires. Ils oferent bien le premier jour de Sep-
tembre, fête de Saint Gilles , renverfer dans la. boue la Chaffe
de ce faint , qu'on portoit à une procefïion folemnelle dans
Edimbourg. Une entreprife aufîi hardie fit connoître aux
Eccléfiaftiques, que leur puiffance déclinoit. Cependant, com-
me s'ils euffent eu encore leur ancienne autorité , ils indiquè-
rent une affemblée générale à Edimbourg pour le huitième de
Novembre , afin d'éprouver s'ils pouvoient rétablir leurs affai-
res chancelantes , en faifant voir de la confiance ôc de la fer-
meté. D'un autre côté 3 ceux qui favorifoient les Proteftans ,
ôc entre autres quelques Gentilshommes du payis de Fife ôc
d'Anguish , ôc plulieurs bourgeois des villes répandus dans les
provinces, exhortoient les peuples à embraffer une religion
plus pure ( car ils parloient ainfi ) ôc à ne fe pas laifTer oppri-
mer, eux ôc leurs amis, par le parti le plus foible > ajoutant ,
que fi leurs adverfaires vouloient les attaquer dans des difputes
réglées , ils feroient certainement vaincus , ou que s'ils ufoient
de violence , ils ne feroient pas les plus forts. En même-tems
ils préfentoient un écrit , où leur doctrine étoit expofée , ôc où
fignoient ceux qui agréoient ces nouveautez. Ils donnèrent à
cette ligue le nom de Congrégation.
Aufïi-tôt ces nouveaux aflbciez dreffent un cahier, qui con-
tenoit leurs demandes , ôc choififTent Jacque Sandlands de Cal-
dera Gentilhomme déjà vieux , pour le prefenter à la Reine
Régente. Ce député expofa d'abord à cette PrincefTe 1.les rai-
fons preffantes, qui avoient engagé ceux de la Congréga-
tion à l'envoyer vers elle : Qu'il étoit tems que fa Majefté
1 C'étoit Marie de Lorraine fille de Claude I. duc de Guife , ôc d'Antoinette
éc Bourbon Vendôme.
DE J. A. DE THOU, Liv. XXL
03
r:r-T. -— *-— .'■»"TW
jj8.
interpofàt fon autorité , fi elle vouloit conferver la Religion en
Ecoffe , ôc contenir les peuples difpofez à la révolte. Enfuite
il demanda , que les Miniftres de l'Eglife fe ferviffent d une
langue qui fut entendue de tous les peuples > dans les prières
publiques , ôc dans l'adminiftration des Sacremens > ôc que le
peuple pût élire fes pafteurs, fuivant l'ancien ufage. Quoique
la Régente favorifât fecretement la cour de Rome , ôc qu'elle
fe fut engagée à lui rendre toute forte de bons offices en toute
occafion ; cependant après de longues conférences ôc de gran-
des difputes , cette Princeffe, qui craignoit une révolte, crût
qu'il falloit fe prêter au tems ? & permit au parti Proteftantde
prier , d'adminiftrer les Sacremens , ôc de faire les autres cé-
rémonies en langue vulgaire. Des Gentilshommes allèrent
aufîi à Edimbourg trouver les Théologiens qui y étoient affem-
blez , ôc leur firent la même demande. Mais ceux-ci répon-
dirent , qu'à l'égard du choix des miniftres de l'Eglife , il falloit
s'en tenir aux règles du Droit Canon , ôc aux décifions du
Concile de Trente. Comme ils témoignoient beaucoup d'é-
loignement des Proteftans , ceux - ci envoyèrent "encore à
Edimbourg un Seigneur fort eftimé par fon fçavoir , qui fut
Jean Areskin Milord de Dunes , par engager ces Théolo-
giens à fe relâcher en quelque chofe, Il les pria par le culte
que les hommes doivent à Dieu , ôc par la charité qu'ils doi-
vent au prochain 3 de trouver bon que Dieu fût honoré dans
les Eglifes en langue vulgaire, félon le précepte de l'Ecriture.
Cette propofition fut rejettée par les Théologiens, qui fe mon-
trèrent inflexibles. Ils firent même revenir la Régente à leur
fentiment ; enforte que cette Princeffe , ou perfuadée par eux,
ou fiere du décret touchant la Couronne Matrimoniale * , lequel
avoit été accepté , prit tout d'un coup un autre caractère , ôc
changea cette bonté ôc cette douceur ordinaires, qui la faifoient
adorer , en une fierté ôc une hauteur infuportables à ces peuples.
Cette conduite fut la caufe , ou le prétexte des troubles qui
agitèrent l'Eooffe l'année fuivante. La Régente ayant indiqué
une affemblée à Sterlin pour le 10 de Mai, la NoblefTe y
i;s>
1 Le Décret fur la Couronne Ma-
trimoniale dont il s'agit ici, & dont
la Régente fe prévaloit , e'toit l'a&e
par lequel on reconnoifTok le Dau-
phin pour roi d'Ecofîe. Les Ecofibisne
le comptent néanmoins pas au nom-
bre de leurs Rois,
504- HISTOIRE
~ députa Alexandre Cunningham comte de Glencarne, & Hu-
Henri II. gues Cambell, gentilhomme d'une illuftre maifon 3 efperant que
1 S $ 9* la Reine accorderoit quelque chofe à des Seigneurs d'une fi
haute naiffance. Cette Princeffe leur déclara , qu'elle avoit ré-
folu de rétablir la majefté du thrône, que la licence des tems
parlez avoit avilie. Elle menaça de fon indignation ceux qui
fomentoient des révoltes , fous le fpécieux prétexte de la Re-
ligion, & dit qu'elle banniroit de fon Royaume tous les nou-
veaux Prédicans. Comme les députez la fupplioient de fe fou-
venir de fes promeiTes , elle fit réponfe qu'on ne devoit com-
pter fur la parole des Princes , qu'autant qu'il leur étoit utile
de la garder. Alors les députez lui dirent : Nous renonçons
donc , Madame , à vous obéir ; c'eft à votre Majefté à prévoir
les fuites funeftes qu'aura la déclaration que nous venons de
vous faire. La Reine étonnée d'une réponfe fi hardie dit ,
qu'elle y penferoit. Il fembîoit que cette Princeffe avoit pris
des fentimens plus modérez , lorfqu'elle apprit que ceux de
Perth avoient embraffé publiquement la Religion des Protef-
tans. A cette nouvelle elle fut faifie d'une grande colère , ÔC
* m Reuven. ^ut fur"tout très-indignée contre Patrice Rethuen * gouverneur
de la ville. Auffi-tôt pour fatisfaire fa vengence , elle ordon-
na à Jacque Haliburton gouverneur de Dundee , de lui amener
Méfan, qui avoit trouvé un aziledans cette ville là. Du refte
elle fit écrire , qu'on eût à célébrer le jour de Pâques qui appro^
choit, fuivant l'ancien ufage. Mais voyant qu'on avoit méprU
fe fes ordres , elle cita tous les Miniftres à comparoître à Ster-
îin le 8 de Mai. Ils s'y rendirent , & en plus grand nombre
que la Reine n'avoit cru, accompagnés d'une foule de Sec-
taifes , qui leur étoient dévouez. La Régente allarmée de voir
tant de gens, fit enforte par l'entremife de Milord de Dunes,
qui étoit fort refpeclé des Proteftans , que cette fuite nom-
breufe qui accompagnoitles Miniftres , fe retirât ; ayant pro-
mis que leur abfence ne pourroitleur porter aucun préjudice.
Mais Milord de Dunes voyant qu'on s'étoit porté gux dernières
extrêmitez à l'égard de ceux qui n'avoient pas comparu , ôc que
la Reine les avoit fait bannir par contumace , contre la foi
donnée, fe retira, & alla joindre les Seigneurs qui étoient à
Perth. Il leur fit voir ce qu'ils dévoient attendre de la foi
d'une Princeffe , qui haïffant mortellement les Proteftans ,
n avoit
DE J. A. DE T H O U , L i v. XXI. 3°;
n'avoit aucun égard aux règles de la juftice , ni delà bienféan-
ce , Ôc dont la foi variable dépendoit des circonftances ôc des J{ENRI JJ#
Les Seigneurs affemblez arrêtèrent, que puifqu'il n'étoit
plus tems de difTimuler , on devoit repoufTer la force par la
force. Lorfque les efprits des grands ôc du peuple étoient le
plus animez , Jean Cnox fît dansl'Eglife de Perth un difcours
pathétique ôc véhément, qui difpofa les auditeurs à tout en-
treprendre. Il arriva donc que les Seigneurs étant fortis pour
aller diner , ôc qu'une partie du peuple, que le fermon du Fré-
dicant avoir rendu furieux , étant demeurée dans l'Eglife , un
jeune homme infulta exprès un Prêtre , qui fe préparoit à dire
la Mefle. Alors la multitude prenant part à la querelle , fe jette
furie Prêtre, le maltraite de coups, renverfe les autels ôc les
images, ôc les brife en un inftant. AufÏÏ-tôt ils courent en foule
aux Couvens des Religieux de faint François, ôcde faint Do-
minique , abattent les autels , ôc les ftatuës , tandis que le
bas peuple s'amufe à piller , ôc fait un riche butin. On vole
avec la même fureur au monaltere des Chartreux, dont les
richeiTes furent en proie à la vile populace. Les gens de guer-
re , qui s'étoient joints à ce peuple animé , s'abftinrent de pil-
ler ; mais ils travaillèrent avec ardeur à démolir les bâtimens,
ôc à en emporter les décombres, enforte que deux jours après
on n'eût pu remarquer les traces de ces grands édifices. Quand
la Reine eut appris ce qui s'étoit pafle à Perth, elle entra dans
une jufte colère , ôc jura de venger parle fer ôc le feu ces ex-
cès facrileges. Elle étoit d'autant plus irritée, qu'à l'exemple
des habitans de Perth , ceux de Cupre en la province de FifTe
avoient abattu des ftatuës dans les Eglifes. Ayant donc donné
commiflion aux comtes d'Hamilton , d'Athol , ôc d'Argathel
de lever des troupes, elle réfolut d'attaquer la ville de Perth.
Son armée marcha lentement, pour donner le tems à fon ar-
tillerie d'arriver.
Ceux de Perth écrivent auflî-tôt à leurs amis, pour les aver-
tir que , s'ils n'étoient promptement fecourus , la religion ôc le
falut dest citoyens étoient menacez d'un grand danger. C'eft
une chofe incroyable , que la promptitude ôc le zélé avec
lefquels on accourut à leur défenfe. Sur - tout , Alexandre
Tom. III. Q q
3otf ' HISTOIRE
m Cunningham leva en peu de jours deux mille cinq censhommes,
HrxTntn tant a pie qu a cheval; ôc ayant marche jour ôc nuit par des
ENRill. r n > - v ' d i -i • u
chemins détournez , pour éviter 1 armée Royale, il arriva neu-
reufement à Perth. La Reine jugeant qu'il ne feroit pas fi
aifé qu'elle avoit cru, de réduire par la force les Proteft ans , dont
l'armée , fuivant le rapport de fes efpions , étoit compofée
de plus de fept mille nommes de bonnes troupes , envoya
vers eux Jacque Stuart, ôc Gilepfic Cambell, deux courtifans
qui lui étoient demeurez fidèles, quoiqu'ils favorifaffent les
Proteflans , parce qu'ils croyoient qu'il étoit du bien public
de pacifier les troubles plutôt par la douceur , que les armes
à la main. Us traitèrent avec Cunningham, ôc Milord de Du-
nes , aux conditions fuivantes : Qu'on renverroit les troupes de
part ôc d'autre: qu'on ouvriroit la ville à la Reine, qui pou-
roit y repofer quelques jours avec les perfonnes de fa Cour :
qu'il ne feroit fait aucun tort aux habitans : qu'aucun François
ne pouroit entrer dans Perth , ni en approcher plus près que
de trois milles : Ôc qu'au furpîus on regleroit les autres dif-
férends dans l'affemblée prochaine des Etats. Ainfi les trou-
bles ayant été appaifez fans erTufion de fang, la Reine fitfon
entrée dans la ville, ôc y reçut de grands honneurs. Mais il
arriva qu'un foldat infolent tua le fils d'un bourgeois confidé-
rable de la ville , ôc que le corps du mort ayant été préfenté
à la Reine, elle ne parut que fort peu touchée decefpecta-
cle > d'où plufieurs jugèrent qu'elle romproit bien-tôt le traité
que l'on venoit de faire. En effet la Reine mit trois jours
après une grande confulion dans la ville, en dépouillant plu-
fieurs bourgeois de leurs biens, en exilant quelques autres,
en changant les Magiftrats , en mettant une garnifon d'Ecof-
fois à fa folde , ôc fur-tout en rétablifTant les Prêtres dans leurs
fonctions > après quoi elle retourna à Sterlin.
Il femble que la fituation delà ville de Perth faifantmoins
craindre les conféquences d'une révolte, engagea la Reine à
violer les conditions du dernier accord. Car cette ville > qui
eft au milieu de l'Ecoffe > n'avoit d'autres fortifications que de
fimples murailles. Elle renfermoit véritablement des citoyens
braves ôc aguerris , ôc féduits par les nouvelles opinions ; au
refte il étoit aifé d'y envoyer des troupes par terre , Ôc d'y en
DE J. A. DE THOU, Liv. XXL 307
faire venir du côté de la mer par la rivière deTay, qui bai- »
gne fes murs , ôc qui pouffée régulièrement par le flux de la J-JENRI JI.
mer, y apporte les marchandifes des payis étrangers. Il n'en 1 ç c 9.
étoit pas ainli de la fituation des autres villes de l'Ecofie,oit
Ton ne pouvoit arriver que par des chemins difficiles , ôc en-
trecoupez de differens canaux , qui s'écoulent dans la mer au
tems des marées ; ce qui fait que des troupes n'avancent que
lentement par ces chemins, où l'on ne trouve pas affez de bat-
teaux fur les canaux , pour pafler une armée avec les munitions
néceffaires, à moins qu'on n'y employé beaucoup de tems.
Il arrive même très-fou vent, que les vents excitant des tem-
pêtes fur ces petits bras de mer,arrêtent fort long-tems les voya-
geurs. C'eft pour cela que la Reine vouloit fur-tout fe con-
ferver cette place. Mais Ci elle affermit fon autorité à Perth ,
elle perdit d'un autre côté toute la confiance de fes peuples, en
manquant à fa parole; ôc l'on peut dire que ce jour vit étein-
dre l'affection qu'on avoit pour elle , qui fit place au mépris ,
ôc à une haine implacable. En effet Jacque Stuart ôc d'Ar-
gathel , qui avoient toujours été jufqu'alors attachez à la Ré-
gente, ôc qui avoient ménagé les articles du dernier traité,
crurent que cette Princeffe n'avoit pu y contrevenir , fans les
offenfer dans leur honneur , ôc pafferent dans le parti des Pro-
teftans. Ayant averti ceux-ci , que le deffein de la Reine étoit
d'envoyer à Cupre ôc à faint André des troupes Françoifes ,
pour s'en emparer, ( ce qui auroit mis dans un très-grand danger
toutes lesEglifes delà province de Fiffe) ilsreprennent les armes,
font une irruption dans Carlil , ville fituée à l'extrémité du payis
de Fiffe, ôcrenverfent les images ôc les autels. Enfuite ils vont à
faint André, ôc ayant pillé plufieurs Egiifes , ils abattent, mê-
me en préfence de l'Archevêque , celles des Cordeliers ôc des
Dominicains. Quoique ce Prélat eut quelque cavalerie pour
fa fureté , cependant voyant combien ce peuple nombreux
étoit irrité, il n'ofa s'oppofer à ces violences, ôc fe retira à
Falkland auprès de fa famille.
La Reine avant appris ces nouvelles hoftilitez , ne put conte-
nir fa colère. Elle fit venir au plutôt les François qui étoient dif-
perfez , ôc leur donna ordre de marcher vers Cupre. Ils étoient
AU nombre de deux mille , commandez par Henri Clutin
5oS HISTOIRE
i^ d'Oifeî. Les EcofTois avoient pour général Jacque Stuart Ha-
Un,in T tt milton,qui avoit été Viceroi d'Ecoffe, qu'on appeiioit ordinaire-
Henri 11. /", , ^. A „ v c ,, ~ li\ r ,
menr le duc deChatelleraut,a cauie a une terre ae ce nom iituee
* en Poitou. LesProteftans a qui fçavoient le deffein de la Rei-
ne, l'avoient prévenue, ôcétoient déjà arrivez à Cupre. Le
lendemain ils en firent fortir leurs troupes , qui avoient été
renforcées par mille bourgeois de Dundee , ôc par cinq cens
autres de la ville de Saint André , ayant à leur tête Patrice
Lermonth leur gouverneur. Tous marchent vers l'ennemi, qui
n'étoit plus féparé d'eux que par une petite rivière : alors ils
entourent les gens d'Hamilton ôc d'Oifeb ils développent 6c
étendent leurs rangs •■> ôc biffent derrière eux les goujats ôc
les valets, avec les bagages , qui paroiffoient de loin for-
mer une autre armée nombreufe. On confeilla à la Reme ,
qui s'étoit arrêtée à Falkland, de ne point rifquer le combat
contre des gens animez ôc pleins de courage ; ôc elle con-
fentit qu'Hamilton députât vers les Proteftans trois officiers
confidérables , qui avoient leurs enfans ôc leurs proches dans
l'armée ennemie. Ce fut en cette occalion que la Reine ap-
prit par une trille expérience , combien il importe aux Princes
de garder leurs promeffes. Car quoiqu'elle fouhaitât la paix,
on ne put trouver aucun moyen de la faire ; parce que les
Proteftans qu'on avoit plufieurs fois trompez , ôc qui avoient
perdu toute confiance , difoient qu'ils ne pouvoient compter
fur l'exécution des articles de paix qui leur étoient propofez.
D'ailleurs la Reine n'a voit rien à donner pour fureté de fa pa-
role, ôc quand elle auroit pu fournir à fes fujets révoltez une
garantie réelle , elle ne croyoit pas qu'il fut de fa dignité de
le faire. Il y avoit encore d'autres difficultez. Les Proteftans
demandoient que les étrangers fortiffent du Royaume ; ce que
laRégente ne pouvoitfaire, fans en écrire auparavant au Roi
de France. D'ailleurs , il étoit évident qu'on propofoit une
trêve, plutôt pour avoir le tems de faire venir du fecours,
que dans le deffein de parvenir à une bonne paix. Jacque
Stuart trouva cet unique tempérament , qui fut , que la Rei-
ne retireroit la garnifon de Perth. Il fit d'autant plus volon-
tiers cette ptopofition , qu'il voyoit qu'on s'en prenoit à lui de
l'infraction d'un traité qu'il avoit conclu, ôc qu'il croyoit que
DE J. A. DE THOU3 Liv. XXI. 309
les maux de l'Etat étoient une fuite de l'inexécution des arti-
cles convenus. La Reine ayant rejette cette proportion , les Henri II.
Proteftans marchèrent vers Penh , y étant appeliez par les ha- 1555;.
bitans , qui fe plaignoient que Kinfan leur gouverneur les
traitoit durement , ôc permettoit aux foldats toute forte de
licence.
On fit donc le fiégede Perth, qu'on prit en peu de jours.
On chaffa Kinfan , & on en donna le gouvernement à Patri-
ce Ruthuen , qui l'avoit auparavant. Enfuite l'armée alla à Sco-
ne qu'elle pilla, & où elle mit le feu , parce qu'un Proteftant
y avoit été tué après la capitulation fignée. Les Proteftans fça-
voient que la Reine devoir faire entrer une garnifon Fran-
çoife dans Sterlin , pour empêcher ceux de leur parti, qui
étoient au-delà du détroit deFirth, de fe joindre à eux. Smart
ôc Cambell , pour prévenir ce deffein , partent fecretement
de Perth, la nuit étant fort avancée, ôc s'emparent de Ster-
lin , où ils renverfent les images ôc les autels , ôc razent Jes
maifons des Religieux mendians. Trois jours après ils pri-
rent le chemin d Edimbourg, ôc s'étant emparez fur la route
de la ville de Lythco , ils y changèrent la forme du culte di-
vin, & placèrent ça ôc là des Miniftres de la nouvelle réforme.
Les François attendoient à Dumbar, où ils s'étoient retirez
avec leurs bagages , que les troubles fufTent appaifez , îorf-
qu'ils apprirent la funefte mort de Henri II , dont nous par-
lerons dans la fuite. Alors les Proteftans , fiers de leurs avan-
tages , fe livrèrent à une folle joye , ôc fe débandèrent peu à
peu, comme s'ils n'eufTent plus eu rien à craindre. La Reine
profitant de la conjoncture, va droit à Edimbourg avec fes trou-
pes : comme on étoitfur le point de donner bataille, Hamilton
ôc Douglas comte de Mortoh firent enforte qu'on différât le
combat. Enfin après de grandes conteftations , on ménagea
une trêve , qui fut fignée le 24 de Juillet t ôc qui devoit du-
rer jufqu'au 10 de Janvier de l'année fuivante. Les condi-
tions furent , que tous les EcolTois auroient une entière liber-
té de confcience, qu'il n'y auroit point de garnifon à Edim-
bourg ; que les Prêtres joùiroient tranquillement de leurs biens;
qu'on ne pouroit abattre les Eglifes , ou les faire fervir à des
ufages profanes j qu'on remettroit le lendemain à la Régente
Q q iij
5io HISTOIRE
mamammmmmmmm les coins de la monnoye, qu'elle rentrèrent dans fon Palais,
TjrKTD¥TT & qu'on rendroit tous les meubles qu'on avoit enlevez. Cette
Frinceife, a qui 1 inexécution du dernier traite avoit été fi rata-
' ' le, crut devoir obferver religieufement celui-ci.
fin du vingt-unième Livre,
5ii
fj o:==^=SS=S®=S3=S33=^==S®=©3===:oS;
1Ks?i* «i» *e§§s* *§§!* •§§§* €§& «tï* SÉal
HISTOIRE
D E
IACQUE AUGUSTE
DE T H O U.
L IV 'RE VINGT-BEVXIEME.
Sfcfa&MWÏWWèSèSfc H R i s t ! e r n e III. roi de Danne-
^ n C/S'-vî) O ^ marc mourut a Coldmgnen les pre- Henri II.
p§^ Il " -, . Il ^ miers jours de cette année , âgé de \ $ $ p.
** JîI^^^^Jq -F cinquante-fix ans trois mois & vingt Affaires de
$2 t3 § ^"^ | tS 2* jours. Ce Prince rempli de juftice ■
*£ ^S V*^ |§ 3* d'un caractère doux & modéré, avoit
Il ScsrorcJs 2* fuccedé à Frédéric fon père, que les
^ 0=3(2:^3=0 ^ états du Royaume avoient placé fur
'v-wwtwwwvv^ le throne » aPrès en avoir chai^ Chrif-
¥9¥VVVV¥W tierne IL detefté pour fes cruautés.
On loue Chriftierne III. d'avoir pris un fameux Corfaire nom-
mé Clément, qui défoloit le Jutland , & de lui avoir faitfouf-
frir le dernier fupplice; d'avoir taillé en pièces auprès d'Al-
fens , ville dans le Funen \ une armée nombreufe de la ville de
3i2 HISTOIRE
Lubec , ôc de Chriftophle prince d'Oldembourg, qui s'étoient
t ïr^n t tt ëmuaré de fes Etats héréditaires j d'avoir durant la paix procuré
IlENRI II. 1 \ CL- J 1 T»-1 1 T% • « 1> ' • / S f
une traduction de la cible en Danois , ôc d avoir établi un
- > y y> c0Hége célèbre à Copenhague, qu'il orna d'une Bibliothèque.
Un peu avant de mourir , il alla voir le roi Chriftierne II. fon
coufin , détenu depuis long-tems prifonnier. Il l'entretint avec
bonté , ôc ces deux Princes fe pardonnèrent réciproquement
les injures reçues. Chriftierne III eut cinq enfans de Dorothée
fille de Magnus duc de Saxe ; le prince Frédéric qui lui fuc-
céda h Magnus , qui fut évêque de Hapfel en Livonie ; le prin-
ce Jean; Anne, qui époufa Augufte électeur de Saxe, ôc une
autre Princeffe , nommée Dorothée comme fa mère , qui fut
mariée à Henri de Lunebourg. Chriftierne II. ne furvêcut à
Chriftierne III. que peu de jours. Il mourut le 23 de Janvier
âgé de foixante - fept ans , dans fa prifon , où il étoit détenu de-
puis vingt-fept ans. Ce Prince eft un exemple mémorable de
la viciffitude des chofes humaines 5 ôc fon exemple doit ap-
prendre à tous les Souverains, que s'ils veulent régner heu-
reufement , ils doivent modérer leurs pallions , ôc ne fe pas
livrer à un défir effréné d'étendre leur puiffance ; qu'il faut
qu'ils fe fouviennent toujours, qu'il eft un Dieu vengeur, qui
fe plaît à renverfer du thrône ceux qui abufent de la puiffan-
ce qui leur eft confiée.
Après la mort de Chriftierne III. prince fans ambition , ôc
bien éloigné d'ufurper les états de fes voifins , le Roi Frédé-
ric fon fils , pouffé par les Princes du fang Royal , prit les
armes contre les peuples de Dietmarfie. Mais avant que de
parler de cette guerre , il eft à propos de dire quelque chofe
de la fituation de ce payis , de l'origine de fes habitans , ôc de
l'état où il étoit alors.
Defci-iption Au-delà de l'embouchure de l'Elbe on voit vers le Septen-
marc Abrégé trion une vaitc contrée , qui s étend entre 1 Océan britannique
de l'hiftoire & Ja mer d'Allemagne , formant comme une peninfule , ôc
dont la longueur eft environ de douze jours de chemin , ôc
la largeur de fix. Les Cimbres , fi connus par les guerres qu'ils
curent avec les Romains , habitoient ce payis. Ils avoient la
même origine que les Cimmeriens, qui fortant de i'Afie, où
ils habitoient le Bofphore Cimmerien , ôc s'étant établis près
des marais Meotides , occupèrent la Cherfonefe , appellée
C imbrique
DE J. A. DE T H O U i Liv. XXII. 313
Cimbrique de leur nom. On fçait que ces peuples Septen-
trionaux inondèrent plufieurs fois les Gaules ôc l'Italie , ôc Henri IL
qu'ils furent fou vent vaincus. Enfin ces barbares , avides des t ^ jn
terres étrangères , & afFoiblis par leurs incurfions , furent ex-
pofez à leur tour aux courfes des peuples voifins , ôc à l'inva-
îiun des Saxons qui les confinent , ôc qui en font feulement
féparez par l'Elbe , la Trave, ôc la Bille. Aujourd'hui ce payis
eft habité par les peuples de Dietmarfie , ôc du Holftein , qui
tirent leur nom de la fituation du payis qu'ils occupent. Car
les derniers, qui font placés fur des lieux arides Ôc élevez , ont
pris leur nom des bois ôc des forêts , dont leur contrée eft
remplie •■> au lieu qu'on appelle les autres Dietmarfiens , parce
qu'ils habitent un payis bas ôc marécageux , où ils fe défen-
dent par de longues digues de l'inondation des eaux.
Le Holftein eft enfermé par quatre grandes rivières 5 par la Guerres des
Bille au levant , par le Stor au Couchant 3 par l'Elbe au midi, Dietmariîefls..
ôc pat l'Eider au Septentrion. On croit communément que ce
dernier fleuve a feparé autrefois ce payis du Dannemarc.
Mais d'autres , comme Aimoin Hiftorien François , fixent la
frontière de ce payis à une longue fuite de foliés ôc de rem-
parts, dont on voit encore aujourd'hui quelques traces , ôc
qu'on appelle communément l'ouvrage des Danois. Il fut fait
avec une extrême diligence par le roi Godefroi , lorfque Char-
lemagne venoit en ce payis avec une piaffante armée. Il s'é-
tend depuis Sluë, Golfe de la mer Baltique affés proche des
villes de Slefwik , ôc de Gottop , jufqu'à Hollingfted , place
qu'arrofe le fleuve Eider en fe jettant dans la mer. Au refte >
la Dietmarfie , qui a fept milles de long , ôc un peu moins
de large , eft très-bien fortifiée par fon afliette j étant bornée
au Levant par le fleuve Eider, au Couchant par la mer d'Alle-
magne , au Nord par ces foffez & ces remparts dont j'ai parlé,
ôc par l'Elbe au midi. Les Saxons occupèrent ce payis après
les Cimbres j enfuite les habitans élurent pour leurs Princes
des Comtes , que ces peuples remuans ôc féroces traitèrent
fouvent avec inhumanité. Le comte Dedon fut tué dans une
fédition populaire. Il avoit époufé Ida de Sueve nièce de
l'Empereur Henri III. ôc du Pape Léon VIII. Cette Princeffe
fîere de fa haute naiffance , ôc cherchant à venger la mort de
Dedon , époufa le comte Eicler , ôc fembla lui avoir apporte
Tome III, R r
■P4 HISTOIRE
__ en dot la cruelle deftinée de fon premier mari ; car il fut tué
Tj^ T„ tt aufïi par les Dietmarfiens. Peu après le marquis Rodol-
ri en ri il. . à , . , . r , , ,. . l , „ i
phe, Souverain de ce payis par droit héréditaire, éprouva le
■* -* même fort , ainfi que le Prince fon fils. Les barbares ne s'en
tinrent pas là. Ils démolirent le château de Bolkelnbourg, où
le meurtre s'étoit commis , ôc ayant coupe' le nez ôc les oreil-
les à Walpurge femme de Rodolphe , ils la jetterentdansla
rivière. Hartwi , frère ôc héritier de Rodolphe , épouvanté
de tant de crimes , abandonna ces peuples parricides , & céda
3e droit qu'il avoit fur eux à l'archevêque de Brème , ayant
eu en récompenfe le payis de Staden.
Enfuite Henri Léon iubjugua la Dietmarfie, dont il donna
quelques villages à l'évêque de Staden ., qui fut inhumaine-
ment maflacré par les habitans , lorfqu'iî leur demanda les fom-
mes qui lui étoient dues. Cinquante-cinq ans après , ces peu-
ples furent fournis par AdolfelII. de la famille des comtes de
Schaumbourg, qui pofTeda la principauté du Holftein vers l'an
1131 , après les defcendans de Herman Billings. Mais ils fé-
couerent ce joug prefqu'aufTi-tot , ôc chailerent toute laNo-
blefle. Quelque - tems après ils pafferent fous la puiffance
de Hartwig archevêque de Brème , qui les traitant avec trop
de rigueur , les obligea de fe donner au roi de Dannemarck.
Ils ne furent pas long-tems fidèles à leur nouveau Souverain 5
car en l'année 1227, les troupes de Dietmarfie, qui étoient
dans l'armée du roi Valdemar , l'abandonnèrent lâchement ,
lorfqu'iî combattoit auprès de Bornhovede , contre Adolfe
IV. comte de Holftein , ôc ceux de Lubec , après que le comte
leur eut promis la liberté de leur payis, Ôc une exemption de
tous fublides. Ils conferverent environ foixante-deux ans cette
indépendance, qui étoit le prix de leur perfidie , jufqu'au tems
que Henri de Holftein ôc de Stormar , ôc Jean comte de
Wager , reclamant leurs anciens droits , firent une irruption
dans leur payis 3 les vainquirent , ôc les mirent en fuite. Mais
trente-un ans après , des diflentions domeftiques s'étant élevées
entre les Princes de la maifon de Holftein , ceux de Dietmarfie,
à la faveur de ces troubles, entrèrent fur les frontières du Holf-
tein, ôc s'avancèrent jufqu'à Kyel , où ils firent un grand bu-
tin. Lorfqu'ils retournoient chez eux, chargez de riches dé-
pouilles , ils furent attaquez auprès du village de Bornhovede
DE J. A. DETHOU,Liv. XXII 31;
par Gérard comte de Holftein , qui les défit. Il y en eut cinq
cens de tuez fur la place? prefque tous les autres fuyant l'en- TT ,T
• , c r- 1 rv 7 ' • \. .a - Henri IL
nemi , qui les luivoit de près , le précipitèrent dans un marais.
Gérard enflé de ce fuccès, ôc fler d'avoir vaincu des hom- S 5 y*
mes jufqu'aîors invincibles , s'allia deux ans après avec Henri
duc de Mekelbourg , pour faire la guerre à ces peuples. Il
pénétre jufque dans l'intérieur du payis , met deux fois en
fuite tout ce qui ofe lui faire tête , taille en pièces fept cens
hommes , ôc oblige le refte de fe retirer dans une églife voi-
fine , qu'ils avoient fortifiée à la hâte. Les Dietmarfiens voyant
que Gérard avoit fait venir des matières combuftibles , ôc que
déjà on y mettoit le feu , pour les brûler dans cette Eglife ;
épouvantez d'un ii grand danger , offrent de fe rendre ôc de
fe foumettre aux comtes de Holftein , pourvu qu'ils ayent la vie
fauve. Gérard, ou par hauteur , ou par le peu de confiance qu'il
prenoiten la foi de ces hommes féroces, rejetta ces propositions,
ôc demanda qu'ils fe rendifTent à difcretion. Déjà le feu avoit
gagné le comble du temple , ôc fondant les lames de plomb
dont il étoit couvert, ce plomb couloit de toutes parts parles
ouvertures fur lesafTiégez , lorfque ces malheureux prenant con-
feil du defefpoir où ils étoient réduits , fortent tout furieux , ôc
taillent en pièces deux mille hommes des ennemis , quicroyoient
n'avoir plus rien à craindre , entre lefquels douze officiers
des plus confidérables furent tuez. Quelques années après ,
ils fournirent encore un grand combat contre les troupes de
Holftein près de Triperft, ou la perte ayant été égale de part
ôc d'autre ; on figna un traité , qui portoit ; qu'il y auroit fuf-
penfion d'armes entre les deux nations 5 qu'elles ne pourroient
réciproquement donner retraite aux ennemis de l'une ou de
l'autre , ôc que les comtes de Holftein s'engageoient eux ôc
leurs fuccefîeurs à entretenir la paix.
En l'année 1404. Eric duc de Saxe ayant commis quelques
hoftilitez fur les terres de Dietmarfie , les habitans nés fuper-
bes prétendirent qu'Albert comte de Holftein, qui étoit gen-
dre d'Eric , avoit violé la paix , Ôc firent de leur côté des cour-
fes dans le Holftein. Enfin on en vint à une guerre ouverte 5
quoique les Dietmarfiens , qui s'étoient vengez , femblaffent
fouhaiter la paix. La Fortune favorifa d'abord ceux du Holftein s
cjui prirent Meldorp , Delfïbruck , ôc Hannerow , villes
Rr ij
3irf HISTOIRE
» frontières 6c très fortes. A la faveur de ces conquêtes, ôc des pla-
HenriII. cesc^e Tielbruk, Ôc de Suavefted , ils faifoientde grands ravag
w,. dans le payis ennemi. Albert étant mort peu après d une
chute de cheval, ( dans le payis de Northamme en Dietmariie»
lequel confine au Holftein ) lorfqu'il revenoit d'une expédition
de guerre , Gérard flaté de Fefpérancede s'emparer d'un payis
teint du fang de fon frère , y pénètre fort avant. Là , les fol-
dats fe répandant de tous cotez , fans précaution & fans difci-
pline , les Dietmarfiens fe raflemblent , occupent les défilez
des bois , attaquent les ennemis , qui revenoient fur leurs pas
en defordre, les entourent, les taillent en pièces s ôc tuent
Gérard lui-même, qui avoit ôté fon cafque, ôc couroit au fe-
cours du page, qui portoit fes armes. Douze Chevaliers , ôc
trois cens Gentilshommes de la principauté de Slelwick ôc
du Holftein périrent en cette occafion , félon le témoignage
de Chriftien Cilic , qui allure que les meilleures troupes de
Gérard , ôc toute la fleur de fa jeune nobleffe , y furent de-
faites. Les vainqueurs exercèrent des cruautez inouïes juf-
que fur les corps morts de leurs ennemis, dont les veuves ôc
les parens obtinrent avec bien de la peine , à prix d'argent , la
permifîion de leur donner la fepulture dans un monaftere voifin.
Alors on fit un traité de paix , qui renouvelloit les ancien-
nes alliances , ôc qui portoit , que Delff bruk feroit démoli.
Mais dix ans après, la guerre fe ralluma encore pour le fujet
que je vais dire. Ceux de Frife avoient condamné au dernier
fupplice quelques Dietmarfiens décriez , à ce qu'on difoit ,
par leurs mauvaifes actions Ôc par leurs brigandages. Ceux de
Dietmarfie fe croyant deshonorez par le châtiment de leurs
compatriotes , lèvent des troupes dans tous les villages , entrent
dans le payis de Frife , ôc devenus plus cruels par quelque
defavantage qu'ils avoient eu d'abord , mettent tout à feu ôc à
fang. On fait monter à deux cens mille marcs d'argent la perte
que firent ceux de Frife. Leurs ennemis peu fatisfaits d'avoir
ruiné ces peuples , leur impoferent encore de dures conditions
de paix, ôc exigèrent, que lorfqu'il s'éleveroit quelque diffé-
rend entre les deux Nations, il feroit terminé par l'avis de
vingt Dietmarfiens, ôc d'un feul habitant de Frife. Adolfe
comte de Holftein n'apprit qu'avec indignation un traité fi
injufte.Le différend, qu'il avoit alors avec le roi de Dannemaïc
DE J. A. DE THO U, Liv. XXÏI. 517
au fujet de la principauté de Slefwick , fit qu'il difîîmula l'in-
jure reçue , ôc qu'il fut contraint d'en remettre la vengence Henri IL
à un autre tems. Les Dietmarfiens fiers de leurs fuccès paffe3 1 ^ 5- p»
oferent bien s'offrir pour médiateurs » entre le roi de Danne-
marc ôc le Comte. Mais quelque-tems après , Adolfe étant
mort, Chriftierne premier , roi de Dannemarc , lui fucceda au
comté de Holftein , que l'Empereur Frédéric III. étigea alors
en Duché. Ce fut un trifte événement pour ceux de Dietmar-
fie , qui étant compris comme ceux de Stormar dans l'éten-
due du Holftein, eurent au lieu des comtes de ce payis , le roi
de Dannemarc pour ennemi.
En effet en l'année 1 474. Chriftierne I. prince puiffant ÔC
foûtenu de l'autorité de l'Empereur , cita à Rendefbourg les
Dietmarfiens , pour lui prêter ferment. Ceux-ci ayant allégué
leur ancienne dépendance des Archevêques de Brème, refufe-
rent tout hommage. Vingt-fix ans après , Jean fils de Chriftier-
ne, après avoir fournis la Suéde , voulant venger les injures
faites au Roi fon père , ôc aux comtes de Holftein fes ancê-
tres , leur déclara la guerte , ôc entra dans leur payis avec une
puiffante armée. Elle étoit compofée de fix mille hommes de
pié étrangers , outre les Danois , ôc de deux mille chevaux.
D'abord il prit la ville de Meldorp > mais les ennemis s'étant
retranchez , leRoivouîutpénétrerdans des lieux marécageux ôc
dans des détroits inacceffibles Ôc remplis de bois , ôc fut défait
entièrement, entre Meldorp ôc Henningftet ,par les Dietmar-
fiens , qui avoient appris fa marche , ôc l'état de fes troupes
par un habitant de Frife , qu'ils avoient enlevé , ôc à qui ils
avoient fait fouffrir les plus cruels tourmens. Quatre mille hom-
mes demeurèrent fur la place du côté des Danois. On compta
parmi les morts Adolfe , ôc Othon Comtes d'Oldembourg,
Breda de Ranzau frère de Jean , dont nous parlerons dans la
fuite, ôc foixante Gentilshommes des plus qualifiez du Holf-
tein. Le roi Jean , ôc Fredetic fon frère duc de Holftein fe
fauverent à peine , à travers des monceaux de corps morts.
Jean eut pour fucceffeut Chriftierne IL à qui on ôta la cou-
ronne à caufe de fes cruautez. Frédéric fon oncle , qui fut <}e Holftein
mis en fa place , laiffa en paix la Dietmarfie , parce que crat- entreprend ï»
gnant toujours d'être attaqué par Charle-quint beau-frere de fj*1^ S""r--
Chriftierne , il croyoit qu'il étoit de la politique, de n'avoir rien marfiens.
R r iij .
3^ ' HISTOIRE
. à démêler avec fes voifms. Après la mort de Frédéric, Chrif.
Henri IL tlQïnQ WS* f°n ®s monta fur le thrône , Prince d'un efprit
i f 7 9> ^oux y ^ ^u* ^Ut touJours ennemi de la guerre , foit par dé-
licatefTe de confcience , foit par famauvaife fanté , Ôc quis'op-
pofa tant qu'il vécut aux confeils violens d'Adolfe duc de
Holftein fon frère, qui dès fajeunefle ne refpiroit que laven-
gence contre les peuples de Dietmariie , pour expier, difoit-
il , dans leur fang tous les maux qu'ils avoient faits aux comtes
de Holftein fes ancêtres. Quoique Charle-quint , oubliant ou
diiïimulant la détention rigoureufede fon beau-frere,eût con-
firmé Adolfe dans le titre de duc de Holftein l'an iy^S,
Chriftierne III. empêcha toujours qu'il ne fit valoir les armes
à la main fes droits fur la Dietmarfie. Il y avoit déjà fix ans
qu'Adolfe étant au fiége de Metz dans l'armée de l'Empe-
reur , avoit engagé à fon fervice George Holle , ôc Hildemar
Monninfchaufen , officiers de grande diftinfHon , ôc qu'il leur
avoit marqué un certain jour , pour fe trouver fur les confins
du payis de Brème. Mais ces projets de guerre furent alors
fans effet, parce que le Roi fon frère s'oppofa à fes defteins.
Ce Prince étant mort , Adolfe prépara les chofes nécef-
faires pour la guerre avec un grand fecret , fans en rien com-
muniquer au roi Frédéric fon neveu , qui n'étoit pas encore
couronné , ni au prince Jean frère du Roi. Il ne découvrit
fon projet qu'à Maurice de Ranzau, à Adam Traziger ôc au
duc Henri de Brunfwic, qu'il vint trouver dans cette vûë dans
fon château de Wolfenbutel , où il eut avec lui , comme l'on
croit, des conférences à ce fujet.
1 Daniel de Ranzau gouverneur de la forterefTe de Peim, offi-
cier d'une grande réputation à la guerre, engagea au fervice
d'Adolfe le colonel Wolfang Schonwefen vieux capitaine,
avec fon régiment, ôc Joachim Blanckembourg avec la cava-
lerie qu'il commandoit. Il ne manquoit à Adolfe que l'ar-
gent néceiTaire pour faire la guerre. Heureufement pour lui
c'étoit le tems de raffemblée de Kiel , où la N oblefie du Hol-
ftein fe trouve tous les ans, Ôc où les plus riches prêtent leur ar-
gent à ceux qui en ont befoin'.> en prenant pour fureté desga-
ges ôc des cautions , ôc où les créanciers viennent recevoir
i Jofias de Ranzau maréchal de France, mort en 1 650, e'toit de cette illuflre maï-
fon du duché de Holitein.
DE J. A. DE THOU Liv. XXÎI. $19
l'intérêt des fommes confiées , ou bien le fort principal. Adol-
fe s'y étant rendu , emprunta tous les fonds dont il avoit be- 7ï ^
foin , fous prétexte d'une acquifition qu'il difoit vouloir faire?
ôc ayant amaffé de groffes fommes en peu de tems , il fe dif- ^ '
pofa tout de bon à la guerre. Mais il tint fes deffeins fecrets
autant qu'il le put 3 parce qu'il vouloit furprendre les Dietmar-
fiens , peuples défians ôc belliqueux. Cependant il ne put fi
bien diflimuler fes projets , que Jean de Ranzau, ôc Henri
fon fils , gouverneur pour le Roi dans le Holftein , n'en fuifent
inftruits, à la faveur de quelques bruits fourds, ôc n'en écri-*
viflent à Frédéric: ils le fupplierent en même tems de trou-
ver bon.qu'ils conferaffent avec le Duc fon oncle fur fes projets,,
& qu'ils balançaffent les raifons , qui pouvoient empêcher , ou
déterminer cette guerre.
Dans cette vue , Adolfe envoya Bertrand Séefted, un de
fes principaux confidens , qui fe rendit à Nieumonfter , où
vint auffi Jean de Ranzau. Celui-ci expofa d'abord les incon-
veniens d'une guerre aufli confidérable , entreprife par Adol-
fe feul. Il dit , que les Dietmarfiens n'étoient pas des enne-
mis à méprifer ; que le Roi auroitlieu d'être ofTenfé, auffi-bien
que le Prince Jean fon frère , fi leur oncle ofoit faire fans leur
aveu des préparatifs de guerre en Dannemarc ; qu'enfin il y
avoit lieu de croire, que les villes maritimes de Lubec ôc de
Hambourg, ôc le duc de Lunebourg fe déclareraient contre
celui qui porterait la guerre chez leurs voifins. Après que
Séefted eut tâché de réfuter les raifons , qui pouvoient empê-
cher une guerre, que fon maître avoit tant à cœur, ôc qu'il
fçavoit que les Ranzaus eux-mêmes fouhaitoient dans le fond 3
il conjura Jean de Ranzau , de fe fouvenir de fa parole , ôc
qu'il s'étoit autrefois offert lui-même à Adolfe pour Géné-
ral , lorfque l'occafion fe préfenteroit d'attaquer la Dietmarfie.
Ranzau confentit de fervir dans cette guerre, pourvu qu'elle
fût approuvée du Roi , ôc du prince Jean frère d'Adolfe.
Il confeilla auffi à ce dernier de découvrir fon deffein à ces
princes, dont il devoit ménager la protection ôc l'amitié, ôc
de les engager à entreprendre cette guerre à frais communs,
pour foutenir la majefté du thrône , en vengeant les injures fai-
tes aux comtes de Holftein ôc aux Rois de Dannemarc , leurs
ancêtres, Adolfe ayant déféré à cet avis , Henri de Ranzaib
320 HISTOIRE
■«■^«■— & André Barbey , évêque de Lubec & Chancelier du
Henri IL R°yaume> firent lever des troupes , après en avoir conféré en-
j - -, g femble , fans néanmoins en parler au Roi , qu'ils fçavoient
bien ne devoir pas s'y oppofer. Antoine comte d'Oldembourg,
Jean Barnern gouverneur de Pinneberg , & François BuioW
eurent commiflion de faire ces levées. On fit part aufli à Au-
gufte Electeur de Saxe de ces projets , & on le pria de vou-
loir s'expliquer fur ce qu'il penfoit de cette guerre.
Adolfe écrivit alors , fuivant le confeil de Ranzau > au
Roi, ôc au Prince Jean fon frère 5 & Henri de Ranzau fe ren-
dit à la Cour en même tems avec André Barbey , pour être
préfensaux Confeils qu'on tiendroit àl'occafion de cette guer-
re , ôc pour y déterminer le Roi par le poids de leurs raifons.
La chofe ayant été mife en délibération dans le Confeil ; ils
dirent qu'il y avoit trois partis à prendre , dont le Roi devoit
en choifir un, qui fut le meilleur, ôc le plus convenable à la
dignité Royale : ou qu'il falloit que le Roi s'oppofât formel-
lement aux deffein du duc de Holftein fon oncle, comme té-
méraires, ôc formez au préjudice de fon autorité: ou qu'il les
approuvât: ou enfin qu'il entrât dans cette guerre comme allié,
s'il trouvoit qu'elle fut jufte : qu'il étoit dangereux que le Roi
mît des troupes fur pied, pour s'oppofer aux forces du Duc fon
oncle ; que ce feroit commencer une guerre civile , facile à allu-
mer , ôc qu'on n'éteindroit enfuite qu'avec peine : que lorf-
que les forces du Roi , ôc celles du Duc auroient été affai-
blies par des troubles domeftiques , il y avoit tout lieu de crain-
dre que ceux de Dietmarfie qu'Adolfe fe flatoit de pouvoir
foumettre, ne profitaffent de ces diffenfions , pour entrepren-
dre quelque chofe contre la couronne deDannemarc , ôc con-
tre le Holftein , à quoi peut être ils ne penfoient pas mainte-
nant. Quefi d'un autre côté le Roi prenoit le parti , d'être feu-
lement fpetlateur de cette guerre , il feroit tort à fes propres
intérêts , ôc à fa dignité , s'il lailToit à Adolfe tout le fruit
ôc toute la gloire d'une fi importante conquête : que ce que
le Roi pouvoit donc faire de plus à propos en cette occafion.
étoit de joindre fes forces à celles du Duc fon oncle, ôc d'a-
gir dans cette expédition avec autant d'ardeur, que s'il l'avoit
entreprife de fon feul mouvement. Le Roi ayant approuvé ces
raifons > on députa Jean Séefted frère de Bertrand , au prince
Jean
DEJ. A. DE THOU, Liv. XXII. 321
Jean frère d'Adolfe, pour lui apprendre ce qui avoit été ré- ■ ;
folu , ôc pour l'engager dans cette guerre. Henri IL
Les Princes alliez envoyèrent le 28 Avril leurs miniftres x ç ç 0.
à Nortorp,pour régler certaines conditions par rapport à la
guerre. On convint qu'on ren droit au duc Adolfe les avan-
ces qu'il avoit faites pour cette expédition , qui montoient à
deux cens mille Taers > qu'à l'avenir chaque prince payeroit
fon contingent , ôc que (i l'on faifoit la conquête delà Diet-
marfie , elle feroit partagée en trois parties égales , ôc que les
trois princes confédérez tireroient au fort ■ celle qui leur éché-
roit. Jean de Ranzau fut déclaré général de l'armée. Il avoit
refufé d'abord cet emploi honorable , alléguant fon âge déjà
avancé ; mais il l'accepta enfin , ôc on lui donna pour lieute-
nant général François Bulow 3 après que Bertrand Séefted fe
fut excufé de remplir cette charge. Enfuite les trois princes
nommèrent chacun deux principaux officiers, pour faire le
choix des troupes qu'on avoit aflemblées , ôc pour les diftri-
buer en différens corps. Nicolas de Ranzau , ôc Holger Ro-
fenkran furent commiflaires pour le Roi; Othon Tinnen,ÔC
Gafpard Bockwolden pour le prince Jean; Nicolas de Ran-
zau furnomméle Louche, ôc Paul de Ranzau fils de Jean , le
furent pour Adolfe. On créa aufli quatre colonels, qui fu-
rent Volfang Schonwefen , dont j'ai déjà parlé , Guillaume
Waltertumb , Reimers de Walde , ôc Chriftophle Wrifberge,
ce vieux capitaine qui fe fignala dans le combat de Drachem-
bourg, quoique la fortune ne lui eût pas été favorable. On
fortifia auffi les places frontières. On commanda à la NoblefTe
de Jutland ôc de la Fionnie, de prendre les armes , ôc de fe
tenir prête au premier commandement. On équippa des vaif-
feaux de guerre, pour croifer vers l'embouchure de l'Elbe, pour
être prêts à tout événement, ôc pour faire une defcente en Diet-
marfie,s'il étoit jugé nécefTaire,ou empêcher l'entrée auxfecours
étrangers. De plus le comte d'Oldembourg eut ordre de lever,
le plutôt qu'il (e pourroit , vingt compagnies de foldats, ôcde
les faire camper au-delà de l'Elbe. On fit venir fix pièces de
campagne avec deux gros canons , ôc des pontons pour jetter
fur les rivières; on s'alTura auffi de mille pionniers. Les gou-
verneurs eurent foin de faire de grands amas de vivres pour
plufieurs mois , ôc de les faire porter avec une extrême diligence
Tome III. S f
322 HISTOIRE
a aux lieux indiquez , parce qu'on ne pouvoir pas compter de
Henri IL tirer aucunes munitions des villes maritimes, qui étoientop-
1 S S 9' pofées à cette guerre.
Le duc de Holftein efperoit que le Roi fe rendroit à Nor-
torp , pour conférer fur les opérations de la campagne , com-
me on en étoit convenu. Mais quelques courtifans , en qui le
Roi avoit beaucoup de confiance,, s'oppofoient à ce voyage ; ils
difoient que le Roi , qui n'avoit point de troupes , ne devoit pas
aller trouver fon ennemi armé ( c'eft ainfi , qu'ils appelloient le
duc de Holftein ) & qu'ils avoient vu. des lettres qui faifoient
connoître affez les mauvais defleins qu'on avoit contre fa per-
fonne. Comme la plupart des Princes prêtent volontiers l'oreille
aux difcours faux ôc calomnieux , ces avis rirent d'abord
quelque imprefïion fur Fefprit du Roi. Enfin Henri de Ranzau
Lieutenant général du Royaume ayant difïipé fes foupçons, en
lui faifant voir la faufleté ôc la fuppofition de ces lettres pré-
tendues, ce Prince prit le chemin de Nortorp; mais pour ne
pas paroître méprifer entièrement les confeils de fes courti-
fans, il fe fit accompagner de cinq cens chevaux. Le duc de
Holftein au contraire, qui n'ignoroit pas les mauvais offi-
ces qu'on lui avoit rendus auprès du Roi, ôc qui vouloit évi-
ter de donner le moindre foupçon , fe rendit à Nortorp avec
deux carofTes feulement. Ces Princes prirent enfemble les me-
fures convenables, ôc fe féparerent. Le Roi ayant paffé parle
château de Segebert, arriva à Coldengen, ville du Jutland , dans
un carolTe traîné par des chevaux hongres rangez trois à trois,
qui firent une grande diligence. Là ce Prince trouva la NobleiTe
du Jutland,Ôc deFionnie aflembléepar fes ordres. Il la remer-
cia de fa prompte obéifTance , la congédia , ôc la difpenfa de
fervir en cette guerre. Enfuite ayant donné les ordres néceflai-
res dans les Provinces, fait la revûë de Ces troupes, ôc payé
leur prêt , il vint à Newmunfter. Il y fit aufli la revûë du
régiment de fes gardes , diftribua les emplois aux meilleurs
officiers de Dannemarc ôc du Holftein , ôc arriva le 17 de
Mai à un village nommé Hohenvefted , où toute l'armée fe
tendit. Le lendemain il fut réfolu,que cinq jours après on en-
treroit en Dietmarfie.
Cependant on dreiïa des Lettres fcellées des trois fceaux de
l'Etat, contenant une déclaration de guerre aux Dietmarfiens.
DEJ. A. DETHOU,Liv. XXII. 525
On reprochoit à ces peuples dans cet écrit de vieilles injures, m ■ ■
dont cependant, difoit-on, on venoit moins pourfuivrelaven- j^enri jj
gence , que punir des fujets rebelles , ôc odieux aux peuples x ç r o.
voifinsjon obligea un homme condamné au dernier fupplice
de porter ces lettres. Ce prétendu hérault fe rendit à Heiden,
la plus forte place du payis , où quarante-huit des plus nota-
bles d'entre les Dietmarliens conféroient fur leurs affaires. Trois
jours après le Roi reçut une réponfe àfon manifefte ; ces peu-
ples , jufque là fi fiers ôc fi intraitables , y employoient les ter-
mes les plus humbles , pour détourner l'orage dont ils étoient
menacez i comme s'ils euffent prévu que cette guerre leur
feroit funefte. Après avoir dit , que le Roi de Dannemarc ne
pouvoit établir par aucun titre qu'ils fuffent fes fujets , ôc
après avoir allégué leurs anciens traitez avec les archevêques
de Brème , ils ajoûtoient qu'ils étoient difpofez à accepter les
conditions qui feroient trouvées raifonnables. Enfuite ils con-
juroient le Dieu tout-puiffant , qui protège l'innocence , ôc qui
tient dans fes mains le coeur des Princes, de vouloir les fléchir,
ôc détourner les maux qu'ils leur préparoient ; ou qu'au moins
il leur donnât à eux affez de courage , pour repoulfer la vio-
lence, ôc fe garantir des effets d'une guerre injufte.
Le Roi ôc les Princes fes oncles ayant reçu cette réponfe,
vinrent camper le 22 de Mai aux bords du Stor , près d'un vil-
lage nommé de Oerichftorp. Telle étoit la marche de l'ar-
mée : les enfans perdus tirez de différens corps étoient à la
tête 5 Maurice de Ranzau conduifoit les premiers batail-
lons , qui étoient foutenus d'un gros de cavalerie , ôc qui
avoient avec eux les pionniers , ôc les pièces de campagne.
Les regimens de Volfang Schonwefen ôc deReimers de Wal-
de venoient enfuite. Le Roi étoit au centre , avec fon régiment
des gardes , ôc la gendarmerie des Princes richement vêtue.
Enfin les regimens de Walterthumbs , ôc de Blankembourg
avec la cavalerie de Theodoric Holle fermoient la marche.
De plus , Antoine comte d'Oldembourg fe rendit à l'armée
avec quinze bataillons. On vint camper fur le foir à Alver-
ftorp , village fur les frontières de Dietmarfie. On enleva des
bœufs ; on pilla des maifons , ôc on fit quelques payifans pri-
fonniers , à qui on donna la torture , pour leur faire avouée
quelles étoient les forces des ennemis. Enfuite on détacha
Sfij
524 HISTOIRE
■» Walterthumbs , & Blamkenbourg avec leurs regimens , pour
Henri IL reconnoître le pays , ôc s'informer 11 les prifonniers avoient
i r <- gt confeffé la vérité. Les payifans avoient bâti trois Forts revê-
tus de lofiez ôc de remparts , à l'entrée de ces détroits , par
où l'on defcend dans ce payis bas Ôc marécageux , en venant
par la plaine. D'abord le Roi marcha vers Dielbruk , bourga-
de aûez mal fortifiée , dont les habitans avoient retiré leurs
meilleurs effets , pour les tranfporter plus avant dans le payis.
Mais Jean deRanzau,qui craignoitque l'ardeur du foldatne
fe confumât vainement auprès d'une méchante bicoque , ôc ne
fe ralentît enfuite , confeilla au Roi d'attaquer Hamme , qui
étoit par fa fituation , ôc par les ouvrages qu'on y avoit faits,
la meilleure place de toute la Dietmarfie. Mais les difficultez,
qui fe rencontroient à faire ce fiége , firent naître de gran-
des conteftations dans le Confeii du Roi : Breda de Ran-
zau foutenoit qu'on devoit avant toutes chofes faire le fiége
de Dielbruk. Enfin il fut réfolu qu'on afïiégeroit Meldorpt, ôc
qu'en même tems , après s'être informé de la fureté des paf-
fages par le moyen des déferteurs , on envoyeroit des troupes
à Hamme, ôc à Dielbruk, afin que les ennemis partageaflent
leurs forces , dans l'incertitude où ils feroient , laquelle de ces
trois places on vouloit afïiéger. Cette rufe réulfit aux Danois.
Car les habitans de Dielbruk , qui craignoient pour eux , en-
gagèrent par des lettres prenantes ceux de Meldorpt «à leur
envoyer quatre cens foldats ; fecours qui affoiblit confidéra-
blement lagarnifon de cette dernière ville, ôc qui fut très-inu-
tile à ceux de Dielbruk.
On marcha à Meldorpt par trois chemins différens. On
détacha Schorrwefen , Walde , ôc "Walterthums avec leurs
regimens , ôcgrand nombre de pionniers, aulfibien queTheo-
doric Holle avec fa cavalerie , pour attaquer la place du côté
du Nord. Ils avoient pour guide un déferteur , nommé Ber-
thold Peters. Le comte d'Oldembourg ayant laiffé à coté le
bourg de "Windberg , s'approcha de la ville vers le midi , ac-
compagné de François Bulow , Ôc foutenu des efcadrons que
commandoit Maurice de Ranzau. Les Princes avec deux en-
feignes prirent aufïï leur quartier, à la portée du canon de la
place. On fit venir des pontons , ôc des claies , afin que dans
ce terrain aquatique ôc marécageux les troupes puffent paiTeir
DEJ. A. DE THOU, Liv. XXII. 32?
d'un quartier à un autre , ôc fe fecourir mutuellement. Ce fut ^
devant cette ville que Sebaftien Erfam député de la Régence tjf , tj
de Lubec vint trouver les Princes, pour leur propofer quel-
que voie d accommodement. Jvlais 11 s en retourna lans avoir * -
pu rien obtenir. Schonwefen s'étant approché très-près de la
ville, à la faveur d'un pont qu'il fit jetter la nuit fur des fofiez
pleins d'eau , fut expofé au feu continuel des afliégez. Alors
fe .trouvant fans Peters fon guide, qui étoit retourné fur fes
pas , pour prendre fon cheval , il voulut quitter fon pofte pour
le garantir de la moufqueterie , ôc tomba avec fes gens dans
de profondes folles remplies d'eau ôc de boue , d'où fes fol-
dats , qui y étoient enfoncez jufqu'au cou, ne pouvoient for-
tir. Peu s'en fallut qu'ils ne périffent tous dans ce terrain fan-
geux , ou qu'ils n'y fuffent taillez en pièces. Mais Holle étant
accouru fort à propos, repouffa les ennemis à la tête de fa ca-
valerie; les gens de pied ne purent combattre, parce que
leur armes à feu étoient gâtées par les eaux , ôc que ce fut
affez pour eux de fortir d'un fi grand péril. Schony/efen , qui
avoit engagé les autres dans le danger, fit long-tems le devoir
de foldat ôcde capitaine, ôc combattit vaillament la pique à
la main à la tête de fes foldats. Enfin il fut bleffé d'un coup
de canon , dont il mourut quatre jours après ; ôc fon régiment
fut donné à Vriûberger. On brûla tous les moulins à vent , qui
font en grand nombre en cette contrée.
Alors Henri de Ranzau donna l'ordre pour une attaque gé-
nérale, parce qu'on étoit convenu, que quand toutes les trou-
pes feroient arrivées au fiége , on iroit à l'affaut. Jean de
Ranzau , voyant que le foldat ne marchoit qu'avec lenteur ,
ôc que le régiment de Schonwefen , qui avoit été fi maltraité
quelques jours auparavant } paroiffoit rebuté >met pied à terre,
ôc anime par fon exemple les troupes , qui euffent été honteu-
fes de ne pas fuivre leur Général. Aufli-tôt, à la faveur d'un
grand feu d'artillerie , il fait paffer les foffez à quatre ragi-
mens, ôc les mené au pié des remparts. Ces peuples féroces,
redoutables par la force ôc par la grandeur de leurs corps 3
défendoient leurs mûrs avec un courage , qu'animoit encore
deux puifTans motifs , le zélé pour la patrie , ôc l'amour de la
liberté. On vit même des femmes Dietmarfiennes mêlées par-
mi les hommes s'acquitter des devoirs du foldat j ôc une
Sfiij
32* HISTOIRE
entr'autres , qui combattant vaillament,tua à coups de couteau
Henri II. plus d'un ennemi. Enfin les afliégez 3 qui avoient , fi j'ofe le
• S S p. dire > plutôt couvert leur ville de leur corps que de leurs mu-
railles , fe voyant accablez par le nombre , abandonnèrent le
rempart. Aufîi-tôt les foldats de Ranzau étant entrez par la
brèche , ouvrirent les portes. Adolfe entra le premier , fuivi
de quatre Gendarmes ; puis le Roi avec fon régiment des
Gardes , & Henri de Ranzau. D'abord le foldat furieux n'é-
pargna ni fexe ni âge , Ôc le carnage fut fi grand s que des ruifleaux
de fang couloient dans les rues : quatre cens hommes furent tuez
du côté des afliégez , ôccent du côté des Danois. Il eft certain
que fi l'on eût donné l'afTaut en plufieurs endroits 3 ôc qu'on
n'eût pas perdu du tems 3 on fe feroit rendu maître de tous les
afliégez. Mais un grand nombre fortit de la ville par l'au-
tre côté 3 avec dix enfeignes déployées 3 emmenant avec eux
vingt grofles pièces de canon par des chemins inconnus aux
Danois. Cependant plufieurs de ces fuyards rencontrèrent
malheureufement les troupes du comte d'Oldembourg , ôc
de Maurice de Ranzau 3 qui en tuèrent trois cens , ôc pri-
rent vingt-cinq canons de toute grandeur , avec plufieurs barils
de poudre. C'eftainfi que Meldorpt fut pris d'affaut , letroifié-
me du mois de Juin. Il y eut de grandes conteftations entre
les vainqueurs dans le partage du butin , ôc peu s'en falut
qu'on n'en vînt aux armes ; les gens de pied difoient 3 qu'eux
feuls avoient fait le fiége , ôc effuyé tous les périls 3 ôc que par
la fituation du lieu , la cavalerie n'avoit été que fpectatrice de
leurs travaux , ôc ne devoit point avoir part au butin. Après
que les Généraux eurent appaifé le tumulte 3 on conduifit
l'armée à Braunfbuttel. Walde ôc Blankembourg eurent
ordre de retourner dans le Holftein 3 le premier avec fes
gens de pied , ôc celui-ci avec fa cavalerie , ôc de prendre
un grand détour pour joindre Nicolas de Ranzau > qui gardoit
les bords de l'Elbe s afin de fermer le paffage aux Dietmarfiens
de ces cantons 3 qui viendroientau fecours de Braunfbuttel.'
Jean de Ranzau réfolut d'attaquer cette place d'emblée
avec les troupes de Virfberger ôc de Maurice de Ranzau.
Il s'avança le fept de Juin le long des bords de l'Elbe jufqu'à
un terrein fec ôc fabloneux , où les troupes pouvoient pafTer le
fleuve fans danger. Ceux de Dietmarfie voyant ces mouve-
DEJ. A. DETHOU,Liv. XXII. 327
mens , prirent la fuite , abandonnèrent leur bagage , ôc per- •**"—- ~^g
dirent environ quatre cens hommes , taillés en pièces Henri II.
par tes Danois qui les fuivoient en queue. On leur enleva l S S 9-
un drapeau , ôc Ton reprit plulieurs chariots chargez de muni-
tions , qu'ils avoient enlevez aux Danois quelques jours aupa-
ravant. Enfuite Ranzau entra dans Braunfbuttel, qu'il trouva
abandonné , les habitans s'étant retirez plus avant dans le payis.
On détacha le lieutenant de JBlankembourg , ôc Maurice de
Ranzau avec trois cens Gendarmes, afin de pourfuivre les
fuyards. Plufieurs de ces malheureux habitans, au nombre d'en-
viron quatre cens , n'ayant pûfuivre les autres, s'étoient écar-
tez du chemin, ôc avoient gagné, avec leurs femmes ôc leurs
enfans , des chaumières bâties dans des lieux bas ôc maréca-
geux. Là ils s'étoient fortifiez à la hâte par des foflez , par quel-
ques ouvrages de terre , par des chariots joints enfemble, par
des facs remplis de laine ou de bourre , ôc par tout ce que la
néceiîité avoit pu leur fournir ; réfolus de difputer dans ces
cabanes leur vie ôc leur liberté. Mais lorfqu'ils fe virent envi-
ronnez de toutes parts, ils jetterent leurs armes , ôc fe rendi-
rent à la difcretion du vainqueur.
Lorfqu'on déliberoit fur ce qu'on feroit des prifonniers , que
plufieurs regardoient comme indignes de toute grâce, Breda
de Ranzau fut d'avis qu'on leur donnât la vie : il dit , qu'il
feroit inhumain d'égorger des gens defarmez, ôc qui venoient
de fe rendre. 'Le Roi ayant approuvé ce fentiment, on les
embarqua fur des batteaux , ôc , après leur avoir fait prêter
ferment aux Princes , on les tranfporta de l'autre coté de l'El-
be. Les plus confidérables furent envoyez en differens châ-
teaux du Holftein , Ôc détenus jufqu'à la fin de la guerre.
On renouvella alors dans le camp les conteftations fur le par-
tage du butin , ôc il falut quelque tems pour calmer le tumulte.
Enfin , pour prévenir ces dangereux differens , les Colonels
eurent ordre de dire aux Capitaines , que le butin appartien-
droit à l'officier, ou aufoldat, qui l'auroit fait fur l'ennemi 5
ôc qu'on ne pourrait courir au pillage , que quand l'ennemi
feroit entièrement vaincu. Enfuite on réfolut dans le confeil
de mener Parmée à Dielbruck 5 ôc l'on donna ordre au comte
d'Oldembourg , ôc à Maurice de Ranzau , de fe rendre de
Meldorpt au camp du Roi , ôc de feindre de vouloir atta-
quer en chemin la ville de Henningftet , où l'on fe fouvenoit
328 HISTOIRE
». ■■— ■ encore , que Jean roi de Dannemarc avoit été tué par les
Henri II. Dietmarfîens. Le Général Ranzau , qui avoit donné cet or-
i S" T 9. dre, fe perfuadoit que les ennemis croiroient facilement , que
les Danois en vouloient à cette dernière place, pour venger la
défaite de leurs pères , ôc l'affront qu'ils y avoient reçu. Cette
feinte facilita en effet la prife de Dielbruk , qui n'avoit qu'une
foible garnifon 5 car toutes les forces du payis s'étoient rendues
à Henningftet , fur le bruit que l'on alloit en faire le liège.
Le Général ayant enfuite défait en chemin quelques payifans
atroupez , vint camper aux bords d'une petite rivière , qui
coule entre Heyden ôc Dielbruk , ôc fit pafler fon armée de
l'autre côté.
Comme l'on croyoit qu'on trouveroit Heiden abandonné ,
on penfoit déjà à y loger les troupes. Mais Jacque de Blan-
kembourg , ôc Afcagne Holle , qu'on envoya à la découverte ,
avec les volontaires qu'ils conduifoient , apprirent de quel-
ques femmes en approchant de la ville, qu'il y avoit du mon-
de dedans. En même-tems ils apperçurent de loin quatre ba-
taillons ennemis , qui venoient à eux en bon ordre , ôc avec
du canon , lefquels trompez par leurs efpions croyoient n'a-
voir tout-au-pius que deux cens hommes à combattre. Ils fu-
rent quelque-tems fans s'appercevoir de l'erreur, parce qu'une
colline couvroit le refte de l'armée. Cette méprife leur
coûta cher, ôc ils furent taillez en pièce. Le Roi s'avança lui-
même avec fon régiment des Gardes le long du coteau, ayant
Un marais à fa gauche , ôc vint en cet endroit où les ennemis
^voient placé leur canon. Le duc de Holftein , ôc le prince
Jean, fes oncles, le couvroient avec leurs troupes , tandis que
Joachim de Blankembourg côtoyant obliquement les foldats
d'Adolfe, occupoit le terrein entre les gardes du Roi ôc la
ville , pour en défendre l'entrée aux habitans. Cela fut caufe
qu'il y en eut peu de ceux-ci qui échappèrent > près de cent
fe précipitèrent dans le marais , ou fe fauverent par des fen-
tiers détournez. Cet avantage ne fut pas fans quelque perte
du côté des Danois •> Jean ôc Nicolas Truzen d'une iliuftre
maifon de Dannemarc y furent bleflez à mort 5 Eric Podef-
buch y ôc André Friez furent tuez par la faute de quelques
Moufquetaires , qui pourfuivant avec trop de chaleur les
fuyards épars cà ôc là tirèrent imprudemment fur les troupes
du Roi. A peine ce combat fut fini, que l'on apperçut encore
quelques
DE J. A. DETHOU,Liv. XXII. 32^
quelques efcadrons ennemis. Alors le Général Ranzau , qui
\ouloitles attirer au combat, cacha fa cavalerie derrière les Henri IL
trois montagnes , qui commandent la ville , ôc lui défendit j ^n
d'avancer , pour donner lieu aux habitans de fortir en plus
grand nombre. Enfin- la cavalerie 6c l'infanterie Danoifes
donnèrent en même-tems ; ôc celle - là prit fur la gauche au-
delà de la ville , pour enfermer les ennemis.
Les Dietmarfiens fe voyant invertis de toutes parts ~ ne
perdent point courage. Retirez dans une prairie derrière des
fofTez , ôc des amas de terre , ils combattent vaillament , ôc
repoulfent avec des pieux ôc des piques les Danois qui ve-
noient à eux , 6c leur enlèvent même un drapeau. Adolfe
secourt aufli-tôt , fuivi de quelques-uns de fes gardes , 6c arrê-
tant par le bras ceux qui fuyoient avec leurs drapeaux , il les
exhorte à retourner au combat. Il leur dit qu'ils n'avoient que
ce feul moyen de fauver leur vie , ôc d'éviter le deshonneur:
Qu'ils n'ignoroient pas combien leur lâcheté avoit été depuis
peu préjudiciable à l'armée : Quil ne tenoit qu'à eux défaire
oublier le paffé , d'afîurer par quelque action remarquable la
gloire 6c le repos de la patrie , ôc de s'attirer la bienveillance
de leurs Princes: Qu'enfin ils euflentà fe fouvenir qu'ils com-
battoient contre des hommes féroces ôc ruftiques , qu'il étoit
moins glorieux de vaincre , qu'il n'étoit honteux d'en être
vaincu. Alors croyant voir renaître le courage des fiensj il vou-
lut encore les animer par fon exemple. Il pique vers l'ennemi ,
ôc perce un foldat Dietmarfien qu'il rencontre. Celui-ci mal-
gré fa bleflure lance un bâton ferré au Prince qui s' étoit avan-
cé , ôc le bleffe confidérablement au-deffus de la hanche ,
parce que la chaleur lui avoit fait quitter les armes défenfives.
On le retira du combat , ôc on le mit fur un chariot. A ce
fpe£tacle les Danois , que ni le foin de leur propre fureté , ni
la crainte de l'infamie, ni la voix du Prince, n'avoient pu ani-
mer au combat , reprennent courage , ôc forcent les retran-
chemens , quoiqu'ils euffent fait une grande route toute la nuit
par une chaleur exceflive. Ceux des ennemis , qui ne furent
pas tuez fur le champ , ou fe précipitèrent dans des foffez ,
ou furent défaits par la cavalerie qui les pourfuivoit 5 enforte
que peu fe fauverent.
Il arriva, que durant le combat quelques cavaliers Danois
Tome IIL T t
33o HISTOIRE
entrèrent dans Heyden pour piller , contre îe règlement qui
Henri II avo^ été fait. Quoiqu'il n'y eût qu'une foibîe garnifon de peu
de foldats , ils furent repouffez , ôc perdirent un de leurs offi-
ciers , appelle Marc Romanaw. Mais Maurice de Ranzau ,
quiavoit été envoyé à Henningfted , comme nous avons dit,
étant alors furvenu , les habitans ,. qui s'étoient contentez de fe
défendre , attaquèrent les Danois , étant animez par le defelpoir ,.
ôc combattirent courageufement , jufqu'àce que la cavalerie
ennemie fuperieure en forces les eut prefque tous taillez en
pièces. Trois cens Dietmariiens périrent en ce combat , où
Theodoric Holle reçut un coup mortel. Ceux qui purent écha-
per , s'étant ralliez fur le foir,fe retirèrent en un endroit, dont
la fitutation étoit avantageufe , 6c comme ils fe difpofoient à
fe défendre, on fît marcher de la cavalerie à eux. Alors le
Général infatigable , pour ne pas donner le tems aux enne-
mis de fe rallier , ôc de reprendre courage , s'approcha avec
fon armée ôc avec du canon des mûrs d'Heyden , quoique la
plupart des officiers ne fulfent pas de cet avis. Il y eut là
encore un combat fanglant, qui ne finit que par l'embrafe-
ment de la ville , ôc par la mort de ceux qui la défendoient ,
qui furent tous enfevehs fous fes ruines. Telle fut la defhnée
de cette ville ,1a plus confidérable de toute la Dietmarfie par
fes foires , par fon Sénat , ôc par fes édifices. Après que lefol-
dat s'y fut repofé de fes fatigues , ôc qu'il eut bu en abondan-
ce de la bière, ôc des vins de liqueur , le Général l'en fit
fortir , ôc lui donna ordre de fe retirer auprès du canon. Il
craignoit , que ce qui reftoit d'ennemis pouffé parle defelpoir
n'attaquât les liens en quelque lieu qu'il les trouvât , ôc qu'il ne
les furprît la nuit, en un tems où la joye de la vicloire fait oublier
le foin de la difcipline. Il mit auffi des fentinelles en plufieurs
endroits, pour empêcher toute furprife , ôc afin que rien ne
pût diminuer l'honneur d'une victoire achetée par trois com-
bats donnez le même jour. Trois mille Dietmarfiens y perdi-
rent la vie , fans compter les bleffez qu'on prit , ôc d'autres qui
s'échappèrent demi- morts à la faveur de la nuit. Le Roi per-
dit trois cens hommes , du nombre defquels fut George Ale-
velt d'une naiffance iîluftre , qui étoit Enfeigne de la compa-
gnie des Gardes du duc d'Holftein. Il reçut un coup d'arque-
bufe dans les reins , dont il mourut à Redefbourg neuf jours
DE J. A. DE THOU.Liv. XXÎI. 331
après. Plufieurs Princes ou Seigneurs furent bleffez.
Après cela, l'armée s'étant avancée près de Hamme , Adol- ]-tenri h
fe fe fît porter au camp , n'étant pas encore guéri de fa bief-
fure , ôc fut vifité par le Roi fon neveu , qui lui donna bien
des marques de confiance ôc d'amitié. Les Danois , qui ve-
noient de fubjuguer cette partie de la Dietmarfie , qui eft rem-
plie de campagnes ôc de plaines , avoient encore à foumet-
tre cette autre qui eft plus baffe, ôc toute marécageufe > qu'on
appelle Marfland. Ceux qui avoient échappé au fer ôc à la
flamme, les femmes , les vieillards , les enfans , s'étoient re-
tirez en ces lieux aquatiques , avec ce qu'ils avoient de plus
prétieux , réfolus à fouffrir les derniers malheurs. Durant qu'on
délibérait fur les moyens de fe rendre maître de ce payis , on
vit arriver dans le camp du Roi deux Prêtres, qui fe difoient en-
voyez aux Princes de la part de ces peuples. Ils portoient l'un ôc
l'autre un bâton blanc à la main , où étoit. attachée une re-
quête ouverte , fans fceau ôc fans fignature. Cet écrit por-
toit, qu'ils reconnoiffoient les princes Danois pour fouverains
de la Dietmarfie ôc que fi jufqu' alors ils leur avoient refufé
cette qualité , même les armes à la main , ils ne l'avoient fait
que pour conferver leurs droits ôc leur liberté. Les Prêtres
avoient ordre de demander aux Princes, qu'ils vouluffent bien
donner audience à leurs députez , ôc donner des furetez pour
ceux qui viendroient traiter des conditions de la paix. On
leur accorda ce qu'ils demandoient j ôc le Général Ranzau
fut autorifé de donner des paffeports au nom des princes pour
ceux qui feroient envoyez. Le 1 6 de Mai , cinq de ces qua-
rante-huit Magiftrats , qui gouvernoient la Province , fe ren-
dirent au camp , ôc promirent de fe foumettre à ce qu'on exi-
geroit d'eux , pourvu qu'on leur confervât les biens ôc la vie.
On délibéra long-tems fur cette affaire dans le confeil du Roi,
où fe trouva Adolfe , qui n 'étoit pas encore guéri de fa
playe. Sa préfence rendit d'abord peu libres les fuffrages de
ceux qui opinèrent. Ils fe perfuadoient que ce prince irrité
voudrait qu'on exterminât cette nation. Mais ayant pris la
parole, il les tira d'un grand embarras , en déclarant qu'il
étoit d'avis qu'on ufât de clémence. On régla donc , qu'avant
toutes chofes les Dietmarfiens prêteraient ferment de fidélité
aux Princes , à la manière accoutumée 5 qu'ils reftitueroient de
1 t i;
33
2 HISTOIRE
5^5= bonne foi les enfeignes prifes autrefois fur Jean roi de Danne*
Henri IL marc , & fur le duc Frédéric fon frère , ôc tout le butin qu'ils
* S S 9> avoient fait alors : Qu'ils payeroient (ix cens mille écus d'o£
pour les frais de la prefente guerre 5 que la fouveraineté du
payis , le domaine s les droits de charte ôc de pêche , ôc tou-
tes les autres prérogatives féodales feroient dévolues aux Prin-
ces , lefquels pourroient bâtir aux frais des habitans trois cita-
delles dans les lieux de la Dietmarfie, qu'ils jugeroient les plus
convenables; Que les peuples voifins de ces châteaux feroient
obligez de donner des fonds en bois 3 prairies 3 ou terres de
labeur , pour entretenir les garnifons , ôc les ouvrages : Que
fuivant l'ufage du payis , les habitans feroient obligez à certai-
nes corvées ; que tous les Forts feroient abattus ôc rafez : Que
les Dietmarliens feroient obligez de faire tranfporter au lieu
qu'on leur indiqueroit , ôc de livrer aux Princes tout leur ca-
non 3 leurs munitions de guerre , les agrès des vaiiTeaux , ÔC
généralement toutes les armes dépofées en des arfenaux 3 ou
à l'ufage des particuliers : Qu'ils leveroient tous les ans au pro-
fit des Princes les mêmes fommes qu'ils levoient actuellement ï
pour les dépenfes de la guerre : Qu'ils feroient voir de bonne
foi tous les titres ôc toutes les concefïions émanées en leur fa-
veur des Papes ôc des Empereurs , ôc de tout autre Prince :
Qu'ils jureroient , qu'ils n'en avoient point d'autres en leur
pouvoir 5 ôc declareroient de nulle valeur par un écrit autenti-
que , tous les actes qui ne feroient pas reprefentez : Que les
Princes feroient en droit d'établir une jurifdi£tion danslepayisj
laquelle reiTortiroit à leur Confeil : Que ces peuples payeroient*
comme ceux du Holftein ôc de Stormar, les emprunts & les dons
gratuits qui feroient demandez : Qu'ils renonceroient à toutes
alliances faites avec les étrangers 3 ôc n'en pourroient contrat
cler de nouvelles : Qu'enfin ils feroient aux Princes unedépu-
tation folemnelle , pour demander pardon de leurs fautes 3 ôc
fe reconnoîtroient fujets des Princes par un écrit folemnel 3 ôc
muni du fceau de leur province ; ôc qu'on donneroit en ôta*
ge huit Magiitrats 3 du nombre des quarante - huit qui gou-
vernoient la province 3 ôc de plus feize des plus confidérables
de la nation 5 pour fureté de l'exécution du traité.
On renvoya les députez chargez de ces dures propositions;
<&c on leur donna pour efcorte François Bulow , ôc Henri -de
DE J. A. DE TH'OU, L i v. XXXIL 33?
Ranzau. Ils revinrent trois jours après , tems qu'on leur avoit ~. .— ■ 1
iixé , ôc ayant rapporté une réponfe fur chaque article, ils de- Henri IL
elarerent qu'ils étoient prêts à fe foûmettre à la plupart des 1 ? ç o,
conditions, qui leur étoient prefcrites. Ils ajoutèrent, qu'au refte
il n'étoit pas en leur pouvoir de rembourfer les frais de la
guerre , ôc conjurèrent les Princes d'avoir égard à leur indi-
gence , 6c aux calamitez d'un payis que la guerre avoit dé-
folé. Ils prièrent aufïi, qu'on changeât l'article qui les obli-
geoit à bâtir trois citadelles , ôc à en entretenir les garnifons , en
fourniffant des fonds de terre à cet effet. Ils demandèrent
auffi d'être traitez comme ceux de Crempermarfch , de Frie-
fen, ôc de "Wilftermarch fujets des Princes, & d'être exempts
comme eux des corvées ôc des travaux mentionnez dans les
articles. Enfin ils fupplierent les Princes de leur accorder un
Sénat à Eiderftad, pour juger les procès de la nation fuivant
les règles du droit écrit , fauf l'appel au Confeil du Roi ôc
du Duc.
Après plufieurs conteftations , qui durèrent quelques jours; *-es Dî^
on adoucit un peu , de l'avis des principaux du Confeil , ôc foumewentf
furtout du Général Ranzau > que les Princes avoient laiffé en
leur abfence à la tête des affaires , les conditions qui avoient
été d'abord propofées , ôc la paix fut conclue. On arrêta qu'au
21 de Juin les vaincus apporteraient toutes les armes ôc tou-
tes les munitions de guerre qu'ils avoient en leur poffefîion s
Ôc viendraient demander grâce '■> ce qui fe paffa de cette forte.
Les princes Jean ôc Adolfe ( le Roi étant abfent) accompagnez
des perfonnes du Confeil étoient au milieu d'une plaine. Tous
les Dietmarfiens étoient autour à genoux, ôc la tête nue, en-
tre lefquels on aurait pu à peine en compter quatre mille ca-*
pables de porter les armes , qui avoient échappé aux derniers
combats. Les vaincus étoient environnez de toute l'armée :
plufieurs d'entre eux crurent , à la vûë de tant de troupes ;
qu'on les avoit amenez à la boucherie. Ce fut en ce lieu qu'ils
demandèrent pardon aux Princes 3 ôc qu'ils préfenterent leurs
armes , leurs drapeaux , ôc environ cent pièces de canon , qui
furent envoyées auffi-tôt à Meldorpt , ôc partagées entre les
Princes , comme ils en étoient convenus. Ils donnèrent aufîl
vingt-quatre otages, à qui on commanda de s'arrêter à Ren-
defbourg. Cependant on rendit à la plupart des Dietmarfiens
Tt iij
334 Hï STOIRE
leurs piques odeurs javelines, pour fe défendre des Danois qui
Henri M. voudroient les infulter. Enfuite on envoya en différens lieux
j ç ^ ç du Holftein l'infanterie , qui avoit compté fur un grand butin,
ôc on lui ôta fou canon , de peur qu'elle n'entreprît quelque
chofe contre le fervice des Princes.
C'eft ainfi que cette guerre , que les évenemens paffez fai-
foient regarder comme très-importante , fut heureufement ter-
minée prefque dans l'efpace d'un mois. Au refte , tant que
ces peuples nefongerent qu'à défendre la liberté ôc la patrie,
ils combattirent vaillamment, ôc cauferent de grands maux
aux Ducs de Holftein , ôc aux Rois de Dannemarc : mais leur
orgueil étant parvenu jufqu'au comble , ils fe portèrent à de
grands excès contre Dieu même , ôc contre les peuples voi-
iins. Ayant irrité le ciel qui les avoit jufques-là protégez, ôc
îa puirfance de leurs ennemis s'étant accrue 3 ils perdirent
par leur fierté brutale prefque en un moment cette liberté ÔC
cette indépendance , que la valeur de leurs pères leur avoit affu-
rée. L'année fuivante l'Empereur Ferdinand agréa le traité qu'on
venoit de faire , ôc le confirma.
Affaires d'I- ^ Y eut au commencement de cette année une grande révo*
salie. lution à Rome dans le gouvernement des affaires. ' Le Saint
Père ayant enfin ouvert les yeux , ôc reconnu combien la
puiffance de fes neveux étoit devenue" infupportable aux Ro-
mains , commença à les haïr. Comme ils connoiffoient le ca-
ractère du Pontife leur oncle, qui étoit très-fier, ôc nepouvoit
fouffrir qu'on l'offensât, ils lui avoient fait entreprendre une
guerre funefte au faint Siége,ôc à toute l'Italie. Ils s'étoient con-
duits en cette occafion par des vues ambitieufes , ôc fe livrant
à l'orgueil ôc à l'avarice , ils avoient à l'infçu du Pape violé
toutes les loix de la bienféance ôc de l'équité. Après avoir épuifé
le thréfor de TEglife , ils avoient engagé le Saint Père à im-
pofer des tributs onéreux, ôc jufqu alors inoùis. Ils avoient
établi quatre monts de pieté ; deux perpétuels qui dévoient ren-
dre en neuf années les capitaux avec un intérêt de huit pour
cent, à la caution de l'Hôpital du S. Efprit , ôc de Thomas Ma-
rini;ôc deux autres non perpétuels, dont l'un étoit hypothéqué fur
les revenus del'Ombrie, ôc dePeroufe, ôc l'autre fur les aluns
qu'on cuit à Tolfa. On leva le centième ôc le cinquantième
\ 1 Paul IV. nommé avant fon exaltation Jean-Pierre Caraffe, comme on a vu
d-devant.
DE J. A. DETHOU,Liv, XXII. 53 y
denier fur tous les biens, ôc deux dixièmes fur tous les béné-
fices de l'Etat eccléfiaftique. On déclara aufti plufieurs char- Henri II.
ges vénales , & entr'autres celles des juges criminels, ôcl'on 1 5 y p.
fit porter au thréfor un mois des gages de tous les offices. En-
fin tous les Religieux furent obligez de travailler à des ou-
vrages de terre , qu'on élevoit à l'occafion de la guerre.
Après la paix conclue avec Philippe roi d'Epagne, ôc que
les animoiitez eurent ceffé, le Pape rentra en lui-même, ôc
fut averti par un certain Jérémie de l'ordre des * Théatins,
que les Caraffes [es neveux, ôc fur-tout le Cardinal, abufoient
à fon infçu du pouvoir qu'il leur avoit confié : ce qui fit que
plus attentif au gouvernement de l'Eglife , il examina leur
conduite de plus près. En même tems il y avoit dans les
prifons de Tofcane plufieurs prifonniers 3 Moines , Prêtres , ôc
autres } qui recufant les juges laïques , reclamoient la jurifdic-
tion Eccléfiaftique. Corne Grand duc de Florence , qui croyoit
qu'il étoit du bien public que les criminels fufTent punis , ôc
qui ne vouloit pas lailfer languir fi long-tems fes fujets dans
les prifons , avoit prié plufieurs fois le Pape , mais inutilement,
de lui envoyer quelque perfonnage fçavant ôc vertueux , pour
juger les coupables. Ce Prince voyoit encore avec indigna-
tion l'infolence des Caraffes , qui non contens d'exercer leurs
vexations dans le territoire de l'Eglife , impofoient de leur au-
torité privée de grands fubfides en Tofcane ôc dans toute
l'Italie, fur-tout iur les Hôpitaux, fur les Communautez ec-
cléfiaftiques , ôc fur les perfonnes engagées dans les Ordres
facrez. Il avoit chargé Bongianni Bonfigliazzi fon envoyé à
Rome , de faire en fon nom des remontrances au Pape fur ces
entreprifes ; mais les Caraffes avoient toujours empêché que
ce miniftre n'eût audience. Corne prit le parti d'écrire au
Cardinal Vitelli , qui déteftoit depuis long-tems l'orgueil ôc
le faite des Caraffes , ôc de lui envoyer une lettre pour le Saint
Père, que le Cardinal lui préfenta.
A la lecture de ces dépêches , le vieux Pontife conçut un ie Pape Pau!
grand chagrin. Se fouvenant des avis qu'on lui avoit déjà don- îv- chalfe fe*
• 1 P. .1 r^, / T/ / * 0 1 j j neveux dsRo*
nez , il fait venir le I neatin J eremie , ôc lui ordonne de me
1 Cet Ordre fut inftitué par Paul
IV. avant fon exaltation ; 8c com-
me il étoit alors Evêque deTheate^
il donna à cette Congrégation le nom
de fon Evèché. Voyez le Livre XV*
33* HISTOIRE
^^^^^a^ s'informer du cardinal Vitelli,touchant la conduite des CarafTes,
Henri IL ôc de lui en faire un fidèle rapport. Ce Pape impérieux,, ôc ex-
1 S S 9> trèmement jaloux de ion autorité, apprit avec indignation , que
le Cardinal fon neveu avoit promis de livrer au Roi d'Ef-
pagne la ville de Palliano, ôc qu'il avoir là-defîus fait un traité
avec le duc d'Albe , qui s'étoit engagé au nom de fon maî-
tre de donner au lieu de cette place une récompenfe au duc
de Palliano frère du Cardinal. Le Saint Père , qui vouloit
que Palliano demeurât dans fa maifon , ôc qui dans cette vue
en avoit confié le gouvernement à Bernardin Carbone fon
parent , oubliant alors l'affection qu'il avoit eue jufques-là pour
le Cardinal-neveu, lui ordonna defortir du Vatican où il lo-
geoit, ôc lui fit défendre fous de grandes peines de fe pré»
fenter jamais devant lui. Enfuite ayant afTemblé le Confiftoi-
re le 27 de Janvier, il ôta à ce Cardinal le miniftere, ôc la
légation de Ferrare. Il priva aufîi le duc de Palliano du com-
mandement des troupes de l'Eglife, ôc de la charge de Gé-
néral des galères , ôc le marquis de Monte-bello du gouver-
nement du Vatican. Il déclama avec les termes les plus forts
contre la conduite tyrannique de fes neveux 5 & comme quel-
ques Cardinaux excufoient leurs actions , pour adoucir le ref-
fentiment du Pape , il fit voir un vifage fevere , ôc les reprit
avec aigreur. Il dit même au cardinal Rainuce Farnefe, que
fon l ayeul auroit mieux fait de préférer ( comme il faifoit au-
jourd'hui ) les devoirs d'un bon pafteur à l'amour de fa famille*
ôc de punir les débauches de Pierre-Louis Farnefe fon fils,
qui donnoient de l'horreur à tout l'univers. Ainfi ayant re-
jette les difcours flatteurs de plufieurs membres du facré Col-
lège, il déclara qu'il fe porteroit à de plus grandes extrê-
mitez contre fes neveux, s'ils nefortoient de Rome au plutôt.
Il exila le cardinal Caraffe à Lavinia, ôc le duc de Palliano à Ga-
îefe ( château que ce Pontife avoir acheté depuis peu de Jule
de la Rouere ) ôc le Marquis de Monte-bello en Ombrie. Il
priva aufîi de leurs charges , ôc de leurs dignitez ceux qui les
tenoient de fes neveux , en fit emprifonner quelques-uns,
êc donna à d'autres leurs emplois. Il abolit en même tems
1 Pauï Iïl. nommé le Cardinal Ale-
xandre Farnefe avant fon exaltation,
avoit eu un fils nommé Pierre-Louis,
père d'Ottavio, de Rainuce, &c. ainfi
qu'on a pu voir dans les livres pré-
cédent
certains
DEJ. A. DE T HO U , L i v. XXII. 337
certains droits de pafTages, ôc quelques autres impôts, comme '
établis à fon infçu , ôc il donna le gouvernement de Rome, Henri IL
6c du Vatican à Camille des Urfms de Lamentano , qui étant * S S 9*
mort peu après , eut pour fucceffeur Antoine des Urfins frère
du duc de Gravina. Le généralat des galères fut donné à
Flaminio des Urfins de Stabbia.
Enfuite il établit une Congrégation de vingt Cardinaux 6c
de quelques moindres officiers du Palais , pour juger avec lui
une foi la femaine , dans une audience publique , toutes les cau-
fes des fujets du Saint Siège. Il vouloit faire voir par là fon
zélé pour la juftice, ôc que tous les défordres qu'on avoitvûs
jufqu'alors , ne dévoient être imputez qu'à fes neveux. Mais
comme fa mauvaife fanté ne lui permettoit pas d'aiTifter régu-
lièrement à ces jugemens , il nomma les cardinaux Trani , de
Spolette, ôc Coniigiieri , pour tenir fa place, ôc pour décider
fouverainement de tous les différens. Il déclara aufïï par un
édit , que ceux qui auroient reçu quelque tort des Magiftrats
où des gouverneurs , euffent à fe préfenter , ôc qu'il leur ren-
droit une prompte juftice. Se voyant alors débaraffé des foins
de la guerre , il fe donna tout entier aux fonctions de l'Inqui-
fition , quil appelloit un tribunal très-faint, ôc rendit des ju-
gemens fort févéres contre toutes fortes de perfonnes. Il choi-
sit pour préfider à cette redoutable jurifdi&ion Michel Ghifle-
ri , qu'il avoit depuis peu aggregé au facré Collège , ôc qui
fut nommé le Cardinal l- Alexandrin , perfonnage d'une vie
auftere , ôc d'un caractère fort dur. Il vouloit que ce tribu-
nal connût non-feulement du crime d'héréfie , mais enco-
re de quelques autres, qui étoient punis auparavant parles ju-
ges ordinaires. Il obligea de plus par un Décret tous ceux qui
avoient fait des vœux de Religion , de rentrer dans les Mo-
nafteres dont ils étoient fortis , quelque prétexte qu'ils alléguât-
fent pour juftifier leur défertion s ôc fit emprifonner dans tout
l'Etat Eccléfiaftique , ou condamner aux galères , ceux qui ré-
futèrent d'obéir. Il fit exécuter fes ordres fur cet article avec
tant de févérité , fans avoir égard ni aux exeufes les plus lé-
gitimes , ni au nombre des années écoulées depuis ces forties,
tificat fous le nom de Pie V. 8c a été
canonifé en ces derniers tems.
i Ce Cardinal, né à trois lieues d'A-
lexandrie de la Paille , avoit e'té Do-
jïiinicain : il fut élevé depuis au Pon-
Tome III, V u
338 HISTOIRE
wmmmmmmmmmm que plufieurs furent obligez d'abandonner leur patrie , 6c de
7J 77 fe retirer pour un tems à Venife. Il fignala aufli fa charité en-
vers le peuple Romain dans un tems dedifette, en achetant
* ' huit écus certaine mefure de bled , ôc la revendant cinq feu-
lement j ce qui lui coûta cinquante mille écus.
Nouveaux D fit en ce même tems d'autres chofes^ que Thiftoire ne doit
Evéchez éta- pas oublier. Il créa , dans quelques villes des Indes foumifes
Payis-bal " aux Portugais , des Evêchez, comme à Cochin, 6c à Malaca.
Il érigea en métropole lefiége Epifcopal de Goa, qu'il ren-
dit indépendant de l'archevêché de Lifbonne , à caufe de l'é-
loignement des lieux , 6c établit en ce payis là de nouveaux
Evêchez fuffragans de Goa. Il créa aufïi des Evêques dans
les Payis-bas , ôc en rendit d'autres indépendans de la jurif-
diction des Métropolitains de France , à la honte du nom
François. Plulieurs imputèrent ces innovations aux lâches in-
trigues du cardinal de Lorraine archevêque de Rheims, qui
vouloit cimenter par cette complaifance , difoient-ils t le traité
qu'il venoit de faire avec l'Efpagne. Une chofe cependant
peut difîiper ces foupçons î c'eft que le Pape accorda les mê-
mes prérogatives au Roi d'Efpagne , au préjudice de l'Empe-
reur , ôc de la majefté de l'Empire. Car comme Tournai ,
Cambrai , 6c Arras furent fouftraits à la jurifdiclion de l'arche-
vêque de Rheims , de même quelques portions des diocefes de
Cologne, de Munfter , d'Ofnabruck , ôc de Paderborn , lefquel-
les étoientdans les Etats du roi d'Efpagne , en furent démem-
brées , ôc attachées aux nouveaux fiéges établis dans les Payis-
bas. Le prétexte de ces érections fut., qu'anciennement ce
payis n'étant pas fort peuplé , peu d'Evêchez fuffifoient alors*
mais que comme il étoit devenu floriffant par le nombre de fes
habitans , 6c de fes grandes villes, il falloit plus d'ouvriers pour
recueillir une plus abondante moiffon. Ainfi le Pape érigea
des lièges épifcopaux à Malines , à Anvers , à Harlem , à Dé-
venter y à Léewaerden, à Groningue, àMildebourg, à Bos-
le-Duc , à Namur , à Saint Orner , à Ipres , à Gand , ôc à Bru-
ges, qui étoient les villes les plus confidérables du Brabant,
de la Hollande s de la Zelande , de la Frife , ôc de la Flandre.
Elles dépendoient auparavant des diocefes de Cambrai ;
d'Utrecht, de Tournai, de Liège, ôc de Terouenne , dont
elles furent diitraites. Malines , Cambrai , 6c Utrecht furent
DE J. A. DE THOU, L i v. XXIL 33?
choifis pour être Métropoles de ces nouveaux Sièges. «■_■•■•
Quelque tems après les peuples des Payis-bas , bien loin ^j Tt
de regarder ces nouveaux établiffemens comme une faveur
du faint Siège, difoient qu'on n'en avoit pas ufé ainfi pour la ' ' ^%
gloire ou l'utilité de la nation , mais pour leur impofer le
joug rigoureux de l'Inquifition , a eux qui étoient nez libres,
en leur donnant des Evêques , quiferoient les cenfeurs de leurs
mœurs. En effet les bulles du Pape touchant ces érections
étoient conçues en des termes , qui pouvoient fonder ces dé-
fiances. Elles portoient entre autres chofes , que ces établiffe-
mens étoient fur-tout néceffaires , en un tems où les Payis-bas
étoient environnez de toutes parts ôc comme affiégez par les
Schifmatiques , ôc où la foi des Catholiques & le falut des
âmes étoient en bute aux artifices féduifans ., & à la fauffe doctri-
ne des Sectaires. Il eft certain qu'une des raifons qui déter-
mina le Roi d'Efpagne à la paix , fut qu'il fe perfuada que fi
la guerre duroit plus long-tems , le venin de l'héréfie infe£te-
roit bientôt les Payis-bas, dans des tems de licence ôc de
trouble où les loix ont moins de pouvoir , ôc que le commer-
ce fréquent des Flamans avec les Allemands, qui fervoient
dans fon armée, donneroit cours aux nouvelles erreurs. Le
roi Henri II. ne put s'empêcher de s'ouvrir imprudemment là-
deffus au prince d'Orange , qui lui avoit été envoyé en qua-
lité d'AmbaiTadeur. Dans le tems qu'ils étoient à la chalTe;
il lui dit : Que le deffein du Roi d'Efpagne étoit d'étouffer jus-
qu'aux moindres femences d'héréfie dans les Payis-bas, après
la paix conclue , 6c de joindre enfuite fes armes à celles de
la France, pour attaquer conjointement les nouveaux fe£tai-
res. Le prince d'Orange découvrit peu après ce projet aux
Flamans 5 ce qui fît qu'ils prirent enfemble des mefures pour
s'affranchir de la domination des Efpagnols , 6c qu'ils oferent
bien préfenter à Philippe, lorfqu'il partoit pour retourner en
Efpagne , cette requête hardie , dont nous parlerons bientôt.
Au refte on difoit que les deux Rois avoient le même def-
fein pour l'extirpation de l'héréfie , ôc qu'ils y étoient pouffez
par le cardinal de Lorraine , ôc par Antoine Perrenot évêque
d'Arras. On ajoûtoitqueles édits envoyez l'année précéden-
te au Parlement de Paris , 6c cette célèbre ■ Mercuriale qu'on
1 L'origine des Mercuriales eft expliquée dans la fuite de ce livre.
Vu i;
340 HISTOIRE
v avoit tenue cette année , ôc qui fut fi funefte au Roi ôc à
Henri II. toute la France , n'avoit d'autre but que d'opprimer la liberté,
1 S S 9' fous le prétexte fpécieux de maintenir la Religion 5 ôc qu'à la fa-
veur de ces mêmes motifs , on vouloit éloigner des affaires dans
les Payis-basles Seigneurs qui avoient rendu défi grands fervi-
ces à leur Roi , pour y établir le joug defpotique des Efpagnols.
Affaires Les deux Rois étant enfin convenus des conditions de la
d'Allemagne. ^\x / ^ n^tojt p]us qUeftion que de la reflitution de Calais y
difficulté que la mort récente de Marie reine d'Angleterre ve-
noit en quelque forte d'applanir. Il falloit néanmoins encore
décider à qui appartiendroient Mets , Toul , ôc Verdun , villes
Impériales, que la France avoit prifes dans la dernière guerre.
Ce dernier article intereffoit fort ces deux Princes. Il étoit de
la gloire ôc de l'intérêt de Philippe , de faire voir qu'il fou-
tenoit les Princes & les Puiffances de l'Empire , en les com-
prenant dans le traité de paix qu'on alloit faire. D'un autre
côté , il y avoit apparence que les François ne fe relâcheroient
jamais fur cette conquête. Cependant il importoit bien plus
à la France de conferver ces villes , qu'à Philippe de s'opiniâ-
trer à en demander la reflitution ', lui à qui la paix projettée
étoit d'ailleurs très-avantageufe pour terminer ces differens.
Bourdillon ôc Charle de Marillac archevêque de Vienne furent
envoyez de la part du Roi à la Diète de l'Empire , ôc Bar-
bançon comte d'Aremberg delà part de Philippe? ce Prince
voulant par fes bons offices paroître jaloux des droits de l'Em-
pire. Ce fut en cette Diète tenue à Ausbourg le 25" de Février,
qu'on fit les funérailles de Charle V. avec une pompe extraor-
dinaire ; l'oraifon funèbre fut prononcée par Louis Madruce
nommé évêque de Trente , ôc depuis Cardinal , en préfence des
Princes ôc des Seigneurs de l'Empire , ôc des Ambafladeurs de
prefque tous lesPrinces de l'Europe, qui ailifterent à la cérémonie.
Après qu'on eut rendu les derniers devoirs à l'Empereur
Charle V. on lut publiquement , en préfence de tous les ordres
de l'Empire, les actes de la conférence de Wormes fur le fait
de la Religion. Ferdinand voyant les efprits partagez Ôc aigris
à ce fujet , promit de procurer la convocation d'un Concile
œcuménique , ôc fit un difcours plein de douceur ôc de modé-
ration, pour engager tout le monde à fefoumettre aux décrets de
cette afîemblée.Les députez de l'Electeur de Saxe ôc des Princes
DE J. A, DE-THOU.Liv. XXII. 3*1
qui lui étoient unis , dirent qu'on ne devoit attendre nulle
conciliation par la voye d'un Concile aflemblé par les ordres Henri II
du Pape, ôc qu'il falloir s'en tenir aux décrets de Paffaw ôc 1 y 5 p.
d'Aufbourg touchant la paix de l'Eglife. Comme l'Empereur
ne voulut point fe relâcher fur ce qu'il venoit de propofer ;
ils ajoutèrent , qu'ils ne s'oppoferoient pas à la tenue d'un Con-
cile en Allemagne , qui fut libre ôc univerfel, pourvu qu'il fut
convoqué légitimement par l'Empereur, ôc non par le Pape:
Que le Pontife y eût féance , non comme préiident , mais
comme partie , ôc qu'il fut fournis au Concile 5 à condition
auffi qu'il délieroit les Prélats ôc les Théologiens du ferment
qui les attache à lui, afin que libres ôc exempts de toute crain-
te , ils donnaient leurs fuffrages. Ces députez demandèrent
encore , que l'Ecriture Sainte fût la feule règle des jugemens
qu'on rendroit , ôc non la tradition humaine, ni des coutumes
autorifées par l'Eglife de Rome, ôc fi oppofées à la parole de
Dieu : Que les Théologiens , qui fuivoientla confefïion d'Auf-
bourg , eufTent entrée au Concile ôc y puflent opiner : Qu'on
leur donnât des fauf-conduits , pour la fureté de leurs perfon-
nes , ÔC pour les faire jouir delà liberté qui leur avoit été afîurée
par les décrets de la Diète d'Aufbourg : Que les matières con-
troversées ne fufTent point décidées à la pluralité des voix, com-
me dans les affaires civiles, mais par les règles que prefcrit
l'Ecriture : Qu'enfin on anéantit avant toutes chofes les a£les
du Concile de Trente , comme peu légitimement aflemblé ;
ôc que les queftions fur la foi fufTent mifes de nouveau en dé-
libération. Les Proteftans affurerent qu'à ces conditions ils
confentiroient volontiers à la tenue d'un Concile ; ôc que fi le
fouverain Pontife ne vouloit pas l'accorder , ils demandoient à
l'Empereur Pobfervation des décrets de Paflaw, fi favorables à
la paix de l'Eglife. Ferdinand, qui vit bien que les propofitions
qu'on faifoit ne procureroient jamais la réunion des efprits t
promit de n'inquiéter perfonne fur les matières de la foi.
Enfuite on parla de la monnoye , ôc l'on ordonna qu'elle
auroit dans tout l'Empire un prix intrinféque , proportionné à
fon cours. On régla auffi que chaque Cercle chercheroit les
moyens les plus convenables , pour reprimer les entreprifes de
ceux qui troubloient le repos public. Enfuite on donna audien-
ce à George Segebert envoyé de Guillaume de Furftemberg
Vu iij
342 HISTOIRE
, grand-maître des chevaliers Teutoniques deLîvonîe. Ce mî-
Henri IT n^re avant expofé les malheurs de la Livonie , que les Mof-
covites avoient Ci cruellement defolée l'année précédente , de-
' * - manda du fecours aux puiffances de l'Empire. Sa demande ,
qu'appuya Jean Albert duc de Mekelbourg parent de Furf-
temberg , parut jufte aux Etats de la Diète > qui accorda une
fomme de cent mille écus d'or , pour lever une armée con-
tre les Mofcovites. Mais les Livoniens , qui dans leurs difgra-
ces n'avoient pas encore oublié leur ancienne fierté , refufe-*
rent cette fomme } comme indigne, delà majéfté de l'Empire,
ôc peu proportionnée aux befoins preffans de leur province.
Ils députèrent à Augufte roi de Pologne , pour le fupplier de
prendre leur défenfe , fans préjudicier aux droits de l'Empire >
lui offrant, en garantie des frais qu'il feroit , neuf places qu'ils
pourroient retirer quand ils voudraient, en lui payant fîx censj
mille écus d'or. Le roi de Poiogne ayant accepté ces propo-
rtions, on en dreffa des a£tes autentiques , qui furent confir-
mez de part & d'autre par la religion du ferment. Alors Go-
tard Ketler , Grand - maître des chevaliers de Livonie par la
démiffion de Guillaume de Fuftemberg, marcha conjointe-
ment avec Chriftophle de Mekelbourg contre les Mofcovites,
& mit le fiége devant Derpt. Mais, après quelques légers
combats, ils furent obligez de fe retirer. Ils envoyèrent leurs
canons à Vellin , qui furent pris l'année fuivante par les Mof-
covites , lorfqu'ils forcèrent cette place, oùFurftemberg acca-
blé d'années s'étoit retiré.
Les Livoniens , ôc fur-tout les députez des villes de Riga
ôc de Revel , firent de grandes plaintes à la Diète d' Auûbourg,
contre ceux de Lubec , qui avoient tranfporté , difoient-ils ;
à Nerwa de Mofcovie le commerce qu'ils faifoient aupara-
vant à Revel , ôc qui voituroient continuellement dans une
ville , leur ennemie , des marchandifes > des vivres , ôc des ar-
mes , au préjudice delà Livonie, qui, comme eux , dépendoit
de l'Empire. La Diète ayant égard à ces remontrances, défen-
dit par un refcript à ceux de Lubec , de porter des munitions
de guerre ou de bouche chez les Mofcovites. Cette Ordon-
nance fut quelque-tems après révoquée , pour des raifons que
nous dirons. On donna aufli audience à Alfonfe de Carretto
marquis de Final dans l'état de Gènes, qui a voit été chatte de
DE J. A. DE THOU Liv. XXIÏ. 343
Final par fes fujets ,à caufe de fa cruauté â ôcqui étoit venu à —
Ratifbonne trouver l'Empereur , pour fe plaindre des Génois, jjenriji
lefquels commandez par André Lomeliini l'avoient affiégé
dans fa citadelle l'année précédente. Quoiqu André Doria ' ' '
fon allié eût parlé dans le Sénat en fa faveur , les Magiftrats
avoient rejette les bons offices d'un citoyen, que fa vieilleffe
commençoit à leur rendre méprifable , ôc n'avoient pas eu
plus d'égard aux repréfentations de Gomez Figueroa ambaffa-
deur d'Efpagne , qui fe plaignit de ce que les Génois tour-
noient fi à contre-tems leurs armes contre Final , ôc de ce
qu'ils vouloient faire des conquêtes , lorfqu'ils étoient fur le
point de perdre ce qui leur appartenoit.
En effet les François s'étant emparés peu auparavant de San-
Fiorenzo dans Pifle de Corfe , l'avoient fortifié , ôc leurs vaif-
feaux, qui croifoient fur cette mer , rendoient la navigation fort
dangereufe. De plus, ils avoient pris un Fort, que les Génois
avoient élevé près de Baftia ? ôc ils étoient fur le point d'aiîié-
ger Calvi , ôc de fe rendre maîtres de toute cette Iile. Enfin
Doria fe préparant à affembier des troupes , pour s'oppofer
aux entreprifes de fes concitoyens , ôc Figueroa ayant menacé
le Sénat au nom de Philippe , de faire venir Gonzalez de Cor-
douë duc de Seffa à la tête d'une armée, les Génois levèrent
le fiége de Final à certaines conditions. Au relie l'Empereur
fe referva la connoiffance de l'affaire du marquis Carretto.
Enfuite on donna audience aux Ambaffadeurs de France
le vingt-huitième jour de Mars. Ces miniftres, après avoir re-
préfenté fort au long dans un difcours éloquent la bonne volonté
du Roi envers l'Empereur , ôc les princes de l'Empire , deman-
dèrent qu'on renouvellât l'ancienne alliance entre la France
ôc l'Allemagne, ôc qu'on l'affurât par les liens les plus forts. Fer-
dinand ayant remercié les Ambaffadeurs des témoignages
qu'ils lui donnoient , au fujet des difpofitions favorables du Roi
leur maître, dit , que les Puiffances de l'Empire ôclui, n'ou-
blieroient rien pour entretenir une fincere correfpondance
avec ce Prince , pourvu qu'il agît d'une manière conforme à
fes promeffes, ôc qu'il rendît à l'Empire les villes qu'il lui avoir
depuis peu enlevées : Que s'il fàifoit cet a£te de juftice , ce fe-
roit le moyen le plus fur d'établir entr'eux une amitié fmcere ôc
durable. Les Ambaffadeurs répondirent , que. leur inftruûion
344 HISTOIRE
ne faifoït point mention de ces villes ', mais qu'ils en écriroient
Henri IL au R°i ^eur maître: Que cependant ils demandoient, qu'on
i y y p. répondît par une bienveillance réciproque aux témoignages
finceres de fon amitié. Enfuite la Diète fe fépara , ôc nos Am-
baffadeurs furent traitez ôc renvoyez avec de grands honneurs.
On leur dit en particulier , que Ferdinand n'avoit pu avec bien-
féance ne pas demander en public la reftitution des trois villes î
mais que du refte , quand même les villes ne feroient pas ren-
dues , cet article ne feroit jamais du côté de l'Empereur , ni
des PuifTances de l'Empire , un obftacle à la paix Ôc à la bon-
ne intelligence. Enfuite on réfolut d'envoyer une célèbre am-
baffade en France : Le cardinal d'Aulhourg , ôc Chriftophle
duc de Wirtemberg furent nommez pour cette ambaffade.
David Geor- Avant que de finir le récit des événemens de l'Allemagne,
gm/i{neux Je cro^s 4U ^ e^ à propos que je parle d'un certain fourbe, nom-
mé David George, né à Delft1 en Hollande, dont on décou-
vrit alors les impoftures. Il étoit de la plus baffe naiffance ,
fils d'un bateleur , ôc du côté de fa mère , d'une famille très
abjecte. Quoiqu'il n'eût aucunes lettres , qu'il ne fçût d'autre
langue que celle de fon payis , ôc qu'il fut très ignorant , il
publia néanmoins beaucoup d'écrits. Cet homme d'un efprit
hardi, entreprenant, ôc opiniâtre , faifoit voir beaucoup de
douceur ôc de modération > enforte qu'on le croyoit homme
de bien 3 ôc plein de candeur. Il avoit bonne mine ; un main-
tien ôc une démarche graves ôc modeftes , & tous les dehors
de la probité. Il répandit des erreurs abfurdes dans la Hollan-
de , qui étoit déjà infe&ée de l'héréfie ôc des folles vifions des
Anabaptiftes. Ce perfonnage ayant feméavec beaucoup d'art
ôc de fecret fes dogmes empoifonnez dans une terre toute dif-
pofée , pour ainfi dire , à les recevoir , amafla de grandes ri-
cheflfes , que lui prodiguèrent des peuples crédules ôc folement
féduits. Mais craignant que s'il demeuroit plus long-tems dans
fon payis , où on l'honoroit comme chef d'une doctrine goû->
tée , il ne perdît de fon crédit , Ôc qu'on ne découvrît fes ar-
tifices ; il quitta fa patrie , ôc crut que de loin il feroit plus
refpeclé de fes difciples. Il arriva à Bâle le premier d'Avril de
l'année 1J44. avec quelques-uns de fes fe&ateurs , ôc un train
magnifique > ôc prit le nom de Jean Bruck. Ayant cru qu'il
j Quelques autres difent que cet impofteur étoit né à Gand.
pourroit
DE J. A. DE THOU, Liv. XXII. 34;
pourroit mieux cacher en ce lieu qu'en tout autre fes pernl- m
cieux deffeins , il fe préfenta au Sénat j ôc le pria de vouloir Henri II
donner à un homme fugitif pour la religion un azile , où il Iîîg
pût vivre tranquille avec fa femme , fes enfans , fes domefti-
ques Ôc les biens qu'il poffedoit. Rien ne fe démentoit dans
fa perfonne ni dans fes difcours ; & on ne pouvoit , à le voir
ôc à l'entendre , ne pas plaindre un banni qui fouffroit pour la
foi. On ne connoifïbit ni le fonds de fon cœur , ni fes mœurs,
ni fa conduite paffée. Il venoit de loin > fes difcours avoient
quelque vraifemblance ; 6c ce qu'il racontoit de {es difgraces
6c de fa fuite lui étoit en ce tems-là commun avec bien
d'autres.
Ainfi il fut reçu dans la ville le 2 y d'Août , après avoir
prêté ferment félon la coutume. Comme il s'acquittoit parfai-
tement des devoirs de la Religion , ôc de ceux de la vie ci-
vile , en honorant les Magiftrats , en prévenant les particuliers
par toutes fortes de bons offices , ôc en fe rendant afîidu aux
lieux où l'on exerçoit le culte divin , tout le monde étoit bien
éloigné de fe défier de lui , ôc on le crut aufïi vertueux , qu'il
le vouloit paroître , ôc que le croyoient fes difciples. Il me-
noit,luiôc les fiens, une vie fort retirée en famaifonj ôc de
peur qu'on ne découvrît qui il étoit , il avoit grand foin qu'on
cachât fon vrai nom , qui n'étoit que trop connu en Frife ôc
en Hollande , ôc qu'aucun de fes gens ôc de fes difciples ne
dît de quelle condition il étoit en fon payis. Il arrivoit de là
que plufieurs le croyoient d'une illuftre naiflance 3 qu'il vou-
îoit cacher par une vie retirée , ôc que d'autres le jugeoient
un fameux Négociant , qui faifoit par fes commis un grand
commerce fur terre ôc fur mer. Enfin il fe gardoit bien de
publier fa dodrine à Baie } ni dans les payis voifins ; imitant
en cela les Martres ôc les Belettes, qui épargnent, dit-on, les
poules de ceux chez qui elles fe retirent , ôc qui font grâce à
leurs hôtes , afin qu ils les laiffent tranquilles , ôc qu'elles ayent
un azile pour fe réfugier avec leur proye. Ainfi dans le mê-
me-tems que David ne ceffoit par fes lettres , par fes livres
ôc par fes émiffaires , de foûtenir fa fecle en Flandre , en Hol-
lande ,ôc en d'autres payis éloignez , il gardoit parmi les Suif-
fes un filence profond fur fes erreurs.
Ayant vécu ainfi fix années entières > dans un repos qui étoit
54<? HISTOIRE
. le fruit de fa diiïiniulation , une chofe troubla la tranquillité de
Henri II l'auteur ^e ^a P^us abfurde doctrine qui fut jamais. Un de fes dif-
ciples revenu à lui-même abjura à Baie fes folles erreurs. Ilfem-
' bla aufli que le tonnerre , qui tomba en ce tems-là fur famaifon
de la ville , ôc fur des biens qu'il avoit à la campagne , lui an-
nonçoit la chute de fa fortune , & même fa mort prochaine.
Mais rien ne lui fut plus fenfible que l'arrivée d'un homme
digne de foi , qui découvrit à Bâle le véritable nom de ce
fourbe , 6c fon origine. Il en conçut un fi grand chagrin ,
que réduit au defefpoir , il tomba dangereufement malade 3
aufïi-bien que fa femme. Elle mourut la première , Ôc il la fui-
vitpeu après , étant mort le 2$ d'Août de l'année i^y 6. Telle
fut la fin de cet impofteur, qui fe difoit plus grand & plus par-
ticipant de la divinité Ôc de l'immortalité , que Jefus-Chrift.
Il fut enterré avec honneur dans l'églife de S. Léonard ; fes
fils , fes filles , fes gendres , fes brus, fes domeftiques ôc une
grande foule de peuple affilièrent à fes obféques.
Ses principaux dogmes étoient : Que la doctrine annoncée
par Moïfe , par les Prophètes, ôc par Jefus-Chrift même par
les Apôtres & fes Difciples , étoit imparfaite 3 ôc ne fervoit de
rien , pour parvenir au bonheur éternel : Que la fienne feule
pouvoit procurer à ceux qui la fuivrôient une véritable fé-
licité : Qu'il étoit le véritable Chrift ôc Meffie , le fils bien-
aimé du père , provenu non de la chair , mais du faint Efprit,
ôc de l'efprit de Jefus-Chrift : Que cet efprit , après que la
chair du fils de Dieu eut été anéantie , étoit demeuré en cer-
tain lieu inconnu aux Saints , ôc s'étoit répandu tout entier fur
David George , ôc s'étoit infus dans fon ame : Qu'à lui feul
avoit été donné de renouveller , par l'efprit ôc par le vrai ta-
bernacle de Dieu, la maifon d'iîraël , ôc les vrais enfans de
Levij c'eft-à-dire , ainli qu'il l'entendoit, ceux qui fuivoient
fa doctrine : Que ce renouvellement ne fe feroit point par la
croix , par les afflictions , ôc par la mort ; moyens , difoit-il ,
dont s'étoit fervi le premier Chrift, qui avoit été envoyé du
Père , ôc avoit pris chair , pour contenir dans le devoir, par une
doctrine pleine de figures, ôc parles cérémonies des Sacremens*,
les hommes encore foibles , femblables à de petits enfans > ôc
incapables de goûter une feience parfaite ; mais que ce re-
nouvellement s'opereroir par la douceur , par l'amour ôc la.
DE J. A. DE THOU, LïV. XXIL 347
grâce de l'Efprit faint , que le père lui avoit envoyé. Pour fe ——lui—
donner un caractère tout divin , ôc fe mettre au-defTus du vrai J-[ENRI Jja
Meifie : il ajoûtoit , que tout péché commis contre le" père ôc i ç t q.
le fils étoit pardonné ; mais que celui que l'on commettoit
contre David George ne fe remettoit ni en ce monde ni en
l'autre. Afin de fe faire des fe&ateurs par un dogme féduifant ôc
licentieux ( qu'avoient forgé avant lui les Anabaptiftes ) il difoit
que le mariage ne lioit point l'homme à une feule femme ,
ôc qu'il étoit permis à ceux qui étoient régénérés par l'efprit
de David , d'avoir des enfans de plufieurs.
Ses difciples , qui croyoient leur maître immortel , furent
confternez de la mort de ce monftre. Mais comme il s'étoit
répandu un bruit , qu'il avoit dit en mourant , qu'il refTufci-
teroit trois jours après fa mort, ôc qu'il feroit des chofes qui
répondroient aux grandes promettes qu'il avoit faites , leur cré-
dulité étoit flatée de cette efpérance. D'un autre côté, plu-
fieurs autres furent perfuadez } que ce qu'il avoit publié du-
rant fa vie , ôc que ce qu'il avoit dit devoir arriver après fa
mort , n'étoient que de vaines impoftures. Cependant on parla
de tous cotez , ôc même parmi les fçavans , de cet homme ,
qui ayant changé de nom , avoit caché fes erreurs dans fa re-
traite. On fçut que ce Jean Bruck , ou Breiningen ( nom qu'il
portoit auffi à caufe d'une terre qu'il avoit achetée auprès de
Bâle) étoit ce même David George, Hérefiarque Holiandois,
qui à la honte du nom chrétien , avoit ofé fe dire Roi ; Ôc
plus grand que Jefus-Chrift > ôc on porta cette affaire devant
le Sénat. Après une information exacte , on cita à comparoî-
tre, le 12 de Mars de cette année, devant ce tribunal, les en-
fans de David , fes gendres , fes créatures , ôc fes amis. Ils
étoient onze , que le juge du peuple interrogea tous en préfen-
ce les uns des autres , fur le nom véritable de l'impofteur ;
fur fa famille , ôc fur le lieu de fon origine. Les acculez ayant
répondu à fes queftions,de la manière dont il avoit répondu
lui-même pendant fa vie, Ôc dont il avoit ordonné à fes parens
ôc amis de répondre pour ne le pas faire connoître , ils fu-
rent tous emprifonnez féparement. Cependant on fit une re-
cherche exacte de leurs livres ôc de leurs écrits , ôc on les mit
entre les mains des Théologiens, pour en faire leur rapport
au Sénat. On interrogea encore féparement les prifonniers ,
Xxij
*$':$•*
348 HISTOIRE
i, dont quelques-uns ayant commencé à s'ébranler Ôc à varier dattà
Henri IL ^eurs réponfes , on examina encore l'affaire avec plus de foin*
Le 2.6 d'Avril on fournit à la cenfure de l'Univerfité de Baie
ôc des prédicateurs les articles de la do&rine de David. Ils
dirent tous d'une voix unanime , que ces dogmes étoient con-
traires à la foi s aux faintes Ecritures, ôc injurieux à lamajefté
de Dieu ôc de Jefus-Chrift 3 ôc qu'ils dévoient être profcrits
ôc exterminez parmi les Chrétiens.
Enfuiteon jugea les accufez,qui étoient en prifon depuis*
près de deux mois. Ils eurent la liberté ; à condition qu'ils ne
pourroient acheter aucuns biens hors la ville , ôc dans fon ter-
ritoire 3 que de l'aveu du Sénat , qu'ils ne pourroient loger:
chez eux aucuns étrangers , non pas même leurs parens 3 qui
viendroient des Payis-bas , lefqueîs ne pourroient être reçus,
que dans les hôtelleries : Qu'ils remettraient au Sénat , dès
qu'ils feroient retournez chez eux , tous les livres de David.
imprimez ou manufcrits qu'ils avoient : Qu'ils ne pourroient
avoir ni lire aucun livre écrit en Flaman : Que leurs enfans.
feroient inftruits dans les écoles publiques de Bâle : Qu'ils paye-
roient l'amende à laquelle ils feroient condamnez 5 ôc qu'en-
fin ils fe préfenteroient au jour 3 qui leur feroit indiqué 3 dans
le principal temple de la ville > pour y faire une profefïioa
publique de la Religion Chrétienne , ôc pour y détefter les
erreurs de David. Deux jours après 3 on donna un jugement con-
tre le cadavre de l'impofteur, qui portoit , que , puifque David.
George avoit inventé ôc enfeigné une pernicieufe doctrine ,
ôc qu'il étoit coupable de leze-majefté divine, fon corps fe-
roit exhumé , Ôc porté dans un tombereau avec fes livres , ôc.
fon effigie attachée au bout d'une pique , hors la porte de Pierre,;
au lieu où l'on exécute les criminels , ôc que le tout feroit jette
au feu par leBoureau 3 ôc réduit en cendres ; de même qu'on
en auroit ufé envers David , s'il avoit été vivant : Que les biens
de cet impie en quelque lieu qu'ils fuiTent fituez .3 feroient ven-
dus à l'encan 3 ôc que l'argent qui en proviendrait feroit porté
au thréfor public 3 ôc que quiconque s'oppoferoit de fait ou par
paroles à l'exécution de cette fentence 3 encoureroit les mê->
mes peines.
Lorfque le Boureau ouvrit le tombeau de David 3 il trouva
le corps affez entier 3 fur-tout fa barbe , qui étoit rouffe , le
DE J. A. DE THOU, Liv. XXII. a4p
faifoit allez reconnoître. On vit qu'en l'enfeveliffant, on luj S55S55S
avoit mis à la tête un bonnet de velours doublé, de pourpre, ôc Henri II.
une couronne de romarin , pour marques de fa prétendue 1559.
Royauté. Il avoit fous fa tête d'affez riches couffins 5 le relie
du corps étoit enveloppé d'un linge blanc , ôc couvert d'une
robe de camelot rayé en ondes. Ce corps fut porté au bûcher
avec fes livres ôc fon portrait , qu'on avoit trouvé chez lui ;
ôc confumé par le feu , deux ans ôc demi après fa mort. Les
fpectateurs voyoient avecétonnement, que le corps d'un hom-
me, qui avoit vécu parmi eux dans un li grand éclat , ôc dont
les obféques avoient été 11 magnifiques , étoit brûlé par un ju-
gement public > qui avoit condamné la mémoire de cet impie.
Cependant les plénipotentiaires de la France , de l'Efpa- Traité avec
gne Ôc de l'Empire fe rendirent au commencement de Février IaremeEhfa-
à Câteau-Cambrefis , qui eftà fix milles de Cambrai , pour trai- reftitution tiç
ter de la paix. Il y eut de grandes conteftations fur la refhtu- Cal*ls«
tion de Calais , qui furent terminées depuis , ailleurs qu'en ce
congrès. Elifabeth , fille de Henri VIII. ôc d'Anne de Bou-
îen,venoitde fucceder à la reine Marie fafœur, ôc avoit été
couronnée folemnellement à Londres le 15" de Janvier. Cette
princelfe d'un efprit fuperieur, ôc d'une prudence au-delfus de
Ion fexe, craignant que 11 elle fe conlioit aux Efpagnols , ils
ne l'abandonnaffent , ôc voulant d'ailleurs foûtenir l'honneur
de fa Nation, prit le parti de traiter en particulier avec la Fran-
ce à ces conditions : Que Calais feroit rendu au Roi avec le
territoire qui en dépend ; mais qu'au bout de huit ans ce
Prince lerendroit aux Anglois , ou cinq cens mille écus d'or
pour équivalent : Que le Roi promettroit d'exécuter cet ac-
cord de bonne foi , ôc donneroit pour fureté tels Gentilshom-
mes François en otage , que la Reine voudroit choifir.-
Quelque-tems après, il y eut une grande révolution en An- fc^rSTio*
gleterre dans les affaires de la Religion. Car il fut ordonné en Angktes>
dans le premier Parlement convoqué fous le règne d'Elifabeth,
que tous les Edits de la reine Marie fur le fait de la Religion
feroient caffés ôc abolis 5 qu'au contraire ceux du feu Roi
Edouard fon frère feroient exécutez, ôc qu'on ne reconnoî-
troit plus l'autorité du Pontife Romain. Aufïi - tôt le peuple
courut en foule dans les Eglifes , ôc dans les Chapelles , ôc en
enleva toutes les images, ôc les ftatuès, excepté un Crucifix x
X x uj
re.
IJflUi liJLM^I
3$o HISTOIRE
« que la Reine garda dans fa Chapelle ï ôc expofa même en
Henri IL public Cette Princeffe reçut alors le titre de Chef de l'églife
i <• r o. Anglicane , que les Rois Henri ôc Edouard avoient pris avant
elle. Elle établit de nouveaux Evêques ; donna à plufieurs
Pairs du Royaume une partie des biens des Communautez ré-
gulières ou féculieres , 6c en unit la meilleure à fon domaine ,
qui fut augmenté par là chaque année,, comme l'on croit > de
trois cens mille écus d'or.
Négocia- Au refte, lorique les plénipotentiaires affemblez à Câteau-
tiorts pour la Cambrefis eurent appris le traité conclu 3 au fujet de la refti-
tution de Calais 3 dont Gui Cavalcanti noble Florentin 3 qui
avoit travaillé utilement à cette affaire , leur fit part 3 ils fe
rendirent plus faciles fur les autres articles conteriez. On
commença par agiter la queftion fur l'Etat de Sienne , dont
les François s'étoient emparez ; Ôc elle fut moins traitée en pu-
blic 3 que maniée par des intrigues fecrettes. Corne n'ignoroit
pas que le roi d'Efpagne , jaloux de fa puiffance } ne lui avoit
accordé qu'avec bien de la répugnance la fouveraineté de
Sienne 3 ôc il craignoit que ce Prince , qui d'ailleurs avoit
pris fes furetez 3 gagné par les follicitations clés Siennois exilez,
ou rebuté par les difficultés 3 n'abandonnât fon parti. Chiapino
Vitelli 3 ôc Bernadetto Minerbetti évêque d'Arrezzo, fes en-
voyez , faifoient les plus vives inftances auprès de Philippe ,'
afin que la Tofcane , qu'il tenoit 3 difoient-ils , de fa libéralité,
ôc de celle de l'Empereur fon père , ne fût pas démembrée.
D'un autre côté les exilez de Sienne follicitoient le roi Henri,
par les Sénateurs Bernardin-Buoninfegni, ôc Achille Buon-
iignorio leurs députez , de ne les pas abandonner , en facrifiant
la juftice de leur caufe ôc leur liberté à leurs ennemis. Ils
ajoûtoient qu'ils fe croyoient en droit de demander cette
grâce par leur fidèle attachement au Roii ôc qu'ils le fup-
plioient de laiffer à la pofterité ce témoignage mémorable ,
que les Princes ôcles Républiques opprimées avoient trouvé en
France de tout temsun azile afîuré.
Le duc de Ferrare , foûtenu à la Cour de France par les
Princes de la maifon de Guife, faifoit de fecrettes inftances,
afin qu'on lui donnât, pour le dédommager des frais de la guer-
re , ce que les François avoient pris en Tofcane. Il croyoit la
çhofe facile ; parce que Corneille Bentivoglio., qui commandoir
DE J. A. DE THOU, Liv. XXII. $?r
alors en Tofcane à la place de François d'Efte , lequel s'étoit s
retiré, lui étoit entièrement dévoué. Alfonfe fon fils, qui ve- Henri II,
noit de célébrer fes noces à Florence , accourut dans cette i $ 5 9*
vue auprès du Roi , pour appuyer la négociation par la pré-
fence. D'un autre côté Philippe fe déclara hautement pour
Corne. Il crut que fa gloire étoit intereffée à le mainte-
nir dans les Etats qu'il lui avoit donnez. Ainfi il infifta for-
tement fur la reftitution de tous les payis , que les Fran-
çois avoient pris en Italie ; ce qui comprenoit la Tofcane >
dont ils avoient enlevé une partie , par la défe&ion des Sien-
nois.
Il falloit encore terminer un autre différend fur la refti-
tution des Etats de Savoye , que François I. & Henri II.
avoient enlevez aux ducs Charle & Emanuel , & que le Roi
retenoit moins à titre de conquête , que par droit de fucceffion,
& comme héritier de fon ayeule. Comme on preffoit la con-
clufion de cette affaire agitée depuis fi long-tems , le Roi ne
vouloit point fe relâcher. Enfin les plénipotentiaires trou-
vèrent ce tempérament , pour conferver le Roi dans fes
droits, en procurant au duc de Savoye la reftitution de fes
Etats ; ce fut que le Roi garderoit quelques villes pour garan-
tie de fes droits , lefquelles il feroit obligé de rendre , quand
îa queftion feroit décidée. Philippe , qui avoit de grandes obli-
gations au Duc , & qui favorifoit fes intérêts en toutes cho-
fes, ne vouloit pas foufcrire à ces propositions , que du con-
fentement de ce Prince. L'ayant prié de le venir trouver , il
lui dit , que les négociations étoient venues à ce point , qu'il
n'y avoit plus que fes feuls intérêts , qui arrêtaflent la conclu-
fion de la paix ; que c'étoit à lui à décider ce qu'on devoit
faire en ces conjon&ures ; ajoutant , que pour lui , il pren-
droit le parti de continuer la guerre, plutôt que d'abandon-
ner fon ami , fon parent & fon allié , qui lui avoit rendu de
fi grands fervices. Le Duc , qui voyoit que Philippe fouhaitoit
la paix , & qu'il ne lui parloit ainfi que par bienféance , con-
fentit au tempérament propofé , & dit qu'il ne vouloit pas que
l'on pût lui imputer Féloignement d'une paix fi fouhaitée , &
fi néceffaire aux Chrétiens. Ce fut dans le tems de ces négocia-
tions , que Henri maria Claude fa féconde fille à Charle duc
de Lorraine , qu'il avoit amené avec lui en France encore
Tome IIL X x iiij *
3p HISTOIRE
enfant Les noces fe firent à Paris le cinquième de Février
Henri II avec une magnificence extraordinaire.
j c ç Q Enfin la paix fut conclue fuivant ces conditions : Que le traité
de Madrid fait entre l'Empereur Charle & le Roi François I.
paix' entre h pères de leurs Majeftez & fur-tout le traité de Vaucelles feroient
France & l'Ef- gardés , en ce qui ne feroit point contraire au préfent accord:
pagne. Qu'il y auroit entre les deux Rois une paix & une concorde du-
rable , telle qu'elle doit être entre des frères : Qu'elle feroit (In-
cere , exempte de toutes fraudes , fans embûches étrangères ni
domeftiques, & qu'on n'y pourroit déroger ni y préjudicier
par aucunes alliances fecrettes , ni par des intelligences avec les
Turcs & les Princes de l' Afie : Que les deux Rois jureroient de
procurer au plutôt la tenue d'un Concile œcuménique pour
la gloire de Dieu , & pour calmer les confciences , îorfqii'ils
auraient pacifié les troubles domeftiques dans leurs Etats:
Qu'on oublieroit fincerement de part & d'autre le parle : Que
qui que ce foit ne pourroit être recherché , ni inquiété , pour
avoir pris en cette guerre le parti de l'un ou de l'autre Roi , 6c
qu'on rendroit les biens vendus , ou dont on s'étoit emparé , à
leurs anciens & légitimes poffefleurs ; à l'exception néanmoins
des bannis de Naples , de Sicile & du Milanez , qu'on déclaroit
indignes de cette grâce : Qu'on reftitueroit de part & d'autre
les villes & les places conquifes depuis huit ans : Que le Roi
rendroit à Philippe Mariembourg , Damvilliers } Ivoi 3 & Mont-
midi dans les Payis-Bas, & Valenza dans le Milanez , avec
tous les châteaux qui en dépendent : Qu'Ivoi feroit démantelée
pour compenfation de la deftru&ion de Terouënne , qu'on
avoit entièrement ruinée : Que de fon côté le roi d'Efpagne
rendroit à la France les villes de Saint Quentin , du Câtelet
& de Ham , & tout leur territoire , & retireroit pareillement
fes troupes du diocéfe de Terouënne 5 enforte néanmoins
que cette dernière ville , qu'on avoit détruite ne pourroit être
rebâtie ni fortifiée de nouveau : Qu'immédiatement après la
publication de la paix , Philippe pourroit fe mettre en pof-
feffion du comté de Charolois, & du bailliage de Hêdin3
comme étant fon ancien patrimoine : Qu'en même tems
3e Roi Dauphin entreroit en polTefiion de Crevecœur fituée
fur la frontière , & des terres qui en dépendent , fans préju-
dicier aux droits du feigneur de Cruninghen : Que pour
reflerres
DEJ. A. DETHOU,Liv. XXII. £&
refTerrer de plus en plus les liens d'une étroite union entre les ■
deux Rois , Philippe épouferoit Ifabelle fille aînée de Henri, jjeNRI ut
alors âgée d'onze ans , qui auroit quatre cens mille écus d'or - -. Q
en dot : Que le Roi rendroit à Emanuel Philbert duc de Sa-
voye tous les payis que François I. ôc lui, avoient pris,
tant en-deça des Alpes , qu'au-delà , à l'exception de Turin ,
de Pignerol , de Quiers, de Chivas, ôc de Villa-nuova d'Aft ;
places que le Roi garderoit pour garantie , jufqu'à ce que les
droits du Roi, comme héritier de fonayeule, fuffent difcutez:
Que jufqu'à ce temsaufîi, Philippe pourroit mettre des garni-
rons dans les villes d'Aft ôc de Verceil , dépendantes du duc
de Savoye: Que ce duc garderoit une exacte neutralité, ôc
épouferoit Marguerite fœur du Roi 3 avec une dot de trois
cens mille écus d'or , ôc la joùiiTance du duché de Berri :
Que Henri évacuëroit toutes les villes ôc toutes les citadelles
dont il s'étoit emparé dans la Tofcane ; parce que le Duc de
Florence donneroit une amniftie générale aux nobles Siennois
ôc aux autres qui s'étoient retirez à Montalcino , ôc qu'ayant
égard à leur foûmifïîon , il les rétabliroit dans leurs biens :
Que le Roi rendroit tout ce qu'il avoit pris dans rifle de
Corfe , ôc dans l'état de Gènes 3 parce qu'aufli cette Républi-
que accorderoit un pardon général à ceux de fes fujets , qui
avoient pris les armes pour le Roi , ôc qu'elle promettrait de
mériter les bonnes grâces de ce Prince par une foùmiflion ,
à quoi elle étoit obligée : Que la citadelle de Bouillon ferait
rendue à l'évêque de Liège , fans préjudicier au différend fu*
la principauté de Sedan : Que l'infante de Portugal ne pour-
roit être troublée dans la joùiiTance des biens , qui lui appar-
tenoient du côté de la Reine fa mère : Que les deux Rois
rendraient à Guillaume duc de Mantouë tout ce qu'ils pofle-
doient dans le Montferrat , ôc que ces Princes pourraient dé-
molir les citadelles qu'ils y avoient bâties , s'ils le jugeoient à
propos : Que Marie de Bourbon jouirait du comté de Saint
Paul , fauf le droit des parties , ôc les procès intentez ou à in-
tenter à ce fujet : Que le Roi commencerait par exécuter le
traité , en rendant les payis ôc les places ftipulés dans l'efpa-
ce de trais mois , après quoi Philippe fatisferoit de fon coté
un mois après à ce qu'il avoit promis , ôc donneroit pour fu-
reté des otages , au choix du Roi. Ce Prince demanda le duc
Tome III. Y y
35*4 HISTOIRE
■ d'Albe , le Prince d'Orange , le duc d'Arfchot , êc le Comte
Henri II. d'Egmont , qui lui furent envoyez. On comprit dans ce traité
1 S S 9> le Pape, l'Empereur, les Ele&eurs , tous les Princes ôcles Or-
dres de l'Empire, les Rois de Pologne , de Suéde, de Danne-
marc, ôc d'Ecofle, la Reine d'Angleterre , la République de
Venife, lesSuifles, ôcles Grifons, les Ducs de Lorraine, de
Savoye , de Ferrare , de Mantouë , d'Urbin , de Parme , de Plai-
fance , ôc les Républiques de Gènes , ôc de Lucques ; afin que
cette paix ne parut pas feulement être faite entre les François,
ôc les Efpagnols, mais auiîi entre tous les Princes Chrétiens.
,?fetJ?"trai" Peu après, cette union, qui devoit affurer , cefemble,la tran-
teduCateau- .... 1, * ,. £i , . . „
Cambrcfîs. quillite publique, occalionna de grands maux en rrance, ôc
dans lesPayis-bas : les deux Rois guidez par les mauvais con-
feils de leurs Minières prirent de fauffes mefures , qui excitè-
rent des troubles domeftiques , plus à craindre que des guer-
res étrangères. Car on fe crut alors en état de fuivre les delTeins
jufques-là cachez du cardinal de Lorraine, ôc de Granvelle
Evêque d'Arras , ôc de faire périr par le fer les nouveaux
Sectaires. Ceux-ci , pour éviter leur perte , oferent faire avec
les puiffances étrangères des traitez qu'on diflimula long-tems
en France, ou dans la vûë de maintenir l'ancienne Religion ?
ou par la jeunefle, ôc la foibleffe de nos Rois, ôc qui pro-
duifirent enfin une rébellion ouverte contre la inajefté du
thrône.
On ajouta au traité de paix , qu'il feroit ratifié par le Dauphin 5
ôc par le Prince d'Efpagne Charle fils de Philippe ; que les deux
Monarques jureroient de l'obferver religieufement, & l'envoyé-
roient dans toutes les Cours ou Parlemens de leurs Etats, pour
être publié ôc enregiftré. Il fut conclu à Câteau-Cainbrefis le 3
d'Avril, Ôc rendu public quatre jours après à Paris, où l'on
rendit à Dieu des actions de grâce folemnelles , aufli-bien qu'à
Rome , où il y eut de grandes réjoùiflances à cette occafion.
Quoique cette paix générale fût peu avantageufe au Roi, les
François ennuyez d'une longue guerre goûtèrent une tranquil-
lité fifouhaitée. Les feuls Siennois, fe flattant toujours de l'ef-
pérance de recouvrer leur liberté , auroient mieux aimé la guer-
re que la paix. Ils difoient même , que le Roi leur avoit pro-
mis que leur ville feroit libre , ôc ils expliquoient en leur fa-
veur les articles équivoques du traité , fur la reftitution des payis
DE J. A. DE THOU/Liv. XXII. 3;?
de Tofcane , articles,, qui pourfauver l'honneur de la France ,
avoient été, du confentement de Philippe , conçus en des ter- Henri IL
mes enveloppez 6c adoucis , qui donnoient lieu à ces malheu- 1 5 S 9*
reux, que trompoient leurs Députez en France, de s'imaginer
vainement que leur République fubfifteroit encore. Ils efpé-
roient du moins, que fi le Roi les abandonnait, ils auroient
la liberté de fe mettre fous la protection de tel Prince qu'ils
voudroient choiiir. Corneille Bentivoglio les avoit engagez
à fe donner au duc de Ferrare , qui étoit venu en France dans
cette vue' , 6c qui fe flatoit de réuflir dans fes defleins par la
faveur des Princes de la maifon de Guife. Quoiqu'il fut dé-
jà avancé en âge , il fe préparait à aller trouver Philippe en
Flandres : 6c il tne doutoit point , que tandis que Bentivo-
glio demeurerait avec des troupes en Tofcane , il ne déter-
minât en fa faveur le Confeil d'Efpagne, qu'il fçavoit avoir
abandonné à regret ceux de Sienne , 6c ne voir qu'avec cha-
grin PagrandifTement de Corne , dont la Fortune rapide don-
noit de la crainte à fes voifins , 6c de la jaloufie même à
Philippe.
D'un autre côté le duc de Florence envoya au Roi Léon
Ricafoli,pour fejuftifier de ce qui s'étoit pafTé,parla conjonc-
ture des tems , ôc par les circonftances delà guerre , 6c pour lui
promettre de fa part un attachement inviolable. En même tems
il faifoit les plus fortes inftances auprès de Philippe , par Pandol-
fe de la Stufa fon agent > pour engager ce Prince à lui confer-
ver la fouveraineté fur Sienne , qui lui avoit été depuis long-
tems promife, ôc qui venoit de lui être confirmée par le der-
nier traité ; ajoutant qu'il étoit de la gloire d'un grand Roi,
qui avoit donné la paix à toute l'Europe, d'en ufer ainfi en fa-
veur d'un Prince fon allié. Déjà BrifTac qui commandoit en
Piémont fe préparait à revenir en France , aimant mieux que
tout autre que lui reftituât ce qu'il avoit conquis ; ôc Philip-
pe avoit mandé au duc de Seffa gouverneur du Milanès de
joindre fes forces à celles de Corne ; pour obliger ceux de
Sienne à fe foumettre aux articles du dernière traité. Ces Ré-
publicains , s'imaginant que Corne vouloit feulement les inti-
mider, ne pouvoient abandonner encore le defiein de con-
ferver leur liberté. Voyant que le Roi les délauToit , ôc que
le duc de Ferrare étoit trop foible pour les défendre i ils
Y y ij
3S* HISTOIRE
- envoyèrent à Rome NicodemeForte-guerra,Ôc Germanie Ban
Henri II dini leurs agens , pour offrir au fouverain Pontife de mettre fous
1559» fa protection Montalcino , ôc les autres villes qui reftoient à
leur République. Mais le Saint Père, qui n'étoit plus gouverné
par les Caraffes fes neveux , étoit bien éloigné de vouloir pen-
fer à la guerre > quoiqu' Antoine des Urfins , qui avoit fuccedé
à Camille de Lamentano dans le gouvernement des affaires,
lui confeillât de protéger des citoyens injuftemenr opprimez,
ôc que le facré Collège l'en prefsât, aufïï-bien que la plupart
des Princes d'Italie jaloux de la puiffance de Côme, quis'al-
loit accroître par la ruine de Sienne. Ainfï ils reçurent cette
trifte réponfe > que le Pape ne vouloit point troubler la paix
de l'Europe ; que c étoit à eux à voir ce qu'ils avoient à faire?
ôc qu'au refte le meilleur parti qu'ils euffent à prendre étoit
de fe conformer au traité fait entre les deux Rois > ôc de fe fou-
mettre aux volontez du duc de Florence ôc du Roi d'Efpagne.
LesSiennois Au milieu de ces incertitudes, ôc de ces troubles, Benti-
nezdetoMfe voglio leur donnoit encore un refte d'efpérance , en différant
monde. de retirer fes troupes de la Tofcane, ôc en leur laiffant entre-
voir quelque fecours du côté de la France. Quoique Chiapino
Vitelli ôc Jean de Guevara fuffent revenus des Payis-bas, avec
des ordres précis du Roi d'Efpagne, pour fe mettre en pof-
feflion des villes de l'Etat de Sienne occupées par les François,
ou par ces Républicains, ils ne laiflferent pas de députer encore
au Roi de France, Camille Spanochi, pour défendre une liberté
qu'on alloit leur ravir. Cet agent- eut ordre de faire auprès du
Roi les plus vives inftances , ôc de fe rendre enfuite auprès de
Philippe , s'il n'avoit pu rien obtenir de Henri, afin de le pref-
fer au nom de la République de Sienne , de les foutenir ,
ôc de leur permettre de vivre libres, comme avoient fait leurs
pères , fous la protection d'un fi grand Prince. Mais cette dé-
putation ne fut pas plus heureufe que l'avoient été les autres.
D'un autre côté le duc de Florence, qui vouloit faire réuflir
fes deffeins par toute autre voie que par la force , envoya
Vitelli, Guevara , ôc Louis de Doara àBentivoglio, qui fem-
bloit feul par fes artifices entretenir les Siennois dans le refus
opiniâtre de fe foumettre. Ils étoient chargez de repréfenter
à ce Général , que cette affaire de voit être terminée à l'amia-
ble 5 qu'il ne falloit pas qu'il fut caufe qu'on en vînt encore
DE J.A.DETHOU.Liv. XXII. 3;7
aux armes , après la paix faite entre les deux Rois ; qu'il n'y
avoit que trop long-tems qu'il entretenoit les Siennois de dou- Henri IL
ces, mais de folles efperances ; que le duc de Ferrare ayant fait 1559.
jufqu'ici de vains efforts , il et oit tems de terminer férieufe-
ment cette affaire , puifqu'il ne pouv oit ignorer qu'il agiffoit en
cela contre les intentions du Roi de Francejqu'au relie le duc de
Florence n'ignoroit pas que Bentivoglio ne vouloit point quit-
ter la Tofcane, fans s'être procuré quelque avantage particu-
lier ; que ce motif étoit raifonnable 3 que Corne n'avoit pu
douter de fes intentions là-deffus, lorfqu'il l'avoit vu fortifier
à la hâte Ottieri place appartenant au Seigneur Sinolfo , ôc y
faire porter du canon , ôc des munitions de guerre ôc de bou-
che? que ce Prince confentiroit volontiers que fes fervices Ôc
fes expéditions militaires fuffentrecompenfez, s'il vouloit s'ou-
vrir à lui avec franchife , ôc ne plus mettre d'obïlacle par di-
vers artifices à la conclufion de l'affaire de Sienne. Comme
Bentivoglio alîeguoit qu'il ne pouvoit abandonner les Sien-
nois , fur ce qu'il n'avoit point reçu d'ordre du Roi à ce fujer,
Jean Ebrard de Saint Sulpice vint mouiller devant Ombro-
ne avec treize galères , ôc fit fçavoir à Bentivoglio , ôc aux
Siennois qui étoient à Montalcino, qu'il étoit envoyé par le
Roi avec de l'argent, pour payer les troupes ôc les ramener en
France, avec le canon.
Les François avoient déjà évacué prefque toutes les places Affaires dt
qu'ils occupoient dans le Piémont , ôc dans les Payis-bas ; Ôc France-
ils ne confervoient que Metz , Toul , ôc Verdun , avec Calais,
pour tout fruit d'une guerre qui avoit coûté à la France tant
de faug, ôc de dépenie. Alors les deux Rois fe voyant dé-
livrez des foins de la guerre, donnèrent toute leur attention à
ce qui concernoit la Religion. Il y avoit deux ans que le Roi,
ôc fon Confeil avoient travaillé à cette affaire , puis l'avoient
négligée. On la reprit alors , au milieu des réjoùiffances ôc de
la pompe des noces. La ducheffe de Valentinois maîtreffe du
Roi, qui efperoit de s'enrichir parla confifcation des biens de
ceux qui feroient condamnez , ôc les Guifes qui cherchoient
à fe rendre agréables aux peuples par la punition des Seélai-
res , ne ceffoient de dire au Roi que le venin del'héréfie fe ré-
pandoit par toute la France > qu'il ne feroit jamais véritable-
ment Roi , s'il laiffoit cette feue faire déplus grands progrès,
Yyiij
3T3 HISTOIRE
mmm;m ■■.■■■■»■■ que jes proteftans , qui n avoient jufqu'ici femé leurs erreurs
Henri IL qu'en tremblant, ôc dans des entretiens fecrets, ofoient au-
1 5 $ 9* jourd'hui les publier avec infolence, par une entreprife aulîi
injurieufe à Dieu , que préjudiciable à la majefté Royale 5 ôc
que ceux qui ofoient violer les droits divins , donnoient auiïi
atteinte aux droits humains. Déplus, ils firent agir auprès du
Roi Gille le Maître premier Prefident , les Prefidens de Saint
André , ôc Minard > Ôc Gille Bourdin Procureur Général 5 ôc ils
vinrent à bout , par les remontrances de ces Magiftrats , fur-tout
de Gille le Maître , perfonnage d'un génie élevé ôc d'un ef-
prit vif, d'irriter ce Prince débonnaire, qui fit des fautes plu-
tôt féduit pas les artifices d' autrui, que de fon propre mouve-
ment. Ceux-ci lui repréfenterent, qu'inutilemenr avoit-il don-
né la paix à la France, lî une guerre plus dangereufe que les
guerres étrangères s'élevoit dans le fein de l'Etat : que le mal
étoit venu à ce point , qu'en difllmulant plus long-tems , on ne
pourroit plus y remédier parla févérité des loix , Ôc qu'il faudroit
des armées ôc toute la puiflance Royale pour l'arrêter, com-
me il étoit arrivé du tems des Albigeois : que jufqu'ici on avoit
fait peu de chofe pour bannir les erreurs 5 parce que les pu-
nitions n'étant tombées que fur des gens de la lie du peuple,
ces fupplices avoient paru odieux, ôc avoient fait peu d'impref-
fion par l'exemple : qu'il falloit commencer par châtier ceux
des Magiftrats qui entretenoient l'erreur ou par l'impunité
ou par des peines arbitraires , en favorifant en fecret les Sec-
taires, ou en prêtant l'oreille aux follicitations de leurs amis;
que c'étoit là la racine du mal qu'il falloit arracher, fion vou-
loit travailler utilement : qu'ainfi ils confeilloient au Roi de
venir au Parlement, qu'il trouveroit affemblé un certain jour
à l'occafion des Mercuriales, ôc de lui cacher fon arrivée.
Origine des Ce fut Charle VIII. qui établit dans les Parlemens , ôc dans
les Cours de fon Royaume une cenfure des mœurs, par fon
Edit de l'année 14.5)3 , qui fut confirmé cinq ans après par
Louis XII. fonfuccefTeur, Prince dont les vertus font encore
en vénération parmi les peuples. Ce Roi ajoutant à l'édit de
fon prédeceffeur, ordonna que deux fois chaque mois, ou une
au moins, les Préfidensdu Parlement, ôc ceux des Enquêtes,
s'afTembleroient le mardi ôc le mercredi , à une heure après midi
avec deux Confeillers de chaque Chambre , ôc qu'en préfencç
1
DE J. A. DE THÔU, Li v. XXII. SS9
des gens du Roi , ils prendroient connoiffance des mem" » ■ »
bres de la Compagnie, qui auroient manqué à leur devoir par uENRI jj
négligence, par défobéiffance , ou par des mœurs licentieufès, J x . ^
ou qui auroient deshonoré le caractère dont ils étoient revêtus
par quelque a&ion condamnable. Ceux qui feroient tombez en
quelqu'une de ces fautes dévoient être, fuivant ce dernier Edir,
avertis charitablement de fe corriger, ou fi le cas lerequerohv
dénoncez à toute la Compagnie, ôc punis par des corrections
différentes, ôc même par la privation des fondions de leurs
charges pour un tems , ou pour toujours. On étoit encore obli-
gé de dreffer des aêtes de cela > ôc de les porter au Roi. En*
fuite Henri IL ordonna par fa déclaration ' de 155 1 qu'on tien-
droit à l'avenir tous les trois mois les affemblées , appellées de-
puis Mercuriales, du mercredi jour deftiné à ces féances, ôc que
les gens du Roi feroient tenus de requérir contre ceux de la
Compagnie, qui auroient fait quelque chofequi fût indigne de
leur miniftere , de faire informer , Ôc de pourfuivre fans délai
le jugement de Paccufation qu'ils auroient intentée ; les mena-*
çant de perdre leurs charges , s'ils fe comportoient négligem-
ment dans ces affaires 2.
Les autres Prélidens n'étoient pas du même avis que le Mai- Conduite in*
tre ôc quelques favoris du Roi , au fujet des peines dont on de- digne du p. p?
voit punir les Proteftans. Ce chef du Parlement craignant que
Henri, Prince débonnaire, ôc quipanchoit toujours vers ladou-
ceur, ne fe laiflat ébranler par les remontrances de fes Col-
lègues , avoit perfuadé au Roi qu'il devoit s'en défier , comme
de juges qui favorifoient les erreurs > ôc il lui avoit confeillé de
3es mander en particulier , Ôc de leur faire connoître fa volon-
té ; afin qu'ils opinaffent en cette affaire , non avec la liberté
dont on doit jouir dans les fuffrages, mais félon les vues de
la Cour. Chriftophle de Thou un des Prélidens ayant été man-
dé, ofa, comme il me l'a dit plufieurs fois, difputer long-tems
contre le Roi, avec cette franchife, ôc cette candeur, qui lui
1 M. de Thou attribue cette Décla-
ration à François I. en 155P , mais il
s'eft trompé. Car François I. parfon
Ordonnance veut que les Mercurai-
les fe fafTent tous les mois.
2 II y a dans M. de Thou ces mots
qui fiïivent ; // efl Aujfi ordonné aux
gens du Roi d'avertir le Roi , ou fin
Chancelier des procédures qu'ils feront
contre les coupables. Mais on les a
fuprimez, parce qu'ils ne fe trouvent
point dans la Déclaration de Henri
II. mais dans celle de Charle IX,
qui eft pofterigure,
tfo HISTOIRE
étoient naturelles, pour le détourner d'un defTein, que cette
Henri II. homme plein de fagefle prévoyoit devoir être fatal à la France
i $ y p. ôc au Prince même. Depuis ce tems-làil vit toujours avec ré-
pugnance ces aflemblées , dites Mercuriales , qui avoient pour-
tant été fagement établies autrefois pour la corre&ion des
mœurs.
Ce fut le i y de Juin , que le Roi, qui perfiftoit dans le defTein
qu'on lui avoit infpiré , vint au Parlement , qui tenoit alors fes
féances dans le Couvent des Auguftins i parce que le Palais , où
fe rend la juftice, étoit embaraffé parles préparatifs des noces
qu'on alloit célébrer. On avoit déjà commencé à opiner fur
le genre de peine , dont on puniroit les Seclaires , lorfque le
Roi arriva accompagné des Princes de la maifon de Bourbon,
de François duc de Guife , du Connétable de Montmorenci,
ôc des cardinaux de Lorraine , ôc de Guife. Il fit un difcours qui
roula fur fon zélé pour la Religion , ôc fur le defir qu'il avoit
d'affurer le repos public ; ôc parla de façon , qu'on jugea qu'il
cachoit fa colère , ôc qu'il n'étoit pas venu avec un efprit cal-
me ôc tranquille. Enfin il dit, qu'il avoit cimenté la paix par le
double mariage de fa fœur ôc de fa fille , ôc qu'il efperoit
qu'elle feroit utile à tout fon peuple , ôc que rien ne pourroit
la troubler à l'avenir : qu'au refte, il ne voyoit qu'avec un ex-
trême chagrin qu'on avoit traité jufqu'ici dans le tems de la
guerre, fans règle, ôc d'une manière féditieufe, l'affaire de la
Religion , que les bons Princes doivent avoir extrêmement à
cœur ; qu'il fouhaitoit qu'à l'avenir on prît férieufement la
défenfe de l'Eglife ; ôc que comme il apprenoit que le Par-
lement étoit affemblé à ce fujet, il l'exhortoit à délibérer là-
deffus fans prévention? puifqu'il s'agiffoit de la caufe de Dieu,
qui feroit fans doute attentif aux décifions des juges , com-
me il eft préfent toujours aux penfçes les plus intimes des
hommes.
Alors le Garde des Sceaux ordonna aux juges de continuer
les délibérations. Quoique perfonne ne doutât que le Roi étoit
venu , pour connoître les fentimens de tous , Ôc pour gêner les
fuffrages, il fe trouva pourtant des Magiftrats qui opinèrent en
préfence du Roi , fans craindre la mort dont ils étoient me-
nacez , avec la liberté des anciens Sénateurs. Ils déclamèrent
contre les mœurs de la Cour Romaine , ôc contre lec abus
qu'elle
DE J. A. DETHOU.Liv. XXIL $6i
qu'elle avoit introduits , qui étoient devenus peu à peu , di- tnmm
ioient ils, de grandes erreurs, ôc qui avoient donné lieu à dif- trFNR* it
ferentes fe£tes de s'élever. Ils conclurent qu'il falloit mo-
dérer les peines ôcfufpendre la févéritédes jugemens , jufqu'à * ' -
ce qu'un Concile œcuménique eut réformé la difcipline del'E-
glife , 6c calmé les troubles dont elle étoit agitée ; que tout
homme de bien penfoitainfi, ôc que ce n'étoit pas fans raifon
que les Conciles de Bâle ôc de Confiance avoient ordonné
que tous les dix ans on afTembleroit un Concile. C'étoit l'avis
d'Arnauîd du Ferrier, préfident aux Enquêtes, homme refpec-
table par fa probité ôc par la gravité de fes moeurs , Ôc fi grand
Jurifconfultc que Jacque Cujas , l'ornement de notre fiécle,
reconnoiflbit ne devoir qu'à lui feultout ce qu'il fçavoit. An-
toine Fumée fut aufli de ce fentiment, auili-bien que Paul de
Foix, magiftrat distingué par l'éclat de fa naiffance ôc par fa
vafte érudition , Nicolas du Val , Euftache de la Porte , ôc quelr
ques autres.
Lorfqu'on déliberok en préfence du Roi, Claude Viole opi- ^libération
na de la même manière, ôc après lui Louis Faur, homme d'un ef- du Parle-.
prit vif ôc hardi ; celui-ci ajouta , que tout le monde penfoit que ment'
les troubles venoientdes différens en matière de Religion ; mais
qu'il falloit examiner, qui étoit véritablement l'auteur de ces
troubles , de peur qu'on ne fût obligé de faire la même réponfe
qu'Elie fit autrefois à Achab , qui lui reprochoit d'exciter des
troubles : * Ceji vous qui troublexjfiael. Enfuite Anne du Bourg,
après avoir long-tems parlé de la providence de Dieu à la-
quelle toutes chofesfont nécefTairement foumifes, entra en ma-
tière , ôc dit : Que les hommes commettoient contre les loix
plufieurs crimes dignes de mort , ôc du fupplice des efclaves;
tels que font les bîafphemes réitérez , les adultères, d'horribles
débauches, des parjures fréquens , que non feulement on diffi-
muloit , mais qu'une honteufe licence même entretenoit j tan-
dis qu'on inventoit tous les jours de nouveaux fupplices con-
tre des gens à qui l'on ne pouvoit "reprocher aucun cri-
me. » Car enfin, ajoùta-t-il , peut-on leur imputer le crime de
» leze-majefté à eux, qui ne font mention du Prince que dans
P> leurs prières ? Peut-on dire qu'ils violent les loix de l'Etat ,
i On a été obligé de changer un I rendre ce pafTage tel qu'il eft dans l'E-
fnot dans le texte de M. de Thou, pour J criture Sainte.
Tome 1IL Z z
■H5W53WSW
362 HISTOIRE
» m qu'ils tâchent d'ébranler la fidélité des villes , ôc qu'ils portent
Henri IJ. 3> ^es Pr°vinces à la'révolte? Quelque peine qu'on fe foit don-
i <- <- nt " nee jufqu'ici , on n'a pu faire dire à des témoins même choi-
» fis , qu'ils ayent eu feulement cette penfée. Ce qui fait qu'on
» les regarde comme des hommes féditieux , n'eft-ce pas , parce
*> qu'à la faveur de la lumière de l'Ecriture > ils ont découvert ôc
s' révélé le turpitude de la puiffance Romaine , qui panche vers
&> fa ruhie, Ôc qu'ils demandent une falutaire réformation. »
Enfuite les Préfidens opinèrent fuivant leur rang. Chrifto-
phle de Harlai ôc Pierre Seguier affurerentavec une force mê-
lée de douceur, que jufqu'ici le Parlement s'étoit comporté fui-
vant les loix dans le jugement des caufes capitales ; que
fans doute cette Cour ne fe démentiroit pas dans la fuite ,
ôc qu'elle s'acquiteroit de fes devoirs dans la vue de la gloire
de Dieu, ôc d'une manière qui fût agréable au Prince ôc au
peuple. Chriftophle de Thou dit avec liberté, que les gens du
Roi meritoient d'être notez , pour avoir ofé cenfurer les arrêts
de la Cour, ôc révoquer en doute fon autorité. René Baillet,
homme de bien , fut d'avis qu'on de voit revoir les édits dont
on fe plaignoit , ôc les examiner avec plus d'attention. Minard,
qui étoit du parti des favoris, parla peu, pour ménager fa com-
pagnie, ôc conclut, qu'il falloit obéir aux édits du Roi. En-
fin le premier Préfident déclama fort contre les Sectaires. Il
apporta l'exemple des Albigeois , dont fix cens furent brûlez
en un jour par les ordres de Philippe Augufte ; ôc celui des
Vaudois, dont une partie périt par le feu dans leurs maifons,ôc
le refte fut étouffé par la fumée , dans des cavernes ôc des carriè-
res où ils s'étoient cachez.
Après cela le Garde des Sceaux s'approcha du Roi, quite-
noit fon lit de Juftice fur un fiége élevé , ôc délibéra quelque
tems en fa préfence avec les Princes ôc Seigneurs que le Roi
avoit amenez. Enfuite tous s'étant afïis , il appella Saint Ger-
main Grenier de la Cour , qui avoit écrit les avis , ôc
lui ordonna de lui donner le regiftre , qu'il porta aufli-tôt
au Roi. Alors ce Prince prenant la parole , blâma en ter-
mes indirects fon Parlement , d'avoir entamé à fon infcû ,
une affaire fi importante à l'Etat : il dit, qu'il voyoit bien que
ce qu'on lui avoit dit étoit véritable , que quelques-uns d'entre
■eux méprifoient l'autorité du Pape, ôc lafienne > qu'à la vérité
DE J. A. DE THOU, L i v. XXII. 363
le nombre des coupables n'étoit pas grand 5 mais que leurs fau- »
tes deshonoroient le Parlement, 6c les perdroient enfin eux- Henri II.
mêmes > qu'ainfi il exhortoit les autres à demeurer dans le If fQ<
devoir. Alors il fe leva , irrité contre Faur , ôc contre du
Bourg , dont le premier avcit cité l'exemple d'Achab , ôc le
fécond avoit parlé de ce grand nombre d'adultères qu'on laif-
foit impunis. En même tems il commanda à Montmorenci de
les faire arrêter. Celui-ci ayant communiqué l'ordre du Roi
au comte de Mongommeri l'un des Capitaines des Gardes,
ils furent pris, ôc conduits à la Baftille. On arrêta aulîî dans leurs
maifons Paul de Foix, André Fumée, ôc Euftache de la Porte.
Mais du Ferrier, du Val, ôc Viole, s'étant cachez chez leurs
amis , évitèrent le même fort.
La plupart jugèrent de cette action du Roi d une manière
différente , ôc fuivant qu'ils étoient difpofez. Mais les plus fen-
fez voyoient avec douleur , que le Roi pouffé par de mauvais
confeils fût venu au Parlement , pour renverfer l'ordre desloix,
dont il devoit être le protecteur. C'étoit peu , difoient-ils , que
le Roi fut venu fans être annoncé, ôc eût affifté à une délibé-
ration déjà commencée. Mais, ajoûtoient-iîs , peut-on s'em-
pêciier de croire que ce bon Prince s'eft livré à la pafîlon d'au-
trui , lorfqu'au lieu de compter les voix , il a fait lire les fuffrages,
qu'il n'a pas permis qu'on achevât une délibération commen-
cée j qu'il a fait prendre le regiftre , où les avis étoient écrits,
ôc qu'après de grandes menaces , il a fait arrêter des magiftrats
en fa préfence ? Qui pourroit s'empêcher de haïr ces lâches
adulateurs , qui pour s'attirer la faveur des Grands , ont trahi
honteufement les fecrets de leur compagnie , ôc fouillé leur
confcience ? Enfin qui ne regardera pas cette entreprife com-
me un préfage d'une dangereufe révolution ? Tels étoient
leurs difcours.
Le lendemain , les Chambres s'étant raflemblées par ordre du
Roi , on rapporta le procès criminel de Jacque Spifame évê-
que de Nevers , qui s'étant marié fecretement , s'étoit retiré
à Genève. Après qu'on eut lu les informations, il fut décrété
deprifede corps. Ces exemples defévérité n'empêchèrent pas
les miniftres des Eglifes , qu'ils appelloient reformées, de s'af-
fembler à Paris le 28 de Juin dans une maifon du fauxbourg
Saint Germain , fans craindre les fupplices dont ils étoient
Zz ij
3*4 HISTOIRE
menacés. François Morel préfida à cette conférence ] où il fe
Miniftres , fur les Prêtres ôc les Diacres , fur les cenfures ôc la
correction des mœurs , fur les dégrez de parenté ôc d'affinité ,
ôc fur la manière de contracter les mariages , ôc de les diffou-
die. On ajouta,, que ces loix ne feroient point invariables , ôc
qu'elles pourroient être changées fuivant la nécefllté des con-
jonctures ôc des tems, comme les Eglifes le jugeroientà pro-
pos , pourvu qu'un Synode général approuvât ces change-
mens.
En ce tems-là 3 des députez des Princes proteftans de l'Al-
lemagne vinrent trouver le Roi , avec des lettres de Frédéric
comte Palatin du Rhin , d'Augufte duc de Saxe , de Joachim
Electeur de Brandebourg 3 du duc de "Wirtemberg ôc du comte
Volfang de Veldenz. Ces lettres portoient en fubftance : Qu'ils
avoient appris avec douleur, qu'on punifloit en France par
la prifon, par la perte des biens , par l'exil ôc par le dernier
fupplice , comme féditieux ôc perturbateurs du repos public, des
hommes de bien 3 amis de la paix 3 qui profeffoient la même
religion qu'eux : Qu'ils s'étoient crus obligez par les princi-
pes de la charité Chrétienne , ôc par les liens d'amitié qui les
attachoient à la France, de députer au Roi, pour le prier de
délibérer mûrement fur une affaire qui regardoit la gloire de
Dieu , ôc le falut des âmes , ôc de ne fe point laiffer prévenir :
Qu'en qualité de Princes pieux ils avoient à cœur , aufïi-bien
que le Roi , l'honneur du nom de Dieu , Ôc le falut de leurs
fujets : Que des troubles s'étant élevez dans leurs Etats fur la
Religion , ils avoient cherché les moyens les plus convena-
bles pour les appaifer > qu'en travaillant féiïeufement à une
affaire Ci importante, ils avoient reconnu , que l'ambition ôc Fa-
varice avoient introduit peu à peu dans l'Eglife bien des abus
injurieux à Dieu , ôc fcandaleux pour les hommes , qui de?
voient être réformez fuivant les régies de l'Ecriture , les décrets
des anciens Conciles , ôc l'autorité des Pères des premiers fié-
cles : Que ce n'étoit pas d'aujourd'hui, qu'on fe plaignait de
la difcipline ôc des mœurs corrompues de la Cour de Rome*
qu'on ri ignorait pas en France ce qu'avoient écrit à ce fujet
D E J. A. DE T HO U , L ï v. XXII. 3^
Guillaume de Paris , Jean Gerfon , Nicolas de Clemengis ,
WefTel de Groeninghen , qui fous Louis XI. avoit rétabli TU- JJenriII'
niverlité de Paris , 6c d'autres Théologiens : Que François \ t % g.
I. d'heureufe mémoire père du Roi , guidé par de fages con-
feils, avoit donné durant quelque-tems fes attentions à con-
cilier les efprits fur les différends de la Religion , ôc à refor-
mer la difcipline eccléfiaftique : Que ces mêmes foins étoient
dignes du Roi , fils d'un fi grand Prince 5 qu'ainfi ils le fup-
plioient 3 qu'en un rems où la France joùifToit d'une heureufe
paix y il employât fa médiation toute-puiffante , pour terminer
à l'amiable les diflentions fur les matières de la foi : Qu'au relie
ils ne voyoient point de moyen plus convenable, pourréùfïïr
dans cette entreprife, que de choifir des hommes habiles ôc
amis de la paix , pour examiner cette affaire fans prévention
ôc fans haine , ôc pour dreiferune confeflion de foi , conforme
aux principes de l'Ecriture , ôc aux maximes des premiers
Pères de l'Eglife:Que cependant il fût furfis à la févérité des
jugemens ; qu'on ouvrît les prifons à ceux qui y languifToient
depuis long-temsj qu'on rappellât les exilez, ôc qu'on rendît
les biens à ceux qui en avoient été dépouillez : Que le Roi en
ufant ainfi , feroit une chofe agréable àDieu , avantageufe à fes
fujets j gloiïeufe à lui-même, ôc qui combleroit de joye, ôc
engageroit à une grande reconnoiffance des Princes , qui lui
envoyoient des députez, pour le fléchir en faveur de ces hom-
mes opprimez , trilles victimes d'une caufe qui leur étoit com-
mune avec eux.
Le Roi reçut très-bien ces envoyez , Ôc ayant lu. les lettres
dont ils étoient porteurs , il fit réponfe qu'incelTamment il écri-
roit aux Princes leurs maîtres , ôc qu'il efperoit qu'ils feroient
fatisfaits. Mais ces envoyez étoient à peine fur les frontières
de la France , que le feu que leur arrivée fembloit avoir éteint ;
fe ralluma après leur départ avec plus de violence. Le ip de Juin
le Roi nomma des CommilTaires , pour juger les Confeillers qui
avoient été emprifonnez. Ce furent le Préfident de S. André ,
qui avoit donné au Roi des confeils violens, comme nous
l'avons dit , Jean-Jacque de Mefme Maître des Requêtes, les
Confeillers Louis Gayant , ôc Robert Bouette, Euftaché du
Bellai évêque de Paris , qui avoit été Confeiller-Clerc , ôc
Antoine de Mouchi , dit Demochares , Inquifiteur de la foi.
Zz iij
itt HISTOIRE
Ce même jour Saint André interrogea le Confeiller du Bourg,
Henri II. qui refufa de répondre , alléguant le privilège qu'ont les offi-
1 S S 9> clers ^u Parlement * de ne pouvoir être jugés dans les procès
criminels que par les Chambres affemblées. Alors Bourdin
Procureur général obtint de nouvelles lettres du Roi , qui
obligeoient du Bourg à répondre devant les CommifTaires qu'on
lui avoit donnez , ôc qui portoient , que s'il n'obéïflbit , il fe-
roit déclaré convaincu , ôc traité comme coupable du crime
de leze-majefté. Ainfi du Bourg fut déclaré indigne de jouir
du privilège de fa chargera caufe de l'atrocité de fon crime,
comme on parloit alors. Pour ne pas paroître rebelle aux ordres
du Roi , à qui il difoit vouloir obéir en toutes chofes 3 il répon-
dit trois jours après aux questions qui lui furent faites fur fa
foi; après avoir protefté auparavant que fa fourmilion ne pou-
roit lui porter préjudice 3 ni aux prérogatives de fon office.
Il parut que fes fentimens étoient les mêmes que ceux de Lu-
ther ôc de Zuingle , qui s'accordent affés en plufieurs points.
Sur cette confeilion de foi 3 ôc fans autres preuves , l'évêque
de Paris le déclara Hérétique , le dégrada du facerdoce ,
dont il étoit revêtu , ôc le livra au bras féculier , c'eft-à-dire ,
au juge royal , pour être puni. Peu après du Bourg appella
de cette fentence à l'archevêque de Sens.
Tandis qu'on traînoit devant les tribunaux plufieurs perfon-
nes foupçonnées des nouvelles erreurs , ôc qu'on impliquoit
dans leurs procès leurs protecteurs 3 leurs amis , ôc ceux qui
ofoient parler trop librement; tandis enfin que la crainte des dé-
lateurs faifoit garder un morne filence > tout retentiffoit à la Cour
du bruit des réjoùiffances ôc des préparatifs des noces } qui fu-
rent bien-tôt fuivis d'un funefte événement. On avoit préparé
un tournoi avec beaucoup de magnificence > ôc une lice y non
loin de la Baftille , où étoient emprifonnez les Confeillers.
Cette lice étoit drefTée depuis le palais des Tournelles où
logeoit le Roi } ôc traverfant la rue Saint Antoine alloit juf-
qu'aux écuries royales. Il y avoit des deux cotez de longs
échaffauts , où l'on montoit par des dégrés , ôc des loges , com-
me dans les falles où fe donnent les fpectacles. C'étoit la
carpiere ; où les Princes ôc les Seigneurs armés de toutes pièces
dévoient courir les uns contre les autres , étant féparez par
une barrière. Il y avoit déjà quelques jours que duroient ces
DEJ. A. DETHOU,Liv. XXII. 367
carroufels , lorfqu'il prit envie au Roi le 29 de Juin de courir
contre Montgommeri. Leurs lances s'étant brifées , le Roi , Henri IL
qui avoit malheureufement lavifierede fon cafque levée 3 fut x r- , c,
blefTé à l'œil d'un éclat de lance ; ce qui l'ayant fait chance-
ler fur fon cheval , il fut foûtenu par fes officiers , ôc mené au
château des Tournelles. On dit qu'alors ce Prince paffant de-
vant la Baftille jetta les yeux de ce côté-là , ôc que fe fouve-
nant dss Confeillers 3 qu'il y avoit fait emprifonner depuis peu
de jours , il dit plus d'une fois 3 qu'il craignoit bien d'avoir traité
injuftement des innocens; ôc que le cardinal de Lorraine ,
qui étoit préfent, dit à ce Prince, que cette penfée ne pou-
voit lui être infpirée que par l'ennemi du genre humain , qu'il
devoit la rejetter 6c demeurer inébranlable dans fa foi. Je n'o-
ferois affûrer fi ce fait eft véritable ou fuppofé 5 ne voulant
écrire que des chofes certaines , ôc dont tout le monde con-
vienne. Car les Médecins foûtiennent , que quand on a reçu
«ne pareille plaie , on perd l'ufage de la parole ; foit que le
cerveau foit blefTé 3 foit que la violence du coup l'ébranlé de
fon fiége, foit qu'une veine rompue épanche le fangdansfa
fubftance, foit que la dure-mere qui l'enveloppe, étant enfon-
cée , le pénétre 6c en fépare la continuité.
Au bruit de cette trifte nouvelle , Philippe envoya de Bruxel-
les André Vefale fon Médecin , homme illuftre par fes rares
connoifTances , 6c par l'excellent ouvrage qu'il a compofé fur
la ftrutture du corps humain, pour faire voir par ce dernier
devoir fon arTe&ion envers le Roi fon beau-pere. Mais le Mé-
decin vint trop tard , 6c inutilement. Car un abcez s'étant for-
mé dans la tête , le Roi mourut le dixième de Juillet 1 3 âgé de Mort de
quarante ans , trois mois > onze jours , ayant régné douze ans pS^A
ôc trois mois. Avant que ce Prince expirât , on hâta les nô- ce Pi-ince,
ces de la princeiTe Marguerite fa fceur , ôc d'Emanuel Phili-
bert duc de Savoye , qui furent mariés fans cérémonie dans
la Chapelle du Palais. La mort du Roi donna lieu à des ju-
gemens ôc à des difcours bien oppofez. Les uns difoient ,
que ce Prince étoit digne de louanges immortelles ; Que bel-
liqueux Ôc prefque toujours heureux à la guerre , il avoit éten-
du les limites de la France , ayant fubjugué une grande par-
tie de l'Italie , fournis l'EcolTe ôc l'ifle de Corfe , Ôc fait fervk
1 Vlï.Non. £uieft dans le texte efl une faute d'imprefîion j car Henri mourut
le iode Juillet.
16% HISTOIRE
les deux mers comme de rempart à fon Royaume: Qu'ayant
77 77 obligé Charle V. à prendre la fuite à la bataille de Renti , il
1 ' l'avoit forcé de conclure une trêve , ôc de fe retirer dans une
> * 9' folitude, ennuyé d'une grandeur, qu'il voyoit décliner. Ils ajou-
taient, que ce Roi , toujours plein d'un refpecl filial envers
le faint Siège , avoit recommencé la guerre , pour tirer Paul
IV. de l'embarras où il fe trouvoit , Ôc n'avoit fait revenir fes
troupes d'Italie, que lorfque Philippe roi d'Efpagne, ôc Marie
reine d'Angleterre avoient uni leurs forces , pour attaquer la
France : Qu'il avoit conclu une paix peut-être peu avanta-
geufe ôc peu honorable , mais utile au moins à fes peuples ,
ôc avoit aflfuré le repos public par le mariage de fa fille ôc de
fa fœur : Qu'enfin ce Roi , le meilleur ôc le plus libéral qui
fut jamais , étoit mort dans l'exercice des armes univerfelle-
ment regreté.
D'autres difoient au contraire , que ce Prince qui avoit été
heureux durant les premières années de fon règne, avoit fouillé
la gloire qu'il avoit acquife à la guerre , par l'infratlion de la
trêve. Ils avoùoient néanmoins , que c'étoit moins fa faute que
celle de ceux , qui par leurs mauvais confeils l'avoient engagé
dans une malheureufe guerre. On ajoûtoit que cette entreprife
avoit épuifé les Finances ôc ruiné les forces de l'Etat ; qu'on
avoit perdu des batailles , dont le fouvenir étoit encore
honteux aux François: Que ce Roi, ôc les grands de l'Etat,
avoient été le jouet de l'ambition ôc de la perfidie des Ca-
raffes : Que le nom François avoit été comme éteint en Italie :
Que ceux qui avoient échappé à la mort dans les combats ,
avoient péri par la faim , ôc que peu étoient revenus en Fran-
ce : Qu'à la vérité on avoit eu la paix , bien toujours délira-
ble , mais une paix honteufe , ôc que les mariages des Prin-
cefTes n'avoient été ftipulez , que pour couvrir l'ignominie du
traité : Qu'enfin ce Roi guerrier avoit péri comme un fimple
Gendarme, au milieu des jeux ôc des tournois, enfe donnant
lui-même en fpe&acle à fes peuples. On n'oublioitpas les ac-
tions particulières de ce Prince , qui étant marié avoit pris une
maîtrelTe , laquelle l'avoit comme enchanté par fes maléfices >
ôc avoit feule régné. On difoit que de là étoient nés un luxe
prodigieux , la difïipation des Finances > des débauches non-
teufes,. ôc la cupidité infatiable des Courtifans. En parlant de
ce
DE J. A. DE THOU, Liv. XXII. fo
ce fiécle corrompu , il ne faut pas oublier les poètes François ,
qu'il enfanta en grand nombre. Ces poètes abufant de leurs ta- Henri I
îens, fîattoient par des éloges honteux une femme vaine ; détour- 1 5 c p,
noient les jeunes gens des études férieufes & utiles , pour lire
des vers obfcénes ; ôc gâtoient l'efprit 6c le cœur des jeunes
perfonnes du fexe le plus foible , par des chanfons licen-
îieufes.
Pour nous , qui nous faifons un devoir de juger fans partia-
lité , nous dirons feulement que Henri aima la guerre , ôc que
rejettant les fages avis, que Montmorenci lui donnoit detems
en tems pour le porter à la paix , il faifitavec joye toutes les
occafions qui fe préfenterent , de prendre les armes. Du refte
il étoitbon ôc facile , ôc fuivoit plutôt les imprefTions d'autrui ,
que fes propres fentimens. Ceux qui penfoient à l'avenir, ju-
gèrent que fa mort feroit très funefte à la France. Ils pré-
voyoient , que Henri biffant des Princes dans l'enfance 3 une
mère ambitieufe ôc qui vouloit gouverner 3 Ôc une cour par-*
tagée par des factions , la paix ne dureroit pas long-tems^ ôc
que des diffentions domeftiques feroient bien-tôt fuivies de
guerres étrangères , fi on ne remedioit au mal de bonne
if
neure.
Il eft certain que Luc Gauric Mathématicien, que Paul III.
confideroit beaucoup , avoit prédit le tems ôc le genre de la
mort du Roi , ôc que Catherine de Medicis toujours inquiète
de l'avenir, l'ayant confulté fur la deftinée de fon mari ôc de
fesenfans, il lui avoit répondu, que le Roi feroit tué en duel,
ôc mourroit d'une blefiure à l'œil. Comme on penfoit que
ce Prince étoit d'une condition , à craindre peu les hazards
d'un duel , on fe moqua de cette prédiction , ôc on la négli-
gea dans le tems. Quelques-uns remarquèrent qu'au com-
mencement de fon règne il avoit autorifépar fa préfence
un véritable x duel 3 que la Religion Chrétienne défend , ôc
qu'il perdit la vie dans les jeux ôc la feinte d'un combat fin-
gulier.
Il ne s'agit plus maintenant des belles maximes > ni des gran-
des actions de nos pères , foit dans la paix , foit dans la guerre.
1 Le duel de Gui Chabot Jarnac ,
& de François Vivonne la Châtaigne-
raie , qui fe battirent en préfence du
Tome III. Aaa
Roi le i<5 Juillet 1547. où le demie*
qui étoit favori du Roi , fut tué.
57ô HISTOIRE
, J'ai à expofer les malheurs de cet Etat , ceft-à-dire , nos
Henri II erreurs & nos yices » qui défolent depuis quarante années
j w -, 9t ce Royaume autrefois fi florifTant. Nous proteftons, que nous
ne dirons rien , que fuivant les mémoires de ce tems-là, que
la haine avoit peut-être envenimez 3 ôc que nous avons adou-
cis ôc réformez fur le témoignage pofterieur des plus gens de
bien. Nous aflurons en même-tems , que c'eft malgré nous ,
ôc pour nous prêter à la vérité de l'hiftoire , que nous parle-
rons de l'ambition 3 de l'avarice , ôc de la mauvaife foi de quel-
ques perfonnes , ôc de leurs mauvais confeils qui ont été fi perni-
cieux à l'Etat. Car les Hiftoriens , amis de la vérité 3 font forcés
de tout dire, pourvu que ce foit avec candeur, fans pafiion
ôc fans fiel. Il y a fi loin de ce tems-là à celui où j'écris , que
je ne dois pas être foupçonné de prévention , ou de haine j ôc
quant aux événemens qui font arrivez depuis , la pofterité ju-
gera , fi je mérite des reproches ou des louanges.
Fin du vingt-deuxième Livre,
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371
HISTOIRE
D E
IACQUE AUGUSTE
DE T H O U.
LIVRE VINGT-TROISIEME.
Enr1 ayant été tué au milieu des
m f'i Sft ^ n fâ âss
?*S "«x^ ?acÎ 5-/o? 5&S 5-/a< &?
fêtes, ôc des tournois > François duc François
de Guife, le cardinal de Lorraine
fon frère, Alfonfe d'Efte duc de Fer-
rare , Jacque de Savoye duc de
Nemours faluerent le Dauphin com-
me Roi , ôc le conduifirent en ca-
rofle au Louvre , où la Reine mè-
re fe rendit peu après , accompa-
gnée du duc de Nemours. Montmo-
renci ■ favori de Henri fut laiffé, comme par mépris , auprès
de fon corps , ôc fut obligé de rendre le cachet du Roi fur le
champ à Claude de TAubefpine fecretaire d'Etat, qu'on lui
envoya à cet effet. Le corps fut expofé fous un grand portiquç
i Le Connétable de Montmorenci.
A a a ii
II.
Aitaires de
France.
33 s m m m & m b ||
37* HISTOIRE
«■ ggsss de bois , qu'on avoit conftruit auprès du château des Tour-
François ne^es & diftiné aux- danfes ôc aux jeux: h1 fut alors tendu de'
jt noir ; on y dit des MelTes ,&ony recita des prières durant qua^
rante jours , fuivant la coutume.
*' ' Montmorenci alla cependant au Louvre faiuer le Roi, ÔC
eut une conférence avec la Reine mère : il lui confeilla d'inf-
pirer au Roi fon fils les meilleures maximes pour bien gou-
verner fon Etat j de ne point fouffrir qu'il fe laiflat prévenir
de haine contre fes fujets, ni qu'il prêtât l'oreille aux difcours
de gens amis de la difcorde î ôc de faire enforte que fes
aclions fuffent approuvées delaNoblefTe , ôcdes autres Ordres
de l'Etat ; ajourant qu'il falloit pour cela ne point changer les
emplois, ôc ne dépouiller perfonne de fes charges, ôc de fes
dignitez ; ôc qu'elle devoit fe fouvenir , qu'elle alloit comman-
der à une nation , qui obéit volontiers à fes Rois , ôc à fes Prin-
ces, ôc qui fouffre impatiemment la domination des étrangers.
Après cela il lui fit les plus humbles fournirions , ôc l'aflûra
d'un attachement inviolable au fervice du Roi, ôcau fien. La
Reine le congédia avec bien des marques de bonté ôc de con-
fiance , ôc lui fit des promeffes très-flateufes. Au refte ce vieux
ôc habile courtifan, qui avoit prévu, que la mort de Henri ap-
porteroit un grand changement dans les affaires , avoit en-
voyé, dès qu'il l' avoit vu bleffé a la Mare valet de chambre
du Roi à Antoine de Bourbon Roi de Navarre, ôc pre-
mier Prince du fang, qui étôit alors dans le Bearn, pour le
preffer de fe rendre à la Cour, afin de prendre le gouverne-
ment de l'Etat , fi le Roi venoit à mourir. Mais ce Prince qui
avoit peu d'ambition , Ôc qui étoit d'ailleurs mécontent du Con-
nétable, parce qu'on n'avoit fait nulle mention de lui dans le
dernier traité de paix , où Montmorenci avoit eu tant de part,,
ne fuivit pas exactement fes avis. Il ne fe rendit qu'à petites-
journées à Vendôme* où s'étant arrêté même quelque tems, il
laiffa échapper l'occafion de fe mettre à la tête des affaires, ôc de
prévenir de grands troubles, qui furent l'effet de fa nonchalance*
Louis fon frère , Prince de Condé , dont les lumières éga-
loient la valeur , voyant avec chagrin que la Reine mère
Ôc lesGuifes s'étoient emparez , contre les loix de l'Etat, de
toute l'autorité qui appartenoit de droit au Roi de Navarre , fit à
fon frère des reproches plus vifs que ne demandoit la conjoncture
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIII. 373
des terris ; imputant à fa foiblefTe tous les maux qu'apporte- ^
roient à l'Etat l'ambition , ôc la perfidie de leurs ennemis. Alors rançois
la Reine mère , qui vouloit gouverner , éloigna le Connétable
des affaires, ôc s'unit aux Guifes oncles de la jeune Reine , qui l ' ' ' ^-'
ctoient fort aimez du Roi. Comme elle ne connoiflbit pas
encore le caractère de ces Princes, elle ctut qu'ils iefoumet-
troient en tout à fes volontez. Mais fe voyant élevez fi vite à
un point de grandeur, où ils afpiroient depuis long-tems , ils
ne longèrent plus qu'à profiter de leur fortune, à agrandir leur
maifon , ôc à affermir leur puiffance. Leurs efpérances étoient
flatées par la jeuneffe d'un Roi foible de corps. Ôc d'efprit,parle
crédit qu'avoit fur fon efprit la jeune Reine leur nièce, PrinceP
fe plus ambitieufe que ne le comportoit fon âge , & par la faveur
de la Reine mère , qui avoir abandonné le Connétable leur con-
current, pour s'unir à eux. Cette Princeffe n'avoit pu pardon-
ner à ce favori le dévouement bas ôc indigne , qu'il avoit
toujours eu, dans la vue de complaire au Roi, pour laDucheffe
de Valentinois , ôc l'alliance contractée avec elle peu de tems
avant la mort de Henri.
Il eft à remarquer que ce qui fut fatal à Montmorenci avoit
été très-avantageux aux Guifes. Le duc d'Aumale , un de ces
Princes, avoit époufé une fille de laDucheffe, qui lui avoit ap-
porté une dotimmenfe ,par la profufion du Roi, ôc parla con~
fifcation des biens des fettaires condamnez. Mais à peine
Henri fut-il expiré, que le duc de Guife ôc le cardinal de Lor-
raine abandonnèrent cette puiffante maîtreffe, dont ilsavoient
été jufqu'alors les créatures les plus dévouées : ils la perfécu-
terent même , pour s'attirer les bonnes grâces de la Reine mère
fon ennemie. Comme le duc d'Aumale leur frère , plein de
reconnoiffancepour la mère de fa femme , tâchoit de les fléchir
en fa faveur, le cardinal de Lorraine lui dit fièrement, qu'il
devoit être content de s'être procuré par un mariage inégal
de grandes richeffes , ÔC un crédit de quelques années ; mais
que cette alliance le rendant aujourd'hui odieux, ôc le cou-
vrant de honte , il étoitde l'intérêt d'une illuftre maifon, d'ef-
facer peu à peu del'efprit des hommes le fouvenir de cette in-
famie, en éloignant la Ducheffe de la Cour 5 qu'il devoit pe'n^
fer qu'on nepouvoit l'y retenir , fans offenfer la Reine mère,
qu'il falloit fur-tout ménager 3 ôc qu'ils dévoient confervev:
A a a iij
574 HISTOIRE
■■■■-^" ôc augmenter par des moyens honêtes une grandeur honteu-
François fement dûë à unemaîtreffe accréditée fous le dernier règne,
II. On bannit donc ignominieufement de la Cour madame de
1 S S 9' Valentinois , après l'avoir contrainte de rendre des pierreries ôc
des bijoux d'un grand prix , que le feu Roi lui avoit donnez. On
vit alors plus que jamais, combien on doit peu compter fur la
fidélité ôc fur lareconnoiffance des Courtifans. De tant d'hom-
mes qu'elle avoit élevez aux honneurs , dont véritablement
la plupart étoient indignes , il n'y en eut pas un feul , qui fe
prêtant à la haine publique n'abandonnât fa bienfaitrice. Celle-
ci, pour fléchir Catherine de Medicis, fut obligée de lui don-
ner fa belle maifon de Chenonceaux fur le Cher, dont la fitua-
tion, les édifices , ôc les fuperbes jardins qui regnoient le long
des deux rives , faifoientde ce lieu une retraite délicieufe. Af-
tremoine Bohier ôc Catherine Briçonnet avoient bâti cette
maifon de plaifance , que le Baron de Saint Ciergue leur fils
avoit donné par une folle vanité à la Duchefie , à qui on Iota
alors , en l'obligeant de prendre en échange Chaumont fur la
Loire. On chafla aufîl de la Cour plufieurs Gentilshommes ,
ôc plufieurs braves officiers , que l'on croyoit attachez au Con-
nétable i ainfi que fes parens , fes alliez , ôc tous ceux qui au-
roient pu s'oppofer à la puifiance des Guifes. Il ne demeura
à la Cour que ceux qui fuivirent le torrent de la faveur. On
ôta les fceaux à Jean Bertrandi , qui avoit été cependant nom-
mé Cardinal à la recommandation du duc de Guife. Il étoit
venu de Touloufe à Paris , où après avoir paffé fucceiïivement
par tous les honneurs de la magiftrature , il avoit obtenu la pre-
mière dignité de la robbe par la faveur de madame de Valen-
tinois. Les fceaux furent rendus à François Olivier , perfon-
nage illuftre par fon intégrité , par la politeffe , ôc l'agrément
de fon efprit , par fa fagefle ôc fon expérience dans les affaires.
Le cardinal de Lorraine crut , que nommant pour premier
Magiftrat un homme fi zélé pour la juftice , il feroit efpérer
un gouvernement modéré , ôc qu'il ébloùiroit par là le peuple
crédule, à qui la réputation des grands hommes fait goûter
prefque toujours les reglemens les moins juftes. Mais Olivier
Fut trompé le premier. Il avoit quitté une vie tranquille, pour
venir à la Cour , dans l'efpérance qu'il conferveroit fa liberté!
Ôc quoiqu'on ne puiffe pas lui reprocher d'avoir été l'auteur
tfEJ. A. DETHOU,Liv. XXIII. 375"
d'aucun édit burfal ôc fervile, il paffa le refle de fes jours ■?
dans un honteux efclavage , jouet de l'ambition des grands , François
6c expofé à mille dangers , fous un gouvernement arbitraire. n'
Charle cardinal de Lorraine étoit d'un caractère impétueux 1 c ç o.
ôc violent : le duc de Guife au contraire étoit d'un efprit doux ôc
modéré. Mais comme l'ambition franchit bien-tôt les bornes
de la retenue ôc de l'équité , il étoit entraîné par les confeiïs
violens du Cardinal , ou s'y livroit de lui-même , exécutant avec
une prudence ôc une adreffe admirables des delTeins , qui
étoient toujours imaginez par fon frère. Jean d'Avançon con-
fident des Guifes fe maintint à la Cour , parce qu'on le crai-
gnoit , ôc qu'il étoit utile aux princes Lorrains ; mais on lui
ôta la furintendance des finances. On rappella le cardinal de
Tournon , à la follicitation de la Reine , qui voulut fe fervir
de lui , comme d'un homme qui ne tenoit à aucun parti. Ce
Prélat d'une rare prudence ôc confommé dans les affaires ,
avoit eu, avec l'Amiral d'Annebaut, la principale autorité, fur la
fin du règne de François I. Enfuite il avoit été éloigné du
miniftere après la mort de ce Prince , ôc dépouillé de la dignité
de Chancelier de l'Ordre de faint Michel par le cardinal de
Lorraine. Les Guifes s'oppoferent d'abord à fon retour; mais
comme ils fçavoient qu'il étoit ennemi du Connétable , ôc
qu'ils ne doutoient point qu'il ne leur fçût gré de fon rappel ,
ils y confentirent à la fin.
Jacque d'Albon de Saint André chevalier de l'Ordre du Roi
étoit en de grandes inquiétudes. C'étoit un Seigneur très bra-
ve > ôc d'un efprit élevé •■> mais voluptueux , prodigue ôc perdu
de débauches, qui avoit tout mis en ufage pour fatisfaire fes
paiïions Ôc fon luxe. Il avoit été favori de Henri II. Ôc avoit
içû maintenir fa faveur malgré les Guifes Ôc le Connétable , ne
s' étant attaché ni aux uns ni aux autres. Craignant alors , que
s'il étoit chaffé de la Cour , il ne fe vît accablé par les juftes
plaintes de ceux qu'il avoit dépouillez de leurs biens , ôc par
un grand nombre de créanciers , qui lui avoient confié leur ar-
gent dans le tems de fa fortune , il offrit fa fille unique au
duc de Guife , pour époufer celui de fes fils que ce Prince
jugeroit à propos : il propofa d'abandonner à fon gendre la
propriété des biens immenfes , qu'il avoit acquis par des con-
culTions ôc des crimes , ôc de ne s'en referver que l'ufufruk
\ 376 HISTOIRE
""-- '■"■""■■—■ pour fa femme , ôc pour lui s ce qui fut accepté par un accord
1 Rancois frauduleux ôc inique. C'eft ainfi que les Princes Lorrains fe
Jl' virent maîtres abfolus de toutes chofes. La Nobleffe , dont le
1 5" S 9» Pouvo^r eftfort grand dans le tems des troubles domeftiques,
ennuyée des guerres pafïées , vivoit chez elle dans le repos ôc
la tranquillité , fans fe foucier des affaires de l'Etat. Le peuple
fe contentoit de demander la diminution des fubfides , qu'on
avoit impofez à l'occafion des guerres du règne précèdent.
Du relie il lui importoit peu qui domineroit à la Cour. Il ne
manquok plus à lapuiiTance du duc de Guife, que de mettre
dans fes intérêts le Clergé , ce premier corps du Royaume ,
fi considérable par fa prééminence , ôc par fes grands biens. I|
avoit trouvé moyen de fe l'attacher étroitement , en fe mon-
trant zélé défendeur de la Religion ancienne , ôc en faifant
paroître une haine implacable contre les fe&aires. On fçait
que le Parlement de Paris eft compofé de plufieurs juges ecclé-
fialtiques. Ces Sénateurs étoient les plus éco.ûtez dans les af-
femblées , qu'on tenoit alors fecretement par ordre du Roi >
la plupart des Confeillers laïques fuivoient leurs avis , dans
la vue d'obtenir des récompenfes de la Cour ; ôc les autres
fe taifoient par crainte, fe fouvenant encore de cette Mercu-
riale , qui avoit ôté toute liberté dans les fuffrages , ôc fermé
pour ainli dire la bouche aux Magiftrats.
Les Guifes voulurent de plus faire voir que leur puilTance ,
qu'ils tâchoient de fortifier par difTerens moyens , n'étoit pas
ufurpée , mais qu'ils la tenoient uniquement du Roi , qui les
avoit jugé dignes de leur communiquer fon autorité , du con-
sentement de la Reine fa mère. Car le Parlement de Paris
ayant envoyé des députez au Roi, félon la coutume, pour le
féliciter fur fon avènement à la Couronne , ôc pour recevoir
fes ordres, il leur dit qu'il avoit choifî , de l'agrément de
la Reine fa mère , le duc dé Guife ôc le cardinal de Lorraine
fes oncles , pour gouverner fon Etat ■> que le premier auroit foin
des affaires de la guerre , ôc l'autre de celles des finances :
Qu'à l'avenir il falloit s'adreffer à eux 5 ôc que telle étoit fa
volonté. Le Connétable , qui vit bien qu'il lui falloit aban-
donner la Cour , ne laiffa pas de difïimuler fes chagrins. Ce-
pendant il preffoit par les plus vives inltances le roi de Na-
varre de fe rendre auprès du Roi , voulant oppofer les Princes
du
DEJ. A. DETHOU; Liv. XXIII. 577
du fang à Finjufte domination des Guifes , ôc conferver par là ■
fa dignité. Pendant , que ce Prince , mécontent d'ailleurs de François
Montmorcnci , délibère avec une lenteur hors de faifon , le jj)
prince de Condé fon frère , ôc le prince de la Roche-fur-Yon ï j r ^.
ion coufin , fe rendent à Vendôme avec un grand nombre
de Gentilshommes des plus qualifiez. On repréfente au roi
de Navarre l'ambition ôc les defTeins dangereux des Guifes ,
ôc on lui cite cet exemple de leur vanité 5 que lorfque le Roi fe
montra pour la première fois en public en habits de deuil fuivi
de toute la Cour, le duc de Guife ofa bien porter la queue
du manteau royal , ce qui n'appartenoit qu'aux Princes du
fang 3 qu'il fe mêla avec eux, ôc fit les mêmes fondions qu'eux.
François d'Andelot de Coligni étoit auffi venu à Vendôme ,
où le prince de Condé le reconcilia avec le prince de la Roche-
fur-Yon , afin que tous étant unis , ils puffent réfifter plus aifé-
ment à leurs ennemis communs.
Le prince de Condé avoit époufé Eleonore de Roye fille
de Magdelaine de Mailli , qui étoit fœur utérine des Colignis,
Ôc petite-fille de Louife de Montmorenci, fceur du Connéta-
ble. Cette dernière avoit été mariée en premières noces à Fré-
déric de Mailli d'une maifon très illuftre fur les frontières de
Flandre , ôc en fécondes à Gafpard de Châtillon Coligni ma-
réchal de France , qui mourut dans la ville d'Acqs à l'âge de
trente-fept ans , lorfqu'il marchoit avec l'armée du Roi à Fon-
tarabie. Ainfi les Montmorencis ôc les Colignis , Seigneurs
très confidérables par leurs vafTeaux , leurs richeffes ôc leur
grande réputation à la guerre , àvoient l'honneur d'appartenir
de fort près au prince de Condé. Au refte , ce qui avoit brouillé
le prince de la Roche-fur-Yon avec d'Andelot , étoit que ce
dernier avoit époufé, par le grand crédit du Connétable^ l'hé-
ritière de la maifon de Laval , que le Prince avoit auffi de-
mandée en mariage , Ôc qu'il avoit en cette occafion , à ce
qu'on difoit., laifle échapper quelques paroles pleines de mé-
pris ôc injurieufes à fon rival. Un jour , comme d'Andelot
venant de Saint Germain à Paris , eut pafle la Seine pour
abréger le chemin , il vit le prince de la Roche-fur-Yon de
l'autre côté de la rive , qui fe préparoit à paffer dans le même
bac. S'imaginant qu'on le pourfuivoit , ôc voulant éviter de
fe battre en duel contre un prince du Sang , qu'il devoit
Tom. Ut B b b
iy;p-
378 HISTOIRE
. refpedter , il coupa avec fon épée la corde du bac , pourretar-
Francois ^er *°n Pa^age- Le Prince regarda cette action comme une
if nouvelle injure , dont d'Andelot s'excufoit fur la nécefïité ou
il s'étoit trouvé d'en ufer ainfi. Ils fe réconcilièrent alors à
Vendôme , comme je l'ai dit y à la prière du roi de Navarre
ôc du prince de Condé , ôc au grand déplaiiir des princes Lor-
rains , qui n'avoient rien oublié pour fomenter cette ini-
mitié.
On délibéra à Vendôme des moyens qu'on pourroit pren-
dre, pour s'oppofer à l'autorité des Guifes. On fit à ce fujet
plufieurs proportions également fages ôc courageufes, que le
roi de Navarre fçut éluder avec fa nonchalance naturelle ; al-
léguant , qu'il ne devoit point aller à la Cour que les funérailles
du feu Roi ne fufTent achevées •> qu'on verroit quelles feroient
les difpofitions des Guifes à l'égard du Connétable , ôc qu'on
prendrait alors des mefures utiles. Après qu'on eut rendu à
Henri les derniers devoirs , ôc que fon corps eut été dépofé à
S. Denis , ancienne fepulture de nos Rois , les Guifes , comme
ennuyez du tumulte de la ville , menèrent le Roi à Saint Ger-
main 3 où ils efpéroient le mieux obfeder. La Reine mère s'y
rendit aufïi-tôt , contre la coutume des veuves des Princes ôc
des Souverains, qui demeurent renfermées dans leur apparte-
ment les premiers quarante jours de leur veuvage. Montmo-
renci , qui avoit été jufqu'alors occupé du foin des obféques
du feu Roi , y vint aurfi , ôc fut reçu du Roi avec une froi-
deur qu'on lui avoit infpirée. Le lendemain ayant eu audien-
ce de ce Prince l'après-dinée, il lui recommanda les Coli-
gnis fes neveux ; fuppliant fa Majefté de vouloir bien fe fer-
vir d'eux , ôc les maintenir dans leurs emplois. Le Roi parut
y confentir , ôc entendre avec plaifir le Connétable lui parler
de Gafpard de Coligni , à qui il donna même des éloges , af-
furant qu'il le regarderoit toujours avec diftinttion. Alors ayant
interrompu Montmorenci, qui alloit parler de lui-même , il
lui confirma les mêmes choies qu'il avoit dites aux députez
du Parlement de Paris, ajoutant , qu'ayant égard à fon grand
âge , il avoit confié le foin de fes armées au duc de Guife ,
ôc celui des finances au cardinal de Lorraine , Princes dignes
du miniftere par leur mérite , ôc par les grands fervices qu'ils
avoient rendus à l'Etat 5 qu au refte il lui donneroit une place
DE J. A. DE THOU, Lrv. XXIIL &$
honorable dans fon confeil , lorfque fa fanté lui permettroit m »
d'y aflïfter. François
Le Connétable ayant dit quelque choie au Roi fur fon âge, jj'
& fa fanté , ajouta , qu'il deshonoreroit fa charge , s'il obéïf- j ç ç o,
foit à ceux à qui il avoit commandé jufques-là > qu'ainfi il s'abf-
tiendroit de venir au Confeil ; mais qu'il feroit toujours prêt
à exécuter , avec autant de zélé que de promptitude , les com-
mandemens du Roi, ôc que, quoiqu'en diffent fes ennemis,
il avoit confervé les forces de l'efprit ôc du corps , qui le
mettoient en état encore de manier les armes , ôc de remplir
les emplois qui lui feroient confiez. Quelques-uns ont écrit ,
que ce Seigneur ayant fupplié la Reine mère de lui être fa-
vorable , elle lui avoit reproché qu'il avoit dit un jour au feu
Roi en badinant , que de tous fes enfans aucun ne lui relTem-
bloit , que Diane fa fille naturelle, qu'il avoit eue d'une dame
de Piémont , ôc qu'il avoit donnée en mariage au fils aîné du
Connétable : qu'elle ajouta, que, par cedifcours téméraire, il
avoit ofé attaquer fa vertu , ôc faire injure aux Princes Ôc aux
Princeffes fes enfans; que fi ellefe vouloit venger de cet af-
front , elle lui feroit couper la tête ; mais que le fouvenir du
feu Roi fon époux lui étoit fi cher , qu'elle lui facrifioit vo-
lontiers fes reifentimens : Qu'au refte c'étoit à lui à fe fou-
mettre aux volontez du Roi : Que pour elle , elle feroit en-
forte , que fon éloignement de la Cour ne portât point de
préjudice à fes intérêts. Ils difent encore , que le Connétable
fit réponfe , que fes ennemis avoient imaginé la calomnie >
que la Reine lui reprochoit ; que puifqu'ils le lui avoient re-
prefenté comme coupable , il la fupplioit d'écouter fa juilifica-
tion : Qu'au lieu de prêter Poreille à fes envieux , qui en vou-
loient à fa vie ôc à fes établiffemens , elle devoit fe fouvenir
des longs ôc importans fervices qu'il avoit rendus au Roi ôc
à l'Etat : Qu'enfin fes ennemis ne viendroient pas fi facilement
à bout de leurs deffeins qu'ils fe le promettoient. Si cette con-
verfation eft véritable , il y a lieu de croire , que Catherine
de Medicis imagina le reproche dont je viens de parler , poui?
trouver un prétexte apparent de rompre avec le Connétable ,
Ôc qu'elle n'ignoroit pas que ce Seigneur , le plus fage ôc le
plus difcret qui fut à la Cour , n'étoit pas capable de tenir un
difcours fi téméraire.
Bbbi;
jtft HISTOIRE
-"[l II fe retira dans fa maifon de Chantilli. On trouva aufïï urî
François prétexte honorable pour éloigner pour un tems les princes de
II. Condé ôc de la Roche-fur-Yon , en les envoyant auprès du
i t 5" p. roi d'Efpagne ; le premier pour jurer au nom du jeune Roi la
Les Princes paix conclue* par Henri 5 ôc le fécond pour porter à Philippe
gn°entindeélîa Je/ Çollier de l'Ordre de Saint Michel. Le prince de Con-
Cour tous les dé n'eut pour fon voyage que mille écus d'or , que le cardi-
Sang" na^ ^e L°rtaine furintendant des finances lui accorda dédai-
gneufement j fe faifant un faux honneur de vouloir rétablie
les finances 3 ôc ménager l'argent du Roi 3 tandis qu'il faifoit
injure par cette épargne honteufe à un prince généreux 3 mais
indigent,, en une occafion où ils'agiffoit de foûtenir avec éclat
la dignité du Roi ôc celle du Miniftre qui devoit le reprefen-
ter. Les Guifes ayant éloigné les Bourbons ôc le Connétable
avant l'arrivée du roi de Navarre , n'avoient plus qu'une chofe
à faire pour fe rendre tout-puiflants ; qui étoit de donner des
dégoûts à ce Prince , pour l'obliger à quitter aufïi la Cour. C'eft
une coutume d'aller au-devant des princes du Sang , lorfqu'ils
fe rendent auprès du Roi , ôc de leur marquer un logement
fuivant leur dignité. Non-feulement le duc de Guife n'alla pas
au-devant du roi de Navarre > ni aucun prince Lorrain ; mais il
affetla même de faire chaffer le Roi d'un autre côté que celui
par où ce Prince devoir arriver , afin qu'il ne le rencontrât pas,
Et bien-loin que le Duc offrît au roi de Navarre le logement
le plus confidérable qu'il avoit pris pour lui , ôc qui étoit dû
au premier prince du Sang , il déclara publiquement qu'il
perdroit plutôt la vie , que de fouffrir qu'on lui ôtât un ap-
partement que le Roi avoit accordé à fes fervices.
Le roi de Navarre piqué de ce refus fut plufieurs fois fur le point
de partir, forcé de foûtenir fon rang par une retraite honteufe;
Mais S. André 3 courtifan délié 3 lui fit agréer qu'il lui cédât fon
logement 3 ôc adoucit peu à peu fa colère > tandis que tous ne
voyoient qu'avec indignation , que la patience du roi de Na»
varre enfloit i'orgueil de fes ennemis. Plufieurs Gentilshom-*
mes des plus qualifiez > ôc fur-tout Gui Chabot de Jarnac
i. M. deThou appelle l'Ordre de
S.Michel Ordo Conchyliatus , parce que
le collier de cet Ordre inftitué par
.Louis XI, eft compofe de coquilles
Iaïïees l'une avec l'autre. Cet Ordre
a été l'Ordre unique de nos Rois , juf-
qu'à Henri III. qui y joignit l'Ordre
du faint Efprit , qu'il créa.
DE- J. A. DE THO U, L'rr. XXIII. 381
Seigneur d'un grand courage , preffoient par les plus vives —Lu^„m«—>
inftances le premier prince du Sang de s'oppofer aux entre- François
prifes de fes ennemis : ôc de prendre le gouvernement de jj
l'Etat , lui offrant de l'aider de leurs biens ôc de leurs per- r^n
fonnes. Mais les confidens de ce Roi toujours irréfolu , lui
confeilloient le contraire. C'étoient Nicolas d'Angui évêque
de Mende , fils naturel du cardinal du Prat , François d'Efcars,
ôc Emeri Bouchard maître des Requêtes 3 fon Chancelier j
qui adouciffoient fes chagrins, ôc l'empêchoient de rien en-
treprendre j foit pour complaire aux Lorrains, foit qu'ils crai-
gniffent pour eux - mêmes. Enfin cédant aux prières de la
Nobleffe > qui ne ceffoit de lui réprefenter , que les bons Fran-*
cois , jaloux de la gloire de la Nation ôc de leur ancienne li-
berté , avoient les yeux fur lui , ôc en attendoient de grandes
chofes , il fe rendit à Paris pour fonder les efprits , ôc péné-
trer par le moyen de quelques émiffaires , quelle étoit la dif-
pofition du Parlement s ôc des premiers de la ville à fon égard»
Des amis infidèles lui avoient donné ce confeil, pour rallen-
tir par là fa jufte colère , ôc gagner du tems : ce qui leur réùfïk
comme ils l'avoient prévu. Car ce prince , voyant que fon irré-
folution ôc fa lenteur avoient paffé jufqu'à ceux qui lui étoient
le plus affectionnez, ôc que tous étoient refroidis à fon égards
perdit courage , ôc n'entreprit rien de grand dans la fuite»
Ces avantages des Guifes fur le premier prince du Sang , fi-
rent croire à ces favoris fuperbes, qu'ils avoient triomphé des
Bourbons , qui feuls pouvoient réflfter à leur puiffance»
Les François qui aiment leurs Princes, étoient indignez de ce
renverfement dans l'Etat, ôc tout retentiffoit de plaintes à la Cour*,
Les Lorrains, pour faire cefferles murmures, intimidoient les
uns , ôc flattoient par des promeffes brillantes ceux qui pou-
voient leur être utiles. Ils firent plus : pour établir leur pouvoir
par toutes fortes de moyens , ils confeillerent à la Reine mère ,,
princeffe ambitieufe qu'ils gouvernoient alors félon leurs
vues , de s'unir au roi d'Efpagne : confeil funefte ôc honteux ,
ôc qui donna lieu aux fourdes intrigues des Efpagnols contre
là France. Catherine de Medicis le prêtant avec joye à leurs ^a .^einâ
/-v» • ■ lucre imDiorâ
deffeins , écrivit à Philippe 3 implorant baffement , ôc par l'appui du roi
une timidité digne de fon fexe , le fecours d'un Roi étranger d'tJpagne,
contre ceux de fes fujets 3 qu'elle nommoit perturbateurs du
B b b iij
&2 HISTOIRE
ggSSBgtiÉig repos public. Ce Prince vit avec joye qu'on le choififîbit pouf
François arD"re & pour protecteur d'un Etat , dont les troubles , ôc non
jj la concorde 3 convenoient à fes vues , ôc il n'eut garde de laiffer
i r <r g échapper une Ci belle occafion d'exciter une guerre civile. II
fit réponfe , que le Roi pouvoit compter fur fon fecours. Ses
lettres fuperbes , ôc injurieufesà une Nation tranquille ôc ja-
loufe de fon ancienne liberté , portoient qu'il avoit autant à
cœur les intérêts du Roi fon beau-frere 3 que les fiens propres,
ôc qu'il étoit difpofé à prendre fous fa protection fon Royau-
me j que fi quelques François étoient affés téméraires pour re-*
fufer d'obéïr à leur Prince ôc à fes premiers Miniftres , il les
accableroit de fes forces ôc de fa puiffance ; qu'il fe montre-
rons toujours le jufte vengeur des injures faites à la majefté
Royale , ôc fçauroit punir févérement les auteurs des troubles.
On affecta délire ces lettres enpréfence du roi de Navarre,
afin que ce Prince craignant pour fes propres Etats , ne pen-
fat plus à difputer à fes rivaux l'adminiftration du Royaume;
En effet , appréhendant que les Efpagnols n'attaquaflent le
Bearn , il fe rendit aux inftances de Jeanne d'Albret fa fem-
me , qui lui perfuada que fa préfence étoit néceffaire dans ce
payis. Il accepta même avec joye la propofition que lui rirent
les princes Lorrains 3 de conduire la jeune reine d'Efpagne au
Roi fon mari. Il penfa que c'étoit là un prétexte honnête de
quitter la Cour ; que fon abfence feroit oublier fon aviliffe-
ment ; qu'il fe concilieroit par cette commifïion honorable
l'amitié de Philippe , qu'il croyoit irrité contre lui ôc déter-
miné par les Guifes fes ennemis à lui faire la guerre.
Cependant le Roi fit des Edits fort fages pour la fureté pu-
blique , à la perfuafion d'Olivier Garde des (beaux , très-zélé
pour le bien de l'Etat. Comme les poignards ôc les bayonet-
tes avoient été autrefois prohibez , on défendit alors ï'ufage
des armes à feu ôc des piftolets, qui portent de loin des coups
inévitables. Les longs manteaux ôc les larges bottines , où l'on
auroit pu cacher ces fortes d'armes , furent auffi prohibez fur
de grandes peines. Plufieurs difoient que le cardinal de Lor-
raine naturellement timide, qui craignoit, parce qu'il étoit haï;
ôc qu'il avoit offenfé bien des perfonnes 3 avoit fait donner
cet Edit. Peu après le Roi réunit à fon domaine plufieurs
portions, qui en avoient été frauduleufement aliénées , quoi
i;;?'
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIII. 383
qu'elles euffent été données à des particuliers , à titre de pen- r
lion, ou de recompenfe. On excepta de cette loi les domai- François
nés accordez en ufufruit , ou pour dot aux filles de France, Ôc jj.
ceux qu'avoit eus Eleonore tante paternelle du Roi d'Efpagne,
à Foccafion de fon mariage, & dont joùhToit alors l'Infante
de Portugal. Cet édit fi fage ôc fi jufte auroit été plus approu-
vé, s'il n'avoit pas privé des Princes du fang , ôc des Seigneurs
quiavoient rendu défi grands fervices aux derniers Rois, d'une
recompenfe qui leur étoit due. Cependant peu après, plusieurs
gentilshommes furent difpenfez de la rigueur de la loi , parce
qu'ils étoient protégez par les Guifes; ce qui excita encore la
haine publique contre ces Princes , qui abufant , félon leurs ca-
prices , de la libéralité du Roi , faifoient du bien à ceux qui
le meritoient le moins.
Cependant ils fe hâtèrent de faire facrer le Roi, pour ren-
dre encore plus refpe£table ôc plus augufte la perfonne d'un
Souverain fournis à leur volontez. Dans ce deffein ayant paiïé
par Villiers-Cotterets avec le Roi , ôc la Reine mère , ils vin-
rent à Nantueil , château que le duc de Guife venoit d'ôter
fur de mauvais prétextes aux Seigneurs de Lenoncourt , qui
avoient été attachez de tout tems à lamaifon de Lorraine, à
qui ils avoient rendu de grands fervices. Ce fut à Nantueil
que le duc de Guife , qui gardoit encore les apparences avec
Coligni , avertit en fecret ce Seigneur , que le Prince de Con-
dé follicitoit la Cour de lui accorder le gouvernement de Pi-
cardie qu'avoient eu le duc de Vendôme fon père, Ôc le Roi
de Navarre fon frères fous prétexte que Coligni, qui étoit en
même tems gouverneur de Picardie ôc de l'ifle de France ,
ne pouvoit garder ces deux emplois. Ce Seigneur fe fentit
piqué d'abord, que le Prince voulut lui enlever malgré lui, ôc
fans lui en rien dire , un de fes gouvernemens. Mais ayant
bien-tôt reconnu que c'étoit une calomnie inventée par le
cardinal de Lorraine , qui le vouloit brouiller avec le Prince ,
il penfa à s'unir plus étroitement avec lui. Comme il voyoit
que la Cour parohToit décider qu'on ne pouvoit garder deux
gouvernemens de Province , il vit bien qu'on vouloit l'obliger
à fe démettre de l'un des deux. Il réfolut donc de prévenir fes
ennemis , ôc donna fa démifïïon volontaire du gouvernement
de Picardie s avant qu'on le lui ôtât ; difant qu'il ne pouvoit
3S4 HISTOIRE
. fuffire à tant d'emplois. Il fe flatoit que ce gouvernement fe-
r,. roit donné au Prince, qui de concert avec lui follicitoit le
jt Roi de le lui accorder. Mais ils furent trompez l'un ôc l'autre
dans leurs efperances.
* * Les Guifes croyant que c'étoit n'avoir rien fait par rapport
à leurs intérêts , que d'avoir obligé Coligni de fe défaire d'un
gouvernement qui feroit donné au Prince deCondé, s'oppo-
ferent aux prétentions du dernier , ôc déterminèrent le choix
du Roi ôc de la Reine mère , en faveur de BrifTac grand ca-
pitaine, ôc qui avoit rendu d'importans fervices à l'Etat. Par
cet injurieux refus, ils firent fentir au Prince de Condé quelle
étoit leur puiiTance , ôc s'attachèrent BrilTac , qui fut depuis
une de leurs créatures les plus zélées. De Nantueil le Roi vint
à Rheims , où Charle duc de Lorraine Ôc la DuchelTe foeur
du Roi fe rendirent pour faluer ce Prince. La cérémonie du fa-
cre ôc du couronnement fe fit avec une grande pompe , fui-
yant la coutume , en préfence des Princes , ôc des principaux
Seigneurs du Royaume. Outre les princes Lorrains , le Roi
de Navarre > qui n'étoit pas encore parti pour conduire la Reine
d'Efpagne , le Connétable de Montmorenci, Odet cardinal de
Chatillon , ôc Gafpard de Coligni fon frère, affilièrent à la céré-
monie. Ce fut le cardinal de Lorraine archevêque de Rheims,
qui facra le Roi le 20 de Septembre. Durant le fejour de la
Cour à Rheims , la Reine mère , qui aimoit les intrigues ôc
les troubles , fit propofer au Connétable par les Colignis fes ne-
veux , de fe démettre de la charge de Grand Maître de la Mai-
fon du Roi en faveur du duc de Guife, qui en faifoit déjà les
fondions , ajoutant qu'en renonçant à une dignité qui lui étoit
inutile } étant éloigné de la Cour , il feroit une chofe qui lui fe-
roit agréable , ôc au Roi fon fils,
le Connê- Les Colignis ayant fait connoître au Connétable leur oncle
table fe dé- les intentions de la Reine, il refufa d'abord fa démiffion; di-
charge de* ^ant (\UQ Henri II. ayant donné la furvivance de cette charge
jfîraod maître, au duc de Montmorenci fon fils aîné, il ne pouvoit confentir
à ruiner la fortune de fa famille , qu'il étoit obligé de fou tenir.
La Reine menaçant le Connétable de fon indignation, s'il n'o-
béiffoit , ôc d'un autre côté lui faifant efperer , qu'on donne-
roit à fon fils en compenfation le bâton de maréchal de Fran-
ce, qui convenoit mieux à fon âge; il dit, qu'il y penferoit,
ÔC
DE J. A. DE T H O U , Liv. XXIIÏ. 385-
& que lorfqu'il feroit à Chantilli il feroit réponfe. Après qu'il
y fut arrivé , il confulta fes amis, ôc ayant juge que la Cour Fr^cois
étoit déterminée à l'obliger de fe démettre > ôc que cette dé- jj '
million feroit préjudiciable à fa réputation t s'il paroiffoit avoir l'? «
été forcée il conseilla au Duc fon fils de renoncer à la charge
de Grand Maître , après qu'on l'auroit fait Maréchal de Fran-
ce , ôc de fe démettre purement ôc Amplement entre les mains
du Roi , ôc non en faveur du duc de Guife 5 de peur qu'on
ne crût que leurennemi leur avoit fait la loi, ôc les avoit obli-
gez à cette démarche. Le duc de Montmorenci fe rendit donc
à la Cour, qui étoit à Blois , ôc ayant remis au Roi la char-
ge de Grand Maître , il fut créé Maréchal de France furnu-
meraire. l
Alors les Guifes, pour s'attacher plufieurs perfonnes de la
Cour Ôc de l'armée , firent faire une promotion de dix-huit
Chevaliers de l'Ordre. Depuis celle que Louis XL avoit faite
en 1465), on n'en avoit point vu de fi nombreufe. Ce qui fît
que le cordon de cet Ordre , qui avoit été jufqu'alors la recom-
penfe de la vertu ôc des grands fervices à la guerre , s'avilit
peu à peu. Audi Charle Tiercelin de la Roche-du-Maine , gen-
tilhomme d'une vertu digne des premiers terns, difoit fouvent
avec indignation , que le coliier de l'Ordre de Saint Michel
n'étoit plus l'ornement des vaillans hommes , mais un collier à
toutes bêtes , depuis qu'il avoit été donné indiftin&ement à des
gens fans mérite. Après les cérémonies du Sacre , ôc de la ré-
ception des Chevaliers, le Roi vint à Bar, où par le confeil
de la Reine mère , ôc des Guifes , il fe démit de la fouverai-
neté de ce Duché z en faveur du duc de Lorraine fon beau-
frere '■> aviliffant par cette compîaifance la majefté de fon thrône,
ôc relTerrant les bornes de fon Etat. De Bar on vint àChâlons-
fur-Marne, ôc de là à Fontainebleau, où le Roi demeura quel-
que tems.
Cependant on inftruifoit le procès des Confeillers qui avoient on perfécu-
été mis à la Baftilie fous le feu Roi , ôc on faifoit dans Paris te ,es Caivi-
de grandes perquifitions contre plufieurs perfonnes, par l'ordre
du cardinal de Lorraine, ôc par les foins du Préfident de Saint
1 Le nombre des Mare'chaux étoit
fixé : pour obliger François de Mont-
morenci à fe démettre de la première
charge de la maifondu Roi , on le fait
Tome IIL
Maréchal furnumeraire.
2 Le duc de Lorraine en fait hom-
mage au Roi.
Ccc
38tf HISTOIRE
André, 6c de Finquifiteur de Mouchi , qui croyolenc qu*il faî-
loit un exemple dans Paris , pour intimider les Proteftans répan-
dus dans les Provinces. Ils avoient pour émiffaires deux or-
fèvres , nommez de Ruflanges Ôc David , ôc un certain Renard
tailleur d'habits, qui ayant été auparavant de la nouvelle Reli-
gion , pouvoient découvrir bien des chofes. Deux jeunes gens
fe joignirent à eux , gagnez par des promefles, ou intimidez par
des menaces. Ils avoient été apprentifs chez certains arti(ans3
dont ils avoient été maltraitez pour leur mauvaife conduite, ou
qu'ils avoient quittez faute de payement. Ils dépoferent chacun
chez le Curé de leur Paroiffe, qu'il fe faifoit des affemblées défen-
dues dans Paris j ôc ils agraverent cette accufation par des men-
fonges. Car,ils dirent, que non-feulement on s'aiTembloit la nuit,
mais encore qu'après avoir éteint les lumières , on s'abandonnoit
à la débauche. Pour donner plus de foi à ces faits , ils affuroient
qu'ils s'étoient trouvez eux-mêmes chez un Avocat logé à la
place Maubert, où il y avoit un très-grand concours deper-
îbnnes des deux fexes ; que l'on y avoit fervi un cochon de
îait, dont tout le monde avoit goûté , comme fi c'eût été l'A-
gneau pafcah ôc qu'enfuit e les chandelles ayant été éteintes ;
chacun avoit fatisfait fes defirs : ils affirmoient impudemment
qu'un d'entre eux avoit eu alors un commerce criminel avec la
fille de l'Avocat , ôc avoit même contenté fapaiïion jufqu a trois
fois. On ajouta foi à ce que difoient ces deux miferables, lors
même qu'ils fe couvroient d'infamie; l'impofture trouva facile -
ment créance dans Fefprit du peuple , ôc augmenta la haine con-
tre les Proteftans. Cestémoins,ou plutôt ces délateurs, ayant été
entendus ôc interrogez par finquifiteur de Mouchi, furent pré-
fentez par le préfident de Saint André au cardinal de Lor-
raine. Celui-ci les fit venir devant la Reine mère , ôc ayant
repréfenté l'horreur de ces affemblées no£turnes,il la prévint par
le récit de cette horrible calomnie, ôc ladifpofaà ne plus écou-
ter la vérité. Il eft certain que depuis ce tems-là elle fut tou-
jours oppofée aux Proteftans.
Enfin l'Avocat , fa femme , ôc fa fille ayant été arrêtez , Ôc
les témoins récolez ôc confrontez aux accufez par ordre du
Garde des Sceaux, qui foupçonnoit de fauffeté ces délateurs,
ils commencèrent à varier, ôc à dire des chofes détruites par les
dépofitions des autres témoins 5 .enjforte qu'ils furent convaincus
DE J. A. DE THOU , L i v. XXIII. 387
d'impofture» Cependant ce crime demeura impuni* ôc la ven-
gence des innocens fauffement accufez fut négligée , parce Franco r
qu'ils étoient haïs comme fectaires. Avant que la calomnie , tj
dont je viens de parler , fût découverte, on avoit informé con- À
tre ceux qui à l'occafion des opinions nouvelles s'alïembloient
en fecret ; ôc l'on traînoit dans les prifons un grand nombre
de perfonnes de tout fexe. Plufieurs ayant pris la fuite , leurs
biens furent faifis ôc vendus à l'encan. Tout Paris retentif-
foit de la voix des Huiffiers , qui proclamoient des meubles ,
ou appelloient à ban les fugitifs ; on ne voyoit par tout que
des écriteaux fur des maifons vacantes, où étoient reftez en-
core dans quelques-unes de jeunes enfans , que la foibleffe de
leur âge n'avoit pas permis aux pères Ôc aux mères d'emme-
ner avec eux , & qui rempliflbient les rués ôc les places de
leurs cris , ôc de leurs gémifTemens : fpectacle qui tiroit des
larmes des yeux des ennemis mêmes les plus déclarez des Pro-
teftans.
Il n'y avoit plus à Paris que le fauxbourg Saint Germain ,
qu'on appelloit communément la petite Genève, où l'on n'eut
point fait de recherches. Un certain le Vicomte y avoit une
maifon à loyer dans la rue des Marefts , où il recevoit des
hôtes d'Allemagne ôc de Genève. Une troupe d'archers eut or-
dre d'ailieger cette maifon , en préfence de Thomas Brage-
longne juge criminel. Il y avoit alors dans cette auberge
environ feize perfonnes qui étoient à table, lefqu elles effrayées
par le bruit que faifoient les archers , prirent la fuite. Il n'y eut
que les deux frères Soubfelles gentilhommes d'Anjou , ôc do-
meftiques du Roi de Navarre , qui ayant mis l'épée à la main
blefferent plufieurs archers, ôc obligèrent les autres à prendre
la fuite. Bragelongne lui-même , qui étoit à la tête de ces lâ-
ches licteurs , auroit couru rifque de la vie , Ci le Vicomte,
qui craignoit les fuites de cette affaire, ne l'eût dérobé au pé-
ril. Le Vicomte ne laifTapas d'être arrêté ce jour là même avec
fa femme ôc fes enfans ; Ôc comme c'étoitun Vendredi , jour où
l'ufage de la viande eft défendu , on porta devant eux un
chapon lardé, afin d'animer davantage le peuple. Le Vicomte
fut mis dans un cachot avec fa famille , ôc y périt miferable-
ment. Cependant les Soubfelles s'étant retirez , les archers
entrèrent dans la maifon , qu'ils trouvèrent vuide,ôc firent un
grand butin. G c c ij
■38S H I S T O I R È
r^^±±^^, A l'exemple delà capitale, on fit d'exactes recherches dans
François les autres villes du Royaume, fur-tout à Poitiers, à Toulou-
II. fe , à Aix , & dans le diocefe de Narbonne , par les foins qu'eut
1 S S 9' George cardinal d'Armagnac de faire arrêter toutes les per-
fonnes fufpetles. Ces pourfuites donnèrent lieu aux Proteftans,
devenus hardis par leur nombre, de répandre des libelles, ôc
de parler librement contre la Reine mère , contre les Guifes,
ôc contre le Roi même, qui dans un âge affez avancé pour gou-
verner , s'étbit mis , difoient-ils , fous leur tutelle. Ils vou-
loient faire croire par leurs artificieux difcours , que de leurs in-
térêts dépendoit la liberté publique. En ce même tems un des
deux Soubfelles , dont j'ai parlé, qui étoit domeftique du Roi
de Navarre , vint à la Cour , ôc obtint par le crédit de fon
maître des lettres de rémifîion , imputant le meurtre des ar-
chers plutôt à leur témérité qu'à fa faute. Peu content de cette
grâce , il demandoit hautement que les archers qui avoient em-
porté fes meubles ôc fes habits de la maifon de le Vicomte fuffent
condamnez à les lui rendre , ôc traitez comme des voleurs pu-
blics. Cette hardieffe déplut au cardinal de Lorraine, ôc foie
qu'il craignît pour lui-même , foit qu'il crût devoir protéger
ceux qui avoient agi par fes ordres , il fit arrêter Soubfelles
dans la falleoù mangeoit le Roi, par des gardes qui le conduifi-
rent au château de Vincennes.
Ce Cardinal y avoit fait enfermer depuis peu le comte d'A~
ran, à qui il imputoit d'avoir favorifé l'évafion de fon frère
*Ham}Iton. aîné *, qui après s'être échappé de la mêmeprifon , s'étoit ren-
du en Ecoffe, ôc avoit, à ce qu'on croyoit, exciré des trou-
bles en ce Royaume , contre Marie Stuard Reine de France ôc
d'Ecoffe. On gardoit aufïi dans ce Château un certain Coif-
fard, Bailli de Saint Aignan , à qui on avoit trouvé des écrits
injurieux à la Pleine mère, ôc aux princes Lorrains. Il étoit
d'autant plus reiïerré dans fa prifon, qu'il étoit accufé, aufïi-
bien que les Soubfelles, de donner des confeils pernicieux au
Roi de Navarre. Au relie , on déclamoit par tout contre la
puiffance de la Reine mère , ôc des Guifes : on difoit qu'ils
avoient ufurpé par violence , ôc contre les loix de l'Etat, une
Heine mère autorité qui ne leur appartenoit pas. Il parut un écrit à la fin du
Louais"110" mo*s d'Octobre de cette année, où l'onexpofoit que l'Empire
des Francs établis dans les Gaules étoit fondé fur des loix s que
Mémoire
contre la puif-
iànce de la
DE J. A. DE THOU , Li P. XXIII. 3S9
ces peuples ne pouvant conferver fans un chef ce qu'ils avoient m** »^«w
conquis par leur grand courage , avoient fagement choifi un pRAN(-OIS
Roi , ôc après lui les Princes de la même maifon , pour hs gou- jj
verner ; non avec un pouvoir arbitraire , mais félon les loix s <- r o,
aufquelles ils étoient fournis eux-mêmes, ôc qui fervoient de
frein à leur puiflance : Qu'on avoit toujours eu foin que la fuc-
cefîlon fût dévolue au Prince mâle le plus proche de la cou-
ronne, à Fexclufion des filles, ôc des defcendans des filles :
Que nos pères, nez libres Ôc belliqueux, avoient établi cette
fage coutume, non-feulement pour empêcher que des Princes
étrangers,qui auroient époufé les filles de nos Rois,ne parvinrent
à la couronne; mais encore Jin que des PrincefTes nefe mê-^
iaffent par des affaires publiques : Que fi l'âge du Roi le ren-
dort incapable de gouverner , que c'étoit aux Princes du fang
les plus proches du thrône à fe charger de l'adminiftration des
affaires , fuivant les loix du Royaume , jufqu'à ce que le Roi
fut plus avancé en âge : Que cependant il avoit été fagement
établi , que dans ces facheufes conjonctures on affembîeroit les
Etats, pour empêcher la difïipation des finances, pour obvier
à des impôts trop onéreux à un peuple né libre, & pour tem-
pérer une exceffive puiffance par les avis des premiers de l'E-
tat : Qu'on s'étoit fouvent fervi de ce moyen dans les malheurs
publics , pour impofer de juftes fubfides , après avoir entendu
les plaintes des députez des Villes , ôc des Provinces : Qu'il ar-
rivait de là, que chacun fe regardant comme une portion ds
la République, obéiffoit volontiers à fes gouverneurs , ôcàfes
Magiftrats , ôc honoroit fur-tout la perfonnefacrée de fon Roi,
en un Royaume où les peuples aiment ôc honorent leur fouve-
rain , plus qu'aucune autre nation dont il foit fait mention dans
l'hiftoire : Que cette foumiffion étoit l'effet d'un gouvernement
équitable ôc modéré 5 Ôc que les François ne pouvoient fuppor-
ter une domination arbitraire ôcdefpotique, contraire aux loix*
ôc introduite par des vues d'ambition , ôc par une force étran-
gère. Onajoùtoit dans cet écrit, que ce qui s'étoit paffé fous
les règnes de nos Rois étoit une preuve de ce qu'on avançoit;
Que peu s'en étoit fallu que ce Royaume fi floriffant n'eut été
détruit par les guerres civiles, fous les règnes de Louis le Dé-
bonnaire , ôc de Charle le Simple , ôc enfuite fous ceux de Phi-
lippe I. ôc de- Saint Louis, ôc de Charle VI. defcendus de
Ccc iij,
596 H I STO I R E
«■ ■ Hugue Capet, lorfque des Maires du Palais, ôc enfuite d'au-
François tres Pu^ans miniftres , abufant de leur autorité, avoient gou-
jj yerné au gré de leurs pallions 6c de leurs caprices.
- - * » Car eft-il rien de plus raifonnable, difoit-on en cet écrite
s» que de foumettre à la puiffance d'autrui ceux qui ne peu-
» vent fe conduire, à caufe de la foibleiTe de leur âge ; 6c que
a» des Rois qui ne peuvent tenir encore le timon des affaires ,
*> foient éclairez & gouvernez eux-mêmes par le confeil de
» plufieurs ? » On ajoûtoit qu'Ancus Marcius avoit nommé
Tarquin tuteur de fon fils : Que Marc-Aurele , furnommé le
Fhilofophe , avoit donné à fon fils Commode fes amis ôc les
principaux de fa Cour , pour le conduire dans le gouverne-
ment de l'Empire après fa mort : Que le grand Theodofe
avoit laillé la tutelle d'Arcadtus 6c d'Honorius à Rufin 6c à
Stilicon ; qu'enfuite Arcadius , à l'exemple de l'Empereur
fon père, avoit prié par fon teftament Ifiderge roi de Perfe de
prendre la tutelle de Theodofe le jeune. » Après cela , qui ne
» voit , difoit-on, que rien n'eft plus contraire à la raifon, que
» de foûtenir, que le Roi, en attendant un âge plus avancé,
» a confié le foin de fon Etat à la Reine fa mère 6c aux prin-
3> ces Lorrains oncles de la jeune Reine 5 comme fi un pu-
sj pille fe pouvoit choifir un tuteur > 6c comme fi ce qui eft
m défendu aux particuliers par les Loix, devoit être permis en
» la perfonne d'un Roi , dont la bonne ou la mauvaife admi-
« niftration intérefîe tous les peuples , 6c décide ou de la feli-
w cité publique ou du malheur général de la Nation. »
On difoit encore dans ce mémoire, qu'on en avoit toujours
ufé ainfi en France > 6c que fi quelques perfonnes , dans la fitu ac-
tion préfente , étoient en droit de gouverner , c'étoient les
princes du Sang , 6c non des étrangers , qu'on ne pouvoit mettre
à la tête des affaires fans une honteufe prévarication : Que nos
annales foumiffoient plufieurs.exemples de ce qui s'étoit prati-
qué dans des cas femblables : Que Charle le Bel étant mort
en Tannée 1327. laiffant la reine Jeanne d'Evreux enceinte ,
il s'éleva de grandes conteftations au fujet de Tadminirtration
de l'Etat , dans l'incertitude où l'on étoit , li la Reine accou-
cheront d'un fils ou d'une fille : Que d'un côté Edouard III.
roi d'Angleterre , fils d'Elifabeth foeur du feu Roi , reclamoit
la régence 5 6c que d'un autre Philippe de Valois fon coufin*
DE J. A. DE THGU, Liv. XXIII. ftp-i
& préfomptif héritier de la couronne , prétendait que le gou-
vernement du Royaume lui appartenons & qu'enfin cette im- François
portante queftion avoit été décidée par l'avis des Etats gé- IL
néraux affemblez à ce fujet , qui à l'exclufion d'Edouard 3 i y y p.
Prince étranger , déférèrent la régence à Philippe de Valois:
Que Charle V. qui mérita à jufte titre le furnom de Sage ,
avoit ordonné , que Charle fon fils encore en bas âge feroit
élevé auprès de Louis de Bourbon, frère de la Reine ôc Prince
du fang Royal , quoiqu'éloigné de la Couronne , ôc que l'ad-
miniftration du Royaume feroit déférée à Louis duc d'Anjou
fon frère, jufqu'à ce que le jeune Roi eût atteint l'âge dequatorze
.ans , ôc qu'il eût été facré : Et que comme ce Roi inftruit par
fon expérience ; ôc guidé par fa profonde fagefîe , avoit prévu
qu'il s'éleveroit bien des troubles, fi l'Etat étoit gouverné au
nom & fous les aufpices d'un prince du Sang , il avoit ordon-
né par fon édit , que véritablement la puilTance Royale feroit
pour un certain tems entre les mains d'un prince du Sang ,
non héritier de la Couronne ; mais qu'il ne la pourroit exercer
qu'au nom du fils du feu Roi , qui feroit véritablement Roi
immédiatement après la mort de fon père , ôcau nom duquel
feul tous les a£tes feraient donnez , ôc non fous celui du Prin-
ce dépofitaire de fon autorité, qui ne pourroit pas même pren-
dre le titre de Régent. On ajoûtoit que cependant ce tefta-
ment n'avoit pas eu fon entière exécution ; parce que les Etats
généraux , en aboliiïant le nom de Régent , ôc en déférant
l'autorité 6c le gouvernement des affaires au duc d'Anjou /com-
me au premier prince du Sang , ne le lui avoient donné , qu'à
condition de fe conduire par un confeil compofé des premiè-
res perfonnes de l'Etat : Qu'au refte Charle VI. avoit régné fous
l'autorité de ce confeil , jufqu'à l'âge de vingt-deux ans? ôcque
nos annales remarquent , que ce fut la bonne mine de ce prin-
ce , ôc l'amour que fes peuples avoient pour lui , qui firent
fouhaiter qu'il régnât par lui-même , avant que d'avoir atteint
fa vingt-cinquième année.
» Quand des PrinceiTes ont gouverné l'Etat , difoit encore
m l'auteur du mémoire 3 on a toujours vu régner les dillentions
*■> ôc le trouble. Il y a environ quatre-vingts ans que Louis XL
« îailla en mourant fes Etats à Charle VIIL fon fils, encore
392 HISTOIRE
"" ■ =» enfant. Anne T , fœur aînée du jeune Roi , prétendoit à la re-
François * gence > 4ue lui difputoit Louis duc d'Orléans .premier prince
jj* *> du Sang. Ce grand différend fut jugé par les Etats du
i e <? g. M Royaume affemblez à Tours, qui prononcèrent, qu'Anne
« ne fe mêleroit point du gouvernement : Que la régence ne
oî feroit pas non plus déférée au duc d'Orléans , parce qu'il
« n'avoit pas encore vingt-trois ans accomplis; mais que l'Etat
m feroit régi par un confeil fouverain compofé des princes du
" Sang ôc des Grands du Royaume. Après cela doit-on s'éton-
=> ner , fi la puiflance de la Reine mère ôc des Guifes , fur-tout
» du cardinal de Lorraine, paroît fi odieufe ? Les anciennes
a> Loix du Royaume défendent aux Prêtres, ôc à ceux qui font
« fournis au Pape, d'avoir le principal gouvernement de l'Etat.
« Le roi Jean ôta les fceaux à Jean de Dormans évêque de
« Beauvais , ôc Chancelier de France , lorfqu'il fut nommé
« Cardinal ; fur ce qu'il crut qu'on ne pouvoit fervir deux maî-
» très. On fçait encore , continuoit fauteur, que les cardi-
as nauxBaluë ôc de Volfey tombèrent dans la difgrace des Rois
=5 leurs maîtres pour cette même raifon , ôc parce qu'ils avoient
« caufé de grands maux. Le Sénat de Venife , dont on vante
» avec raifon la profonde fageiïe , ne donne aux Eccléfiafti-
« ques aucune part dans le gouvernement de la République.
a> Nos pères fe fouviennent encore des maux, qu'a occafion-
35 nez fous Charle VI. Jean de la Grange , dit le Cardinal
-> d'Amiens , qu'on fouffrit en France plus long-tems qu'on
» ne le devoit , ôc qui ayant été enfin chatte , emporta avec lui
•> d'immenfes tréfors , ôc qui, quoiqu'abfent,nuifit à ce royau-.
» me, parce même pouvoir qu il s'y étoit acquis.
» Véritablement , ajoûtoit l'auteur de cet écrit , deux illuf-
05 très Cardinaux ont aimé la France , ôc ont contribué à fa
» gloire ôc à fa grandeur , George d'Amboife ôc Antoine du
9» Prat. Mais Louis XII. ôc François I. Princes fi fages , ne
os fe font fervis de leurs confeils qu'avec de grandes précau-
3> tions i enforte que lorfqu'il s'agiffoit de quelque affaire où
35 la cour de Rome eût intérêt , ils n'étoient jamais admis au
» confeil. Ainfi ils ne firent point de préjudice à l'Etat , par
~ une autorité qu'alors bien des perfonnes auraient fouhaité
î La duchefle de Beaujeu,
que
DE J. A, DE THOU, Liv. XXIII. m
*» que des Rois fi fenfés ne leur euffent pas confiée. Onfçait ■ » ■ mm»
°> d'ailleurs combien la puifiance des princes Lorrains doit être PrANçois
» fufpe&e. Ils ne difentplus en fecret , mais ils le publient par- \\
05 tout qu'ils defcendent de la race des rois Carlovingiens , qui 1 c r o.
35 furent, difent-ils , privez de la couronne par Hugue Gapet ,
« dont les defcendans régnent fi heureusement depuis plufieurs
» fiécles. Non contens de débiter de pareilles fables démen-
» ties par l'hiftoire , ils ont ofé dire depuis peu, qu'on leur a en-
» levé injuftement le duché d'Anjou 6c le comté de Provence :
» ils en prennent les armes & le nom, Ôc par là ces Princes,
» tout étrangers qu'ils font , fe gliiTent , pour ainfi dire , peu
»> à peu dans la maifon Royale. Or il eft défendu par les loix
« de nommer pour tuteur à un pupille celui qui a des droits
?' litigieux à démêler avec lui. Ce qui a lieu pour les particu-
« liers, ne doit-il pas être obfervé à l'égard des adminiftra-
« teurs d'un Etat 5 les conféquences étant encore plus dange-
35 reufes , ôc intereffant un plus grand nombre de perfonnes ?
» Souvent ces faux prétextes ont fait paffer le fceptre d'une
w famille dans une autre. On fçait quelle fut la perfidie de
» Tarquin l'ancien envers les enfans d'Ancus Marcius. Onn'i-
»' gnore pas l'ingratitude de1 Cleandre,nicellede Rufin ôc de
*> Stilicon, dont j'ai déjà parlé , qui formèrent des deffeins fi
« pernicieux à l'Empire.
On citoit encore dans ce mémoire l'exemple célèbre de
Hieron* roi de Sicile, rapporté parTite-Live. « On lui avoit
s» donné, difoit-on, parce qu'il n'avoit que quinze ans , qua-
» torze Conieillers , pour adminiftrer fon Etat conjointement
*» avec Athenodore fon oncle > ôc telle étoit la difpofition
» du teftament du roi Hieron fon père. Athenodore qui pré-
»' tendoit, comme les princes Lorrains , avoir un droit à la
*> Couronne , ôc qui méditoit de coupables defieins , confeilla
3' au jeune Hieron fon neveu ôc fon pupille d'éloigner de la
o> Cour les autres adminiftrateurs qu'on lui avoit donnez , s'il
s» vouloit être Roi , ôc régner par lui-même. Hieron élevé
6 dans les pîaifirs , ôc au milieu d'une troupe de flateurs , écouta
•» les avis d'un oncle perfide , ôc fe livra entièrement à lui.
1 L'auteur du mémoire vouloit
parler d'un certain Cle'andre d'Argos,
qui fe mit à la tête des enclaves , ôc
Tome III. D d d
excita une fe'dition contre les maîtres
vers la LXI. Olimpiade.
3P4 HISTOIRE
» Après avoir banni du palais les fages tuteurs que le feu Roî
François » lui avoit choifis , il étoit prêt à périr par les mains d'Athé-
II. ™ nodore > qui avoit confpiré contre lui , Il la Nobleffe du
1 S S 9' M royaume n'eût découvert les embûches de ce traître , ôc ne
» l'eût prévenu.
■ Tout le monde voit affez , continuoit-on , où tend cette
» grande foumiiïion des Guifes pour le Pape ôc le S. Siège.
» Ils veulent , à l'exemple de Charle Martel Ôc de Pépin , dont
o> ils fe prétendent fauffement defcendus , ôter la Couronne
» aux Princes de la maifon régnante , laquelle , difent-ils , a
« ôté le Sceptre à leurs ancêtres. Ce fut par des vues auffi am-
^ bitieufes , que le cardinal de Lorraine confeilla au feu Roi
s' de rompre la trêve. Il efpéroit que le Duc fon frère feroit
s» envoyé avec une pu iflante armée, pour faire la conquête du
« royaume deNapîes: que le Pape pourroit alors mourir; que,
» lui Cardinal, pourroit être mis en fa place, & foûtenir les
«prétentions ôc les armes du duc de Guife. » On ajoûtoit ,
que l'infraction de la trêve avoit été fuivie de cette expédi-
tion malheureufe d'Italie , où toutes nos forces avoient été
épuifées , ôc où avoit péri toute la fleur de la nobleffe de Fran-
ce : Que ces pertes avoient occafionné nôtre défaite à la ba-
taille de S. Quentin ; ôc que nous avions été vaincus à Gra-
velines par la faute du duc de Guife, qui demeura dans une
inaction affectée , après la prife de Thionville : Qu'enfin le feu
Pvoi fe voyant épuifé de forces ôc d'argent , avoit été forcé
de faire une paix honteufe ôc nuilible , qui avoit été fuivie de
■conjonctures ôc d'événemens plus triftes que les horreurs de
la guerre. On concluoit , qu'il étoit très dangereux de confier ,
contre les loix 3 la principale autorité à des Princes fi mal in-
tentionnezpour l'Etat, ôc que fi on ne les prévenoit de bonne
heure , ils étoient fur le point d'exécuter des defleins qu'ils
avoient depuis fi long-tems méditez.
Les princes Lorrains avertis des écrits répandus contr'eux
dans le public , au lieu de répondre , mirent auprès du Roi
une garde Italienne, outre la garde ordinaire , dont ils fe dé-
fioient : ils en ufoient ainfi , plutôt pour leur propre fureté ,
que pour celle de la perfonne du Roi. Au refte , comme l'au-
torité de la Reine mère étoit attaquée dans le long écrit dont
<iuCfiUet. ' je viens déparier.» Jean duTillet greffier du Parlement, très
DE J. A DE THOU, L'iv. XXIII. 39Ï
verfé dans la connoiflance de nos loix ôc de nos coutumes * ■ ■
mais qui n'étoit pas maître décrire avec une entière liberté * François
y répondit par un livre , qui a pour titre , De la Majorité du Roi. \\
Il compile dans cet ouvrage nos loix municipales, ôc il fait l r e- a.
voir , que les Rois de France forcent de tutelle en fortant de
l'enfance, ôc avant l'âge de quinze ans: Qu'il leur a toujours
été permis , comme aujourd'hui , de fe choifir un confeil »
<ôc de mettre à la tête des affaires ceux qu'ils jugent à propos.
Enfuite il prouve par des exemples , que la régence n'a pas
toujours été donnée au premier prince du Sang royal. Il
cite à cefujet Henri I. qui, à l'exclufion de Robert fon frère,
confia la tutelle de fon fils Philippe au comte de Flandre fon
beau-frere. Il ajoute ,que Louis le jeune inftituapar fon tefta-
ment , pour régent ôc pour tuteur de Philippe Augufte fon fils,
l'Archevêque de Rheims , fans avoir égard aux Princes fes frè-
res : Qu'enfin Louis VIII. donna la conduite de l'Etat ôc de
la perfonne de Louis IX. fon fils à la reine Blanche fa mère,
ôc la déclara Régente , en excluant fon frère Philippe ; ôc que
ces deux derniers Rois ont donné plus dune fois la régence
ôc le gouvernement de leur Etat à des Abbez de S. Denis ,
lorfqu'ils partoient pour la terre Sainte. Du Tillet fait en-
fuite mention de l'édit de Charle le Sage , aufujet de la ma-
jorité de nos Rois , ôc dit , qu'il feroit étrange , qu'un Roi
qui peut , fuivant les Loix , fe choifir un confeil , fût obligé
d'en prendre un , fuivant les vues des Princes étrangers voi-
fins de la France. Du Tillet défigne en cet endroit les Cal-
viniftes , qui avoient agi auprès des princes Allemands de
la Confeflion d'Aufbourg , afin qu'entrant dans nos diflen-
ilons , ils procuraient un Confeil légitime félon eux. Enfuite
il déclame contre les Proteftans , ôc fur-tout contre l'auteur
anonime de l'écrit dont j'ai parlé , qu'il appelle un autre
Achitophel. Il dit, qu'ils font feuls les auteurs de tous nos
troubles s que la trompette à la main ils animent les peuples ,
ôc allument le feu de la fédition j que l'on peut enfin ôc que
l'on doit prendre les armes contr'eux.
Il parut peu après un Ecrit , qui répliquoit à tous les ar- Réplique â
ticles de celui de du Tillet. On y foûtenoit que les loix mu- décrit de du
nicipales ne regardoient que les particuliers , ôc non les Rois l et°
$c la fucceflion au thrône , fuivant le témoignage même de
Dddij
39* ' HISTOIRE
■ m Fauteur qui s'en fervoit mal à propos : Qu'il n'étoit pas plus
François neureux dans l'exemple de Henri I. qu'il avoit cité , & qu'il
jj^ n'étoit ni étonnant , ni contre les loix , que ce Prince eût ôté
j - - ^ la tutelle de Robert fon fils à un frère , qui étoit criminel de
leze-majefté , comme ayant voulu lui ravir la Couronne :
Qu'il paroît même par les annales , que les peuples de Gaf-
cogne avoient follicité le Roi , de ne pas déférer la régence
à un Prince d'une fidélité aufïi fufpecle alors , que l'étoit aujour-
d'hui celle des princes Lorrains à tous les bons François :
Qu'il y a une grande différence entre une tutelle déférée par
le teftament d'un père, & celle que la Loi donne aux enfans
quand le père meurt ab mtejîat : Qu'on citoit mal à propos
l'exemple de Louis le Jeune , père de Philippe Augufte , qui
avoit feize ans quand le Roi fon père mourut, &: qui n'auroit
pas dû avoir même, félon le fyftême de l'auteur de l'écrit, l'ar-
chevêque de Rheims pour tuteur : Que fi les frères du Roi
furent alors éloignez de l'adminiftration des affaires , c'eft par-
ce qu'ils menoient une vie retirée , ôc qu'ils étoient incapa-
bles même de régir leurs biens : Que d'ailleurs ni cet exem-
ple ni celui de Louis VIII. ne prouvoient rien ; ces Princes
ayant établi avant leur mort les adminiftrateurs de leur Royau-
me , & les Etats généraux ayant décidé qu'ils le pouvoient >
mais que le feu Roi n'avoit point lailTé de tuteurs aux Princes
fes enfans , ôc que ce choix étoit dévolu de droit aux Etats ,
qui avoient feuls le pouvoir de lui choifir un Confeil légitime :
Que ce qu'on alléguoit des rois Louis VIII. ôc Louis IX.
qui en partant pour la Paleftine avoient déféré la régence ,
non aux princes de leur Sang , mais à des Abbez , ne venoit
point au fujet ; puifqu'il efl fans difficulté , qu'ils pouvoient
de leur vivant faire un choix , qu'il leur étoit même permis
de faire par un teftament : Qu'à l'égard de l'édit de Charle
V. fur la majorité de nos Rois , il n'avoit pas même été exé-
cuté en la perfonne de Charle VI. fon fils , qui n'avoit gou-
verné la France par lui-même , qu'après vingt-deux ans ac-
complis ; l'autorité fouveraine ayant réiidé jufqu'à ce tems-là
dans un Confeil légitime, compofé des princes du Sang, ôc des
premiers du Royaume , fuivanr l'ordonnance des Etats géné-
raux affemblez à Tours : Qu'au refte on ne pouvoit trop blâmes
l'auteur du livre de la Majorité du Roi , qui au lieu de défendre
DE J. A. DE THOU , Liv. XXIII. 397
les droits de la Couronne par la connoifTance profonde qu'il <■
avoit du Droit François 3 abufoit honteufement defon fçavoir, François
pour établir une puilTance injufte, qui ruineroit la France : n'
Que cet auteur n'avoit point répondu à l'objection la plus i ç r o,
elTentielle , qui étoit 3 que les princes Lorrains , Ôc comme
étrangers, ôc comme fufpects , dévoient être éloignez du ma-
niment des affaires publiques : Qu'il avoit évité habilement cet
écueil , pour répandre le fiel de fa plume vénale fur lesPro-
teftans , comme fur des perturbateurs du repos public : Qu'il
étoit lui-même cet Achitophel dont il avoit parlé dans fon der-
nier livre 3 ôc qu'on ne pouvoit fe méprendre à la reffemblan-
ce de leur caractère : Que comme le mauvais confeiller d'Ab-
falon excitoit les peuples fidèles à violer les loix de l'équité ,
ôc à répandre le fang de leurs concitoyens , qu'ainfi il fonnoit
le tocfin, pour exciter des féditions , ôc remplir la France de
meurtres Ôc de carnage.
Au refte, la conjoncture des tems fît defapprouver l'ouvra-
ge de du Tillet , par la haine que l'on portoit alors aux prin-
ces delà maifon de Guife,en faveur defquelsil fembloit avoir
été publié. Mais la face des chofes ayant changé fous la mi-
norité de Charle IX. le chancelier de l'Hôpital , qui voyoit
la France divifée par des factions , ôc qu'elle penchoit vers fa
ruine , par l'ambition de ceux qui avoient la principale autorité ,
fit valoir ce livre , ôc le fit inférer dans le recueil des Ordon-
nances Royaux. Alors les princes Lorrains paroiffoient fur-
tout occupez du foin de remplir par toutes fortes de moyens *
préjudiciables même à plufieurs > le tréfor Royal , que les
guerres paffées avoient épuifé. Leurs ennemis ne manquèrent
pas de dire que ces arrangemens 3 qui paroiffoient falutaires à
l'Etat, étoient pris uniquement , pour fournira ces Princes de
quoi fatisfaire leur ambition ôc leur cupidité.
Il vint en ce tems-là de plufieurs provinces du Royaume un Edit inhi^
grand nombre de perfonnes, pour demander au nouveau Roi,
qui étoit alors à Fontainebleau , le payement de ce qu'elles
prétendoient leur être dû 3 ôc folliciter des récompenfes de leurs
fervices , des penfîons ôc des bénéfices. Il étoit impoffible de
fatisfaire tant de gens ; ôc l'on imagina un moyen plus court
de répondre à leurs demandes. Les Guifes donnèrent au Roi
le confeil extrême ôc inhumain } de faire élever un gibet aux
Dddiij
main.
5pS HISTOIRE
m ■ - environs de Fontainebleau , &: de donner un édit, qui fut pu-
Francois bn<^ ^ecîue^ enjoignoit à toutes perfonnes de quelque condi-
U* tion qu'elles fulTent, qui s'étoient rendues à la Cour pourfol-
j r r gm liciter despayemens de dettes , récompenfes ou bénéfices , d'en
fortir dans vingt-quatre heures , fous peine d'être pendues. Cet
édit imaginé par le cardinal de Lorraine, homme violent, le
rendit fort odieux , auffi bien que le duc de Guife fon frère.
Ceux qu'on avoit amufez jufques-là ,par de vains détours &
de belles paroles, ne purent fouffrir un traitement fi indigne;
fur-tout les gens de guerre , qui voyoient avec indignation
que leurs grands & longs fervices demeuroient fans récom-
penfe.
Maladie du j^Q j^Qj qU^ ^toit tourmenté depuis longtems de la fièvre
quarte , en fut alors délivré. Il étoit devenu affez grand , ôc
il paroiffoit à fon âge & à fa taille , qu'il étoit en état de gou-
verner par lui-même 5 ce qui flattoit les Guifes , & décrédi-
toit les plaintes de leurs ennemis. Mais la mauvaife fanté du
Prince ne laiffoit pas d'inquiéter les premiers. Son teint or-
dinairement pâle & livide vint à fe couvrir de puftules & de
rougeurs. Il fe rendit à Blois par l'avis des Médecins , pour
y refpirer un air plus pur en ce lieu , où il avoit pafTé fon en-
fance. La maladie du Roi donna lieu à une fable malicieu-
fement controuvée. On difoit qu'il avoit la lèpre , et que des
hommes chargez d'ordres fecrets parcouroient les provinces
-voifines de la Loire , ôc arrachoient les enfans au-deffous de
iix ans d'entre les bras de leurs mères, pour enfuite les égor-
ger. On ajoûtoit que le Roi avaloit ce fang encore chaud ,
& s'y baignoit , pour corriger la nature vicieufe du lien, dont
la maffe étoit corrompue 5 & que les Médecins avoient con-
feillé ce remède. On ne fçait il ce furent les ennemis des
Guifes , ou les Guifes mêmes , qui autoriferent cette fable gé-
néralement répandue , ôc fi ces Princes , qui dès lors avoient
les plus ambitieux defleins , ne vouloient point parla rendre
la maifon Royale odieufe , & en même tems irriter l'efprit
du Roi contre les Calviniftes, comme auteurs d'une fi horri-
ble calomnie. Ce qui eftde certain, eft que les Proteftans im-
putèrent dans leurs écrits ce menfonge malicieux au cardinal de
Lorraine , qui l'avoit autorifé , difoient-ils , non pour rendre
odieux un Roi fous lequel ils étoient tout-puiffans 3 mais pour
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIII. '399
éprouver la patience des peuples , irritez contre la domination »
des Guifes. On prit quelques-uns de ceux qu'on difoit s'être François
chargez de ces ordres cruels , qui furent condamnez au dernier j \
fupplice : un d'eux foutint avec opiniâtreté jufqu'à la mort , 1 ç ç ç,
que le cardinal de Lorraine lui avoit donné cette horrible
commifïion. Quoiqu'il en foit, il efl certain que le Roi dès
fon enfance avoit une fanté extrêmement foible j ce qu'on attri-
buoit à la conftituticn de Catherine deMedicis , qui n'avoit été
fujette que très-tard aux incommoditez ordinaires des femmes.
On difoit auiTi que le Roi ne fe mouchant ôc ne crachant jamais,
les humeurs avoient pris par l'oreille un cours , qui étant con-
tre l'ordre de la nature, avoit enfin caufé cette corruption,
qui fut fuivie de fa mort.
Cependant on inftruifoit le procès d'Anne du Bourg , & des procès de
autres Confcillers détenus à la Baftile. Les Guifes preflbient <*« Bourg.
le jugement de cette affaire , croyant s'attirer par-là l'affection
des peuples , & leur faire oublier une domination , qui étoit
devenue odieufe. Avant que du Bourg eut appelle de la Sen-
tence de l'Evêque de Paris à l'Archevêque de Sens , il en avoit
appelle comme d'abus au Parlement de Paris; fuivant un ufa-
ge fage , utile & politique , reçu depuis plufîeurs années parmi
nous , & que nos pères ont heureufement établi , pour main-
tenir en même-tems la Religion & la Majefté royale contre
les entreprises de la juridiction Eccléfiaftlque , lorfqu'elle pafle
les juftes bornes de la puiflance qui lui eft donnée. L'appel
comme d'abus ayant été plaidé à l'audience du Parlement, en
préfence des cardinaux de Lorraine & de l'Archevêque de
Sens , que du Bourg avoit recufez comme fufpects 5 il fut pro-
noncé qu'il n'y avoit point abus. L'affaire ayant été ainfi dé-
voiuèà l'Archevêque de Sens, il confirma le jugement de l'Of-
ficial de Paris. Du Bourg ayant porté au parlement un fécond
appel comme d'abus de la Sentence de l'Archevêque, on dé-
clara cet appel frivole , & interjette par attentat au premier
Arrêt. Enfin le jugement de l'Archevêque de Sens ayant été
confirmé par l'Archevêque de Lyon , qui étoit alors le cardi-
nal de Tournon , du Bourg condamné par trois fentences con-
formes , fut renvoyé à l'Evêque de Paris.
Comme en exécution des Sentences on dégradoit du Bourg;
fuivant l'ufage ordinaire , du caractère de Prêtre , dont il étoit
Tome III. D d d iiij *
4co HISTOIRE
revêtu , il déclara qu'il acceptoit avec joye une peine qui effa«
François çoitenlui le ligne de la bête, dont il eft parlé dans l'Apo-
j j# calypfe , & qui lui ôtoit toute conformité avec V Antechrift. Plu-
i ç1 < g. fieurs crurent qu'il avoit voulu prolonger le jugement de fon
procès par fes differens appels , qui donnèrent lieu à des procé-
dures de plufieurs mois. Il avoit expofé d'une manière allez équi-
voque fes fentimens fur îa Religion dans fes premiers interroga*
toires: fes amis lui confeilloient d'adoucir fes juges par des répon-
fes modérées, & d'éviter par là un Arrêt rigoureux. Au contraire
les partifans des nouvelles opinions l'encourageoient fortement
par un Miniftre de leur Religion , à perfifter dans fes fentimens.
Le Miniftre lui répetoit fans ceiTe , qu'il ne devoit pas par un
difcours équivoque , abandonner la caufe de Dieu , qui ne l'a-
bandonneroit pas > que Dieu étoit plus puiflant que les hom-
mes > qu'il devoit perféverer , & ne pas préférer une vie cour-
te & paflagere à un bonheur éternel ■> que fes juges, quoique
malintentionnez pour lui, feroient déconcertez , s'ils le voyoient
inébranlable dans fa foi j que fi le Seigneur en ordonnoit au-
trement , il feroit comblé d'une gloire éternelle , & triomphe-
roit avec les Saints , en préfence de Dieu & des Anges , après
avoir laiffé aux hommes cette grande leçon , qu'il faut préférer
la vertu à toutes chofes : qu'il devoit donc rejetter les lâches
confeils de fes amis qui vouloient lui perfuader de ménager
fa vie, au préjudice de fa réputation & de fon falut éternel a
& fe préparer avec un grand courage , & une confcience pure s
à foutenir le combat. Ces difcours ayant fait plus d'impreffion
fur l'efprit de du Bourg , que ies confeils de fes amis , il écri-
vit au Parlement ; que s'il avoit jufques-là interjette differens
appels , que ce n'avoit point été pour prolonger fa vie , qu'il
avoit eu recours à ces formes de l'ordre judiciaire ? mais pour
ne rien omettre de ce qui pouvoit foutenir la juftice de fa cau-
fe , & afin que fon affaire étant plufieurs fois difcutée fut mieux
éclaircie. Il joignit à cette lettre un mémoire contenant fa con-
feffion de foi, où il rétractoit la première qu'il avoit faite,
comme conçue en termes ambigus , & où il en propofoit une
nouvelle , en tout conforme à celle de Genève , & des Suifles
Proteftans, il y déclamoit auiïi contre le Pape , & difoit qu'il
vouloit vivre & mourir dans cette croyance.
En ce tems-là le Roi reçut une lettre de Frédéric Electeur
Palatin
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIII. 401
Palatin, qui le prioit de faire grâce à du Bourg, ôc de vouloir ~-
bien le lui envoyer. Ce fut peu après que le Préiident Minard François
revenant du Palais à fa maifon , qui en étoit fort éloignée , fut II.
blefle à mort vers la fin du jour , d'un coup de piftolet qu'on 1 S S ?•
lui tira. On fçut depuis que le Maître Ôc Saint André auroient _ ..
^,1 > Ç-i z1 • iv r> 1 • 1» Supplice
eu le même iort , s ils etoient venus ce jour la au râlais 1 après d'Anne du
dinée. Du Bourg avoit plufieurs fois recufé Minard , comme un Bowg.
homme qui avoit donné des confeils violens au feu Roi , ôc
dont les mœurs n'étoient pas d'ailleurs irréprochables j & il avoit
ajouté, que s'il ne s'abftenoit de lui-même d'être fon juge, il
y feroit contraint par quelque moyen. Quoique ce discours
fût plutôt un effet de la prévoyance de du Bourg, que de fa
complicité, cependant il donna lieu de croire qu'il fçavoit quel-
que chofe des deffeins qu'on avoit contre le Préiident. Cet
attentat hâta la perte de du Bourg :1e cardinal de Lorraine di-
foit que , par refpecl pour la mémoire du feu Roi , on devoit le
punir; il craignoit d'ailleurs, que le Roi fe rendant aux inftan-
ces de l'Electeur, ne lui rendît le prifonnier , dont l'impunité
augmenterait la hardieflede ceux quiavoient ofé aflafliner Mi-
nard. Ainfi trois jours après, les Commiflaires le condamnèrent à
la mort. Lorfque, fuivant l'ufage , on lui lut fon jugement, il
n'en parut point confterné ; ôcdit, qu'il pardonnoità fes juges,
qui avoient jugé félon leur confcience 3 mais non félon la fcien-
ce qui vient d'enhaut , ôc félon la fageffe de Dieu. Enfuite ,
ayant comme adreffé fon difcours à fes juges , il dit plufieurs
chofes fur le jugement éternel de Dieu , ôc s'animant un peu,
il finit ainfî : Eteignez vos feux , <& renonçant à vos vices , conver-
îiffez-vous à Dieu > afin que vos péchez foient effacez } & vousfoient
remis. Que Nnjujîe abandonne fa voie , & que détejlant fes deffeins
pervers, il retourne au Seigneur , & il aura pitié de lui. Pour vous,
o Sénateurs t vivez heureux. Penfez fans ce/Je à Dieu , & en Dieu»
Je vais avec joie à la mort. Ayant dit ces paroles , qui furent
recueillies par le Greffier, ôc que j'ai ici copiées , il fut con-
duit dans un tombereau à la Grève ( lieu deftiné pour le fup-
plice) entouré d'un grand nombre de foldats à pié ôc à che-
val, comme fi on eût appréhendé une émotion populaire. Là
il dit peu de chofes au peuple , comme il l'avoit promis , ôc
ajouta qu'il avoit été condamné , non comme un voleur, mais
pour l'Evangile de Dieu 3 enfuite il ôta lui-même fes habits.
Tom. IIL Eee
402 HISTOIRE
"" ; Lorfqu'il montoit à l'échelle, on l'entendit prononcer ces mots'
François plufieurs fois : Mon Dieu ne rrf abandonnez pas > de peur que je
II. ne vous abandonne. Enfuite il fut étranglé, ôc jette dans le feu.
1 S S 9' Telle fut la fin d'Anne du Bourg à l'âge de trente-huit ans. II
étoit né à Riom en Auvergne dune famille riche, dont étoit
forti Antoine du Bourg Chancelier de France fous François I.
Après avoir profeiTé le droit à Orléans avec un grand fuccès,
il fe diftingua encore davantage par fon intégrité dans le Par-
lement de Paris, où il avoit été reçu Confeiller. Plufieurs, ôc
ceux mêmes qui condamnoientfes fentimens, firent des vœux
pour fa liberté durant fa prifon , ôc folliciterent en fa faveur,
ôc tous donnèrent des larmes finceres à fa mort. Mais ceux
qui avoient abandonné le culte de l'Eglife Romaine , fu-
rent confirmez dans leur Religion par fa confiance , ou telle-
mentanimez par fon fupplice, qu'on croit que de fes cendres
il fortit , fi je puis parler ainfi , une moiflbn funefle de confpi-
rations ôc de révoltes, qui défolerent ce Royaume jufques-là
fi floriffant.
jugement Enfuite les CommifTaires jugèrent les autres Confeiîlers.
très Confeil- H eft à propos de dire que la Grand'Chambre du Parlement-
lers. de Paris penfoit autrement que la Tournelle , fur les peines
dont on devoit punir les Sedaires. Celle-ci penchoit vers la
douceur, ôc croyoit qu'on ne devoit les punir que par l'exil,
ôc par d'autres peines afflictives de cette efpece ; au lieu que
ceux de la Grand'Chambre étoient d'avis que l'on condam-
nât les Proteftans au dernier fupplice. C'elt ce qui avoit occa-
fionné la Mercuriale , dont j'ai parlé, où le Confeiller Eufta-
che de la Porte avoit donné en opinant de grandes louanges
aux premiers, ôc avoit blâmé avec aigreur la févérité outrée
des autres. La Porte fut condamné, par le jugement des Com-
mifTaires déléguez , à déclarer en plein Parlement, qu'il approu-
voit fans réferve, ôc refpecloit les Arrêts delà Grand'Cham-
bre. Paul deFoix qui avoit été d'avis , qu'on fît une diftinttion
dans les peines, dont onpuniroit les Sectaires , ôc qu'on châ-
tiât plus févérement ceux qui nioient la réalité des Sacremens
de la Religion , que ceux qui formaient des doutes fur la for-
me des Sacremens , fut condamné à déclarer , les Chambres
affemblées , que dans le Sacrement de l'autel la forme eft in-
féparable de la matière , ôc que cette forme eft celle dont fe
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIII. 4°3
fert l'Eglife Romaine : de plus il fut interdit pour un an. Le
procès du Confeiller du Faur fut d'une plus grande difcufïïon, François
parce qu'il fe défendit avec courage , ôc qu'il anima par là fes H-
ennemis, Jl a voit préfenté une requête au Parlement, ou ildi- l 5 5 9-
foit, qu'il lui avoit été miraculeufement révélé (il fe fervoit
de ces termes de peur d'être obligé de nommer les perfon-
nes ) que Saint André, qui préfidoit à la commiffion , non feu-
îement blâmoit avec aigreur l'avis des autres juges ; mais même
qu'il les intimidoit par des menaces , ôc génoir la liberté des
furfrages j qu'ainfi il demandoit qu'il lui fût permis de le re-
cufer comme fufpecl. Mais comme il ne citoit aucuns témoins
pour autorifer fa recufation , il fut jugé coupable , pour avoir
ofé témérairement avancer, qu'il n'y avoit point de remède plus
fur pour extirper les héréfies , que l'affemblée d'un Concile
œcuménique, ôc qu'en attendant on devoitfufpendre lesfup-
plices dont on puniiToit les Sectaires. On le condamna à de-
mander pardon à Dieu , au Roi , & à la Juftice , à une inter-
diction de cinq ans, ôc à payer une amende de cinq cens li-
vres au profit des pauvres. Cette amende fut ajoutée, afin
que le jugement, qui ne le privoit que pour un tems des fonc-
tions de fa charge , parût emporter une note d'infamie. On
ordonna de plus que la Sentence feroitlûë en plein Parlement
ôc y feroit exécutée. Cependant du Faur , qui étoit ferme ôc
intrépide , protefta contre un jugement qu'il difoit vicieux , ôc
extorqué par Saint André , qui avoit intimidé les autres juges.
Le président deThou, indigné contre les intrigues ôc contre
îes violences des ennemis de du Faur , étoit d'avis , qu'on ne
devoitpas rejetter fa proteftation , énoncée dans une requête
qu'il avoit préfentée au Parlement , puifque perfonne n'igno-
roit les emportemens de Saint- André. Comme on opinoit là-
deffus,il s'éleva de grandes difputes : les Confeillers étant fort
oppofez, ôc opinant avec grande animofité, le Roi évoqua
cette affaire , fur le prétexte qu'il étoit de très-mauvais exem-
ple , que des juges , qui doivent conferver entre eux la paix ,
la modération ôc la concorde , combattiffent leurs avis mutuels
avec tant d'aigreur. Cet arrêt du Confeil paroiffoit rendu en
faveur de Saint André, lequel fut obligé néanmoins, quoiqu'ap-
pefanti par les années , de comparoître à la Cour fur les vives
inftances de du Faur , qui ne cefla d'importuner à ce fujet te
Eee ij
4o4 HISTOIRE <
. cardinal de Lorraine. L'affaire ayant été difcutée au Confeil
François ^u ^°*' aPr^s ^e v*ves conte^ations fut renvoyée au Parle-
jj ment, qui l'examina une féconde fois , ôc ordonna que leju-
x - 1 Q gement des CommifTaires députez feroit rayé Ôc biffé des re-
giftres , ôc que du Faur feroit rétabli dans les fondions de fa
Jugement des l
Commiflaires cnaige.
rayé & biffé. Le courage ôc la fermeté de ce Confeiller, qui lui réulîît
heu reufe ment , ouvrit un chemin à Paul de Foix , pour faire
annuller dans la fuite le jugement rendu contre lui, ôc pouu
rentrer dans les prérogatives de fa dignité. Le préfident de
Thou le fervit utilement , ôc fit réformer par lés chambres af-
femblées , ôc après une mûre délibération 3 un jugement où l'am-
bition d'un petit nombre avoit eu part. Paul de Foix fut ho-
noré dans la fuite de plufieurs ambaffades , où fa capacité , fon
adreffe ôc fa prudence lui acquirent beaucoup de gloire. Il fut
même envoyé à Rome , à la follicitation du cardinal de Pelle-
vé. Il eft vrai qu'il y fut traité indignement par Grégoire XIII.
qui crut devoir plutôt avoir égard à une fentence rendue pas
quelques juges dévouez, ôc contraire au privilège des Of-
ficiers du Parlement, qu'à l'Arrêt pofterieur donné les Cham-
bres affemblées.
Les CommifTaires n'avoient plus qu'Antoine Fumée à ju*
ger. Celui-ci ayant trouvé le moyen de reprocher une partie
de fes juges, ôc d'en avoir d'autres, en untems où les animo-
fitez étoient rallenties , fut plus heureux que ne Tavoient été
fes confrères accufez. On croit que la Reine mère follicita fes
juges en fa faveur , à la recommandation du feigneur de Par-
tenai de Soubife favori de cette PrincefTe , ôc ami particulier
de Fumée. Ce Confeiller ayant été élargi ôc rétabli dans fa
charge , fe préfenta au Parlement ôc lui rendit de très-humbles
grâces , de ce que les Magiftrats équitables de ce corps lui
avoient enfin rendu juftice , en un tems où d'infâmes délateurs
n'avoient plus ofé paroître, Ôc où les nuages étant difîîpez ,
le calme ôc la tranquillité avoient régné dans les efprits. De
Thou eut auffi beaucoup de part dans le jugement favora^
ble qu'obtint Fumée. Ce Préfident, foûtenu de fa feule innocen-
ce , ne craignit point dans ces tems orageux de s'expofer à la
haine ou à l'envie de plufieurs > pour fauver tant d'illuftres
Magiftrats.
DE J. A. DE THOU , Lrv. XXIÏÏ. 40?
Cependant des hommes ennemis de la paix ne ceflbient de .
preffer les princes Lorrains de venger le meurtre de Alinard. François
Le Procureur général Bourdin envoya à la Cour un certain
des Croifettes fon émiffaire , pour lui déclarer au nom du Parle- l $ 5 9*
ment, qu'on avoit des preuves, que Robert Stuard Ecoffois de-
voit un certain jour avec fes complices mettre le feu en plu-
fleurs quartiers de Paris , ôc brifer les portes des prifons > où,
les Seclaires étoient renfermez , tandis que le peuple feroit
occupé à éteindre les incendies. Cette dénonciation donna
lieu à une déclaration du Roi datée de Chambor , qui or-
donnoit au Parlement de châtier féverement les perfonnes fuf-
pe£tes , ôc de travailler fans retardement à leur procès. On tira
donc de toutes les chambres du Parlement des juges , pour corn-
pofer quatre tribunaux extraordinaires , qui travaillaient à ces
affaires. Bientôt les prifons demeurèrent vuides ; les uns ayant
été condamnez à mort ; les autres à faire amende honorable^
à être bannis , ou à fubir d'autres peines. On avoit arrêté aufli
Robert Stuard , qui reclama en vain la protection de la ' jeune
Reine , dont ilfe difoit parent : cette Princeffe qui vouloit obli-
ger les Guifes fes oncles, nia qu'il eût cet honneur. Comme on
ne trouva point de preuves allez fortes contre lui, il fut appliqué
à la queftion , qu'il foûtint fans rien avouer, ôc fut enfuite laifle
dans la prifon,parce qu'on le craignoit. En cetems là on tua allez
près de Chambor un homme appelle Julien Firmin, qui étoit
aux Guifes , ôc qui étoit chargé de pîufieurs de leurs lettres
pour différentes perfonnes 5 ce qui irrita extrêmement ces
Princes.
La Reine mère, ôc les Guifes ne voyoient qu'avec peine Origine des-
que pîufieurs demandoient une affemblée des Etats, qui au- £ret^sam^s°~
roit donné des bornes à leur puiffance. Ils accufoient de re- & des petites
bellion ceux qui ofoient propofer cette convocation 5 ôc voyant ^mages de.
que les Proteftans , dont le nombre devenoit plus grand de font au coiï3
jour en jour, fe joignoient aux premiers, pour appuyer leur de- des'-ues <te
mande , ils jugèrent à propos d'écarter ces derniers } en les- *
intimidant par la rigueur des fupplices. On eut recours à une
infinité d'artifices pour les perdre, ôc on leur tendit des pièges
de toute manière, pour avoir lieu de punir ceux qui le meri-
toient le moins. Car ce fut alors qu'on plaça dans les villes3:
1. Marie Stuard.
ee m
40$ HISTOIRE
Ôc fur-tout à Paris , au coin des rues , de petites Notre-Dames,
François & des images de Saints, ornées 6c couronnées de fleurs , de-
II. vant qui on allumoit des cierges ôc des chandelles. Des valets,
1 5 S 9* des porte-faix , des porteurs d'eau , ôc d'autres gens de la lie
du peuple s'affeinbloient devant ces ftatuës , Ôc y chantoient des
;cantiques d'une manière jufqu'alors innouie, au mépris delà
difcipline de l'Eglife , ôc des fonctions facrées de nos Prêtres.
Près de ces images étoient pofez de petits troncs , où les paf-
fans étoient forcez par des gens chargez de cet emploi, de met-
tre de l'argent pour l'entretien des lumières. Si on refufoit de
payer ; fi on paffoit devant les ftatuës fans les faluer , quoique
ce fût fans defîein ; Ci enfin on ne s'arrêtoit pas avec refpecl,
lorfque le bas peuple entonnoit ces chants ridicules , on étoit
aufïi-tôt maltraité, comme hérétique ou fufpecl ; ôc on fe croyoit
heureux de n'avoir eu que des coups , de n'avoir été que traî-
né dans la boue , ôc d'être conduit en prifon , fans avoir per-
du la vie. Ces indignes traitemens, bien loin d'abattre les enne-
mis de la Cour ôc les Proteftans, les irritèrent au dernier point,
les obligèrent à s'unir encore davantage , ôc à former une con-
juration la plus" hardie ôc la plus mémorable qui foit dans nos
annales. Nous en parlerons dans le livre fuivant , après avoir
rapporté dans celui-ci les affaires étrangères.
Affaires d'I- Après qu'on eut rendu, en conféquence de la paix , Mariem-
bourg ville du payis de Luxembourg, Ivoi, Mont-midi, ôc
quelques châteaux voifms ; Briffac ayant fait fortir fon canon
de Valence , déclara qu'il étoit prêt d'évacuer les autres places
d'Italie comprifes dans le traité. Cependant les Siennois, aveu-
glez par le defir de conferver leur liberté j crurent que leurs
affaires avoient changé de face par la mort de Henri II; quoi-
que Jean Evrard de Saint Sulpice fut arrivé à Montalcino ,
ôc que Guevara prefsât, afin qu'on remît les villes de Tof-
cane entre les mains du Roi d'Efpagne, comme l'on en étoit
convenu. Le Duc de Florence , qui craignit qu'un plus long re-
tardement ne nuisît à fes affaires , donna ordre à Vitelli d'atta-
quer les Siennois au nom du Roi d'Efpagne, s'ils refufoient
de lui obéir , après que la garnifon Françoife feroit fortie de
Montalcino ; ôc il dépêcha en même tems Léon Santi à Ben-
tivoglio, pour traiter avec lui. Ce dernier n'obtint pour recom-
penfe de tant de travaux , que la feule ville de Magliano
Salie.
Kùatrœr
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIII. 4°7
avec fes revenus ; à condition qu'il rendroit Ottieri à Pandolfe <
Sinolfo ancien feigneur de la ville ; ce qui fut accepté par Ben- François
tivoglio, pourvu qu'on l'indemnifàt des frais qu'il avoit faits jj
pour fortifier cette place. Il fe rencontroit encore une autre 1 c c o,
difficulté j c'eft qu'on devoit aux garnifons Françoifes plufieurs
mois de leur folde , &' que le Roi n'ayant pas de fonds en Ita-
lie pour les payer , il y avoit lieu de craindre qu'elles ne Ment
des actes d'hcftilité. On fçavoit auffi que des foldats Gafcons,
qui étoient en garnifon à Grofletto , avoient été fur le point de
maltraiter le Gouverneur delà ville, à l'occafion de leur paye,
ôc qu'il avoit été obligé de s'enfuir dans la citadelle. Les Fran-
çois en avoient ufé de même à Radicofani. Cependant on retira
les garnifons, & l'artillerie de Montalcino , de Chiufi, de Mon-
tichiello , ôtdu Val-d'Orcia.
Les bannis de Sienne , foit pour combattre jufqu'à îa fin ^Sbumafc-
pour leur liberté , foit à la perfuafion du comte Nicolas de Peti- ne eft 'donnée
gliano , à qui la puiffance de Côme faifoit ombrage , ani- ?" duc de
moient fous main les foldats François de GrolTetto , ôc de
Radicofani , & leur promettoient de leur payer les appoin-
temens qui leur étoient dûs , s'ils perfiftoient dans leurs defîeins.
Côme envoya donc Vitelli avec fept enfeignes de gens de
pié , pour joindre cent cinquante maîtres , qui étoient déjà
arrivez à Buonconvento. Ayant pris la Tour du Saîe , qui com-
mande les côtes de la mer , il mit le fiége devant la ville,
Alors les Siennois,qui occupoient encore les citadelles de Mon-
talcino , ôc de Chiuli , fe voyant trop foibles pour réfifter aux
forces réunies du Roi d'Efpagne ôc du Duc de Florence dépu-
tèrent à ce dernier deux de leurs citoyens , Palmieri ôc Ballati >
qui furent joints par Sergardi ôcTolomei, pour traiter avec
ce Prince à de certaines conditions , que Bentivoglio, qui avoit
fait fon accommodement , leur avoit fait efperer. Sur ces en-
trefaites , le lieutenant de Moretto, qui commandoit dans Mon-
tepefcali , ayant été , comme l'on croit , corrompu par argent,
livra fa place àlnghilefco Calefati , que Vitelli lui avoit envoyé,
& fe retira à Buriano , château qui dépend de Piombino3
où étoit Moretto. Enfuite ceux de Radicofani abandonnèrent
la ville , après avoir tué le chef de leurs bandes qui les com-
mandoit ; après quoi les habitans de Groffetto ayant fait aufïi
leur accord s eurent pour gouverneur Checco Sperelli de-
4o8 HISTOIRE
- Peroufe avec vingt-cinq foldats. Il falîoit, fuivantun arti-
Jtrançois cle du traité de paix, que les Siennois rendiiïent les places à
II. Guevara , qui étoit venu en Italie pour en prendre poffeilion
ï S S 9» au nom de Philippe, ôc que Guevara les remît enfuite au Grand
Duc. On convint d'un jour, où Guevara miniitre duRoid'Ef-
pagne , Angelo Nicolini préïident de Sienne , Frédéric de
Montauto gouverneur de la place, ôc François de Montau-
to agent de Côme , partiroient de Buonconvento. Spinel-
îi ôc Tolomei vinrent au devant d'eux , avec une troupe
de jeunes Siennois , qui tenant à la main des rameaux d'oli-
vier, prononçoient de tems en tems le mot de Paix, & le nom
de Medicis. On arriva enfin à Montalcino, où Alexandre Van-
nocci chef du peuple conduiiit en pompe les miniftres des Prin-
ces à l'Hôtel de ville. Après qu'on eut lu à haute voix les or-
dres du Roi d'Efpagne , les Siennois prêtèrent ferment de fi-
délité , tant pour Montalcino , que pour les autres places , entre
les mains de Guevara, qui étoit alîis entre le chef du peuple , ôc le
premier Magiftrat de la République. Enfuite on lui apporta ,
fuivantPufage , les clefs de la ville ôc de la citadelle. Puis Gue-
vara ayant marché dans la ville , comme reprefentant le Sou-
verain, ôc ayant exhorté les citoyens à exécuter les articles
conclus entre les deux Rois, remit à Nicolini ôc à Montauto
tous les droits du Roi fon maître , ôc en tranfmit la fouverai-
neté ôc le domaine au duc de Florence; après quoi Mon-
tauto entra dans la ville avec une garnifon de deux cens hom-
mes. Cela fe pafla le quatrième jour d'Août > mois qui avoit
toujours été heureux à Côme. En même tems Afcagne Bertini
envoya Bombaglino d'Arezzo, Simeon RofTermini, ôc Francia
Goracci , pour prendre pofTelIion de Chiufi, de Grofletto, ôc de
Radicofani. C'eft ainfi que Côme fe vit le maître de toutes
les places de la République de Sienne, à l'exception de Por-
tercole, de Telamone, d'Orbitello, ôc de Monte-Argentaro,
que Philippe s'étoit refervez.
Côme ne voyoit qu'avec chagrin , que la ville de Soana
demeurât entre les mains de Petigliano. Celui-ci avoit repris
cet ancien patrimoine de fes pères , à la faveur de la défection
des habitans , qui , dans les troubles de cette guerre, s'étoient
révoltez contre les Siennois > ôc s'étoient donnez à leur premier
Seigneur. Côme engagea donc Guevara 3 à preflerPe igliano
dexécuter
DE J. A. DE THOU,Lïv. XXIII. ^o9
d'exécuter le traité de paix , en lui reftituant cette ville là. Mais —
le Comte alléguant fes anciens droits refufa de la rendre. Cô- François
me le laifla tranquille pour un tems , efperant que le crédit qu'il H-
avoit auprès du Roi, Ôc que la conjoncture des tems lui pro- i S 5 9*
cureroient cette reftitution, qu'il fouhaitoit avec ardeur. Mo-
retto lui rendit en même-tems Buriano , ôc Corne de fon côté
ayant rendu Piombino à fon légitime Souverain , fe tint en repos
pour un tems. C'eft ainfi que la paix , fut enfin rétablie en Ita-
lie ; après que les François eurent retiré leurs troupes du Mont-
ferrât , de Fille de Corfe , ôc du Piémont , à l'exception des cinq
villes , dont nous avons parlé.
On apprit en même-tems que l'Empereur Ferdinand venoit
de ligner une trêve avec Soliman. Ce Sultan alors occupé uni-
quement des affaires de l'Afie > où les Princes fes fils fe dif-
putoient parles armes lafucceiîionde leur père encore vivant,
venoit de laiffer l'Europe tranquille, ôcde faire marcher toutes
fes forces vers l'Orient. D'un autre côté , Philippe fe voyant en
paix avec la France, commença à penfer à une expédition contre
Tripoli, qui fut remife à l'année fuivante, ôc dont nous par-
lerons dans la fuite. Ce Prince étant fur le point de retourner;
en Efpagne , fe rendit à Gand , où ayant tenu le Chapitré
des Chevaliers delà Toifon d'or, qui étoient à fa Cour, il
âfîbcia à cet Ordre les ducs de Mantouë ôc d'Urbin , Ôc rendit
le Collier au duc de Parme, qui l'avoit renvoyé dans le tems
de la précédente guerre, en recevant du Roi de France celui
de l'Ordre de Saint Michel. Enfuite il defcendit en Zelande,
après avoir donné le gouvernement des Payis-bas à la Prin-
ceffe Marguerite fa fœur femme d'O&ave Farnefe : il lui laifla
trois mille cinq cens Efpagnoîs, pour être diftribuez dans les pla-
ces frontières de la France. Ce fut par l'avis de Granvelle évê-
que d'Arras, qu'il avoit donné à la princeffe Marguerite, pour
être fon premier Miniftre , qu'il voulut mettre des troupes dans
ce payis-là. Le grand nombre de Luthériens , que le voifina-
ge de l'Allemagne y avoit répandus, ou fait naître, luidonnoit
des allarmes ;ôc le foin delà fureté des frontières n'étoit qu'un
vain prétexte. Il affeclamême d'offrir le commandement de ces
troupes à Guillaume de Naffau prince d'Orange , à qui le feu
Roi s'étoit ouvert un peu légèrement, comme nous l'avons
dit, fur le projet qu'on avoit fait d'exterminer les Sectaires. Il
Tome 1IL Fff
4io HISTOIRE
5 l'offrit en même tems à l'Amiral d'Egmont ; perfuadé que les
François peuples verroient avec moins de peine des troupes Efpagnol-
II. les en tems de paix, lorfqu'elles auroient à leur tête deux Sei-
1 S S 9- gneurs les plus illuftres desPayis-bas, par leur naiffance, leur
dignité, ôc leurs fervices. Mais Guillaume & l'Amiral refu-
ferent généreufement ces emplois; difant , que les Flamans
s'étant procuré la paix par leur courage , ôc par leurs fervices à la
guerre y ne pourroient fournir le joug qu'on vouloit leur im-
pofer. Philippe > qui ne vouloit pas que ces Seigneurs , à qui
il avoit d'ailleurs de fi grandes obligations , coiffent qu'il par-
toit mécontent d'eux , dilîimula alors le chagrin que lui don-
noit ce refus. Mais il fit éclater fon reffentiment , ôc vengea
cette injure dans la fuite, quoique fort à contre-tems, comme
nous le dirons.
Il eft certain que Philippe, ayant abandonné le deffeinde
îaiffer dans les villes des Payis-bas des garnifons Efpagnoîes,
mit à la voile au mois de Septembre rempli de £qs projets
pour la guerre d'Afrique. Etant arrivé à la hauteur du port de
Laredo , fa flotte fut battue d'une fi horrible tempête , qu'il
vit périr prefque tous fes vaiffeaux , ôc qu'il eut bien de la pei-
ne à fe fauver lui-même. Il perdit une quantité prqdigieufe
de meubles précieux qu'il portoit en Efpagne , où il avoit ré-
folu de fixer fa demeure ; ne voulant pas imiter l'Empereur
fon père, dont la vie agitée avoit été comme un continuel
voyage. On dit en cette occafion, qu'il avoit dépouillé toute la
terre d'immenfes tréfors, auffi-bien que Charle fon père, pour
enrichir la mer. Au refte Philippe avouoit qu'il n'avoit échap-
pé à ce péril , que par une protection finguliere de Dieu , qui
fembloit l'avoir confervé pour contribuer à fa gloire, en ex-
tirpant l'héréiie de Luther.
Supplices des En effet, dès qu'il fut arrivé en Efpagne , il commença par
Pro:eihns en faire punir les Proteftans. On garda même dans les prifons , fui-
Efpagne. vant çQ„ ordres , tous ceux qui étoient condamnez pour crime
d'héréfie , Ôc qu'on faifoit mourir auparavant , après leur Sen-
tence ; ôc on les conduifit à Valladolid , ôc à Seville > afin d'y
être exécutez à fon arrivée , ôc que ce fût un grand fpeclacle
pour le peuple. Le premier a&e de cette funefte tragédie fe
donna à Valladolid le 24 de Septembre. A la tête des crimi-
nels parut Jean Ponce de Léon, fils du comte du Baylen, qu'on
DE J. A DE THOU, tiv. XXIÏL '411
avoit amené du château de Triana , Ôc qui fut brûlé comme
Luthérien opiniâtre , ainfi queportoit l'infcription qu'on avoit François
attachée fur fa tête. Jean Confalve , qui étoit un prédicateur, IL
ôc le compagnon de Ponce , eut la même deftinée, auffi-bien 1 $ 5* p.
qulfabelle Venia, Marie Viroès, Cornelie, ôc Bohorches.
Spectacle, qui excita en même tems la haine ôc la pitié 5 fur-
tout lorfqu'onvit la jeune Bohorches, qui n'avoit pas encore
vingt-un ans , fouffrir la mort avec une admirable confiance.
Comme Venia avoit prêté fa maifon aux Proteftans , pour y
faire leurs afîemblées Ôc leurs prières, la fentence qui la con-
damna, portoit auili que fa maifon feroit rafce. Enfuite on
conduifit au fupplice Ferdinand de San- Juan 3 Julien Her-
nandés furnommé le Petit , parce qu'il l'étoit en effet î Jean
de Léon, qui avoit d'abord exercé dans le Mexique le mé-
tier de tailleur d'habits , ôc avoit enfuite été agrégé en Efpa-
gne au collège de Saint Ifidore , où les affociez s'appliquoient
en fecret à l'étude de la do£trine épurée , pour me fervir
de leurs termes j Françoife Chaves Religieufe du Monaftere
de Sainte Elifabeth , qui avoit été difcipîe de Jean Gilles pré-
dicateur de Valladolid , ôc qui mourut auiïi avec bien de la
confiance ; Chriftophle Lozada Médecin ; Chriftophle d'Arel-
lanio Religieux du couvent de Saint Ifidore ; ôc enfin Arias
Garcias , qui le premier avoit femé les nouvelles opinions dans
ce même Monaftere , ôc qui par fes prédications , ôc fes confé-
rences , y avoit allumé comme un flambeau , qui embraza en-
fuite la maifon , ôc plufieurs autres maifons de la ville.
C'étoit un homme d'une érudition profonde > mais dont îa
doctrine ôc la conduite varioient fouvent. Lorfqu'il avoit
enfeigné des dogmes à fes difciples , dont il voyoit que l'In-
quifition faifoit un crime à ceux qui les foutenoient , il étoit
le premier à combattre fes propres leçons , ôc il le faifoit avec
tant d'adreffe ôc de fubtilité , qu'il ne paroiffoit jamais fe dé-
dire. Comme par ces artifices il expofoit au péril ceux qu'il
engageoit dans l'erreur, ôc qu'il fe démentoit fouvent lui-mê-
me î Jean Gille , Conftantin Ponce > ôc Varques lui reprefen-
terent un jour fon peu de iincerité ôc fes détours fur des ma-
tières, fur lefquelles il penfoit comme eux. Arias leur répon-
dit , qu'il prévoyoit que bien-tôt il feroit contraint de voir
des taureaux , qu'on donneroit en fpeclacle au peuple ; voulant
Fffij
uwuuwjUJiaB
4ï2 HISTOIRE
parler des écharTauts de l'Inquifition: Conilantinlui répliqua, que
François ce^a arrivo^ ^ ne le verroit pas dans une place élevée , mais
II. <lu ^ fe1"0^ lui-même dans l'arène 3 ce qui arriva en effet. Car
1 ? ï 9. Peu aPr^s Arias fut arrêté ôc conduit devant le tribunal des In-
quifiteurs. Au refle , foit que fon grand âge lui fit méprifer la
vie, foit que par un changement fubit il fût devenu tout d'un
coup hardi & courageux , de timide ôc de circonfpecl qu'il
étoit, il ofa aigrir les aileffeurs du tribunal de rinquilition par
des paroles piquantes , ôc leur dire , qu'ils étoient plus propres
à être Muletiers , qu'à difcuter des matières de Religion , qu'ils
ignoroient entièrement ; ajoutant qu'il fe répentoit d'avoir com-
battu la vérité volontairement en leur préfence contre fes plus
zélez défenfeurs , ôc que tant qu'il vivroit , il en auroit la plus
vive douleur. Il fut mené au fupplice comme les autres t ôc
brûlé vif: ainfi fe vérifia la prédiction de Conilantin.
Il ne refloit plus que Gille , ôc Conilantin , qui dévoient
pour ainii dire embellir la fcéne , ôc fermer la marche. Mais
une mort prématurée les avoit dérobez au fupplice l'un ôc l'au-
tre. Gille avoit été nommé autrefois à l'évêché de Tortone
par l'Empereur Charle V. à caufe de fa pieté ôc de fon éru-
dition. Il fut cité devant l'Inquifition , où ayant defavoùé
publiquement fes erreurs , foit pour fauver fa vie , foit pour
complaire à Dominique Soto , on fe contenta de lui inter-
dire la Chaire pour un tems 5 Ôc il étoit mort peu de tems
avant l'exécution dont nous parlons. Les juges de l'Inquifition
fe repentant de l'avoir traité trop doucement, firent le procès
à fon cadavre Ôc condamnèrent un homme mort au dernier
fupplice. On fit voir au peuple une effigie de paille , qui fortoit
d'une machine , ôc qu'on difoit être la figure de Gille. Conf-
ie confef- tantin , qui avoit été long-tems le confeffeur de Charle-Quint,
feurdeChar- qui l'avoit fuivi dans fa folitude , après qu'il eut abdiqué l'Em-
dans les pri- pire ôc toutes fes Couronnes , ôc qui l'avoit enfin affilié à la
fons de l'in- mort fut cité peu après au même tribunal de l'Inquifition ,
qmfiuon. £. mourut enfuite dans une affreufe prifon. Les juges ne
voulant pas que Conilantin manquât à ce grand fpeclacle , fi-
rent porter fon effigie , qui le repréfentoit habillé en prédica-
teur. Ainfi cette tragédie , qui d'abord avoit fait verfer des
larmes à la plupart des fpeclateurs , finit par des repréfentations
comiques , qui excitèrent également la rifée ôc l'indignation.
DE J. A. DETHOU,Lîv. XXIIl 415
Au mois d'O&obre de cette même année , on traita pareil- ■
lement à Sevilie ceux qui étoient accufez du même crime. pRANc0is
Vingt-huit perfonnes de la principale noblefle du payis y fu- jj '
rent liez à des poteaux, & brûlez en la préfence de Philippe. \ $ $ ç.
Quelques-uns prétendent que cet Auto dafe * fe fit dans le mois * Aûc de Foi,
de Mai. Si cela eft ainfi , Philippe n'y fut pas préfent , mais
feulement le prince Dom Carlos fon fils , & la princefïe Jean-
ne fa fœur , veuve de l'Infant de Portugal. Car Philippe étoit
encore alors en Flandre , où il créa le 2$ de Juillet fuivant des
Chevaliers de la Toifon d'Or 5 après quoi il partit pour l'Ef-
pagne, ayant laide le gouvernement des payis-bas à la prin-
ceffe Marguerite ducheffe de Parme, comme j'ai dit.
Quelques mois auparavant le Pape Paul IV. devint hydro- ' Mort de
pique , dans un âge fort avancé. On croit que le chagrin PauI ïv-
qu'il eut de la mort de Henri IL lui caufa cette maladie. Il
verfa publiquement des larmes 3 lorfqu'il apprit ce funefte évé-
nement s & dit bien des fois qu'il plaignoit le fort de la Fran-
ce. Son mal augmentant conlidérablement , comme on defef-
peroit pour fa vie, il fit venir le 14. d'Août l les Cardinaux
dans fa chambre , ôc leur parla avec beaucoup d'éloquence ,
& avec une grande préfence d'efprit. Après leur avoir dit ,
qrfil entroit dans la voye de toute chair , ôt qu'il avoit plus long-
tems vécu , qu'il ne l'auroit dû efpérer ; il les pria de lui par-
donner , il fon grand âge ôc fes infirmitez ne lui avoient pas
permis d'afiembler le Confiftoire , aufii fouvent que fon devoir
l'exigeoit. Enfuite il les conjura de concourir , pour lui choi-
fir unanimement un bon fucceiïeur. Enfin il leur récommanda
le très-faint tribunal de l'Inquifition , ( ce font les termes dont
il fe fervit ) ajoutant qu'il l'avoit établi comme le feul moyen
de maintenir l'autorité du faint Siège. Puis ayant congédié les
Cardinaux > comme le Cardinal de la Cueva , qui étoit de-
meuré dans fa chambre , lui difoit que le monde chrétien
feroit bien à plaindre , s'il étoit. privé d'un 11 digne pafteur; il
îui répondit en Efpagnol , qu'il avoit réglé fa vie de manière,
à être toujours prêt de paroître devant Dieu , lorfqu'il l'appel-
ieroit à lui ; qu'au refte il avoit la confolation en mourant de
laiffer un prince , que Dieu avoit fufcité pour la défenfe de la
1 II y a dans le texte , XI. Kal. VIIb tes > c'efl unefaute ; il faut lire XIX. qui eit le 1 4
d'Août & non le 22.
Fffiij
4i4 HISTOIRE
foi catholique (il vouloit parler de Philippe ) 6c dont les bon-
François nes mtenti°ns lui étoient parfaitement connues ; ôc qu'il ne
jj faifoit nul doute , que la Religion ne fe rétablît dans fon pre-
i ç ? 9. m*er ^clat> ayant un tel appui. Enfin ce Pontife mourut le 18
d'Août à la vingt-unième heure, comme l'on compte en Italie.
Il étoit âgé de quatre-vingts trois ans un mois ôc vingt-deux
jours, ôc avoit tenu le faint Siège quatre ans deux mois ôc vingt
quatre jours. Au moment de fa mort on ouvrit toutes les pri-
ions de Rome , fuivant une ancienne coutume. AuiTi - tôt
le peuple furieux courut en foule à la prifon de l'Inquifition ,
Fureur du où il mit le feu , après en avoir fait fortir les prifonniers. On
main Montré eut ^en ^e ^a Peme a l'empêcher de brûler le couvent des Do-
l'Inquifition minicains de la Minerve , en haine de l'Inquifition , dont Paul
& contre h jy^ avojt déclaré ces Religieux juges ôc adminiftrateurs. En
mémoire de 1 • j to rr ' r> ' 1 c^
Paul iv. meme-tems cette multitude effrénée court au Capitole , oC
voyant une ftatuë de marbre faite par un excellent ouvrier ,
que le Sénat ôc le peuple Romain avoient élevée à Paul IV.
elle lui abattit la main droite ôc la tête , qu'on roula durant trois
jours avec mépris dans les rues de Rome, jufqu'à ce que la fu-
reur étant rallentie , ôc ayant fait place à la compaiîion de quel-
ques uns , elle fut jettée dans le Tibre, afin de dérober ce fpe-
cîacle aux mutins.
Enfuite il fut ordonné par un édit du peuple Romain , fans
que l'on fçache qui en fut le principal auteur , que les armes
des CarafTes feroient abattues dans Rome , à peine de defo-
béïiTance. On ne vit jamais tant de foumiflion dans une fi gran-
de licence h les moindres vertiges de la grandeur des CarafTes
difparurent en un jour. Cependant quelques Cardinaux portè-
rent fans pompe le corps du feu Pape clans l'Eglife de faint
Pierre , où il fut gardé quelque- tems par des foldats , parce
qu'on craignoit l'infolence du peuple. Enfin il fut mis pour
un tems dans un tombeau de brique , d'où Pie V. qui avoit
de grandes obligations à Paul IV. le fit tranfporter fept ans
après dans l'Eglife de la Minerve, où il lui avoit fait drefler
par Pyrrho Ligori fculpteur de Naples un Maufolée de mar-
bre, dans la Chapelle de fes ancêtres. Laurent Priuli Doge de
Venife étoit mort un jour avant Paul IV. ôc eut pour fuccef-
feur Jérôme Priuli fon frère: événement fingulier dans une ré-
publique jaloufe ôc politique , où les honneurs ne font pas
DE J. A. DE T HOU, L iv. XXIII. 41;
héréditaires , ôc ne fe donnent qu'à la vertu ôc au mérite. L'ef-
time générale qu'on avoit pour Jérôme, le fit élever à cette François
dignité , ôc on ne crut pas qu'on pût jamais rien craindre de jj#*
cet exemple. l S S 9-
Hercule d'Efte duc de Ferrare mourut auffi le quatre de
Septembre , étant encore plein de vigueur , ôc n'ayant que Mortd'Her-
cinquante-un ans accomplis. Il étoit fils de cet Alfonfe , qui S,uIe duc de
fut fi long-tems en butte à la haine ôc à l'ambition des Pon-
tifes , ôc qui ayant vît fa fortune fi long-tems chanceler , fut
affez heureux pour recouvrer ce qu'il avoit perdu , ôc pour
laifïer même à fon fils une fucceflion plus ample qu'il ne l'a-
voit reçue. Hercule contracta une alliance fort illuftre, en épou-
faut Renée de France fille de Louis XII. ôc fœur de la reine
Claude femme de François I. dont il eut plufieurs enfans. Il
fut allez heureux , pour voir régner long-tems la paix dans fes
Etats. Mais pouffé par une ambition à laquelle il fe livra un
peu tard , ou s'abandonnant aux confeils de fon gendre ' , il s'en-
gagea, n'étant plus jeune, dans une guerre injufte , que le Ca-
raffes nous firent entreprendre en Italie , ôc il voulut être le Chef
de nos troupes. Mais il fut plus heureux que ne l'avoit été le
duc fon père , en ce qu'ayant attaqué un Roi aufli puiffant que
Philippe , dont il n' avoit reçu aucun déplaifir , il fe reconcilia
avec lui à des conditions honorables , ôc vit finir une guerre ,
qui fut fi honteufe ôc fi préjudiciable à la France, fans rien per-
dre ni du côté de la gloire , ni par rapport à fes intérêts. Doit-on
imputer cela à fon bonheur ou à fa dextérité ?
Cette année eft encore remarquable par la mort d'Othon M°r} do~
Henri de Bavière comte Palatin du Rhin, filsdeRobert, ôc pa°iaUn.e eur
petit-fils de Philippe de Bavière. Il étoit devenu Electeur par
la mort de Frédéric fon oncle : étant venu à mourir lui-
même peu de tems après fans enfans le 1 2 de Février , fa di-
gnité fut dévolue à Frédéric III. qui étoit fon coufin dans un
degré fort éloigné , ôc qui defcendoit comme lui de l'Empe-
reur Robert de Bavière mort en 14 10. Car on comptoit dix
générations depuis l'élecfeur Louis le Barbu fils de l'Empereur
Robert de Bavière , ôc Etienne frère de Louis duc de Deux-
Ponts , dont Frédéric III. defcendoit. Othon Henri laiffa par
fon teftament le duché de Neubourg fur le Danube à Volfang
1 François de Lorraine duc de Guife,
4itf HISTOIRE
; de Bavière de Deux - Ponts , fou autre coufin dans îe mê-
François me degré que Frédéric. Il ne faut pas oublier des Princes
II. moins confidérables -, que la mort enleva cette même année.
! S S 9* François Othon duc de Lunebourg finit fes jours le 29 d'Avril
trois mois après fon mariage avec Margueritte fille de Joachim
de Brandebourg. Il fuivit Guillaume prince de Henneberg, mort
le 24 de Janvier, âgé de plus de quatre-vingts ans. On remarque
que dans l'efpace d'une feule année ( en la compofant de quel-
ques mois de la dernière , ôc d'une partie de celle-ci ) il mourut
Charle V. un Empereur * deux Rois de Dannemarc , un roi de France , un
doge de Venife , un Pape , un électeur Palatin, un duc de Ferrare,
ôc trois Reines , Eleonore reine de France , Marie reine de
Hongrie 3 ôc Bonne Sforce reine de Pologne. George Reckrod,
grand capitaine dont nous avons parlé plus d'une fois , finit aufïï
fa vie le 28 de Novembre. Après avoir efluyé de grands pé-
rils à la guerre , ôc avoir évité la mort dans les combats , ou
il s'étoit toujours fignalé , il la trouva enfin dans fon château
d'Herleshaufen près d'Eyfenach.
Mort de II ne faut pas oublier les fçavans , que la mort enleva cette
quelques fça- même année i comme François Duarein né d'une famille noble
à faint Brieu en Bretagne, qui mourut à peine âgé de cin-
quante ans. Il étoit le plus grand Jurifconfulte de fon tems ;
après André Alciat, fous lequel il avoit étudié le Droit à Bour-
ges. Il avoit fcû joindre à cette feience une littérature agréa-
ble ôc polie , Ôc une exacte connoiflance de l'antiquité , qu'il
avoit apprife d'Alciat. Enfuite Duarein profelfa le Droit à Bour-
ges avec une grande réputation , ayant pour collègue Eginard
Baron, de Saint Brieu comme lui , qui s'acquit auffi beaucoup
d'eftime. Celui-ci néanmoins eft demeuré dans l'obfcurité ; ôc
fes ouvrages font à peine connus. Duarein eut fur la fin de fes
jours pluiieurs démêlez littéraires avec Jacque Cujas , qui étoit
alors fort jeune. Les écoliers de ces deux grands hommes en-
trèrent dans ces différends , ôc prirent parti pour leurs maîtres.
Cela auroit eu de fâcheufes fuites , fi Cujas ne fe fût retiré à
Valence en Dauphiné. Celui-ci avoua dans la fuite qu'il ne
pouvoit trop honorer la mémoire de Duarein s que fans l'ému-
lation qu'il lui avoit donnée , il auroit renoncé à l'étude du
Droit, comme fes parens le lui confeilloient , ôc auroit cédé
aux dégoûts que donne cette feience dans un âge inconfiant
ÔC
DEJ. A. DE THOU, Liv. XXIIÏ. 4*7
8c léger ; mais qu'animé par un adverfaire redoutable , il s'y — -
étoit fortement attaché, ci avoit paiTé fa vie à la cultiver, à la François
creufer , ôc à l'éclaircir. Les fçavans font grand cas des ou- II.
vrages de Duarein, que Cujas lui-même eftimoit beaucoup > 1 s S 9'
difant fouvent, que des quatre Profeffeurs qui portoient le
nom de François , & qui enfeignoient le Droit dans le même
tems , il ne goûtoit que Duarein , ôc trouvoit que les trois au-
tres nefaifoient, pour ainfi dire, qu'éfleurer cette feience. Au
refte les ouvrages de Duarein ont éprouvé un malheur, que Cu-
jas craignoit pour les fiens. C'eft qu'en les réimprimant après
fa mort, on y a joint fans choix des cahiers, dictez par lui à fes
écoliers , qu'ils reoueilloient fouvent affez mal , ôc que Duarein
n'avoit pas delTein qu'on mît jamais au jour. J'ai fouvent en-
tendu Cujas , fous qui j'étudiois, déplorer l'injure qu'on avoit
faite parla à la mémoire de ce fçavant homme, ôc nous conju-
rer, mes compagnons Ôc moi , de le preferver d'une pareille dif-
grace.
Je ferai aufïi mention d'Aimard de Ranconet né à Perigueux, LePrefîJent
dont les confeils Ôc les lumières furent d'un grand fecours à <k Ranconet
Duarein, pour fe perfectionner dans le Droit. Une littérature
univerfelle , une connoiffance exacte de l'antiquité facrée ôc
profane , ôc de toutes les fciences , fans en excepter aucune s
faifoient avec juftice admirer Ranconet. Il pofTedoit au plus haut
degré toutes ces feiences, dont une feule eût rendu le nom d'un
autre iliuftre à la pofterité. Il fut le premier qui puifa dans les
fources du Droit Romain. Son goût par rapport aux belles let-
tres fe forma par la lecture des Auteurs Grecs ôcLatins. Il fçavoit
à fonds la Philofophie ôc les Mathématiques :rien n'échappoità
îa vivacité de fon efprit ôc à la juftefTe de fon jugement. Il fut d'a-
bord Confeiller au Parlement de Bordeaux , ôc eut enfuite une
charge de fécond Préfident -aux Enquêtes du Parlement de Paris,
qu'il exerça avec une grande réputation 5 jufqu'à ce que nos
démêlez ïur la Foi ayant excité des troubles , il fut enveloppé
dans les malheurs où tant de grands hommes fe trouvèrent
engagez ; quoique le crime énorme , qu'on lui imputa fauffe-
ment , n'eût aucun rapport à la Religion. Ayant été conduit
à la Baftille ( comme il l'avoir prévu depuis long-tems, par
la connoiffance qu'il avoit de l'Aftrologie judiciaire , qu'il
^voit étudiée avec Jérôme Cardan) il y finit fes jours à l'âge
Tome 1IL Ggg
4i8 HISTOIRE
de plus defoixante ans, par un genre de mort extraordinaire.
François Au refte le Préfident Ranconet n'a prefque fait aucun ou-
II. vrage ; mais il a fourni aux autres des matériaux pour écrire ;
1 S S 9' ayant laiffé un grand nombre de livres imprimez ou manuf-
crits j enrichis des fçavantes notes qu'il avoit faites fur chaque
ouvrage. Plusieurs Docles de ce fiécle-ci ont profité heureufe-
ment de ces remarques , ôc nous ont donné des écrits puifez
dans ces notes , lefqueîles leur ont fait beaucoup d'honneur,
ôc ont été très-utiles au public. Quelque-fois ils le citent par
reconnoiffance ; mais fouvent ils n'en difent rien. A voir Ran-
conet, qui étoit difîippé par plufieurs affaires , on n'auroit pas
crû qu'il fe fût donné tout entier aux Lettres. Voici comme il
arrangeoit fes études. Après un léger fouper 3 il fe couchoit
pour peu de tems, ôc fe levoit après le premier fommeil, à l'heure
où nos moines ( dont il loùoit fort les mœurs & la règle , fur-
tout par rapport à la fanté ) chantent matines. Comme eux, il
s'enveloppoit la tête d'une efpéce de capuchon j habillement
qu'il trouvoit fort commode , pour garantir du froid les épau-
les ôc la tête. Alors ilpafîbit quatre heures à étudier, ôc à mé-
diter fur fes lectures. 11 difoit , qu'il étoit étonnant combien il
faifoit de progrès dans l'étude , en un tems où l'efprit eft épuré
par un premier repos , où les idées font nettes à la faveur du
filence de la nuit, ôc où de profondes réflexions ne font point
interrompues ; ce qui ne peut être durant la journée. Ilajoû-
toit que cela contribuoit aufîl à la fanté ; parce que lorfqu'on
eft levé , il eft facile d'évacuer la pituite qui fort du cerveau
après le premier fommeil, laquelle fe condenfe, Ci vous con-
tinuez de dormir , s'attache à l'eftomach,Ôc engendre dans la
fuite des humeurs nuifibles , qui attaquent fur-tout la fanté
des gens de cabinet. Puis il fe remettoit au lit , ôc après un
fommeil paifible de quelques heures , il achevoit heureufement
ce qu'il avoit médité pendant la nuit. Enfuite il rempliffoitles
differens devoirs de fa charge ôc de la vie civile. Il écrivoit
parfaitement en Grec ôc en Latin; comme on le voit par les
excellentes notes qu'il a faites fur une infinité de livres en tout
genre , lefquels ont été difperfez après fa mort , ôc font au-
jourd'hui entre les mains des fçavans. On eft charmé , en les
îifant , de la beauté de fon écriture , ôc des recherches rares
ôc curieufes qu'on y trouve.
DEJ.A.DE THOU,Liv. XXIII. 41$
Joachim Perion qui a rendu de grands fervices à la Ré-
*SS9-
publique des lettres , quitta auffi vers cetems-là cette vie pour pRANc0is
pafTer à une meilleure. Il naquit à Cormeri en Tourairte , ôc tj s
fe confacra à Dieu après l'enfance , dans un riche monaftere de
ce lieu, où il finit fes jours. Ayant entrepris de traduire Ari-
ftote en Latin, que Jean Argyrophile l avoit traduit avant lui
avec plus de fidélité que d'éloquence , il donna dans le défaut
oppofé , en s'attachant plutôt aux agrémens du ftile , ôc aux
tours de Ciceron , qu'au véritable fens de l'auteur. Audi eut-
il à efîuyer la critique amere du docte Nicolas de Gruchi , ôc
enfuite celle de Guillaume Guerente ; il eut encore plusieurs
difputes littéraires à ce fujet avec Louis Strebée. Mais ce fut
fur-tout contre Pierre Ramus qu'il eut de plus grands combats
à foûtenir par rapport à fon Ariftote. C'eft ce Ramus qui dans
ce même-tems entra en lice fur la même matière contre An-
toine Govea , cet illuftre Portugais , qui devoit à la France ôc
non à fa patrie fon agréable littérature , fon rare fçavoir dans
la Philofophie ôc dans le Droit , ôc les ouvrages excellens qu'il
a donnez en tout genre. Car Govea prit dès fon enfance le
goût des lettres à Paris , où il étudia ; ôc il demeura en France
toute fa vie. Les differtations qu'il fit alors contre Ramus font
très-belles , ôc ont été imprimées. Perion a traduit encore en
Latin avec beaucoup d'élégance differens morceaux des Pères
Grecs , ôc a mis au jour plufieurs autres ouvrages , qui font
entre les mains de tout le monde, ôc qu'on eftime allez.
Robert Eftienne de Paris , Imprimeur du Roi , mourut àufli
cette année. Aide Manuce Romain , ôc Jean Froben avoient
exercé cet art avant lui avec un grand fuccès ; le premier à
Venife , ôc le fécond à Baie. Il les furpaiîa l'un ôc l'autre pat
fon exactitude , par la correction ôc par la beauté de fes im-
prefïions , ôc par un jugement fur Ôc exquis '■> enforte que l'on
peut dire qu'il a rendu de plus grands fervices à fa patrie ôc
au monde Chrétien., que ces grands Capitaines , qui par leurs
exploits ont reculé nos frontières ; ôc que l'indumie d'un feul
homme a fait plus d'honneur au nom François, ôc a plus con-
tribué à le rendre immortel , que ce que nos pères ont fait de
1 Agyrophile naquit à Conftantino- lie , où Côme de Medicis le choifit ,
pie dans le quinzie'me fiécle. Après la pour erre précepteur de Pierre de Me-
prife de cette ville il fe retira en Ita- I dicis fon fils , ôc de Laurent fon neveu.
4io HISTOIRE
ir-asçsfig plus beau à là guerre ou dans la paix. Mais après la mort de
François François I. ce Prince débonnaire , le père ôcle protecteur des
II. lettres > la faculté de Théologie de Paris oubliant ce qu'elle
i y 5 p. devoit à un citoyen t qui avoit fi-bien fervi fa patrie par l'édi-
tion d'une infinité d'ouvrages Hébreux 3 Grecs ôc Latins , le
perfecuta long-rems, & ne voulut point écouter les juftes con-
ditions de conciliation qu'il lui offroit». Enfin pouffé à bout il
fe vit contraint d'abandonner la France , ôc de fe retirer à Ge-
nève. Il y remplit les devoirs publics & ceux de la vie civile
avec une grande fageffe ; ôc malgré fes malheurs, ôc le déran-
gement qu'apporte un exil même volontaire , il ne cefTa point de
travailler & defervir jufqu'àfa mort la République des Lettres.
Il finit fes jours le feptiéme de Septembre à l'âge de cinquan-
te-fept ans ; s'étant fait une grande réputation dans toute l'Eu-
rope , & laiflant une riche fucceffion en meubles à ceux de
fes enfans , qui demeureroient à Genève. Car il avoit employé
cette claufe dans fonteftament j non pas , difoit-il , qu'il eut de
la haine pour fa patrie , mais afin de marquer combien il étoit
fenfible à fon ingratitude. Ainfi Robert Etienne fon fils, qui
exerça à Paris la même profeflion avec fuccès , ôc autant que
l'état de fa fortune le lui pouvoit permettre , n'eut aucune part
à la fucceffion de fon père. Mais Henri Etienne , qui demeura
à Genève , recueillit de grandes richeffes qu'il augmenta con-
fidérablement. Ce digne fils de Robert y eut long-tems une
célèbre imprimerie, & compofa lui-même des ouvrages très-
utiles. Comme fon père avoit donné un ample Dictionnaire
de la langue Latine , il en donna un très-étendu de la langue
Grecque , livre que je Crois préférable aux tréfors des plus grands
Princes.
La mort enleva aufîl le fix de Mars Luc Gauric , né à Gi-
foni dans la Marche d' Ancone , qui finit fes jours âgé de qua-
tre-vingts deux ans. C'étoit un grand Mathématicien, que Paul
III. avoit honoré de fon amitié , ôc qui s'étoit fur-tout attaché
à cette fcience » qui juge de la vie ôc de la fortune des hom-
mes 3 par la pofition des aftres. Jean-Baptifte Folengio Reli-
gieux de l'Ordre de Saint Benoît mourut peu après àMantouë,
lieu de fa naiffance , âgé de près de foixante ans. Sa pieté ôc fa
charité le rendoient très-recommandable , auffi-bien que la
douceur de fes moeurs 3 ôc la modération de fes écrits , qu'on
,
en Italie.
DE J. A. D E T H O U , L ï v. XXIII 421
lira toujours avec plaifir. Lorfque marchant fur les traces d'I- *
fidore Clario évêque deFuligno mort quatre ans auparavant, François
il cherchoit les moyens convenables d'éteindre le fchifme , jj '
ôc de réformer la difcipline , une mort paifible le fit pafïer à \ < < ga
une autre vie le cinq d'Oclobre dans le monaftere où il
avoit fait profefïion. Je ne dois pas oublier Jacque Milichen
né à Fribourg en Brifgaw d'une honnête famille. Il étoit grand
Philofophe & bon Médecin, ôc fe faifoit aimer par fa probité
ôc par la candeur de fes mœurs peinte fur fon vifage. Après
avoir profeffé avec une grande réputation à Vittemberg pen-
dant plufieurs années , il fut enlevé par une apoplexie le dix
de Novembre dans la cinquante-huitième année de fon âge.
Après qu'on eut fait les funérailles du feu Pape, à la manière Expéditions
accoutumée , ôc que les Cardinaux fe furent renfermez dans le
Conclave , pour procéder à i'éleclion'd'un nouveau Pontife;
le duc de Florence, qui avoit une armée fur pié, réfolut de
s'emparer de Pondo château des Ubertins , lltué fur les confins
de la Tofcane , ôc de la Romagne , que les CarafFes avoient
enlevé à leur légitime Seigneur, pour le donner aux Malatefti
comtes de Sogliano. Vitelli général de Corne étant parti de
Caftro-caro , ôc ayant fommé la garnifon de Pondo de fe ren-
dre, elle fit refus , Ôc n'ouvrit les portes que quand l'on eut
fait venir du canon. Vitelli y laiffa pour Gouverneur Uber-
tin fuivant les ordres du grand Duc. Dans le même-tems Fran-
çois de Bagno demanda du fecours à Corne , qu'il avoit utile-
ment fervi dans fës armées , pour rentrer dans fes biens de la
Romagne , que le feu Pape avoit confifquez fur lui comme
fur un rebelle, ôc qu'il avoit donnez à Antoine Caraffe. Aufti-
tôt le général Vitelli prit Ghiaggivolo , château voifin de Ga-
latea , où commandoit Jérôme del-Belio. Celui-ci créature des
CarafTes fut contraint par les habitans de rendre la place , ôc
mené enfuite à Florence comme rebelle à fon Prince. De là
on marcha à Gatteo , quife rendit. On ne jugea pas alors à pro-
pos d'attaquer Monte-bello , parce que cette place étoit allez
forte , ôc qu'elle auroit pu réfifter long-tems. On conduifït
enfuite l'armée à fainte Sophie. Les comtes de Piandimeleto
ayant intenté un procès à Rome , pour fe faire ajuger la fei-
gneurie de cette place •■> Jean François de Gonzague , qui en
étoit gouverneur pour le duc de Florence , en avoit été chafle
G g g "j
422 HISTOIRE
par les CarafTes, ôc conduit à Rome dans une prîfon comme
ï7d ATvT/-r,i^ criminel de d'Etat , à la perfuafion du cardinal Vitelli , pour
jj qui les neveux du râpe avoient de grands égards., ôc îlnen
i r - Q étoit forti qu'au tems de la fédition qui s'éleva après la mort
du Pontife. Sainte Sophie futprife par Philippe Pandolfini, à la
tête de trois enfeignes de gens de pié , ôc rendue au comte de
Bagno. On prit aufll Monte-ritondo.
Cependant Chappino Vitelli ayant aflemblé les troupes , qui
étoient en garnifon à Empoli, Borgo , Santo-Stephano, Ôc à
Mugello, marcha avec huit bataillons vers Montone, que fes
couiins retenoient injuftement. Ce château que Léon X. avoit
donné à Vitellozzo, ôc à Nicolas Vitelli, pour eux ôc pour
leurs fucceffeurs, étoit échu à Camille frère du cardinal. Ca-
mille avoit laiffé en mourant un fils naturel , dont le cardinal
Vitelli avoit pris la tutelle, ôc à qui il avoit fait donner par
Paul IV. la propriété de Montone , à l'exclufion de Paul , ôc de
Chiappino Vitelli fils de Nicolas. Ceux-ci irritez contre le Car-
dinal leur coufin mirent tout en ufage , pour reprendre cette
ville durant la vacance du faint Siège. Ils firent venir du ca-
non de Borgo ôc d'Arezzo ; ôc ayant fait une brèche confi-
dérable à la muraille , les foldatsde la garnifon , qui étoient aux
ordre d'Angiola de Rofîi mère de Camille, ôc ayeuîe du
mineur, prirent la fuite par des chemins peu pratiquez, où Chiap-
pino les fuivit, en tua un grand nombre, Ôc fitplufieurs prifon-
niers. Antoine Marie de Peroufe périt en cette occafion ; après
quoi la ville fe rendit aux deux Vitelli, qui y prirent quatre dra-
peaux. Enfuite il fe fit un traité par les foins de Pallanterio,
qui étoit venu trouver ces Seigneurs au nom du Sacré Collè-
ge, avant qu'il afïiégeaflent Montone, ôc qui ne put obtenir
qu'ils fe défiftaffent de leur entreprife. Après la réduction de
Montone, il obtint des Vitelli, qu'ils ne feroient plus d'hofti-
litez, ôc qu'on mettroit en-fequeftre les places du comte de
Bagno qu'on avoit prifes , jufqu'à ce qu'il y eût un Pape élu,
qui connoîtroit de cette affaire. Côme embrafla avec joye une
occafion qui fe préfentoit d'elle-même , de mettre les armes bas.
Il n'avoit fait la guerre que pour paroître ne pas abandonner
fes amis , que fa gloire l'engageoit à protéger. Les Vitelli con-
fentirent auffi , que leur différend fut décidé par celui qui feroit
çlevé fur le faint Siège.
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIII 423
On découvrit alors à Florence une confpiration qu'on tra- —
moit depuis long-tems. Pandolfe Puccifilsde Robert en e'toit François
le chef. Il étoit d'une famille illuftre , qui avoit donné trois II.
Cardinaux à l'Eglife. De grandes richefTes , un génie élevé, ï 5 5 9»
joint aux agrémens de fa perfonne, l'avoient rendu agréable au
duc de Florence , ôc à la Ducheffe fon époufe , qui l'avoient
comblé de bienfaits : mais le fouvenir d'une injure qu'il avoit
autrefois reçue, lui faifoit oublier tant de grâces. Il avoit été
emprifonné quelques années auparavant fur un foupçon affez
léger 5 ôc depuis il n'avoit confideré l'amitié, dont Corne l'ho-
noroit , que comme un moyen plus facile de l'affaiTiner î il
avoit fait entrer dans fes defïeins Aftolphe Cavalcanti, ôc Lau-
rent Medicij aufquels s'étoient joints Richard del Milanefe ,
Bernard Corbinelli, ôc Puccio Pucci un des magiftrats de Flo-
rence. Pandolfe avoit été long-tems en France avec le cardi-
nal Farnefe , Ôc étant enfuite venu à Rome , il avoit décou-
vert fon deffein aux bannis de Tofcane qui y étoient. Quoi-
que tous confentiiTent au crime, ils n'étoient nullement d'ac-
cord fur le tems , ôc far la manière de l'exécuter. Ainfi on ten-
ta fouvent cette entreprife , que l'on n'ofa achever. Enfin les
conjurez voyant que les Siennois étoient fournis, ôc que la
puiiîance de Corne crciffoit de jour en jour , réfolurent de
ne plus différer. Quelques-uns étoient d'avis, que Pandolfe
tuât Côme en ces mdmens de familiarité , où il fe trouvoit
feul avec lui dans les appartemens du Palais. Mais les autres
jugeoient , que rien n'étoit plus incertain , que la réufïîte de
leur deffein , en un lieu où Côme ôc Pandolfe feroient avec
des armes égales 5 les conjurez ne devant pas efperer d'y pou-
voir entrer dans le même tems. On convint donc que le plus
fur feroit de tuer le Duc de Florence d'un coup de piftolet , lorf-
qu'il iroit à cheval dans la ville.
Cependant les complices , gens d'une vie déréglée , fe li-
vrant avec fécurité à toutes fortes de débauches , félon leur cou-
tume, fournirent eux-mêmes un prétexte pour les arrêter. Cô-
me qui commençoit à foupçonner , qu'on en vouloit à fa vie,
fans connoître cependant ceux qu'il avoit à craindre , fit em-
prifonner Cavalcanti^ ôc Medici, comme des hommes de moeurs
corrompues. Mais on ne put rien découvrir alors par l'inter-
rogatoire des deux prifonniers. Le premier fut élargi, après
424 HISTOIRE
avoir été averti de changer de vie ; ôc Medici fut envoyé dans
François ^a cîtadelle dePife. Cet événement n'empêcha pas les autres
jj * complices de demeurer à Florence ; foit qu'ils comptaient fur
j - - 0 un fecret inviolable de la part des compagnons de leur crimes
foit que le defir d'afTaiïiner leur Souverain leur donnât une con-
fiance aveugle. Enfin les amis que Corne avoit à Rome , lui
mandèrent tout le détail de la confpiration t ôc jusqu'aux noms
des conjurez. Cavalcanti, ôc Medici furent jettez une fécon-
de fois dans les prifons de Florence ; Milanefe , ôc Corbinelli
avoientpris la fuite. Pandolfe, qui fut arrêté en mêmetems, dé-
couvrit par un écrit toutes les circonftances de la conjuration,
fur l'afTurance que lui donna le confeilier Corboli, qui Tinter-
rogeoit , que Côine pourroit lui pardonner , s'il confeflbit la
vérité. La déclaration de Pandolfe portoit, qu'il avoit décou-
vert fon deffein à Julien Girolami , ôc à Laurent de Libri ;
que le premier l'en avoit voulu détourner, aufïi bien que Fran-
çois Nafi fils de Lutozzo > mais qu'à l'égard de Libri , il n a-
voit rien fçû de la conjuration ; lui Pandolfe l'ayant prié
feulement en termes généraux de lui rendre fervice dans l'oc-
cafion. Enfin Medici, ôc Cavalcanti ayant été convaincus par la
dépofition de Pandolfe, ôc ayant fait enfuite l'aveu de leur crime
dans les tourmens, les juges condamnèrent Pandolfe à être
pendu dans la place publique , Cavalcanti ; ôc Medici à avoir
la tête tranchée, Ôc Milanefe, ôc Corbinelli déclarez contu-
maces , au fupplice des criminels d'Etat. Nafi , qui s'étoit
enfui à Venife , fut abfous peu de tems après. Girolami fut
condamné à une prifon perpétuelle dans le château de Vo-
laterra , parce que fçachant la conjuration , il ne l'avoit pas ré-
vélée. Libri fut déchargé? comme n'ayant rien fçû, aufîlbien
que François de Medici , ôc Léonard Nobili , qu'on avoit ar-
rêtez comme fufpects. Côme jugeant qu'il avoit aflez pourvu
à la fureté de fa perfonne par ces exemples de juftice , voulut
par un acte de bonté ôc de modération , détourner la haine,
que pouvoit lui attirer la mort de ces Gentilshommes de la pre-
mière condition de Florence. Il remit aux enfans de Pandol-
fe la confifcation de fes biens, qui étoient fort conlidéra-
bles. Il y avoit une loi en Tofcane , qui déclaroit acquis
au fifc les biens de ceux qui feroient condamnez comme re-»
belles au Prince 5 ôc qui portoit , que s'ils étaient fils de
famille
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIII. 42;
famille, le tréfor public fe mettroit en poiTeflîon, même du vi-
vant de leurs pères ôc de leurs mères } de la part qui auroit ^
•r v c a 1 r /r o< j FRANÇOIS
appartenu un jour a ces enrans dans leur lucceilion. Corne don- -rj s
na à Jean-Baptifte Cavalcantila confifcation de la portion hé-
réditaire, qu'auroit pu prétendre Aftolfe Cavalcanti fon frère, * '
qui venoit d'être condamné.
Le tems étant venu où l'on devoit mener Madame Ifabelle ifabelle <ie
au Roi d'Efpagne fon époux , le Roi ôc la. Reine mère lacon- FraSj|te cn
duifirent au commencement de Décembre jufqu'à Chaftelrault Efpagne. Sa
ôc à Poitiers, où il y eut bien des larmes répandues , lorfqu'on fe lccePuon-
fépara. Le Roi revint à Blois : Ifabelle accompagnée du car-
dinal de Bourbon > du Prince de la Roche-fur-Yon , ôc de plu-
fieurs Seigneurs nommez pour le voyage, arriva à Bordeaux,
où le Roi de Navarre, qui devoit remettre la PrincefTe entre
les mains des Efpagnols, la reçût avec beaucoup de magnifi*
cence. On étoit convenu qu'au premier de Janvier Ifabelle fe-
rait remife aux Seigneurs députez par Philippe, en un lieu nom-
mé le Pignon , fitué dans les Pirenées , fur les confins de la Fran-
ce ôc de l'Efpagne. Mais la rigueur de l'hy ver , qui eft très-
rigoureux en ce payis-là, ôc l'abondance des néges , firent qu'I-
fabelle ôc le Roi de Navarre s'arrêtèrent au monaflere de
Roncevaux, pour y attendre les plénipotentiaires d'Efpagne.
La lente gravité des Efpagnols fit qu'on paffa cinq jours en ce
lieu à régler le cérémonial. Enfin les députez de Philippe fe
rendirent avec une grande pompe d'Efpinal à Roncevaux , qui
n'en eft éloigné que de deux lieues. Les Chefs de l'ambaiTa-
de étoient le duc de l'Infantado , ôc le cardinal de Burgos fon
frère, de 1,'illuftre maifon de Mendoça, qui avoient à leur fuite le
marquis de Cenete , le comte deTendilla, le marquis de Mon-
tes-Claros ; les comtes de Saldagne , de Ribaldavia , ôc de Ri-
badeo > Diego Hurtado fils du marquis de Cenete , Diego
ôc Jean Hurtado, revenus depuis peu ,1e premier de l'ambaf-
fade de Rome , ôc le fécond de celle de Venife ; Jean Hur-
tado feigneur de Frefno, ôc François fils du marquis de Ce^
nete, tous de la maifon de Mendoça, ou des premières mai-
fons d?Efpagne. Ces Seigneurs étoient fuivis de. plus de deux
mille cinq cens cavaliers richement équippez. La maifon du
Roi de Navarre étoit tendue de drap noir , à caufe du dueil du
feu Roi. Le cardinal de Bourbon reçut à la porte les députez,
Tome 111. Hhh
42* HISTOIRE
fuivis d'environ trois cens Gentilshommes , ôc les condui-
~ ' fit à l'appartement où étoient la Princefle 6c le Roi de Na-
4 Jp varre. Après quelques momens on lût aux lumières , parce que
le lieu étoit obfcur, l'ordre de Philippe à fes Ambaiïadeurs,pour
1 S S 9' recevoir des mains du Roi de Navarre la Princefle Ifabelle;
enfuite on fe leva. D'abord le cardinal de Bourbon étoit entre le
duc de l'Infantado , ôc le cardinal de Burgos : mais parce que
celui-ci étoit plus ancien cardinal que Bourbon , ce dernier re-
fufa l'honneur qu'on lui avoit déféré. Ainfi le duc de l'Infan-
tado eut la place la plus honorable , enfuite le cardinal de Bur-
gos eut la féconde ; ôcl'on monta en cet ordre à l'appartement
de la Princefle , qui étoit orné de riches tapifleiïes , ôc d'une
magnifique eftrade , fermée d'une balQftrade dorée.
Ifabelle y étoit afllfe , ayant à fa droite le Roi de Navarre,
ôc du même côté, mais un peu au-deflbus : le Prince de la
Roche-fur-Yon , Mademoifelle de Montpenfier fille du Prin-
ce de ce nom , Ôc Mefdemoifelles de Rieux , ôc de Clermont
étoient à la gauche. Auprès du fiége de la Princefle étoit de-
bout Lopez de Gufman Major-dome, qui lui nommoit les
Seigneurs qui fe préfentoient pour lafaluer. Après que les Gen-
tilshommes Efpagnols eurent baifé à genoux la main de leur
Reine, fuivant l'ufage, les Ambafladeurs qui fuivoient arrivè-
rent. Le Roi de Navarre , ôc le Prince de la Roche-fur-Yon
s'étant levez , le duc de l'Infantado voulut fe mettre à genoux
pour baifer la main de la Reine, qui fe levant le fit aufli-tôt
relever , Ôc le reçût lui , ôc le Cardinal fon frère, avec de gran-
des marques de diftinclion , ôc de bonté. Alors le Cardinal fît à
Ifabelle une harangue éloquente ôc refpe£tueufe, à laquelle
elle répondit d'un air riant, ôc avec des termes pleins tout en-
femble de douceur ôc de majefté. Enfuite les députez s'appro-
chèrent du Roi de Navarre, ôc après les complimens ordi-
naires, lui préfenterent l'ordre du Roi d'Efpagne, le priant de
leur donner leur Reine. Ce Prince dit alors , qu'il étoit inutile
de lire les ordres de Philippe , qui ne lui étoient pas incon-
nus h ôc ajouta , que le plus grand Roi du monde lui avoit
•confié l'illuftre Princefle qui étoit préfente > pour la remettre
au plus puiflant Roi de l'univers, ou à fes Plénipotentiaires?
qu'il s'acquittoit avec joie des ordres qui lui avoient été don-
nez , ne pouvant dépofer un gage fi précieux en de meilleures
DEJ. A. DETHOU, Liv. XXIII. 4^7
mains ■> qu'il les prioit de ménager la fanté de la Princefïe , quoi-
qu'il fût perfuadc de leur zélé , 6c de leur attachement pour ^
fon augufte perfonne ; qu'au refte, il ne leur difoit rien de les «•*
grandes qualitez, dont ils nepouvoient douter après l'avoir vue,
ôc dont ils feroient encore plus convaincus dans la fuite ; en- l $ > *-
forte qu'il s'afluroit qu'on feroit obligé de reconnoître, que l'Es-
pagne n'avoit jamais eu de Reine ni plus vertueufe , ni plus
accomplie.
Enfuite le Roi de Navarre jugea à propos de dire quelque
chofe par rapport à fes intérêts. 11 pria les Députez de fe fou-
venir , que par le dernier traité de paix , 6c fuivant les ordres
du Roi, dont il étoit porteur, on devoit remettre la Princef-
fe aux Efpagnols , en un lieu qui fut fur les confins de la Fran-
ce, 6c de l'Efpagne; qu'ils voyoient bien qu'on avoit dérogé
à cet article , puifqu'on étoit à Roncevaux fitué au milieu du
Royaume de Navarre , qui lui apartenoit , 6c fort éloigné des
frontières des deux Etats ; qu'ainfiil proteftoit contre ce qu'on
faifoit aujourd'hui , afin que cela ne portât aucun préjudice à
fes droits. Les Efpagnols ayant répondu en peu de mots, qui
ne fignifioient rien , on fe fépara avec de grandes marques de
bienveillance de part 6c d'autre. La Reine monta dans une
litière , ayant à fes cotez le duc de l'Infantado , 6c le cardinal de
Burgos 6c arriva le même jour à Efpinal. Elle paffa parles villes
de Madrid , de Valladolid , 6c de Tolède , où on la reçût avec
pompe , ôc avec de grandes marques de réjoùiffance , 6c elle
arriva enfin à Guadalajara , qu'on croit être l'ancienne Numan-
ce i là le mariage fut confommé le dernier de Janvier de l'année
i j 6o. Nous ne parlerons point de toutes ces vaines cérémo-
nies , que de frivoles auteurs ont rapportées fort au long ; ayant
des chofes plus confidérables , ôc plus interreffantes à écrire.
Quelque tems après , Philippe qui ne vouloit pas que l'on crut
que fa tendreffe pour une jeune Reine lui fit oublier la juftice
qu'il devoit à Don Carlos , qu'il avoit eu de Marie de Por-
tugal fa première femme , aflembla les Etats de Caftille , ôc des
autres Provinces de l'Efpagne, ôcles engagea à prêter ferment
de fidélité à fon fils , comme à Théritier légitime de fes Royau-
mes. Saint Gelais de Lanfac , qui avoit été auparavant Ambaf-
fadeur du Roi à Rome , où il s'étoit conduit avec beaucoup
de prudence , accompagnoit Ifabelle par ordre du Roi fon
Hhh \j
42S HISTOIRE
maître, pour lui fervir de confeil , jufqu'à ce qu'elle fe fût
-ZT accoutumée aux mœurs , ôc aux manières des Espagnols.
^T> Il eft à propos de dire, que peu après l'arrivée de Philippe
en Efpagne, le Roi de Navarre luiavoit envoyé , par laper-
1 ) 5 9- miffion du Roi, Pierre, bâtard de la maifon Navarre, pour
lui demander la reftitution de fon Royaume. D'abord on ré-
pondit à ce député , qu'on ne pouvoit lui accorder ce qu'il de-
tnandoit , parce que Philippe avoit des droits inconteirables fus
la Navarre, qu'il regardoit d'ailleurs comme une barrière con-
tre les entreprifes de la France. Enfin Pierre de Navarre ob-
tint qu'on donneroit un équivalent , dont Antoine joùiroit à
titre de fouveraineté, pourvu que ce ne fût ni en Efpagne ,
ni dans les Indes. Il demanda le Royaume de Sardaigne pour
compenfation •■> proportion qui parut ne pas déplaire à Philippe,
qui dit cependant que cette affaire méritoit une mûre délibé-
ration ; que ne faifant qu'arriver en Efpagne , il ne pouvoit être
encore au fait des intérêts de la nation \ ôc qu'il en parîeroit
aux Cours du Royaume, c'eft-à- dire aux Etats généraux , qu'on
alloit au premier jour affembler à Tolède. Cela fe pafTa au mois
d'Oûobre. Deux mois après , lorfqu'Antoine eut conduit Ifa-
telle fur la frontière , Alfonfe de la Cueva duc d'Albu-
querque , qui lui faifoit de grandes démonftrations d'amitié,
fe joua de ce Prince d'une manière indigne. Il trouva moyen
de lui faire infinuer par un certain Lefcure, qui quoique né
en Bearn , fervoit le due en qualité de domeftique ', que
s'il venoit faluer Philippe , il pourroit obtenir quelque fa-
îisfa£tion fur fon Royaume de Navarre. Antoine trop crédu-
le , ôc féduit par de flateufes efpérances , agréa ce confeil , ôc
envoya aufïi-tôt en Efpagne Jean-Claude Levi fieur d'Odaux:
gentilhomme d'une illuftre naiffance, fans avoir coniulté fur
cette démarche délicate la Cour de France, ni en avoir averti
Sebaftien de l'Aubefpine évêque de Limoges, notre Am-
baffadeur en Efpagne. Odaux arriva avec des lettres d'Antoi-
ne pour Philippe , par lefquelles il le priok de lui permettre,
ôc à la Reine fon époufe , de fe rendre auprès de lui , pour
terminer à l'amiable leurs differens fur la couronne de Na-
varre. Le Roi d'Efpagne , quiétoit alors à Tolède, ayant ap-
pris parles lettres du Roi de Navarre , la commifîion qu'on
avoir donnée à Odaux , demanda avec -empreflement à cp
DE J. A. DE THOU , L t v. XXIII. 42P
Gentilhomme des nouvelles de la fanté d'Ifabelîe , qui n'étoit _.
:../_* r> ].? _: o_ j- _ vi ___ • 1
pas encore arrivée à Guadalajara , ôc dit, qu'il avoit degran- francois
des obligations à Antoine, d'avoir bien voulu l'accompagner tt
jufque fur la frontière ; ajoutant , qu'il feroit réponfe aux or-
dres dont étoit chargé Odaux, lorfqu'il auroit confulté fon
Confeil.
Cela fe paffa en préfence de l'Evêque de Limoges , que
Philippe fit entrer dans fon cabinet , après avoir congédié
Odaux. Il demanda à ce Miniftre, fi la démarche que faifoit
Antoine étoit de l'aveu du Roi de France , ôc fi on lui avoit
écrit à ce fujet. L'Evêque ayant dit qu'il n'avoit point d'ordre
là-deffus , le Roi partit deux jours après pour la chaffe , ayant
donné ordre à Cortevilla Secrétaire d'Etat , de remettre des
lettres de fa part à Odaux pour le Roi de Navarre , ôc de
dire à ce Gentilhomme , que quand ce Prince voudroit trai-
ter des affaires de cette nature, il étoit inutile que la Reine
fon époufe , ôc lui s'expoffaffent aux fatigues d'un long voya-
ge? puifqu'on ne pouvoit lui dire autre chofe, que ce que le
feu Empereur fon père avoit répondu autrefois à fes prédecef-
feurs ., ôc que ce qu'il avoit dit lui-même à fes envoyez à
Cercamp. Odaux, chagrin du mauvais fuccès de fon voya-
ge, alla trouver Albuquerque , à qui il fit de grandes plaintes.
Le Duc lui répondit, que s'il avoit dit à la Cour d'Efpagne
qu'Antoine demandoit à s'y rendre, pour mériter par quelque
important fervice les bonnes grâces du Roi, il auroit été mieux
reçu. On doute encore, fi les Efpagnols firent un plus grand
outrage au Roi de Navarre , lorfque par une réponfe fi féche
ils lui ôterent toute efperance de recouvrer fes Etats, ou lorf-
que par de baffes intrigues, ils engagèrent ce Prince généreux,,
ôc iffu de la plus augufte Maifon de la Chrétienté , à faire une
démarche humiliante, ôc honteufe.
Le Saint Siège étoit vacant depuis plufieurs mois par les
fourdes menées des Efpagnols. Après avoir expulfé , pour ainfi
dire les François de toute l'Italie , ils vouloient faire élire un
Pape, quileur fût entièrement dévoué, ou qui étant de baffe v
xiaiffance , ôc fans aucun appui , n'osât rien entreprendre contre
eux,ni contre les Princes d'Italie, lorfqu'il feroit parvenu au fou-
verain Pontificat. Vargas Ambaffadeur de Philippe fe donnoit
de grands mouvemens, pour faire exclure les Cardinaux qui
Hhh iij
4jo HISTOIRE
lui étoient fufpecb. Trois mois s'étoient déjà écoulez, Ôc il y
~~ ~ avoit apparence que de long-tems on n'auroit un Pontife , mal-
trançois gréles plaintes des autres Princes Chrétiens , qui repréfentoient
-"• en vain au facré Collège , que ces politiques incertitudes en-
1 > S 9* tretenoienr de plus en plus les troubles qui agitoient l'Eglife.
L'évêque de Limoge Ambaffadeur du Roi s'en plaignit for-
tement au duc d'Albe , qui répondit , un peu ému , que Var-
gas follement ambitieux abufoit en cette occafion du nom du
Roi fon maître, qui ne vouloit autre chofe, fïnon qu'on élût
un Pape au plutôt par de libres fufFrages ; qu'il importoit peu
à ce Prince que le Pontife fût Efpagnol, Allemand, Italien,
ou François , pourvu que guidé par la pieté ôc par la pru-
dence, 6c exempt de toute pafïion , il n'eut en vûë que la gloi-
re de Dieu ôc la tranquillité de l'Eglife > que Philippe en par-
tant des Payis-baspourl'Efpagne s'étoit trompé dans fon choix,
en donnant à Vargas une Ambaffade il honorable ; que c'é-
toit par fes artifices également téméraires Ôc perfides, que Jean
Figueroa, que Philippe avoit envoyé à Rome , n'avoit pu être
admis à l'audience du Pape , afin de parvenir par là à le rempla-
cer ; que c'étoit pour cela que lui ( duc d'Albe ) qui comman-
doit alors en Italie , l'avoit fait emprifonner i que le Roi avoit
réfolu de le rappeller, ôc de le punir; que ce Prince avoit fait
écrire au fils du marquis de Montemajor, de faire enforte que
Vargas ne fe mêlât plus de cette affaire, de révoquer même
£qs pouvoirs fuivant fes ordres , ôc de déclarer aux Cardinaux
enfermez au Conclave , que Philippe ne prétendoit point
gêner la liberté des fuffrages. Le duc d'Albe ajouta , que cette
longue vacance étoit auffi l'effet des intrigues du cardinal Ca-
raffe , qui travetfoit l'élection par des vues particulières.
Le cardinal Enfin après un interrègne de quatre mois ôc fept jours , le
Elu Pape° cardinal Jean Angelo Mediquino x fut élevé au Pontificat le
prend le non* 26 de Décembre la nuit du lendemain du jour de Noël, (par
e Pie iv. ja fa£jon des carciinaux Charle ôc Alfonfe Caraffe , du cardi-
nal Farnefe, du cardinal Sforce, ôcdu cardinal de Guife, les
plus iiluftres Prélats du Conclave compofé de quarante-qua-
tre Cardinaux ) Ôc fut couronné le jour des Rois. On remar-
que , comme une chofe finguliere , qu'il naquit le jour de Pâ-
ques , qu'il fut fait Pape à Noël, Ôc qu'il fut revêtu desornemens
' J ou Medici.
DE J. A. DE TH OU, Liv. XXIII. 431
pontificaux le jour de l'Epiphanie. Son père nommé Bernar- ■«■■■■■>■■■■■ .m.»
din, qui étoit de baffe naiffance, ôc commis pour la percep- François
tion des impôts , avoir époufé Cécile Serbelloni , dont il eut \\[
quatorze enfans. Jean Jacque étoit l'aine de tous , qui fut ce 1 ç ç o.
fameux marquis de Marignan, dont nous avons parlé ci-deffus,
ôc qui étoit fi cher au cardinal Mediquino fon frère > que lors-
que celui-ci fut éiu Pape, ôc qu'on le conduisit avec de gran-
des acclamations du Conclave à . l'Eglife de Saint Pierre, il
demanda bien des fois avec empreffement à fes amis qui l'ac-
compagnoient : Où eftmon frère le marquis de Marignan. Pie
IV. étoit le fécond (carc'eftle nom que prit le cardinal Medi-
quino. ) Un troifiéme nommé Jean-Baptifte mourut avant V^ge
de quinze ans. Augufte qui le fuivoit fut marquis de Marignan,
après la mort de Jean-Jacque, ôcfut peu aimé de Pie IV. fon
frère. Gabriel le dernier de tous fut tué l'an 1535" d'un coup
de canon auprès de Mandello au fiége de Lecco, dans le rems
que le marquis de Marignan faifoit la guerre à François Sfor-
ce duc de Milan.
-L'aînée des fceurs de Pie IV. appellée Claire , fut mariée à
Volf d'Altemps, gentilhomme Allemand du diocéfe de Conf-
iance, ôc eut de ce mariage MarcSittich qui fut Cardinal, ôc
les comtes Annibal ôc Gabriel. Marguerite féconde fceur du
Pape époufa Gilbert Borromée comte d'Arona, dont elle eut
le cardinal Charle , fi connu par la fainteté de fa vie , ôc le com-
te Frédéric. Enfin la cadette nommée Camille prit alliance
avec Cefar de Gonfague fils de Ferdinand.
Au refte Pie IV. gouverna , au commencement de fon Pon-
tificat, avec une douceur 3 qui répondoit au nom qu'il avoit pris.
Il pardonna aux Romains tout ce qu'ils avoient fait con-
tre rinquifition , ôc contre la mémoire de fon prédeceffeur , en
brifant faftatuë ôcfes armoiries , à condition qu'ils répareroient,
autant qu'il feroit poffible } les dommages qu'ils avoient cau-
fez. Mais peu après , ce Pontife , qui avoit la réputation d'être
doux, humain , patient, bienfaifant, plein de reconnoiffance,
Ôc défintereffé , parut tout d'un coup avoir pris un autre carac-
tère. Il caffa prefque tous les actes de fon prédeceffeur s chan-
gea la forme du gouvernement ; ordonna le revifion de l'affai-
re des Moines , ôc des Religieux mendians , qui avoient été
déliez de leurs vœux par les Papes , ôc que le dernier Pontife
4}2 HISTOIRE
,■:■" avoit forcez de rentrer dans leurs couvent : il fît examiner de
~T ~ nouveau les procès de ceux que le feu Pape avoit fait empri-
François fonnerj comme fufpecls d'héréfie ; ôc ayant ordonné aux Inqui-
fiteurs de fe conduire par de certaines règles , il rendit jufti-
1 S 5 9* ce à des perfonnes arrêtées fur des préjugez allez légers. Le
cardinal Jean Moron > ôc San-Felice évêque de la Cava , qui
avoient eu de grandes liaifons avec l'illuftre cardinal Poole , fu-
rent de ce nombre, ôc eurent la liberté. On goûta fort aufîî
ce qu'il fit peu après fon exaltation , lorfqu'il approuva l'ab-
dication , que Charle-Quint avoit faite de l'Empire en faveur
de Ferdinand fon frère , que Paul IV. avoit blâmée comme
illégitime, Ôc lorfqu'il reçut avec bonté ôc avec de grands hon->
neurs les Ambaffadeurs du nouvel Empereur.
Fin du vingt-tYOtfiéme Livre,
HISTOIRE
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LIVRE VINGT^QVATRIEME.
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L eft teins maintenant de dire quel-
que chofe de fuivi des affaires des
Turcs , dont jufqu'ici nous n'avons
parlé qu'en paflant. Depuis que j'ai
rapporté la mort de Muftapha l , que
Soliman II. fon père ,féduit par les ar-
tifices de Roxelane & du Vifir Ru-
ftan , avoit fait périr , je n'ai fait men-
tion du Sultan , qu'à loccafion de la
flotte , qu'il envoyoit tous les ans fur
les cotes d'Italie, fuivant le traité qui l'y engageoit. Les en-
fans de Soliman ayant été long-tems divifez par de fecrettes
jaloufies , ôc par de grandes inimitiez , qui donnèrent lieu en-
fin à une guerre ouverte entr'eux, l'Empereur des Turcs, oc-
cupé à pacifier ces troubles domeftiques , laiffoit les Princes
Chrétiens en repos. Après la fin tragique de Muftapha, ôc la
François
II.
1 S $9-
Affaires
des Turcs.
i Voyez le Livre douzième tome i.
Tom. III.
lii
4?4 HISTOIRE
. mort de Zeangir , ôc de Mahomet qui avoit fini Tes jours long»
François tems auParavant> après avoir été marié, il ne reftoit plusàSo-
jj lîman II. que deux fils de Roxelane; Selim qui étoit l'aîné 3
j - . g ôc que fon père deftinoit à l'Empire 5Ôc Bajazet, pour qui la
Caraâere Sultane fa mère avoit une tendreffe finguliere , ôc qu'elle fouhai-
de Bajazet. tojt avec paflion d'élever fur le thrône. Véritablement Bajazet
avoit des qualitez qui le faifoient aimer de tout le monde. Il
avoit un air doux > des manières infinuantes , un grand pen-
chant pour l'étude Ôc pour le repos , ôc reflembloit beaucoup
de vifage au Sultan. On ne pouvoir pas dire la même chofe
de Selim, qui étoit laid & gros, avoit le vifage fort rouge 3
ôc les joues bouffies ; enforte que les foldats difoient commu-
nément qu'il paroiiToit engraifle avec de la bouillie. De plus
il paflfoit fa vie à boire ôc à dormir, étoit haï de tout le mon-
de par fes manières féroces ôc impolies , ôc ignoroit l'art de fe
faire des créatures parles careffes & les bienfaits. Il difoitàce
fujet , qu'il craignoit de fe rendre fufpect au Sultan fon père ,
en s'attirant l'arle&ion des peuples. Bajazet au contraire avoit
gagné le cœur des Turcs, par fon aimable caractère ôc par les
fervices qu'il cherchoità rendre en toute occafion aux Bâchas
ôc aux officiers du Serrail , qui ne voyoient qu'avec douleur un
Prince fi accompli deftiné à une mort certaine 3 lorfqueSelim
monteroit fur le thrône.
Bajazet , comme nous l'avons dit , étoit protégé de Roxe-
lane, qui l'aimoit uniquement, ôc de Ruftan confident delà
Sultane , qu'on avoit éloigné du gouvernement des affaires ,
pour faire ceffer les murmures des Turcs , qui lui imputoienc
la mort de Muftapha , mais qui étoit fur le point de ren-
trer dans la charge de Grand Vifir , qu'on lui avoit ôtée. Ce
Prince cherchant les moyens de fe dérober aune mort inévi-
table, réfolut de périr plutôt les armes à la main , en difputant
l'Empire , que d'abandonner un jour honteufement fa vie à un
bourreau, miniftre des ordres de Selim. D'heureufes conjonctu-
res femblerent favorifer fes defleins. Tes Turcs ne pouvoient
fe confoler de la mort de Muftapha. Plufieurs ne lui furvivoient
qu'à regret; d'autres ne refpiroient que la vengence 3 quelques-
uns qui avoient été attachez à ce Prince infortuné, craignoient
que ces liaifons ne leur devinffenr fatales, ôc cherchoient à fe
garantir du péril par quelque révolution. Il ne manquoit à
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIV. 4îf
tous qu'un Général qui fe mît à leur tête. Si on ne pouvoit
rendre la vie à Muftapha , on le pouvoit fuppofer vivant. On ,-,
fe fouvenoit encore d'un autre Muftapha appelle dans les An- "jj
nales des Turcs , Du/mes , c'eft-à-dire , fuppoté, qui en l'année
1423 avoit paru après la mort de Mahomet, ôc s'étoit dit le ' '
fils de Bajazet Gilderun , quoique ce fils eut été tué long-tems
auparavant dans un combat , que Tamerlan avoit livré aux
Turcs. On penfoit avec plaifir, que cetimpofteur avoit excité
de grands troubles , à l'avènement d'Amurath II. à l'Empire ,
ôc qu'il lui avoit long-tems difputé la Couronne.
Les émiflaires de Bajazet trouvèrent un homme de baffe naïf- Faux Muf-
fance , fourbe ôc effronté 3 qui avoit les traits ôc la taille du tap
prince Muftapha. Cet avanturier prenant le nom de Muftapha,
parut fur la fcene dans une province qui eft au-deffus de Con-
ftantinople y ôc voifme des bouches du Danube. Accompa-
gné de peu de perfonnes , il répondoit comme en tremblant à
ceux qui lui demandoient fon nom, qu'il étoit Muftapha, ôc
que fuyant la colère du Sultan fon père, il s'étoit fauve adroi-
tement. Il ajoûtoit , pour rendre cette fable plus croyable ,
que lorfque fon père l'avoit envoyé quérir , qu'il n'avoit ofé fe
préfenter devant lui , mais qu'il avoit engagé par de grandes
promeffes un de fes confidens , qui lui reffembloit parfaitement,
d'aller au lieu de lui , pour éprouver par là les difpofitions du
Sultan à fon égard : Que cet ami malheureux avoit été étran-
glé , fans avoir été entendu , ni préfenté à Soliman : Qu'enfuite
fon corps ayant été jette devant la tente du Sultan , plufieuts
avoient cru , que c'étoit celui du véritable Muftapha > parce
que ce malheureux ayant long-tems difputé fa vie contre fes
bourreaux , avoit le vifage tout défiguré : Que pour lui , il avoit
pris auîTi-tôt la fuite , ôc que s'étant embarqué fur le canal de
la mer noire, il s'étoit rendu dans leur payis. D'abord il ra-
contoit cette fable avec de grandes précautions ôc en faifoit
comme un fecret 5 puis voyant qu'on l'écoûtoit avec avidité
ôc qu'on ajoûtoit foi à fes impoftures , il les publia par-tout avec
de nouvelles circonftances > imputant fes malheurs à Roxelane
fa belle-mere , ôc à Ruftan gendre de cette femme , qui gou-
vernoient , difoit-il à leur gré le Sultan décrépit , après l'avoir
enchanté par des philtres : Puis prenant un air plus hardi ,
ôc connoiffant que les hommes fuivent plus volontiers les
lu lj
43<* HISTOIRE
; Princes qui ont des refïburces , que ceux qu'ils voyent mal-
François heureux, ôc que contens de donner des larmes ftériles à fin-
IL fortune des derniers , ils font peu difpofez à les fecourir , il
1 S 5 9- ajoûtoit qu'en l'état où il étoit , il avoit encore de grandes ef-
pérances ; que la juftice de fes droits animoit fon courage ,
qu'il ne manqueroit pas d'amis , qui le tireroient de l'obfcu-
rité où fes difgraces l'avoient réduit , ôc le vengeroient de fes
ennemis ; que les JanilTaires , qui faifoient la principale force de
l'Empire , lui étoient dévouez , auffi-bien que les principaux
officiers du Sultan fon père ; ôc qu'enfin ce grand nombre de
perfonnes , qui le pleuroient comme mort > ne manqueroient
pas d'accourir à fa défenfe , quand elles le fçauroient plein
de vie.
L'impofteur fçut débiter ces menfonges avec tant d'adrefTe ;
que plusieurs ajoutèrent aifément foi à un roman , qui fuppo-
foit vivant un Prince qui leur avoit été fi cher : d'autres qui
avoient connu Muftapha durant fa vie , ôc qui l'avoient va
mort , après qu'on l'eut étranglé, prirent plailir à être trom-
pez, en un tems où le gouvernement leur étoit devenu odieux.
La plupart enfin gagnez par les careffes , par les offres , ôc par
les préfens du faux Muftapha , à qui Bajazet avoit fait fournir
de grofTes fommes , favoriferent fon parti , ôc s'enrollerent fous
fes ordres. Ainfi en peu de tems il foûleva de grandes provin-
ces , leva des troupes de tous cotez , ôc en compofa une ar-
mée. Au premier bruit de ces mouvemens.» Soliman écrivit
aux Bâchas de cespayis, d'éteindre au plutôt cet embrafement,
avant qu'il pût s'étendre plus loin ; de joindre leurs forces ,
Ôc d'accabler au plutôt l'impofteur 5 imputant à leur foibleffe
ôc à leur négligence les progrès qu'avoit fait le menfonge. En
même-tems il envoyé Pertau , un de fes généraux en qui il
avoit le plus de confiance, avec une affez petite armée, mais dont
les officiers étoient choifis ôc très affectionnez au Sultan 5 par-
ce qu'il craignoit que les Janiflfaires , milice également for-
midable à fon Souverain ôc aux ennemis , ôc toujours prête à
fomenter des troubles , ne fe laiffaffent gagner par argent, Ôc
féduire par les promeffes. Auffi-tôt les gouverneurs des pro-
vinces marchent aux féditieux , déconcertent leurs projets ôc
épouvantent ces nouvelles troupes , dont une partie prend la
fuite. Pertau furvenant alors , tous s'avancent vers le lieu , où
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIV. 437
le faux Muftapha étoit avec le peu de gens qui lui étoient
reftez fidèles. Ces troupes affemblées à la hâte , Ôc qui ne François
cioyoient pas avoir fi-tôt à combattre , oublièrent bien-tôt ce J ]/
qu'elles avoient promis à leur chef, ôc l'abandonnèrent. Le i r 7 p.
faux Muftapha , qui ne pcuvoit fe réfoudre à fuir , ôc les arti- Le faux
fans de cette fraude, furent pris 6c envoyez à Conftantinople. Muftapha eft
Ayant été appliquez à laqueftion, ils firent connoître parleurs "
dépofitions , que Bajazet étoit l'auteur de cette intrigue.
Le deflein de ce jeune prince étoit de fe joindre aux re-
belles, lorfqu'il les auroit vu afTez forts , ôc de marcher droit
à Conftantinople avec cette armée , ôc avec plufieurs de fes
partifans les plus dévouez , ou , fuivant la difpofition des efprits ,
d'attaquer Seîim fon frère. Le Sultan fit jetter les coupables
dans la mer , la nuit étant fort avancée '> croyant qu'il lui im-
portoit de cacher aux Princes voifins de fes Etats , un crime
domeftique , ôc les malheurs de fa maifon. Ce pete , irrité au
dernier point contre Bajazet ,1'auroit aulîi facrifié à fa colère ,
fi Roxelane n'eût trouvé moyen de l'appaifer. La Sultane avec
fa fagacité ordinaire pénétra les chagrins de Soliman , ôc fai-
fant tomber adroitement le difcours fur Bajazet, le pria de par-
donner une première faute à fa jeuneffe , ôcà fon peu d'expé-
rience, ôc de fuivre en cela l'exemple de fes ancêtres , qui n'a-
voient puni dans leurs enfans , que la perféverance dans le cri-
me. Enfin fes prières, fes larmes, ôc fes careîTes fléchirent le
vieux Sultan , qui ne pouvoit rien refufer à cette femme. Il dit
qu'il pardonnoit à fon fils , ôc qu'il n'avoit qu'à fe préfenter à
lui > pour recevoir fes ordres. Aufîi-tôt Roxelane lui écrivit
fecrettement } qu'il ne manquât pas de venir trouver Soliman 5
qu'il ne devoit rien craindre s ôc qu'elle avoit obtenu fa
grâce.
Quoique Bajazet eût devant les yeux la mort récente du Soliman
prince Muftapha j cependant comptant fur le crédit , ôc fur 3aja°""e
la tendreffe de Roxelane , il fe rendit à un lieu près de Conf-
tantinople , où fon père l'attendoit. Lorfqu'il fut defcendu de
cheval , les officiers du Sultan lui ôterent fon épée ôc fon poi-
gnard. Quoique ce foit l'ufage de defarmer ceux qui vont à
l'audience du Grand Seigneur , ce fils criminel fut faifi de la
plus grande frayeur en ce moment. Mais ayant paffé enfuite
devant une jaloufie , où étoit fa mère qui le rafTura, il reorit
1 T • l
1 11 11;
438 HISTOIRE
. courage , ôc vint fe jetter aux pieds de Soliman. Ce prince
François ^aYant &** affeoir, lui reprocha l'énormité de fon crime. Il lui
Il * dit qu'en prenant les armes contre fon frère , il les avoit prifes
fç+.Q contre lui ; qu'il avoit expofé à un grand danger la Religion
des Mufulmans , en excitant des diflentions domeftiques , qui
tendoient à détruire la famille des Ottomans , le plus ferme
appui de la foi de Mahomet : Que malgré cela il avoit réfolu
néanmoins de lui pardonner. Enfuite lui ayant dit plufieurs
chofes fur la providence éternelle de Dieu , il l'avertit de re-
mettre le foin de fa deftinée entre les mains du Seigneur , qui
ôte ôc donne les Sceptres comme il lui plaît ; ajoutant que lî
le deftin avoit réglé , qu'il régnât après fon père , ce décret
feroit immuable , ôc que qui que ce foit ne le pourroit chan-
ger : Que fi au contraire Dieu en avoit ordonné autrement *
il falloit être infenfé , pour s'oppofer aux ordres d'en haut :
Qu'il eefsât donc d'exciter des troubles , ôc d'attaquer un frère
qui demeuroit tranquille : Qu'il refpedât les années de fon père»
ôc de fon Souverain , ôc qu'il n'ouvrît pas fon tombeau avant
le tems , en l'accablant de chagrins domeftiques. Bajazet ré-
pondit peu de chofes, cherchant plutôt à fléchir le Sultan ,
qu'à fe juftirier, ôc il l'affura d'une obéïflance inviolable à l'a-
venir. Alors Soliman prenant unvifage plus doux , comman-
da qu'on apportât à boire , ôc préfenta la liqueur à fon fils.
Celui-ci crut que c'étoit fait de fa vie* ôc n'ofa cependant re-
fufer le breuvage : mais le Sultan ayant bu après lui , il feraf-
fura entièrement.
C'eft ainfi que Bajazet fortit de cette entrevue plus heu-
Le vifir reufement qu'il n'avoit ofé l'efpérer , ôc qu'étant rentré en
ctun"ll C grâce , il retourna dans fon gouvernement. Le grand Vifir
Acomat fut étranglé peu après. Il avoit fuccedé à Ruftan 3
qu'on avoit privé de cette première charge de l'Empire , après
la mort du véritable Muftapha , pour fatisfaire la haine des peu-
ples contre lui. On fit un crime à Acomat de fon attache-
ment pour le feu prince Muftapha, Ôc du peu de foin qu'il
avoit eu de prévenir les deiTeins de Bajazet , ôc de l'impôt-
teur fon complice. Plufieurs croyent qu'on ne lui ôtalavie,
qu'afin que Ruftan eut fa place. Ils difent que Soliman avoit
promis à Acomat de lui laifTer le fceau de l'Empire toute fa
vie ; ôc que prefîe par Roxelane de le rendre à Ruftan, il le
DE J. A. DE THOU,Liv. XXIV. 43P
Et mourir , pour complaire à la Sultane, fans violer fon ferment. •-* ' _ig
Ils ajoutent, que Soliman avoit dit que c'étoit ufer d'huma- François
nité envets Acomat de le faire mourir , parce qu'il mourroit H.*
mille fois de douleur > s'il voyoit un autre en poiTeflion de fa i C c p.
charge. Sa mort ayant donc été réfoluè , on la lui annonça de
la part de Soliman , un jour qu'il vencit au Divan fans rien
appréhender. Comme il avoit un grand courage , il reçut cet
ordre, fans paroître ni furprisni ému. Il ordonna feulement
au bourreau de fe retirer, ne voulant pas, dit-il, que des mains
impures le touchaflent. Alors ayant jette les yeux fur ceux qui
étoient préfens , il pria avec un vifage tranquille un de fes
amis , de lui rendre un important ôc dernier fervice, en lui ôtant
la vie. Celui-ci s'en étant long-tems défendu , enfin lui obéît,
6c l'étrangla avec la corde d'un arc qu'il banda , ôc relâcha
plus d'une fois par les ordres du grand Vifir , qui vouloit de
cette manière , difoit-il , lèntir venir la mort. Telle fut la fin
d' Acomat 3 homme décrié par fes concufïions ôc par fes crimes,
mais qu'une valeur intrépide , & une longue expérience à la
guerre avoient élevé à la première dignité de l'Etat. On ap-
prit cette mort avec des fentimens difFerens. Bajazet en fut
eonfterné ; mais il diiîimula habilement fes chagrins : fur de la
tendreffe de la Sultane fa mère , il calma fes craintes , ôc tant
qu'elle vécut , ne fongea point à former de nouveaux deffeins.
Mais Roxelane étant morte deux ans après, il excita de nou-
veaux troubles , dont il fut enfin la vitlime.
Ce Prince oubliant alors ce qu'il devoit à un père fon Sou- Nouvelle
verain, ôcàun frère deftiné à l'Empire > tendit plus d'une fois révolte de
des embûches à Selim , pour le faire périr. Il l'attaqua même BaJa2,et*
à force ouverte , étant entré avec des troupes dans le payis,
dont il étoit gouverneur. Car Selim commandoit dans la pro-
vince de Magneflfe , & Bajazet dans celle de Chiatea , qui eft
limitrophe. La haine de celui-ci alloit jufqu'à maltraiter les
officiers de fon frère , qui tomboient entre fes mains , à atta-
quer fa réputation , ne pouvant lui ôter la vie , ôc même à
entretenir par fes émiffaires des factions dans la ville où Selim
réfidoit. Selim avoit foin d'avertir Soliman de la conduite de
Bajazet ; fuppliant fon père de fonger à fa propre fureté , ôt
de faire reflexion , que ces hoftilitez étoient le prélude de ce
qu'on méditoit contre lui 5 que Bajazet regardoit également la.
440 HISTOIRE
« vie de ion père ôc la Tienne comme un obftacle à fes deiïeins
François ambitieux ôc impies. Enfin il ajoùtoit, qu'il étoit bien plus
jj * allarmé du péril qui menaçoit fon père , que de la haine im-
j - ^ g placable d'un frère } qu'il ne redoutoir nullement.
Soliman écrivit à Bajazet, pour le faire fouvenir de fon de-
voir , l'avertiffant qu'il fe lafferoit enfin de lui pardonner j qu'il
cefsât de perfecuter fon frère, 6c de donner des chagrins à un
père , qui n'avoit que peu de tems à vivre ; après quoi Dieu
décideroit du fort de l'un ôc de l'autre. Quoique ces avishf-
fent peu d'impreiïion fur Bajazet, il répondit avec les termes
les plus fournis ôc les plus refpeclueux. Mais fa conduite dé-
mentoit fes paroles. Le vieux Sultan voyant qu'il avoit tou-
jours d'ambitieux delTeins , crut que ces frères étant éloignez
feroient peut-être plus unis ; puifque la proximité deleurspro-
vinces , qui eût dû entretenir l'amitié entr'eux , occafionnoit
leurs difcordes. Il donna donc ordre à Selim d'aller à Cogni ,
ôc à Bajazet d'aller à Amafie , gouvernement qu'avoit eu l'in-
fortuné Muftapha , ôc qui fembloit annoncer à Bajazet une
pareille deftinée. Soliman n'avoit aucun mécontentement de
Selim ; mais craignant que fon frère ne fe portât aux derniè-
res extrêmitez , s'il fe voyoit feul déplacé , il jugea à propos
de les traiter également l'un ôc l'autre. Selim , qui n'igno-
roit pas que ce changement fe faifoit en fa faveur , obéit aufli-
tot. Bajazet au contraire , qui regardoit le gouvernement de
Chiatea comme favorable à fes vues , parce qu'il étoit peu
éloigné de la capitale de l'Empire , ne pouvoit le réfoudre à
partir. Il mandoit au Sultan fon père , qu'il acceptoit avec
peine le gouvernement d'Amafie ; ville quiluirappelleroit fans
ceflfe le fouvenir du prince Muftapha : qu'il le fupplioit du moins
de lui permettre de palier l'hiver à Chiatea 3 ou de demeurer
à Magneife , que Selim abandonnoit. Durant ces incertitu-
des } Selim ayant fait un grand détour pour fe rendre à Burfa ,
ville de Bithinie fituée en Afie vis-à-vis de Conftantinoplej pafla
près des lieux où Bajazet faifoit fon féjour. Celui-ci en vou-
lut faire un crime à fon frère auprès du Sultan ; l'acculant d'en
vouloir à fa vie ôc à celle de l'Empereur. Mais ces plaintes fu-
rent vaines ; parce que Selim n'avoit rien fait , que par les
ordres de fon père. Il fît encore de nouvelles inftances 3 pour
n'être point obligé de fe rendre dans un lieu fi funefte à fon
frère
D E J. A. D E T H O U , L i v. XXIV. ^i
frère , ou pour obtenir Magnefie , ou quelqu'autre gouverne-
ment. Soliman étant demeuré ferme dans fa réfolution , Baja&et François
fous differens prétextes refufa d'obéir , Ôc en même-tems le- ni
va des troupes , arma des foldats , amaffa de l'argent , 6c fit 15^9.
de grands préparatifs de guerre avec une extrême diligence ,
pour fe défendre , ou pour accabler Selim.
Soliman, qui fçavoit que l'Europe & l'Afie étoient égale-
ment attentives à la difcorde des deux Princes , crut qu'il de-
voit fe conduire en cette occafîon avec douceur , ôc pacifier
les troubles , fans répandre de fang. Aufïi-tôt Mehemet ôc
Pertau , deux des premiers officiers de la Porte furent dépê-
chez , le premier à Selim , ôc le fécond à Bajazet , avec ordre
de faire partir les Princes pour leurs nouveaux gouvernemens.
On avoit commandé à ces Miniftres de ne les point quitter,
qu ils ne fufTent arrivez dans les provinces qui leur étoient
deftinées. Pertau étoit chargé de plus , d'obferver avec foin les
deffeins ôc la conduite de Bajazet. Selim reçut Mehemet avec
de grandes marques de joye, ôc obéît auffi-tôt. Il ne conve-
noit pas aux vues de Bajazet , d'avoir auprès de lui le plifs fi-
dèle miniftre de fon père , qui eût éclairé fes démarches. Il
trouva donc moyen de le renvoyer , en feignant de partir pour
Amafîe , ôc dit à Pertau qu'il vouloit qu'il fût fon protecteur
auprès du Sultan fon père, ôc qu'il le chargeoit de l'affûrei:
qu'il feroit toujours très - fournis à fes ordres , fi fes intentions
n'étoient point combattues par Selim, dont il nepouvoitfouf-
frir les injuftices à fon égard > ôc les embûches qu'il lui ten-
doit tous les jours.
Soliman , qui ne douta plus alors des deffeins de Bajazet ,
donna ordre au Bâcha de la Grèce , quoiqu'il eût la goûte , de
fe rendre auprès de Selim avec toute fa cavalerie , ôc de join-
dre fes forces aux fiennes. En même-tems il commanda à Mehe-
met, qui étoit de retour à la Porte, de paffer en Afie avec les
Janiflaires qui lui étoient les plus affectionnez ; ôc il paroiffoit
que le Sultan avoit réfolu de fuivre peu de jours après ce Gé-
néral. Mais les Janiflaires ofoient blâmer hautement cette ex-
pédition, ôc fe rangeoient à regret fous leurs drapeaux. Ils
regardoient avec horreur une guerre entre deux frères 5 princes
du fang Ottoman. Ils difoient qu'elle n'étcit ni jufte ni néceffaire,
Tome III. K k k
François
II.
442 HISTOIRE
ôc qu'on devoit la fufpendre. Contre qui , ajoûtoient-ils , tour-
nerons-nous nos armes ? Contre Bajazet } qui eft aufîi - bien
que Selim 1 héritier de l'Empire , & que la néceffité engage
à une jufte défenfe ? Soliman , prince religieux , ayant appris
ces murmures., jugea à propos de confulter le premier Minis-
tre de la Loi de Mahomet, que les Turcs nomment Mufti ,
ôc de lui demander , comment il devoit traiter celui qui de
ion vivant faifoit des levées d'hommes ôc d'argent , s'emparoit
des villes de l'Empire, ôc en troubloit le repos 5 ôc quel châ-
timent méritaient ceux qui avoient pris les armes en faveur de
ce rebelle \ ou ceux qui refufoient de les prendre contre lui ,
ôc qui ofoient publier j qu'il étoit innocent. Le Mufti fit ré-
ponfe 3 que cet homme étoit digne du dernier fupplice , auiïi-
bien que ceux qui le favorifoient , ôc qu'on devoit regardée
comme ennemis de la Loi de Mahomet , ôc gens déteflables,
ceux qui ne vouloient pas leur faire la guerre. Le Sultan qui
avoir craint de bleffer fa confeience en marchant contre fon
fils i fut rafiuré par la décifion du Mufti , ôc après l'avoir fait pu-
blie? dans l'Empire, il l'envoya à Bajazet même parle chef des
lcoglans. En ce même tems-là Bajazet prit un des officiers
du Sultan fon père , ôc le renvoya à la Porte , après lavoir char-
gé de dire à Soliman , qu'il confervoit pour lui les fentimens
les plus refpetlueux , qu'il n'avoit point pris les armes contre
un père , ôc qu'il étoit prêt à lui obéir en toutes chofes •■> mais
qu'il s'agiiloit aujourd'hui de difputer ôc fa vie ôc l'Empire
à fon frère ; qu'il falloit néceffairement qu'il pérît par les ar-
mes de Selim, ou que Selim pérît par les fiennes; qu'il avoit
réfolu de vuider enfin ce grand différend 5 ôc qu'il le fupplioit
de ne fe point mêler de cette guerre , ôc de laifier Dieu feul
décider du fuccès.
Ce jeune Prince naturellement fier , ôc qui avoit conçu de
grandes efpérances , par les fecours qui lui venoient de toutes
parts, ofa bien menacer fon père, s'il pafîbit la mer pour ve-
nir au fecours de Selim. Il lui fit dire qu'il avoit une retraite aflu-
rée 5 mais qu'il ne quitteroit l'A fie qu'après l'avoir défolée par
le fer ôc par le feu , comme avoit fait autrefois Tamerlan.
Soliman comprit par ces paroles , que fon fils avoit deffein de
fe retirer chez les Perfes , nation de tout tems ennemie des
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIV. 443
Turcs. Avant que les armes euiTent décidé le différend des
deux frères, ôc lorfqu'il étoit incertain de quel côté fe décla- François
reroit la victoire , il craignoit que Bajazet , après avoir pris ]X
Cogni, ne defcendît dans la Syrie, ôc ne pénétrât enfuite en I <- <- p,
Egypte } royaume peu fortifié , où fa domination étoit mal
affermie , ôc où les peuples , fe fouvenant encore de l'empire
des Mammelus x, étoient tous difpofez à la révolte. Il penfoit
qu'il feroit très-difficile de le chafler d'un payis , toujours in-
fecté par les Arabes prêts à prendre parti dans toutes les guer-
res, pour aller piller, ôc que de l'Egypte le trajet étoit facile
dans les Etats des princes Chrétiens. Lorfqu'il étoit agité de
ces inquiétudes , il apprit que Bajazet s'étoit emparé de la
ville d' Axuar , qui faifoit partie du gouvernement de Selim >
qu'il l'avoit pillée , ôc qu'il en avoit tiré de groiTes fommes
d'argent. Soliman crut qu'il devoit marcher avec fes troupes
de ce côté-là , Ôc manda en même-tems à Selim de fe rendre
maître de la ville de Cogni , de prévenir par là les defleins
de fon frère , ôc de placer fon camp aux environs de cette
place, où il attendroit les fecours qu'il lui envoyeroit.
Bajazet voyant qu'il ne pouvoit plus reculer , faifoit tous
les jours de nouvelles levées , pour augmenter fes troupes. Il
comptent principalement furies îbldats qu'il avoit levés en Phry-
gie, qu'on appelle Curdes*, qu'il regardoit comme fa principale *ouChiuries.
force. Etant arrivé au camp , il lit faire l'exercice à fon ar-
mée , ôc donna même un combat feint , qui reiTembla fi bien
à un véritable , que plufieurs de fes foldats y furent tuez ou
bleflez ; fes cavaliers s'étant chargez les uns les autres avec
plus d'ardeur que de précaution. Il étoit campé dans une vafte.
plaine près de la ville d'Ancyre , que les Turcs nomment Anguri,
qui lui fourniffoit en abondance toutes les provifions néceffai-
res > ôc il avoit enfermé les femmes ôc les enfans dans la citadelle.
Il avoit dans fes troupes un grand nombre de braves officiers.,
que la faveur de la Sultane fa mère , ou de la Princeiïe fa
fœur , femme deRuftan , avoit élevez aux. premières charges.
Outre cela tous ceux qui avoient été attachez à l'infortuné
Muftapha fon frère , Ôc au grand Vifir Acomat , fuivoient fa
fortune. Il avoit encore auprès de lui plufieurs hommes
i Selim I. Empereur des Turcs dé- I Mammelus , Soudans d'Egypte , que
truifîc vers l'an 15115. l'empire des ) Saladin avoit fonde'.
K kkij
444 HISTOIRE
diftingnez parleurs grandes qualitez } ôc par leur valeur, qu'il
François 2iVOlt ^u gagner par fa bonne mine , par les grâces répandues
j| J fur toute fa perfonne , par fa libéralité, par fa réputation , ôc
- -, q par fa politeffe. Tous étoient touchez des malheurs de Ba-
jazet , & ne voyoient qu'avec indignation , que Soliman pré-
férât à un fils fi accompli , ôc fa plus vive image , un autre 3
qui par la pefanteurde fon corps ôc de fon efprit,lui reffem-
bloit II peu. Bajazet , difoient-ils , a-t-il fait un crime de pren-
dre les armes , lorfque la nécefîité l'y a contraint ? Selim
ayeul des jeunes Princes n'en ufa-t-il pas ainfi, lorfqu'il nepou-
voit faire autrement , ôc ne fut-il pas contraint de hâter les
jours du Sultan fon père ? C'eft de lui néanmoins que Soli-
man tient aujourd'hui fa Couronne , ôc qu'il en jouit à titre
légitime. Ils ajoûtoient que Bajazet étoit plus vertueux que
Selim fon ayeul j qu'il refpecloit fon père , qu'il faifoit des
vœux pour la durée de fes jours, ôc qu'il n'attaqueroit point
le Prince fon frère 3 fi on lui vouloit permettre de réiider en
des lieux , où il pût trouver quelque repos ôc un fur azile.
Bajazet voyant fes troupes animées par ces difcours , qu'on
avoit répandus avec foin , marcha droit contre Selim , dont
l'armée foûtenuë de la puiffance du Sultan , ôc commandée
par les plus grands capitaines , avoit un train nombreux d'ar-
tillerie j ôc toutes fortes de provifions de guerre ôc de bouche.
Il fit une courte harangue à fes foldats , pour les encourager à
combattre vaillamment : il leur réprefenta qu'ils ne dévoient
point craindre ce grand nombre d'ennemis ; puifque les trou-
pes du Sultan fon père 3 qui étoient dans l'armée de Selim ,
favorifoient fecretement fon parti , ôc que quand même elles
combattroient , elles ne pourroient vaincre fous un chef lâche,
méprifé , ôc cruel. Le fignal étant donné , on attaqua, ôc on fe
défendit de part ôc d'autre avec un grand courage. Bajazet à
la tête des fiens fit des prodiges de valeur , ôc s'acquitta de
tous les devoirs de foldat ôc de capitaine. Enfin voyant fes
rangs rompus , ôc éclaircis parle grand feu du canon fupérieur
au lien > ôc qu'il ne pouvoit réfifter au grand nombre , après
avoir long-tems difputé la victoire , ôc taillé en pièces plufîeurs
bataillons ennemis , il fit former la retraite , ôc fe retira en bon
ordre , laiffant la victoire à fon frère ; mais couvert de gloire
ôc ayant forcé fes ennemis même à l'admirer , ôc à avouer qu'il
DE J. A. DE THOU3 L i v. XXIV, 44?
eût mérité de vaincre. Selim fe voyant maître du champ de
bataille demeura tranquille , ôc ne fe mit pas en devoir de fui- François
vre les ennemis. Les Turcs, gens fuperftitieux , racontent qu'il jj '
fortit d'une mofquée au tems du combat un grand vent , qui i< <q,
éleva un gros nuage de poufïiere contre les foldatsde Bajazet;
enforte qu'en ayant été comme aveuglez , ils prirent la fuite
ôc furent prefque tous taillez en pièces.
Soliman ayant appris le fuccès du combat } fortit de Con-
ftantinople le 5" de Juin 3 ôc ayant paffé la mer s'arrêta en un
lieu peu éloigné du rivage , voulant faire voir à fes peuples la
joye que lui donnoit la victoire de Selim. Il le regardoit com-
me l'héritier de l'Empire. Il l'aimoit uniquement , l'ayant tou-
jours trouvé fidèle ôc fournis. Au contraire , il haïffoit Bajazet
comme un fils rebelle y qui de fon vivant vouloit ufurper la
Couronne. La gloire même qu'il s'étoit acquife dans le der-
nier combat, ôc les louanges qu'on lui donnoit de toutes parts,
le lui rendoient encore plus odieux. Craignant qu'à l'exemple
de Selim fon ayeul, il ne fe rendît plus redoutable après fa
défaite , qu'il ne l'étoit avant le combat , il réfolut de faire les
plus grands efforts pour le perdre. Bajazet voyant fes affai-
res defefperees, s'étoit retiré avec ceux de fon parti à Amafie ,
lieu que le Sultan lui avoit affigné , comme nous l'avons dit,
pour déconcerter fes amis ôc fes projets , ôc où il avoit refufé
de fe rendre, en déférant plutôt aux confeils d'une jeuneffe
imprudente, qu'aux ordres de fon père. Il parut qu'il étoit dans
le deffein d'y vivre tranquille , fi le Sultan le lui permettoit.
Il fit même ce qui dépendoit de lui , pour appaifer ce père
irrité , en lui écrivant les lettres les plus fournîtes ; ôc il tacha
de découvrir par des amis qu'il avoit encore à la Porte , fes
fentimens à fon égard. Le Sultan paroiffoit d'abord affez dif-
pofé à lui rendre fes bonnes grâces. Ses lettres ôc fes meffa-
gers étoient admis , ôc il recevoit des réponfes affez favorables.
Déjà même le bruit s'étoit répandu dans l'armée , que Soli-
man étoit prêt à pardonner à fon fils en faveur de fa jeuneffe.
Mais cette bonté apparente étoit un artifice du Sultan Ôc de
fes Miniftres , pour tromper Bajazet , l'attirer à Conftantinople .,
ôc l'avoir en leur puiffance.
Soliman craignoit que Thamas , ou Tecmas , Roi de Perfe >
fe fouvenant qu'il avoit autrefois donné un aille au prince Elcas
K k k iij
X
44^ HISTOIRE
fon frère , 6c allumé en cette occafion une funefte guerre ,
^T ~^ ne lui rendît la pareille, ôc que fi Bajazetpénétroit une fois dans
tt^ les iLtats, il ne conientit jamais a le rendre. 11 prevoyoït avec
douleur, qu'il feroit obligé de prendre les armes à ce fujet, ôc
* > "* de rendre peut-être aux Perfes les villes qu'il leur a voit enle-
vées. Ainfi il cherchoit les moyens de perdre ce fils , avant
qu'il pût lui échapper , ôc il envoyoit fans ceffe des ordres à
fes Bâchas , pour faire garder les paffages de la Turquie dans
la Perfe. Malgré ces précautions néanmoins il ne put empê-
cher fon évalion. Bajazet n'ignoroit pas que, dans le tems mê-
me que le Sultan fembloit moins aigri à fon égards il faifoic
arrêter ceux qu'il foupçonnoit de lui être affectionnez , qu'il
les condamnait à fournir les plus cruels tourmens, pour les
obliger à accufer un fils odieux ; que la torture étoit fuivie
du dernier fupplice , Ôc que plufieurs avoient péri de cette
manière. Il jugea donc qu'il n'avoit pas de tems à perdre , ôc
qu'il devoit exécuter au plutôt le deffein qu'il avoit formé
avant le combat de Cogni. Il fe mit donc en chemin pour
la Perfe, avec quelques foldats armez à la légère , amenant avec
lui fes enfans , excepté un feul qui venoit de naître , qu'il aima
mieux abandonner avec fa mère à la clémence du Sultan fon
ayeul , que de l'expofer aux fatigues d'un voyage pénible ôc
dangereux. Cet enfant fut envoyé à Burfa par les ordres de
Soliman , qui voulut qu'on en prît foin , jufqu'à ce que la def-
tinée de Bajazet eût décidé de fon fort.
Le Sultan ayant appris que fon fils étoit forti d'Amafîe , ôc
ne doutant point qu'il ne fût arrêté dans fa fuite , fuivant les
ordres qu'il avoit donnez , avoit commandé à fes troupes de
revenir de Conftantinople , ôc de fe mettre en marche le len-
demain du jour de Pâques. Car les Turcs célèbrent aufli cette
foiemnité , félon le précepte de Mahomet , auteur d une fe£te
impie , qui eft devenue redoutable aux Chrétiens. Ce faux Pro-
phète , confondant les cérémonies facrées avec les prophanes ,'
a imaginé une indigne religion , monftrueufe ôc inoùie , où l'on
reconnaît un mélange bizarre du Judaifme ôc du Chriftianifme
qui a fuccedé au culte des Juifs.
Lorfque Soliman fçut que Bajazet étoit échappé, il entra
dans une furieufe colère , ôc menaça de faire périr les Bâchas
des frontières , s'ils ne le lui livroient mort ou vivant. Ceux-ci
DEJ.A.DE THOU,Liv. XXÎV. 447
firent de concert la plus grande diligence pour l'atteindre. Mais ■ »
il courait avec tant de lecret ôc de viteffe , qu'il arrivoit toù- Francois
jours dans les lieux qui étoient fur fon paffage, avant qu'on jj'
fçût qu'il dut y arriver. Il fçut aulli tromper adroitement le Ba- 1559.
cha de Sebafte. Il y avoit deux détroits , par l'un defquels il
falloit néceffairement que Bajazet pafsât. Le Bâcha occupoit
celui qui abregoit le chemin , enforte que le Prince auroit été
obligé de prendre un long détour pour gagner l'autre. Il lit
avertir le Bâcha par des hommes- de fa fuite , qui fe difoient
déferteurs, que Bajazet avoit pafTé par cet autre endroit que
l'on ne gardoit pas. Le Bâcha trop crédule quitte aufïï-tôt l'on
pofte avec fes troupes, court après le Prince qu'il croit l'avoir
devancé , tandis que celui-ci paiTe par le détroit qui n'étoit plus
gardé. Il trompa aufîi le Bâcha d'Erferon x. Car l'ayant envoyé
faluer de fa part , ôc lui ayant fait dire -, qu'il alloit arriver pour
fe repofer quelques jours dans fa ville, Ôc faire ferrer fes che-
vaux, il marcha nuit ôc jour fans relâche, 6c fortit enfin des
Etats de fon père, lorfque le Bâcha, qui n'étoit point d'ailleurs
fur fes gardes, l'attendoit dans fon palais , après avoir fait à fes
envoyez une réponfe favorable. Mais Soliman crut que ce Gou-
verneur avoit bien voulu favorifer la fuite de fon fils, ôc le dé-
pouilla de fa dignité, Selim le fit mourir quelque tems après,
6c fit fouffrir à lès fils des traitemens indignes , Ôc pires que
la mort. Le Sultan vouloit dans les premiers tranfports de fa
colère marcher contre lesPerfes, avec les Janiffaires ôc les Spa-
his. Mais fes Miniftres lui représentèrent , que s'il abandon-
noit fa ville capitale , Bajazet pourrait revenir par la mer de
Zabache 2 , ôc par la mer Noire , ôc y exciter.de grands troubles,
en promettant la liberté aux efclaves , ôc en attirant les gens
de guerre à fon parti par I'efpérance d'une plus forte paye.
Car il avoit fait écrire fur les maifons ou il s'étoit arrêté dans
fa fuite , qu'il donnerait double folde aux gens de guerre qui
voudraient fuivre fon parti.
Enfin ce Prince ayant pafTé avec les fiens le fleuve Achlat Bajazet fe
qui fépare la Turquie de la Perfe, ôc ne fe croyant pas en- peruf|'e en
core en fureté , pofà des gardes fur le rivage, pour difputerle
paiTage aux Bâchas qui le pourfuivoient. Ceux-ci n'eurent pas
de peine à mettre en fuite une petite troupe, ôc entrèrent dans
1 ou Artzerum. 1 z ou mer d'Afoph.
.^•^■nyjJIIMJBP
44S HISTOIRE
la Perfe. Àuiïi-tôt les Gouverneurs du payis vinrent à leur
François rencontre, ôc leur repréfenterent que c'étoit violer la paix, que
II. d'entrer en armes dans leurs Provinces. Ils firent réponfe qu'ils
1 S S 9* ne venoient point comme ennemis, Ôc que bien éloignez de
vouloir faire aucun a£te d'hoftilité, ils pourfuivoient un fils re-
belle à fon père ôc à fon Empereur. Les Perfans leur ayant
dit qu'ils ne recevoient point ces excufes ; mais qu'ils les afiu-
roient, que le Sophi feroit en cette occalion ce qu'il croiroit
convenir à fa dignité , ôc à fon devoir , les Turcs fe retirèrent
dans leurs Provinces.
Thamas demanda d'abord à Bajazet les raifons de fon éva-
fion , ôc le nombre des perfonnes qui l'accompagnoient dans
fa fuite. Ce Prince ayant répondu , qu'il fuyoit un frère qui
lui tendoit de continuelles embûches , ôc un père injustement
irrité contre lui , ôc qu'il venoit demander azile contre fes enne-
mis ; on lui dit , qu'il avoit eu tort de choilir une retraite chez
un Prince , qu'il fçavoit allié de l'Empereur fon père , ôc qui
félon les traitez devoit favorifer les amis du Sultan , ôc faire
la guerre à fes ennemis. On ajouta enfuite , que puifque fa
deftinée l'avoit conduit en ces lieux, qu'on vouloir bien l'y re-
cevoir , le traiter favorablement, ôc ne pas violer les droits de
l'hofpitalité à fon égard. Telle fut l'entrevûë de Thamas, ôc
de Bajazet, qui jugea par les grands égards qu'on eut d'abord
pour lui, qu'il pouvoit ferepofer fur la foi qu'on lui avoit don-
née. On lui fit même concevoir de flateufes efpérances, en
lui promettant que le Sophi travailleroit à le reconcilier avec
le Sultan fon père : on lui laiffa aufïï entrevoir , que ce Prin-
ce étoit difpofé à lui donner une de fes filles en mariage pour
Orcan l'aîné de fes enfans , ôc on TafTura qu'il employeroir
fes bons offices, ôc les plus fortes inftances auprès de Soliman,
pour lui procurer le gouvernement du Diarbekir , de Bagdad,
ou d'Erferon, provinces frontières de la Perfe. On ajouta qu'il
pourroit y jouir d'une vie tranquille, fans craindre en ces lieux
éloignez de la capitale de PEmpire , ni la colère du Sultan,
ni les embûches de Selim 3 ôc qu'après tout fi on vouloit en-
core l'y perfécuter , il feroit à portée de fe réfugier en Perfe
auprès d'un Roi beau-pere de fon fils , qui le protegeroit. Ces
propofitions , qui étoient devenues publiques , donnoient une
grande confiance à Bajazet 3 jufques-là , que Thamas ayant
envoyé
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIV. 44<>
envoyé peu après un Ambaffadeur à la Porte, pour ménager, ■„ ,. m
difoit-on, la réconciliation de Soliman avec fon fils, il char- pRANCOis
gea ce miniftre de dire au Sultan , qu'après avoir eu le mal- jj 5
heur de perdre un père , il en avoit retrouvé un autre en Per- - - Q
fe. Cependant Thamas changea de difpolîtions à l'égard de
Bajazet, ôcfongea à s'afiurer de fa perfonneî foit qu'il eût tou-
jours eu deiïein de le perdre , foit qu'il eût conçu des foupçons
fur fa conduite , ôc qu'il craignît qu'il ne lui tendît des em-
bûches dans fa Cour.
Thamas dégénérant de la vertu du Roi fon père , Prince
magnanime ôc belliqueux , vieillhToit honteufement dans fon
ferrail avec fes femmes , livré à de vains amufemens , ôc peu
occupé du gouvernement de fcs Etats. Ce Roi voluptueux
ôc timide vint à craindre que Bajazet , Prince d'un grand cou-
rage ôc aimant la guerre , n'affoiblît fa puiffance , fur-tout s'il
regnoit après Soliman fon père , ôc qu'il n'eût nourri un fer-
pent dans fon fein. D'ailleurs les officiers ôc les foldats Turcs
de la fuite de Bajazet étoient devenus fufpe£ts au Sophi. Ces
hommes téméraires avoient ofé dire , qu'il étoit permis de tuer
un prince hérétique ( c'eft ainfi qu'ils appelloient le Roi de Per-
fe ) ôc de s'emparer de fes Etats. Il auroit été dangereux d'at-
taquer à force ouverte tant d'hommes braves , ôc déterminez,
que Bajazet avoit amenez avec lui , aufquels le défefpoir eût
fait tout entreprendre. On crut qu'il feroit plus fur de s'en dé-
faire par une fupercherie. On leur dit , qu'ils étoient mal lo-
gez dans la ville , à caufe de leur grand nombre j que d'ailleurs
les denrées y étoient fort chères; qu'on leur fourniroit dans les
campagnes voifines des maifons plus commodes , ôc des vivres
en abondance, ôc qu'on leur confeilloit d'y aller. Ces avis
étoient des ordres aufquels il eut été peu fur de réfifter, quoi-
que les Turcs commençaifent à fe défier de la foi de leur hôte.
Bajazet fut donc obligé de confentir à la volonté d'un Roi dont
il dépendoit , Ôc qui lui auroit fait un crime de fa défiance.
Ainfi fes compagnons furent difperfez en divers lieux éloignez
îes uns des autres, où peu de jours après ils furent égor-
gez, ayant été accablez par le nombre. On viola aufli les Bajazet eft
droits de Phofpitalité à l'égard de Bajazet , en l'arrêtant dans *rvêtè Par OTr
un feftin , où on l'avoit invité. Ses enfàns eurent le même fort; re u op *'
Tom. III. LU
4yo HISTOIRE
ôc furent emprifonnez. Plufieurs Turcs furent aiïez heureux
t- pour s'échapper.
trancOïs t rr 7
H J Kn ce même tems 1 hamas dépêcha un Envoyé a Conltan-
tinople , qui ht prefent à Soliman d'un animal de la grandeur
* * d'un petit chien , appelle fourmi des Indes , qui eft féroce ôc
carnaiïier. Ce Prince dit au Miniftre du Roi de Perfe , qu'il
demandoit qu'on lui livrât Bajazet , comme le Sophi y étoit
obligé par le traité d'alliance 5 ôc il le congédia, après lui avoir
fait rendre les honneurs dûs à fon caractère. Comme le So-
phi alléguoit diverfes raifons, pour ne pas rendre le Prince
fugitif, Soliman fe difpofa à lui faire la guerre. Il fait marcher
des troupes fur la frontière ; donne ordre à Mehemet Bâcha
de la Grèce de s'y rendre, avec un grand nombre de Janiflfai-
res, ôcfollicite les peuples de Leunel, & les cinq Princes de
Géorgie , qui fe prétendent de la race du grand Tamerlan ,
de joindre leurs forces aux fiennes. Il avoit même réfolu d'al-
ler à Alep en Syrie, qu'on croit être l'ancienne ville de Be-
roé : mais la mauvaife difpofition des troupes commandées pour
cette expédition déconcertoit fes defleins. Les foldats paroif-
fant détefter cette funefte guerre, avoient quitté leurs enfeignes
pour revenir à Conrtantinople. Quoiqu'ils euflent retourné à
rarméeje Sultan jugeoitpar là de ce qu'il devoit attendre d'eux,
fi quelque événement balançoit le fuccès de fon entreprife.
Voyant d'un autre côté qu'il nepouvoit obtenir de Thamas,
qu'il lui remît entre les mains fon fils vivant ( parce que ce
Roi craignoit le reflentiment de Bajazet , s'il échappoit aux
gardes qui le conduiroient ) il prit le parti de le faire mourir
en Perfe par la permiflîon du Sophi. Les lettres de ce Prin-
ce lui faifoient croire , qu'il ne feroit pas difficile d'y réufîir.
Le Sophi s'étoit plaint de ce qu'on traitoit par lettres, ôc par
des envoyez une affaire de cette nature. Il avoit ajouté qu'il
devoit lui dépêcher à cefujet quelques-uns des principaux Offi-
ciers de la Porte ; qu'au refte il devoit fentir combien il lui
étoit obligé , d'avoir retenu un prifonnier de cette importance*
que fon arrivée lui avoit caufé plufieurs pertes , ôc qu'il avoit
fait de grandes dépenfes en cette occafion, dont il devoit être
dédommagé.
Ainfile Sultan jugea à propos de gagner Thamas., en lui
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIV. 4P
offrant de greffes fommes d'argent , au lieu d'entreprendre à ^.^^^^
fon âge une guerre peu néceffaire, & dont levenement étoit 7T ■ t
douteux. Il envoya donc en Perfe Haffan-Aga , chef des pa- ' ^
ges du Serrail, qui félon quelques auteurs, faifoit l'effaiàla
table du Grand Seigneur. Il avoit été élevé dès fon enfance > ' '°
avec Bajazet. Il le connoiffoit parfaitement , 6c il avoit ordre
d'examiner à la Cour de Perfe , II Thamas par une double per-
fidie ne luifuppoferoit point un autre homme, au lieu du Prin-
ce fugitif. Haffan eut pour collègue le Bâcha de Mazuan , hom-
me d'un âge avancé , & en qui Soliman fe fioit beaucoup. Ils
partirent au milieu de l'hiver avec des pouvoirs fort étendus,
ôc après avoir franchi des chemins très-difficiles , & perdu la
plupart de leurs domeftiques en cette faifon rigoureufe , ils ar-
rivèrent enfin à Cafbin , où étoit le Roi de Perfe. Ils deman-
dèrent avant toutes chofes à voir Bajazet. Ce Prince , qui lan-
guiffoit depuis long-tems dans une affreufe prifon , étoit fi chan-
gé, qu'Haffan ne le reconnut qu'après qu'il eut été razé. Haf-
fan traita avec Thamas , qui confentit qu'on fit mourir Baja-
zet en Perfe , après qu'on Pauroit dédommagé des frais , qu'avoit
occafionnés fa retraite , ôc qu'on lui auroit fait de plus un pré-
fent proportionné au bon office qu'il rendoit à Soliman. Auffi-tôt
Haffan retourne à Conftantinople , ôc porte le traité au Grand-
Seigneur , qui envoyé fur les frontières de Perfe tout l'argent
dont on étoit convenu. Haffan part peu après avec ordre d'étran-
gler lui-même Bajazet, de peur que quelque autre ne s'ac- t Bajazet d!
quittât pas de ce cruel miniftere avec la même fidélité. Le
malheureux Bajazet priafon bourreau de lui permettre au moins
avant que de mourir, de voir fes enfans, ôc de les embraffer
pour la dernière fois. On lui refufa cette grâce, ôc il fut étran-
glé avec une corde de boyau. Quatre de fes fils , qui l'avoient
fuivi dans fa fuite , eurent le même fort. On porta leurs corps
à Sebafte , où ils furent inhumés avec les cérémonies pratiquées
par les Turcs. Il ne reftoit plus des enfans de Bajazet, que cet
enfant , que le Sultan avoit commandé qu'on élevât à Bur-
fa, lorfqu'il étoit encore douteux quelle feroit la deftinée de
fon père. Un eunuque eut ordre de lui ôter la vie. Cet hom-
me, peu accoutumé à de pareils emplois , avoit mené avec lui
pour cette cruelle exécution un des portiers du Serrait , qu'il
connoiffoit endurci au crime > le portier inhumain voyant cet
lu ij
étranglé.
45'* HISTOIRE
enfant , qui lui fourioit doucement à la vûë du fatal cordeau ,
Z, " ôc qui tendoit les bras pour le careifer, fe fentit tellement frappé
\j> de crainte, de pitié, & d'horreur, qu'il s'évanouit. L'eunuque
qui attendoit a la porte, ôc qui ne voyoit point fortir fon corn-
> > >' pagnon, entra dans la chambre, ôc le voyant couché par ter-
re, étrangla le jeune Prince de fes mains, ôc rit enfin ce qu'il
avoit eu d'abord horreur de faire.
Les Turcs donnent beaucoup à la prédeftination , 6c regar-
dent Dieu comme auteur de tous les évenemens heureux , tels
que foient les projets, ôc les actions qui les ayent fait naître.
Ainfi cen'étoit pas par un motif de tendrefle ou de pitié , que So-
liman avoit jufques-là confervé la viedefon petit-fils. Il vouloir
attendre ce que le fort ordonneroit de Bajazet, afin de ne pas
paroître s'être oppofé à la volonté de Dieu , fi les affaires de
ce fils avoient eu quelque fuccès. Mais croyant qu'il venoit
de périr, en conféquence d'un premier jugement de Dieu, il
ne jugea pas devoir pardonner à un enfant , qui d'ailleurs lui
parut coupable, parce qu'il pouvoit un jour fuivre l'exemple
d'un père, ou venger fa mort. Voilà où aboutirent les projets
mal concertez de l'infortuné Bajazet. Il hâta fa mort, par ces
mêmes efforts qu'il fit pour l'éviter ; ôc l'on peut dire queRo-
xelane fut la première caufe de fa perte , en faifant périr Muf-
tapha fon beau-fils, pour affurerla couronne à fes enfans. Car
il arriva par un jufte effet de lavengence célefte, que la mort
d'un aîné odieux Ôc redoutable à fes deux frères , fit naître en-
tre ces Princes , devenus rivaux de l'Empire , une haine impla-
cable? ôc qu'un père enhardi par la Sultane fa1 femme, à ré-
pandre fon propre fang , fe détermina fans horreur à ôter la
vie à celui-là même, qui avoit été le plus cher à fa mère. Si
Roxelane fut heureufe de mourir dans Tefpérance que fes fils
regneroient , Ôc avant la fin tragique de Bajazet qu'elle ai-
moit fi tendrement , combien fut déplorable le fort de Soli-
man, qui ne vécut fi long-tems , que pour fe voir dans lané-
cefïité de fouiller fes mains , par le meurtre de deux fils , Prin-
ces douez de grandes qualitez , ôc par celui de plusieurs de fes
petits-fils , pour complaire à une femme ambitieufe, ou pour
conferver l'unité de fon Empire? ôc qui ne crut pouvoir aiTurer
i Soliman avoit époufe' Roxelane > contre la coutume des Sultans. Voyez le
Livre XII. Tora. II,
DE J. A. D E THOU.Liv. XXFV. 4^
îa tranquillité de fes Etats au dedans , & dehors , que par ces
affreux parricides. François
La nouvelle Religion avoit fait tant de progrès en EcofTe, jj 3
que les Proteftans avoient une armée toute prête à combattre. 1 ç f o
Mais les deux partis ayant conclu une trêve le 25: de Juillet,,
quidevoit durer jufqu'aU mois de Janvier fuivant, ceRoyau- ^nesdE~
me fut quelque tems tranquille. La Régente apporta de grands
foins, pour l'obfervation du traité, ne voulant pas qu'on lui
reprochât , comme on avoit fait jufqu'alors , qu'il n'y avoit
nulle fureté dans fa parole. On eut foin cependant de répan-
dre 3 que Jacque comte de Murrai , fils naturel de Jacque Roi
d'Ecoffe, fomentoit les troubles occafionnez parla Religion,
pour s'emparer delà Couronne, à l'exclufion des Princes légi-
times. François II. Roi de France , ôc Marie Stuard Reine
d'Ecoife fon époufe lui écrivirent des lettres très fortes à ce
fujet, que la Régente eut foin de lui faire rendre. On repro-
choit au Comte fon ingratitude , après tant de bienfaits reçus,
& on lui faifoit de grandes menaces, s'il n'abandonnoit le
parti des rebelles, pour rentrer dans fon devoir. Jacque ré-
pondit que les crimes qu'on lui imputoit , étoient fuppofez ,
que véritablement fa confcience l'obligeoit à défendre une Re-
ligion qu'il avoit embraffée, mais qu'au refte ceux de fon parti,
qu'on vouloit faire paffer pour rebelles, feroient toujours aufîi
bien que lui très-fidelles à leur Reine. Un corps de mille Fran-
çois ayant alors débarqué à Lyth , la Régente raffurée par ce
nouveau fecours , ne douta plus qu'elle ne fit bien-tôt rentrer
les rebelles dans .leur devoir.
En ce tems-là le comte d'Aran,fils d'Hamilton ci-devant Gou-
verneur d'Ecoffe , fe rendit à Sterlin , où les Pairs du Royaume
étoient affemblez. Ce jeune Seigneur venoit de s'échapper des
prifons de France , où le cardinal de Lorraine l'avoit fait enfer-
mer j parce que s'étant trouvé un jour avec le duc de Guife*
il avoit parlé trop librement des affaires d'Ecoffe, ôc de celles
de la Religion. On l'avoit arrêté dans fa maifon de Chaftel-
leraud en Poitou, & on avoit deffein de le faire mourir, pour
intimider ceux d'une naiffance au-deffous de la tienne : au
moins il eut lieu de le croire , par les paroles du cardinal de
Lorraine , qu'on lui avoit rapportées dans la prifon. Ce Pré-
lat avoit dit , dans un difeours au Parlement de Paris contre les
Llliij
4r4 HISTOIRE
«- ■ .....— Proteftans , qu'on verroit au premier jour traîner au fuppîice
François un homme d'une grande naiffance , ôc égal en dignité aux pre-
II * miers du Royaume , qui feroit puni de fa témérité , 6c qui
j ^ ^ ferviroit d'exemple. Le Comte ayant brile fa prifon par le
fecours de fes amis, avoir paffé enEcoffe, lorfqu'on Fatten-
doit le moins , s'étoit joint au parti des Proteftans , ôc faifoit fes
efforts pour détacher le Duc fon père du fervice de la Régen-
te. Les Seigneurs aiTemblez à Sterlin , voyant que les Fran-
çois fortifioient la ville de Lyth , ôc qu'ils faiibient entrer
des troupes ôc toutes fortes de munitions dans ce port , ( qu'ils
regardoient comme une retraite aiïurée , 11 leurs affaires tour-
noient mal , ôc comme un lieu propre à faire entrer du fecours
fi la Fortune les favorifoit ; ) ils réfolurent d'une voix unanime
qu'on en feroit le fiége. Mais l'entreprife étoit très-difficile.
Toute l'artillerie du Royaume étoit au pouvoir de la Régen-
te, ôc du Gouverneur du château d'Edimbourg , qui ne s'étoit
pas encore déclaré pour les Proteftans. D'ailleurs leurs forces
n'étoient pas affez confiderables , pour former le fiége dune
ville entourée d'un côté ôc par une grande rivière, ôc par la mer.
Sur ces entrefaites la Broffe Chevalier de l'ordre de Saint
Michel , ôc une des créatures les plus dévouées de la maifon
de Guife , defcendit en Ecoffe avec deux mille hommes de
pie. Il avoit avec lui Nicolas de Pellevé évêque d'Amiens ;
ôc quelques Docteurs de Sorbonne, qui venoientpour difpu-
ter fur les matières de la religion , s'ils y voyoient les Proteftans
difpofez. Ces Théologiens ayant prié les Pairs affemblez
à Edimbourg , de leur marquer un jour pour expliquer les or-
dres dont ils étoient chargez, on leur fitréponfe qu'on ne pou-
voit admettre des hommes , qui apportoient la guerre , ôc non
la paix? que s'ils vouloient difputer de la foi, après avoir ren-
voyé les troupes Françoifes, on les écouteroit volontiers , afin
de faire voir à tout le monde , qu'on fçavoit réfifter à la force,
ôc qu'on pouvoit fe rendre à des propoiitions raifonnables >
qu'au refte on ne pouvoit afïez s'étonner comment la Régente,
fans qu'on lui eut donné lieu de fe plaindre , avoit violé fi-tôt la
foi du dernier traité , en chaffant les anciens habitans de la
ville de Lyth, pour y introduire une colonie d'étrangers, ôc
y bâtir une citadelle au préjudice de la liberté publique. Ces
Pairs écrivirent à peu près les mêmes chofes à la Régente un
MWrzi
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIV. *jj
mois après, lui demandant de plus , qu'elle eût àrazer lesnou- ri L
velles fortifications de Lyth , ôc à en expulfer les étrangers , ZT~
ôc les autres foldats qui y étoient à fa folde. Cette Princeffe Tî -
leur envoya un héraut ( comme fi elle eût eu à traiter avec
des ennemis ) qui leur dit de fa part a qu'elle ne pouvoit allez 1 > * **
s'étonner, que quelqu'un osât en Ecoffe s'attribuer la fouve-
raine puiffance , qui appartenoit feule au Roi de France fon
gendre s ôc à la Reine fa fille, qui la lui avoient communiquée;
que le duc de Chaftelleraut ï devoit fe fouvenir de ce qu'il lui
avoit promis de vive voix, ôc de ce qu'il avoit écrit en con-
formité au Roi de France , lorfqu'il avoit déclaré , qu'il fer oit
toujours fournis aux ordres de fon Souverain , ôc qu'il empê-
cheroit fon fils d'entrer dans les fa&ions , qui troubloient le
Royaume i que cependant fa conduite ne répondoit pas à fes
promeffes; qu'au relie elle étoitbien éloignée de vouloir renver-
ser lesloix, ôc opprimer la liberté , ôc encore moins de vouloir
ufurper la fouveraine puiffance. Car pourquoi , ajoûtoit le hé-
raut , rechercheroit-elle une puiffance > dont la Reine fa fille
eft en poffefTion à droit héréditaire ? Il dit encore que la Ré-
gente avoit tant de zélé pour la tranquillité publique , qu'elle
confentiroit volontiers à tout ce qui ne blefieroit pas le culte
de Dieu , Ôc le refpecl dû aux Rois : Qu'elle avoit pris les
armes contre ceux qui s'étoient méchamment unis, pour mé~
prifer l'autorité légitime ? qui renverfbient l'ordre public , fans
l'avoir confultée , elle qui tenoit la place du Souverain ma-
giftrat 5 qui s'emparoient des places du Royaume j ôc faifoient
alliance avec les anciens ennemis de l'Etat , qu'ils avoient mê-
me fait venir en Ecoffe : Que cependant, malgré tant d'injures
reçues , elle étoit toujours difpofée à faire la paix , pourvu qu'on
fît des propofitions raifonnables : Qu'au furplus les François, qui
avoient abordé en Ecoffe par ordre de leur Roi , ne dévoient
point faire obftacle à la conciliation des efprits ; qu'il y avoit
îong-tems qu'il feroient fortis duRoyaume,fi les faclions avoient
ceffé i qu'ainfi , fuivant le pouvoir qui lui avoit été confié, elle
demandoit, ôc ordonnoitmême,au duc de Chaftelleraut, aux
autres Pairs , ôc à tous les fu jets du Royaume , de quelque
condition qu'ils fuffent, de mettre bas les armes ; finon qu'elle
les déclaroit rebelles ôc criminels de Îezé-Majefté.
ï Hamilton feigneur Ecofïbis, duc de Chaftelleraut en Poitou»
4?tf HISTOIRE
««wMimaM Les Seigneurs qui compofoient les Etats d'Edimbourg, en-
Francois voyerent le lendemain 23 jour d'Octobre une réponfe très-har-
jj ' die adreffée à la Régente. Ils lui déclaroient , qu'en qualité de
1 T r 9. Confeillers nez du Royaume,ils lui interdifoient au nom du Roi
ôc de leur Reine l'admininration des affaires publiques, qu'elle
avoit , difoient-ils , ufurpée , 6c dont elle fe montroit peu digne
par une conduite injurieufe à la Religion , ôc à la liberté pu-
blique : Que néanmoins la regardant comme la mère de leur
Reine, qu'ils dévoient refpecler, ils la prioient de fortir de Lyth
dans vingt-quatre heures , ôc d'emmener avec elle tous les
foldats étrangers qui y étoient , qu'ils vouloient épargner à
caufe de l'ancienne amitié qui avoit toujours été entre la Fran-
ce ôc l'EcofTe h\ Ôc qu'ils la conjuraient d'expuifer pareillement
tous les autres qui fe difoient envoyez de la Reine , foit pour
difputer, foit pour agir. Ils oferent enfuite faire un décret en
conformité , par lequel ils déclaroient nulle la Régence défé-
rée à la Reine veuve du feu Roi; par le Roi de France , ôc
par la Reine fa fille , ôc défendoient à cette PrincefTe d'exer-
cer l'autorité Souveraine jufqu'à l'affemblée du Parlement
qui feroit bien-tôt indiquée. Tous ayant foufcrit à cet acte ,
ils envoyèrent un héraut à Lyth, pour ordonner aux EcofTois
qui étoient dans cette ville là 3 d'en fortir dans vingt-quatre
heures, ôc de fe féparer des ennemis de la liberté publique.
Il y avoit alors peu d'ordre ôc de difcipline dans le camp des
Conféderez; ce qui provenoit de lafoibleffe de leur chef, qui
ayant été intimidé par plufieurs de fes proches , avoit commu-
niqué fes incertitudes ôc fes craintes aux foldats. D'ailleurs
on manquoit d'argent, ôc les troupes qui n'étoient pas payées,
fe mutinoient fouvent. On avoit réfolu que chacun fourniroit
ce qu'il avoit d'argenterie , pour en fabriquer de la monnoye,
dont on payeroit l'armée. Mais malheureuiement les coins pour
faire les empreintes avoient été enlevez , fans que l'on con-
nût l'auteur du larcin. Les efpérances que l'on avoit du côté
de l'Angleterre étoient foibles ôc incertaines. v On envoya fe-
cretement Jean Cocborne Ormifton à Warvic, pour emprun-
ter de l'argent de quelques Anglois qui y demeuraient. La Ré-
gente qui en eut avis , donna ordre au comte de Bothuel , dont
les Conféderez ne fe déiioient pas , détacher de furprendre Or-
mifton lorfqu'il reviendrait. Le Comte l'attaque , le bleffe,ôc
le
DE J. A. DETHOU,Liv. XXIV, 4*7
ïe fait pfifonnier. Le comte d'Aran ôc Jacque Smart étoient for-
tis inutilement d'Edimbourg- , pour délivrer Ormifton. Ce me- i? "^-J
me jour le Gouverneur de Dundee voulut témérairement s ap-
procher de Lyth avec quelques foldats , ôc des volontaires. .
Il plaça même du canon fur une colline voifine de la ville ,ne
doutant pas que les troupes des Conféderez ne vinffent bien-tôt
le féconder. Alors les François ayant reconnu que ce Gouver-
neur n'avoit point de cavalerie , font fortir la leur , qui met
en fuite les ennemis. Un bruit s'étant répandu parmi les fuyards,
que les François qui les pourfuivoient., étoient allez par un che-
min plus court pour leur fermer le paffage , ôc les empêcher
de rentrer à Dundee , ils furent faifis d'une fi grande frayeur,
qu'ils fe difperferent de tous cotez. Les Conféderez étant fortis
le y de Novembre d'Edimbourg, pour inquiéter les François,
qui vouloient enlever un convoi que l'on y conduifoit, ôc s'é-
tant trop avancez , eurent bien de la peine à rentrer dans la
ville , ôc furent punis de leur témérité. Car s'étant engagez en
un chemin étroit , borné d'un côté par un marais , ôc de l'autre
par les murs d'un grand parc , ils fe trouvèrent expofez à la
moufqueterie des François, ôc furent r en verfez par la cavale-
rie ennemie > ôc même par leurs compagnons. Plufieurs fu-
rent tuez en cette occafion , ôc il y en eut eu encore un plus
grand nombre, fi les comtes d'Aran ôc de Murrai ayant mis
pied à terre n'euiTent partagé le danger avec eux , ôc ne les
euffent fecourus à propos.
La terreur fut fi grande à Edimbourg, qu'on réfolut d'a-
bandonner la ville : les Seigneurs y ayant confenti , la gar-
nifon fe mit en chemin peu avant le milieu de la nuit,
ôc fe rendit en défordre à Sterling. Les Conféderez ne fe croyant
pas affez forts pour réfifter aux troupes Françoifes, députèrent
Guillaume Metellan àElizabeth Reine d'Angleterre , pour lui
demander du fecours ; alléguant que les Anglois étoient in-
terefTez à éloigner le péril qui les menaçoit, étant tous habitans
de la même ifle s ôc que fi les François parvenoient à fe for-
tifier en EcoiTe , ils feroient à portée d'inquiéter l'Angleterre:
Enfin après de longues délibérations , ils obtinrent des fecours
d'hommes ôc d'argent. Cependant les Conféderez fe retirèrent
une partie à Glafcow , ôc l'autre à Fife. Les François avertis
qu'Elizabeth faifoit marcher des troupes en Ecofle , réfolurent
Tom. III. M m m
4J3 HISTOIRE
, , de fe fignaîer par quelque a£tion d'éclat avant leur arrivée, ÔC
François ^'attaquer *a V1^e de Fife. Ayant pafie par Lithcow,ôc par
L jj » les terres des Hamiltons , ils ravagèrent tout ce payis. Enfuite
' ils s'avancent près de Sterling, ôcs'y étant peu arrêtez, ilspaf-
* ' °* fent un pont qui en eft proche, ôc defcendant le long du fleu-
ve , ils pillent les bourgs ôc les villages fituez fur la rive, ôc
viennent enfin à Kinghorn. Les EcoiTois s'étoient emparez
d'une bourgade , nommée Dyfert, fituéefur la rive oppofée, où
les deux partis efcarmoucherent près de trois femaines. Les
François avoient ordre fur-tout de piller les maifons des Alliez,
pour les faire rentrer dans le devoir par un châtiment févére.
Celle de Guillaume Kircadey ayant été ravagée, comme les
autres, ce Gentilhomme réfolutde s'en venger. Il avoit remar-
qué que laBaftie capitaine Savoyard battoit la campagne avec
fa troupe , dans l'efperance de quelque butin. Il fe mit en em-
bufcade près de là , ôc ne fortit point qu'il ne vît la Baftie
éloigné de mille pas de fa garnifon. Alors il fe pofta avec de
la cavalerie entre .la Baftie , ôc la ville d'où celui-ci étoit
forti , ôc les obligea de fe retirer avec fes François dans une
vallée , où ils fe retranchèrent dans des hayes , ôc avec des ar-
bres qui avoient été abattus en cet endroit. On les y força ;
ôc comme ils refuferent de fe rendre y on en tua environ cin-
quante.» ôc les aures furent conduits à Dundee. LaBaftie avoit
trouvé moyen durant le combat de s'échapper avec quelques-
uns de fes cavaliers ; ôc c'eft à tort que Buchanan a écrit , que
ce Capitaine fut tué en cette occafion , puifqu'il eft encore
aujourd'hui plein de vie, lorfque j'écris cette hiftoire.
i 6 6 o. Cependant les Conféderez envoyèrent des députez à War-
Traité entre wic> pour drelfer les articles d'un traité d'union avec les Anglois.
ïes Confé<te- J} fut arrêté le 27 de Février de l'année fuivante , à ces con-
& la Reine ditions : Que les deux nations s'envoyeroient mutuellement
f4ifabeth. du fecours contre les étrangers , qui étoient defcendus dans
leur Ifle : Que les Anglois porteroient les armes en EcolTe ,
ôc réciproquement les Ecoflbis en Angleterre : Qu'en confi-
dération de l'indigence des Ecoflbis, Elifabeth, payeroit feule
les troupes , ôc que fes fujets auroient auiîi feuls le butin qu'on
feroit fur les ennemis : Enfin que les villes ôc les citadelles ,
qui feroient prifes, feroient reftituées à leurs anciens maîtres,
ôc que les Ecoflbis donneroient des otages pour fureté de ce
DE J. A. DE THOU, L'iv. XXIV. \^
traité , lefquels demeureroient en Angleterre , tant que le ma- ««n— ■■*■■»
riage de leur reine Marie fubfifteroit avec François IL ôcmê- François
me après. Ce fut en ce tems-là qu'Elifabeth fit publier le 24 JI.
de Mars un Manifefte à Londres , qui fut aufll répandu par 1 ^ <j 0.
toute la France , pour expofer les raifons , qui la portoient à
prendre la défenfe des EcolTois , ôc à rompre l'alliance qu'elle
avoit faite depuis peu avec la France.
Elle reprefentoit que Marie Stuard reine d'Ecofle , lui avoit ,,^?.afnKe?e
fait de cruelles injures , ôc avoit même ofé ufurper des titres
qui n'étoient dûs qu'à elle 5 qu'elle ne pouvoit croire que Fran-
çois IL ôc la reine Marie, dans l'âge où ils étoient , eufîent part
à'cetteentreprife , ni qu'elle fe fit du confentement de ceux qui
étoient du Sang royal ôc des Etats du Royaume : Que ce ne
pouvoit être que l'ouvrage de l'ambition des princes de Guife .,
qui trouvoient leur compte à troubler les plus grands Etats , Ôc
à y fufciter des guerres dans la vue d'agrandrir leur maifon ôc
de foûtenir un pouvoir illégitime , que le bon ordre ôc la tran-
quillité feroient bien-tôt évanouir. « Pourquoi , ajoûtoit-on ,
o> ont-ils fait prendre à François IL le titre de roi d'Angleterre
*■> ôc les armes de ce Royaume, s'iîsn'avoientpas de pernicieux
» delTeins ? Pourquoi fous le voile fpécieux de la Religion
» allument-ils la guerre en EcofTe ? Ne voit-on pas qu'ils veu-
» lent par là arToiblir la France, ôc elTayer s'ils ne pourroient
« point parvenir à s'emparer de la grande Bretagne ? » La reine
difoit encore dans cet écrit : Qu'elle avoit fait faire plufieurs
inftances , afin que le roi de France renonçât à ces titres vains ,
qui pouvoient reveiller des haines depuis long-tems alToupies?
ôc qu'elle les avoit aufïi conjurez, de terminera l'amiable les
troubles furvenus en EcofTe à l'occafion de la Religion , où
elle ne pouvoit s'empêcher de prendre part , eu égard à la
proximité du payis ôç à la conformité des intérêts : Qu'elle leur
avoit auffi reprefemé que le moyen le plus convenable , pour
pacifier l'Ecoffe , était d'en faire fortir les troupes Françoifes 1
auquel cas elle promettait de retirer les liennes ; ôc que pour
Jeur prouver combien elle avoit à cœur de voir régner la paix,
non-feulement dans fes Etats , mais encore dans un Royaume
limitrophe du fien , elle s'étoit chargée de faire enforte par fa
médiation, que l'EcolTe fut tranquille ôc foumife à fa Souve-
raine. Elifabeth ajoutait , qu'elle ne pouvoit voir fans douleur
M m m ij
4<*o HISTOIRE
que Tes bonnes intentions euffent été jufques-là fans aucun fruit:
Que cependant malgré ces fujets de plainte, elle étoit bien aife
François Je déclarer à tout l'univers , qu'elle vouloit religieufement en-
tretenir la foi des derniers traitez faits avec la France : Qu'elle
1 S ° °* ordonnoit à tous fes fujets de continuer leur commerce avec
les François , de les regarder comme amis & alliez , de n'en
parler qu'avec de grands égards, ôc de ne rien faire qui pût
leur attirer le reproche d'avoir violé la paix : Mais qu'elle étoit
en droit de demander de fon côté que les princes Lorrains
n'employaffent plus les forces de leur Roi ôc de fon Etat , pour
opprimer les Ecoffois fes voifins, ôcpour leur porter des coups,
dont elle nepouvoitpas ne point reffentir les atteintes- Elle tinif-
foit en difant , que li l'on continuoit ces hoftilirez , elle feroit ce
qui étoit de fon devoir , ôc n'abandonneroit pas en cette oc-
casion fes voifins ôc fes alliez , dont les intérêts étoient les fiensj
ôc qu'elle efperoit que Dieu , qui protège les deffeins pleins
de juftice , favoriferoit fes armes , ôc la foûtiendroit , elle ôc fes
fujets, contre fes ennemis.
Les Guifes voyant que le Manifefte d'Elifabeth faifoit im-
preffion fur les efprits, ôc lesrendoit odieux, donnèrent ordre
à Michel de Seurre , chevalier de Malte , Ambaffadeur de
France en Angleterre, de folliciter fortement la Reine derap-
peller les troupes qu'elle avoit envoyées en Ecoffe , qui ren-
doient, difoit l'Ambaffadeur , ces peuples naturellement fiers
ôc féroces , encore plus infolens , ôc les foulevoient contre
leurs Souverains légitimes. Ils rirent aum* intervenir l'évêque
d'Aquila , ambaffadeur du Roi d'Efpagne , ôc Glayon grand-
Maître de l'Artillerie. On fit paffer en même-tems en Angle^
terre Jean de Montluc évêque de Valence , affés verfé dans les
affaires d'Ecoffe. Comme on croyoit communément que ce
Prélat favorifoit les nouvelles opinions , les princes Lorrains
jugèrent qu'il feroit moins fufpe£t à Elifabeth , Ôc aux Protef-
Dedaration tans Ecoffois. La Reine déclara à tous ces Miniftres , qu'elle
deurdeFraa- ne rappelleroit point fes troupes , que la France n'eût aupara-
ce à Elifa- vant fait embarquer les Hennés. De Seurre lui reprefenta tous
les fervices que la France avoit rendus à l'Angleterre , ôc dé-
clara, que le Roi fon maître étoit difpofé à entretenir invio-
lablement la paix, que le roi Henri fon père avoit lignée :
Que fi la guerre fe rallumoit de nouveau , les Anglois feroient
beth.
«
DE J. A. DE THOU ,Liv. XXIV. 461
feuls les auteurs de l'infraction des traitez : Que véritablement
ie Roi avoit envoyé des troupes en Ecofle , pour faire rentrer F
des peuples rebelles dans leur devoir > mais qu avant que d en
venir à ces remèdes extrêmes , il avoit prié Elifabeth d'em- '
ployer fes bons offices auprès de fes fujets révoltez 3 ôc qu'il *
la p doit encore de vouloir être médiatrice: Qu'il ne faifoitla
guerre , que pour parvenir à donner la paix aux Ecofïbis , ôc à
les obliger d'obéir à leurs Princes : Que fi ce grand ouvrage
pouvoit être le fruit de la médiation puifTante de la Reine , le
Roi fon maître en auroit une éternelle reconnoiflance, ôc fe-
roit aufîî-tôt revenir fes troupes : Que l'évêque de Valence lui
avoit déjà déclaré les mêmes chofes au nom de François ; ce
qui néanmoins ne l'avoit pas empêchée d'envoyer du fecours
aux EcofTois , ôc d'agir publiquement ôc en plus d'une occafion,
comme ennemie de la France : Qu'enfin le Roi lui declaroit
pour la dernière fois , qu'il avoit en horreur une guerre qui ten-
doit à répandre le fang de fes fujets , à qui il ne demandoit
qu'une foumiffion à fes ordres, à prefent ôc pour l'avenir ; ôc
qu'il donnoit fa parole Royale , que dès qu'ils feroient rentrez
en leur devoir, il ferpit publier une amnifïie générale, ôc rap-
pellerait fes troupes, à l'exception de celles qui feroient jugées
néceflaires pour foûtenir fa dignité en EcofTe , Ôc celle de la
Reine fon époufe : mais que fi malgré des intentions fi équi-
tables , Elifabeth continuoit de foûtenir les EcofTois rebelles *
ôc d'attaquer fes ridelles fujets , il proteftoit qu'il ne prenoit
les armes , que parce qu'il s'y trouvoit forcé. De Seurre avoit
écrit cette déclaration , qu'il prefenta à Elifabeth , ôc qu'il ren-
dit enfuite publique le vingt d'Avril.
Durant ces négociations , les François ravagèrent les villes
de Dyfertôc de Wemis, ôc s'approchèrent de Cuper. Enfuite
s'étant avancez vers le rivage de la mer , ils apperçurent de
dellus le cap de Kingrag une flotte, qui s'approchoit "des côtes
de l'Ecofle. Ils eurent d'abord une grande joye , croyant que
c'étoit des vaifleaux François ; mais ils furent bien-tôt détrom-
pez , ayant appris que c'étoit la flotte d'Angleterre. Le bruit
fe répandit en même-tems , que plufieurs bataillons Anglois
marchoient vers les frontières d'Ecoffe. A ces nouvelles ils
changèrent de deffein , ôc fe retirèrent en defordre à Kingoi n
ôc à Dunfermeling. Au refle, plufieurs EcofTois , qui étoiert
M m m iij
4*2 HISTOIRE
demeurez fidèles à leur Reine , commencèrent alors à fe dé-
François Partir Peu * peu de leur devoir. Le dégoût de leur fortune
jj prefente , la haine de la domination des princes Lorrains , l'a-
Iç^0t mour de la liberté ôc de la paix, qu'ils jugeoient préférables
à la fervitude ôc à la guerre , ôc le penchant de quelques-uns
d'entr'eux pour les nouvelles opinions , leur infpiroient ces fen-
timens. D'ailleurs ils fe voyoient expofez à la licence du fol-
dat François , peu difcipliné , qui pilloit également amis ôc
ennemis. Il s'étoit aufli répandu un bruit , qui , quoique fans
fondement , paffoit pour véritable. On difoit , qu'après la fin
de la guerre , on avoit réfolu de profcrire toute la NoblefTe
Ecoffoife , Ôc de donner leurs terres à des Gendarmes François.
La Broffe , difoit-on, s'étoit expliqué de façon à le faire croire,
ôc les lettres qu'il écrivoit au Roi ôc aux princes Lorrains ,
qu'on avoit interceptées , ne laiffoient aucun lieu d'en douter.
Il eft incroyable , combien ce faux bruit anima les peuples d'E-
cofle contre les François, que d'autres raifons leur avoient déjà
rendu odieux. Les habitans de Fife , qui avoient fur-tout fouffert
de ces étrangers , ôc qui commençoient d'ailleurs à craindre la
puiffance des Proteftans conféderez , fe joignirent aux Alliez.
Hoftilitez Vers le commencement du Printems Sebaftien de Luxem-
enne les Al- bourg <Je Martigues, jeune Seigneur d'un grand courage, arriva
&lcsFrançois. de r rance avec deux jNavires, qui portoient environ mille ran-
tafïins , ôc quelques cavaliers. Les Ecoffois ayant remarqué,
que ces vaifleaux étoient mal gardez , s'en emparèrent une
nuit. René marquis d'Elbœuf , frère du duc de Guife ôc de
la Régente , fuivoit Martigues avec huit vaifTeaux , ôc appor-
toit en Ecofle de l'argent , ôc les autres chofes néceffaires à la
guerre. Mais fa petite flotte ayant été battue d'une violente
tempête , il relâcha dans les ports de France. D'un autre côté
les Anglois ayant envoyé une féconde flotte , fe trouvoient
maîtres de la mer, tenoientrifle deKeyth comme affiégée,ÔC
fermoient le paflage aux convois qui venoient à Lyth. Ceux
de Fife envoyèrent en ce tems-là des députez de Perth , qui
y eurent une conférence avec Huntley , ôc qui ayant enfuite
parcouru les provinces du Nord , les attirèrent prefque toutes
au parti des Alliez ; leur ayant fait promettre qu'ils envoye-
roient des troupes à l'armée des Proteftans vers la fin du mois
de Mars. Tous s'étant aflemblez à Lythcow , ils marchèrent
D E J. A. D E T H O U , L i v. XXIV. $63
Vers Haddington, ôc joignirent le premier d'Avril l'armée des n 1 ■ 1 1 ■,
Anglois, compofée de lîx mille fantaflins , & de deux mille che- pRANc0IS
y aux. On campa près de Prefton. jj4
Cependant la Régente fe retira , avec un petit nombre de x <* $0i
domeftiques, dans la citadelle d'Edimbourg, pour ne pas être
témoin des événemens , ôc pour faire voir qu'elle déteftoit cette
funefte guerre. Cette PrincefTe étoit ennemie des confeils vio-
lens, ôc avoit toujours été d'avis, qu'il falloit retenir les Ecof-
fois dans l'obéiiTance , plutôt par un gouvernement doux ôc
modéré, que par les menaces ôc la févérité. Elle avoit même
écrit aux Princes Lorrains fes frères, que le feul moyen de
conferver l'ancienne Religion , étoit de laifler aux peuples
une entière liberté de confcience. Elle déferoit beaucoup
aux confeils de l Henri Clutin d'Oifel , homme d'un efpric
vif ôc pénétrant, qui joignoit une exa&e probité à une lon-
gue expérience , ôc qui régloit plutôt fes avis fur l'équité,
que fur la paiïion des Guifes. Dès le commencement des trou-
bles , il vouloit qu'on prît les voyes de la douceur , pour ter-
miner les différends h ôc il déteftoit les nouveaux confeils qu'on
avoit donnés à la Régente, comme extrêmes ôc peu convena-
bles à la fituation des affaires. Jean Areskin , Officier d'une
intégrité ôc d'une exactitude reconnues , étoit alors gouverneur
du château d'Edimbourg. Le Confeil public lui avoit donné
le gouvernement de cette importante fortereffe , à condition
qu'il ne la rendroit à qui que ce fût , que par les ordres de
ce même Confeil. Quoiqu il apportât les plus grandes précau-
tions, afin qu'on ne lui enlevât pas fa place de force, ou par
rufe , il ne crut pas en devoir refufer l'entrée à la Régente.
En quoi il ufa d'une grande prudence , fatisfaifant en même
tems à ce qu'il devoit à la Régente, Ôc demeurant toujours le
maître de la citadelle.
Quoique les Conféderez euffent déclaré la Régente déchue
de l'adminiftration des affaires , cependant connoifïant fes difpo-
fitions , ôc ne fçachant quel feroit le fuccès de la guerre , ils
ïui écrivirent le 4 d'Avril de la ville de Dalkeith une lettte
conçue en termes refpectueux ôc mefurez. Ils la prioient de
faire fortir d'Ecoffe les François, ennemis de la liberté publique,
1 Clutin étoit alors Ambaffadeur de France en Ecoffe, Il le fut depuis à
Rome,
4*4 HISTOIRE
6 de délivrer d'une jufte crainte des peuples réduits au défef-
Francois ?ou' ^s Prote^°ient enfuite, que les maux qu'ils fouffroient,
(t * quoiqu'extrêmes, ne les détourneroient jamais de l'obéiffance
ï c 60 CP^S dévoient à leur Reine, ôc au Roi de France fon époux;
ôc qu'ils lui rendroient toujours, lorfquil ne s'agiroit pas de
leur liberté , de leurs vies , ôc de celles de leurs enfans. Deux
jours après les François fortirent de Lyth , pour s'emparer d'une
colline voifine , où ils croyoient que les ennemis avoient def-
fein de placer leur camp. Ceux-ci ayant difputé le terrein^le com-
bat fut long ôc opiniâtre, Ôc les François fe voyant les plus
foibles , fe retirèrent dans la ville. Cependant l'évêque de Va-
lence , négociateur habile , fe rendit au camp des Anglois le 21
d'Avril, ôc de là à Edimbourg pour conférer avec la Régente,
ôc paffa enfuite dans le camp des Alliez. Mais il ne trouva pas
encore les efprits difpofez à la paix. On continuoit toujours
le fiége de Lyth, 011 il ne fe fit rien de mémorable jufqu'au
7 de Mai , finon que les Anglois rirent avancer leur artillerie.
Ils avoient remarqué qu'ils ne tiroient que des coups perdus,
parce que leur canon étoit drellé trop loin de la ville : ils chan-
gèrent donc leur camp, ôc le placèrent au-delà de la rivière
de Lyth. De cet endroit leurs batteries faifoient plus d'effer,
ôc ils étoient plus à portée de combattre contre l'ennemi , qui
faifoit fouvent des forties. Alors le feu ayant pris en un quar-
tier de la ville , Ôc les François qui la défendoient , accourant
pour éteindre l'incendie , les affiégeans battirent fans relâche
ce côté, ôc en même tems voulurent aller à l'aiTaut ; ce qui
ne leur ayant pas réufïi , ils mirent le feu à tous les moulins
d'alentour le 4 de Mai. Le 7 du même mois ils plantèrent des
échelles , ôc retournèrent une féconde fois à l'alTaut ; mais mal-
gré leurs efforts , ils furent encore repoulfez , ôc perdirent en
cette occafion environ deux cens hommes.
Ces avantages encouragèrent les afliégez , ôc firent perdre
aux Alliez l'efpérance de prendre fi-tôt la ville. Cependant
le duc de Norfolk exhortoit les Anglois à continuer le fiége,
leur promettant de leur envoyer de grands fecours de fes ter-
res , fituées le long des frontières d'Ecoffe entre TVede ôc Ter-
went. Effectivement il envoya peu de jours après deux mille
hommes de pié, qui renforcèrent le camp des Alliez. Les cho-
fes étoient en cet état , lorfque Guillaume Cécile , premier
Miniftre
DE J. A. DE T HOU, L iv. XXIV. 4^
Aïiniftre d'Elizabeth , ôc Nicolas Votton fe rendirent en Ecof-
fe, pour faire des propofitions de paix. L'arrivée de ces Plé- François
nipotentiaires rallentit les efforts des affiégez , ôc en même JJ.'
tems ceux des Alliez. Les François commençpient à manquer j ? 6 o..
de vivres 5 la mer n'étant pas libre , ils n'en pouvoient efpé-
rer „ ôc fe voyoient réduits aux dernières extrêmitez. Les An-
glois, affoiblis parles fatigues d'un liège fi long, ôc fi incom-
mode, étoient auiïi dans une grande difette de toutes cho-
fes , ôc fouhaitoient de voir finir la guerre. Enfin les Ecoffois,
qui étoient dans le camp , faifoient la guerre à leurs dépens,
ôc comme ils n'étoient point payez , ils quittoient fouvent l'ar-
mée pour retourner chez eux. Ils penfoient d'ailleurs, que quel-
que fût lefuccès de cette guerre, elle leur fetoit toujours oné-
reufe. Ainfi tous fe trouvèrent difpofez à écouter des propo-
fitions de paix. Les Miniftres de la Reine d'Angleterre en-
trèrent en conférence à ce fujet avec les Seigneurs de la Ro-
chefoucaut Randan , ôc avec l'évêque de Valence ; le Roi , ôc
la Reine Marie fon époufe n'ayant pas crû. devoir traiter di-
rectement avec leurs fujets.
La négociation étoit fort avancée , ôc on avoit même in-
diqué au mois de Juillet fuivant l'affemblée du Parlement, pour
confirmer par le confentement de la nation ce qu'on avoit
agréé de part ôc d'autre, lorfque le 1 o de Juin la Régente mou- ^ort de la
rut accablée de triiteffe ôc d'ennuis. Peu s'en fallut que cette Régenre d'£*
mort ne rompît un traité, qui étoit furie point d'être conclu : c
les Alliez craignirent que ceux qui gouverneroient à l'avenir ,
nefeportaffentàdes confeils violens. En effet cette Princeffe
avoit le génie élevé, ôc un grand penchant pour la juftice. Elle
avoit fçu, par fon courage ôcpar fa prudence, contenir long-
tems dans le devoir des peuples féroces , ôc jufqu'aux ha-
bitans des petites ifles qui dépendent de l'Ecoffe. Ceux qui
jugeoient fans palïion, lui rendoient cette juftice, que s'il eût
dépendu d'elle de gouverner félon fes vues , elle n'auroit ja-
mais eu la guerre contre les Ecoffois j mais qu'étant obligée
de fe conduire par la volonté d'autrui , ôc fuivant les vues
des Princes Lorrains fes frères , ôc n'ayant qu'une autorité em-
pruntée de la Cour de France , dont elle recevoit les or-
dres , il ariïvoit delà que fouvent elle ne pouvoit tenir fa pa-
role , ôc que fa conduite paroiffoit fe démentir. Son corps fut
Tome III. N n a
+66 HISTOIRE
porté en France, par les foins du cardinal de Lorraine fon fret*
,-, re , ôc dépofé dans le monaftere des Religieufes de Saint Pier-
I^rançois re cje Rheims, où la Princeffe Renée fa fceur étoit Abbeffe»
' *' On lui éleva un fuperbe tombeau au milieu du choeur de PE-
lS6°- glife.
Quoiqu'on eût appréhendé que cette mort n'apportât quel-
que retardement à la paix, cependant elle fut conclue par les
foins de nos Plénipotentiaires , ôc par l'adrefle de ceux d'An-
gleterre , qui cherchoient un prétexte honnête de finir la guer-
re. On la publia à la fatisfa&ion de tous les partis le 8 de
Juillet. Les conditions du traité étoient : Que les François s'em-
barqueroienr dans vingt jours avec armes ôc bagage ; que les
vaiffeaux François ne fuffifant pas pour tranfponer tant de
troupes , l'Angleterre en fourniroit : Qu'on démanteleroit la
ville de Lyth , ôc qu'on ruineroit les fortifications de Dumbars
après quoi Elizabeth feroit revenir fes troupes : Que Marie
reine d'Ecoffe donneroit , du consentement du Roi fon maris
une amniftie de tout ce qui s'étoitpaffé depuis le 1 1 de Mars
de l'année précédente, jufqu'au premier de Juillet de celle-
ci , ôc que l'acle autentique de ce pardon général feroit en-
regiftré > ôc confirmé par un a&e du Parlement qui devoit
fe tenir le mois d'Août prochain : Que cette convocation
des Ordres du Royaume feroit faite fous l'autorité du Roi ôc
de la Reine Marie , qui pourroient laiffer à Dumbar ôc dans
i'ifle de Keyth une garnifon Françoife de foixante hommes
feulement, pour faire voir qu'ils avoient encore quelque auto-
rité dans le Royaume.
Suivant ces conventions, le Parlement s'afiembla à Edim-
bourg ,. ôc dépêcha à la Cour de France Jacque Sande-
iand Chevalier de Malthe , qui fut très-mal reçu des Prin-
ces de la maifon de Guife. Ils lui firent de fanglans reproches,
de ce qu'étant Religieux militaire , il avoir ofé fe charger de
porter au Roi les réfolutions de gens infe£tez d'héréfie. Cela
arriva lorfque la maladie du Roi commençoit à faire crain-
dre pour fa vie. Ainfi il fut renvoyé fans réponfe. Etant ve-
nu à Paris pour retourner à Edimbourg, il y apprit le 13 de
Décembre la mort de François IL
Affaires de II faut parler maintenant de ce qui fe palTa en France du-
Francc. rant le cours de cette année. On publia le premier de Janvier
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIV. 4*7
Tun ëdit , dont la fagefle fembloit annoncer une année heureu- •■■'•-•
fe. Le Roi voulant qu'il n'y eût dans les Compagnies fouve- ^cZ^ZZZL
j -d o J i c- ' iv -r J rRANÇOIS
raines du Royaume , oc dans ies oieges intérieurs , que des tj
Juges d'une intégrité reconnue, ôcqui joigniffent à la probité l
la fcience des loix , ordonnoit qu'à l'avenir, lorfqu'il fe trou-
veroit dans les tribunaux une place vacante par mort, les
Juges lui préfenteroient trois fujets vertueux ôc éclairez , dont
il en choifiroit un. Une ordonnance fi fainte ôc fi falutaire,
qui étoit l'ouvrage du chancelier Olivier , fut depuis plufieurs
fois renouvellée. Mais elle ne fut point exécutée, par l'ambi-
tion ôc la cupidité des Courtifans, quitiroient de grofles fom-
mes de la vente des offices > ôc qui fous prétexte de remplir
les coffres du Roi , firent que par des édits burfaux on aug-
menta à l'infini le nombre des juges. Ainfi cet Ordre illuftre.,
qu'il importoit tant de conferver dans tout fon éclat , ôc
dans fa dignité , pour contenir par là dans le devoir les au-
tres Ordres de l'Etat , commença à s'avilir peu à peu : des hom-
mes indignes ôc fans mérite , parvinren t aux honneurs de la
Magiftrature , par leurs feules richeffes , ôc par la faveur des
Grands, dans la feule vue d'un intérêt bas ôc fordide. Cependant
les plaintes qu'on faifoit du gouvernement augmentoient tous
les jours, ôc Tonne voyoit qu'avec indignation entre les mains
des Guifes une autorité , qui , fuivant les loix anciennes de la
France , appartenoit aux Princes du fang Royal , ôc aux Etats
du Royaume. Ces murmures furent fuivis d'une confpiration
qu'on forma fecretement contre les Princes Lorrains, ôc où plu-
fieurs s'engagèrent j les uns, parce que le gouvernement pré-
fent leur étoit , difoient-ils , odieux > d'autres par leur attache-
ment à la Religion nouvelle , dont les Se£tateurs étoient pu-
nis tous les jours par les plus cruels fupplices > ôc plufieurs à
qui l'indigence, des dettes, Ôc des crimes énormes, dont ils
craignoient la punition , faifoient fouhaiter la guerre civile. Le
nombre de ces derniers étoit fort grand , en un tems où cet
Etat fi floriflant , ôc établi fur de fi faintes loix, commençoit
à pancher vers fa ruine.
Le prétexte de la conjuration fut , que les Guifes avoient j^minS'c."
ufurpé l'autorité Souveraine fans le confentement des Etats j
que ces Princes abufant de lafoibleffe d'un jeune Roi, s'étoient
rendus maîtres des armées , pour fe rendre redoutables i qu'ils
Nnn ij
tft HISTOIRE
i . difîipoient les finances ; qu'ils opprimoient la liberté publiques
François 4u'^s perfécutoient des hommes innocens , zélez pour la réfor-
jj * me de l'Eglife, ôc qu'ils n'avoient en vue que la ruine de l'E-
i ? 6 o. tat# ^n vou^ut même juftifier ces projets factieux par certaines
apparences d'équité , ôc par des formes judiciaires. Il fe fit à ce
fujet des délibérations ôc des confultations fecretes. On prit l'avis
des plus grands Jurifconfultes de France ôc d'Allemagne , ôc des,
Théologiens les plus célèbres parmi les Proteftans. On leur
demanda, s'il étoit permis, fans bleffer fa confcience, ôc fans
tomber dans le crime de félonie ôc de leze-Majefté , de prendre
les armes, pours'alfurer des perfonnes du duc de Guife, ôc du
cardinal de Lorraine, Ôc pour les obliger à rendre compte
de leur adminiftration. Les Docteurs confultez, répondant fa-
vorablement aux caspropofez, étoient d'avis, qu'on devoitop-
pofer la force à la domination peu légitime des Guifes? pour-
vu qu'on agît fous l'autoriré des Princes du Sang, qui font nea
fouverains magiftrats du Royaume en pareil cas , ôc que Ton
combattît au moins fous les ordres d'un Prince de la race roya*
le , ôc du confentement des Ordres de l'Etat, ou de la plus gran-
de ôc de la plus faine partie de ces Ordres. Ils difoient aufTï
qu'il n'étoit pas nécefîaire de communiquer ces deffeins au
Roi, que l'âge, ôc fon peu d'expérience rendoient incapable
des affaires , ôc qui , étant comme détenu captif par les Guifes i
n'étoit pas en état de prendre un parti falutaire à fes peuples. Les
auteurs de cette entreprife, quels qu'ils fuîTent, étant animez
par ces raifons , fongérent à fe choifir un chef, ôc on n'eut pas
de peineà le trouver. Le Roi de Navarre, foit par fa tranquil-
lité naturel le, foit qu'il fut intimidé par fes amis, qui le détour-
noient d'entrer dans les factions , étoit alfez occupé à fe fou-
tenir à la Cour. On jetta donc les yeux fur le Prince deCon-
dé fon frère, difpofé par fon grand courage, par fon indigen-
ce ôc par la haine, qu'il portoit aux Guifes, à attaquer fes en-
nemis , plutôt qu'à recevoir des injures. Cependant le nom
de cet illuftre chef fut d'abord tenu caché ; ôc on fui vit en cela
la coutume de ceux qui font en fecret des levées de troupes
en Allemagne , fans nommer le Prince fous qui elles doivent
fervir. On mit à la tête des conjurez Barri de la Renaudie,
dit la Foreft , qui n'en étoit cependant que le fécond chef.
C'étoit un Gentilhomme d'une ancienne famille du Perigord;
DE J.A. DE THOU, Liv. XXIV, 4^
brave ôc déterminé , qui avoit eu un long & fâcheux procès, ■ ■ .«
au fujet d'un bénéfice defon oncle dans l'Angoumois, con- pRANçois
tre Jean du Tillet Greffier en chef du Parlement de Paris. jj^
Il l'avoir enfin perdu , ôc comme on l'accufa d'avoir produit jj^
quelques titres faux dans le cours du procès, ainfi qu'il arrive
affez fouvent dans ces fortes d'affaires > il avoit été condamné
à une groffe amende , ôc banni pour un tems. Ilfe retira à
Genève ôc àLauzanne, où par fes manières libres ôc prévenan-
tes, il fe fit beaucoup aimer de ceux qui s'y étoient retirez à l'oc-
cafion des troubles de la Religion.
Cet homme d'un efprit vifôc infirmant ^ ôc prêt à tout en-
treprendre , avoit fondé leurs efprits; parcourant enfuite fous
un nom emprunté les provinces de la France, il avoit reconnu
dans quelles difpofitions étoient les autres Proteftans. D'ail-
leurs il brûloit du deiir de fe venger , ôc d'effacer par quelque
atlion d'éclat l'infamie du jugement qu'il avoit fubi , plutôt
pour le crime d'autrui que pour le fien. Il offrit donc volon-
tiers fes fervices à ceux qui cherchoient un fécond chef, ôc
fe chargea de parcourir le Royaume, ôc de gagner ceux qu'il
eonnoiffoit déjà , ôcdont on lui avoit donné les noms. Il leur fit
promettre à tous, qu'ils fe trouveroient à Nantes le premier
de Février. Il fe fervit, pour le féconder, d'un nommé la Ga=
raye , gentilhomme Breton , qui avoit fait autrefois des recrues
pour lui. Le Parlement de Bretagne tenoit alors fes féances
à Nantes, où l'on étoit fur le point de juger un grand procès,
ôc où d'ailleurs on devoit célébrer des noces entre des pei>
fonnes de grande condition. La Renaudie crut que ces cir-
confiances rendroient moins fufpecte l'arrivée de tant de
gens , la plupart inconnus. Les Conjurez étant arrivez , il
les alla voir dans leurs auberges , ôc leur fit demander par la
Garaye, dans quelles difpofitions ils étoient ; s'ils perfiftoient
dans leur deffein, ôc s'ils étoient bien réfolus dans une fi jufte
caufeà tenter les évenemens, quels qu'ils fuffent. Enfuite il les
affembla tousenun certain lieu, ôc comme il parloir avec autant
de hardieffe qu'il fçavoit agir, on dit qu'après les compliment
ordinaires il leur fit ce difcours :
« Cette férénité ôc cette joye, que je crois remarquer fui Difcours J«
^ vos vifages , mes chers compagnons , eft une preuve de la k Renaudie
.» tranquillité de vos efprits.ôc m'aifure non feulement,que vous aiîx -c°fi3»-~-
Nnn ii £
Franco
IL
i ; 6-o.
473 HISTOIRE
— *> exécuterez avec ardeur nos projets s mais encore ï que votre
» fidélité ôc votre confiance feront inébranlables , ôc que le
=? fuccez fuivra une .entreprife commencée par rant de gens
» de bien. Vous êtes arrivez en ce lieu de différentes Provin-
« ces , à la fleur de votre âge , avec des qualitez rares : Vous
s» joignez à la prudence , l'expérience des affaires . ôc ce qui
» eft plus à eftimer encore > vous fçavez garder fidèlement le
» fecret. Ne femble-t'il pas que Dieu vous ait choifis lui-mê-
*> me ? Après cela , je ne m'étonne point que vous ne foyez ni
» rebutez par les difficultez ôc la grandeur du péril , ni inti-
« midez par la crainte des fupplices , qui n'effrayent que les
« coupables , ôc que vous foyez difpofez à facrifier votre vie
» à la liberté publique , ôc au repos de votre patrie. Quoi
s» qu'il foit affez inutile d'exhorter des hommes courageux ,
qui ont éprouvé la bonne ôc la mauvaife fortune , j'ai cru
que je devois vous parler de ce que nous avons à faire,
afin que nous choififlions de concert le lieu ,1e tems, ôc les
moïens d'exécuter notre deffein ; ôc en même tems vous prou-
ver la juftice ôc la nécefîité de prendre les armes , afin qu'il
ne refte pas le moindre fcrupule là-deiïus à des cœurs géné-
reux. Perfonne n'ignore, à ce que je crois, que contre les
loix & la dignité de cet Etat, les Guifes, princes étrangers,
fe font emparez de l'autorité Souveraine , au préjudice des
Princes du fang royal. Vous avez vu fans doute tous les écrits
répandus en France à ce fujet. On ne peut douter aufii où ten-
dent les deffeins ambitieux des Lorrains , que les bons Fran-
çois ôc les gens de bien regardent avec tant de raifon comme
fufpects l. Il fufrit de fe fouvenir par quels artifices cette Mai-
fon s'efl établie en France , quels en ont été les commence-
mens ôc les progrès , Ôc comment elle a trouvé moyen de
faire des alliances , qui l'ont élevée au comble de puiffance
où nous la voyons aujourd'hui. Afin de vous faire fentir ce
que je penfe à ce fujet, je reprendrai les chofes d'un peu loin,
ôc j'efpere que vous trouverez que je ne me fuis pas écarté de
» mon fujet.
« Jean , continua, la Renaudie , étoit duc de Lorraine , pro-
--* vince que cette maifon poffede à titre de Souveraineté , par
^ i II faut lire avec précaution ce que I Maifon de Lorraine , 8c fe fouvenir que
•dit ici la Renaudie des princes de la J c'eft un Conjuré qui parle.
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIV. 471
•> une concefTîon de l'Empire , 6c qui avoit été enlevée à ce — «.
*» Royaume. Il eut de fon mariage avec Sophie de Wirtem- François
»' berg, deux fils , Charle ôc Frédéric. Charle époufa Margue- jj#
» rite fille de Robert de Bavière comte Palatin , dont il eut t j ^0r
« plufieurs enfans j entre autres Ifabelle , qui ayant furvêcu à
»' fes frères , & ayant été préférée à fes fœurs , prit alliance
» avec René fils de Louis duc d'Anjou , ôc arrière petit-fils
»> du Roi Jean , à qui elle apporta en dot le duché de Lor-
» raine. Ce Prince, qui fut long-tems détenu prifonnier à Di-
»> jon par Philippe duc de Bourgogne, eut de ce mariage une
»' fille nommée Ioland.» qui fut mariée à Frédéric de Vaudé-
a> mont fils d'Antoine , lequel étoit arriere-petit-fils de Jean duc
«» de Lorraine, dont nous avons parlé. René devint, par la more
9 de Louis duc d'Anjou fon frère aîné, roi de Naples, ôc comte
» de Provence. Enfin ayant été chafTé de Naples par les Princes
!» de la maifon d'Arragon , ôc ayant perdu fa femme Ifabelle,
» il abandonna la Lorraine au prince Jean fon fils, à qui elle
» appartenoit par fa mère. Jean eut un fils nommé Nicolas, qui
aj lui fucceda, ôc qui mourut fans être marié. Songrand-pere
<» René lui ayant furvêcu , paffa le relie de fes jours en Proven-
« ce ôc en Anjou. Par la mort de Jean , ôc du duc Nicolas fon
m fils , René fils de Frédéric de Vaudémont ôc d'Ioland, hérita
» des duchez de Lorraine ôc de Bar en 1473. Mais René d'An-
s> jou , ayeul maternel de ce Prince, l'empêcha de fe mettre
»*en poffeflion de fes nouveaux Etats j aimant mieux que Char-
» le comte du Maine fon neveu, Ôc fils de Charle d'Anjou fon
o> frère , eût la Lorraine , que la ducheffe Ioland fa fille, ôc fes en-
» fans. Il fe fouvenoit qu'il avoit été obligé malgré lui , ôc pour
s> fortir deprifon , de marier fa fille aveerrederic fon ennemi*
»> ôc depuis ce tems-là cette Princeffe lui avoit été moins chère.
« Aurefte René de Lorraine, qui avoit de fi grandes obli-
« gâtions à Philippe duc de Bourgogne ( lequel avoit procuré
a> à Frédéric fon père le mariage d'Ioland , devenue depuis
*> héritière des duchez de Lorraine Ôc de Bar } fignala fon in-
» gratitude envers Charle duc de Bourgogne , fils de fon bien-
s> faiteur. Car l'ayant défait auprès de Nanti-, il le fit tuer de
»ï fang froid. Enfuite ce Prince fit une malheureufe expédition
» en Italie , dans la vue de fe mettre en poffeflion du royau-
» me de Naples , ôc redemanda, mais inutilement , à Louis XL.
472 HISTOIR E
» le Comté de Provence 3 que ce Roi poffedoit à titre legitï-
» me , ôc en vertu du teftament du dernier Comte. Cepen-
« dant il fe qualifia toujours Comte de Provence ,.& tranfmit
» ce vain titre à fa pofterité. Ce fut ce même René , qui épou-
o> fa Marguerite fille de Guillaume de Harcourt comte de Tan-
» carville , laquelle étoit héritière de grands biens 3 qu'elle dqn-
« na en dot à fon mari , ôc que les Guifes poffedent encore au-
» jourd'hui dans le payis de Caux. Mais peu après ayant alle-
» gué la laideur ôc la fterilité de Marguerite 3 il la répudia , ôc
?> ne laiffa pas de retenir fes biens. Enfuite il époufa ( cette
*> Princefle vivant encore ) Philippe fœur de Charle d'Eg-
or mont duc de Gueldres > dont il eut plufieurs enfans. Trois
» lui furvêcurent ? Antoine qui fut duc de Lorraine ; Claude
« ôc Jean qui s'établirent en France. Ce Claude ne fut pas
v plus reconnoiflant que fon pere3 ôc ajoutant l'impiété à l'in-
» gratitude , comme li l'une conduifoit à l'autre 0 il ofa bien
s? difputer le duché de Lorraine à Antoine fon frère , le pré-
«.tendant fils adultérin, comme né de Philippe de Gueldres ,
ps lorfque Marguerite vivoit encore 5 Ôc deshonorant ainfi la
» mémoire de fon père , ôc celle de la ducheflfe Philippe leur
» mère commune.
03 Etant déchu de fes prétentions , il vint en France > où il
» prit le titre de duc d'Anjou 3 qu'il n'ofa pourtant porter pu-
? bliquement ; ôc ayant époufé Antoinette de Bourbon tante
» du roi de Navarre, ôc du prince de Condé , il obtint le go.u-
» vernement de Champagne ôc de Brie , par la recommanda-
as tion de Jean cardinal de Lorraine fon frère 3 qui étoit fort
» bien dans l'eiprit du miFrançois premier. Claude cacha allez
» long-tems fon ambition 3 fous un Roi qui fçavoit également
» fe faire craindre ôc aimer. Il ne put s'empêcher néanmoins
« de faire voir un cara&ére inquiet ôc factieux 3 lorfque fans la
oî permilïion du Roi , il mena des troupes de fon gouverne-
os ment de Champagne au duc de Lorraine fon frère 3 fous pré-
os texte qu'il étoit attaqué par les Anabâtijtes. Le Roi qui ju-
« gea que Claude de Guife avoit voulu faire un effai de fa
v puiiTance, fut (i orTenfé de cette entreprife s qu'il ne lui eût
» jamais pardonné , fans les bons offices du cardinal Jean de
o> Lorraine , ôc du connétable de Montmorenci. Encore ce
53 Prince ne lui fît-il grâce , qu'à condition qu'il ne viendroit
pas
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIV. 47?
» pas à la Cour, ôc ne fe préfenteroit jamais devant lui. Tant .■ ~ . -s ■.
« que vécut François I, il çonferva le fouvenir de cette ac- ^ 1
1 o i'r * ij TAi-rriJ FRANÇOIS
« non, ôclorlquen mourant il donna au Dauphin Ion fils de
« fages préceptes fur la manière de bien gouverner fon Etat, J
»' il ne manqua pas de l'avertir d'être en garde contre l'ambi-
» tion des Guifes , 6c de les éloigner de Padminiftration des
» affaires.
» Pourquoi, ajouta la Renaudie, ai-jc rapporté ces chofes,
» fi non, pour vous faire comprendre que nous avons affaire à
» des hommes , dont l'ambition 6c le défir d'envahir le bien
» d'autrui , font comme héréditaires , 6c qui n'ont pour but
« que de faire périr le Roi 6c la race royale, d'opprimer lali-
» berté publique , 6c de renverfer totalement la conftitution
« de l'Etat ? Oui, ces étrangers employent les aceufations fauf-
« fes 6c calomnieufes,les proferiptions, les meurtres ôc les fup-
» plices , pour fatisfaire uniquement la paffion qu'ils ont de do-
»> miner, ôc pour deshonorer le nom François. Jettez main-
» tenant les yeux fur les enfans de Claude comte de Guife ,
*> dépofitaires aujourd'hui de l'autorité Souveraine. Dès que le
» feu Roi , oubliant les avis fi fenfez du grand roi François fon
» père , les eut appeliez au miniftere > que n'oferent-ils point
» entreprendre ? Ils commencèrent par perfécuter le Connêta-
» ble, à qui leur père étoit fi redevable. Dans la vue de le dé-
» poùiller de fa charge de grand-Maître , ils propoferent au
•'» Roi d'ordonner par un Edit,que celui qui auroit deux em-
s> plois, feroit tenu d'en opter un , 6c de fe démettre de l'autre.
*■> Henri rejetta cette propofition. Mais le cardinal de Lorrai-
=> ne ne fe rebutant point , enleva au cardinal de Tournon la
& charge de Chancelier de l'ordre de S. Michel ; Ôc ayant me-
» nagé l'alliance d'un des Princes fes frères , avec la ducheffe
» de Valentinois maîtreffe du Roi , qu'elle avoit enchanté par
» fes maléfices , il parvint à une grande autorité , Ôc fut Tau-
» teur de tous les troubles qu'on a vus à la Cour ôc dans le
» royaume. Ce fut lui qui fit ôter la dignité de premier préfi-
» dent à Lizet , perfo image de mœurs innocentes , qui avoit
» exercé durant vingt ans cette charge, Ôc qui pour preuve
95 de fon intégrité la quitta, étant aufli pauvre que lorfqu'il y
» étoit entré. Ce Magiftrat avoit toujours été oppofé à ceux
« qui profeffent une plus pure Doctrine > mais on lui fit un crime
Tome 1IL Ooo
474 H I S T O ï R E
de n'avoir pas déféré aux Lorrains certains honneurs , qu'il
François sj pretendoit n'être dûs qu'aux Princes du fang.
II. " ^'eft encore ce Cardinal qui fit reléguer dans fa maifonle
ï r 6 o. M c^ancener Olivier , par le crédit de la ducheffe de Valen-
» tinois j fcachant bien que ce grand Magiftrat maintiendroit
» toujours les loix anciennes de l'Etat. Il eft vrai- que voulant
» détourner la haine que l'éxil d'un homme de bien lui atti^-
=» roit , il l'a rappelle depuis peu de fa retraite, où il vivoitheu-
» reux ôc tranquille , pour le faire venir dans une Cour agitée.
*» Ce n'eft pas qu'il croie qu'il puiffe favorifer fes deffeins ; il
» a penfé feulement que fa préfence donneroit quelque poids
» à une autorité illégitime. On fçait encore, qu'après l'avéne-
» ment du feu Roi à la couronne , le cardinal de Lorraine
*» fe rendit à Rome , où il fe fit appeller le cardinal d'Anjou,
» comme s'il eût été de la maifon Royale. Mais Montmorenci
» ayant cru entrevoir où tendoient les deffeins ambitieux des
« Lorrains , confeilla au Roi d'avertir ces Princes , qu'ils fe
» contentalfent de porter les armes de la branche d'Anjou ,
» fans en ufurper le nom. Henri le fit en effet, ôc les obligea
=» de rendre une promefTe par écrit , qu'ils lui avoient extor-
» quée par de baffes flatteries , lorfqu il étoit Dauphin , qui
» portoir, que lorfqu'il feroit Roi , il leur reftitueroit le duché
=» d'Anjou. Y a-t'il rien, Meffieurs , de plus téméraire , que de
=> pareilles entreprifes ? Mais , on vante les grands fervices qu'ils
» ont rendus au Roi ôc à l'Etat. Examinons-les , je le veux ;
» fans paffion ôc fans aucune partialité. Le duc de Guife, dit-
» on., a défendu la ville de Metz , que le Connétable avoit
» prife , contre l'armée de Charle V, compofée de toutes les
» forces de l'Empire. Ceux qui lui rendent juftice louent en
y> cela fon bonheur, plutôt que fon courage. On lui avoit con-
» fié la défenfe d'une place très-bien fortifiée , où étoit renfer^
=>» mée l'élite de la nobleffe Françoife , ôc les plus braves foî-
» dats de l'armée, qu'attaquoit un Empereur jufques-là fameux
^ par fes victoires , mais alors foible de corps ôc d'efprit, de
» l'aveu de tout le monde, à qui le defefpoir ôc le mauvais
» état de fes affaires avoient fait entreprendre ce fiége, plutôt
» que la raifon ôc la prudence. Il vouloit effayer par-là de fe
*> concilier l'affedtion des Allemands, qu'il avoit perdue, ôc
g effacer, s'il eût été poffible, par une atlion d'éclat, la honte
DE J. A. DE THOU Liv. XXIV. 47?
» dont il s'étoit couvert , lorfqu'il s'étoit enfui endefordredela
» ville d'Infpruk. On peut dire aufîi , qu'il eut plutôt à combat- t?„ . K1„~ to
« tre durant le uege, contre la rigueur de la iaiion, les vents oc
v les pluyes , 6c contre les douleurs de la goûte, que contre . /
» le duc de Guife, ôc les François , qui étoient fort à leur aife
» dans la ville , ôc qui furs de 1 l'événement fe moquoient des
o> vains efforts des ennemis. Ce que je vous dis, Meilleurs, le
« Connétable qui n'étoit pas loin de Metz , pour le fecourir
» au befoin , l'a dit plus d'une fois : ce qui ayant été rapporté
» au Duc fort avide de gloire , ôc déjà rival de Montmorenci ,
« le piqua vivement contre lui.
» Au refte , le Duc a perdu dans la bataille de Renti la gloi-
» re qu'il avoit acquife au fiége de Metz. Il avoit quitté le
» combat lorfque Chatillon lui repréfenta fon devoir, ôc le fit
« revenir dans la mêlée. Depuis ce tems-là il a confervé con-
»? tre Chatillon un vif reflentiment , ôc lui a fait fentir les effets
« d'une haine implacable. Je ne voudrois pas cependant ac-
« cufer de lâcheté un Prince, qui s'eft fignalé en d'autres guer-
» res. Il me fuffit de vous mettre devant les yeux fes perni-
» cieux deffeins, ôc ceux du Cardinal fon frère. Je veux que
« ce Duc ait fait de grandes actions dans les combats. Sont-
» elles d'un fi grand prix , pour pouvoir être compenfées par
» tant de maux , que fon ambition a caufez à l'Etat , lefquels
« par un enchaînement nécelTaire vont en attirer encore de
» plus grands , dont nous fommes menacez ? Nous étions en
«■ droit d'efperer une paix honorable fous le feu Roi, après une
» trêve de cinq ans , en un tems où nos affaires profpéroient
w en Italie ôc dans les Payis-bas , ôc où celles de nos ennemis
« étoient en très-mauvais état , fi nous eufîlons eu cette paix.
» Les Guifes ne pouvoient plus fe flatter de s'accréditer par les
» guerres étrangères , ôc au milieu des troubles domeftiques.
« Ils firent les plus grands efforts auprès du feu Roi , pour lui
o> faire rompre la trêve, fous le prétexte fpecieux de défendre
» le Pape*, vieillard alors décrépit , ôc gouverné par fes neveux. * Pauliy,
» Cette infraction arrivée fi à contre-tems, fut très-préjudicia-
v ble à la France , qui fe vit obligée d'envoyer en Italie fes
« plus grandes forces , Ôc de demeurer expofée aux infuîtes de
« fes ennemis. Nous fçavons tous les maux que cette guerre
v a oceafionnez , ôc on ne peut s'en fouvenir fans verfer des
O o o i j
47* HISTOIRE
ggjggrigisB » larmes \ tandis que les Lorrains, qui y ont trouvé leur compte,
François m sen applaucuffent en fecret. La bataille de S. Quentin , qui
tj ' » nous fut II fatale , où nous perdîmes tant de braves chefs , ôc
^ « °^ ^e Connétable fut fait prifonnier , délivra d'un concurrent
» redoutable le duc de Guife, qui n'avoit pas été heureux en
» Italie. Aufïi-tôt il accourt en France , comme pour jouir des
» honneurs du triomphe , ôc ayant fait ôter le commandement
=» de l'armée au duc de Nevers , il entreprend le liège de Calais*
» que Sénarpont avoit déjà fait réfoudre , ôc que Montmorenci
a' eût afîiegé, s'il n'avoit pas été prifonnier. Strozzi avoit avant
*» l'attaque reconnu la lituation ôc les ouvrages de cette ville-là,
« La prife de Calais couvrit de gloire le duc de Guife , à qui
■ d'Eftrées ôc d'Andelot rendirent les plus grands fervices. Le
a dernier, au lieu de récompenfe, fut payé de la plus noire ingra-
» titude ; ayant été dénoncé comme hérétique au Roi, qui le fit
» mettre en prifon , ôc qui donna fa charge de Colonel général
* de l'infanterie à Montluc , homme tout dévoué aux Lorrains*
^ Le Duc ne fut pas moins heureux devant Thionville , que
» la Vieilleville afliégeoit depuis longtems : il le prit , en atta-
» quant une tour mal fortifiée , par le confeil de Strozzi. On
» étoit convenu, qu'après la réduction de cette place ,1e duc
» de Guife joindrait fes troupes à celles de Thermes , qui dans
« cette confiance s'étoit avancé jufqu'aux Payis-bas. Mais le
» Duc , jaloux de la gloire de ce grand Capitaine , perdit plus
» de vingt jours, fous prétexte, difoit-il , de rétablir fes foldats
o> fatigués , ôc laiffa de Thermes en butte aux ennemis fuperieurs
» en nombre. Dès-lors il penfoit à détruire les Généraux qu'a-
»> voit la France, afin d'attirer à lui feul toute la puiifance des-
» armes. Ce fut en ce tems-là qu'il voulut ôter au Connétable.,
a» qui étoit prifonnier , la charge de grand-Maître de la Mai-
» fon du Roi. Mais fes efforts furent inutiles auprès du feu Roi.,
* prince équitable ; la faveur de Montmorenci , quoi que cap-
* tif, Payant emporté fur fes brigues. Vous parlerai-je des con-
» férences fécretes des Guifes avec les Efpagnols , ôc des me-
» fures qu'ils prenoient durant les négociations de la paix avec
» le cardinal de Granvelle, pour entretenir en France îestrou-
y> blés domefhques , à l'occafion de la Religion f Ils méditoient
dès-lors cette cruelle délibération , connue fous le nom de
Mercuriale } qu'on tint au parlement de Paris , peu après la
6>
03
ta
DE J. A. D E T H O U , L i v. XXIV. 477
« paix conclue. Ce furent eux qui prefTerent le feu Roi de fe
rendre au Palais en perfonne , ôc lorfqu'on l'y attendoit le François
moins , pour exciter encore par fa préfence la rage des per- J I.
fécuteurs, ôc pour empêcher des Sénateurs fages ôc mode- Y ? 6 o,
rés , d'opiner avec liberté. Enfin ces Magiftrats, en donnant
» leurs voix fur la manière de punir les Proteftans, furent traî-
» nez en prifon , pour être jugez eux-mêmes , comme fauteurs
» des feclaires : l'autorité de cette compagnie augufte ayant été
» anéantie , des hommes malheureux font demeurez en proye
» à la fureur de la plus vile populace. Au refte , fi les Guifes
*» ont commencé à exécuter leurs deffeins pernicieux fous le
» feu Roi, Ôc dans le tems de la faveur du Connétable, que
» ne feront-ils pas aujourd'hui , qu'il s'eft éloigné de la Cour ,
*> qu'ils ont abaiffé les Princes du fang , ôc qu'ils ont entre les
» mains la fouveraine puiflance , fous un Roi à peine forti de
» l'enfance , ôc fous une Reine leur nièce.
^ Penfons donc ferieufement à ce qu'ils ont fait, à ce qu'ils
» feront, ôc où aboutiront enfin leurs deffeins, fi on ne les pré-
» vient de bonne heure. Devenus les maîtres par la mort du
» feu Roi , ils ont éloigné Montmorenci, ôc expulfé les Prin-
» ces du fang royal. Encore cette entreprife a quelque pre-
=> texte , fur ce que leur puiflance ne fe pouvoit foûtenir , qu'en
» ruinant celle de leurs concurrens > mais l'ambition étant na-
2> tureltementinfolente, ôc franchifTant les bornes de la modef-
* tie , de la raifon ôc de la pieté , ils viennent de confommer
=» l'ouvrage commencé depuis longtems , en dépouillant le
» Connétable de fa charge de grand-Maître. C'eft par là qu'ils
» ont d'abord fait fentir leur injurie pouvoir , qu'ils ont repan-
=» du par tout la terreur, ôc qu'ayant introduit une nouvelle for-
aï me de Gouvernement, ils ont chafle les anciens Minimes 3
=3 ôc en ont fubftitué de nouveaux. Mais ce qui fuit eft une
« preuve de la plus grande inhumanité. Des hommes illuftres
» à la guerre 3 ôc durant la paix , qui avoient prêté de greffes
» fommes au feu Roi , ou dépenlé leur bien à fon fervice
» viennent demander une dette légitime , ou une jufte récom-
« penfe. On leur préfente pour payement, ou pour falaireun
» infâme gibet. Souffrirons-nous de pareils excès ? Que feroit-
» ce, fi l'Etat étoit entièrement renverfé f Qu'arrivera-t'il lorf-
» que le Clergé fera parvenu à une plus grande autorité , que
O o o iij
4?8 HISTOIRE
. *> la Noblelïe fera détruite , que toute liberté fera otce aux Ma-
PR ' 3> giftrats , ôc que le peuple fera réduit à une extrême indigen-
% $ *> ce f Ne croyons pas , Meilleurs , que ceux qui craignent
' » tous les François, ôc qui les ont tous offenfez, pardonnent
* ? à aucun. Attendrons-nous qu'une calamité publique juftifie
* les j uftes foupçons de François I. ce Prince fi fage ôc fi pré-
» voyant, ôc que ces maîtres cruels } fortifiez par notre timide
» foibleffe , ne purifient plus être attaquez ? Pourquoi différer
» plus longtems ? Délivrons notre Roi du danger où il eft , dé-
* livrons la patrie, ôc rompons nos chaînes. Il eft vrai que ces
35 médians hommes , ces ennemis de la France 3 fe couvrent du
?> nom facré du Roi , toujours refpe£table aux gens de bien ;
» ôc font palîer pour rebelles ceux qui attaquent leur injurie
*> pouvoir, ôc qui demandent l'alTemblée des Etats. Une timi-
iê dite fcrupuleufe en retient pluiieurs , qui ne fçavent pas dif-
»> tinguer la véritable obéïffance d'un faux devoir. Il eft néce£.
?» faire de les inftruire là-delTus.
» Dieu nous commande d'obéïr aux Rois , îors même qu'ils
*■> nous ordonnent des chofes injuftes 5 ôc il n'eft pas douteux
» que ceux qui refiftent aux puiffances que Dieu a établies 3
■I refiftent à fa volonté. Ainli voyant que l'on calomnie au-
» jourd'hui les plus gens de bien mêmes , nous devons nous
3> conduire avec une grande circonfpeclion , afin qu'on ne
:» croye pas que nous ayons violé le refpect dû au Magiftrat
» fouverain. Nous avons cet avantage , que toujours pleins
3j de foûmiflion pour le Prince , nous n'en voulons qu'à des
3> traitres , ennemis du Roi , ôc de la patrie 5 d'autant plus dan-
» gereux } qu'ils font dans le fein de l'Etat , ôc que fous le nom
n d'un Roi enfant , ôc revêtus de fa puiffance , ils attaquent le
Royaume, ôc le Roi même. Le nom du Roi doit-il garan-
tit des hommes factieux , qui font fes plus cruels ennemis ,
a, qui veulent ravir aux François la liberté, les biens ôclavie,
v ôc dont les deffeins n'ont pour but , que la ruine de l'Etat l
y> Pourquoi croyez-vous qu'ils ont fait courir ces bruits hon-
:» teux touchant la maladie du Roi , dont cependant ils ofent
nous dire les auteurs , fmon pour éprouver notre patience ,'
ôc pour faire voir, qu'ils ont deffein de retenir l'autorité fou-
veraine après la mort du Roi , en faifant périr la race Roya-
le, ôc les plus puiffans Seigneurs du royaume ? Peut-on penfer
35
33
35
*»
DE J. À. DE THÔU; Liv. XXIV. 47P
* que la vie du Roi & des Princes foit en fureté fous des ■
*> Miniftres qui ont ces defleins f Lorfqu'ils difent , que le Roi François
* ne peut vivre long-tems ( ce qu'à Dieu ne plaife ) ils font j j.
=» affez voir qu'ils fe font flattez d'injuftes efpérances , qu'ils i<6q*-
» avanceront peut-être , s'il n'atrive quelque événement. Pour
>> nous , nous fouhaitons fincerement à notre Roi , que fa vie,
=» dont ils annoncent la courte durée, foit longue ôc heureu-
a> fe ; ôc nous ne celions de faire des vœux au ciel pour fa con*
9» fervation , attendant avec impatience ces momens fortunez.,
=» où gouvernant fon Etat par lui-même , il puiffe écouter nos
« juftes plaintes.
* Cependant, puifque fa vie , dont dépend le falut de l'Etat?
*> eft en danger, ôc que les momens font précieux? nous ne
=» pouvons fans manquer à ce que nous devons au Prince , à
3> la France , à notre fidélité , ôc à notre Religion , ne pas ex^
« pofer nos vies ôc nos biens , pour détourner les maux qui
» menacent le Souverain , ôc pour éloigner de la Cour les»
» Guifes qui lui tendent des embûches , ôc à toute la maifort-
=* Royale. Or afin que vous ne croyiez pas, que vousagifTea
* en cela contre votre confcience , je veux bien protefter le
*» premier, ôc prendre Dieu à témoin , que je ne penferai, ne
w dirai , ni ne ferai jamais rien contre le Roi, contre la Reine
» fa mère, contre les Princes fes frères, ni contre ceux de
» fon fang 5 qu'au contraire je défendrai leur Majefté ôc leur
s* dignité, ôc en même tems l'autorité des loix , ôc la liberté
»> de la patrie , contre la tyrannie de quelques étrangers.
Alors la Renaudie ayant prié les Conjurez de dire , s'ils corn-
prenoient fes raifons, ôc s'ils les approuvaient , tous fe levè-
rent , en déclarant qu'ils étoient de fon avis. De tant d'home
mes aiTemblez il ne s'en trouva aucun qu'une entreprife fi dé^
iicate rebutât, ou qui demandât du tems pour délibérer. En-
fuite on drefTa une formule de proteftation , par laquelle ils
croyoient mettre leur confcience à couvert : on lut l&s actes
& les informations contre les Guifes , ainfi que les décifions
des Docteurs en Droit ôc en Théologie, Ôc l'on prit des me-
fures pour l'exécution. On convint qu'avant toutes chofes ua
grand nombre de perfonnes fans armes , ôc non fufpectes , fe*
rendroient à la Cour , ôc y préfenteroient une requête au Roi^
pour le fupplier de ne plus gêner les confciences , Ôc dg-
•
4S0 HISTOIRE
permettre îe libre exercice de la Religion; que prefque au mê-
François me tems ^es cavauers choifis fe rendroient à Blois, où étoit
jj5 ie Roi; que leurs complices les recevroient dans la ville, 6c
i! c 60 Clue tous Préfenteroient une nouvelle requête au Roi contre
les Guifes > ôc que fi ces Princes ne vouloient pas s'éloigner
de la Cour, ôc rendre compte de leur adminiftration, on les
attaqueroit les armes à la main ; ôc qu'enfin le Prince de Con-
dé, qui avoit voulu qu'on tut fon nom jufques-là , femettroit
à la tête des Conjurez. On fixa au 1; de Mars le jour de
l'exécution.
Avant que de fe féparer , ils tirèrent au fort les Provin-
ces , dont chacun conduiroit les fecours. La Gafcogne
échut au Seigneur de la Motte Caftelnau de Chaloffes; le
Bearn à Mazere , Capitaine très - diftingué. Limoges & le
Perigord à Dumenil; le Poitou, le payis d'Aunis , ôc l'An-
goumois à Maille de Brezé ; ôc l'Anjou & le Maine , à la Chef-
nelaye '■> Sainte Marie eut en partage la Normandie 3 Co-
queville, la Picardie 3 Ferrieres-Maligni le cadet , la Champa-
ne ; ôc Châteauvieux , la Provence. On avoit auffi choifi plu-
iieurs Gentilshommes répandus dans tout le Royaume, pour
prendre garde que les peuples ne fe foule valent au bruit d'une
conjuration , Ôc pour empêcher qu'on envoyât du fecours aux
Princes Lorrains. Enfuite chacun s'en retourna chez foi , gar-
dant un aufïi grand fecret que lorfqu'ils étoient venus. La Re-
naudie prit le chemin de Paris, pour aller trouver Chandieu ' (un
des Minirires Calviniftes de cette grande ville , qui prit de-
puis le nom de Sadaël ) à qui il fit part de ce qui s'étoit pafie
à Nantes. Au refte ce qui eft de furprenant dans cette con-
juration , ôc ce qui tient en quelque façon du prodige , c'eft
qu'en un tems où le Royaume n'étoit agité d'aucuns troubles,
où le Roi étoit révéré ôc tout puifTant , où les Gouverneurs
ôc les Magiftrats exercoient une pleine autorité, ôc où le peuple
ôc la Nobleffe n étoient point encore accoutumez aux ré-
voltes , tant d'hommes ayent pu s'aflembler des différentes
Provinces de la France, ôc garder un fecret inviolable fur leurs
deffeins , ôc que les Guifes ayent appris le complot formé
1 Chandieu étoit très-diflingué en- j de géne'ral de toutes les Eglifes Réfor-
tre les Minières Proteftans ; on le I mées de France,
verra dans la fuite préfider à un Syno- J
contre
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIV. 4S1
contre eux,par les lettres d'Allemagne, d'Efpagne ôc d'Italie,plù-
tôtque par leurs mouches j c'eft ainfi qu'ils appelloient lesémif- François
faires , qu'ils avoient difperfez dans les Provinces : tant la hai- Jj.
ne qu'on leur portoit étoit grande. Il ne fe trouva qu'un feul 1 y 60.
homme en France, qui, quoique Proteftant, eut horreur d'une
entreprife qui lui parut inouïe, ôc d'un dangereux exemple,
ôc qui révéla la confpiration , plutôt par des motifs de confcien-
ce , que dans la vue d'un vil intérêt.
C'étoit un Avocat de Paris allez habile dans fa profefïion,
nommé Avenelles , qui logeoitau Fauxbourg Saint Germain,
chez qui la Renaudie s'étoit retiré , pour être mieux caché.
Avenelles voyant qu'un grand nombre de perfonnes venoient
trouver fon hôte , commença à foupçonner quelque cliofe ,
& ayant eu enfuite un entretien fecret avec lui , il apprit tout le
détail de la confpiration , qu'il feignit d'approuver. Ayant long-
tems médité ce qu'il avoit à faire, enfin étonné de la gran-
deur du péril , ôc ne croyant pas pouvoir fe taire fans fe ren-
dre criminel aux yeux de Dieu , il alla trouver Lalamant Vou-
zay Maître des Requêtes,un desconfidens du cardinal de Lor-
raine, ôc lui découvrit la conjuration en préfence de Milet
fecretaire du duc de Guife. On eut bien de la peine à croire
d'abord ce qu'il difoit. Mais comme il venoit tous les jours
aux Guifes des courriers des payis étrangers, par lefquels on leur
mandoit qu'on leur drefîbit des embûches , ôc que s'ils ne
fongeoient de bonne heureà s'en garentir, leur perte étoit cer-
taine j Lalamant ne crut pas devoir négliger cet avis, 6c con-
feilla à Milet de fe rendre en relais à Blois avec Avenelles.
Lorsqu'ils y arrivèrent , le duc de Guife en étoit parti avec le
Roi, pour fe rendre à Amboife, petite ville fort ferrée que peu
de troupes peuvent défendre, ôc qui a d'ailleurs un château
allez grand , ôc bien fortifié. On croit que ce changement de
féjour déconcerta les conjurez. Avenelles entretint le cardi-
nal de Lorraine durant le voyage j ôc entre les complices il lui
nomma un gentilhomme, dont le frère étoit à la Cour. Celui-
ci par ordre du Cardinal fit venir fon frère , qui féduit par
les promettes, ou intimidé par les menaces confirma les cir-
conftances d'un complot , que fans cela on n'eût pu croire.
Cette connoiffance fut utile aux Guifes, pour féparer les Con-
jurez , ôc s'en rendre les maîtres.
Tome III. P p p
4$2 HISTOIRE
__ Cependant on retint Avenelles , qui fut envoyé à Amboï-
Fr n ois k' ^ Sarc^ * v^> a^n clue ^ ^es indices étoient faux, on
tt ■ apprît de lui les raifons d'une fi noire calomnie 5 que fi au con-
l traire ils etoient véritables , on fe fervît de fon témoignage
pour convaincre les coupables. Tout étoit rempli à la Cour
de crainte ôc de frayeur , dans l'attente de ce que deviendroit
cette affaire. Le maréchal François de Montmorenei eut ordre
d'envoyer à Ainboife, avec une fûre efcorte, Robert Stuart, An-
felme de Soubfelles., ôc le gouverneur de Saint Aignan, déjà pri-
fonniers à Vincennes, ôc qu'on croyoit complices. Ils furent
conduits feuls, ôc déguifez, afin qu'ils ne piuTent fe parler, ni être
reconnus. Les Guifes, qui foupçonnoient l'amiral de Coligni
ôc d'Andelot fon frère d'être de la conjuration > ôc qui crai-
gnoient leurs richeffes , leur puiflance , ôc plus encore leur grand
courage , engagèrent la Reine mère à leur écrire des lettres
remplies d'affeâion ôc de confiance, pour les inviter à venir
à la Cour l'aider de leurs confeils dans une affaire de grande
importance. Ces Seigneurs fe rendirent aufli-tot à Amboife
avec le ■ Cardinal leur frère > ôc furent introduits dans le ca-
binet de Catherine de Medicis en préfence du Chancelier
Olivier. L'Amiral ayant demandé permifïion de parler , décla-
ma vivement contre la mauvaife adminiftration de l'Etat, ôc
ajouta que tous les peuples étoient irritez 5 mais qu'il neferoit
pas impoilible de les rappeller à leur devoir, fi onfufpendoit
par toute la France les fupplices contre les Proteftans, ôc il
©n accordoit la liberté deconfcience , jufqu'à ce qu'un Con-
cile légitime eût décidé les différens fur les matières de Reli-
gion. Olivier , qui étoit fort zélé pour la réforme de î'Eglife,
ôc qui avoit en horreur la rigueur des jugemens par rapport
à la foi.> écouta avec attention Coligni : il goûta tes raifons ,'
les communiqua aux Guifes , ôc leur dit , que le meilleur moyen
de calmer les efprits étoit de donner par un édit une entière
amniftie du paffé, de promettre inceiTament la tenue d'un Con-
cile, ôc d'accorder jufques-là le libre exercice delà Religion»
Protestante.
Les Guifes approuvèrent le confeil du Chancelier, dans la
1 Odet cardinal de ChatilIon,à qui l ria depuis à Elisabeth de Haureville^
le Pape ôta depuis le chapeau , parce qu'il avoit long-tems entretenue,
qu'il s'étoit fait Calvinifte : il fe ma- (
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIV. 48?
vue d'appaifer les faclions, qui alloient éclore. Ainli on publia ■
un édit favorable aux Proteftans , mais qui exceptoit de Tarn- pRANC0IS
niftie générale les Prédicans , ôc ceux qui fous prétexte de la j j 3
Religion , avoient formé des complots contre le Roi, la Rei- « 1 Q
ne fa mère , les Princes fes frères , ôc les autres Princes ôc Mi-
nières , ceux qui auroient tiré des coupables d'entre les mains
des archers , ce ceux qui auroient arrêté les lettres , les ordres,
ôc les courriers du Roi. L'édit fut auili-tôt porté au Parlement ,
enregiftré , ôc publié le 1 2 de Mars , fur le requifitoire du Pro-
cureur général Bourdm , à qui les Guifes avoient écrit à ce fu-
jet. On employa fur les regiftres un arrêt fecret, qui put fer-
vir dérègle, lorfquil s'agiroit de l'exécution, ou de l'interpré-
tation de fédit. Cependant le duc de Guife fe donnoit de
grands mou vemens; envoyant des officiers dans toutes les Pro-
vinces pour lever des troupes > ôc pour exhorter les Gentils-
hommes à prendre les armes pour leur Roi. On écrivit de plus
aux Gouverneurs des villes Ôc des provinces , pour leur or-
donner d'arrêter tous les gens armés , cavaliers , ou fantaffins,
qu'on verroit prendre le chemin d'Amboife. Marliili de Si-
pierre fut envoyé à Orléans, où il rencontra le Prince de Con-
dé qui alloit à la Cour , ôc qui , ayant appris que la confpira-
tion étoit découverte , ne laifla pas de continuer fon chemin.
La Renaudie lui-même, homme ferme ôc intrépide,perfifta dans
fon deffein, quoiqu'il n'ignorât pas qu'on avoit révélé le complot,
ôc il trouva la même confiance ôc la même fidélité dans les Con-
jurez. Etant arrivé le 4 de Mars à Carreliere en Vendômois,
lieu qui n'eft pas éloigné d'Amboife , ôc fes complices s'y ren-
dant de tous cotez, il fixa au 17 du même mois l'afTemblée
générale des Conjurez , parce que la Cour ayant quitté Blois,
il fallut changer le jour de l'exécution. Il avoit placé peu loin
d'Amboife environ cinq cens cavaliers tous Gentilshommes,
ôc une troupe de fantaflins choifis. On étoit convenu queMa-
ligni le cadet ameneroit à Amboife foixante officiers au Prin-
ce de Condé, ôc qu'on les logeroit ou dans des caves , ou dans
des greniers, à caufe du peu de maifons qui font en cette ville
là. Un autre chef, dont on n'a pas fçû le nom , s'étoit chargé
d'amener encore trente officiers, ôc de les placer dans la ci-
tadelle. Pour la Renaudie, il devoir fe rendre la veille du jour
de l'exécution fur le foir àNoifai, lieu voifin d'Amboife, avec
Pppij
4*4 HISTOIRE
..- . . *,->, le refte des troupes : Caftelnau , ôc Mazere avoient promis d'y
Z " arriver quelques momens après.
-.$ l On étoir convenu d'envoyer le lendemain les foldats à Am-
boife par petites troupes , pour ôter toute défiance. La Renau-
* die devoit s'y rendre fur le midi , s'emparer des portes de la
citadelle avec une partie de fes gens , ôc s'affûter des Guifes
avec l'autre. Après cela on auroit fait un fignal d'une tour dut
château, pour faire avancer le refte des troupes qui étoient ca-
chées dans la forêt voifine, & qui feroient entrées dans la ci-
tadelle par la porte d'un jardin. De Lignieres étoit un des chefs
des conjurez 5 on lui avoir fait part du projet de l'exécution,.
ôc des mefures qu'on avoit prifes > ôc cet homme avoit promis de
garder un fecret inviolable. Mais , foit qu'il fe repentît de fes
engagemens, foit qu'on l'eût gagné par argent, il vint à Am-
boife vers le même tems , ôc découvrit à la Reine mère tout
le plan de la confpiration , les noms des chefs, les lieux par où
on devoit entrer dans la ville, ôc ceux où l'on étoit convenu
de fe loger. Il étoit venu auprès des Guifes un grand nom-
bre de gens armez , qui croyant qu'on en vouloit au Roi, étoient
accourus à la hâte , pouffez par l'amour que les François ont
toujours eu pour leur Souverain. Ces Princes leur ordonnè-
rent de fe rendre dans les lieux qui leur étoient défignez , ôc
de prendre tous ceux qu'ils verroient venir en. troupes dans la
forêt , ou s'y couler durant la nuit. Ils allèrent d'abord à la
Fredonniere , lieu où les Conjurez dévoient d'abord s'affem-
bler , lorfqu'cn ne croyoit pas que la Cour quitteroit Blois.
Mais François ôc Madeleine Confiance en étoient déjà partis
avec leurs amis > fur ce qu'ils avoient appris, que la confpira-
tion étoit découverte. On prit d'Avigni avec environ vingt
de fes amis , lorfqu'ils s'enfuyoient , fur l'avis qu'on venoit de
leur donner , que la Cour étoit informée de tout. On arrêta
aufTi la plupart des autres qui furent conduits à. Amboife. Au
refte les Princes Lorrains pour une plus grande fureté chan-
gèrent la garde du Roi, ôc rirent murer la porte de ce jardin
voifin de la citadelle. Ils fongerent de plus à contenir les vil-
les voifines dans le devoir, en envoyant à Tours Louis de Bueil
comte de Sancerre, à Orléans François de Vieilleville Scepeaux,
à Blois Paul de Thermes maréchal de France , le Prince de
Montpenfier à. Angers, le comte delà Rochefoucaut Barbe^
lieux à Bourges , Ôc Couci Burie à Poitiers».
D E J. A. D E T HO U , L i v. XXIV. 48;
Ce fut un trait de politique des Guifes d'envoyer des Sei-
gneurs qui leur étoient fufpects, dans des villes, dont la fide- François
lité leur paroifîbit aifurée -, ôc de les éloigner , fous un prétexte H-
fpécieux , d'auprès de la perfonne du Roi. Sancerre ayant ap- i $ 6 o*>
pris qu'ils y avoit des gens armez dans un fauxbourg de Tours
du côté du Plefïïs , s'y rend avec fes gens , ôc ayant rencon-
tré Caftelnau ôc Mazere , qui avoient des manteaux fur leurs-
cuiraifes , il leur demande où ils alloient. Ceux-ci lui ayant
répondu qu'ils alloient trouver le Roi , il leur dit , qu'ils n'a-
voient ni l'équipage , ni la contenance de gens qui voy ageoienr
Amplement s ôc leur ayant montré les ordres du Roi, qui lui
commandoit d'arrêter ceux qu'il rencontreroit armez, ilfemit
en devoir de les faire prifonniers. Mais comme ils étoient le3
plus forts , non feulement ils échaperent , mais ils contraigni-
rent même Sancerre de fe retirer dans la ville , fans qu'il y
eût de fang répandu de part ni d'autre. Alors ce Seigneur
criant au fecours dans les rues contre des criminels de le-
ze-Majefté , ôc voyant que perfonne ne fortoit des maifons,
il jugea qu'il avoit plus à craindre les habitans même que Caf-
telnau. Il écrivit au duc de Guife,pour lui faire part de cette
avanture, ôc pour lui demander du fecours. Ce Prince rit par-
tir auffi-tôt Saint Andté, qui arriva trop tard : Caftelnau avoit
renvoyé {qs gens au-delà de Saumur ,. ôc avoit paiTé la Loire
pour fe rendre à Noifai avec Mazere , comme on étoit con-
venu. Au refte ce n'étoit pas fans raifon qu'on foupçonnoit
ceux de Tours-, puifque la plupart avoient embralfé la Reli-
gion des Proteftans. Il eft à remarquer que le nom ridicule Ôc
odieux de ' Huguenot, qu'on donna depuis en France à ceux
qu'on appelloit auparavant Luthériens , pritfon origine en cette
ville là. On fçait que les habitans de chaque ville appellent de
noms t qui leur font particuliers , les Lutins , les loups-garoux,
les bêtes noires, ôc d'autres monftres chimériques ôc vains-,
dont les contes de vieilles font remplis, pour faire peur aux en-
fans, ôc aux femmelettes. Or le Roi Hugon pafloit chez le
peuple de Tours pour un de ces monftres, ôc on difoit qu'il
galoppoit toutes les nuits autour des murs de la ville , battant
ceux qu'il rencontroit , ou les enlevant. C'eft de ce Roi Hugon
1 Les Huguenots prétendent que ce qu'ils de'fendoient la pofterité de Hu-
Bom leur ett honorable, ôc inarque J gue Capet contre les Guifes;
Ppp iij
|é$ HISTOIRE
L ,,„, qu'on appeîla Huguenots les Proteftans, qui n'ofant s'afTem-
~ bler de jour, fe rendoient toutes les nuits aux environs de
K\j Tours , pour entendre des fermons, ou pour faire leurs prières
en commun.
* 0# Le Roi ayant fçû que Caftelnau ôc fes amis étoient arrivez
à Noifai, y envoya Jacque de Savoye duc de Nemours , qui
avoit avec les Guifes les plus étroites liaifons , afin de furpren-
dre ces conjurez, ou de rompre au moins leurs deffeins. Le
Duc étant parti avec quelques gensd'armes choifis à la hâte, fur-
prit ôc enveloppa Mazere , Ôc Raunay , qui fe promenoient
devant le château. Caftelnau ayant fait avertir la Renaudie du
malheur de leurs amis , s'enferma dans le château , que Ne-
mours fit entourer par des corps-de-garde placez à diftance.
Après avoir conduit lui-même (es deux prisonniers à Amboi-
fe , il revint l'après dinée devant le château de Noifai , avec en-
viron cinq cens hommes , prefque tous officiers dans la mai-
fon du Roi. Caftelnau fe voyant preffé , ôc penfant que la Re-
naudie , à qui il avoit dépêché un couder , ne pourroit lui en-
voyer de fecours affez à tems , fouhaita de conférer avec le
Duc , ôc de traiter à l'amiable. Nemours lui demanda, ôc à ceux
qui l'accompagnoient , pourquoi ils étoient venus ; leur repré-
fentant qu'on ne devoit pas faire connoître au Souverain les
vœux de fon peuple par des factions, ôc des troubles ; que lorf-
qu'on avoit des demandes à faire , on pouvoit lui préfenter
d'humbles fupplications , ôc non pas prendre les armes contre
lui > moyens inouis aux François , nation de tout tems fi fou-
mife, ôc fi fidèle à fes Rois. Il ajouta , qu'ils euffent à mettre bas
les armes , Ôc à retourner chez eux , pour ne fe pas rendre plus
coupables par leur opiniâtreté , Ôc ne pas deshonorer le nom
François par un crime odieux , que détefteroit la pofterité. En-
fuite il leur promit que s'ils déferoient à fes avis, ils pourroient
parler au Roi avec toute affurance. Tous répondirent alors au
Duc , qu'ils avoient chargé Caftelnau de porter au Roi leurs
juftes demandes. Alors Caftelnau prenant la parole dit, que
toute fa vie il feroit fidelle à fon Prince ; que fes compagnons,
ôc lui étoient éloignez de vouloir exciter une guerre civile ;
qu'il y avoit beaucoup de chofes , qu'il vouloit dire au Roi
même , fi les Princes Lorrains le trouvoient bon ; ôc qu'il ne
doutok point que ce Monarque n'écoutât les juftes prières de
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIV. 487
ceux de (es fujets, qui avoient rendu les plus grands fervices
à l'Etat, s'il n'étoit point prévenu par lapafîion d'autrui. Enfuite FrANcoïs
il parla de l'orgueil ôc de la fierté des Guifes , qui faifoient , ' ] j
difoit-il, déjà les Souverains , ôc qui vouloient ufurper la cou- 1 <: Co
ronne. Il ajouta , que fes compagnons ôc lui s'étoient affem-
blez , dans la feule vue de fe plaindre au Roi de ces Mi-
mitres odieux j qu'ils avoient pris les armes, non contre lui,
mais contr'eux , ôc qu'ils croyoient avoir été en droit de le
faire ; qu'il étoittems enfin d'abattre leur puiflance,lorfqu'elle
commençoit à s'élever trop haut,ôc qu'on ne pouvoit efpérer de
foulagement aux maux de l'Etat , qu'en établifiant un gou-
vernement légitime fuivant les loix anciennes du Royaume,
Alors cette foule de conjurez préfens à l'entrevue entoure
le Duc , Ôc le fupplie inftamment de perfuader au Roi , qu'il
vùeille bien écouter les plaintes de tant d'hommes également
malheureux ôc innocens , ôc rétablir dans leur ancienne vi-
gueur les loix anéanties par la malice des Guifes , fes maîtres
cruels. Après plufieurs difcours de cette nature, Nemours leur
donna fa foi , que s'ils vouloient venir avec lui trouver le Roi P
il ne leur arriveroit rien de fâcheux } ôc qu'ils ne feraient point
retenus prifonniers 5 ce qui ayant été accepté , ils fuivirent le
Duc à Amboife , où reclamant envain la parole qu'il leur avoit
donnée, ils furent jettez dans des prifons, ôc chargez de chaînes.
Cependant la Renaudie, qui avoit appris en chemin par le Cou-
rier de Caftelnau le malheur arrivé à Raunay ôc àMazere , fai-
foit grande diligence , pour fe rendre à Noizai, afin de délivrer
les conjurez , qu'il croyoit y trouver encore > ôc de-là s'empa-
rer d'Amboife , qu'il penfoit être fans défenfe ôc fans trou*
pes. Le 1 6 de Mars , les gens de pie de l'armée des conjurez B
qui marchoient par petites bandes à travers la forêt, ne croyant
pas que leur deffein eut été découvert, furent ou taillés en pie*-
ces , ou pris fans peine, par les cavaliers poftés en differens en-
droits du bois. On lia les prifonniers , qui furent attachez à la
queue des chevaux , ôc conduits à Amboife comme en triom-
phe 5 fpeclacle agréable à quelques-uns , mais qui toucha de
compafîîon le plus grand nombre. Plufieurs de ces miferables
furent en arrivant pendus aux crénaux des murs du château ,
bottez Ôc éperonnez , ayant à peine été interrogez , ôc fans
£§8 HISTOIRE
, autre forme de procès. Les Guifes demandaient que les chefs
7^ ~ fufTent aufll conduits au fupplice , foûtenant qu'il falloir les
R^TT^ I§ ex^cuter au plutôt pour l'exemple. Mais le fage Olivier, qui
' vouloit attendre la tin de cet événement , s'y oppofoit.
' ' Le duc de Guife profita de cette occafion , pour obtenir du
Roi un Edit, qui lui déféroit le premier commandement de
toutes les armées , ôc la lieutenance générale de l'Etat ; exal-
tant fes vertus éminentes , ôc fes grands fervices. Le Roi dU
foit dans le commencement de l'Edit3 qu'il avoit préféré d'a-
bord la douceur ôc l'indulgence à la févérité ; mais que voyant
que fes bontez ne lui avoient pas mieux réufîl , qu'au Roi fon
père , ôc que la plupart des rebelles n'en devenoient que plus
audacieux , il croyoit devoir faire fentir aux factieux toute la
force de fon autorité légitime , punir à la rigueur des cri-
minels de leze-majefté } qui n avoient pas voulu profiter des
derniers effets de fa clémence, ôc imiter en cela le feu Roi
Henri , qui avoit châtié ceux de Bordeaux. Cet Edit fut figné
par Robertet fteur du Frefne fécretaire d'Etat , avec cette for-
mule ordinaire , par l'avis du Confeil : enfuite il fut porté à Oli-
vier pour être fcellé. Le Chancelier , à qui on n'en avoit point
parlé auparavant 3 qui déteffcok en fecret la violence des Gui-
fes , ôc qui ne pouvoit voir fans douleur l'accroiffement de
leur puuTance , refufa d'abord de le faire. Mais fe voyant folli-
cité vivement par le duc de Guife , peu accoutumé à un refus,'
il y confentit , à condition , que pour faire trouver cet Edit
moins odieux , on en publieroit un autre le même jour , qui
étoit le 1 8 de Mars , lequel accorderoit un pardon général
à ceux qui s'étoient affemblez avec armes à î'occafion de la
Religion 3 ôc qui avoient péché en cela plutôt par (Implicite
que par malice 5 pourvu qu'ils miffent bas les armes , ôc qu'ils
retournaient , pour ne donner lieu à aucuns foupçons, chez
eux dans vingt- quatre heures s deux à deux , ou trois à trois
rout au plus. Il leur étoit permis néanmoins 3 après qu'ils au-
roient mis bas les armes , de parler au Roi } ôc de lui préfentet
leurs requêtes.
Le jour fuivant, laRenaudie, qui alloit à Amboifeà gran-
des journées , rencontra > dans la forêt de Château-Renaud ,
Pardaillan, que le Roi avoit envoyé avec des cavaliers choifis,
pour
François
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIV. ^9
pour prendre les conjurez. Celui-ci ayant couru à bride aba-
tuë fur la Renaudie , & fon piftolet ayant manqué , fut bleffé
d'un coup d'épée par ce chef des rebelles, qui combattant rKAI^S
vaillamment contre fon ennemi, fut percé d'une baie , que lui "
tira le valet de Pardaillan , 6c tomba mort fur la place. Son T *
corps fut porté à Amboife, ôc attaché à une potence furie pont,
avec cette infcription : Chef des Rebelles, Enfuite il fut coupé
par morceaux: , ôc expofé fur des pieux aux environs de la ville.
On prit aufïi deux de fes domeitiques , dont l'un nommé la Bi-
gne étoit fon fécretaire , ôc paffoit pour fçavoir toutes les intri-
gués de fon maître. On l'appliqua à la queftion,pour l'obliger
à déchiffrer des lettres ôc des mémoires en caractères inconnus.
La force des tourmens lui fit dire tout le plan de la confpira-
tion , ôc avouer les mefures prifes contre les Lorrains. On trou-
va dans ces écritures la proteftation faite à Nantes , ôc la re-
quête, que ceux que l'on nommoit communément alors Lu-
thériens , dévoient préfenter au Roi dans l'aifemblée des Etats
généraux. Ils s'y plaignoient de la rigueur des jugemens ren-
dus contr'eux , dont ils demandoient Padouciffement , après
avoir parlé, comme ils dévoient, de leur fidélité inviolable
envers le Roi, On interrogea la Bigne , pour connoître les
chefs de la conjuration , outre ceux qu'on avoit pris , Ôc on
le preffa fur tout de dire , fi le roi de Navarre ôc le prince de
Condé n'y étoient point entrez. La Bigne dit toujours qu'il
n'en fçavoit rien ; qu'il avoit appris feulement , que > fi la cons-
piration eût réùfïi , le prince de Condé fe feroit mis à la tê-
te des Conjurez. Les Guifes jugèrent de-là , que puifque le
prince de Condé étoit mêlé dans cette affaire , il falloit nécef-
fairement que Coligni ôc d'Andelot, qui lui étoient fi étroite-
ment unis par les liens du fang ôc de 1 amitié , y euffent part
aufli , quoique la Reine mère ne fût pas en cela de leur avis.
Ils craignoient que cette entreprife ne fût fuivie d'une au-
tre plus dangereufe j ôc ils difoient qu'il falloit effrayer , par
le fupplice des chefs qu'on avoit pris , d'autres juftement
fufpecls.
Tandis que le Chancelier s'oppofoit à la violence de leurs
CGnfeils, les Conjurez, que la mort, le fupplice, ôc la prifon
de leurs compagnons n'avoit point découragez, donnèrent or«
die au capitaine la Motte , de marcher avec quelques gens de
T&m. IJI, Qqq
wo HISTOIRE
main vers Amboife , où plufieurs bourgeois , qui favorifoient fe-
Francois cretement J£ur Parti » ne manqueraient pas, à ce qu'ils penfoient,
jjj de fe joindre à eux. En même tems Champs 6c Coqueville
j f^0 furent commandés pour aller au fauxbourg , qui eft du côté de
Vendôme , ôc fe rendre les maîtres du pont, tandis queChan-
dieu, frère d'Antoine miniftre de l'églife Proteftante de Paris,
dont nous avons parlé , viendrait de Blois avec des foldats d'é-
lite , ôc entreroit à Amboife par une petite porte mal fortifiée ,
qui tient au couvent des Minimes du côté de la rivière, ôc qu'on
pourroit jetter par terre d'un coup de pié 5 c'étoient les pro-
pres termes portés dans l'inftruction qu'on leur avoit donnée,
Chandieu étant arrivé trop tard , ôc lorfque le jour étoit déjà
grand, on cria aux armes par toute la ville, à la vue de ces
foldats , qui avoient tous des écharpes blanches. Des corps de
garde ayant été mis à toutes les portes, cette dernière tentati-
ve des conjurez fut fans effet. Durant qu'on fermoit les por-
tes, Ôc que tout étoit en confufion dans la ville , ils eurent af-
fez de tems pour fe retirer : on en prit feulement quelques-
uns , qui fuivoient à pié , qu'on noya à Imitant dans la Loire,
Ces nouvelles hoftilitez ayant irrité les princes de Guife; ôcle
Chancelier ne pouvant plus alléguer de raifons pour juftiner
cette infulte , l'amniftie accordée par le dernier Edit fut révo-
quée par un autre , qui déclara les conjurez indignes de toute
grâce , comme relaps. Aufii-tôt on fit partir des troupes , pour
fuivre ceux qui s'en retournoient tranquillement chez eux , ôc
pour les ramener à Amboife. On prit entre autres Villemon-
gey cadet de Briquemaut. Comme on murmuroit tout haut
dans la ville , de ce que tant d'hommes étoient tous les jours
trainez dans les priions, ou conduits au fupplice , le Maître
des eaux ôc forêts du territoire d'Amboife eut ordre de par-
courir la forêt avec main forte } ôc de tuer fans autre forme
de procès tous ceux qu'il y rencontreroit en armes. Sous ce
prétexte on arrêta plufieurs marchands , qui furent tuez ôc dé-
pouillez.
On mit aufli en arrêt le prince de Condé, qui étoit dans
îe château , ôc on lui défendit de fortir de la Cour fans la per-
miffion du Roi. II eut affez de prudence pour diflimuler fage-
ment cette injure. Le Roi créa alors une nouvelle compagnie
d'arquebufiers , pour la garde de fa perfonne, ôc en donna le
DEJ. A. DETHOU,Liv. XXIV. 4pi
Commandement à ■ Antoine du Pleffis Richelieu , dit commu-
nément le Moine , parce qu'il l'avoit effectivement été , ôc
qui ayant renoncé à fes vœux, avoit mené depuis une vie li-
cencieufe ôc diffoluë. Les uns difoient , que les Guifes avoient
inftitué cette milice pour la fureté de la perfonne du Prince ;
mais les autres penfoient , qu'il, n'avoient fongé en effet qu'à
leur propre confervation. Alors on commença à interroger les
coupables , dont plufieurs furent jugez & exécutez à la hâte.
On en pendit dans la nuit plulieurs aux crenaux des murs du
Château ; d'autres furent noyez , de crainte qu'un fpectacle
plein dhorreur , n'excitât le peuple à la pitié •■> quelques-uns
furent trainez au fupplice durant le jour, fans aucune infcrip-
tion qui déiignât leur crime , fans qu'on fçût leur nom , ôc fans
que le bourreau , contre l'ufage ordinaire, dît un feul mot. La
Loire étoit couverte de cadavres h le fang ruiffeloit dans les
rues ; ôc les places publiques étoient remplies de corps atta-
chez à des potences. Les chefs furent jugez les derniers. On
vouloit, à force de tourmens , leur faire révéler leurs complices.
D'abord on fit venir Raunay, qui ayant entendu la leclurede
îa dépofition de la Bigne, contenant tout le plan de la conf-
piration , avoua tout, fur l'affurance que lui donnèrent lescom-
miffaires , fuivant leur coutume , qu'on lui fauveroit la vie , s'il
difoit la vérité. Mais lui ayant été demandé, Ci les conjurez n'en
vouloient point à la vie du Roi, il le nia constamment, ôc ,
malgré la rigueur de la torture , il perfifta toujours à foûtenir;
que fes complices avoient feulement réfolu de fe défaire du duc
de Guife , ôc du cardinal de Lorraine. Enfuite il fut confron-
té à Mazere , qui convint de tout ce qu'avoit avoué Rau-
nay. On redoubla les tourmens , pour fçavoir de ce dernier,
fi le roi de Navarre ôc le prince de Condé, n'avoient point de
part à la conjuration. Il dit toujours que le roi de Navarre n'y
François
IL
i 5 6 o.
i Cet Antoine e'toit coufîn germain
du grand-pere du cardinal de Riche-
lieu. Quelques-uns ont pre'tendu vai-
nement , que ce Cardinal avoit fait cou-
per la tête en 164Z à Franco is-Augufle
de Thou confeiller d'Etat , accule de
n'avoir pas re'vélé la confpiration de
Henri d'Effiat marquis de Cinqmars, en
haine de ce que notre illuftre hiftorien ,
père de François Augufte, avoit flétri
en cet endroit la me'moire d'un de fes
ancêtres. Voyez ce qui eft dit encore
dans le Livre fuivant. Au relie , il ne
relie aujourd'hui de l'illuftre famille de
Thou, que M. l'Abbé de Thou, fils d'un
frère de François Augufte, 8c petit- fils
de l'Hiftorien. Son amour pour fa pa-
trie , fa probité' 8c fa pie'te', font voir le
fang dont il fort.
Q q q ij
492 HISTOIRE
_-. étoit pas entré , mais qu'il avoit oui dire à la Renaudie, que
François ^ l'afêûre avoit un heureux fuccès, le prince de Condé fe de-
jj' clareroit le Chef des conjurez.
i , Ç 0t Caftelnau fut amené le dernier en préfence de Raunay ôc
de Mazere , dont il reprocha les dépolirions par des moïens
juridiques. Il dit qu'on ne devoit faire aucun fond fur le té-
moignage de Mazere , homme peu fenfé , ôc rapporta plu-
sieurs exemples de fes folies ôc de fes extravagances , pour at-
ténuer ce qu'il avoit dit. A l'égard de Raunay 3 il foûtint qu'on
ne devoit pas ajouter foi à ce qu'alleguoit à fon égard un hom-
me de tout tems fon ennemi , ôc avec qui il avoit été obligé
de fe battre. Puis étant venu à parler des matières de la Reli-
gion, ôc ayant cité plufieurs paflages de l'Ecriture, le Chan-
celier parut étonné qu'un Officier , élevé dès fon enfance dans
le métier des armes , fut devenu Théologien tout- à-coup. Il
lui demanda en plaifantant, dans quelle Univerfitéon lui avoit
expliqué les Lettres faintes. Caftelnau répondit , que lorfqu'ii
étoit dans les derniers temps prifonnier en Flandres, il avoit
fçu adoucir les ennuis d'une longue captivité , par la lecture de
l'ancien ôc du nouveau Teftament. Il ajouta qu'au fortir de
fa prifon, il avoit eu l'honneur de l'aller voir lui-même à fon
château de Leuville , ôc que lui ayant dit alors , que l'étude
des Livres faims avoit fait fon occupation durant fa détention ,
il lui avoit donné bien des louanges là-deffus ; ôc qu'il s'éton-
noit à fon tour, qu'un Magiftrat d'une probité ôc d'une fageffe
reconnues } femblât blâmer aujourd'hui au milieu de la Cour ;
Ôc pour complaire aux Guifes , ce qu'il avoit approuvé aupa-
ravant dans fa maifon de campagne , éloigné de toutes vues
d'ambition ôc d'intérêt. Il ajouta qu'il étoit plus furpris encore,
qu'un homme de fon âge, qui devoit bientôt rendre au fouve-
rain Juge un compte exact de fes actions , cherchât encore à
plaire aux hommes plutôt qu'à Dieu. Alors le cardinal de Lor-
raine , voyant qu'on parloit de Religion, prit la parole, ôc dif-
puta longtems avec le prifonnier. Olivier qui favorifoit en fe-
cret ceux qui demandoient une réforme dans l'Eglife , dans le
même tems qu'il condamnoit la licence, ôc les factions des fu-
jets révoltez contre le Roi ôc contre les Magiftrats , gardoit un
profond filence.
Caftelnau avoit beaucoup d'amis ôc de protection à la Cour,
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIV. 493
Léonor d'Orléans duc de Longueville, Coligni , d'Andelot, j_
ôc le duc d'Aumale même , frère des Guifes, follicitoient in- François
dament le Roi en fa faveur , alléguant qu'il s'étoit engagé en jj#
cette affaire , plutôt par un zèle indifcret de Religion , que l * 5 D.
par des motifs criminels 5 que du reftec'étoit un brave officier,
diftingué par fa fagefîe , 6c par fa fidélité dans le fervice ; d'ail-
leurs d'une famille illuftre , qui avoit donné de grands hommes
à l'Etat. Pour lui rendre le Roi favorable , ils rapportoient un
fait qu'on n'avoit pas encore oublié à la Cour. Ils difoient ,
que quelques années auparavant Charle duc d'Orléans , ac-
compagne de quelques jeunes Seigneurs de la Cour , parmi
lefquels étoient les deux Caftelnau , étoit venu déguifé en une
maifon d'Amboife , où les plus bas artifans de la ville étoient
en réjoiiifîance un jour de fête : Que le Prince ôc fa fuite ayant
fait quelques plaifanteries , il s'étoit élevé une grande querelle
entre les courtifans ôc ces gens échauffez de vin , qui chaffe-
rent, comme étant les plus forts , le Prince ôcles Seigneurs, ôc
les poutfuivirent enfuite dans des rues étroites , ôc auraient tué
le fils du Roi , quoiqu'on le leur eut nommé, fi les deux frères
Caftelnau ne s'étoient mis entre le Prince ôc ces furieux ; ÔC
qu'en cette occafion un de ces braves frères avoit été tué , Ôc
que celui , à qui on faifoit maintenant le procès , avoit reçu
une grande blefTure , pour fauver la vie au duc d'Orléans.
Quoique la reine Mère fe fouvînt très-bien de cet important
fervice, ôc qu'elle femblât pancher du côté de la grâce , le
Roi fut inexorable ; les Guifes difant hautement qu'il falloit
foire un grand exemple > Ôc que la fureté de la perfonne du
Roi demandoit que l'on punît ce crime.
Lorfque l'on prononça à Caftelnau fa fentence, qui le dé-
claroit criminel de leze-majefté , il ne put entendre patiem-
ment ces termes, ôc s'écria. » Je fuis innocent de ce crime.
» Je n'ai point à me reprocher d'avoir attenté à la perfonne
*> du Roi , de la Reine fa mère , de la jeune Reine , des fils
» de France , ni des princes du Sang , compris dans la Loi. Si
» c'eft un crime de leze-majefté d'avoir pris les armes contre
» des étrangers infracleurs de nos Loix , ôc ufurpateurs de l'au-
wtorité fouveraine, qu'on les déclare donc Rois. C'eft à ceux
» qui me furvivront , à prendre garde qu'ils ne raviffent la
» Couronne aux princes du fang Royal. Ma mort va me délivrer
Q q q iij
4P4- HISTOIRE
i i . =>> de cette crainte ; Ôc je ne dois plus tourner mes penfées , que
François m vers une meilleure vie. » Après cela il préfenta fa tête au bour-
jj reau. Après fa mort, on trouva dans fes bottines un papier, qui
î <: 6 o conten°it ^e P^an de ta confpiration contre les Guifes , ôc tout
enfemble une proteftation , où les affociés déclaroient, que le
nom du Roi leur feroit toujours faint ôc refpe£table. Plufieurs
fouffrirent le même jour le dernier fupplice, ôc dirent que puif-
que les hommes étoient fourds , ils appelloient à Dieu de leur
jugement, ôc imploroient la vengence céléfte. Villemongey,
dont j'ai déjà parlé , étant prêt d'être exécuté , dit , qu'il pré^
voyoit que l'ambition des Guifes alloit enfanter des guerres ,
des meurtres, la ruine ôc la défolation de la France. Puis trem-
pant fes mains dans le fang de fes compagnons , qui venoient
de mourir , ôc les élevant vers le ciel: Voilà, dit-il , 6 Dieu
très-bon & tout-puiffant , le fang innocent de ceux qui font à vous >
dont vous ne laijferez pas la mort impunie. Ce furent là Cgs der-
nières paroles. Au relie les Guifes avoient eu foin, que les
frères du Roi fuiTent prefens à ces fpectacles ; afin , difoienc
ceux qui déteftoient ces cruels ôc infâmes amufemens , d'ac-
coutumer de bonne heure ces jeunes Princes à répandre le fang
de leurs fujets. Tous les feigneurs ôc dames de la Cour étoient
aufli aux fenêtres, pour voir les exécutions. La feule Anne d'Efte
ducheflede Guifè , dame d'un efprit doux ôc humain , n'y parut
pas. Elle avoit été élevée à Ferrare par Renée de France fa
mère dans cette même doctrine , qu'on perfécutoit alors , ôc
avoit eu pour confidente Olimpia Fulvia Morata, fille célèbre
en Italie par fon grand fçavoir , ôc imbuë des nouvelles opi-
nions. On affure qu'en cette occaiion la duchefle de Guife
verfabien des larmes , ôc dit à la reine mère, que fi elle vouloit
conferver le Roi ôc l'Etat t elle devoit empêcher le fupplice
des innocens.
On foupçonnoit le jeune Maligni d'être de la conjuration ;
ôc la conrelïion des condamnez ne laiffoit aucun lieu d'en
douter. On difoit même, qu'après le complot découvert, il avoit
réfolu de tuer le duc de Guife de fa propre main , lorfque du-
rant la nuit il fe retireroit de la chambre du Roi dans la fienne >
mais que le prince de Condé , à qui il avoit fait part de fon
deffein , l'en avoit détourné. Il fe déroba au péril qui le me-
naçait, ayant monté fur un cheval vite ôc vigoureux » que lui
DE J. A. DE THOU, Liv. XXIV. w
prêta de Vaux, premier écuyer du prince de Condé. Lorfqu'on «
fçut qu'il étoit échappé, & que de Vaux lui en avoit facilité François
les moyens , celui-ci fut arrêté par ordre du Roi, & on en fit ]j
un crime au Prince fon maître, que les Guifes n'ofant accu- i ç <$o,
fer publiquement, ne cefloient de décrier dans l'efprit de Ca-
therine de Medicis. Le cardinal de Lorraine fur-tout repré-
fentoit à cette princeffe les dépofitions des coupables condam-
nez , les juftes foupçons qui en réfultoient contre lui, & la fa-
veur dont ilhonoroit fecretementen toute occafion les Luthé-
riens. Il preffoit qu'on remédiât de bonne heure aux maux ,
qui menaçaient l'Etat; ajoutant que la France étoit agitée de
grands troubles , que plufieurs fe difoient déjà du parti du
prince de Condé , ôc que la chofe étoit venue à un point ,que
le Royaume alloit être divifé par plufieurs factions : Qu'il y
avoit des armes cachées dans fa maifon , ôc que plufieurs hom-
mes armez , fescréatures dévouées , affiégeoient tous les jours la
Cour : Qu'il étoit tems enfin d'arrêter cette licence par un
exemple éclatant , pour contenir par la terreur les peuples dans
le devoir. Catherine n'ayant pas cru devoir négliger un avis
qui interefïbit fa propre fureté , donna ordre à Nicolas de
Brichanteau de Beauvais de faire une exacte recherche dans
l'Hôtel du Prince , où il ne trouva aucunes armes. Enfin cette
Princeffe l'appella dans fon cabinet , par le confeil du cardinal
de Lorraine, ôc lui découvrit les bruits qui couroient , ôc les
juftes foupçons qu'on avoit de lui , l'avertiffant doucement de
ne fe pas deshonorer par des liaifons criminelles avec des fé-
ditieux. Le Cardinal , qui étoit prefent , prit un vifage ferein s
ôc affecta des manières remplies de confiance pour le Prince ; ôc
parlant après la Reine, il le conjura de vouloir bien déférer aux
îages avis qu'on venoit de lui donner , ôc le pria de confen-
tir qu'on fît venir les coupables qui étoient encore dans les
prifons, que la Reine interrogeroit elle-même , durant qu'il fe-
roit caché derrière une tapifferie. Condé refufa cette propo-
rtion ; difant , qu'il ne fçavoit ce que c'étoit, que de fe cacher,
ôc qu'on ne pouvoit , fans lui faire injure , interroger des cri-
minels fur fon fujet.
Cependant , ayant peu après confulté fes amis , pour fçavoir
s'il entreprendroit fa défenfe , ou s'il mepriferoit des bruits po-
pulaires , que le tems difliperoit bien-tôt , il avoit pris le parti
4P6 HISTOIRE
,, ..-■■■■■-> de garder le filence. Mais piqué vivement de ce que le Roi
François ^ avo^ ^proche lui-même fa complicité avec les coupables,
u1 6c fçachant que les AmbafTadeurs des Princes étrangers avoient
£ mandé à leurs maîtres ce qu'on penfoit de lui à la Cour de
France , il demanda au Roi une audience publique , pour éloi-
gner l'infamie dont on vouloit le couvrir. Il parla au Roi en
préfence de la reine Mère , des princes de Guife , ôc des Am-
bafTadeurs des princes étrangers , & eiTaya de fe juftifier avec
une confiance digne de fa haute qualité , ôc avec cette élo-
quence qui lui étoit naturelle. Il ajouta , que s'il fe trouvoit
quelqu'un qui ofât foûtenir qu'il eût tenté de corrompre la fi-
délité des villes , ôc de féduire les François contre la perfonne
facrée du Roi , ou qu'il fût l'auteur de la confpi ration , il étoit
prêt à prouver fon innocence par un combat fingulier 5 vou-
lant bien en cette occafion renoncer aux prérogatives de fon
rang. Le duc de Guife dit alors en l'interrompant, qu'il étoit
honteux , qu'on ofât imputer un crime fi noir à un fi grand
Prince , ôc que fi on en venoit à un combat , il étoit difpofé
à lui fervir de fécond. On doute avec raifon ce que l'on doit
admirer en ceci, ou l'extrême confiance du Prince lorfqu'il
fit ce défi , ou la profonde difîimulation du Duc s lorfqu'il parla
en faveur de fon ennemi. Perfonne ne s'étant préfenté pour ac-
cepter le cartel , Condé fupplia le Roi de ne plus prêter l'o-
reille à l'avenir à des difcours faux ôc calomnieux , mais de
vouloir bien le regarder comme un fujet fidèle , ôc comme
un prince de fon Sang , qui lui feroit toujours inviolablement
attaché.
Le Cardinal ofoit rendre fufpecte la conduite du roi de Na-
varre. Il difoit que Mazere, un des chefs de la révolte , étoit
un de fes domeftiques , ôc avoit époufé par fa protection une
riche héritière de Bearn. Mais le fervice important qu'An-
toine venoit de rendre , en taillant en pièces par ordre de la
Cour deux mille foldats , qui avoient pris les armes dans le payis
d'Agen à la perfuafion.de la Renaudie , fervoit deréponfeaux
calomnies du Cardinal. Jean deFerrieres, dit l'aîné Maligni,
fut foupçonné, parce qu'il étoit un des favoris du roi de Na^>
varre ; ôc il quitta la Cour pour éviter la prifon. Peu après
Avenelles , foit qu'il fe repentît de ce qu'il avoit fait, foit qu'il
craignît pour lui-même , s'exila volontairement , pour ne plus
paroître
D E J. A. DE T H O U , L i v. XXIV. 497
paroître devant ceux qu'il avoit fi cruellement offenfez. Il fe
retira en Lorraine , où le Duc lui donna une première charge
de juridicature dans une ville , à la recommandation des prin- RAÎ^0IS
ces de Guife. Au refte c'étoit un homme de bien , eftimé par
fon fcavoir , qui toute fa vie fuivit la Religion des Proteftans. l °*
Il leur rendit toujours de bons offices , 6c aida de fes biens ceux
de cette religion , qui quittant la France , pafîbient par la
Lorraine j à l'occafion despourfuites qu'on faifoit contr'eux ;
enforte qu'il y a tout lieu de croire, qu'il révéla la conjura-
tion, moins par les vues d'un intérêt fordide , que par un pur
motif de confcience, ôc parce qu'il crut que tous complots ;
ôc toutes confpirations font illicites , fous une puifîance légi-
time.
En ce tems-là le Chancelier Olivier fut frappé dune mala- r,Moitj <îu
die mortelle , caufée plutôt par fes ennuis , ôc par l'état dé- olivier.
plorable où il voyoit fa patrie , que par fon âge avancé. On
dit que le cardinal de Lorraine l'étant allé voir dans fon lit ,
quelques heures avant fa mort , ôc en ces derniers inftans,où
l'on ne doit plus au monde que la vérité , Olivier fe tourna de
l'autre côté pour ne le pas voir , biffant échapper de tems en tems
quelques reproches, qui faifoient comprendre qu'on lui avoit
fait violence. C'eft ainfi qu'au milieu des foupirs Ôc des gemif-
femens, il remit fon ame à Dieu, après avoir rendu durant fa
vie de grands fervices à la France. Ce perfonnage étoit très-
digne de la place éminente qu'il occupoit , s'il y eut été élevé
dans des tems moins fâcheux, ôc fi les premiers miniftres, qui
de fon tems gouvernoient l'Etat, euflent écouté plus favorable-
ment fes fages confeils. La Cour délibéra quelque tems, pour
lui choifir un fucceffeur. Jean de Morvilliers évêque d'Orléans
refufa cet honneur. Ce Prélat , qui devoit fon élévation aux
princes Lorrains , étoit d'un caractère fage ôc modéré. On dit
qu'il s'excufa de l'accepter , moins par modeftie , que dans la
vue des maux qu'il prévoyoit , ôc parce qu'en ces tems diffi-
ciles il ne croyoit pas pouvoir foûtenir un fi pefant fardeau.
Ce qui eft certain , c'eft qu'il fe contenta d'avoir été nommé ,
ôc qu'il fe fit honneur de fon refus , lorfqu'il ne pouvoit igno-
rer que cette fuprême Magiftrature étoit deftinée à un autre.
C'étoit Michel de l'Hôpital d'une naifiance médiocre , mais
Tome III. Rrr
4P3 HISTOIRE
1 ' ^ d'un génie fort élevé > ôc d'un mérite reconnu K II avoit paiïe
François fucceilivement par tous les honneurs de la Robe } ôc avoit fait
IL voir dans tous ces emplois une rare prudence, un grand fça*
i $ 60. voir ôc une exacte probité. Il fut confeiller au Parlement ,
L'Hôpital préfident delà Chambre des Comptes, maître des Requêtes ,.
celier. " & confeiller d'Etat, en un teins où le nombre n'avoit pas
encore avili cette dignité. Il avoit accompagné jufqu'à Nice
Marguerite de France , en qualité de fon Chancelier , lors-
qu'elle eut époufé le duc de Savoye s Jacqueline de Lonvy
duchefTe de Montpenfïer , favorite de la reine Mère* le fit
nommer Chancelier de France.
Cette princefle d'un efprit élevé ne voyoit qu'avec peine ,
que la puiffance des Lorrains croiffoit de jour en jour; ôt com-
muniquant fes chagrins à Catherine de Medicis, qui commen-
çoit à redouter la violence de ces Princes , elle perfuada à
cette Reine ambitieufe , que fi elle vouloir gouverner , elle
devoit choifir un homme ferme & courageux, qui s'oppofât
à leurs defTeins. Heureufement Michel de l'Hôpital étoitfort
bien dans Fefprit du cardinal de Lorraine , à qui il avoit tou-
jours jufques-là fait fa cour, ôc le Roi n'ignoroit pas fon mé-
rite , 6c les beaux vers qu'il avoit compofez , pour former Fef-
prit ôc le cœur des Enfans de France. La reine Mère ayant
demandé pour lui cette dignité au Roi , ôc l'ayant obtenue j
les princes de Guife y confentirent. Catherine fit dire fecrete-
ment au nouveau Chancelier , qu'il ne devoit qu'à elle fa di-
gnité , ôc non aux Guifes , ôc qu'elle comptoit qu'il feroit plus
attaché au Roi fon fils , & à elle , qu'à des Princes , dont tout
le monde commençoit à détefter l'ambition. Elle n'eut pas lieu
de fe repentir de fon choix. Car on n'avoit point vu depuis
plufieurs fiécles un homme plus digne de cette première ma-
giftrature , ôc qui eut fait voir plus de fermeté ôcde courage,
pour s'oppofer à l'ambition ôc à la cupidité des courtifans. Mais
les foins qu'il prit , pour rétablir le Royaume dans fon ancien
éclat, pour infpirer à un jeune Roi de fages maximes , ôc
pour foûtenir les mœurs contre la corruption de la Cour s
furent traverfez par la brigue de gens plus puiflans que lui :
1 II étoit fils d'un Médecin de la
duchefTe de Lorraine ; n'e'tant pas de
i'illuftre & ancienne raaifon de l'XJô-
pital-Choifi , qui a produit plufieurs
grands hommes , ôc un Maréchal de
France,
DE J. A DE THOU, Lrv. XXIV. 4Pp
Cnforte que les fages purent conje&urer de là , que l'Etat étoit
menacé d'une révolution fatale. Lorfque l'Hôpital eut appris FRANC0IS
fon élévation , il crut qu'avant que d'y confentir , il devoit jj/
prendre des mefures avec le cardinal Bertrandi , qui étoit en i ç* tf o.
Italie. Ce dernier avoit été nommé Garde des Sceaux , lors-
qu'on avoit relégué Olivier dans fa maifon , & fes Lettres de
provision , qui avoient été enregiftrées au Parlement, de l'exprès
commandement du feu Roi , portoient, que fi Olivier mou-
roit avant lui , il lui fuccederoit dans la dignité de Chancelier.
Ainlî l'Hôpital ne voulut faire aucune fonction de fa char-;
ge , qu'après que Bertrandi eut renoncé à fon droit.
Fin du vingt- quatrième Livre,
Rrrij
5oo HISTOIRE
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HISTOIRE
DE
JACQUE AUGUSTE
DE T H O U.
LIVRE VINGTC1NQVIEME*
i" jèîèîtfftf^^WRîèîSSè P R E's Ie châtiment des Conjurez , le
François ^ n—<?rt<^-n ^ Connétable qui réfidoit à Chantilli,
IL * „ b^ :^~ h * & qui étoit fur le point d'aller en Poi-
* J o o. ^ ro Ç " rô ?* tou * en -Bretagne , pour voir Jeanne
Suite des ^2 S § A g S 2^ de Montmorenci fa nlle,femme du fei-
aires de £g g § ^/"\ S g* ]f$ gneur Louis de la Trimoùille , ôc pour
Sc^c^s^câ 2^ vifiter fa terre de Château-briant , Ôc
s 0=2(2:23=0 £g fes autres domaines , reçut des lettres
vwiwwiwiw^'vv du Roi, qui lui commandoit de fe ren-
^$fc8W**$^ dre au Parlemem de paris t & de fai-
re part en fon nom à cette compagnie de ce qui s'étoit pafle
à Amboife. Ce fut le 28 de Mars qu'il vint au Palais ,*& qu'ayant
expofé les ordres du Roi , il loua le duc de Guife , &. le car-
dinal de Lorraine, fur les foins qu'ils s'étoient donnez en cette
occafion. Mais ces Princes furent peu fatisfaits de la manière
dont il s'étoit acquitté de fa commiffion. Carilavoit dit, que
DE J. A. DE THOU, Liv. XXV. yot
fi un particulier ne pouvoit fouffrir qu'on fît dans famaifon vio- ■ *
lence à un de fes amis , à plus forte raifon le Roi avoit dû être FRANcOIS
irrité , que des féditieux fè fuffent affemblez, pour attaquer jj 5
dans le château d'Amboife , où il étoit , des perfonnes j ç 60,
qu'il honoroit de fa confiance. Or ce n'étoit pas là le fyftême
des Guifes. Us vouloient qu'on publiât, & qu'on crût, que la
conjuration avoit été formée contre le Roi , la Reine fa mè-
re , ôc les Princes fes frères , par des hérétiques , qui ayant violé
la foi qu'ils dévoient à Dieu , avoient ofé attenter à la per-
fonne du Prince , pour renverfer l'Etat , répandre par tout la
confufion ôc ledéfordre , ôc établir en France une République
femblable à celle des Suiffes. Les Préfidens ôc les Confeillers
donnèrent, à l'envi les uns des autres , de grandes louanges aux
Princes Lorrains , ôc les efprits s'étant tournez à la flatterie, dans
leur réponfe au Roi , ils joignirent à cette lettre une autre pour
ïe duc de Guife , contre Fufage , ôc la dignité de cet augufte
corps •■> donnant à ce Prince , par une lâche ôc honteufe adu-
lation le titre de Confervateur de la patrie.
On envoya une copie des lettres du Roi aux Gouverneurs Ecrit de?
des Provinces , le dernier jour du mois de Mars , ôc on leur Preteftanas
ordonna de prendre garde que cette nouvelle n'excitât des trou-
bles. Ces lettres remplies de chofes peu favorables aux Pro-
teftans, qu'on nommoit les auteurs de la dernière confpiration,
ne demeurèrent pas fans réponfe. On publia un écrit > qui re-
jettoit les malheurs paiTez fur les Guifes , qu'on foutenoit de-
voir rendre compte de leur adminiftration dans l'affemblée des
Etats généraux. Des perfonnes inconnues le portèrent à Paris
Ôc à Rouen , ôc trouvèrent moyen d'en faire donner des co-
pies aux Parlemens de ces deux villes. Celui de Paris en ayant
fait peu de cas, l'envoya au cardinal de Lorraine par un Huif-
fier. Mais le Parlement de Rouen jugea à propos de députer
quelques Confeillers , pour le porter au Roi. Les Guifes craig-
nant qu'une telle députation ne donnât de la réputation ôc du
cours au libelle > ôc ne les rendît plus odieux , empêchèrent
ces Magiftrats de voir le Roi , ôc les renvoyèrent.
Le Roi écrivit une longue lettre dattée du p d'Avril au Roi lettre ê*
de Navarre , gouverneur de Guienne. Sa Majefté difoit > que RoiauRoifo
par un effet de la bonté divine, il avoit découvert une confpi- avanre*
lotion formée contre fa perfcnne > ôc en avoit été heureufement
Rrr iij
joa HISTOIRE
garanti. Il en rapportait toutes les circonftances , que pîu-
vnix1/.ATO fieurs , difoit-il, publioient autrement qu'elles n'étoient, par
FRANÇOIS n r> • i • J 1- ri -a 5i , • *,
tj' une affectation pleine de malice. Jl ajoutent , quil etoit de-
r 6 o meuré conftant , que des hommes prévenus de crimes capi-
* taux , dont les uns avoient été condamnez par contumace , ôc
dont les autres çraignoient la fé vérité des loix , avoient atten-»
té à fa vie , ôc à celle des Reines , ôc des Princes fes frères,
dans la vue de renverfer l'Etat , ôc d'établir une nouvelle for-
me de gouvernement ; que ces médians , bien perfuadez que
les François toujours fidèles à leurs Rois s'oppoferoient à leurs
deffeins, avoient aflbcié à leurs projets criminels les miniftres
de la Religion nouvelle , gens amis des troubles , ôc artifans de
fraudes, qui, fous le prétexte fpécieux de la pieté, avoient en-
gagé des infenfez à prendre les armes , pour le forcer à approu-
ver une Religion tant de fois condamnée, ou pour opprimer
îeur Souverain dans fon Palais > avec la maifon Royale. Au refte
ce Manifefte, compofé pour animer les peuples, ne faifoit point
mention des Princes de Guife, afin qu'on imputât au Roi,ôcnon
à eux , la rigueur des fupplices. On y parloit du Prince de Con-
,dé en termes honorables , mais équivoques 5 enforte qu'en l'ex*
eufant on fembloit l'accufer. Car on difoit que tous les com-
plices l'avoient chargé dans leurs dépositions , dont le Roi néan-
moins avoit reconnu la fauffeté j ôc que ce Monarque avoit
vu avec joye l'innocence d'un Prince de fon fang, qui lui étoit
fi cher, prouvée par des témoignages autentiques. Enfuite le
Roi prioit ces deux Princes de s'unir pour la défenfe de l'E-
tat. Enfin adrefTantle difeours au Roi de Navarre, Prince cré-
dule , il i'exhortoit à pourfuivre avec fon zélé ordinaire le refte
des Conjurez , dont il lui en déiignoit deux , comme très-dan-
gereux a Boifnormandjôc un nommé David ci-devant moine,
qui paflbit tantôt dans un parti, ôc tantôt dans un autre.
Le Roi de Navarre exécuta ponctuellement les ordresde
la Cour , ôc après avoir défait quelques troupes répandues fans
difeipline dans le payis d'Agen, il traita avec beaucoup de fé-
vérité toutes les personnes ïufpeetes , ôc les obligea de fortir
de Guienne. Le Roi écrivit aulîi aux Princes étrangers , fur la
conjuration d'Amboife. Comme on difoit publiquement, que
les Princes alliez d'Allemagne avoient favorifé les Conjurez,
Bernard Bochetel, depuis Evêque de Rennes, fut envoyé à
DE J. A. DE THOU, Liv. XXV, yoj
F électeur Palatin , au Landgrave de Hefle , ôc au duc de Wir-
temberg. Ce Miniftre , fous prétexte de renouveller l'alliance FRANCOIS
de la France avec eux, les fit fouvenir de tout ce qu'ils de- tt 5
soient à la mémoire du feu Roi , ôc leur expofa le détail de t c 6 o
la confpiration d'Amboife. L'inftru&ion de l'envoyé portoif,
qu'il dit à ces Princes : que plufieurs des conjurez ayant été Rcilnetqen- C
interrogez au milieu des tourmens , fi des Princes d'Allemagne vo>'é vers Ies
ne les avoient pas encouragez à entreprendre ce qu'ils avoient E""<ïf.T«ll
c • *i » ri' n it>- îemagne.i.ciij,
tait , ils avoient avoue des circonitances , que le Roi vou- réponfe.
k>it bien ne pas croire véritables ; perfuadé qu'il étoit , que
les Princes de l'Empire étoient bien éloignez de vouloir favo-
rifer des révolutions dans les Etats voifins : Qu'au refte ils dé-
voient cultiver avec foin l'amitié du Roi qui leur avoit été fi
utile , ôc préférer , pour leur propre intérêt , aux diffentions ôc
aux troubles, la tranquillité de la France. Les Princes Alle-
mands répondant à Bochetel s'étendirent fort au long fur les
anciennes liaifons de la France ôc de l'Empire , ôc parlèrent
en termes magnifiques des avantages que cette union avoit
procurez à l'Allemagne ; du refte ils dirent peu de chofes par
rapport à eux, ôc parlèrent là-deifus avec une grande retenue,
Ils ajoutèrent , qu'ils n'avoient jamais eu part aux deffeins des
factieux 5 que la per-fonne des Rois leur avoit toujours paru fa-
crée, ôc l'autorité des JVÎagiftrats refpe&able : mais que le
Roi devoit être extrêmement en garde contre les confeils de
quelques-uns , qui guidez par la paflîon ôc la haine , perfécu-
toient des innocens : qu'ainii ils fupplioient le Roi de furfeoir
les fupplices, où l'on condamnoit des hommes de mœurs irré-
prochables ; fe croyant en droit de lui demander cette grâce,-
en faveur de ceux de fes fujets , qui avoient fur la Religion les
mêmes fentimens qu'eux : Qu'au refte ils nevoyoient point de
meilleur moyen pour calmer les troubles de la France , que
de pratiquer ceux qu'on avoit fi utilement employés en Alle-
magne en de pareilles circonftances ; c'étoit de permettre le
libre exercice de la Religion dans fon Royaume»
Sur ces entrefaites , l'amiral de Coligni ôc d'Andelot fon frè-
re quittèrent la Cour, redoutant la puiffance des Princes de
Guife, contre lefquels l'Amiral avoit parlé peut-être avec trop
de franchife , dans les entretiens particuliers qu'il avoit eus avec
Catherine de Médicis. Comme il demandoit à cette Princefle
ïo* HISTOIRE
■ . ■ la permiïfion defe retirer de la Cour, elle lui commanda d'al-
Francois ^er en ^orman^e^> Pour calmer les troubles de cette Provin-
jj* ce, ôc le chargea d'examiner les motifs de la fédition , ôc de
£ lui en envoyer un récit fidèle. L'Amiral écrivit à la Reine mè-
re, que l'ambition des Lorrains étoit la feule caufe des trou-
bles > ôc que fi elle vouloit conferver l'Etat ôc la perfonne du
Roi y elle devoit faire obferver religieufement les édits don-
nez en faveur des Proteftans , ôc faire ceffer les fupplices. Peu
de tems aptes les prifonniers- qu'on gardoit à Blois , qui y
avoient étéplufieurs fois interrogez, ôc dont même quelques-
uns avoient été appliquez à la queftion , s'échappèrent avec des
cordes, qu'on leur avoit données en cachette, ou briferentles
portes. Ceux qui étoient à Tours firent la même chofe , en-
tr 'autres Robert Smart, ôc Anfelmede Soubfelles, qu'on avoit
amenez du château de Vincennes. Mais le gouverneur de Saint
Aignan, étant tombé de fort haut en voulant s'échapper, fe blefia
dangereufement , ôc fut repris. Stuart ôc Soubfelles écrivirent
après leur évafion au cardinal de Lorraine une lettre, dont il
fut piqué jufqu'au vif. Ils lui difoient malignement , que la
fuite des prifonniers de Blois leur avoit donné une grande dou-
leur , par rapport au chagrin qu'ils fçavoient qu'elle caufoit à
fon Eminence h qu'ils avoient pris le parti de fuir aufïi , pour
atteindre les fuyards 5 ôc que dès qu'ils les auroient pris , com-
me ils l'efpéroient , ils ne manqueroient pas de l'aller trouver
bien accompagnez.
Le [cardinal de Lorraine , naturellement timide , ôc craignant
une féconde confpiration , propofa un nouvel édit, où le Roi
difoit d'abord : Qu'il ne vouloit pas enfanglanter les prémices
de fon règne par le fupplice de fes fujets ; mais qu'il aimoit
mieux, à l'exemple du Père celefte , leur pardonner, épargner
leur fang , ôc les faire rentrer , s'il étoit pofïible , dans îe che-
min de la vérité ; efperant plus à l'avenir de l'indulgence ôc
de la douceur , que de la févérité des loix : Qu'ainfi il donnoit
une amnifhe générale des crimes , que fes fujets avoient com-
mis à i'occafion de la Religion , pourvu qu'ils rentraflent dans
le fein de l'Eglife Romaine. On fit enfuite au mois de Mai
l'Edit de Romorantin , qui prit fon nom du lieu où il fut don-
né. Le Roi difoit dans cet édit : Qu'il avoit deux chofes fur-
tout en grande recommandation , la pieté envers Dieu , ôc la
tranquillité
DE J. A. DE T H O U , L i v. XXV. ?or
tranquillité publique; il ordonnent qu'à l'cxclufion des Cours
du Royaume, la connoiffaiice du crime d'heréfie appartien- François
droit à l'Evêque. Nous avons dit ci-defîlis , avec quel coura- j j"
ge le Parlement de Paris avoit foutenu fa compétence fur \ < 6 o,
cette matière cinq ans auparavant. Cependant les Ecrivains
de ce tems là, bien loin de blâmer le chancelier de l'Hofpi-
tal d'avoir confenti à cet édit > donnent de grands éloges à fa
prudence. Ce Magiftrat, difent-ils, ne pouvant tenir le droit
chemin dans le maniment des affaires , parce que la violen-
ce des Guifes l'en écartoit toujours , du moins par un détour
heureux, il a fait enforte, en fage pilote, que le navire qu'il
conduifoit , ne fut pas brifé contre des écueils , 6c voguât
fans faire naufrage : il a évité par là d'impofer à la France le
joug odieux de l'inquifition Efpagnoîle , dont on avoit parlé
tant de fois fous le règne du feu Roi , ôc dont les Guifes de-
mandoient l'établiffement avec tant d'ardeur , dans la vûë qu'elle
donneroitune force nouvelle à leur autorité démefurée. Quant
à la féconde partie de l'édit,il défendoit toutes affemblées ôc
toutes féditions au fujet de la Religion nouvelle , ôc ordonnoit
2ux juges des lieux ( que , quoi qu'inférieurs, on déclaroit Souve-
rains à cet égard) de s'informer exactement des coupables, de
confifquer leurs biens, ôc de recompenfer les délateurs; ôc afin
qu'il ne parût pas qu'on voulût autorifer les fauffes dénoncia-
tions, les calomniateurs étoient déclarez fujets à 1a peine du
Talion. On recommandoit fur-tout aux Curez , d'avoir un foin
tout particulier du troupeau qui leur étoit confié , de raffurer
les efprits chancelans, ôc de fortifier leurs paroifTiens dans l'an-
cien culte , par leur préfence , par leur exemple , par des mœurs
irréprochables , ôc par leurs prédications.
Depuis ce tems là le cardinal de Lorraine 3 foit par politi-
que, foit par crainte, fembla changer de conduite envers les
Proteftans. Il reçût même chez lui leurs Miniftres , conver-
fant familièrement avec eux , ôc les écoutant difputer fur des
points de Religion conteftez. Pour faire croire aufli qu'il
vouloit travailler férieufement à pacifier les troubles, ôc écou-
ter les plaintes de tant de gens qui demandoient l'ailemblée
des Etats , il confeilla à la Reine mère d'aflembler à Fontai-
nebleau les Princes , les principaux Seigneurs ôc Gentilshom-
mes du Royaume j les Chevaliers de l'Ordre, ôc les premiers
Tome II L Sff
$06 HISTOIRE
. Magiftrats , afin de convenir des mefures qu'il falloit prendre
François Pour ^e bien de l'Etat. Peu de rems après , on vit de nouvelles
jj ' îemences de difcorde entre le Connétable ôc les Guifes : ceux-
i ç 60, cl av°ient bien-tôt oublié ce que Montmorenci venoit de faire,
pour eux au •Parlement , lorfque par ordre du Roi il avoit fait
Procès en- part à cette compagnie du châtiment des conjurez. Il y avoit
sneu" de"" un Procès entre Philippe de Boulainvilliers , ôc Odard de
fioulainvil- Rambures frères utérins , au fujet du comté de Dammartin ,
lUm^u/0 (îue ^ un ^ l'autre pi'étendoit lui avoir été donné par leur mère
commune. Le Connétable ayant acquis le droit de Boulain-
villiers 3 le duc de Guife , qui cherchoit moins un procès qu'une
occafion de chagriner Montmorenci , acheta fort cher quel-
que tems après les prétentions de Rambures. Il follicita mê-
me Bouiainvilliers de fe relever de la ceffion qu'il avoit faite*
êc de faire une donation du Comté au cardinal de Lorraine fon
frère. Mais cela ne lui réuffitpas. Les deux parties prirent des
lettres-royaux , qui déclaroient le duc de Guife , Ôc le Con-
nétable fubrogez aux droits , ôc aux actions de Rambures ôc
de Boulainvilliers. Le Parlement , qui vit , qu'àl'occafion de
ce différend , les créatures du Connétable ôc du Duc fe ren-
doient en foule à Paris , ôc qu'il y avoit lieu de craindre
qu'on n'en vînt à prendre les armes , ordonna très-fagement,
que fans avoir égard au» lettres de fubrogation, le procès s'inf-
truiroit ôc le jugeroit, feulement au nom de Boulainvilliers ôc
de Rambures.
Au refte on ne peut exprimer combien tous les Seigneurs
refTentirent l'injure qu'on faifoit à Montmorenci. Ils ne pou-
voient voir qu'avec indignation , que les Guifes l'infultaffent
même après fadifgrace 3 ôc chacun croyoit qu'il devoit crain-
vidam^de da ^re Pour ^ un Pare'^ traitement. On dit que le vidame de
charges con- Chartres fut le plus irrité , Ôc qu'ayant eu à ce fujet une conféren-
tre les Guifcs. ce a Paris avec Gabriel de Montmorenci Monbron un des fils
du Connétable 3 il dit qu'il ne falloit plus fouffrir latémérité des
Guifes : qu'il y avoir trop long-tems qu'ils abufoient de la bonté
de nos Rois , ôc mettoient aux dernières épreuves la patience de
la NoblefTe 5 que fous François I. Claude leur père avoit me-
né de fon chef des troupes Françoifes en Alface 5 qu'il avoit
ofé dépouiller Philippe Chabot du gouvernement de la Bour-
gogne 5 ôc que le duc de Guife d'aujourd'hui, marchant fur
DE J. A. DE THOU, Liv. XXV. ?o7
les traces de fon père, avoit ôté à Antoine de Clermont ^--^^»^«
Tallard l le gouvernement du Dauphiné. « Ces jours paiTez , pRANrQIS
« ajouta le Vidame , lorfqu'il s'agiffoit de punir ceux qu'on j}^
* nomme Luthériens , ne dit-il pas dans le Confeil , comme x ç <j 0
- par mépris , qu'il commencèrent par Antoine d'Aller de
Grammont , feigneur de Gafcogne , fon beau-frere , parce
qu'étant dans une province éloignée du centre du Royau-
me , on le pouvoit faire avec plus de fureté ? On fçait ce-
pendant , que Grammont iflu de la maifon d'After , la plus
illuftre de Bigorre , a époufé la nièce du cardinal de Gram-
mont, à condition de prendre le nom ôc les armes de cette
illuftre maifon ; qu'il eft le plus puiffant feigneur de Gafco-
gne , ôc qu'il n'a ni moins de vaffaux , ni moins de créatu-
res que les Lorrains. * Le Vidame ajouta, qu'ils avoient at-
taqué au fujet de la Religion les Ferrieres- Maligni , fils de
Louife' de Vendôme j qu'ainfi les Guifes voulant renverfer
l'Etat , ôc faire périr la noblefie de France 3 il avoit réfolu de
joindre fes forces à celles des Princes du fang , ôc des Gen-
tilhommes , pour s'oppofer à la puifTance de ces hommes fu-
perbes ; ôc qu'après tout il n'étoit pas fi difficile de les rédui-
re au rang qu'ils dévoient avoir. Enfin pour fe venger du mé-
pris que le duc de Guife avoit marqué pour les Gafcons , il
dit , qu'en réduifant les princes Lorrains , Princes du fécond
ordre , 2 à leur jufte prix , on les devoit regarder feulement com-
me des comètes dans le monde des princes Chrétiens. Ces pa-
roles ayant été rapportées aux Guifes , hâtèrent , à ce qu'on
croit, la perte du Vidame.
Cependant le Roi étant fur le point de partir d'Amboife,
refolut par le confeil des Guifes , avant que de quitter la Tou-
raine, de faire fon entrée folemnelle à Tours. Plufieurs cru-
rent qu'il en vouloit ufer ainfi, moins pour faire honneur à cet-
te ville, que par un trait de politique, ôc pour contenir dans
le devoir , par fa préfence , des habitans , dont la fidélité avoit
paru fufpecte dans la dernière conjuration , ou pour punir les
coupables , s'il s'y en trouvoit. Richelieu fut envoyé devant
i Monfîeur de Thou employé dans | ttompé en cet endroit.
le texte Laurent de Maugiron , au lieu ï z Minorum gentium Principes , dit le
d'Antoine de Clermont- iallard. Mais I texte,
on a des preuves que Mr. de Thou s1 eft I
Sffij
i ; 6o.
yo8 HISTOIRE
■ » avec fa compagnie d'Arquebufiers à cheval , gens femblablës
François en tout * leur capitaine. Cet Officier efperoit que quelque tu-
1 1 multe , à fon arrivée , lui donneroit lieu de piller les maifons ,
ôc de faire un riche butin. Mais il s'en flatta envahi ; car quoi
qu'il fit plufieurs infultes aux habitans , ôc que fa troupe les
traitât avec une brutalité qu'ils fçavoient agtéable à leur Chef,
il les trouva, contre fon efpérance, difpofez à tout endurer j
parce que connoiffant les defleins de Richelieu , ils avoient
Mafcarade refolu d'attendre patiemment l'arrivée du Roi. Au reftele jour
plaçante à qUe ]e ]^0\ fo fon entrée à Tours , il arriva une chofe , que
Roi à Tours. les habitans difoient être l'effet du hazard, quoique je pen-
fe le contraire : elle piqua jufqu'au vif les princes de Guife.
Un Boulanger équipa de cette manière fon fils , qui vouloit
voir le Roi. Il couvrit de la mante de fa femme un âne, dont
il fe fervoit pour aller au moulin. Il mit deffus fon fils , qui
avoit un bandeau fur les yeux , ôc un cafque de bois fur la tê-
te. On voyoit fur ce cafque un petit oifeau aiïez femblable
à un perroquet , qui avoit la tête rouge , ôc qui béquetoit fou-
vent l'aigrette du cafque de Penfant. Deux jeunes gens, qui
reprefentoient des Ethiopiens , par des habits étrangers Ôc un
vifage barbouillé de noir , conduifoient l'âne , tenant chacun
une des renés de la bride. Tous difoient que cette repréfen-
tation étoit une vive image de l'état du Royaume , gouverné
par un Roi encore enfant , qui avoit pour Miniftres des étran-
gers , qui l'avoient rendu aveugle. Les Echevins dirent pour
exeufe , que cette mafcarade avoit été imaginée par un hom-
me groffier , qui n'y entendoit pas fineffe. Le même jour le
Roi paffa la Loire, 6c alla à Marmoûtier.
Richelieu , qui en quittant cette ville , fe voyoit échapper à
regret une riche proye, fe fervit de cet artifice , pour attirer
les habitans dans le piège, ôc pour les rendre coupables de fa
faute. Il s'avifa de parcourir la ville fort avant dans la nuit,
en chantant très haut des Pfeaumes en françois , efperant que
plufieurs fortiroient de leurs maifons pour pfalmodier avec lui.
Cette rufe ne lui réùiïiffant pas , il paffa avec fes cavaliers le
refte de la nuit dans les rues , à chanter des chanfons follement
badines , ôc à reciter des vers injurieux à la Reine-mere , ôc
aux Guifes , en battant les paffans , ôc en brifant les fenêtres
avec des pierres. Le lendemain il alla trouver le Roi ôc la
Friponnerie
«le Richelieu.
D Ë J. A. D E T H O U, L'i v. XXV. yo<?
Reine-mere , imputant fes propres extravagances aux bour-
geois, qu'il nommoit les relies de la conjuration d'Amboife , Françoi:
dans le deffein d'irriter le Roi contr'eux , ôc d'engager ce Prin- 1 1.
ce à lui abandonner le pillage des maifons , avant qu'on eût 1560,
démêlé la vérité. En effet cette ville , dont la fidélité étoit
déjà fufpe£te , alloit être abandonnée à la fureur du foldat , fi
îe Maire ôc les Echevins n'euffent obtenu de la Cour , qu'elle
fît faire une information exacte de la vérité. Enfin cette noire
& impudente calomnie tomba fur l'auteur, ôc l'innocence des
citoyens de Tours fut pleinement connue. Le cardinal de Lor-
raine leur reprocha feulement , qu'ils avoient fait prêcher pu-
bliquement ce même David, dont nous avons déjà parlé, qui
avoit abandonné le bon parti , pour femer par tout une per-
nicieufe doctrine. Cet homme avoit été le prédicateur ordi-
naire de la reine de Navarre , dont il avoit quitté la petite
Cour, pour s'attacher au cardinal de Lorraine, qui l'attira par
i'efpérance de faire fa fortune chez un Sur-intendant des Fi*
nances. Le Cardinal qui avoit voulu fçavoir par lui les intri-
gues fecrettes de la maifon du roi de Navarre , s'en moqua
enfin ; enforte que ce Miniftre Proteftant , dont la Religion
étoit douteufe , ôc la fidélité fufpe£te aux deux partis , fe vit éga^
lement haï des Catholiques ôc des Religionnaires , ôc mourut
dans une extrême mifere.
Au refte, la Reine-mere > qui avoit conçu de Faverflon con-
tre les rufes artificieufes des Guifes , ôc de la haine contre la
violence de leurs defTeins , voulut s'attirer l'affection des Pro*
teftans , ou pénétrer leurs fecrets , par le moïen de Chàtelus
fon maître des requêtes. Elle fit dire par lui à Antoine Chai>
dey , jeune Gentilhomme fort fçavant en Théologie , qu'elle
croyoit enfeigner fecrettement les nouvelles opinions dans Pa-
ris, qu'il eût à la venir trouver, efperant que ce Do£teur, dont
îa fageffe , la feience ôc la bonne foi croient connues, pourrok
lui dire le véritable motif des troubles , ôc lui indiquer les
moïens les plus convenables pour les appaifer. Ghâtelus ayant
fait part de fa commiffion à un des Gentilshommes de la Reine-
mere nommé Taffin, qui penchoit vers les nouvelles opinions',
alla à Tours , pour y apprendre où pouvoir être Chandey.
Mais celui-ci n'étant plus en France, on pria Charîe Albiae
du Plefïïs, miniftre à Tours , de venir à» la Cour , au lieu de.
S f f ii[
y io HISTOIRE "
, Chandey. Àlbiac fe fiant peu aux promeuves qu'on lui faifoit
jT- ~ delà part de Catherine, refufa de l'aller trouver, ôc fe con-
'w tenta de fatisfaire cette Princeiïe, fur ce qu'elle demandoit,
par un écrit qui contenoit en fubftance : Que dans la fédition
' ' d'Amboife .. on n'avoit pris les armes ni contre le Roi , ni
Mémoire des contre la Reine-mere , ni contre les Princes du fane: royal >
Proreitans . , r . , , / 1
prefemé à la mais contre des perionnes qui s etoient empâtées du gouver-
Rcinc. nement contre les loix du Royaume : Que ces hommes am-
bitieux, non contens des prifons ôcdes fupplices, génoientles
efprits Ôc les confciences par une domination tyrannique ; qu'ils
a voient par leurs brigues anéanti les Edits rendus en faveur
des Proteftans , ôc fait périr ceux qui s'étoient armez pour la
liberté de la patrie : Qu'ils avoient faitenforte que les Cours du
Royaume , en enregistrant les Déclarations favorables aux Re-
légionnaires > employaffent en même tems des Arrêts fecrets fur
les regiftres , contraires à l'efprit de ces Edits : Qu'ils étoient
caufe que le duc de Nemours , qui avoit promis aux Confé-
rerez pris au château de Noifay , que leur vie feroit en fure-
té , avoit manqué à fa foi : Qu'ils avoient fait renouveller le
décret du Conciliabule de Confiance, qui portoit, qu'on ne
devoit point garder la foi aux Sectaires : Qu'ils^voient fermé
toutes les entrées à des malheureux , qui vouloient porter au
Roi des juftes plaintes de leur cruauté ôc de leur avarice :
Qu'ayant verfé , il y avoit trente-cinq ans > le fang innocent de
plulieurs miferables payifans, ils s'étoient accoutumez depuis ce
tems-là au meurtre ôc au carnage , étant altérez du fang des
François : Que c'étoit parleurs intrigues, qu'on n'avoit point
tenu un Concile tant de fois promis , ôc qu'on avoit décidé qu'il
appartenoit aux Prélats feuls d'être Juges en ces affemblées,
•( quoi qu'on fçût que les Evêques étoient les auteurs de tous
les maux qui agitoient l'Eglife) tandis que le Roi , qui devoit
préfider à ces conférences , ôc y faire juger les matières en
queftion par la feule autorité de la parole divine , n'y auroit
qu'un pouvoir limité. Albiac ajoùtoit dans fon mémoire ,
qu'il ne voyoit que deux moïens pour remédier à tant de
.maux : le premier , d'affembler les Etats généraux pour éta-
blir une forme de gouvernement conforme aux loix de l'E-
tat •■> parce qu'il feroit bien plus aifé de prendre des mefures
convenables au bien de la Religion 3 lorfque toutes ks femences
DE J. A. DE THOU „ Liv. XXV. pt
des guerres civiles feroient étouffées : Qu'en attendant, il fal-
loit empêcher les châtimens injuftes , ôc ne plus gêner les François
confciences , qui ne dévoient pas être afïujeties à des traditions ]j
inventées par les hommes, ôc non émanées des Saintes Ecri- j ^ $0t
tures : Que de plus il devoit être permis à chacun de profefler
publiquement fa Religion, jufqu'à ce qu'un Concile légitime
eût décidé les points conteftez , ôc donné la paix à l'Eglife ;
ôc qu'il n'y avoit nul lieu de douter , que fi dans ce Synode
les Proteftans étoient écoutez , ils ne l'emportaflent fur leurs
adverfaires par la force de leurs raifons.
On donna ce court mémoire , foufcrit du nom imaginaire
de Théophile , au nommé Camus fils d'un Pelletier de la Rei-
ne-mere , ôc on le chargea de le porter à Châtelus. Camus
n'ayant pas trouvé à la Cour ce maître des requêtes , qu'on
avoit envoyé à Marguerite ducheffe de Savoye, refolut,par
le confeil de Paz de Feuquieres , ôc de la dame Claude de
Beaune confidente de Catherine, de préfenter lui-même l'écrit
à cette Princeffe. L'ayant rencontrée dans une petite galerie
obfcure de l'abbaye de Beaulieu , près de Loches 3 il lui mit
entre les mains le mémoire de Théophile , où étoit jointe une
profefïion de foi , que les Proteftans avoient dreflée depuis peu
à Paris, ôc il fe retira aufîi-tôt. La Reine-mere étoit fuivie de
la jeune Reine , qui , par ordre des princes de Guife fes on-
cles , obfervoit fa conduite. Catherine ne pouvant faire autre-
ment, donna le paquet à la jeune Reine > afin qu'elle le com-
muniquât aux Guifes. Aufïi-tôt on fait venir Camus, ôc on lui
demande de quel payis eft ce Théophile auteur du mémoire.
En même tems le Roi arrivant avec les Guifes , le cardinal
de Lorraine l'interroge fur la conjuration d'Amboife , ôc s'il
ne fçait pas qu'un Prince du fang en étoit le chef. N'ayant
rien dit, on le renvoya au chancelier de l'Hôpital , qui l'in-
terrogea une féconde fois, en préfence de Charle deMatillac
archevêque de Vienne.» ôc de Jean de Morvilliers évêque d'Or-
léans. Camus dit qu'un nommé Théophile Bordenave Gaf-
con lui avoit donné depuis peu cet écrit à Tours , pour le
porter à la Reine. On intimida Camus 5 on lui fit des pro-
meffes 5 on lui lut même une Sentence fuppofée, qui le con-
damnoit à mort., fans qu'il avouât autre choie. Enfin il fut mis
dans un cachot à Loches 3 ôc transféré de-ià à Romarantiix,
w
1
ps HISTOIRE
- lorlquc la Cour y alla. Dans un troifiéme interrogatoire , où
François ^ demanda quels étoient les traits, la taille ôc le payis de ce
jj' prérendu Théophile , à quoi il repondit avec aflez d'affurance.
r ^ Mais il dit , contre toute vraifemblance , qu'après que Borde-
nave lui eut donné le mémoire , il étoit allé à Genève : il s'i-
magina qu'on le conduiroit en cette ville-là, pour l'indiquer,
ôc qu'il pourroit s'échapper fur la route. Les fœurs de Camus,
qui demeuroient à Tours , n'ayant pu s'empêcher de dire que
le nom de Théophile étoit fuppofé , leur frère fut obligé de
dire qu'un nommé Servin , qu'il fçavoit être fort éloigné , lui
avoit donné l'écrit , afin que nommant un auteur certain , il
en garantît plusieurs. Enfin ayant été interrogé fur le nommé
Garaye , complice de la confpiration d'Amboife , avec qui il
avoit logé quelque tems , il demeura en prifon jufqu'à la mort de
François IL ôc jufqu'au tems que Charle IX. donna à fon avè-
nement à la Couronne une amniftie générale , ôc rit mettre en
liberté ceux qui étoient détenus pour fait de Religion. J'ai
connu particulièrement ce jeune homme t qui a fait depuis
plufieurs grands voyages.
Vers ce même tems , il courut dans Paris un libelle fans nom
mSk*' d'auteur , où l'on repréfentoit , avec beaucoup de fiel ôc d'amer-
tume, les cruautez des princes de Guife. Ce livre étoit intitu-
lé , le Tigre, On arrêta un pauvre Libraire , nommé Martin
l'Hommet , qu'on avoit trouvé faifi d'un exemplaire de cet
ouvrage, ôc on l'appliqua à la queftîon, pour lui faire avouer
qui en étoit l'auteur , ôc qui étoit celui qui le lui avoit donné.
N'ayant voulu rien dire, il fut condamné à être pendu. Lorf-
qu'on le menoit au fupplice , un Facteur de la ville de Rouen ;
qui pafToit par-là , ôc qui étoit encore botté , voyant le peu-
ple extrêmement animé contre le patient , ôc prêt à fe jetter fur
lui , dit aux afîiftans , qu'ils dévoient retenir leur colère , ne
pas fouiller leurs mains dans le fang d'un miferable , ôc que
dans un inftant le boureau les alloit fatisfaire. Aufli-tôt la mul-
titude tourne fa fureur contre ce malheureux pafTant , ôc le veut
mettre en pièces. Les Archers s'en faififlent, ôc le conduifent
en prifon. Peu de jours après, il fut pendu à la place Mau-
bert, où l'Hommet l'avoit été, comme s'il eût été fon compli-
ce. Ce jugement excita l'indignation publique contre le Con-
cilier du Lion i qui , pour faire fa cour aux Lorrains , avoit
condamné
Criantes.
DE J. À. DE THOU; Liv. XXV. fri)
Condamne à mort,, par une févérité inique , un innocent, que .
la fureur du peuple avoit épargné. ^~ '
Cependant le prince de Condé s'étoit échappé de la Cour, lv tJ'
ôc avoir écrit en chemin au roi de Navarre fon frère. Il lui '
faifoit part des mauvaifes difpoiltions des Guifes à Ion égard.
ïl ajoûtoit , que le E.oi avoit tenu un Confeil fecret , on le
cardinal de Lorraine avoit été d'avis de le faire arrêter : Que
véritablement le duc de Guife avoit été d'un fentiment con-
traire , par pure politique , 6c pour mieux reconnoître quel
feroit l'avis des autres : Qu'ainfi il avoit réfolu , pour mettre fa
perfonne en fureté , de fe retirer en Bearn auprès de lui. Les
Guifes , qui avoient trouvé moïen de corrompre la fidélité de
ceux des domeftiques du Prince , qu'il croyoit les plus affidez ,
furent auiTi-tôt avertis de ce qu'il avoit mandé au roi de Na-
varre. Ils lui écrivirent une lettre remplie de témoignages d'af-
fe&ion ôc de bienveillance , où l'affûtant de leur amitié dans
toutes les occafions , où il ne s'agiroit ni du falut du Roi ni
de celui de l'Etat , ils tachoient de le dilTuader de continuer
fon voyage. Condé envoya copie de cette lettre au Roi fon
frère , qui lui répondit, qu'il approuvoit fon deffein , ôc qu'il
avoit une grande envie de le voir ; mais qu'il croyoit cepen-
dant, qu'avant de partir , il de voit retourner à la Cour, étant
de fon honneur de confirmer de plus en plus par fa préfen-
ce l'opinion qu'on avoit , qu'il étoit innocent. Condé ne fut
point la duppe des avances que lui faifoient les Guifes , ôc ne
Jugea pas à propos de déférer aux confeils du roi de Navarre.
Croyant qu'il n'avoit pas un moment à perdre , il partit pour
la Guyenne , ayant envoyé des relais fur la route. Il rencontra
à Mont-le-heri Damville fils du Connétable , avec qui s'étant
-entretenu quelques momens , il pourfuivit fon chemin. Dam-
ville vint enfuite à Châteaudun , où il trouva le Roi, qui étoit
parti d'Amboife, pour fe rendre à Paris. Il venoit pour fup-
plier ce Prince d'interpofer fon autorité Royale , afin que les
Guifes , qui n'avoient que trop déclaré leur haine contre le
Connétable fon père , ôc toute fa maifon, ne fuffentplus écou-
tés dans les affaires qui les concerneroient.
Le départ inopiné du prince de Condé pour la Guyenne ;
fon entretien fecret avec Damville , ôc les demandes extraor-
dinaires de celui-ci donnèrent l'allarme à la Reine-mere , ôc
Tome 111. T 1 1
514 HISTOIRE
. aux Guifes, Ôc leur firent craindre de nouveaux troubles. Une
François conférence qu'avoit eue depuis peu Catherine avec Perrenot
jj ' de Chantonnai , frère du cardinal de Granvelle , ôc ambaffadeur
i ç 50 de Philippe auprès du Roi, augmenta leurs foupçons. Car la
Reine ayant parlé à ce Miniftre de la conjuration d' A mboife.,,
il lui dit , qu'il ne voyoit point de meilleur moyen pour faire
régner la paix dans l'Etat , que d'éloigner pour un tems les
princes de Guife de la Cour , ôc de remettre la principale au-
torité entre les mains des Princes du fang, ôc du Connétable.
Chantonnai > qui ne cherchoit qu'à troubler l'Etat , difoit cela
à defTein , pour commettre avec les Guifes une Princefle lé-
gère & ambitieufe , ôc augmenter les factions, dont la France
n'étoit déjà que trop agitée. Les princes de Guife interpré-
toient autrement le difcours de Chantonnai, & croyoient que
ce Miniftre avoit parlé en faveur de Montmorenci par ordre
du Roi fon maître , qui le favorifoit , à ce qu'ils croyoient ,;
ayant dans fa Cour plufieurs Seigneurs de cette maifon. Ca-
therine , qui craignoit de nouveaux troubles , dont elle ne
pouvoit ignorer la fource , fit venir à la Cour un neveu de
Jean du Tillet, nommé Louis Renier de la Planche, qui étoit
un des confidens du duc de Montmorenci fiis du Connétable.
Il trouva la Reine-mere avec le Roi fon fils, à S. Léger dans
îa forêt de Monfort. Comme cette Princefle connoiffoit la
Planche pour un homme verfé dans les affaires , ôc habile
dans les négociations , elle le prefla de lui dire avec liberté
îa caufe véritable des factions qui agitoient la France , ôc les
moyens de remédier à tant de maux.
La Planche , qui foupçonna que c'étoit là un artifice des
ïntretien de Guifes , qui fous prétexte de fçavoir fon avis , vouloient lui
la Planche a- arracner fon fecret , fe défendit de dire fon fentiment fur des
vec la Reine . , * , n- > * ,
Catherine. matières a délicates , qui avoient rapport aux intérêts de per-
fonnes puiflantes. La Reine-mere lui répondit, que c'étoit le
devoir d'un homme de bien, qui aimoit le Roi ôc l'Etat , de
dire ce qu'il croyoit convenir au bien public , fur tout lorfque
fa diflimulation ôc fon iilence ne le garantiflbient pas du pé-
ril. Enfin la Planche gagné par les promefies de la Reine-me-
re, ou intimidé par fes menaces , lui dit, (le cardinal de Lor-
raine étant caché derrière une tapiflerie) que parmi ceux qu'on
appelloit communément Huguenots , ôc qu'on aceufoit de
DEJ. A. DETHOU.Liv. XXV. ji j
fomenter les troubles , il y en avoit de deux fortes ; que les uns
n'avoient pour but que la Religion, ôc que les autres, qui fe pR^cois
couvroient du même prétexte, étoient fur tout touchez des \\
malheurs de la France ; que la Renaudie , homme d'un grand i ç 6 o.
courage, avoit trouvé le iecret de réunir les uns ôc les autres,
Ôc leur avoit confeillé de s'armer , fous prétexte de prefenter
au Roi une requête : Qu'au refte, la Renaudie ne s'étoit porté
à ces extrêmitez , que pour venger une injure particulière, ôc la
mort du lieur de Heu de Buy , un des premiers Magiftrats de
Metz , fon beau-frere , ayant après fon banniflement époufé à
Lauzanne une demoifelie de Rognac , fceur de la femme de
Heu : Que comme celui-ci, revenant d'Allemagne, apportoit
au roi de Navarre des lettres des Princes Proteftans , il avoit
été pris , interrogé par Michel Vialard , lieutenant criminel de
Paris , ôc appliqué à la queition , pour l'obliger à charger le
roi de Navarre ; qu'il n'avoit rien avoué, ôc étoit mort au mi-
lieu des tourmens dans le château de Vincennes : Qu'au refte ,
la Renaudie n'avoit pas eu de peine à s'attirer la confiance
des Huguenots de l'une ôc de l'autre efpece ; de ceux qui ne
pouvoient plus fouffrir la perfecution Ôc les fupplices , ôc de
ceux qui voyoient à regret l'adminiitration des affaires confiée
à des étrangers , au mépris des Princes du fang Royal : Qu'on
pourroit appaifer les premiers , en convoquant une aflemblée
de Théologiens, pour décider les matières conteftées , fans dil-
pute ôc fans aigreur , par la feule parole de Dieu ; parce qu'on
fufpendroit en même tems la rigueur des fupplices , en obfer-
vant les Edits du Roi à ce fujet.
Il ajouta qu'il n'etoit pas fi aifé de contenter les autres , qui
ne demeureroient jamais en repos , jufqu'à ce que les Etats
généraux , ou quelqu'autre PuhTance , eût exclu les princes de
Guife du gouvernement , pour le remettre aux Princes du fang :
Que ces derniers paroifToient à la vérité , par la douceur de leur
caraclere , déférer aux volontez du Roi ; quoi qu'en effet ils fouf-
friflent impatiemment, que d'autres joùîffent des prérogatives de
leur dignité : Qu'il étoit confiant , qu'on n'avoit jamais donné en
France le nom de Prince, qu'à ceux qui étoient iffus de nos Rois
de mâle en mâle ; qu'on ne mettoit de ce nombre aujourd'hui,
que les defcendans de S. Louis ; ôc que les feigneurs de Cour-
tenai ôc de Dreux n'étoient pas même regardez comme Princes,
T 1 1 ij
p4 HISTOIRE
_. ^ ::i.-- ■ quoi qu'ils euffent pour tige Louis le Gros : Qu'auffi Pierre Li-
^ fet premier préfident du parlement de Paris, avoit dit tout haut-,
"jy J l'audience féante , à l'Avocat des Guifes y qui les qualifioit de
' Princes , qu'en France on ne donnoit dans les acles publics le
' ' nom de Prince , qu'à ceux qui étoient ifTus de nos Rois : Qu'on
fçavoit auffi que le duc de Guife fe qualifiant Prince un cer-
tain jour , devant François de Bourbon comte de S. Paul , ce
dernier dit , en plaifantant, à ceux qui étoient préfens, que le
Duc partait Allemand en François : Qu'au refte , pîuiieurs
exemples domeftiques nous apprenoient , que jamais les Fran-
çois n'avoient pu fouffrir la domination des étrangers ; 6c que
quand ces derniers avoient voulu ufurper l'autorité principale
au mépris des loix , ils avoient toujours été punis de leur té-
mérité : Que Charle d'Efpagne de la Cerda , arrière petit-fils
d'Alfonfe X. roi de Caftille , qui avoit époufé la fille de Charle
de Blois , déclaré duc de Bretagne par arrêt du Parlement >
ayant été fait Connétable par le Roi Jean l, avoit été tué à
l'Aigle vers Alençon, par une confpiration de la Nobleffe in-
dignée contre ce favori , qui gouvernoit l'Etat : Que ce fut
pour cette même raifon qu'Etienne de Bavière , frère de la
Reine Ifabelle femme de Charle VI. fut arrêté dans fon châ-
teau de Villeneuve-S. -George, & chaffé du Royaume : Qu'en-
fin pour apporter des exemples encore plus concluans, René
de Lorraine, grand-pere des princes de Guife , qui fe quali-
fioit roi de Sicile, avoit été expulfé de la Cour, par Malet de
Graville amiral de France fous Charle VIII : Qu'ainfi il étoic
de la prudence de la Reine , de ne pas laiffer avilir les titres
ôc les honneurs dûs aux feuls Princes de la tige royale , en les
communiquant indifféremment à d'autres : Qu'elle avoit plu-
fieurs en-fans , fils de France , ôc qu'elle devoit craindre de nui-
re à leur grandeur , en élevant les Lorrains : Qu'il falloit de
bonne heure s'oppofer aux deffeins de ces hommes ambitieux,
ôc les contenir dans de juftes bornes , pour ne pas pouffer à
bout la Nobleffe ôc les Princes du fang.
La Planche dit quelque chofe encore des ancêtres des
i Monfieur de Thou , au lieu du Roi
Jean , a mis dans le texte Philippe de
Valois ; ce qu'on a cru devoir corriger
comme contraire à l'hiftoire. D'ailleurs
ja mort de Charle d'Efpagne 3 fut moins
l'effet de la confpiration de la Nobleffe
Françoife , que de la vengence de
Charle le Mauvais , toi de Navarre >
fon ennemi.
DE J. A. DE THOU, Liv. XXV. f*7
Lorrains. Il parla de Godefroi comte de Boulogne ôc roi de
Jerufalem, ôc de Baudouin fon frère , qui avoit régné après pRANçois
lui. Il ajouta que Godefroi avoit deux autres frères 5 que Ca- jj'
therine de Medicis, à qui il avoit l'honneur de parler . , étok j^a
iiTuë de l'aîné, ôc les Lorrains du fécond. La Reine-mere l'in-
terrompit en cet endroit de fon difcours ; lui difant , qu'on ne
devoit pas trouver mauvais , que les princes de Guife ,_qui
avoient rendu de fi grands fervices à l'Etat , eufTent le mani-
ment des affaires 5 ôc qu'il ne falloit pas aufïi s'étonner , fi elle
donnoit fa confiance à des perfonnes , que le feu Roi fon Sei^
gneur & fon époux avoit tant aimez : Que des factieux ofoient
îe prévaloir du nom du Roi , eux qui venoient d'attaquer à
Amboife , non-feulement les princes de Guife ,. mais îe Roi
même , Ôc la Reine fa mère. La Planche ayant répliqué , que
les Guifes tâchoient de. faire croire , que les Conjurez en vou-
loient à la perfonne du Roi , fçachant bien que les Princes du
fang ne pouvoient , fuivant les loix de l'Etat , être impliquez
dans une accufation 3 lorfqu'il ne s'agiffoit pas du crime de leze-
majefté , la Reine-mere fe leva, congédia la Planche, ôc remit
la conférence à l'après-dîné.
Il fut gardé à vue , ôc appelle une féconde fois dans le ca^
binet de cette Princeffe, en préfence de la ducheife de Mont-
penfier fa confidente j le Cardinal s'étant encore caché demeu-
re la tapiflerie. La Reine-mere prit la parole, Ôc dit, que les
princes Lorrains avoient rendu de fi grands fervices à- l'Etat;,
qu'il feroit très raifonnable, qu'après ie premier Prince du fang
royal , on donnât la préfeance au premier Prince de la mair
fon de Lorraine , ôc enfuite au fécond s après le fécond Prince
du fang , ôc ainfi de fuite 5 Ôc que des prétentions fi juftes ne
dévoient pas révolter fi fort leurs ennemis : mais qu'une autre
raifon, que la Planche diroit bien , s'il le vouloir, animoit les
efprits : Qu'il, étok parfaitement au fait de toutes ces chofes,
comme ayant été confident de la Renaudie , ôc ayant voulu
fuiv-re depuis peu Michel de Seure en Angleterre : Qu'ainfi il
devoit ne rien cacher à la mère de fon Roi , ôc aider à faire
arrêter Maligni ôc Soubfelles , qui s'étoient échappez : Que s'il
obéïlToit, il pouvoit compter fur une grande récompenfe; mais
que fi au contraire il gardoit , fur ce qu'on vouloir fçavoir un
filence malicieux , il feroit rigoureufement puni. La Planche
Tttiij
P8 HISTOIRE
répliqua, qu'il rendoit à Dieu des grâces infinies, de n'avoir
François ^ répondre qu'à la Reine : Que c'étoit dans cette confiance >
jl ' qu'éloigné de toute crainte ôc de toute vue d'intérêt , il lui
^ avoit dit la vérité fur des matières qui concernoient le bien de
l'Etat h ôc qu'après qu'elle l'en avoit preffé , il lui avoit donné
les confeils qu'il avoit cru convenir : Que s'il falloit craindre
les troubles qu'excite la Religion , tout homme de bien devoit
aufii avoir en horreur les guerres domeftiques fufcitées à l'oc-
cafion du gouvernements Ôc qu'il ne voyoit, quant à prefent,
aucun remède plus erficace à ces maux , que de réduire les
princes Lorrains dans l'état où leur nailTance les avoit placez 3
ôc de rendre aux Princes du fang leur autorité : Qu'au refte ,
il ipnoroit abfolument les choies qu'elle defiroit fcavoir de
lui 3 ôc que bien loin qu'il eût jamais eu des liaifons avec la
Renaudie , il prioit fa Majefté de fe fouvenir , qu'après le ju-
gement du procès fâcheux , que ce Chef des rebelles avoit eu
avec Jean du Tillet fon oncle , il avoit quitté la France , em-
porté par fon reffentiment , ôc par les confeils d'une jeunefTe
impetueufe : Qu'au furplus , il la fupplioit de ne le pas preffer
d'avantage , n'étant pas né d'une condition à faire le métier
d'efpion , ou d'émiffaire. Catherine lui fit encore de grandes
menaces , qui ne lui faifant rien avouer , il fut envoyé en pri-
fon , dont il fortit quatre jours après par l'ordre de la Reine.
Comme le Roi féjournoit au château de Rambouillet ,
Charle de Coffé comte de Eriffac arriva à la Cour. Il venoit
de Piémont, où il s'étoit fignalé dans le commandement des
armées 5 ôc avoit été remplacé par Imbert de la Platiere Bour-
dillon , après qu'on eut rendu au duc de Savoye , fuivant le
dernier traité , tout le payis qu'on avoit conquis. Les Guifes
venoient de procurer à Briflac le gouvernement de Picardie,
qu'on avoit refufé au prince de Condé, pour s'attacher parce
bienfait un Seigneur , qui d'ailleurs en étoit digne par fes fer-
vices, ôc pour attirer ce grand homme dans leur parti, en un
tems où il fe formoit de dangereufes factions dans le fein de
l'Etat.
En ce même tems de l'Hôpital vint à Paris le cinq de Juil-
let, accompagné de Charle de Mariilac archevêque de Vien-
ne , de Jean d'Avanfon , ôc de la plufpart des Maîtres des
requêtes , pour prendre féance au parlement de Paris en qualité
waeittggftAitaj
DE J. A. DE THOU, Liv. XXV. yj*
de Chancelier. Etant arrivé au Palais s il dit en préfence des
Officiers de cette Cour, aflemblez en grand nombre : Qu'il JTRanc0is
voyoit avec joie tant de Magiftrats , qui avoient été Tes con- jj
frères , qui lui rappelloient le fouvenir de ces jours longs ôc i ç- 6"o.
heureux , qu'il avoit paflez dans leur augufte compagnie ; ôc
quil etoit dilpoie a contribuer de tout ce qui etoit en icn pou- ch:;ncei,er de
voir., pour augmenter la grandeur ôc l'autorité de leur illuftre l'Hôpital au
corps. Cet éxorde fut interrompu par de grands applaudiffe- Parkmtnfr
mens. Enfuite il ajouta , qu'il étoit chargé de la part du Roi ,
de les entretenir fur trois articles effentiels : des affaires qui
concernoient le Roi, ôc le bien général du Royaume ; de l'état
de la ville de Paris capitale de la France ; ôc de ce qui avoit
rapport à la dignité du Parlement même : Que pour ce qui
étoit du premier article , le Roi avoit befoin d'être foûtenu
dans les fondions pénibles de la Royauté , ôc d'être foulage,
fur tout en ces tems difficiles, par les confeils de fon Parle-
ment : Que tout le monde fçavoit que François I. ôc Henri IL
avoient contracté des dettes immenfes , que toutes les finan-
ces du Roi n'aquitteroient pas en dix années : Que véritable-
ment ces Princes avoient laiffé au Roi une fucceffion riche ôc
éclatante , mais en même tems fi onereule , ôc fi troublée par
les difeordes domeftiques, qu'à tout balancer , il ne devoit at-
tendre que des foins , des ennuis, ôc peu d'avantages: Que les
frais de la guerre , les nécefiitez indifpenfables de l'Etat , ôc
les dons , avoient monté à des fommes fi énormes , qu'on de-
voit quarante millions ôc plus , qu'il feroit bien trifîe de voit
paiTer entre les mains des étrangers : Qu'il falloir ajouter à cela
îes penfions des Seigneurs ôc des Gentilhommes , les gages
des Officiers de jufhce, ôc la folde d&s gens de guerre, dont
il étoit du plufieurs années.
Qu'il arrivoit de-là , que la plupart des gens , ou mal-in-
tentionnez , ou peu au fait des affaires de l'Etat , préferoient
leurs prétentions particulières aux nécefiitez publiques , ôc ne
ceffoient de crier , que les finances étoient la proie de per-
fonnes puiffantes , ôc qu'il falloit retrancher la dépenfe ; mais
qu'on n'étoit pas en état d'écouter leurs plaintes , ou de leur
accorder leurs demandes, puifque, pour foulager la miferediï
peuple, on avoit jugé à propos d'abolir la plupart des impôts 3
ôc de diminuer les autres > ôc qu on vencit de fuppnmer 1&
520 H I S T O I R E
taxe que payoient les villes , pour l'entretien de cinquante
— mille hommes de pié : Qu'au refte , l'objet des inquiétudes du
.François j^Qj ^ 11,ctoit pas tant le payement des dettes de l'État, que les
mefures qu'il falloir prendre, pour calmer les efpritsde fes fu-
1500. j.ets ^ ^ j£s ramener au devoir ; la corruption s étant gliiTée
dans tous les ordres de l'Etat : Qu'il falloit d'abord convenir
que les vices des gens d'Eglife avoient donné lieu à de grands
fcandales 5 ce qui avoir occafionné les Religions nouvelles ,
que quelques-uns avoient embraflees par des motifs de cons-
cience , ôc plufieurs par libertinage : Que la NoblefTe n'étant
point payée par le Roi, fe croyoit en droit de vexer le mi-
ierable peuple j que le premier tribunal du Royaume difTimu-
loit les fautes des Juges inférieurs , Ôc n'étoit pas lui-même
exemt de tout reproche : Que la plupart des Magiftrats , pour
parvenir aux honneurs , fongeoient plus à complaire à tout
autre , qu'au Souverain , ôc qu'il voyoit avec douleur, que des
vues d'un intérêt fordide étoient mêlées à celles de l'ambi-
tion : Qu'enfin le peuple répandu dans les villes ôc dans les
campagnes , avoit des moeurs corrompues , vivant fans prin-
cipes ôc fans inftruftions , parce que ceux à qui ils étoient
fournis j étoient plus occupez de la perception des dixmes
ôc des offrandes , que du îalut des âmes : Qu'ainfi on ne de-
voit pas s'étonner , fi des factions agitoient l'Etat , en un tems
où l'épargne étoit épuifée , les forces du Royaume affaiblies,
la plupart des peuples bleiTez de la vie licentieufe des Prêtres ,
ou animez par l'indigence ôc par l'efpoir de l'impunité de leurs
crimes j en un tems où l'intégrité des Juges étoit devenue fuf-
pecie , ôc où la licence du foldat n'étoit point réprimée : Que
tous ces maux étoient connus '■> mais que l'importance étoit
d'y trouver un remède: Qu'il y avoit lieu d'efperer néanmoins,
qu'une fage œconomie , ôc une longue paix pourroient réta-
blir les finances. Mais qu'il prévoyoit de grandes difficultez ,
pour concilier les efprits fur les matières de la Religion ; qu'à
cela il ne voyoit point d'autre remède, que d'implorer l'affiitan-
ce divine , Ôc de convoquer un Concile.
Que jufqu'ioi on n'avoit rien fait, en employant la violen-
ce ôc la force des armes h ôc que fi les Rois avoient pris ce par-
ti, ils s'étoient comportez en cela comme les médecins, qui
connoiflant une maladie , fouvent n'en fçavoient pas la caufe;
mais
DE J. A. DE THOU, Lrv. XXV. fàt
niais qu'aujourd'hui l'expérience avoit appris que la violence
étoit un remède hors de faifon , & contraire au mal. » Quelles ]7rAnCOis
loix, ajouta le Chancelier, n'a- 1 on pas publiées à ce fujet ? jj/
Que de punitions, ôc de fupplices, dont les Magiftrats ont j^0i
été eux-mêmes les victimes ! A quoi a fervi de s'armer en Al-
lemagne , en Angleterre, & en Ecoffe ? L'ancienne Reli-
gion a été ébranlée par les combats , & la nouvelle s'eft ac-
crue. Les maladies de l'efprit ne doivent pas être gouvernées
comme celles du corps. L'ufage nous apprend , que la force
des raifons , & la douce perfuafion de la parole, font les feuls
moyens qui gagnent les cœurs, & guérilîent les efprits. Ainli
le Roi ordonne par un édit, qu'en attendant qu'on tienne un
Concile , les Prélats ayent à édifier leur troupeau par leur pré-
fence , ôc par une vie exemplaire , & à les nourrir par la parole
de Dieu , ôc lafemence d'une pure doctrine. » Le Chancelier
dit encore , que fi le Parlement croyoit qu'on dut interpréter
quelques articles de cet édit, y ajouter, ou retrancher , il de-
voit finir au plutôt la délibération qui étoit commencée ; que
fa Majefté étoit difpofée à écouter favorablement les repre-
fentations de fes officiers > ôc à changer dans fon édit ce
qui lui paroîtroit devoir être réformé. Que cependant le Roi
avoit cru qu'il falloit prévenir les troubles , ôc arrêter les fac-
tions , qui intereffoient tout enfemble le repos public, ôc l'au-
torité Royale : Que pour cela il avoit donné ordre à fes Gou-
verneurs , ôc Lieutenans généraux dans les Provinces , de
punir févérement les coupables , ôc de charger les Prévôts
d'empêcher toutes affemblées illicites -, qu'au relie on ne de-
voir pas trouver étrange , qu'on eut ôté à ces fortes de cri-
minels la liberté d'appeller aux tribunaux fupérieurs ', qu'il
falloit dans les féditions de prompts exemples s ôc qu'on fça-
voit que ces fortes de crimes demeuroient d'ordinaire impu-
punis , à la faveur des longues procédures d'un appel.
Qu'au furpius , il avoit peu de chofes à leur dire fur le re-
tranchement des offices de judicature, que le Roi déclaroit
éteints à la mort des titulaires ; que la juftice , ôc 1 utilité de
cet édit frappoient allez > que jufqu'ici l'illuftre Compagnie >
devant qui il parioit, avoit été avilie par la multiplication des
officiers, Ôc que moins elle feroit nombreufe, plus elleferoit
honorée ; que par là leur dignité feroit augmentée > ôc le thréfor
Tome III, Vuu
fi* HISTOIRE
htma du Roi foulage j 6c que s'il pouvoit fournir à peine aujour-
Francois d'hui au payement de gages modiques , lorfque le nombre
JX, des juges feroit diminué , on pouroit aifément y fatisfaire, quel-
I y 6 o. c]ue confiderables que fuffent les appointemens : Que l'inten-
tion du Roi étoit, que le Parlement eût une attention parti-
culière fur la ville de Paris •■> parce qu'il étoit perfuadé que de
la bonne police & de la tranquillité de cette grande ville
dependoit le repos ôc le bon ordre du Royaume , dont elle
étoit la capitale 5 que fa Majefté n'ignoroit pas, que fa Cour
de Parlement avoit fait déjà de fages reglemens à ce fujet ; mais
qu'après tout on commençoitbien deschofes en France > qu'on
n'achevoit jamais ; qu'il falloit s'informer exactement de ceux
qui venoient tous les jours dans cette ville,, quelle étoit leur
condition , le fujet de leur voyage , ôc le lieu de leur demeu-
re , afin d'empêcher, s'il étoit pofîible , les affemblées pro-
hibées : Qu'on avoit porté des plaintes au Roi de différen-
tes Cours de fon Royaume , dont les officiers étoient oppo-
fez hs uns aux autres , ôc fur-tout des Parlemens de Touloufe
ôc de Bordeaux ; que fa Majefté néanmoins vouloit bien les
croire mal fondées ; qu'au refte il voyoit avec plaifir que rien
n'eût terni encore la pureté ôc l'éclat du Parlement de Paris,
de cette Cour qui étoit expofée au plus grand jour , ôc éclai-
rée de plus près des rayons de la Majefté Royale: Que néan-
moins il ne pouvoit s'empêcher de leur dire , que le Roi avoit
appris avec peine , qu'ils étoient divifez entre eux , par les fac-
tions des Princes ôc de quelques Seigneurs , les uns attachez
à un parti 3 ôc les autres en favorifant un contraire ; enforte
que ces Grands fevantoient tout haut, s'il ofoit rapporter une
comparaifon odieufe , que certains magiftrats leur étoient au-
tant dévouez que des Courtifannes } dont à prix d'argent ils
achetoient les faveurs : Que plufieurs s'etoient fait agens des
affaires de quelques perfonnes, dont ils dévoient être les juges
naturels , Ôc proftituoient ainfi honteufement leurs fervices à
ceux dont la vie ôc les biens étoient entre leurs mains.
Il ajouta , que fouvent il s'élevoit entre eux de grands dif-
férends '■> que cependant l'union ôc la paix étoit le cara£lere des
Chrétiens , ôc que les fouverains tribunaux 3 crées pour calmer
les animofitez, ou juger les procès, dévoient parleur concor-
de édifier les peuples , ôc leur fervir d'exemple 5 parce
DE J. A. DE THOU, Liv. XXV, fa*
qu'étant comme fur un grand théâtre, leurs vertus, ou leurs vi- «—^». —■■■■»
ces étoient expofez aux yeux de tous 5 que d'ailleurs le Roi François
étoit averti qu'ils travailloient dans la vue d'un gain fordide, JJ.
ôc augmentoient tous les jours leurs honoraires , ôc que fou- 1560.
vent ils étoient partagez dans leurs avis : Qu'au refte il ne di-
foit pas cela pour faire des reproches au Parlement , ni pour
s'attribuer le droit de leur impofer des loix , étant difpofé lui-
même à fe foumettre à leur cenfure ; mais qu'il avoit cru être
obligé de leur déclarer ce que penfoient la plupart des hom-
mes d'un corps fi conildérable , ôc de leur apprendre les
plaintes qu'on faifoit au Roi tous les jours à ce fujet. Le
Chancelier ajouta, que quoiqu'il ne crût pas qu'on dût dans
les jugemens fe conformer toujours à ceux qui avoient été ren-
dus ci-devant fur les mêmes matières , il ne pouvoit néanmoins
approuver ces Magiftrats, qui rejettant l'autorité refpectable des
anciens arrêts , croyoient ne devoir juger , que fuivant leurs
propres lumières. Enfuite il exhorta la Compagnie à abréger
les procès, ôc à épargner aux plaideurs l'embarras des longues
procédures , ôc les frais ruineux , en jugeant fur le champ ,
après avoir entendu les procureurs, certains procès fommai-
res , qui n'exigent pas une plus ample difcuffion. Il loua à
ce fujet le préfident Chriftophle de Harlai , qui étant Confeil-
ler décidoit ainfi de fon tems les affaires légères. Enfin il con-
clut en offrant au Parlement en général ôc à chaque officier
en particulier fes bons offices. Alors on parla en fa préfence,
avec beaucoup de vivacité de part ôc d'autre , du différend cé-
lèbre qui étoit entre le préfident de Saint André, ôc le préfi-
dent de Thou, à l'occafion du procès du confeiller du Faur,
dont le Roi, comme je l'ai dit ci-deffus , avoit renvoyé la con-
ttoiffance au Parlement, quoiqu'il l'eût auparavant évoquée à
fon Confeil. Le Chancelier prit occafion delà de recomman-
der encore l'union entre les membres d'un même corps , leur
difant qu'ils dévoient prendre garde d'avilir la dignité d'une
Compagnie autrefois fi floriffante } par des diffe.nfions fcanda-
leufes. Enfuite on publia les édits que le Chancelier avoit ap-
portez, ôc le Parlement, en y ajoutant, en tant que befoin,
ôc fe conformant à la févére difcipline de fes anciens arrêts,
ordonna à tousEvêques, ôcà tous Curez de s'acquitter exac-
tement de leur devoir , de réfider actuellement dans leurs
V u u i )
aann
ja* HISTOIRE
i Diocefes , ou dans leurs parohTes , ôc de quitter la Cour 6c Pa~
François ris^ur peine de la faifie de leurs revenus , ôc même de leurs
jj meubles.
i s" 60 Cependant le prince de Condé étoit arrivé à Bordeaux, &
delà étoit allé trouver Je Roi de Navarre à Nerac, ôc lui avoit
raconté tout ce qu'avoient fait les Guifes , pour le perdre , lui Ôc
fa maifon > l'exhortant à ne fe pas abandonner lui ôc les fiens
en ces' facheufes conjonctures. Plufieurs Gentilshommes d'une
haute qualité, bleffez de lapuiffance des princes de Guife, s y
étoient aufli rendus, ôc ils fe flattoient, que l'union des deux
Bourbons rétabliroit la liberté opprimée fous des étrangers. Mais
le Roi de Navarre, par une éternelle fécurité, temponfoit tou-
jours , Ôc faifoit échouer par fa lenteur les meilleurs defleins. Le
prince de Condé fit partir la Sague gentilhomme Gafcon , pour
fe rendre auprès d'Eleonor de Roye fon époufe , ôc du Con-
nétable oncle de la PrincefTe, pour leur annoncer fon arrivée
en Guienne. Il avoit ordre aufli de s'informer en quelle fitua-
tion étoient leurs affaires, ôc de demandera la Princeffe de l'ar-
gent pour la dépenfe de fa maifon. Car elle venoit d'enga-
ger au Connétable de Montmorenci fa terre de Germigni près
de Roye, pour une fomme de trente mille livres. Sur ces entre-
faites les deux Princes reçurent des lettres du Roi , qui leur
ordonnoit de fe trouver à l'affemblée indiquée à Fontainebleau.
Les Guifes , qui étoient avertis des projets qu'ils méditoient
en Guienne, par le moyen du nommé Scarfe doineftique du
Roi de Navarre , dont ils avoient ( à ce qu'on croyoit ) corrom-
pu la fidélité, avoient donné au Roi ce confeil. Mais les Prin-
ces jugeant qu'il étoit plus fur d'apprendre de loin les réfo-
lutions de ces petits Etats , que d'en être témoins , s'excuferent
de s'y trouver , fur le peu de tems qu'ils avoient pour s'y ren-
dre, ôc fur la longueur du voyage. Ils envoyèrent feulement
îa Sague à la Cour ,pour leur mander ce qui fe pafleroit à cette
conférence.
Il y avoit long-tems que Montmorenci confeilloit au Roi
de Navarre de venir à la Cour, d'encourager par là la Nobleffe,
qui lui étoit dévouée, ôc de détruire par fa préfenceles pro-
jets des Lorrains. Mais ce Prince, comme nous l'avons dit,
ennemi des affaires aimoit mieux vivre tranquille en un féjour
éloigné , ôc déconcertoit par fa lenteur naturelle les deffeins
DE J. A DE THOU, Liv. XXV. |*f
de fes amis. Le Connétable , qui avoit eu ordre aufïl de fe rendre ■ _ii
à Fontainebleau ne manqua pas de s'y trouver avec le comte de François
Villars ton beau-frère, ôc les trois Coligni, ayant à leur fuite huit IL
cens , tant Gentilshommes que cavaliers. Montmorenci fut bien \ $ 60*
aife de faire voir à fes rivaux, quelle étoit encore fa puiiTance, mê-
me dans fa difgrace. Mais ilfe trouva peu de Seigneurs à la Cour,
qui ofaffent aller au-devant de lui. Gouffier de Boifi , le Rhein-
grave , Sanfac } ôc quelque Chevaliers de l'Ordre , furent les
ieuls qui crurent devoir cet honneur à leur ancien ami. Ce-
pendant les Gouverneurs des provinces eurent ordre de lever
des troupes , pour être prêtes à marcher au premier comman-
dement.
Le 21 d'Août Jour marqué pour l'afTemblée 3 le Roi fe ren-
dit l'après-diné dans l'appartement de la Reine mère, où étoit
cette PrincefTe, la Reine régnante, ôc les frères du Roi. Au-
delTous étoient aflis les cardinaux de Bourbon^de Lorraine ôc de
Guife. Enfuite les ducs de Guife ôc d'Aumale, le Connétable, le
Chancelier, Coligni , les maréchaux de Saint André ôc de Brik
fac, André Guillard du Mortier, Jean de Morvilliers évêque
d'Orléans , JeandeMarillac archevêque de Vienne , ôc Mont-
lue évêque deValence. Les Chevaliers de l'Ordre étoient fur des
bancs au-deffous. Le Roi expofa en peu de mots le fujet de
î'aflemblée > ôc exhorta ceux qui étoient préfens^à dire libre-
ment , fans partialité , ôc fans haine > ce qu'ils croyoient conve-
nir au bien public } ajoutant quefon Chancelier , ôefes oncles le
duc de Guife ôc le cardinal de Lorraine diroient le refte. La
Reinemere dità peu prèsles mêmes chofes; priant l'afTemblée-
de foutenir le thrône de fon fils par leurs fages confeils , ôc
de prendre de juftesmefures, pour foulager le peuple, ôepour
ramener la NobleiTe à fon devoir. Enfuite le Chancelier pre-
nant la parole , fe fervit en termes prolixes de la comparaifon
d'un Médecin , qui avoit à gouverner un homme accablé d'une
maladie, dont la caufe lui étoit inconnue, ôc dit plufieurs cho-
tes , fur la défolation ôc la foiblelTe du Royaume , fur la No-
bleffe , fur les Magiftrats , ôc fur la corruption qui s'étoitglif-
fée dans tous les Ordres de l'Etat. Il ajouta, que de plus les
efprits étoient indifpofez contre le Roi ôc fes principaux Mi-
mitres , fans que la caufe de cette aliénation générale fût con-
nue, Ôc qu'on pût par conféquenty apporter de remède: que
V u u iij
$26 HISTOIRE
..w'-ii.; la plupart peu fatisfaits du préfent , ôc allarmez de l'avenir ,
François clue^ues_uns Par des motifs de Religion 3 ôc un plus grand
jt nombre par des vues d'ambition avoient fufcité des troubles»
i f 60 9u'au1^ S falloit tâcher de connoître l'origine du mal, pour y
apporter les remèdes convenables 5 ôc qu'enfin le Roi n'avoir
rien plus à cœur que d'apprendre de ceux qui étoient pré-
fens, comment il pourroit foulager fon peuple, conferver à
chaque Ordre fes prérogatives , ôc maintenir fon autorité.
Le duc de Guife prit la parole après le Chancelier , ôc ren-
dit compte des affaires de la guerre , qui lui avoient été con-
fiées. Le cardinal de Lorraine fie auffi. un détail exacl: de l'état
des finances, dont il avoitla fur- intendance , ôc dit, que les
charges ôc les dépenfes excedoient de deux millions cinq cens
mille livres les revenus annuels de l'Etat. On ne fit rien da-
vantage ce jour là. Le furlendemain on s'afTembla dans le mê-
me ordre, ôc le Roi ayant ordonné aux confeillers d'Etat de
dire leur avis fuivant leur rang , l'évêque de Valence , qui étoit
le dernier des Confeillers , fe préparoit à parler , lorfque l'ami-
ral de Coligni s'approcha du Roi, ayant mis deux fois le ge-
nouil en terre , ôc lui préfenta deux requêtes qui lui avoient,
dit-il , été mifes entre les mains par un grand nombre de per-
fonnes de toute condition , lorfqu'il étoit en Normandie occu-
pé des affaires de l'Ecoffe. Il ajouta que ces gens l'avoient
îupplié par les plus vives inftances, de les protéger auprès du
Roi, ôc que fon zélé pour fon Souverain, joint à une vie juf-
qu'ici irréprochable , lui avoit fait croire qu'il ne devoit pas
leur refuier fes fervices. Le Secrétaire d'Etat l'Aubefpine
lut à haute voix ces écrits. Ils contenoient en fubftance : Que
les Supplians avoient crû. devoir , au nom de tant de perfon-
nes répandues dans les Provinces du Royaume, qui fe difent
Chrétiens fidèles , porter leurs prières ôc leurs vœux au pié
du thrône, à l'occafion de cette affemblée célèbre , conjurant fa
Majefté de jetter enfin fur eux un regard favorable, n'ayant été
jufqu'ici perfécutez ôc condamnez à de rigoureux fupplices,
que pour avoir réglé leur vie fur les maximes de la vérité , ôc
de la plus faine doftrine : Qu'ils ne fouhaitoient rien davantage
que de voir juger leurs fentimens fur les divines écritures, ôc
de faire voir à tout le monde > combien leur Religion étoit
différente des fe&es dépravées qui flattent les pallions 5 ÔC
DE l A. DE THOU, Liv. XXV. s*7
autorifent les vices : Qu'ils fupplioient qu'on fufpendît la rigueur 1 1 ■■
des peines t jufqu a ce que leur caufe fut parfaitement connue? pRANÇois
qu'on leur permît le libre exercice de leur cuite , ôc qu'on leur jj
accordât des Temples où ils puflfent prier en commun , afin , ç $ 0.
qu'on ne pût leur imputer à crime leurs aflemblées particuliè-
res : Qu'enfin ils prenoient Dieu à témoin , oc le Roi même,
qu'ils n'avoient jamais rien entrepris contre lui , ôc qu'ils ne
faifoient, ni ne feroient jamais rien contre l'obéifiànce qu'ils
lui dévoient; qu'ils avoient toujours adreffé des prières au Ciel
pour fa confervation , ôc pour la tranquillité de l'Etat > ôc qu'ils
les continueroient toujours. Le Roi ayant loué le zélé de Co-
ligni , ôc fes longs 6c utiles fervices , ordonna que l'on conti-
nuât d'opiner.
Alors Téveque de Valence , Prélat éloquent , ôc très-eftimé
par fa longue expérience dans les affaires, Ôc par fa fcience
dans les Lettres facrées , prit la parole , ôc dit -, qu'une étrange
confufion regnoit dans tous les Ordres de l'Etat, que delà étoient
nez de grands troubles, qu'on ne pourroit calmer qu'après avoir
donné la paix aux confciences:Que véritablement la fageffe,
ôc le zèle de la Reine mère , ôc des Princes de Guife avoient
arrêté le mal dans fes commencemens , en châtiant les fédi-
tieux par une févérité exemplaire ôc utile ; mais qu'après tout
on n'avoit point été encore jufqu'à la racine du mal, qu'il
étoit d'autant plus difficile d'arracher qu'elle étoit enfoncée,
pour ainfi dire , très-avant dans Pefprit des hommes : Que la Re-
ligion étoit aujourd'hui le prétexte des troubles, ôc qu'on fça-
voit que rien ne fait de plus fortes impreffions fur les efprits,
ôc fur les cœurs } que l'amour d'un culte , fut-il faux ôc dépra-
vé? que le mal s'étoit étendu fort loin , ôcavoit fait de grands
progrès par la négligence de ceux qui auroient dû l'arrêter :
Que les fouverains Pontifes n'avoient fongé qu'à perpétuer les
guerres pour entretenir les divifions; que d'un autre côté les Prin-
ces animez du zélé de la Religion avoient voulu par les peines
ôc les fupplices arrêter le mal, ôc n'avoient pas réulïi ; qu'en-
fin les juges avoient tenu à cet égard une étrange conduite y
les uns ayant pouffé la févérité jufqu'à la cruauté, ôc les au-
tres ayant accablé des innocens injustement aceufez., après avoir
été corrompus par les largeffes de leurs ennemis : Qu'on ne pou-
voit pas dire que les Evêques fulfent exemts de tout reproches
p§ HISTOIRE
— - eux, qui négligeant le foin de leurs troupeaux, n'avoient pour
François but depuis plufieurs années , que d'augmenter leurs revenus , ÔC
IL vi voient dans l'abondance ôc la mollefle: Qu'on en avoit vu une
i 5 6 q, fois à Paris jufqu'à quarante, croupiflans au milieu de l'oifiveté ôc
des délices , ôc que ce n'étoit qu'en frémiflant qu'il rapportoit
une chofe II honteufe : Que les prélatures étoient données fou-
vent à des enfans, ou à des hommes indignes , ôc qu'il arrivoit
delà, que les yeux des Eglifes, c'eft-à-dire les Evêques, étoient
fermez à la lumière, ôc que les colomnes de lamaifon du Sei-
gneur étoient renverfées : Que les Curez ordonnez par de tels
Evêques fuivoient en tout leur exemple , Prêtres avares 3
ignorans , ôc nullement occupez de leurs devoirs : Eft-il éton-
nant après cela , ajouta l'évêque de Valence, que le peu-
ple, ôc la meilleure partie delà Nobleife,à qui on a négligé
d'apprendre fa Religion dans l'enfance, fe livrent aifément aux
erreurs, ôc entrent dans les factions? Il ajouta, qu'on ne de-
voit demander qu'à Dieu feul un remède à tant de maux ; qu'il
falloit affembler de toutes les Provinces des gens de bien ,
qui examinaient les vices des Eccléfiaftiques , ôc qui priflent
des mefures pour les réformer : Que le Roi fur-tout , qui de-
voit l'exemple à fes peuples, étoit obligé d'apporter tous fes
foins y afin que le faint nom de Dieu ne fût pas deshonoré ;
que l'Ecriture fainte fut expliquée au peuple dans fon fens na-
turel , ôc fans art , ôc qu'il y eût tous les jours des fermons
dans fon Palais , autant qu'il feroit poffible. Alors adreflant la
parole aux deux Reines , il les fupplia de faire ceffer les chan-
fons profanes ôc impudiques , qu'on ofoit chanter tous les jours
dans les maifons Royales , ôc de fubftituer à ces infamies des
pfeaumes François , ôc de pieux cantiques > exhortant leurs Ma-
jeftez à les chanter elles-mêmes en tout lieu , ôc en tout tems;
que cela feroit très-agréable à Dieu, à qui nulle affembléene
peut plaire , que celle où il eft honoré par un tribut de louanges.
L'évêque de Valence dit encore , que ceux là n'avoient pas
l'efprit de la véritable pieté qui défendoient aux femmes le
chant des Pfeaumes en langue vulgaire ; que fi les traductions
Françoifes avoient quelques erreurs y il les falloit condamner,
ôc non pas tout l'ouvrage ; que les ennemis de l'Eglife pre-
noient occafion delà de calomnier les Catholiques , en difant
qu'ils ng faifoient pas la guerre aux hommes > mais à Dieu,
lorfcju'ijs
DE J. A. DE THOU, Liv. XXV. $29
lorfqu'ils défendoient en public , ôc en particulier une pfalmo- .»«»__ ^
die inftituée pour glorifier le Seigneur, ôc pour confoler les François
âmes pieufes. L'Evêque ajouta , que la tenue d'un Concile gé- jj*
néral étoit un autre remède , dont nos pères s'étoient toujours 1 e 6 o.
fervis dans les différends de l'Eglife : Qu'il ne pouvoir com-
prendre comment le Pape n'étoit pas fans cefle agité des plus
vifs remords, lui qui laiifoit tous les jours périr tant d'ames,
dont Dieu fans doute lui demanderoit compte un jour : Que
fi l'on ne pouvoit obtenir un Concile général , alors le Roi
feroit obligé d'alfembler , à l'exemple de Charlemagne ôc de-
Louis le Débonnaire, un Synode national, où fe trouveroient
les Théologiens de la Religion nouvelle , pour difcuter les
points controverfez avec les Docteurs Catholiques : Que Théo-
dofe avoit affemblé un Concile à Conftantinople contre les
Ariens ôc les Macédoniens , quoique leurs erreurs euffent été
déjà condamnées dans le Concile de Nicée, ôc en d'autres
Synodes légitimes : Qu'au relie on avoit beaucoup manqué de
part ôc d'autre ; que les Sectaires étoient inexcufables d'avoir
pris les armes, Ôc troublé la tranquillité publique; oubliant le
précepte de l'Apôtre , qui veut qu'on prie pour les Rois, ôc
qu'on leur obéiffe , quelque rigoureufe que foit leur domination;
ôc ne fe fouvenantpas que pendant les dix fameufes perfécu-
tions de l'Eglife, où périrent des millions de Chrétiens, il ne
s'en trouva jamais un feul , qui crut pouvoir défendre parles
armes une jufte caufe , ôc que tous n'oppoferent aux fureurs des
tirans Ôc des boureaux , qu'une longue patience , ôc une conf-
tance invincible , qui les fit enfin triompher •. Que les affem-
blées avoient toujours été défendues , ôc que le Roi par fes
édits y avoit fagement pourvu ; mais que d'un autre côté on
avoit fait une grande faute , en traitant avec inhumanité des
hommes innocens , que le< feule zélé de la pieté animoit , ôc qui
facrifioient leurs biens ôc leurs vies à une Religion qu'ils
croyoient bonne : Que les fupplices avoient irrité les fpe£la-
teurs mêmes , ôc leur avoient fait naître l'envie de connoî-
tre une doctrine, qu'ils voyoient profelfer au milieu des flam-
mes à des gens de mœurs très-pures ; enforte qu'ils l'avoient
fouvent eux-mêmes embrafTée : Que les premiers Pères de l'E-
glife avoient toujours défapprouvé qu'on ufât de violence en-
vers les Hérétiques 5 que les trois cens dix-huit Evêques du
Tome III. Xxx
y5o HISTOIRE
premier Concile de Nicée , les fix cens trente de celui de
François Calcédoine , ôc les cent cinquante de celui de Conftantino-
jj pie n'avoient pas cru > qu'on pût employer d'autres armes que
i f 6 a parole de Dieu , contre les Ariens , les Macédoniens, & les
Neftoriens; qu'enfin Conftantin, Valentinien, Théodofe, ôc
Marcien , Princes fi religieux, s'étoient contentez d'exiler les hé-
rétiques. L'évêque de Valence conclut , en difant qu'il étoit
d'avis que l'on fursît les fupplices, ôc que s'il étoit néceffaire
d'employer l'autorité du magiftrat , les juges avant de punir,
examinaient avec foin le lieu, le tems, les perfonnes, Ôc les
difpofitions des accufez , Ôc le motif des aflemblées où ils s'é-
toient trouvez.
Marillac archevêque de Vienne parla enfuite, ôc fit un dis-
cours plus long encore, ôc plus véhément. Il dit, que le Royau-
me de France, comme tout autre Etat , étoit appuyé fur deux
principaux fondemens , fur un culte raifonnable Ôc pieux , Ôc
fur l'amour des fujets envers leur Prince; qu'il falloit mainte-
nir l'un ôc l'autre par des moyens convenables , fi l'on vou-
loit que l'Etat fubfiftât ; mais qu'une licence générale , ôc les
mœurs corrompues de tous les Ordres ,avoient amené lescho-
fes à un point , qu'on étoit menacé des derniers malheurs : Que
pour ce qui regardoit la Religion , il convenoit qu'un Con-
cile univerfel pourroit remédier à nos maux s mais qu'on ne
pouvoit guère efperer un concile fi long-tems fouhaité , à eau-
fe des dirricultez qui naiffent en ces occafions : Que perfonne
n'ignoroit les foins infinis que Charle V. s'étoit donnez à ce
fujet , ôc avec quels artifices les Papes avoient éludé les pieux
defTeins de ce grand Prince : Que nos maux étoient prefTans ,
que le Médecin étoit éloigné, ôc fon arrivée incertaine ; qu'il
falloit donc avoir recours à un Concile national, que le Roi
avoit déjà promis à fes peuples par fes édits , ôc dont on ne pou-
voit plus différer la tenue, à caufe de l'extrémité où l'Eglife
étoit réduite par la négligence de fes pafteurs : Qu'au refte cette
pratique étoit autorifée par la difeipline de l'Eglife, ôc parl'u-
fage du Royaume 5 que les faints Canons nous marquent , que
c'étoit la coutume d'affembler tous les cinq ans des Conciles;
que depuis Clovis jufqu'au règne de Charlemagne^ ôc depuis
cet Empereur jufqu'à Charle VII. on avoit toujours tenu des
Conciles en France , foit nationaux 3 foit provinciaux i qu ainfï
DE J. A. DE THOU, Liv. XXV. 5*31
en l'état où nous étions réduits, on ne devoit plus différer, & ■»
qu'il ne falloit avoir aucun égard aux vains obftacles que le FRANCors
Pape apportoit : Que cependant il falloit obliger tous les Eve- jj
ques, fans aucune exception, à réfiderdans leurs Diocéfes, ôc j^0<
à veiller fur leurs troupeaux : Qu'il ne falloit rîlus fouffrir que
les Italiens qui pofledoient le tiers des bénéfices du Royau-
me , ôc qui, comme des fangfuës , dévoroient notre fang le plus
pur , joùîffent , quoiqu'abfens , de leurs revenus ; hommes im-
pies envers Dieu, ôc ingrats envers le Roi leur bienfaiteur : Que
c'étoit par leur faute que les peuples , fe voyant fans Pafteurs,
donnoient dans de nouvelles ôc de fauffes opinions , ôc que
des féditions s'élevoient dans le fein de l'Etat , comme on ea
avoit eu depuis peu un trifte exemple.
Qu'il falloit réformer l'Eglife , ôc commencer par défendre
à fes miniftres de rien faire à prix d'argent , afin que l'avarice,
cette bête de Babilone, qui avoit caufé tant de maux dans la mai-
fon de Dieu , pérît enfin ; ôc que les Prêtres déteftant tout négo-
ce iordide donnaient gratuitement ce qui leur avoit été donné
de même : Que toute fimonie , ôc que tout foupçon de limo-
nie terniffoit la pureté de l'Eglife ; que dans cette vue le Con-
cile d'Ancyre avoit défendu auxEccléfiaftiques de recueillir des
aumônes, dansletems de l'adminiftration des facremens, afin
que les fidèles ne paruffent pas donner , pour être admis aux
faints myfteres : Que faint Louis avoit enjoint aux Evêques de
réfider, ôc leur avoit défendu de faire tenir aucun argent à
Rome : Que dans ces derniers tems Paul III. forcé en quelque
{ ote parles Princes Proteftans, avoit affemblé,en attendant qu'il
confentît à la convocation d'un Concile , Gafpard Contarini,
l'évêque de Théate ( qui fut depuis fouverain Pontife fous le
nom de Paul IV ) Jacques Sadolet , ôc Poole , tous perfonna-
ges fçavans ôc pieux, qui décidèrent d'une commune voix, qu'on
nepouvoit , ôc qu'on ne devoit rien faire à prix d'argent, dans
l'ufage des clefs , c'eft-à-dire, dans les fondions Eccléfiaftiques;
mais que le Pape Paul IIL'n'avoitpas paru depuis penfer ainii, ôc
encore moins Paul IV. toujours occupé de guerres , ôc de céré-
monies pompeufes ; quoiqu'il eût condamné l'avarice des Prê-
tres, étant Cardinal : Quefiaujourd'hui'on ne rétabliffoit pas une
pratique depuis (ilong-tems négligée , il arriveroit ce que faint
Bernard aprédit , que Jefus-Chrift defeendant du ciel chaffera
Xxx ij
W HISTOIRE
i avec fon fouet les Prêtres de fa maifon , comme il en chafTa
François autrefois ceux qui y faifoient un honteux trafic : Que de plus
jl> les Minières de l'autel dévoient s'armer de leurs armes 3 c'eft-
i s* 6 o. à-dire prier en public , gémir , jeûner ; ôc prendre en leurs mains
l'épée de Dieu* c'eft-à-dire, fe fervirde la parole toute-puif-
fante de celui , qui n'étoit prefque plus connu dans l'Eglife que
par le nom , ôc dont elle ne faifoit plus d'ufage : Que ni les
thiares , ni les croffes , ni les mithres , ni les autres omemens
facerdotaux , (ignés extérieurs de l'homme intérieur, qui doit
marcher fans cefTe dans les voies de la vie, de la vérité, ôc
de la pure doûrine, ne pourraient empêcher le peuple d'avoir
un grand mépris pour les Prêtres , fi contens de ces dehors
refpectables ôc pompeux, ils négligeoient leur devoir : Que
cette fentence terrible, qui dit, que lacoignée a déjà étémife
à la racine de l'arbre , devoit être parvenue jufqu'à eux , Ôc leur
avoir ouvert les yeux.
Marillac ajouta , qu'il étoit d'avis qu'on ne devoit pas né-
gliger les fecours humains ; qu'il falloit punir les féditieux, ôc
apprendre aux peuples , que des fujets ne peuvent pour quel-
que raifon que ce foit, prendre les armes fans l'ordre du Prin-
ce , à qui feul l'épée eft confiée pour la défenfe des loix : Qu'au
refte, pour en venir à l'attachement que les peuples doivent avoir
pour leur Souverain , il ne voyoit point de meilleur moyen
pour faire revenir les efprits aliénez , que d'alTembler les Etats
généraux fuivant l'ancien ufage du Royaume ç que c'étoit le
feul tribunal où fe pouvoient porter les plaintes de toutes les
provinces de la France, ôc qui pût remédier aux maux univer-
îels 3 les juges ôc les magiftrats n'étant établis que pour juger
les procès, ôc terminer les différends des particuliers : Que dans
ces affemblées générales les fujets entroient en quelque forte
en conférence avec le Souverain, ôc ofoientlui expofer leurs
maux avec une refpe&ueufe liberté ; que d'un autre côté le
Prince faifoit entendre à tous les Ordres du Royaume fesfoli-
des raifons,fouvent plus équitables que leurs plaintes : Qu'il arri-
voit delà, que tous fupportoient avec patience > non un joug
impofé par le Roi , mais un fardeau caufé par les befoins de
l'Etat, ôc que fans murmurer ils obéiffoient avec joie. L'Arche-
vêque plein de droiture ôc defincerité, ôc qui n'ayant jamais
fcû flatter , étoit peu goûté à la Cour, dit à ce fujet plufieurs
DE J. A. DE THQU, Liv. XXV. 5-33
chofes allez fortes , qui déplurent fans doute aux Guifes. -——..*—
Enfin Coligni opina à fon rang. Il parla des requêtes qu'il FrANç0is
avoit prcfentées au Roi,ôc ajouta, qu'ayant demandé à ceux jj
qui les lui avoient données, qu'ils euffent à les ligner, ils lui j <* ^0t
avoient répondu, que plus de cinquante mille hommes y fouf-
criroientjs'il étoitnéceffaire. Il dit encore, qu'il importoit ex-
trêmement que le Prince fût aimé de fes fujets, & qu'il ne
connoiffoit rien de plus funefte pour un Roi , que de craindre
fes peuples , ôc d'en être craint : Qu'on avoit pris un mauvais
parti , en faifant élever un jeune Roi dans une continuelle dé-
fiance des liens, ôc en lui donnant des troupes pour le gar-
der : Que cette pompe terrible éteignoitpeu à peu l'amour dans
le cœur des hommes , Ôc y faifoit place à la haine ; que le Roi
devoit plutôt apprendre des Princes de fon fang, qu'un em-
pire foutenu par la terreur n'eft jamais durable, ôc que l'obéïf-
îance fe relâche infenfiblement, quand on cherche tout autre ap-
pui que celui des- anciennes loix. Enfin il conclut , qu'il falloit
trouver quelques moyens convenables pour bannir les erreurs
de la maifon de Dieu , ôter les gardes qu'on avoit donnez au
Roi, ôc afTemblerau plutôt les Etats,
Le duc de Guife , qui depuis long-tems redoutoit le ca-
ractère de Coligni , s'attacha à réfuter fon avis. Il dit que te Roi
élevé fous les yeux de la Reine mère , Princefle aufîl fage qu'ha-
bile, donnoit les plus grandes efperances d'un règne heureux*
que foutiendroient de vertueufes maximes , Ôc non la crainte
ni la haine ; mais que les factions des rnéchans avoient amené
les chofes à ce point, qu'il avoit été néceflaire de donner des
gardes au Roi , pour mettre fon augufte perfonne en fureté con-
tre les entreprifes des rebelles; qu'on ne pouvoir douter, quoi-
qu'en diflent des hommes pleins de maîice.quela dernière conf-
piration n'eût été formée contre la majefté du Prince > ôc non
contre fes miniftres : Que pour ce qui étoit de la Religion , il
s'en rapportoit aux perlonnes plus habiles que lui fur ces ma-
tières ; mais qu'après tout aucun Concile ne pourroit lui faire
abandonner la Religion de fes pères > fur-tout par rapport au
plusfaint de nosmyfteres; ôc que pour ce qui étoit de la con-
vocation des Etats, il fe conformerok en tout à la volonté
du Roi.
Le cardinal de Lorraine parla le dernier, ôc ayant déclamé
Xxx iij
m HISTOIRE
. avec force contre les requêtes préfentées par l'Amiral , il dit
François (\uq cet ^cr*t * conÇu en apparence en termes refpectueux
jj ôc mefurez , étoit en effet infolent & féditieux , & faifoit voir
i ? 60. clue cesgens ^ feroient obé'ïïfans ôc fournis, fi le Roi vouloit
autorifer leurs mauvais fentimens. Que veut dire autre chofe,
ajoûta-t-il , cet avis audacieux qu'on donne au Roi , qu'ils font
prêts à foufcrire leur requête , au nombre de cinquante mille
hommes ? Leur donner des temples , ne feroit-ce pas approu-
ver leur doctrine déjà condamnée? Le Cardinal dit encore,qu'on
voyoit quels étoient leurs deffeins par leurs libelles répandus
partout, dont il avoit plufieurs exemplaires qu'il gardoit avec
loin , tenant à honneur de fe voir déchirer par les fatires de
ces médians : Que rien n'étoit plus dangereux qu'une fauffe
Religion, qui fe couvre du nom de l'Evangile ôc de la foi;
pour exciter des troubles, Ôc qu'il étoit d'avis qu'on punît fé-
vérement ces fortes de perfonnes : Que du refte il convenoit
de traiter avec douceur ceux qui s'aflembloient fans armes >
Ôc pour fatisfaire feulement à des devoirs de pieté, ôc qu'il fal-
loit les faire rentrer dans le fein de l'Eglife , moins par violen-
ce que par des avis falutaires : Que pour lui il facrifieroit vo-
lontiers fa vie à un emploi auffi faint ; que les Evêques ôc les
Curez dévoient faire tous leurs efforts pour guérir, par leurs
foins ôc par leur préfençe , les maux que leur négligence avoit
caufez ; qu'il falloit obliger les Gouverneurs des provinces à
faire leur devoir : Que du refte ne s'agiffant que de corriger
les mœurs , Ôc de faire régner une exa&e difcipline , l'affem-
blée d'un Concile foituniverfeh foit national, lui paroiffoit peu
néceflaire j que cependant il falloit enjoindre aux Evêques Ôc
aux Curez , d'avertir le Roi dans deux mois des erreurs qu'il
faudrok réformer, afin que ce Prince jugeât, s'il étoit utile de
convoquer un Concile; que du refte il confentoit à la tenue
des Etats généraux.
Les Chevaliers de l'Ordre furent tous de l'avis du Cardi-
nal. Le Roi ôc la Reine-mere remercièrent l'affemblée , ôc
l'affurerent qu'ils fuivroient fes confeils. On donna un Edit en
conféquence en datte du 26 Août, qui indiquoit pour le 10
de Décembre la tenue des Etats du Royaume à Meaux. Il
pQrtoit de plus , que fi l'on ne pouvoit obtenir fi-tôt un Con-
cile œcuménique, on en convoqueroit un de la Nation 3 que
DE J. A. DE THOU, Liv. XXV. m
le Pape avoit promis un Concile général 5 mais que les Eve- 1 1, 1 *
ques ne Jaifleroient pas de fe trouver le 10 de Janvier en un pRANCOis
lieu que le Roi leur marqueroit, pour délibérer de la manière jj*
de tenir un Svnode national , fi les délais du S. Siège ôtoient , .. * ~
toute eiperance d en voir un gênerai 5 que chacun eut a le re-
tirer chez foi jufqu'à nouvel ordre t afin de fe préparer pour
cette affemblée, lorfqu'il s'agiroit de la tenir : qu'on fufpendoit
quant-à-prefent la punition des Sectaires ; mais que le Roi fe
refervoit , ôc à fes Juges , le droit de châtier févérement ceux
qui avoient armé les peuples , ôc allumé des féditions. C'eft
ainfi que la Religion Proteftante jufque-là fi odieufe , com-
mença à être tolérée ôc comme approuvée , du confentement
tacite de fes ennemis mêmes.
Alors on diftribua la cavalerie par tout le Royaume , Ôc en
différents Gouvernemens ; enforte que ceux qui étoient fufpetls
furent détachez de leurs corps , ôc fervirent avec d'autres trou-
pes bien intentionnées , ôc plus fortes en nombre. Le duc de
Montpenfier fut envoyé en Touraine , dont il étoit Gouver-
neur, ôc il eut le commandement des enfeignes de Vafle ôc
de Gonor, ôc de la gendarmerie Ecoflbife. Le prince de la
Roche-fur-Yon, gouverneur d'Orléans, eut ordre de s'y ren-
dre, Ôc on lui donna les gendarmes d'Orléans, de la Trimouille,
ôc du Vidamede Chartres. Le duc de Nevers , gouverneur de
Champagne Ôc de Brie , partit pour Troyes avec fa compa-
gnie d'ordonnance, ôc celles du prince de Condé, de Fran-
çois d'Efte , de la Roche-du-Maine , Ôc de Beauvais. Le maré-
chal de Montmorenci eut ordre de demeurer dans fon gouver-
nement del'Iile de France, avec fa compagnie de cavalerie, ôc
celle du Connétable fon père, parce que les Guifes s qui avoient
le fouverain commandement, demeurant à Paris, il n'y avoit rien
à craindre. S. André fut envoyé à Moulins en Bourbonnois ,
ayant à fes ordres les compagnies de Damville , deBourdillon,
de la Fayette , du comte de Villars , Ôc de Montluc. On mit
fous Brifîac, gouverneur de Picardie ,les enfeignes de Senar-
pont, d'Humieres, de Chaunes ôc de Hangeft Genlis. De Ther-
mes fut laiffé à Loches en Touraine, pour obferver, à ce qu'on
difoit , la conduite du duc de Montpenfier. Il eut outre fa
compagnie, celles du prince de Navarre, de Sanfac, du comte
jde la Rochefoucaut, de Randan fon frère, de Chabot comte
H* HISTOIRE
*!_______■ de Chat ny , de Dailion du Lude , ôc de d'Efcars-la-Vauguyon.
François Villebon alla commander en baffe-Normandie , avec les corn-
II * pagnies du marquis d'Elbeuf , d' Annebaut, ôc de la Meilleraye.
j ç ^ Enfin Vieille-ville ' demeura à Rouen, avec les enfeignes de
l'amiral de Coligni, Ôc d'Etrées.
On avoir arrêré peu auparavanr , par Tordre des Guifes , la
Sague , dont nous avons parlé ci-defîus > 6c on lui avoir pris
plufieurs lettres , dont il étoit chargé pour le roi de Navarre.
Ce qui occafionnala refolution que prit la Cour, de hâter la
perte du prince de Condé. La Sague étant venu à Fontaine-
bleau , y avoit trouvé un officier, nommé Banne ou Bonval a
avec qui il avoir fervi , Ôc qui étant à Cafal dans le Montfer-
rat , avoit eu l'emploi de premier Capitaine. La Sague dit à
Bonval, que la Roche, enfeigne d'une compagnie des gardes
en Piémont , lui avoit donné avis, que, lui Bonval, avçit été
maltraité des Guifes,qu'il fe donneroit volontiers au roi de Na-
varre , ôc qu'il n'auroit pas de peine à l'emmener avec lui en
Guyenne. Bonval paroilTant convenir de ce que lui difoit la
Sague , celui-ci lui fît de grandes confidences , ôc lui raconta
tout ce qu'il avoit oui dire aux Princes fes maîtres , ôc même
plus qu'il n'en fçavoit ; ajoutant qu'ils reflentoient vivement
les injures reçues des Guifes , ôc qu'ils fe preparoient à la ven-
gence ; qu'ils avoient (i bien pris leurs mefures , que toute la
puiffance des Guifes , ni celle du Roi , ne les pourroient garan-
tir du péril donr ils étoient menacez. Bonval ayant raporté tout
cela au comte de BrifTac , qui avoit été fon général, ce Seigneur
le préfenta au duc de Guife, qui lui ordonna d'entretenir tou-
jours les mêmes liaifons avec la Sague , ôc de le faire connoî-
tre à du Croc échanfon de la Reine. A peine la Sague fut il
parti de Fontainebleau , que du Croc courut après lui. L'ayant
atteint à Etampes , il l'arrêta , ôc le livra aux Guifes avec un
grand nombre de lettres , dont il étoit porteur. Il y en avoit
plufieurs des Montmorencis adreflées aux Princes. Les Gui-
fes, qui cherchoient depuis longtems Foccalionde perdre ces
Seigneurs dans l'efprit du Roi , euiTent bien voulu y trouver
ce qu'ils fouhaitoient. Mais ces lettres étoient de limples corn-
plimens , Ôc les plus mal intentionnez neuffent pu les çmpoir
fonner.
j II fut depuis maréchal de France.
Les
DE J. A. DE THOU,Liv. XXV. frt
Les lettres du vidame de Chartres an prince de Condé ,
ieiK donnèrent plus d'allarme. Car elles étoient écrites enter- t7d»x^^tc
, . r r r , D • i • a.. -i FRANÇOIS
mes équivoques s eniort-e que 11 le rrince les avoit reçues , il
eût pu en comprendre le fens ; mais elles en préfentoient un J
autre à ceux qui les avoient interceptées. Le Vidame ofTroit fes
fervices au Prince, s'il entreprenoit quelque chofe pour l'in-
térêt du Roi. Dès que le duc de Guife eut lu ces lettres , il
commanda à Raffin-Poton fénéchal d'Agenois , 6c capitaine
de la garde du Roi , de fe rendre à Paris avec le Prévôt de
l'Hôtel , de faire part de fes ordres au préildent Chriftophle Le vidame
de Thou . ôc d'arrêter le Vidame. Ce qui ayant été exécuté t dc. Chartres
il fut conduit à la Bafiille le 27 d Août. La bague oc Bonval Baftille.
avoient été interrogez féparément , Ôc comme ils ne conve-
noient pas des mêmes chofes , on jugea à propos de les con-
fronter l'un à l'autre. La Sague perliftant à nier ce que Bon-
val lui foûtenoit avoir appris de lui , il fut appliqué à la ques-
tion. Cet homme , à la vue des tourmens qu'on lui préparoit ,
avoua tout , difant ce qu'il fçavoit , ôc ce qu'il conjetturoit
feulement. Il confelTa que le roi de Navarre ôc le prince de
Condé fe préparoient à venir à la Cour avec de nombreufes
troupes , ôc qu'ils avoient defTein de prendre fur la route Poi-
tiers , Tours ôc Orléans, villes qui leur étoient affectionnées »
que le connétable de Montmorenci , qui étoit à la tête de l'en-
treprife , devoit fe rendre maître de Paris par le moyen du Duc
fon fils, qui en étoit Gouverneur j que Senarpont ôc Boucha-
vannes dévoient s'alTurer de la Picardie , Jean de la Brofle-
d'Etampes , de la Bretagne, ôc Claude de Savoye comte de
Tende , beau-frere du connétable , de la Provence. La Sague
dit encore , que Montmorenci devoit foulever , par fes créatu-
res ôc fes amis , les autres provinces du Royaume ; ôc que le
defTein de tous étoit d'expulfer les princes de Guife , ôc de main-
tenir la liberté publique ; qu'enfin tous les Gentilshommes s'é-
toient unis pour obliger les princes Lorrains à quitter le mi-
niftere. La Sague parloit auill de certains ordres ambigus don-
nez par les Princes , qui fembloient annoncer une révolution
dans l'Etat. Orléans devoit être , à ce qu'il difoit , comme la
place d'armes des Fatlieux.
Au refte Bonval faifant réflexion qu'il s'étoit engagé dans
une affaire délicate , ôc qu'il auroit peine à échaper en France
Tom. III. Yyy
T3S HISTOIRE
, à la vengence des Princes ; fongea à s'aflurer une retraite hors
p, du Royaume. Il fe joua en même tems par une perfidie infi-
TT ' êne °-u ^uc ^e Guife > & d'un nommé Garigni , avec qui il
* avoit long-tems porté les armes. Celui-ci étoit gouverneur de
' { Verfol , château de la principauté de Saluffes , fitué entre Car-
magnole ôc le Mont-Cenis , où il n'avoit qu'une foible garni-
fon. Il étoit depuis long-tems ami particulier de Bonval, Ôc il
lui avoit confié fou blanc-feing , pour recevoir à la Cour les
appointemens qui lui étoient dûs. Bonval rit de ce papier un
ufage que Garigni n'auroit pas prévu. Il en remplit le vuide
d'une lettre , que fon ami fembloit écrire au duc de Guife >
pour le fupplier de nommer à fon gouvernement Bonval fon
ancien camarade, ôc de lui en faire expédier les provifions. Le
Duc confentit volontiers à cette propofition , qui le délivroit
de la préfence d'un homme , à qui il devoit une grande récom-
penfe. Aufïi-tôt Bonval part en pofte pour le Piémont , ayant
levé fécrétement quelques troupes , fous prétexte qu'il avoit
des ennemis , ôc fe rend à Verfol, un jour que Garigni n'y étoit
pas. Ayant été bien reçu de la femme du Gouverneur , qui
ne fe défioit point de ce traitre, il chafiTe la garnifon , ôc fe rend
maître de la place. Le duc de Guife ayant appris cette perfi-
die , jugea à propos de la difîimuler pour un tems , ôc enga-
gea Garigni à fe taire , en lui faifant de grandes promeffes.
Mais le perfide Bonval hâta fa perte , en voulant l'éviter. Car
il fut tué peu après à Ravel par des hommes inconnus , en-
voyez ( à ce que crurent quelques-uns ) par le prince de Condé,
ou plutôt par Garigni , pour fe venger d'une injure particu-
lière qu'il avoit reçue ? ce qui eft plus vrai-femblable.
Quatre jours après qu'on eût arrêté la Sague, d'Achon ab-
bé de Savigni, qui étoit lieutenant de Roi de Lyon t fous le
maréchal de S. André fon oncle , écrivit à la Cour qu'on avoit
voulu furprendre cette ville-là. Ferrieres-Maligni , dont j'ai
parlé ci-devant , s'étant échapé de la Cour , s'étoit retiré en Pro-
vence , ôc y avoit levé des troupes. Il avoit fait entrer à Lyon
plufieurs de fes gens, Ôc s'étant ménagé des intelligences dans
la ville , il fe voyoit fur le point de s'en rendre le maître. Les
chofes étant en cet état , il reçut des lettres du roi de Navarre ,
qui lui défendoit de rien entreprendre. Le Connétable venoit
d'écrire à ce Prince de fe rendre à la Cour, ôc de ne pluspenfer
D E J. A. D E T H O U , L i v. XXV. fw
à s'emparer d'aucune ville : il lui manda que cela feroit de mau- t. _ _ .,, _, _w
vais exemple , ôc n'auroit pas l'approbation publique j qu'un t?DaX7_~t»
rince, qui le plaignoit d une adminiltration uiurpee contre
les loix de l'Etat, ne devoit pas troubler la tranquillité générale, ' sQ
en faifant des attes d'hoftilité dans les provinces. Ces fages avis
engagèrent ce Prince à arrêter les defleins de Maîigni , qui de-
meura tranquille , fans néanmoins congédier fes troupes ; fai-
fant efpérer à fes amis quelque occafion plus heureufe. Mais
le hazard le força , pour ainli dire' , à exécuter le projet qu'il
avoit abandonné. Car pendant que des maifons où logeoient
les Conjurez on portoit leurs armes en un certain lieu , les
porte-faix , dont ils s'étoient fervis , en avertirent Proti com-
mandant de la ville , qui par l'ordre de d'Achon , environna
avec trois cens arquebufiers cet endroit où étoient poftez
trente hommes choifis. Maligni , qui étoit couché dans une
maifon voifine , s'éveille au bruit , ôc accourt pour fecourir
les liens. Il" foûtient non-feulement l'attaque des ennemis ,
mais il les repoufle même , ôc en ayant blelTé un grand nom-
bre, il fe rend maître , avec foixante hommes , du pont qui eft
fur la Saône , ôc de la partie de la ville qui eft entre cette ri-
vière ôc le Rhône. Maligni attendit long-tems fes compagnons
répandus dans les divers quartiers de la ville. Mais voyant
qu'aucun ne venoit à fon fecours , il fortit par les portes de la
ville, qui lui furent ouvertes par l'ordre de d'Achon , lequel
incertain de l'avenir , ne vouloit pas abandonner une ville Ci
opulente au hazard d'un combat. On prit quelques Conjurez
qu'on appliqua à la queftion. Les uns en dirent plus qu'on
ne leur en demandoit. Les autres fournirent les tourmens ,
{ans rien confeffer. Aufïi-tôt d'Achon , pour prévenir de pa-
reilles allarmes , fit venir Gondrin ôc Maugiron avec leurs
troupes. Cet Abbé obtint peu de tems après l'archevêché d'Ar-
les, qu'il fouhaitoit depuis long-tems , foit par la faveur du ma-
réchal de S. André fon oncle > foit pour s'être bien comporté-
dans l'affaire dont je viens de parler.
. Au refte S. André , aufïi avide du bien d'autrui que prodi-
gue du fien , crut que l'entreprife de Lyon lui préfentoit une
occafion favorable pour amaffer de grandes ricneffes. 11 pro-
pofa à la Reine-mere, ôc aux Guifes d'aller à Lyon, pour y
découvrir le fecret de la conjuration tramée par les deux Princes,
Y y y ij
MBMM
y4° HISTOIRE
Ce qu'ayant obtenu, il employa , mais inutilement, les me-
naces ôc les paroles artificieufes , pour obliger les bourgeois h
rançc » ju- donner cent mille écus d'or. Enfuite attaquant les par-
ticuliers , il fit de grandes vexations , par le moyen de certains
IL
i j o ex jUges qUj lui étoient dévouez , ôc de quelques témoins qu'on
avoit corrompus. Les l Changys frères furent du nombre de
ces innocens perfécutez , aufîi bien que la Borde créature du
prince de Condé, quifouffrit une queftion rigoureufe , fans rien
dire , qui pût porter préjudice à fon maître. Enfuite S. André fe
fit autoiïfer par un ordre du Roi , afin de pourfuivre les rebelles
en Provence , en Dauphiné , Ôc dans le bas Languedoc. On
donna le même pouvoir à d'Aumale frère du duc deGuife, ÔC
aux maréchaux de BrifTac ôc de Thermes. Cependant le bruit
des mouvemens excitez dans tout le Royaume fit que le Roi
quitta Fontainebleau , ôc vint demeurera S. Germain , com-
me en un lieu où fa perfonne feroit plus en fûrêté. Ce fut là
que le cardinal de Châtillon 6c l'amiral de Coligni vinrent
trouver la Reine-mere , pour la prier de leur permettre d'é-
crire à la douairière de Roye leur fœur , ôc belle-mere du
prince de Condé, ôc d'avertir cette Dame des crimes qu'on
imputoit à fon gendre. Le Roi venoit d'envoyer Antoine
comte de Cruflbl au roi de Navarre, pour l'engager à venir à
la Cour , ôc à y amener le prince de Condé , avec afïurance
qu'il n'arriveroit rien de fâcheux à ce dernier. Les Colignis
dirent encore à Catherine , que la douairière de Roye étoitper-
fuadée de l'innocence du Prince , mais qu'il importait à fa répu-
tation d'être pleinement juftifié, ôc qu'ainfi ils manderoient à
leur fœur d'engager le Prince de venir inceflamment àlaCour.
Cette Dame leur fit une réponfe , qu'ils communiquèrent à la
Reine-mere. Elle difoit qu elle ne doutoit nullement de l'in-
nocence du Prince i mais qu'il y avoit bien des inconveniens
pour lui à venir en un lieu , où, les Guifes fes ennemis avoient
un pouvoir abfolu.
Les Colignis ayant pris congé de la Reine-mere , quittèrent
îa Cour. Cette Princefle étant alors dans fa maifon de Mon-
ceaux , reçut des lettres de la dame de Roye, qui lui mandoit *
i L'Editeur au lieu des Changys frères,
a mis dans le texte les St. Chaumont
Jàreres. Ce qui eft contraire à Thiftoire ;
car ce fut au contraire St. Chaumont,
qui prit à Lyon les Changys fes coufïns»
comme l'auteur va le dire bien-tôt.
DE J. A. DE THOU , Liv. XXV. fip
que le Prince fe rendroit à la Cour , fi le Roi le lui comman-
dent i mais qu'elle lafupplioit de ne pas trouver étrange, qu'ar- jrRANCois
rivant en un lieu où fes plus cruels ennemis avoient tout pou- \ \
voir , il y vînt avec fes amis. La Reine-mere, piquée de ces x ç <5q,
lettres , fit réponfe , que perfonne en France n'étoit en droit
d'approcher le Roi qu'avec fa fuite ordinaire 5 & que file Prince
de Condé venoit à la Cour avec un cortège nombreux , il trou-
veroit le Roi encore mieux accompagné. Cependant le pré-
vôt de l'Hôtel arrêta par ordre du Roi , ôc conduifit à S. Ger-
main , Robert de la Haye confeiller au parlement de Paris ,
qu'on croyoit ne pas ignorer les defieins du prince de Con-
dé. On avoir pris aufli quelques jours auparavant Barbançon
de Cani , dans fon château de Varanne fitué fur FOife près
Noyon. Il étoit foupçonné d'avoir fait un amas d'armes dans
fa maifon. Cependant , après une exacte recherche , on ne
trouva chez lui que des armes à fon ufage. Il fut laiffé en la
garde de Hangeft de Genlis , qui fe fit fa caution. On publia
en même tems un ordre du Roi , qui défendoit à tout Prince ,
ôc à toute autre perfonne , de faire des levées d'hommes ôc d'ar-
gent , ni d'acheter des chevaux , fous peine d'être pourfuivis
comme criminels de leze-majerté. Le cardinal de Bourbon , frè-
re du roi de Navarre & du prince de Condé , fut envoyé par
la Cour vers ces Princes, pour les engager à fe rendre auprès
du Roi, qui leur donnoit fa parole royale , qu'on ne leur feroit
aucun mauvais traitement. Les Guifes fe perfuaderent que les
Princes prendroient plus volontiers confiance aux difeours du?
Cardinal leur frère. En même tems on ordonna des prières
publiques , pour demander à Dieu la fanté du Roi , la tran-
quillité de l'Etat , & que le Concile qu'on alloit tenir produi-
fit d'heureux effets. Déplus, on convoqua à Orléans YdBsat*
blée des Etats , qui avoit été indiquée à Meaux» De Thermes
fut envoyé à Poitiers avec deux cens gendarmes , pour s'oppo-
fer aux tentatives que le roi de Navarre pourroit faire en paffant
par cette ville.
Cependant la Sague , ou gagné par les promeffes qu'on lui
avoit faites de lui pardonner , ou voyant que fon filence lui
feroit plus préjudiciable qu'utile , avertit les Guifes le 25" de
Septembre , de mettre dans feau l'enveloppe , qui enfermort
les lettres du vidame de Chartres , ôc qu'ils verroient par là
Yyynj:
U2 H I S T O I R E
les ordres que lui avoit donnez pour le prince de Condé,Fre-
Fkancois uiin-d'Ardoy Gafcon , fécretaire du Connétable, & créature du
I j roi de Navarre, ôc qu'ils apprendrotent d'ailleurs plufieurs parti-
{ . ^ 0 cularitez importantes. Cette enveloppe > que l'Aubefpine avoit
gardée , ayant été trempée dans l'eau , on y vit les deffeins vio*-
lens que l'on prenoit contre les Guifes. D'Ardoy y avoit
écrit de fa main , que Montmorenci étoit toujours dans le fen-
timent de faire périr les princes Lorrains , Ôc qu'il efpéroit que
les Etats, qu'on alloitafTembler, l'ordonneroient malgré le Roi
ôc la Reine-mere > qu'ils fe hâtafTent de venir à la Cour , pour,
foûtenir leurs amis par leur préfence. D'Ardoy ajoûtoit que le
deflfein du Connétable paroiflbit à plufieurs peu fur , ôc mal
concerté j 6c qu'il valoit mieux que les Princes attaquaient les
Guifes à force ouverte , dès qu'ils feroient arrivez à la Cour s
que bien des perfonnes fe joindroient à eux , ôc que le Con-
nétable ôc fes créatures, à qui les plus braves officiers étoient
dévouez , ne manqueroient pas de féconder leur entreprife.
Le vidame de Chartres , prifonnier à la Baftille , étoit traité
avec une grande rigueur. On refufa à Jeanne d'EftilTac fa fem-
me de le voir , quoi qu'elle voulût s'enfermer avec lui. On
demanda au Vidame ce qu'il vouloit dire par fes lettres , lorf-
qu'il offroit fes fervices au prince de Coudé , s'il entreprenoit
quelque chofe pour le Roi. Il répondit que fes lettres prou-
voient fon innocence, ôc faifoient voir qu'il rejettoit tous au-
tres deffeins , que ceux qui concernoient les intérêts du Roi ;
qu'il étoit le parent ôc l'ami des princes de Guife ; mais qu'il
étoit encore plus attaché aux Princes du fang royal, comme il
y étoit obligé ; ôc que lî le duc de Guife avoit quelque démêlé
avec le roi de Navarre , ôc le prince de Condé , il étoit difpo-
fé à expofer pour eux fes biens ôc fa vie. Cependant le Vida-
me, qui craignoit qu'on n'informât de fes moeurs, ôc qu'on ne
lui fît un crime des defordres de fa jeunefie , préfenta , par le
confeil de fes amis , une requête au Chapitre de l'ordre de S,
Michel le 28 de Septembre, jour qui précède celui de la fête,
que les Chevaliers célèbrent avec de grandes cérémonies. II
repréfentoit à fes confrères fa mauvaife famé , qui fuccombe-
roit infailliblement fous l'ennui ôc les procédures d'un long
procès ; les fuppliant de vouloir bien décider, eux qui étoient
tes juges naturels fuivant les privilèges de l'Ordre, s'il avoit
DE J. A. DE THOU, Liv, XXV. f*j
fait quelque chofe contre le Roi , qui méritât qu'on lui otât le
collier dont il étoit revêtu. François
Le cardinal de Lorraine, chancelier de l'Ordre, ayant lîi j j "
cette requête dans le Chapitre, le Connétable , comme le plus x ç <5 q,
ancien Chevalier , opina le premier, ôc fut d'avis que la grâce
que demandoir le Vidame , devoit être accordée à fon illuftre
nailTance , à fes alliances avec les Princes du fang , ôc avec la
maifon de Montmorenci , dont lui qui en étoit le chef, avoit
î'honneur d'être doyen du Chapitre , ôc enfin aux privilèges
de l'Ordre. Il blâma auffi l'irrégularité des procédures faites
Contre le Vidame. Il y eut en cette occaiion des difeours fort
vifs de part ôc d'autre : le cardinal de Lorraine, qui crut qu'en
blâmant la forme du procès du Vidame , on avoit voulu l'at-
taquer perfonnellement , s'emporta extrêmement. Mais le duc
de Guife , qui fe piquoit de modération ôc de douceur , cal-
ma fa colère. Enfin il confentit à maintenir la dignité ôc les pré-
rogatives de l'Ordre, ôc à retenir le procès du Vidame. Le
lendemain, jour de S. Michel, on élut dix-huit nouveaux Che-
valiers , tous amis ôc créatures des Guifes , comme il étoit arri-
vé l'année précédente. Le Connétable ne vit qu'avec douleur,
qu'un Ordre, autrefois Ci illuftre, fut fi indignement avili. « Quel
« honneur, difoit-il , pourra-t'on conférer à l'avenir aux Prin-
» ces, ôc aux plus fameux Capitaines , fi on accorde , au gré de
* ceux qui gouvernent , ôc fans égard à la naiffance ni au me-
=» rite , ce qu'on ne donnoit autrefois qu'aux Seigneurs des
» plus illuftres maifons , qui joignoient à un grand nom de
* plus grandes vertus ? » Corneille Bentivogîio fut du nom-
bre des Chevaliers de cette promotion. Il s'étoit diftingué dans
les guerres de Tofcane ; mais l'honneur qu'on lui faifoit, ne
pouvoit que déplaire aux princes de la maifon de Bourbon.
Car on difoit , que c'étoit lui qui avoit tué à la Rocheguyon3
par ordre du duc de Guife ôc du maréchal de S. André ,
le prince d'Anguien , en faifant tomber un coffre fur IuL * *V. Iafinth}
Au moins les ennemis des Guifes le publioient ainfi. Mais il
s'en étoit juftifié auprès du roi de Navarre , frère du prince
d'Anguien, alléguant que ce malheur étoit arrivé fans deffeiii,
ôc par le peu de précaution de quelques jeunes gens qui badi-
noient.
Cependant le nombre des Proteftans augmentait en Franc*
',&
5-44 HISTOIRE
. tous les jours , ôc leur audace croiffant en même tems , ils te-
p noient leurs aflemblées en tous lieux. Pierre Brûlé né à Metz,
tt' ayant enfeigné long-tems la nouvelle Doctrine à Valence en
J Dauphiné , avoit eu pour fucceffeur Gille Saulas de Mont-
pellier, fous lequel les nouveautez avoient fait de fi grands pro-
grès , que les miniftres Proteftans faifoient la nuit leurs fermons
dans les écoles publiques. Lancelot , gentilhomme Angevin ,
étoit venu après Saulas , & avoit augmenté confidérablement
le nombre des Religionnaires. Ceux-ci , que la crainte des loix
avoit rendu d'abord modeftes ôc circonfpe£ts , fe portèrent en-
fuite avec infolence aux derniers excès. Ayant feduit un grand
nombre d'écoliers , que l'étude du droit attiroit dans l'uni-
verfité de Valence , ces jeunes gens, moins par un motif de
pieté , que pouffez par les charmes de la nouveauté , s'empa-
rèrent de Fégiife des Cordeliers, ôc y allèrent entendre les fer-
mons des miniftres. Ils avoient pour chefs un nommé de Quint,
qui avoit fervi dans les guerres de Piémont en qualité de capi-
taine , Mirabel fon ami , ôc quelques autres Gentilshommes.
Les Proteftans de Montelimar , que Bouriac leur magiftrat fa-
vorifoit en fecret , n'eurent pas plus de retenue. Ils fe voy oient
foûtenus par plufieurs Gentilshommes du payis. De Comps ,
Charle Dupuy-Montbrun , Albert Pape-S.-Auban , dont j'ai
parlé ci-deffus dans la guerre de Sienne, la Charité, Condor-
cet, Nicaze ôc Suzet, étoient de ce nombre, aufTi-bien que
quelques Officiers. Un certain Moine , nommé Tempefte } qui,
fans quitter fon froc , avoit embraffé la nouvelle Religion , prê-
choit publiquement , aufïi-bien que François de S. Paul, théolo-
gien d'une grande réputation chez les Proteftans. Ceux-ci ofé-
rent s'alTembler dans la grande égîife de Romans , fituée dans
l'endroit de la ville le plus élevé. Ils étoient foûtenus par les
Changys, ôc faifant leurs prières les armes à la main , ils inful-
toient les Catholiques. Après le tumulte d'Amboife ,1a Cour
envoya à Bouriac , lieutenant civil du comté de Valence , des
Lettres patentes , portant amniftie générale du pafTé , pourvu,
qu'on rentrât dans le fein de l'Eglife. Montluc évêque de
Valence écrivit à fes diocéfains fur le même fujet.
Les lettres du Roi ayant été lues à Valence en préfence de
tous les Ordres de la ville, Bouriac parla avec de grands élo-
ges de la clémence du Roi , ôc exhorta les alîiftans à lui obéïr ,
ôc
DE J. A. DE THOU, Liv. XXV. ftf
èc à faire des vœux pour fa confervation : puis fe tournant
vers l'affemblée > il demanda , s'ils étoient difpofez à vouloir j7~
profiter de la grâce du Prince. Mirabel ayant dit que fescom- jt- 5
pagnons ôc lui ne faifoient rien qu'après avoir invoqué le *
nom du Seigneur , il fît figne, du confentement de Bouriacà '
un nommé Saillans , que les Proteftans nommoient Diacre par-
mi eux. Celui-ci ayant commencé la prière, tous fe mirent à
genoux , Proteftans ôc Catholiques , ces derniers n'ofant faire
autrement. Il n'y eut que les Ecclefiaftiques , qui n'ayant pas
fait de même , furent expofez à la rifée ôc aux infultes du peu-
ple. Les Proteftans Huguenots ayant fini leur prière , dirent
qu'ils feroient toujours fidèles fujers du Roi j mais ils ajoutèrent
qu'ils étoient étonnez de la grâce qu'on leur accordoit par les
Lettres patentes > qu'ils n'avoient confpiré ni contre le Roi ,'rii
contre l'Etat j qu'ils avoient fouhaité feulement d'avoir la li-
berté de confcience > ôc que dans cette vue ils avoient établi
des affemblées légitimes : qu'au refte ils avoient toujours pro-
curé , autant qu'ils avoient pu , la tranquillité publique, ôcprié
pour le Roi dans leurs affemblées : que s'ils avoient pris les
armes , ç'avoit été pour fe défendre de leurs ennemis , ôc non
pour exciter des troubles; ôc qu'ainfi ils n'avoient pas befoin
d'amniftie. C'eft ainfi que ces peuples fe moquèrent du duc de
Guife , ôc que la Religion nouvelle s'établit dans le Dauphi-
né, du confentement, en quelque forte , du premier Juge. Le
duc de Guife , gouverneur de la province , fut irrité au der-
nier point de ce qui venoit d'arriver. Croyant qu'Antoine de
Clermont-Taîard lieutenant général du Dauphiné , feigneur
d'un efprit doux ôc modéré , s'étoit conduit en cette occafion
avec trop de foibleffe , il chargea Laurent de Maugiron, cour-
tifan délié, ôc dévoué à fes volontez , d'aller en Dauphiné , ôc
d'y foûtenir la dignité du Roi , en veillant à la fureté du payis.
Maugiron mena avec lui Vinai homme rufé, pour le féconder
dans fes deffeins.
Vinai avoit été très bien élevé dans fa jeuneffe , Ôc avoitfait
des progrès dans les belles lettres. Ses mœurs , qui s'étoient cor-
rompues dans la débauche , Tavoient lié d'amitié avec Maugi-
ron par le même goût des plaifirs. Il fe trouvoit fouvent avec
les Proteftans , ôc les flattoit par de grandes efpérances. Mau-
giron , qu'il avertiffoit de tous leurs deffeins , affembla à la hâte
Tom, III, , Zzz
François
546 HISTOIRE
quelques troupes à Vienne , ôc fit venir de Lyon plufieurs fce-
lerats , braves ôc déterminez , qu'il fit embarquer fur le Rhône,
ainçuij» pQur (jefcendi-e a Valence. Cela ne le pût faire fi fecrette-
ment , que les Proteftans, qui heureufement en eurent avis , ne
i y o o. fe retira(fent (jans 1 eglife des Cordeliers , bien réfolus defe dé-
fendre, ayant à leur tête Mirabel ôc Quintel. Maugiron fut
reçu avec de grands honneurs par les Echevins ôc les Prêtres
de la ville. Il avoit préparé toutes chofes avec beaucoup de
prévoyance. Vinai avoit fait porter du canon , de la poudre,
ôc les autres munitions de guerre dans l'églife de S. Apolli-
naire. Mais comme on n'étoit pas affuré de reùflir par la for-
ce , Maugiron demanda à conférer avec Mirabel , ôc dit à ce
chef, dans l'entre vue qu'il eut avec lui , que s'ils ne s'étoient
aflfemblez que pour l'exercice de leur Religion , ils dévoient
mettre bas les armes : que depuis le tumulte d'Amboife, le
Roi regardoit avec raifon comme fufpetts ceux de fes fujets,
qui étoient armez : qu'il leur donnoit fa parole au nom du
Roi , qu'on n'inquieteroit perfonne fur l'exercice public de
fa Religion, ôc que telle étoit la volonté du Prince. Enfuite,
pour s'attirer leur confiance, il déclama contre le Pape; en-
forte que plufieurs , qui étoient venus des environs de la ville
au fecours des Proteftans prirent la refolution de s'en retourner
chez eux, croyant qu'il n'y avoit plus rien à craindre, ôc fe con-
fiant à Vinai , qu'ils s'imaginoient favorifer leur parti. Il n'y avoit
plus dans la ville , que les écoliers , qui voyant toutes chofes
tranquilles , fe retirèrent dans leurs maifons. Alors Maugiron
fe rend maître des portes , ôc ayant pofé des corps de garde
en differens quartiers , fe prépare au pillage. Plufieurs habitans
ayant été faits prifonniers , fe rachetèrent à prix d'argent. On
commit de grandes violences , comme dans une ville conquife.
Aufli-tôt on vit arriver du Piémont , fuivant les ordres qu'a-
voit donnez le duc deGuife, dix-fept enfeignes de vieux fol-
dats , ôc Gafpard de Saulx-Tavanes avec fa compagnie de gen-
darmes , ôc celles de Clermont ôc du prince de Salerne. En
même tems Truchon , premier préfident du parlement de Dau-
phiné , fe rendit à Valence avec les confeillers Rinard , Pon-
ce , l'Aubefpin , du Vache , Roftain ôc Belliévre, ôc avec Bou-
rel du Ponfenas Avocat général. Vinai en paflant par Romans ,
avoit pris environ 60 Proteftans, qu'il avoit fait emprifonner*
DE J. A. DE THOU,Liv. XXV. 5-47
Cependant Maugiron étant allé à Montelimar , les habitans
étoient venus bien armez au-devant de lui. Il ufa encore de p
fes artifices ordinaires, ôc leur dit , que venant dans leur ville ^
avec un efprit de paix cilles exhortoit à mettre bas les armes,
puifqu'il n'ignoroit pas que le Roi défendoit qu'on fit un cri- * '
me de l'exercice de la nouvelle Religion. Les habitans , féduits
par ces difcours , lui ouvrirent les portes , ôc furent traitez
comme ceux de Valence. Les plus riches maifons furent
pillées. Cependant Truchon , magiftrat prudent ôc modéré,
crut qu'il falloit faire une prompte juftice des plus coupa-
bles , pour réprimer la licence qu'on fe donnoit de prendre les
armes , ôc pour ôter en même-tems à Maugiron , ôc à ceux
de fa forte, toute occafion de piller. Deux miniftres furent con-
damnez au dernier fupplice, comme chefs de la (édition ôc
delà révolte, ainfiquele marquoit l'infcription qu'on leur mit
fur la tête. Le confeiller l'Aubefpin fut d'avis qu'ils euffent un
linge fur la bouche, lorfqu'on les conduiroit à la mort, afin
qu'ils ne puflent haranguer le peuple. On exécuta pareillement
un nommé Marques juge civil de Soion, Blanchier , octrois
autres. Voilà ce qui fe paiïa à Valence avant qu'on eut reçu
de nouveaux ordres du Roi : S. M. à la follicitation de Mont-
luc évêque de cette ville, accorda une amniftie générale aux
coupables , excepté à ceux qui étoient impliquez dans la con-
juration d'Amboife. A Romans on punit de mort les nommez
Roberté ôc Rebours. Un portefaix fut condamné au fouet ôc
aux galères. On ouvrit les prifons aux autres. On foupçonna l'A-
vocat général du Pontfenas, homme indigent , voluptueux , ôc
accablé de dettes , d'avoir profité de cette occafion , pour répa-
rer le défordre de fes affaires.
Les Proteftans, qui tournent tout à leur avantage, ont remar-
qué que l'Aubefpin , qui avoit été d'avis qu'on fermât la bou-
che aux deux Miniftres , avoit eu une fin très-funefte. Ils di-
fent , qu'étant devenu amoureux d'une certaine femme , fon
amour fe changea en fureur, ôc qu'ayant été attaqué en mê-
me tems de la maladie pédiculaire , il mourut au milieu des plus
grandes douleurs. Us ajoutent , que comme il avoit réfolu de
fe laifier mourir de faim , outré des maux qu'il reflentoit, fes
amis lui mirent comme un frein dans la bouche pour le for-
cer à prendre quelque nourriture , qu'il rejettoit plein de fureur
Zzz ij
H% HISTOIRE
& de rage. Ils difent aufli , que du Pontfenas , après avoir con*
' ^T„ fumé fon patrimoine, ôc la dot de fa femme, dévoré par les
FRANÇOIS j j r • i • r • o »-i i a
tt' remords de les crimes , devint runeux , ce qu il mourut enchai-
>* né par fes proches, faifant d'horribles hurlemens, ôc défefpé-
rant de fon falut éternel. Les troubles paroiffoient appaifez pour
un tems > lorfque Charle du Pui Monbrun l en excita de nou-
veaux vers les confins de la Savoye. Ce Gentilhomme d'une
maifon illuftre, ôc qui pouvoit beaucoup fur la Noblelïe du
payis , crut qu'on pouvoit prendre les armes pour la défenfe
de la Religion nouvelle. Ayant appris que le Parlement de
Dauphiné informoit contre lui à ce fujet , il écrivit à d'Avanfon
fon ancien ami, que le duc de Guife avoit envoyé depuis peu
à Grenoble, pour le prier de faire furfeoir ces procédures > di-
fant qu'il avoit pris les armes pour la défenfe de fa perfonne
ôc de fa Religion , ôc qu'il n'avoit rien entrepris ni contre le
Roi , ni contre l'Etat. Marin Bouver Prévôt de la Maréchauf-
fée fut envoyé pour le prendre. Le Prévôt étant arrivé à une
petite bourgade , nommée Raillanette , peu éloignée de Mon-
brun , dont Charle du Pui avoit pris le nom , fe faifit d'un des
domeftiques de ce dernier , ôepar là découvrit fa marche. Mon-
brun ayant affemblé fes amis, envoya redemander fon homme
à Bouver, ôc le prier qu'il pût conférer avec lui. On fe dit
dans l'entrevûë des paroles piquantes de part ôc d'autre ; on
en vint aux armes , ôc le Prévôt fut fait priibnnier. Après quoi
Monbrun entra à Raillanette, prit la plupart des cavaliers de
Bouver , leur enleva l'arrêt du Parlement rendu contre lui, ôcles
conduisit à Monbrun. Mais peu après il les renvoya, fe con-
tentant de garder leur chef.
Ce fut en ce tems là que le duc de Guife ôta la lieutenan-
ce générale de Dauphiné à Clermont , dont il étoit peu fatis-
fait. Il lui imputoit de s'être conduit avec trop de lenteur , ôc
d'indifférence dans l'affaire des Proteftans. Il lui étoit d'ail-
leurs fufpeft, comme étant attaché à la maifon de Montmo-
renci , ôc comme parent de la ducheffe de Valentinois , qu'il
mortifioit en toute occafion j pour complaire à Catherine de
i Charle du Pui Monbrun , dit le
brave Monbrun , étoit d'une illuftre
famille de Dauphiné'. Hugues du Pui,
dont il defeendoit , fut un des Gen-
tilshommes qui accompagnèrent Go~
defroi de Bouillon à la terre Sainte.
Raimond du Pui, Grand-Maître de
l'Ordre de faint Jean de Jerufalem t ■
étoit de la même maifon.
DEJ.A.DE T H O U, L i v. XXV. ?4?
Medicis. Il donna fa chargea Gondrin, feigneur d'une gran- ^bm^^r
de réputation à la guerre, Ôcqui lui étoit entièrement dévoué. François
Toute la NobleiTe du Dauphiné fut indignée de ce choix , di- \\t
fant que l'on contrevenoit aux droits ôc aux privilèges de la i e 6q.
Province, en leur donnant un étranger pour commandant. Ce-
pendant l'ordre du Roi fut publié à ce fujet. Gondrin étant
venu à Grenoble , fut engagé par le Parlement d'écrire à Mon-
brun ; pour l'exhorter à mettre Bouver en liberté , & à venir
fe juftirier au Parlement i le menaçant , s'il n'obéiffoit , de le
pourfuivre les armes à la main , ôc de le faire repentir de fa
rébellion , ôc de fa témérité. Monbrun commençoit à s'ébran-
ler ; ôc redoutant l'autorité du Roi, ôc des Magiftrats, il étoit
fur le point d'obéir, lorfqu'Alexandre Guillotin, Dodeur en
droit du comté VenahTm , vint le trouver au nom des Proteftans
de ce payis-là , qui gémiflbient , difoit-il , fous la domination du
Pape j le fuppliant de vouloir bien unir fes forces aux leurs. Il
ajouta , que parmi ceux qui profeffoient une pure doctri-
ne , on avoit douté quelque tems , fi l'on pouvoit fans bleffer
fa confcience prendre les armes contre le Pape Souverain d'A-
vignon ôc du comté VenaifTin h mais qu'après de grandes dif-
putes on avoit décidé , qu'il étoit permis de recourir à la forcer
le Pape ne devant pas être regardé comme leur Prince légi-
time, lui, dont les prédeceffeurs avoient ufurpé cet Etat fur
Raimond comte de Touloufe : que d'ailleurs on avoit penfé
que le Pontife ne peut avoir fur les hommes qu'une puiffance
purement fpirituelle ; puifque Jefus-Chrift a dit à fes Difciples
que les Rois de la terre dominoient fur leurs fujets , mais
que la puiffance des fiens ne feroit pas telle , 6c qu'il vouloit
que le plus grand d'entre eux fe crût le plus petit. Guillotin
ajouta , que ces raifons avoient engagé fes amis à le députer
vers lui, pour lui offrir le commandement de leurs troupes.
Monbrun , qui avoit environ trois cens hommes choifis avec
lui , ôc qui avoit bien de la peine à congédier de fi braves gens,
faifit avec joie une occafion que lui préfentoit la Fortune , de
ne plus faire la guerre à fon Roi , ôc de porter fes armes fur
les terres du Pape. Après avoir vu les pouvoirs très-étendus
qu'avoit eus Guillotin , il convint avec lui , que dans le même
tems ce député fe rendroit maître de Vaifon , lieu fortifié par fa
fituation naturelle, ôc que pour lui il s'emparerait de Maloffene,
Zzz iij
;?o HISTOIRE
ville peu éloignée de Vaifon, où il y avoit du Canon , ôcpîu-
fieurs munitions de guerre. On fixa au y d'Août le jour de cette
expédition. Les Bourgeois de ces deux villes voyant Guilîo-
tin y faire de fréquens voyages , conçurent quelque foupçon de
fon defïein, ôc ayant doublé la garde , déconcertèrent les con-
jurez : Guillotin lui-même , qui étoit tombé malade en ce
tems là , voulut retirer la parole qu'il avoit donnée à Monbrun;
mais celui-ci jugeant que le député manquoit plutôt de cou-
rage que de forces, ôc qu'il auroit peu de peine à prendre
Vaifon, lorfqu'il feroit maître de MaloiTene , s'empara au jour
marqué de cette dernière ville , avec huit cens hommes , ôc en-
fuite marcha droit avec fa petite armée à Vaifon, où Guillo-
tin, encore abattu par la maladie , vint au-devant de lui avec
douze cens foldats. Jacque Marie Sala évêque de Viviers
réfidoit alors à Avignon, en qualité de Vicaire du cardinal Ale-
xandre Farnefe Vice-legat de ce payis. Au bruit des hoftili-
tez de Monbrun, il lui envoya CaderoufTe, Aubignan , Bre-
ton de Grillon, ôcNovezan, pour lui demander quels etoient
fes defTeins : il fit marcher en même tems quelques troupes
levées à la hâte > qui avoient ordre de s'avancer lentement ,
pour s'oppofer aux entreprifes des Proteftans. La conférence
n'aboutit à rien. Car l'évêque de Viviers , ayant fait arrêter
quelques gens du parti de Monbrun , celui-ci fe plaignit de
cet acte d'hoftilité , ôc voulut par repréfailles arrêter les dépu-
tez, jufqu'àce qu'on renvoyât lesfiens. Ceux-ci furent mis en
liberté, excepté Guillotin , qu'on retint , parce que durant l'en-
trevue il étoit entré à Vaifon , ôc avoit voulu corrompre la
fidélité des habitans.
Guerre dans Ainfi la guerre fut réfolue de part ôc d'autre. Mais l'évê-
îe o>nnat qUe de Viviers ayant jugé par quelques légères efcarmouches,
ou les troupes avoient eu du cleiavantage , qu il ne leroit pas
le plus fort, écrivit à Gondrin, pour lui demander du fecours,
ou pour le prier d'obliger Monbrun à mettre bas les armes.
En même tems il lui fit toucher une fomme de douze mille écus
d'or, pour l'engager à le fecourir. La Cour ordonna à Gon-
drin , par des lettres du premier Août, de lever des troupes , ôc
de marcher contre Monbrun. Mais dans le tems que le com-
mandant du Dauphiné fe préparoit à la guerre , il crut devoir
tenter encore avec lui les voies de la négociation. Il lui
a^,.&
DEJ. A. DETHOU.Liv. XXV. ss 1
manda, que comme fidèle fujet du Roi, il devoit retirer fes
troupes ducomtat d'Avignon 5 & que s'il obéiflbit , le Roi lui FRANC0IS
accordèrent fa grâce , & les autres avantages qu'il pouroit fou- L jj s
haiter. Monbrun fit réponfe, qu'il ne manqueroit jamais à la l * 6* 0>
fidélité qu'il devoit à fon Souverain 5 qu'il n'avoit les armes à
lamainni contre lui, ni contre fes miniftres j qu'il avoit quitté
les terres de TobéiiTance du Roi , pour éviter tout reproche
à ce fujet ; qu'il avoit levé des troupes , à la prière de ceux
du comté VenaifTin ; ôc qu'après qu'on lui avoit commandé
de fortir de France, il s'étoit crû en droit d'attaquer les Etats
du Pontife , dont l'ambition ôc les fourdes intrigues avoient uni
les Princes Chrétiens , pour exterminer les enfans de Dieu. Ce-
pendant Gondrin ayant fait venir du canon de Grenoble, ôc
afTembléles troupes du Dauphiné , marcha vers Bolenne , ville
éloignée de fept lieues de celle de Maloffenne. Il étoit à la
tête de la Gendarmerie du prince de Salerne, de celle deCler-
mont ôc de la fienne. Les troupes du Vice-legat d'Avignon
le joignirent aufll-tôt. Elles étoient commandées par Saint Jail-
le , ôc RoiTet , hommes décriez par les brigandages ôc les meur-
tres, ôc que la crainte d'un jufte châtiment avoit fait palier fuï
les terres du Pape. Cette armée pouvoit monter à quatre mille
fantaffins, ôc à cinq cens chevaux. "Il fe donna quelques pe-
tits combats , toujours au défavantage des troupes du Pape.
En ce tems-là le Cardinal de Tournon , qui revenok de Ro-
me , arriva à Marfeille , ôc remontant le Rhône avec le Capi-
taine Paulin , apprit les troubles d'Avignon. Affligé des mal-
heurs de Monbrun qui avoit époufé fa nièce , il lui écri-
vit, pour l'exhorter à renoncer à la guerre ; l'aiïurant que
s'il déferoit à fes avis , il obtiendroit du Roi fa grâce , le li-
bre exercice de fa Religion , ôc la reftitution de tous fes
biens. Peu après Gondrin envoya à Monbrun la Foreft,Bla-
cons, Sainte Marie, le Port, ôc la Roche, pour lui commu-
niquer les ordres du Roi, ôc le porter à la paix, au nom des
Etats de la province. On lui propofa de mettre bas les armes,
de vivre chez lui tranquille , ôc d'y profeffer la Religion Ca-
tholique : finon de quitter la France, ôc qu'en ce cas on lui ac-
corderoit le tems d'un an , pour vendre fes biens, ôc tranf-
porter fes effets dans les payis étrangers : que c'étoit à lui à
choifir , ôc que la Noblefîe du Dauphiné s'engageok en fon
S!2 HISTOIRE
gg nom , à cautionner l'exécution de ces articles. Monbrun ac-
François cePta ^a dernière de ces conditions , d'autant plus volontiers
II.' clu ^ n'ignoroit pas les delTeins de Ferriere Maligni , defquels
i c <So. j'3* parlé ci-deffus , ôc qu'en renvoyant fesfoldats qui dévoient
fe joindre à ce dernier , c'étoit un moyen de dérober à la
Cour la connoiflance de Fentreprife de Maligni. Au relie Mon-
brun étoit convenu avec les députez de la Nobiefle , qu'on
rendroitles prifonniers de part ôc d'autre , ôc qu'après qu'il fe-
roit retourné dans fes terres , il congedîroit fes foldats. Mais
ayant appris que les troupes du Pape dépouilloient les liens,
où les faifoient prifonniers, ôc voyant que Gondrin envoyoit
des garnifonsà Vaupierre , à Serre, ôc en un certain Couvent,
lieux voifins de Monbrun, il reprit les armes , ôc s'empara de
,Vaupierre à la tête d'environ deux cens hommes. Il fit bon
quartier à la garnifon ; mais les Prêtres furent fort mal-traitez,
fous prétexte qu'ils étoient caufe qu'on avoit tué plufieurs de
fes gens , contre la foi donnée. Gondrin irrité de ces homlitez,
joignit fes troupes à celles du comte de la Baume comte de
Suze, ôc del'Evêque de Viviers,s'imaginant que Monbrun étoit
plus fort qu'il ne l'étoit en effet. Ceîui-ci , qui n'avoit que qua-
tre cens fantaffins ôc cinquante cavaliers , ayant rencontré les
ennemis près de Moulans , fuppléa par adreffe au défaut du
nombre , ôc dreffa trois embufcades dans ces lieux , que des
monts efcarpez , des vallées profondes , des ruilfeaux ôc des
ravins, rendoient favorables à fes delTeins. Aurefteil avoit pofté
fes gens de manière , qu'ils pouvoient aifément fe fecourir les
uns les autres , ôc il leur avoit ménagé un lieu fur pour la re-
traite après le combat. De plus il leur avoit ordonné de n'at-
taquer les ennemis , qu'après qu'ils les auroient vus tous enga-
gez en ces détroits.
Mais l'ardeur du foldat,quife jetta d'abord fur ceux qui entrè-
rent dans ces lieux , fauva les ennemis. Les premiers ayant été
pris ou taillez en pièces, Gondrin , qui conduifoit l'arriere-gar-
de,fït faire alte, ôc mit fes troupes en bataille dans une plai-
ne voifine. Monbrun , qui vit avec regret échapper une fi
belle occafion de défaire les ennemis, ne perdit pas courage,
ôc fortant de ces lieux profonds , fe préfenta comme pour
accepter le combat. Gondrin ne jugea pas à propos de
terminer cette guerre , quoique la fuperiodté de fes troupes
l'aiTurâï
DE J. A. DE THOU, Liv. XXV. SS3
î'afTûrât du fuccès ; foit que ce feigneur qui avoit une grande - . - . „•■.. :
expérience > craignît d'avoir affaire à des gens réduits au défef- ~
poir j {bit qu'il ne voulut pas éteindre tout d'un coup une ré- *rançois
volte , où il voyoit fes avantages. Car on difoit alors qu'il trou-
voit fon compte à une guerre , pour laquelle le Pape , & les l 5" 6 °*
Vice-legats lui fourniffoient inceflamment de groffes fommes.
Du refte il força Monbrun ôc fes gens de s'enfuir en défordre
çà ôc là , ôc de fc difliper ; cela arriva dans le tems que l'en»
treprife fur Lyon venoit d'échouer , ôc que l'on apprenoit de
tous cotez, que les affaires des Proteftans déclinoient de jour
en jour. Alors Monbrun prit le parti de quitter la France, ôc
il choifît pour feul compagnon de fa retraite Mathieu d'An-
toine Jurifconfulte, qu'il croyoit aufîi attaché que lui à la nou~
velie doctrine , ôc en qui il avoit une grande confiance. Il fut
fuivi auiTi de fa femme * , qu'il aimoit uniquement. Etant ar-
rivé à Buyx z pour fe rendre enfuite à Merindol , le perfide
d'Antoine , qui avoit fçû diflimuler jufques-là , foûleva les ha-
bitans de ce bourg contre Monbrun , les excitant à arrêter un
homme , qu'il difoit être le chef des Huguenots , ôc des re-
belles. Le traître ofa même faifir Monbrun , mettant la main
fur une chaîne d'or qu'il avoit à fon cou. Mais Monbrun ayant
défait fa chaîne , ôc renverfé d'Antoine , fe fauva par une fe-
nêtre de l'auberge, ôc changea fes habits de foie contre ceux
d'un payifan , pour tromper ceux qui le pourfuivoient. On prit
à la dame de Monbrun fes habits les plus précieux , ôc tout
fon bagage , dont un mulet étoit chargé : d'Antoine s'empara
de tout, fur les ordres qu'il difoit avoir de Gondrin.
Il fut reçu favorablement de ce Commandant , lui ayant
parlé fort au long des deffeins de Monbrun , ôc lui difant bien
des chofes qu'il avoit entendues, ou peut-être imaginées , par
rapport au prince de Condé. On crut qu'il pourroit un jour
fervir de témoin contre lui. Gondrin lui donna quelques fol-
dats, pour arrêter Monbrun en Savoye. Mais l'ayant rencon-
tré , il n ofa l'arrêter , foit qu'il manquât de courage & de
jugement , foit qu'il fe repentît de ce qu'il avoit fait. Ainfi
Monbrun arriva heureufement à Genève , ôcde-là à Berne avec
i Cette Dame s'appelloit Juftine
Al'eman de Champs,
a M. de Thou dans le texte appelle
H
ce lieu Boufquet, mais c'eft le Buyx ,
qui eft à une lieuë de Merindol en
Dauphine',
Tome III. Aaaa
S$4 HISTOIRE
■ ■■■ fa femme, fa compagne inféparable. Guillotineutun fort bien
François différent. Il fut pris près de Grenoble , lorfqu'il fuyoit en Suiffe,
II.' ayant été déféré par d'Antoine , comme auteur de la révolte du
i f 6 o. comt^ Venaiflin.il nia tous les faits dont on l'accufoit 3 ainfi n'y
ayant pas de preuves contre lui , il évita un jugement rigou-
reux : on le garda néanmoins en prifon;par ordre du duc de Gui-
fe , qui vouloit fe fervir de lui contre le prince de Condé. En ce
même tems les frères Changy furent pris par Saint Chaumont
leur coufin germain. Ils étoient foupçonnez d'avoir eu part à
la confpiration de Lyon , ôc l'on efperoit que leur témoignage
feroit la conviction du prince de Condé.
La Provence fut aufîi agitée de troubles , qui s'étoient éle-
Troublesen yez dès l'année précédente. Antoine ôc Paul de Richiend, dits
de Mouvens, étoient deux frères, qui demeuroient à Caftel-
lane , où ils étoient nez d'une honnête famille. Après avoir
fignalé leur courage dans les guerres de Piémont , ils s'étoient
retirez chez eux, ôc y faifoient profeffion de la nouvelle doc-
trine. Un Miniftre, qu'ils avoient fait venir de Genève, prêchoit
la nuit dans leurs maifons , où il venoit du monde de toutes
parts , malgré la rigueur de l'hiver. Les bourgeois de Cafteila-
ne animez par un Cordelier > qui prêchoit chez eux le Carême,
prennent les armes , ôc afîiégent la maifon d'Antoine de Mou-
vens au nombre de cinq cens. Paul fon frère partit aufïi-tôt
pour fe rendre à Aix, où il préfenta une requête au Parlement
contre les habitans de Caftellane. Mais ceux-ci accufant à leur
tour les Mouvens de tenir chez eux des affemblées prohi-
bées par les loix , il n'y eut rien de décidé d'abord. Enfin il
fut ordonné,qu'on informeroit contre les Mouvens, comme fec-
taires. Paul s'étant pourvu au Confeil contre l'arrêt, le Roi in-
terdit la connoiffance de cette affaire au parlement d'Aix , Ôc
la renvoya à celui de Grenoble. Mais les juges du Confeil
retinrent,par ordre du cardinal de Lorraine, les pièces des Mou-
vens, pour les empêcher de fuivre leur procès. Cela ne les re-
buta point. Après avoir fait entendre plufieurs témoins, & re-
cueilli des pièces , ôc des preuves , ils accuferent au Confeil
du Roi les juges du parlement d'Aix de concuffions ôc de
brigandage. Tous les Proteftans de Provence dévoient four-
nir aux frais du procès. Cependant Antoine ayant été engagé par
les prières de fes amis à fe reconcilier avec fes compatriotes,
DE J. A. DE THOU, tttV. XXV. ssi
y confentit volontiers , ôc partit pour Fayeufe un certain jour,, ,
que des arbitres dévoient terminer leurs différends. Ne les y rDJX„nU<
-i • r i r • v ta v i r3 rRANÇOlS
ayant pas trouvez, il vint iur le loir a Draguignan., ou il fut
environné d'une troupe d'enfans, qu'on croit, que des Prê- - rQ
très avoient animez contre lui. Plus de trois mille hom-
mes, qui demandoient fa mort, étant accourus au bruit , il re-
clama la protection du juge du lieu , & la fauvegarde du Roi.
Cette précaution ne le fauva point. Le peuple furieux l'arracha
d'entre les mains du juge , 6c le tua inhumainement. Son corps
fut mis en pièces j les entrailles traînées par les rues , ôc jet-
tées dans un cloaque près les murs de la ville. Son coeur, 6c
fon foie attachez au bout d'une pique s furent portez en pompe
par la ville , 6c enfuite jettez aux chiens. Ces animaux n'en
ayant pas voulu manger, furent battus par la populace erTrenée>
qui les appelloit Luthériens. Paul de Mouvens ayant préfenté
fa plainte au parlement d'Aix, les Confeillers Henri Vi£toris
ôcEfprit Vitalis furent députez à Draguignan, pour informer.
Mais ils affeclerent d'entendre des témoins plutôt fur \qs mœurs
6c la Religion d'Antoine , que fur le meurtre commis en fa
perfonne. Le corps d'Antoine fut falé , ôc porté dans la ville.
Les Habirans, fe voyant foutenus du Parlement , rirent tou-
tes fortes d'infultes aux amis ôc aux parens de Paul de Mou-
vens. Cela arriva vers le tems de la mort de Henri II. Paul
craignant depuis toujours pour fa vie , fut obligé de payer fort
cher des foldats, pour fa défenfe. Chateau-neuf , qui s'étoit
trouvé avec la Renaudie à l'affemblée de Nantes , étant venu
alors en Provence , pour y lever des troupes , fe rendit à Me-
rindol, où Paul fut choifi , du confentement unanime de foi-
xante Proteftans qui s'y trouvèrent , pour chef de la milice
qu'on alloit mettre fur pie. Il s'acquitta de cette commiflîon
avec autant de zélé que de prudence. Il affembla jufqu'au
nombre de deux mille hommes , leur donna des officiers , ôc
fît toutes les provilîons néceffaires à la guerre. Il crut qu'avec
ces forces il pourroit venger la mort de fon frère, dont le ca-
davre privé des honneurs de la fépulture étoit encore dans la
prifon. Il fe flatta même qu'il pourroit aifément fe rendre maî-
tre de la ville d'Aix , dont les Proteftans dévoient lui livrer
une porte. Mais fon dellein fut découvert, ôc fes amis perdirent
courage 5 Claude de Savoye comte de Tende , gouverneur de
Aaaa ij
ïfê HISTOIRE
- ' " '- la Province ;fe rendit à Aix avec le capitaine Paulin, fur les
François inftances du Parlement , ôc les Bourgeois ayant doublé les
IL corps-de-garde, fe mirent à couvert de toutes infultes. Mou-
ï 5 60, vens , pour ne pas demeurer oifif , fe répandit dans le plat
payis avec cinq cens hommes , ôc abatit toutes les images des
Eglifes des villages ôc des bourgs. Il fit fondre aufïi les va-
fes d'or ôc d'argent, qu'il y trouva, après avoir appelle aupa-
ravant les Echevins , ou les Syndics des lieux , ôc fait pefer ôc
eftimer en leur préfence ce qu'il emportoit. Il en drella mê-
me des procès verbaux , qu'il conferva avec foin. Au refte
les foldats de Paul eurent en cette occafion.tant de retenue,
ou tant d'amour ôc de refpeâ pour leur chef, que parmi ces
gens, d'ailleurs avides de butin, il ne s'en trouva pas un feul,
qui enlevât par force aucune chofe. Au bruit de ces hoftili-
tez, le comte de Tende leva des troupes dans la Province,
Ôc marcha avec fa gendarmerie, pour attaquer Mouvens, qui
fongeoit à faire recevoir dans Cifteronles Proteftans , qu'on en
avoit chafTez. Celui-ci ayant appris que le Comte s'avan-
çoit avec une armée de fix mille hommes , ôc n'ofant attaquer
Cifteron, ni congédier fes troupes , fe retira en bon ordre dans
le Couvent de faint André , lieu fortifié par fa fituation ; ôc y
ayant fait porter des provifions des villages voifins , il réfolut
de s'y défendre jufqu'à l'extrémité, ôc d'y attendre les ordres
de la Renaudie. Le comte de Tende gouverneur de Pro-
vence envoya , pour reconnoître ce lieu , Paulin , qui fut obli-
gé de fe retirer, après avoir couru rifque de fa vie. Son rap-
port fut , qu'il avoit vu des gens réfolus à fe bien défendre,
ôc qu'à en juger félon les apparences, ce fiége feroit meurtrier.
Le Comte, qui vouloit ménager le fang de fes foldats , ôc qui
d'ailleurs avoit peu d'éloignement pour les opinions nouvelles,
propofa une entrevue à Mouvens , qui fe rendit aufli-tôt au
lieu marqué, après avoir pris les furetez ordinaires.
Le Comte lui ayant demandé , par quel motif il excitoit des
troubles dans la Province , il répondit que le meurtre barbare,
commis en la perfonne de fon frère , lui avoit mis les armes
à la main h qu'en ayant inutilement pourfuivi la vengence au
Parlement , il avoit été obligé de lever des troupes , pour fa
défenfe j que du refte , il ne demandoit autre chofe , finon
que les Magiftrats punîfîent les auteurs de la mort de fon frère.
DE J. A. DE THOU, Liv. XXV. ^7
& réprirnaiTent l'infolence de ceux de Caftellane , qui lui ten- »
Soient tous les jours des embûches, ôc en vouloient à fa vie; François
ôc qu'il fouhaitoit , qu'on lui accordât à lui , ôc aux Tiens le li- jj
bre exercice d'une Religion , qu'il croyoit véritable ; qu'il t , $$%
feroit toujours fidèle fujet du Roi, comme il l'avoitété, ôc
qu'il ne feroit pas moins fournis à fes ordres , qu'il l'avoit été
à ceux du feu Roi de glorieufe mémoire. Il ajouta ces der-
nières paroles, pour faire croire qu'il n'étoit point entré dans
la confpiration d'Amboife , quoiqu'il en fut véritablement com-
plice. On demeura d'accord, que Mouvens congédieroit fes
îbldats, ôc qu'il n'en garderoit que le nombre néceflaire pour
la fureté de fa perfonne : le Gouverneur lui promit qu'on ne
feroit aucune infulte à ceux qui avoient fervi fous lui , qu'il
pourroit lui 6c les fiens profefler fa Religion avec toute liberté,
& que le Parlement lui feroit juftice du meurtre de fon frère.
Le Roi Ôc la Reine mère avoient écrit au Comte des lettres
honorables pour Mouvens. On lui donnoit des éloges , ôc on
le reconnoiffoît pour un fidèle fujet. Mais en même tems la
Couravoit envoyé ordre au Parlement, de condamner au der-
nier fupplice Mouvens ôc Chateauneuf , fi on pouvoit les pren-
dre. Ainfi finirent alors les troubles de la Provence. Le capi-
taine Paulin, quihaïflbit depuis long-tems les habitans deMe-
rindol, ôc de Cabrieres, voulut aller attaquer Mouvens, qui
ne s'étoit refervé qu'une garde de cinquante hommes. Jl
violoit par là les conditions du dernier traité , pour faire
plaifir à ceux de Caftellane , ôc agifToit , ou à l'infçu , ou con-
tre la volonté du Gouverneur. Mais fes mauvais deffeins ne
réufiirent pas. Car Mouvens en ayant été averti, alla au-devant
de lui, ôc le repoufla avec honte. Les Proteftans ont remar-
qué avec une fuperftition vaine, que deux hommes de la fui-
te d'Antoine de Mouvens ayant été tuez avec lui, ôc leurs
corps enterrez au bord d'un ruiffeau voifin , un torrent formé
par les pluies les arracha de ce lieu, ôc qu'ayant été trois mois
expofez fur la terre, on les trouva entiers , ôc fans être cor-
rompus. Ils ajoutent , qu'un des meurtriers ayant été tué peu
après , ôc enterré près du même endroit fe corrompit en vingt-
quatre heures. On doit attribuer ces effets à la nature du ter-
rein , qui étant fec Ôc fablonneux conferve les corps, ôc les
détruit en peu de tems, quand il eft grasôc humide. Mouvens
Aaaa iij
*%'
jj8 H I S T O I R E
» qu'avoient rendu odieux les violences qu'il avoit commifes dans
François lesEglifes , prit le parti de fe retirer à Genève. Il y vécut tran-
jj quile,ôc refufa conftamentles offres brillantes que le duc de Gui-
1 <: 6 o k' ^ e^mo^ f°n courage , lui fit faire pour l'engager à revenir.
Le nombre des Proteftans fe multiplioit aufîi en ' Norman-
die : à Saint Lo , à Caën , ôc à Dieppe i ils faifoient des affem-
Prédicant blées publiques. De jeunes Proteftans de Rouen , contre l'avis
fanatique à des anciens, prêchèrent auffi en public; quoique plufieurs offi-
ciers du Parlement, qui ne défapprouvoient pas leur doctrine*
ne ceffaffent de les avertir de tenir leurs affemblées en fecret.
On vit paroître alors parmi eux un homme, qui fepiquoit d'a-
voir une méthode particulière pour enfeigner les trois langues
fçavantes. Ce perfonnage, qui avoit été élevé dans la déteftable
doctrine des Anabâtiftes, ôc qu'on avoit chaiTé de Genève,
après lui avoir défendu toutes fondions de miniftre , commen-
ça à prêcher en plein jour dans un champ près les murs de la
ville, blâmant la timide prudence des autres Proteftans. Cette
nouveauté lui attira une foule d'auditeurs, même du nombre
de ceux , qui condamnoient fa doctrine , mais qui approuvoient
néanmoins les affemblées fecrettes. Il difoit , que Dieu lui ré-
veloit des chofes admirables ', que l'Antechrift feroit expulfé
de fon thrône par la force des armes ; que le Seigneur l'avoit
choifi pour chef de cette armée, à la tête de laquelle il devoir
faire périr tous les médians ; qu'il avoit ordre d'exterminer les
mauvais Princes , Ôc les Magiftrats iniques ; que Dieu lui avoit
accordé par une grâce finguliere, de ne mourir, qu'après avoir
créé un monde nouveau, où regneroit l'innocence ,ôc dont tout
péché feroit banni i qu'enfin on ne devoit pas s'étonner , fi la
conjuration d'Amboife n'avoit pas réufïî, n'y ayant pas été affo-
cié. En difant ceschofes,il s'agitoit extraordinairement, comme
s'il eût été animé d'une inspiration divine. Il faifoit des con-
torfions 6c des grimaces, delà bouche, ôc des yeux qu'il fer-
moir de tems en tems , 6c tournoit fa tête rapidement de tous
cotez h 6c puis fe laiffant tomber par terre, il s'y rouloit avec
violence tout hors d'haleine > 6c écumant comme un furieux.
Ce fpe£lacle faifoit rire bien des gens, 6c ne laiffoit pas d'impofer
i M. de Thou met dans le texte
in ArmoYiGano quoque traHn ; mais il a
voulu dire in Neujtria. La fuite de cet
endroit fait voir, que c'eft une inad-
vertance échappée à l'Editeur,
#
* DE J. A. DE THOU, Liv. XXV. ftp
à quelques-uns. Deux frères entre autres , qui étoient fes pa- —«—««.
rens , eurent la {implicite d'ajouter foi à fes paroles , de le van- pRANc0ls
ter auprès de leurs amis , ôc de recevoir chez eux un fou , qu'on jt *
avoit chafTé de toutes les maifons. Ses difcours féditieux ten- , - ^ 0
doient à foulever le peuple, ôc il avoit même infulté le car-
dinal de Bourbon archevêque de Rouen , îorfqu'en revenant de
Gaiilon ce Prélat pafibit par un chemin , où il débitoit fes folles
erreurs. Le Prévôt des Maréchaux l'ayant arrêté, par ordre de
Villebon d'Eftouteville lieutenant du duc de Bouillon , lui fit
fon procès en quatre jours , Ôc le condamna à être brûlé pu-
bliquement. On pendit enfuite les deux frères , qui logeoient
l'impofteur : follement abufés ils croyoient, comme il leur avoit
dit i qu'il ne mourroit jamais , ôc ils ne reconnurent leur erreur,
qu'après l'avoir vu confumé par les flammes. Sa mort ne fit
pas moins de plaifir aux Proteftans qu'aux Catholiques ; parce
qu'ils fe croyoient par là déchargez de la haine qu'on avoit
conçue contre eux, comme s'ils avoient été complices de fes
folies ; ôc que leur doctrine pût être confondue* avec les erreurs
d'un homme également fanatique ôc impie.
Fin du vingt-cinquième Livre*
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HISTOIRE
DE
JACQUE AUGUSTE
T H O U.
LIVRE VINGTS IX1EME.
mmmmmXMSi N ce temsJà le Roi arriva de S. Ger-
François *&•######$ main à Paris , où. il avoir fair venir les
IL g # i^Oeeg # i troupes , qui avoient fervi en Piémont,
i $ 6o. f| # || Tp pf $ Il & enEcofle. Ce Prince jugea à propos
N « 8 |^j H A ^1 demander la plupart des officiers de fon
Suite d« af- g *;g J^-r Q* | Parlement }& leur ayant parlé delà con-
faircsdeFran- ^ * $%&&?&&&&. * $8 ■ . „, , .r J * , ^ .~
ce. I*| ^ï*1ft w g juratlon j Amboife, comme les Guifes
fi * * * ' * El leluiavoientconfeillé, il leur dit, que
à&tâ,*hMi&h*s»xsÈ&&tëa&Afi ies .Bourbons en etoient les principaux
auteurs ; que fa vie étoit tous les jours expofée à de grands pé-
rils , & que c'étoit pour mettre fa perfonne en fureté , qu'il étoit
venu dans la capitale de fon Royaume , ôc qu'il y avoit affem-
blé des foldats. Cependant CruiTol & le cardinal de Bour-
bon, revenus à la Cour, avoient rapporté que le roi de Na-
varre ôc le prince de Condé tarderoient peu à s'y rendre. Au
refte les amis de ces Princes étoient fort p artagez } fur le parti
quiis
DE J. A DE THOU, Liv. XXVI. ;6r
qu'ils avoienr à prendre ; les uns difant , qu'ils ne pouvoient -
fans témérité fe mettre entre les mains des Guifes; les autres T?n .__ ^YO
^a . v« r 11 • i /•• is -i rRANcOIS
utenant au contraire qu il ralloit obéir : que par la ils mar-
queroient leur foûmifîïon aux ordres du Roi , ôc fermeroient f ^
la bouche à leurs ennemis, qui publioient en tous lieux, qu'ils
méditoient quelque chofe de funefte à 1 Etat : qu'on n'arrêtoit
pas légèrement , ôc fur de (impies foupçons , des Princes du
fang royal > que le Roi ayant engagé fà parole , qu'il ne leur
arrivèrent rien de fâcheux , ils ne dévoient rien appréhender:
qu'enfin il valoit mieux s'abandonner à la clémence du Roi ,
que de donner à tous les peuples le funefte exemple de la dé-
fobéïffance , & de la rébellion. D'Efcars 3 courtifan d'une foi
fufpecte , preiïbit le départ des Princes , ôc Amaury Bouchard
avoit écrit au Roi , qu'on devoit eflayer de mettre de la divi-
sion entre le roi de Navarre ôc le prince de Condé j que de-
puis que ce dernier étoit venu auprès du Roi fon frère , on y
avoit pris des refolutions extrêmes > qu'on avoit fait venir des
miniftres de Genève , Ôc que tout s'y difpofoit aux troubles ôc
à la révolte. Bouchard ajoûtoit , que pour ne pas avoir part à
de fi pernicieux defTeins, il s'étoit retiré à S. Jean d'Angelien
Xaintonge , lieu de fa nailTance, après en avoir obtenu laper-
mitfion du roi de Navarre.
La dame de Roye , ôc Eleonor princefTe de Condé , s'op-
pofoient fortement au voyage des Princes à la Cour. Elles di-
ibient que , quand même le roi de Navarre iroit trouver le Roi ,
le prince de Condé , à qui fur tout on en vouloit , n'y devoit
pas aller ; que par là même la vie du premier feroit plus en fÛA
reté , ôc que les Guifes ne feroient pas aflez téméraires pour
attenter à fa perfonne , tant qu'ils craindroient la vengence du
Prince fon frère.
Cependant le Roi partit de Paris , accompagné de la Reine-
mere ôc des Guifes , ôc efeorté de mille chevaux. Il laifia au
bois de Vincennes Henri duc d'Anjou fon frère » ôc la prin-
ceffe Marguerite fa feeur, ôc arriva à Arthenai. Ce fut de-là
que Marillac archevêque de Vienne , qui pénétroit les deffeins
des Guifes , écrivit à Jaqueline de Lonvi ducheffe de Mont-
penfier,qui l'honoroit de fa confiance. Il lui manda, ou plûi-
tôt il lui fit dire par fon Envoyé , homme de confiance , qu'elle
fe fou vînt de la parole qu'elle lui avoit donnée, que dès qu'elle
Tome III. B b b b
$62 HISTOIRE
. auroit retiré des mains du Roi les biens de Charle de Bouis*
François b°n » e^e ^QÏOlt ^es efforts pour s'oppofer aux deffeins des Gui-
jj^ fes : qu'étant rentrée en pofTeflion de la principauté de Dom-
i c 6 o. ^es — ^u Beaujolois , le tems étoit arrivé de tenir fa promeffe >
que les chofes étoient venues à ce point 3 que quand même
elle n'auroit pas la jouiiïance de fes terres , elle devroit pré-^
férer le bien de l'Etat à fes intérêts particuliers : qu'il n'y avoir
pas un moment à perdre 3 pour prévenir des projets ambitieux 5
qu il avoit appris depuis peu., que le deflein des princes Lor-
rains étoit de faire arrêter le prince de Condé , s'il fe rendoit
auprès du Roi , ôc de fi bien obferver le roi de Navarre 3 qu'il
fut comme prifonnier au milieu de la Cour : qu'on ne devoir
point compter fur le cardinal de Bourbon 3 qui s'étoit livré lâ-
chement aux Guifes, pour tromper les Princes fes frères ; qu'il
ne reftoit plus que deux Princes du fang , le duc de Montpen-
fier fon mari , ôc le prince de la Roche-fur-Yon fon beau-fre-
re, qui n'avoient nulle autorité : qu'on faifoit par tout cette
plaifanterie , qu'on avoit trouvé moyen de les attirer, & de les
amufer comme des enfans , l'un par les bonnes prunes de laTou-
raine 3 ôc l'autre par l'excellent coin d'Orléans : qu'il la fup-
plioit de fe fouvenir 3 qu'elle lui avoit dit elle-même , que il
les Princes du fang venoientà mourir, la Reine-mere feduite
par l'adulation des Guifes 3 ou accablée par leur puiffance 3 au-
roit peu de reffources : que la Nobleffe feule étoit en état de
foûtenir le Royaume chancelant; que les Potons, les Vigno-
les, ôc d'autres capitaines de cette réputation , pourroient aiTu»
rer la liberté publique , pourvu que les Bourbons ne fe man-
quaient pas à eux-mêmes : que le Connétable agilToit foible-
ment dans les conjonctures préfentes s que fe confiant en fon
innocence , il negligeoit trop les fecours humains , pour s'ap-
puyer uniquement fur l'autorité des loix ; que néanmoins il ne
devoit pas ignorer 3 qu'on avoit fait confeffer à la Sague , au
milieu des tourmens , que c'étoitpar fes ordres, qu'il s'étoit ren-
du auprès de la reine d'Angleterre ? qu'il falloit donc avertir
Montmorenci de profiter du paffé , ôc de prendre des mefures
convenables : qu'on devoit animer la lenteur du roi de Navar-
re 3 en le faifant fouvenir du Prince fon fils : qu'elle devoit en-
gager le duc de Bouillon fon gendre , à recevoir les enfans du
prince de Condé dans Sedan ôc Jamets,ôc à confentir qu'on
DE J. A. DE THOU, Liv. XXVI. ^3
enfermât dans ces places les frères ou lesenfans du duc de Gui- -_
fe , fi l'on en pouvoit prendre quelqu'un , parce que leur vie ré- pRANÇ 0IS
pondroit de celle des Bourbons : que d'ailleurs il feroit à pro- j]
pos d'envoyer vers les princes d'Allemagne, Ôc les autres Prin- j * $0t
ces affectionnez à la France , pour les engager à s'oppofer aux
Lorrains, qui n'avoient pour but que d'entretenir les féditions
ôc les guerres civiles : qu'à peine on avoit rendu l'EcoiIe tran-
quille , qu'on avoit employé les troupes qui en étoient revenues,
à foûtenir d'ambitieux delTeins : qu'enfin, fi on ne remedioit à
ces defordres , la vie lui feroit à charge , comme à tous les gens
de bien , & qu'il en verroit la fin avec plaifir.
La duchefie de Montpenfier ayant reçu la lettre , ordonna
à celui qui la lui avoit apportée , de feindre un voyage aux
eaux de Spa , ôc d'aller fous ce prétexte trouver le duc de Bouil-
lon , & enfuite les princes Allemands. 11 vit le Connétable en
paiTant,ôc pourfuivit fon voyage. Mais fa négociation eut un
médiocre fuccès 5 le deftin de l'Etat l'emportant fur les fages
confeils, ôc la France penchant vers fa ruine par la foibieffe ,
ou par la corruption des Grands. L'archevêque de Vienne ,
fenfible aux maux de fa patrie , tomba dans une profonde mé-
lancolie , qui lui caufa la maladie dont il mourut , à l'âge de
cinquante ans , dans l'abbave de S, Pierre de Melun , trois jours
avant la mort de François II. C'étoit un Prélat d'un efprit
folide , dont le caractère ami de la vérité étoit peu propre à
la Cour. Il y avoit long-tems qu'il fouhaitoit une réforme dans
l'Eglife , ôc il s'étoit rendu fufpeft à ce fujet, dans le tems que
jeune encore il faifoit la profeiïion d'avocat au parlement de
Paris. Pour éviter le péril qui le menaçoit , il fuivit Jean de
la Foreft fon coufin , que François I. envoyoit en ambaiTade
vers Soliman. La Foreft étant mort , il remplit dignement fa
place , ôc s'étant enfuite acquitté avec honneur de plufieurs am-
baiTades, en Angleterre, ôc auprès de l'empereur Charles V, ôc de
quelques autres Princes , il avoit été nommé confeiller d'Etat.
Gabriel de Marillac, fon frère aîné, s'étoit aufïi fort diftingué
par fa vertu , par fon intégrité , ôc par fon éloquence. Etant
avocat général du parlement de Paris , il avoit maintenu l'an-
cienne difeipline , ôc s'étoit oppofé de tout fon pouvoir à la
corruption des mœurs de fon liecle. Il étoit mort neuf ans
avant i'Archevêque fon frère. Ils étoient nez l'un ôc l'autre en
Bbbb ij
5<j4 HISTOIRE
Auvergne, d'une honnête famille 5 leurs ancêtres ayant été long-
François tems domeftiques des princes de la maifon de Bourbon , Dau-*
jjs phins d'Auvergne.
H/ Le Roi vint d'Arthenai à Orléans, ôc y fit fon entrée le 18
d'0£tobre,avec une pompe formidable,ôc plutôt en conquérant,
qu'en père de fesfujets. Il avoit envoyé devant, avec des trou-
pes , Marfilli de Sipierre créature des Guifes , qu'avoit fuivi
peu après le 10 du même mois le prince delà Roche-fur-Yon ,
lequel avoit le titre de Gouverneur de la ville , ôc non le com-
mandement des troupes , qu'on avoit donné à Sipierre fon
lieutenant. Cette pompe militaire répandit la terreur dans l'ef-
prit des bourgeois, ôc plus encore des Députez des provinces,
qui étoient venus aux Etats. On avoit placé des corps de gar-
de dans toutes les rues ôc dans toutes les places , ôc il fembloit
que l'on fe préparât à foûtenir un fiége. On ne pouvoit com-
prendre qu'un Roi, à peine forti de l'enfance , plein de douceur
& d'humanité , qui éxemt de toute haine n'avoit jamais offen-
fé le moindre de fes fujets, eût befoin de tant de troupes pour
défendre fa vie. On ordonna que chacun feroit fa profeflion
de foi , fuivant une Formule dreffée dix-huit ans auparavant
par la Sorbonne, ôc enregistrée au Parlement; Ôc que quicon-
que defobéïroit , perdroit la vie Ôc fes biens. Ceux qui pafToient
alors pour avoir le plus de crédit dans le confeil du Roi, étoient
les maréchaux de S. André ôc de BrhTac , ôc fur-tout le cardi-
nal de Tournon, qui étoit revenu de Rome depuis peu, ôc
que les Guifes avoient comblé des plus grands honneurs, pour
lui faire oublier d'anciennes injures. On difoit que le cardinal
de Lorraine avoit écrit le difcours, qu'il devoit prononcer aux
Etats , fous la galerie même , qu'on avoit conftruite à la hâte
pour cette alTemblée.
Cependant on envoya des Officiers avec main forte dans
toutes les provinces , ôc fur tout en Guyenne , où le roi de
Navarre pofledoitde grands domaines du côté de Jeanne d'Ai-
bret fon époufe , pour arrêter les perfonnes fufpe£tes, Ôc rafer
les châteaux ôc les maifons de ceux qui feraient réfiftance. Le
Roi écrivit auffi au Parlement de Paris , pour lui ordonner de
veiller à la fureté de la ville , ôc d'empêcher les affemblées
qu'on feroit dans la nuit , ôc tout ce qui annonçoit de pernicieux
deffeins. François de Montmorenei , gouverneur de Paris ôc
DE J, A, DE THOU, Liv. XXVÎ. $6$
tle l'Ifle de France, eut ordre en même tems d'afïiirer dans la
ville la tranquillité publique. Aufll-tôt il envoya des émiflaires François
dans tous les quartiers , pour l'informer des mouvemens qu'ils J\[
y pourroient reconnoître. On découvrit feulement un petit l , <$Qt
nombre de perfonnes aflemblées fans armes : ce qui fit juger ,
qu'on vouloit infpirer une vaine terreur. Alors on ne douta
plus que l'injurrice & la violence ne Giflent fur le point d'écla-
ter en tous lieux , & que les Guifes ne vouluffent extorquer par
force des Etats , ce qu'ils ne pouvoient efperer d'obtenir fui-
vant les loix du Royaume. D'Andelot colonel général de l'in-
fanterie > dont la Religion étoit fufpe&e , s'étant plaint que les
troupes mutinées par des intrigues fecrettes contre leur chef 3
ne lui obéïiToient plus , quitta les fondions de fa charge , ôc
fortit de la Cour. Les Guifes avoient refolu de le faire mettre
en prifon : mais faifant reflexion que cela pourroit renverfer
le projet, qu'ils avoient formé contre le prince de Condé,qui
n'étoit pas encore arrivé à la Cour , ils le laiflerent partir. \\
s'embarqua fur la Loire , 6c fe rendit à Ancenis en Bretagne ,
où il pofîedoit de grandes terres , que fa femme lui avoit ap-
portées en mariage. Le bruit s'étoit répandu par tout , que l'on
devoit faire le procès à une infinité de perfonnes pour aes cri-
mes véritables ou fuppofez , en un tems , où tout ce qu'on difoir,
ôc tout ce qu'on faifoit contre les Guifes , étoit regardé com-
me un crime de leze-majefté. Le roi de Navarre s'étoit mis en
chemin avec le prince de Condé , après avoir renvoyé Théodo-
re de Beze > qu'il avoit fait venir à Nerac , ôc qui follicitoit forte-
ment l'exécution de ce qui avoit été réglé à Fontainebleau, en
faveur des Proteftans. Il partit donc pendant la nuit, ôc ce ne fut
pas fans danger qu'il fe rendit chez lui. Lorfque le roi de Navar-
re étoit à Vermeil en Angoumois, féjour ordinare des feigneurs
de la Rochefoucault } George cardinal d'Armagnac ' vint l'y
trouver, en apparence pour lui rendre fes devoirs. Ce Prélat am-
tieux ôc vain , qui avoit pris le nom d'une illuftre maifon alors
éteinte ,fe piquoit d'être allié au roi de Navarre, ôc d'être attaché
à fes intérêts. La plupart crurent que les Guifes l'avoient en-
voyé , pour déterminer ce prince irréfolu à venir à la Cour , crai-
gnant que fes amis ne l'engageaflent à retourner fur fes pas.
i Ce Cardinal étoit fils de Pierre , l'Ifle en Jourdain, & d'Yoland de la
bâtard de Charle d'Armagnac comte de I Haye,
Bbbbiij
ftt HISTOIRE
En effet , il perfuada au roi de Navarre de hâter fa marche,
François ^e pL'en^re une entière confiance dans les princes Lorrains ,
y j 6c de congédier cette foule de Gentilshommes , qui l'accom-
< 6 q pagn°ient » aptes les avoir remerciez de leur bienveillance.
Ainfi ce Prince arriva à Orléans fans fuite, ôc comme défar-
mé. S'étant plaint peu après, qu'on ne lui tenoit pas ce que
d'Armagnac lui avoit promis de la part de la Cour , ce Cardi-
nal voulant éviter les reproches qu'on lui faifoitàce fujet, quitta
la Cour, pour marquer fon mécontentement , ou pour fein-
dre d'être offenfé. 11 fe plaignit hautement qu'on fe fût fervi
de lui , pour tromper le premier Prince du fang. Mais cet hom-
me léger , ôc pafîionné pour la faveur de la Cour , fe laiffa ap-
paifer par une dignité qu'on lui offrit ; ce qui fit croire que fes
chagrins étoient une pure comédie , lorfqu'on le vit revenir
pour occuper une place de confeiller d'Etat, qu'on venoit de
îui donner. Au refte ces charges étoient au commencement
fort honnorables , peu de perfonnes en étant revêtues ; mais dans
la fuite le grand nombre , ôc le peu de difcernement dans le
choix, les a avilies. Lorfqueles Princes Lorrains avoient appris
que le roi de Navarre venoit à la Cour, ils avoient fait partir
Melchior des-Prez de Montpezat , gouverneur de Poitou , ôc
lieutenant des gendarmes du duc de Guife , pour lui fermer les
portes de Poitiers. Ce Prince reffentit cette injure , Comme il
le devoit, ôc lui ayant été dit, qu'on en ufoitde la forte par le
commandement du Roi ôc de la Reine-mere , il alla à Lufi-
gnan, pour y attendre de nouveaux ordres. Ses amis lui con-
feilloient de mettre cet événement à profit , ôc que puifque fes
ennemis travaiîloient eux-mêmes à le détromper , il devoit re-
tourner fur fes pas , ôc ne pas craindre que ce changement lui
attirât des reproches ; que tout le monde feroit en droit de pen-
fer , qu'il fe précautionnoit , non contre le Roi , mais contre
les Guifes , fes plus cruels ennemis, qui couvrant leurs intérêts
de ceux du Roi, venoient d'envoyer à Poitiers ces ordres in-
jurieux à fa dignité. « Nous fommes environnez de compa-
•» gnies de cavalerie de toutes parts , ajoûtoient-ils. Atten-
» drons-nous qu'on nous arrête fur le plus léger foupçon ? Si
» les Guifes nous veulent attaquer , ne nous deffendrons-nous
« pas mieux dans des provinces éloignées du centre du Royau-
» me ? L'innocence a bien de la peine à fe garantir contre de
DE J. A. DE ÏHÔU, Liv. XXVL ;£7
* puilTans ennemis ; ôc quand nous ferons prifonniers , la Reine- ■^■n»—
» mère elle-même, ôc les autres qui connoiflent la droiture de Franc0iî
» nos intentions , ne nous mettront pas à couvert de Poppref- \\[
» fion des princes Lorrains. » i < 6 o,
Le roi de Navarre , peu touché de ces raifons , perfiftoit à
vouloir pourfuivre fon voyage. Il difoit qu'il n'avoit rien en-
trepris contre le fervice du Roi, que fes démêlez avec les Guifes
l'expoferoient peut-être à des difgraces , mais non à des châti-
mens, ôc que le pis qui lui pourroit arriver , feroit d'être éloigné
de la Cour , ôc renvoyé dans fes terres : que fes ennemis ne de-
mandoient pas autre chofe , ôc qu'ils acheteroient volontiers à
ce prix le plaifir de jouir feuls d'une autorité abfoluë : qu'au con-
traire s'il retournoit fur fes pas , il donneroit par-là le fignal d'u-
ne guerre civile, qu'il n'étoit pas en état de foûtenir s n'ayant
pris aucunes mefures , fe voyant fans armes , fans cavalerie , fans
infanterie , Ôc l'entrée des villes ôc des bourgs lui étant fermée :
qu'enfin il aimoit mieux fe confier en fon innocence , ôc en la
parole du Roi , que d'être rebelle par une vaine terreur.
Le prince de Condéquinefçavoitce que c'étoit que de crain-
dre , le rendit à cet avis. Les Princes étant retournés à Poi-
tiers , y furent reçus avec des grands honneurs par Paul de
Thermes , fuivant de nouveaux ordres de la Reine-mere , qui
leur fit dire , que Montpezat avoit agi contre fes intentions.
De-là, ils continuèrent un voyage malheureux , de Thermes les
fuivit avec fes troupes jufqu'à Loches, ôc obferva de loin leur
marche, afin qu'ils ne cruffent pas qu'on en vouloit à leur li-
berté. Enfin le 30 d'O&obre ils arrivèrent à Orléans. Le car-
dinal de Bourbon étoit venu au-devant d'eux jufqu'à Blois. Du
refte , il n'y eut que le duc de Montpenfier , ôc le prince de la,
Roche-fur-Yon , qui oferent aller à leur rencontre , mais avec
peudeperfonnes. On ne leur rendit point à Orléans les hon-
neurs ordinaires en ces occafions. Ils ne reçurent aucun compli-
ment des courtifans , ni fur leur longue abfence , ni fur un voya-
ge fâcheux ôc pénible. Le roi de Navarre ayant voulu, fuivant
une prérogative due à fa naiflance, entrer à cheval dans la mai-
fon du Roi , qui étoit logé chez Grolot lieutenant général , on lui
répondit avec mépris, qu'on nepouvoit ouvrir la grande porte:
ainfi il fut obligé , aufïi bien que le Prince fon frère , de met-*
tre pie à terre , ôc d'entrer par une petite. Ayant été admis à
S6Ï HISTOIRE
faluer le Roi , ce Prince les reçut avec froideur , en préfence de£
P ~~ Guifes , qui contre la coutume , ne firent pas un feuîpas pour les
jt aller embraffer. Après qu'ils eurent rendu leurs refpeets au Roi,
il les mena dans le cabinet de la Reine fa mère , fans être fuivi
* ' des Guifes. Cette PrincefTe les reçut en apparence avec bonté ,
ôc même verfa quelques larmes feintes ou véritables. Le Roi
parla en peu de mots au prince de Condé , des crimes qu'on lui
imputoit ; ajoutant qu'il l'avoit mandé , afin qu'il eût à s'en juf-
tifier. Le Prince répondit avec affurance , que ces prétendus
crimes étoient malicieufement fuppofez par les princes de Gui-
fe fes ennemis , ôc qu'il s'appuyoit tellement fur fon innocen-
ce , qu'il n'a voit pas héfité un moment à fe rendre à la Cour , fur
les ordres de fon Souverain. Enfin il fut arrêté par Philippe de
JVlaillé-Brezé , ôc par le Roi de Chavigni , capitaines des gardes ,
ôc conduit dans une maifon voifine , ou Ton avoit bâti une
tour de brique, qui commandoit fur trois places, ôc au-deflus
de laquelle on avoit placé quelques pièces de campagne. AufÏÏ-
tôt on mit des grilles de fer aux fenêtres, ôcl'on mura la por-
te > pour ne laiiTer qu'une ouverture fort étroite.
Le roi de Navarre ayant demandé que le Prince fon frè-
re.» dont il orTroit d'être la caution, fut laiffé à fa garde, on
le réfufa. Lorfque l'on conduifoit Condé en prifon, il fe plai-
gnit hautement, que l'on violoit la parole facrée du Roi, Ôc la
foi qui lui avoit été donnée par le Cardinal fon frère , dont la
crédulité le livroit , lui ôc fa maifon , à fes plus grands ennemis.
L'ordre d'arrêter le Prince futfignépar le R oi ôc par les feigneurs
de la Cour. BrifTac, à ce qu'on difoit, fut un des plus empreffez
à foufcrire, difant qu'en ces occafions on ne devoit avoir au-
cun égard au rang ôc à la dignité des perfonnes. Le Chan-
» Michel de celier * figna aufli , mais à regret , ôc ne pouvant faire autrement.
l'Hôpital. Les Guifes , pour faire croire qu'ils n'avoient aucune part à
cet ordre , ne lignèrent point. Le roi de Navarre, libre en appa-
rence , fut prifonnier en effet. On lui ôta fes officiers 5 on le
fit toujours accompagner par des gens dévouez aux Guifes, ôc
par des courtifans , qui obfervoient fes difcours , fes démarches.»
ôc jufqu'à fes geftes. Auîli-tôt Gui Chabot de Jarnac conduifit
de S. Jean d'Angeli à la Cour Amauri Bouchard , avec tous fes
papiers qu'on avoit faifis. Comme on apprehendoit que cet
liomme, qu'on çroycit devoir fervir à la convicliondu Prince,
ne
D E J. A. D E THOU,Liv. XXVI. f6ç
lie fut empoifonne fur la route , on faifoit l'efTai de ce qu'il .
bùvoit ou mangeoit. Tanegui le Veneur de Carrouges ; ôc rn VT ^T„
■D'1111-njr & rr a & i TRANCOIS
.bailleul de Kenouard lurent aulh envoyez , pour arrêter , dans
fa maifon d'Anify près de Laon, Madeleine de Mailli de Roye, 1
belie-mere du prince de Condé , Dame d'un génie élevé 3 ôc *
d'un grand courage. Son zèle pour les intérêts de fon gendre
l'avoit rendu odieufe aux Guifes, contre qui elle fe déchaî-
noit fans ceffe , en préfence de la Reine-mere , avec trop de
liberté. On faifit tous fes papiers , ôc on l'enferma dans le châ-
teau de S. Germain , comme coupable du crime de leze-ma-
jefté. On emprifonna aulli Grolot lieutenant général d'Orléans ,
accufé d'avoir traité les Seclaires avec trop d'indulgence ,
quoi qu'il eût déjà été abfous au Parlement fur une pareille
accufation.
En ce tems-là , * Renée duchefle de Ferrare , dont le duc *.fîHe de
de Guife avoit époufé la fille , arriva à la Cour. Etant venue
en France au fujet des affaires de la Religion } elle fe rendit à
Orléans pour y faluer le Roi. Cette Princefle déplorant le
malheureux état du Royaume , fit des reproches très-vifs au
duc de Guife fon gendre > ôc lui dit, que fi elle fût venue avant
l'emprifonnement du prince de Condé , elle s'y feroit oppofée
de tout fon pouvoir 5 l'avertiffant qu'il devoit ménager à l'ave-
nir les Princes du fang royal ; qu'il venoit d'ouvrir un playe
qui feigneroit îong-tems , ôc que ceux qui avoient ofé attaquer
des perfonnes d'un rang fi élevé, s'en étoient toujours repen-
tis. Cependant on manda à la Cour le préfident Chriftophle de
Thou , qui avoit été un des Commiflaires du vidame de Char-
tres. Les confeillers Barthelemi Faye ôc Jacque Viole eurent
ordre de l'accompagner : on manda auffi le chancelier de l'Hô?
pital. Tous enfemble fe rendirent le 13 de Novembre au lieu où
Condé étoit détenu prifonnier , pour l'interroger. Ce Prince
foûtint qu'il ne devoit pas être jugé par des Commiflajres ,
mais par le Roi , par les Pairs > ôc par toutes les Chambres du
Parlement affemblées. 11 appella des procédures qu'on faifoit
contre lui au Roi , ôc enfuite au Confeil privé , qui déclara fes
appels nuls ôc frivoles. Ayant interjette plufieurs appellations
femblables , il en fut toujours débouté. 11 fut enfuite ordonné,
fur le réquifitoire de Bourdin *> que fi le Prince perfiftoit à ne * Procureur
vouloir pas répondre devant les Commiffaires du Roi , il feroit genera '
Tom. III. Cçcç
no HISTOIRE
déclaré atteint ôc convaincu du crime de leze-majefté , êc que
TTn . x, cependant on procederoit au recolement ôc à la confrontation
■FRANÇOIS ir/- t • rrj/^j' > r • ;*
ttj des témoins. JLa pnncelle de Conde voyant qu on pourluivoit
1 le procès du Prince fon mari avec une extrême chaleur ,'ôc
que par la violence de fes ennemis , on lui ôtoit tous les moyens
garddu Prîn" ^e ^e Pr°l°nger > préfenta une requête au Roi, pour lui deman-
de de Condé. der de fages 6c d'habiles Jurifconfultes , qui fervîffent au prin-
ce de confeil ; ce qui lui fut accordé. Pierre Robert ôc Fran-
çois de Marillac , célèbres avocats du Parlement de Paris, fu-
rent nommez parle Roi. Le Prince, qui cherchoitfon falut
dans les délais , demanda encore qu'il lui fût permis , avant de
répondre, d'avoir une conférence avec la PriacefFe fon épou-
fe , le roi de Navarre , Ôc le cardinal de Bourbon , en préfence
de telles perfonnes que le Roi jugeroit à propos. On lui refu-
fa durement cette grâce : il eut feulement la liberté de leur
écrire. Enfuite on lui ôta jufqu'à fes domeftiques , ôc on ne
permit à qui que ce fût de le voir. Ces indignes traitemens
animèrent tous les efprits contre ceux qui en étoient les au-
teurs. La plupart plaignoientun Prince, qui étant d'une fi hau-
te naiffance , ne pouvoit jouir du privilège accordé au moin-
dre des Confeillers , qui dans les affaires capitales a droit d'être
jugé par toutes les Chambres du Parlement.
La pitié qu'on avoir pour ce Prince malheureux , étoit fui-
vie d'une haine mortelle contre fes ennemis. Quoique ceux-
ci ne puflent ignorer, à quel point ils étoient odieux, cepen-
dant aveuglez par leur paillon , qui leur faifoit méprifer le ju-
gement du public! ils ne gardèrent plus de mefures i ôc comp-
tant fur la perte certaine du Prince de Condé, chargé parles
informations du procès , ils ne penferent plus qu'à faire périr
aufli le Roi de Navarre. Ils étoient alors agitez des plus gran-
des inquiétudes, ôc combattus en même tems par Pefperance^
ôc par la crainte. L'amour de la Nobleffe Françoife pour fes
Princes fe préfentoit fans ceffe à eux. Ils penfoient d'un au-
tre côté , que leur puiflance étoit peu folide , ôc que n'ayant
pas en elle-même de quoi fe foûtenir, elle pourroit être reri~
verfée en un moment 5 que la mort du Prince de Condé leur
feroit peu avantageufe , s'ils épargnaient un frère, qui ne man-
queroit pas de venger, à la tête de tant d'amis puilîans, ôc de
tant de créatures qui lui étoient dévouées , le fupplice de fon
Exécrable
projet des
Lorrains.
DE J. A. DETHOU,Liv. XXVI. S7i
frère, par le meurtre de fes ennemis. Ilsfe déterminèrent donc à
le faire périr , ôc formèrent contre fa vie un complot , dont on dit jrRANCOis
que le cardinal de Lorraine , ôc S. André furent les auteurs. Us tj '
étoient convenus que le Roi manderoit le roi de Navarre dans x e 6 o.
fon cabinet, qu'il l'accableroit de reproches fur fes defleins cri-
minels, comme venant d'en découvrir de nouvelles circonstan-
ces , ôc fa complicité avec le prince de Condé •> qu'il lui feroit de
grandes menaces, ôc que ce Prince venant à nier ce qu'on lui ob-
jecleroit, ou àrépondre avec fierté, feroit alTafliné fur le champ
par des hommes apportez à cet effet. Le Roi de Navarre , qui
étoit fort aimé , apprit le détail de ce déteftable deifein , par les
amis mêmes des Guifes. Il fut agité d'abord degrandes inquié-
tudes. Enfin reconnoiffant , qu'il ne pouvoit rien contre la puif-
fance du Roi , que fes ennemis avoient irrité contre lui , ôc que
fon fort étoit entre les mains de celui à qui il s'étoit téméraire-
ment confié , il réfolut de fe préparer à tout , de bannir la crain-
te, ôc de faire ufage de fon courage Ôc de fon épée , pour difpu-
ter fa vie à ceux qui voudraient la lui arracher. Ce fut dans ces
momens , qu'il fit venir un de fes anciens ferviteurs, ôc qu'il le
pria,fi le malheur lui arrivoit, de garder foigneufement fes habits
teints de fon fang , de les donner au Prince fon fils , pour le
faire fouvenir fans ceffe de fa funefle mort, ôc l'animer un jour
à une jufte vengence. Après cela, il entra dans le cabinet du
Roi, dont il baifa la main avec une foumiffion refpeclueufe.
Le Roi , adouci par la préfence du Prince , changea tout à coup
de deffein , ôc évita de fouiller la majefté du thrône par des or-
dres meurtriers , foit qu'il manquât de courage , ou que fa vo-
lonté ne fut plus la même j ce qui eft le plus vrai-femblable.
Je n'ofe aflurer, fi ce que je viens de rapporter eft faux , ou
véritable. Au refte ceux qui font écrit ajoutent, que le duc
de Guife voyant le Roi fortir de fon cabinet , ne put s'empê-
cher de s'écrier d'un ton plein d'indignation ôc de colère :
0 l'homme timide & lâche !
Cependant la Reine mère n'avoit pas de moindres inquié- Inquiétude;
tudes. Craignant le pouvoir des Lorrains , que foûtenoit de ia Reine
l'affection du peuple , elle n'oublioit rien , pour entretenir
avec eux une liaifon apparente , tandis que par des délais ha-
bilement pratiquez elle arrêtoit leur violence. D'un autre cô-
té, la ducheffe de Montpenfier fa favorite rendoit aux Princes
C c c i j
$11 HISTOIRE
mmmmm toutes fortes de bons offices , quand elle voioit que ï'occa-
ZT " fion étoit favorable. Se fouvenant à propos des confeils de
François jy[arillac , elle faifoit naître tantôt la crainte ôc tantôt l'efpé-
' rance dans le cœur de cette Reine également ambitieufe ôc
1 S ° °* défiante. Elle l'avertiiToit fouvent de redouter la puiiïance des
Guifes , ôc de ne pas attendre , que la mort du Roi de Na-
varre ôc du Prince de Condé y miffent le comble ; ajoutant,
que l'autorité d'une mère feroit peu écoutée , lorfque les Gui-
fes auroient un pouvoir abfolu furl'efpritdu Roi fon fils. Elle
lui confeilloit d'oppofer à leurs factions la nobleffe de France,
fi jaloufe de la liberté publique , de s'unir au Connétable , ôc
aux autres Seigneurs , dont tant d'injures reçues lui aflureroient
la fidélité , ôc qui ne manqueroient pas de prendre \es armes,
files Lorrains ofoient trop entreprendre. Enfin, fi ces bar-
rières n'étoient pas encore allez fortes, pour arrêter ces hom-
mes ambitieux , elle l'exhortoit à ne pas balancer à appeller les
Princes d'Allemagne , qui foûtiendroient la France fur le pen-
chant de fa ruine. Catherine animée par ces difcours , commen-
ça à avoir plufieurs fecretes conférences avec fes coniidens , ôc
à conjurer le chancelier de FHofpital , par les confeils duquel
elle efpéroit de pouvoir dominer, d'arrêter le progrès de l'au-
torité des Guifes, de conferver celle du Roi fon fils, ôc la
dignité de la Reine fa mère. Elle étoit environnée d'ailleurs
d'ennemis des Guifes , gens adroits , qui lui faifoient fans cefle
des rapports , qui lui étoient d'autant plus agréables , qu'elle
n'étoit pas moins allarmée qu'eux du pouvoir des Lorrains. Ils
lui vantoient l'affection des Proteftans à fon égard , perfuadez
qu'elle les favorifoit aufîi-bien que le Chancelier.
Confiance On travailloit fans relâche au procès du prince de Condé. On
du prince de avoit fait venir des témoins de toutes les Provinces , ôc on avoit
recueilli à Lyon des preuves contre lui : les Guifes croyoient
que tout retardement portoit préjudice. Le Prince fit ve-
nir les Avocats, qui lui avoient été donnez pour confeil, ôc
déclara en leur préfence, que Dieu lui avoit envoyé cette cala-
mité, non pour avoir rien entrepris contre la majefté de fon
Pvoi , mais pour éprouver fa confiance ; qu'au refte joùifTant
d'une grande tranquillité d'efprit, ôc du calme d'une bonne
confcience, il ne fe croyoit pas captif ; que ceux-là l'étoient
bien davantage, qui quoiqu'ils euflent la liberté du corps >
DE J. A. DE THOU, L i v. XXVI. 573
étoient fans ceiTe troublez par les remords d'une confcience »
fouillée de crimes. Enfuite il donna à fes Avocats des mémoi- François
res 6c des inftructions pour fa défenfe. Il leur confia aufïi une jj '
lettre pour la PrinceiTe de Condé. Il l'exhortoit à ne fe point x ^ 5 0.
laiiTer abattre par leurs communs malheurs , ôc à bien efpérer j
foit qu'il prévît l'avenir, foit que naturellement il fut rempli de
confiance. Il lui difoit encore que , quoique tous l'abandonnaf-
fent,Dieu protégeroit fon innocence.
Ce fut alors que le Roi fe fentit frappé de nouveau des Maladie d«
douleurs de fon ancien mal , lorfqu'il étoit fur le point d'aller à Ro'*
îachaiTe, pour n'être point à Orléans , à ce qu'on difoit, dans
le tems du fupplice de Grolot. Sur cette nouvelle , le Conné-
table , que le Roi avoit mandé & qui venoit lentement , hâta
fa marche. Car, quoique Saint André l'affurât du contraire , il
étoit perfuadé qu'on vouloit aufli le perdre, 6c détruire la No-
bleiTe de France , après avoir exterminé les Bourbons. Ayant
donc appris, que l'abcès , qu'avoit le Roi , couîoit par l'oreille, à
laquelle il communiquoit fa corruption, 6c que la vie de ce Prin-
ce étoit en grand danger, il marcha vers Orléans à petites jour-
nées. Le Roi de Navarre n'étoitpas fans de grandes inquiétu-
des, durant la maladie du Roi. Il affectoit d'être feul, & d'é-
viter de parler aux Courtifans. Il ne s'entretenoit qu'avec le
cardinal de Châtiilon 6c l'Amiral fon frère , oui ne l'abandon-
.4
nerent pas un moment; en public & en particulier, durant fa
difgrace. Les gardes , qu'on lui avoit donnez } rapportoient
toutes fes actions 6c tous fes difcours , les empoifonnant ,
comme c'eft la coutume ï 6c ils étoient crus , lors qu'ils aîTu-
roient avoir entendu des paroles injurieufes, qu'il n'avoit pas
dites , parce qu'elles étoient fondées fur la vérité. Le jour étoit
venu, où Condé devoit perdre la vie par la main d'un bou-
reau , le 26 de Novembre, lorfqu'au milieu de tant de foins
divers ,1e mal du Roi augmenta confidérabiement. Cependant
les couriers , que dépêchoit la Cour , annonçaient par tout que
fa fanté étoit meilleure , 6c que fon mal n'étoit qu'un léger ca-
tharre , qu il avoit toujours eu depuis fon enfance.
Les Guifes voyant qu'il s'affoibliiToit de jour en jour., que Embarras
la gangrené commençoit à gagner fon oreille, 6c que les Me- ^es lorrains,
decins aifuroient qu'il n'avoit que peu de jours à vivre, tombè-
rent dans une extrême confternation. Ils eurent recours alors
- c c nj
I74 HISTOIRE
. à de nouveaux artifices. Ils firent à la Reine mère les plus hum-
Francois blés foumifllons j kii repréfentant , qu'elle 6c eux étoient me-
II' nacez du plus grand péril 5 que le Roi de Navarre ôc le prin-
1 < 6 o. ce de Condé, plus aigris encore par les injures récentes, con-
jureraient fa pertes qu'il falloit profiter des momensde la vie
du Roi , pour arrêter le Roi de Navarre > durant qu'on avoit
la force en main , 6c le faire périr avec le Prince fon frère.
Ils s'offrirent en même tems à cette Princeffe , avec tout ce qui
dépendoit d'eux , pour établir fon autorité fouveraine. Tel-
les furent les démarches de ces hommes ambitieux, quis'hu-
milioient devant une Reine , qu'ils avoient ofé braver peu
auparavant. Catherine, allarmée de ces paroles , eut recours aux
fages confeils de l'Hofpital, Ayant été appelle dans le cabi-
net de cette Princeffe , il la trouva fondant en pleurs au milieu
de fes femmes , qui gardoient un morne filence, Lorfqu'elle
lui eût appris ce que lui confeilloient les Guifes , il fit un dis-
cours fenfé 6c plein de force , pour lui infpirer une jufte hor-
reur de ces deffeins extrêmes , dont l'exécution ne manquerait
Difcoufs du pas d'allumer unepruerre civile. « Quoi, dit-il, on fera périr, fans
Chancelier a r & . . £ > if -
h Reine. » 1 entendre,le premier rnnee du bang , qui n a eu nulle part aux
a' troubles 6c aux factions, qu'on reproche au prince de Condé ?
*> Quel eft fon crime 3 finon d'avoir un frère coupable, ou mal-
o' heureux ? Il faut fufpendre le jugement rendu contre le Prince
» de Condé , 6c ne pas répandre le fang de nos Rois , pour favo-
« rifer la paffion de ceux que leur haine rend aveugles. Si on ar-
a> rête injuftementle Roi de Navarre , il ne refte plus qu'à rendre
a un arrêt inique contre lui. Car il faut tout craindre de celui
» qu'on a offenfé fans raifon. C'eft une maxime pratiquée par les
» Princes qu'une fage politique conduit, de ne fe jamais reconci-
:» lier véritablement avec ceux qu'ils ont maltraitez fans fujet. Ne
s> vaut-il pas mieux renoncer à toutes inimitiez,6c que les Grands
» difputent feulement entr'eux , à qui fera voir le plus de zèle
=> pour fon Roi, 6c pour la félicité des peuples ? Aujourd'hui les
*» chofes font venues à ce point, que tous les vœux font tournez
« vers la mère du Roi, Princeffe, dont la prudence 6c la dextérité
«* dans les affaires, 6c l'amour fingulier pour fes enfans , qui tous
» peuvent être nos Rois, affurentà la France une longue tran-
?» quillité. » Le Chancelier conclut, qu'il falloit penfer unique-
ment au bien général de l'Etat, 6c craindre de rallumer des factions
DE J. A. DE THOU ,Liv. XXVL j7*
âflbupies, par des remèdes violens. Ce fut par ces raifons qu'il
raffura Catherine , que les Guifes avoient allarmée. Mais la FrAnCoi-
Princeffe de Montpenfier la détermina entièrement , à prendre jj
un parti convenable dans la fituation préfente. Elle l'afluroit , f(j0
fou vent, de la part du roi de Navarre , d'un entier dévouement
à fes intérêts. Comme la Reine-mere avoit un défir extrême
de régner , elle n'attendit pas que François fût expiré , pour
aflurer fa puiffance. Elle envoya le prince Dauphin d'Auver-
gne, fils de la duchelfe de Montpenfier, au roi de Navarre,
pour le prier de fe rendre dans fon cabinet. Après une affez
longue conférence , la Reine ôc ce Prince fe jurèrent l'un à
l'autre une foi réciproque , ôc fe promirent de s'unir étroite-
ment contre les Guifes.
Enfin François II. mourut , le cinq de Décembre, âgé de dix- Mort du Hoir
fept ans dix mois ôc un jour , après avoir régné dix-fept mois Francis Hs
ôc vingt jours. La courte durée de fon règne, Ôc la foibleffe
de fon âge , ne permettent pas de décider, fi on doit le comp-
ter au nombre des bons Rois ', d'autant plus qu'il ne gou-
verna pas par lui-même , mais par les princes de Guife. On
dit que dans les derniers momens de fa vie , îorfqu'il n'avoit
pas encore perdu la parole , le cardinal de Lorraine l'exhorta
à demander à Dieu, qu'il voulût ne lui pas imputer fes fautes
ni celles de fes Miniftres ; ôc que ceux qui étoient préfens^ re-
gardèrent cela, comme un aveu public que faifoit leCardinai
de fa mauvaife adminiftration , ôc de celle du Duc fon frère,
Quelques-uns ont écrit que ce Roi étoit mort empoifonné %■
fe fondant fur des bruits populaires ôc frivoles. On a toujours
dit, fur tout en des tems de confufion ôc de trouble , que la
mort des Princes , ou des grands hommes , avoit été avancée
par le poifon. Les fentimens furent divers là-defius , fuivant
le penchant ou la haine qu'on avoit pour le roi de Navar-
re. Mais la foible fanté du Roi dès fon enfance , ôc fa mauvaife
conftitution , prouvent certainement que fa mort fut naturelle.
Dès que François eut rendu les derniers foupirs , tous les*
courtifans allèrent en foule faluer Charle fon frère, qui s'étant Char l s
montré en public , fut reçu avec de grandes acclamations IX*
de joie. On vit alors les Guifes , confondus avec les Seigneurs^
oublier leur grandeur paffée, pour s'attacher au préfent. Au
refte, la haine qu'on avoit pour ces Princes , fit publier contre
I
S76 HISTOIRE
_ mmmmmam m^ eux plufîeurs écrits , où l'on avançoit bien des faits contraires
p à la vérité. On difoit , qu'ayant conçu le deffein de faire périr
j»r J Iqs Bourbons , ôc fur tout le roi de Navarre chef de cette au-
" gufte niaifon , ils avoient engagé les Efpagnols à entrer dans
* ' le Bearn , où de Thermes , qui étoit dans le Limoufin , fe de-
voit joindre à eux : qu'ils avoient commandé de plus à d'Af-
premont vicomte d'Ortez > de livrer Bayonne au roi d'Efpa-
gne , place importante à ce Prince , pour opprimer le roi de
Navarre ; ôc qu'enfin ils avoient donné ordre à Blaife de Mont-
îuc , d'unir fes forces , à celles des Efpagnols , pour ôter au roi
de Navarre le comté d'Armagnac , dont on devoit faire don
à Montluc. Onajoûtoit encore, qu'on a voit mis en délibéra-
tion dans le Confeil du Roi , Ci l'on n'arrêteroit pas l'Amiral
de Coligni , ôc d'Andelot colonel général de l'infanterie , ôc
fi on ne dépouilleroit pas le cardinal de Châtillon leur frère
de tous fes bénéfices , à moins qu'il ne foufcrivît à une pro-
fefîion de foi, que l'on devoit lui préfenter, ôc qui avoit été
dreffée par la Sorbonne quelques années auparavant: qu'on
étoit refolu d'envelopper le Connétable dans le malheur des
Colignis fes neveux ; Ôc que les Guifes avoient donné ordre,
il y avoit long-tems , qu'on fe faisît de Damville fon fils.
L'amour que le maréchal de Thermes, ôc plufîeurs autres
qu'on mêloit dans les affaires dont je viens de parler, avoient
pour leur patrie , ne permet pas d'ajouter une foi entière à ces
bruits. Mais ce qui arriva dans la fuite fait croire qu'ils n'é-
toient pas fans quelque fondement. On raconte encore, fans
aucune certitude , que le prince de Condé fut condamné à la
mort 5 que le Roi ayant fait venir les Princes ôc les Seigneurs
delà Cour dans fon cabinet, les uns après les autres , ainfique
les CommifTaires du procès , il leur ordonna de ligner l'Arrêt ;
ce qu'ils firent tous à l'exception du Chancelier ôc de Louis de
Bueil comte de Sancerre , qui déclara au Roi étonné de fa
fermeté , qu'il aimeroit mieux mourir que de foufcrire à un ju-
gement rendu contre les loix 5 ce qui lui attira l'indignation
des Guifes. Pour moi je ne vois rien de bien certain fur tout
cela. Je crois que l'Arrêt de mort fut dreffé, ôc non ligné. Je
me fouviens de l'avoir oui dire ainfijlong-tems après, à mon pe^
re l, homme vrai ôc fincére , à qui cette forme de jugement avoit
l Le préfident ChriHophle deThou, un des CommifTaires du prince de Condé.
toujours
DE J. A. DE THOU, Liv. XXVI ;77
toujours déplu. Il ajoûtoit que c'étoit lui qui avoit confeillé aux ±±_i}*_j_n
amis du Prince, qui le follicitoient en fa faveur, d'appellerau Charle
Roi, & au Parlement, c'eft-à-dire à la Cour des Pairs, ôc de \ x.
plus de lerecufer , lui 6c les autres CommifTaires déléguez, afin \ t 6 o.
que la connoiffance de cette affaire leur étant ôtée , le Parle-
ment feul en connût. Mon père me difoit encore > qu'il avoit
ofé confeillerau cardinal de Lorraine d'ufer avec modération
de fa puiffance , s'il vouloir qu'elle fut de longue durée, Ôc fur-
tout de ne rien faire dans l'adminiftration publique contre les
loixdu Royaume ; parce qu'en négligant ces fages précautions,
il s'attireroit la haine des peuples , ôc l'indignation des Princes,
des Seigneurs, ôc des Gentilshommes j ce quicauferoit fa rui-
ne, ôc celle de fa maifon. Cependant la Reine mère envoya
Lanfac de Saint Gelais au Connétable avec une lettre, pour le
preifer de venir faluer le nouveau Roi. Elle luimandoit, qu'elle
vouloit fe fervir de fes confeils , ôc conferver à l'avenir à cha-
cun fa dignité ôc fes emplois. Aufli-tôt étant parti d'Eftampes,
ôc ayant mandé le duc de Montmorenci fon fils , qui étoit de-
meuré à Chantilli , à caufe de la mauvaife fanté de laducheffe fa
femme, il fe rendit à Orléans. Trouvant des corps-de-garde
aux portes de la ville , il demanda aux officiers , qui les avoit
pofez en ces lieux, ôc ce qu'ils prétendoient y faire; ajoutant
que c'étoit une chofe étrange, qu un Roi, qui de voit être gar-
dé par l'amour de fes peuples, fut entouré de troupes dans une
ville fituée au centre du Royaume. En même tems il ordonna
aux foldats de fe retirer , les menaçant de les faire pendre , s'ils
n'obéïffoient. Il dit hautement , qu'il feroit enforte que le Roi
pût aller fûrement dans toutes les provinces de fon Royaume ,
0ns être environné d'aucuns gardes. Alors ces corps-de-gardes
s'étant difperfez , on jugea qu'on les avoit pofez, moins pour la
fureté de la perfonne du Roi, que pour celle des Guifes , qui
vouloient fe faire craindre.
La princeffe de Condé étoit venue au-devant du Connéta-
ble fon oncle , Ôc lui avoit fait de grandes plaintes de l'emprifon- J-c P""ce <Je
nement du rnnce ion mari. Des que François 11. fut mort, prifon.
on avoit déclaré à Condé, qu'il étoit libre. Mais il deman-
da , qu'avant que de fortir de fa prifon , on eût à lui faire con-
noître , qui étoient fes accufateurs. Les Guifes répondoient feu-
lement qu'il avoit été arrêté par les ordres du feu Roi. Enfin
Tome III. D d d d
;78 HISTOIRE
" '! il fortit au bout de douze jours, accompagné par honneur des
Charle mêmes gardes qu'il avoit, étant prifonnier. Il prit le chemin
IX. de la Picardie , ôc fe rendit à Han , oc enfuite à la Fere-fur-
1560. Oife , places de la dépendance du Roi fon frère , pour y atten-
dre les ordres de la Cour. Le corps du feu Roi fut porté à
Saint Denis accompagné feulement de Sanfat, delà Brode , ôc
de Guillard évêque de Senlis, qui étoit aveugle. Ses funérail-
les fe rirent fans pompe , ôc avec une (implicite peu convena-
ble à la dignité Royale. On n'épargna pas en cette occafion
les princes Lorrains, eux que le feu Roi avoit comblez de biens
ôc d'honneurs , ôc qu'il avoit comme adociez à l'Empire. On
publia d'ailleurs , qu'au moment de fa mort , ils avoient tiré du
tréfor Royal trente mille écus d'or , qu'on avoit portez chez
eux 5 ce qui les rendit fort odieux. On mit fur le drap mor-
tuaire du cercueil du feu Roi cette infcription , dont l'auteur
n'a pas été connu, Tanneguy du Chatel ou efi-il f Du Chatel, d'une
illuftre famille de Bretagne , avoit été le premier Chambellan
de Charle VII, ôc après avoir rendu de grands fervices au
Roi ôc à l'Etat > avoit été relégué dans fes terres. Ayant appris
la mort du Roi fon maître , il accourut , ôc voyant qu'on fe
mettoit peu en peine de lui rendre les derniers devoirs , il lui
fit faire à fes frais de magnifiques funérailles , qui lui coûtèrent
trente mille écus d'or. On citoit l'exemple de du Chatel , pour
faire mieux fentir l'ingratitude des Guifes. Cet écrit qui fut lu
de tout le monde , ne leur fut pas inconnu. Mais ils didimu-
lerent leur chagrin, s'excufantde ne s'être pas trouvez au con-
voi fur la néceiïité où ils étoient, de ne pas abandonner la Rei-
ne leur nièce. Il eft vrai-femblable , qu'ils ne voulurent pas
s'abfenter de la Cour, afin defe trouver à l'ademblée des Etats,
ôc de contenir par leur préfence ceux qui auroient pu décla-
mer contre eux avec trop de liberté. Cependant ils mettoient
tout en ufage, pour jetter des femences de difcorde entre la
Reine mère , ôc le Roi de Navarre ; efperant que devenant arbi-
tres de ces didérends , ils maintiendroient leur puidance. Voyant
que les Etats concouroient unanimement à déférer la principale
autorité au Roi de Navarre , qui avoit promis à Catherine de
ia lui céder, ils firent naître des inquiétudes ôc des foupçons
dansl'efprit de cette Reine ambitieufe ôc défiante > quife tour-
na de leur côté, audi-bien que le duc de Nemours 3 le cardi-
nal de Tournon, Saint André 3 ôc Bridac
DE J. A. DE THOU/Liv, XXVI. m
Le Roi de Navarre prévint les troubles , qui alloient s'élever
à la Cour, en cédant à Catherine, par l'avis de la princefTe Char LE
de Montpenfier , la régence de l'Etat , ôc fe contentant du jx.
titre de Lieutenant général de la Couronne. Enfuite on régla i <; <$ q.
îa forme qu'on fuivroit à l'avenir dans le maniement des affai-
res. Le Roi ordonna le 12 de Décembre, de l'avis delaRei- Le Roi de
ne fa mère, du Roi de Navarre, des Princes du fang, ôc des î^5\{aj.
autres Confeillers d'Etat , que les Gouverneurs des Provinces tenant géné-
6c des villes , ôc les officiers de guerre, qui viendroient à la "IduRoyau-
Cour , s'adrefferoient d'abord au Roi de Navarre , comme au
Lieutenant général de l'Etat , qui feroit fon rapport à la Rei-
ne de l'affaire propofée , laquelle feroit enfuite décidée en plein
Confeil de l'avis de la Régente : Que toutes les lettres de ces
mêmes Gouverneurs , ôc autres perfonnes en place feroient por-
tées d'abord à la Reine mère, qui les ouvriroit, ôc les envoyr-
roit enfuite au Roi de Navarre, qui en conférerait avec elle;
après quoi on regleroit dans le Confeil ce qui feroit trouvé
convenable : Qu'à l'avenir le Connétable, le Grand-Maître
de la maifon du Roi , les maréchaux de France , l'Amiral , ôc
les autres commandans feroient leurs charges , fans qu'il Kit
permis à qui que ce fût d'entreprendre fur leurs fondions : Que
les affaires feroient rapportées dans le Confeil en préfence des
Princes Ôc des confeillers d'Etat, ôc que la Reine mère y pour-
rait affilier, lorfque fes occupations le lui permettraient, ôc
que quand elle ne le pourrait , on lui ferait part des délibéra-
tions , qui feroient écrites par un fecretaire d'Etat , ôc fcellées
enfuite par le Chancelier :Que le Roi nefigneroit aucune ex-
pédition, que la Reine mère ne les eût examinées auparavant
dans un confeil particulier qu'elle tiendrait le matin : Que le
Maître des portes feroit obligé de porter les paquets de la Cour
aux quatre fecretaires d'Etat, qui les donneraient à la Reine
mère fans les ouvrir : Que cette PrincefTe les lirait en particu-
lier , ôc les communiquerait enfuite au Confeil, ôc que le Roi
y feroit réponfe par des lettres , qui feroient toujours accom-
pagnées de celles de la Régente : Qu'il y aurait confeil le Mar-
di ôc le Vendredi de chaque femaine , 011 l'on répondroit les
placets, ôc où l'on expédierait les affaires des particuliers avec
le plus de diligence qu'il feroit poffible , ôc qu'on tien droit un
autre confeil tous les Jeudis pour ce qui concernerait les finances,
Ddddij
$8o HISTOIRE
ôc l'ordre public du Royaume , où il ne fe trouvèrent que
C H a r l E ^es Cîuatre Secrétaires d'Etat , les Gardes du tréfor Royal , Ôc
jy les Greffiers de ce Confeil.
IÇ / Trois jours après, on apprit la mort du Vidame de Chartres,
Seigneur d'une illuftre naiffance , qui alloit de pair avec les
dame^de"71" Princes, qui avoit de grandes richeffes, un efprit ôc un cou-
Chajrtres. rage élevez , mais que le luxe , ôc les voluptez avoient amolli.
Il mourut aux Tournelles , où on lui avoit permis de fe faire
tranfporter, à caufe de fa mauvaife fanté. Les retours fâcheux
des plaifirs , joints au mauvais état de fes affaires ôc au chagrin
d'une indigne prifon , terminèrent fes jours à l'âge de trente-
huit ans. En ce même tems de Bueil , fils naturel du comte de
Sancerre , fut tué à Orléans par René de Laval ; ce qui caufa
de nouveaux démêlez entre les Guifes amis du comte de San-
cerre, ôc les Montmorencis parens de Laval .> qui defeendoit
du Connétable Mathieu de Montmorenci. Au refte tel fut le
fujet de la querelle de Bueil ôc de Laval. Celui-ci recherchoit
en mariage Renée de Rohan fœur de Louis de Guimené,ôc
veuve du feigneur de Rohan Gié. De Bueil , qui avoit les mê-
mes prétentions , publioit partout, pour empêcher ces noces,
que cette dame lui avoit promis de l'époufer ; ôc fier de plu-
sieurs combats finguliers qu'il avoit foutenus, il avançoit avec
infoîence bien des chofes contre l'honneur de cette illuftre
veuve. De plus, Laval ne pouvoit pardonner aux Guifes d'a-
voir fait enforte par les intrigues de Guillaume de Balzac d'En-
tragues, que Sainte-Maure marquis de Nèfle fon oncle leur don-
nât le comté de Joigni. Ce fut cette même année au mois de
Juillet, que le chancelier de l'Hofpital, fort zélé pour le bien
Edic au fu' public , Signala les commencemens de fa magiftrature en pu-
jet des fecon- bliant une loi très-judicieufe au fujet des fécondes noces des
femmes. Cet édit renouvellant la constitution des Empereurs
Léon , ôc Anthemius, qui n'avoit pas lieu en France, faifoit
défenfe à la femme , qui ayant eu des enfans d'un premier ma-
riage , paffoit à de fécondes noces , de donner à fon nouveau
mari, au père , à la mère, ôc aux enfans de ce même mari,
ou à d'autres perfonnes fufpecles , une portion plus forte de biens
meubles, immeubles, ou d'acquêts, que celle que pourroit pré-
tendre celui de fesenfans qui auroit le moins -, ôc ordonnoit que
les profits, pro venus de la communauté du premier mariage,
des noces.
!CS«
DE J. A. DE THOU,Lïv. XXVL fÉt
feroient partagez également entre tous les enfans. Cette loi
s'étendit aufli aux hommes qui fe marioient une féconde fois. Charle
Elle leur défendit de donner à de nouvelles époufes ce que jx.
leur avoit procuré la libéralité des premières ; ces dons de- i e 6 q.
vant être réfervez aux enfans du premier lit. Cet édit du Roi
fut publié au Parlement le $ d'Août , ôc reçu avec de grands
applaudiffemens. Cela arriva précifément dans le tems qu'une
des plus riches veuves de Paris venoit de donner tous fes biens
par contrat à un fécond mari , qu'elle aimoit éperdûment 5 fa
folle paillon l'empêchant de s'appercevoir qu'on cheriffoit uni-
quement fes biens , ôc non fa perfonne. Elle ne laiflbit à fes
enfans que la portion légère s dite laFalcidie J, qu'elle ne leur
pouvoit ôter. L'édit du Roi ne regardoit que les femmes. Mais
le Parlement par fon arrêt jugea à propos de reftraindre auffi
les dons des pères , qui paffoient à de fécondes noces.
Le parlement de Touloufe donna peu après un arrêt célè-
bre , rendu public le 1 2 de Septembre , contre l'impofteur le plus Affaire t
infigne qu'on eut encore vu , nommé Arnaud du-Tilh. Cet finguliere.
homme s'étoitlié d'une amitié fort étroite avec Martin Guerre,
du village d'Artigat au diocéfe de Rieux , lorfqu'ils fervoient
l'un ôc l'autre dans la même compagnie. Il refTembloit parfai-
tement de taille ,6c de vifage à fon ami, linon qu'il avoit le
pied plus long que lui. Il y avoit huit ans , que Martin Guerre,
ctoit danslefervice,lorfqu'il prit envie à du-Tilh de pofTeder
la femme de fon ami , qui n'avoit point vu fon mari depuis
plufieuis années. Il lui perfuada qu'il étoit Martin Guerre; lui
difant certaines particularitez qui fe paffent entre un mari ÔC
une femme, qu'il avoit apprifes de fon ami lorfqu'ils étoient
enfemble à la guerre, ou qu'il avoit pu fçavoir, comme on
le croyoit alors , par le fecours de l'art magique. L'effron-
terie du fédu£teur impofa non feulement à cette femme , mais
encore aux fçeurs, ôc aux parens de Martin Guerre ; enforte,
qu'il vécut trois ans entiers avec la femme de celui-ci , appel-
lée Bertrande de Rolz , ôc qu'il en eut deux enfans. Mais com-
me il diflipoit les biens de cette femme , avec aufTî peu de fcru-
pule qu'il avoit attenté à fa pudicité , Pierre Guerre oncle de
Martin lui fit un procès. Enfuite il futaccufé d'impofture, à la
1 Falcidia lex efl , quœ quajîfalce ampitat legata , quando ad minimum quartapan
bonorum non fupereji haredibus.
Dddd iij
$h? HISTOIRE
faveur de certains indices,qui faifoient foupçonnerîe menfonge,
C h a r l e ^a ^emme commençant aufïi à s'appercevoir qu'on Favoit trom-
IX P^e' Après de longues procédures, ôc une inftru£tion fort am-
/ pie , qui laifïbit encore des nuages fur cette affaire , 6c qui jet-
toit les juges dans d'étranges embarras , le ciel permit qu'un
fi grand crime ne demeurât pas plus long-tems impuni. Mar-
tin Guerre, qui avoit paffé en Efpagne tout le tems que fon
perfide ami avoit joui du fruit de fon crime , revint heureu-
fement peu de jours avant le jugement du procès , ôc ayant
été reconnu de fa femme, diffipatous les doutes. Du-Tilh fut
condamné à faire amende honorable à Dieu, au Roi, à la Juf-
tice, à Martin Guerre , ôc à fa femme à ôc à être pendu , com-
me impofteur, adultère, raviffeur, facrilege, ôc voleur. Ses
biens furent adjugez à une fille , qui lui reftoit de Bertrande,
Affaires <TI- qui l'avoit eue de lui fous la foi du mariage.
tallc* A Rome , le pape Pie IV ( ci-devant le cardinal Medici ou
Medichino ) ceffa de fe contraindre , ôc oubliant les affaires de
l'Eglife, ne fongea plus qu'à fes intérêts particuliers, ôc à ceux
de fes proches. Après avoir pris le nom , ôc les armes de la mai-
fon de Medicis , ôc imité la vanité du marquis de Marignan
fon frère , il nomma Cardinal le fécond fils de Corne duc
Charie Bor- de Florence , à peine âgé de quatorze ans , pour marquer
cardmal?ee ^on attachement au chef d'une illuftre famille , dont il n'étoit
pas. En même tems il créa cardinal Charie Borromée , le char-
gea de plufieurs affaires importantes , ôc le nomma archevêque
de Milan , par la démifiion que fit de cette dignité le cardinal
HippolytedeFerrare, en faveur du neveu du Pape. Jean An-
toine Serbelloni évêque de Spolette eut aufli le Chapeau en
cette promotion , ôc l'évêché de Novare , dont le cardinal de
Moron fe défit. Borromée ôc Serbelloni étoient fortis des fceurs
du Pape. En ce même tems le duc de Savoye , revenant de
France avec la princeffe Marguerite fon époufe,fe remit en
poffeffion de fes Etats , après qu'on eut employé quelque tems
à démolir les fortifications de plufieurs places , fuivant les con-
ditions du dernier traité. Alfonfe, nouveau duc de Ferrare, abor-
da auflï de France en Italie , ôc s'étant embarqué avec les gens
de fa fuite fur deux galères de Marfeille , defcendit à Livour-
ne.Il y fut reçu de Corne , dont il étoit fur le point d'épou-
fer la fille , avec beaucoup de magnificence 3 ôc de grandes
DE J. A. DE THOU ,Liv. XXVI. $83
marques d'amitié. Enfuite ayant pris le chemin de la vallée de ■
Carfagnana , il arriva dans fes Etats. 11 envoya delà François çH a r l E.
d'Efte fon oncle , pour fe rendre à Florence , ôc lui amener la \ x.
princeffe de Florence. Elle fut accompagnée du prince Fran- \ e G Q.
cois fon frère, de Louis de Tolède , de Marc Centurione , ôc
de quelques autres Seigneurs , ôc arriva à Ferrare , où les no-
ces fe célébrèrent avec une grande pompe. Peu après Corne,
fur les inftances du faint Père , envoya à Rome le Cardinal
fon fils , fous la conduite d'Alexandre Strozzi Le jeune
Prince fut reçu du Pape avec des témoignages finguliers de
bonté , ôc de bienveillance. Enfin le Pontife voulant marquer
déplus en plus au duc de Florence, combien il luiétoit atta-
ché , lui rendit la nomination à l'archevêché dePife^ dont Paul
IV. l'avoit mal à propos dépouillé , en y nommant le cardinal
Rebiba, ôc lui donnant pour dédommagement, fur les plain-
tes qu'il fit alors, le droit de conférer l'évêché de Troja. Mais
ces grâces, dont il combla alors le Duc, font peu de cho-
fe , en comparaifon de ce qu'il voulut faire pour lui dans la fui-
te, quoique fans fuccès. François fils aîné de Corne étant déjà
grand, Ôc en âge de fe marier, le Pape confeilla au Duc de pro:et du
foutenir la grandeur naiffante de fa Maifon par une alliance papc en fa-
des plus illuftres. Dans cette vue' , il donna ordre à l'évêque de SyjaiTon6 de
Terracine fon nonce en Efpagne, d'engager Philippe à donner Meta*
en mariage au Prince François fa fœur, veuve alors du prince
de Portugal , dont elle avoit eu un fils nommé Sebaftien , qui
régna après fon ayeuî.
Au refte le Pontife craignoit" avec raifon , que Philippe ne
voulût pas confentir à une alliance fi inégale. En effet , il fem~
bloit peu convenable à la grandeur de la maifon d'Autriche ,
qu'une Princeffe fille d'un Empereur , fœur du plus puhTant Roi
de l'Europe , ôc déjà mariée dans une maifon Royale , épousât
le fils d'un Prince , créé tel depuis quelques années, qui n'avoir
que le titre de Duc. Tout le monde penfoit que le Roi d'Ef-
pagne, qui venoit de conclure une paix qui lui étoit fi hono-
rable ôc fi avantageufe en même tems , ôc d'humilier le nom
François , fuivant le langage des Efpagnols , ne voudroit pas
fe faire tort par un tel mariage. Ces confidérations ne rebu-
tèrent point le Pape , qui fouhaitoit fortement que cette affaire
réufsît. Pour illuftrer de plus en plus les Medicis , il fit propofer
584 HISTOIRE
à Philippe ; qu'on pourroit en faveur de ce mariage , créer
C1 h a r l e Côme roi de Tofcane > ôc lui conférer les droits ôc les honneurs
IX ^IS a ^a dignité Royale. Ces proportions fi honorables à Cô-
J me excitèrent la haine ôc l'envie des autres princes d'Italie,
ôc lui attirèrent même l'indignation du Roi d'Efpagne. Un bruit
qui fe répandit alors par toute l'Italie , rendit encore Philippe
peu favorable au Duc. On difoit que le Pontife 3 qui étoit Mi-
lanois 3 ôc qui cherchoit à revêtir fes parens de quelques ri-
ches dépouilles , avoit ménagé un traité d'alliance , pour chaf-
fer les Efpagnols de l'Etat de Milan , comme on avoit fait autre-
fois fous Clément VIL Soit que les ennemis y ôc les envieux du
duc de Florence, eullent imaginé cela , foit que ces difcours euf-
fent quelque fondement ; les Efpagnols naturellement défiants ;
y ajoutèrent foi , ôc Philippe ne voulut plus entendre parler d'un
mariage, que le S. Père ôc le Duc fouhaitoient avec paiîion.
Cependant la Doctrine nouvelle 3 répandue dans toute
la France 3 faifoit de grands progrès dans les Payis-Bas. Bien
loin que les Proteftans fe cachaffent 3 comme auparavant ,
ils ofoient fe produire avec audace : les Seigneurs ôc les au-
tres Ordres ne s'oppofoient point à leurs entreprifes par
foibleffe , ou les favoriferent même par un amour aveugle
de la liberté, Il y avoit peu de tems qu'ils avoient refufé à
la princefTe Marguerite leur gouvernante 3 ôc à fon Confeil,
un fublide , pour l'entretien des garnifons étrangères. Ils fe
donnèrent même tant de mouvemens 3 qu'ils rirent renvoyer
de Zelande en Efpagne les foldats qui étaient en garnifon
dans cette province , fans vouloir confentir qu'elle payât rien
pour les frais du retour de ces troupes. Enfin ils avoient confen-
tiavec peine à la levée de ce qui convenoitpour la fubfiftance
des gens de guerre 3 à condition que les fommes feroient im-
pofées par eux , ôc qu'ils diftribueroient aulTi les foldats fur
les frontières , comme ils le jugeroient à propos 3 fans que la
Gouvernante , ni fon Confeil , pulTent fe mêler de ces dépar-
temens. On croyoit que ces peuples vouloient dominer dans
le gouvernement civil 3 pour étendre la liberté ôc la licence
jufque dans les affaires de la Religion. AufTi réfufoient-ils de
recevoir les Evêques 3 que Paul IV. avoit depuis peu créez dans
les Payis-Bas 3 les regardant comme des Inquiliteurs de leur foi.
L'Efpagne avoit auffi des Religionnaires. On y avoit emprifonné
pour
DE J. A. DE THOUs Lrv. XXVI. tff
pour crime d'héréfie Barthelemi Carança archevêque de To- — ■
ledç, ôc faiii fes immenfes revenus. Je l'ai vu long-tems après q
à Rome , où il eft mort. C'étoit du relie un Prélat quimeri- j v
toit cette première dignité de l'Egliie d'Efpagne , par fon < $ '
érudition , par fa probité , ôc par la fainteté de fes mœurs. Pour
prévenir tant de maux, tous les gens debienfouhaitoient avec
ardeur , que le Concile, qui avoit ci-devant été anemblé, fût
de nouveau convoqué. Mais le Pape régnant ne redoutoit pas
moins que fes prédeceffeurs ce premier tribunal, qui eût pu
mettre des bornes à fa puiflance. Ainfi , quoi qu'il vit bien que
c'étoit là l'unique remède , pour extirper les héréfies , cepen-
dant il difFeroit toujours , ôc il étoit évident, qu'il ne confen-
tiroit jamais à un Concile univerfel 3 s'il n'y étoit forcé. Au
relie ayant refolu de fe fatisfaire , avec juftice ou fans raifon ,
par force ou par rufe , & jugeant que la perte des CarafFes ( qui Conduite <fa
lui avoient néanmoins rendu de fi bons offices dans le dernier PaPe à régate
Conclave ) lui pourroit être avantageufe , il fe conduifit avec es dra es'
eux de la manière adroite que je vais dire. D'abord il parut
vouloir les obliger en toutes chofes. Il nomma Nonce extraor-
dinaire en Efpagne , Fabrizio de Sanguine , le plus intime de
leurs amis , ôc le chargea , aufîl-bien que l'évêque de Terra-
cine , de folliciter fortement auprès de Philippe, en faveur du
comte de Montorio, un équivalent promis par Vargas dans la
Calabre, en échange de Palliano , ôc de demander pareillement
la penfion, qu'on étoit convenu de donner au Cardinal frère
du Comte. Avérard dei Médici , envoyé de Corne, eut ordre
de faire les mêmes infîances à la Cour d'Efpagne* Philippe,
qui vouloit obliger le nouveau Pape , étoit difpofé à accorder
ce qu'on lui demandoit , & iî avoit mandé au comte de Ten-
diila, de contenter les CarafFes , comme le défiroit le S. Père.
De plus , après la mort du feu Pape , & durant la vacance du
S. Siège , le comte de Bagno , les Vitelli , ôc Afcagne délia
Cornia avoient repris dans la Romagne , ôc dans la cam-
pagne de Peroufe 3 plufieurs châteaux , que les CarafFes leur
avoient enlevez , & qui avoient été mis en fequeftre , par l'en-
tremife du Sacré Collège. Philippe ordonna qu'on rendît
Montebello à Antoine Caraffe , ôc qu'on pourfuivît les Vi-
telli comme rebelles , quoique le Grand Duc s'oppofât à ce
qu'on entreprenoit contre eux , croyant qu'il y alloit de fa
TornJIl, Eeee
ygtf HISTOIRE
réputation de protéger fes amis dans ces conjonctures.
C harle Alors le S. Père croyant avoir allez fait pour les CararTes»
tv & s'être entièrement acquitté de ce qu'il leur devoit , fe mon-
{/ ' tra toujours depuis leur ennemi déclaré. Cherchant à perdre
ces hommes , qui avoient abuié malicieufement de leur pou-
voir fur l'efprit du vieux Pontife leur oncle, pour vexer les fu-
jets du S. Siège , il n'eut pas de peine à en trouver les moïens;
le peuple qui fe fouvenoit des maux paffez, étant très irrité con-
tre eux , aufïi-bien que la plus grande partie de la Nobleffe.
Il arriva donc, qu'un jour que le Pape tenoit le Confiftoire ,
on manda , par le confeil d'Antoine Colonne ôc de Julien Ce-
farini , le cardinal Charle Cararïe , ôc le cardinal de Naples
fon coufin , lorfqu'on ne s'attendoit à rien moins. Etant ar-
rivez au Vatican,, ils furent arrêtez par Gabriel Serbelloni, ôc
conduits au château S. Ange. Le gouverneur de Rome arrêta
en même tems le comte de JVIontorio , qui y étoit arrivé la veil-
le , ôc le mit en prifon. On dit que lorfquel'on menoitle car-
dinal Caraffe au château S. Ange, il dit, que c'étoit-là une:
jufte récompenfe de ce que les Caraffes avoient fait pour Me-
dici y en l'élevant au fouverain Pontificat. On appella à ban
Antoine marquis de Montebello , qui étoit abfent , & qui avoit
pris la fuite , ayant fçû la difgrace de fon frère. Cependant
on recevoit tous les jours de fàcheufes nouvelles de l'expédi-
tion de Tripoli, dont je parlerai dans la fuite. On n'ignoroit
pas aufli à Rome les troubles de la France fur les affaires de
Religion. Mais le Pape paroiiToit peu touché de ces malheurs ,.
ne fongeant qu'à jouir des avantages de fa dignité, ôc à élever
fes créatures. Comme il ne cherchoit qu'à obliger le Duc de
Florence , il ufa en cetems-là d'une infïgne perfidie envers Ni-
*«»desUr- colas Urfini* comte de Pétigliano, dont véritablement les vio-
û™. lences , les mœurs diflbluës , Ôc le traitement indigne qu'il avoit
fait à Jean-François fon père , meritoient d'ailleurs un châti-
ment exemplaire.
Perfidie du Urfini étoit en poffefïïon de la ville de Soana , ancien pa-
Pape, trimoine de fa famille. Il s%n étoit emparé dans la dernière
guerre ; ôc Corne la reclamoit , comme faifant partie du ter-
ritoire de Sienne , qui devoit lui être rendu , fuivant la te-
neur des traitez. Ce Prince avoit fait plufieurs inftances auprès
du roi de France , par Tornabuoni fon envoyé, pour obtenir
i 1 1 1 ri »
DE J. A. DE THOU, Liv. XXVL ?8?
la reftitution de Soana. On lui avoit répondu , que le Roi -»
ne trouveroit pas mauvais, qu'il fe rendît maître de cette pla- Char le
ce, par les moyens qu'il jugeroit à propos i mais qu'il ne de^- j x
voit pas efperer que le Roi employât fes forces, ou fes prie- t * $0%
tes , pour engager le comte de Petigliano à la rendre. Co-
rne fe voyant alors en liberté de tout entreprendre , forma des
intrigues contre le Comte, 6c gagna même Alexandre fon
fils , qui lui promit de lui livrer la citadelle. La confpiration
ayant été découverte, le Comte Ht arrêter fon fils, ôc lit pen-
dre Angelo Frafchino auteur du complot. La rufe n'ayant
pas réuiïî , le Grand Duc fit une guerre ouverte à Urfini , ôc
lit marcher fix mille hommes de pié, commandez par Chia-
pino Vitelli , pour attaquer Soana , ôc délivrer le fils du
Comte. Aufli-tôt on fit venir du canon de Montepulciano „
qu'on dreffa aux environs de la ville. Cependant les ambaiTa-
deurs de France ôc de l'Empereur à Rome , fe plaignoient
fort haut de ces hoflilitez ; le Comte leur ayant fait repréfen-
ter que fa ville étoit de la dépendance de l'Empire, & qu'il
étoit de plus fous la prote£lion de la France. Ces Miniftres fup-
pliérent le Pape d'interpofer fon autorité , ôc de donner ordre
qu'on levât le Siège ; que fans cela on fe croiroit difpenfé d'ob-
ferver les conditions d'un traité, que l'on violoit impunément.
Le Pontife fit partir aufli-tôt Gabriel Serbelloni, avec le titre
de médiateur ôc d'arbitre. Le Comte lui ayant en cette qualité
remis fa place entre les mains , il la livra au Duc de Florence par
■une noire perfidie , fans avoir entendu les raifons des parties.
Cependant Corne preffoit le Pape de porter fes foins au
dehors , de faire garder les côtes d'Italie , ôc de mettre une
forte garnifon dans Elba, pour s'oppofer aux defcentes ôc aux
courfes des Turcs , que la malheureufe expédition de Tripoli
avoit irritez contre les Chrétiens. Il lui repréfentoit auffi , qu'il
devoit jetter les yeux fur les troubles , dont la France ôc l'E-
coffe étoient agitées ; ôc que tant d'ames , dont le falut étoit en
danger par rapporta la Religion, meritoient fes foins pater-
nels 5 ajoutant qu'il devoit empêcher que les Princes Chré-
tiens , qui dévoient avoir recours au S. Siège , ne remédiai
fent eux-mêmes aux maux de l'Eglife , ôc n'affemhlafTent chez
eux des Conciles Nationaux , au défaut d'un Concile général.
Car on ne parloit alors en Italie 3 que du difcours qu'ayok
Eeee ïj
Tgg HISTOIRE
************* fait dans le Confeil du Roi îe Chancelier de l'Hôpital , où ,
Puinir après que ce premier Magiftrat eut parlé d'un Synode cecume-
j y nique , il avoit exhorte les Ëveques a le tenir prêts a célébrer
> * * Q un Concile National, (i le Pape refufoit de confentir inceffam-
ment à la convocation d'un Concile univerfel. Nos Ambafla-
deurs faifant à ce fujet de vives inftances auprès du S. Père ,
il leur répondoit toujours en termes généraux & équivoques,
Ôc difoit i que dans peu de tems il fe rendroit à Boulogne , ôc
qu'il conférerait dans ce voyage fur une matière fi importan-
te , ôc fur d'autres articles qui concernoient la fureté de l'Ita-
lie , avec le Duc de Florence , Prince fageôc éclairé, fon ami ôc
fon parent. Corne voyant que ce voyage du Pape fe remet-
toit toujours 3 réfolut d'aller à Rome , où le Pape l'avoir invité
de fe rendre , pour conférer avec lui de plufieurs affaires pu-
bliques Ôc particulières. Sur le bruit qui s'étoit répandu qu'il
devoit fe tenir en France un Concile de la Nation , le roi d'Ef-
pagne engagé , à ce que l'on croyoit , par les Guifes, avoit en-
voyé au Roi Antoine de Tolède , mmiftre très habile dans les
négociations , pour entretenir le Roi à ce fujet , ôc le détourner,
ainfi que les Princes ôc les Seigneurs du Confeil, de l'affemblée
d'un Concile particulier 9 qui ne manqueroit pas d'occafion-
ner un Schifme. D'un autre côté l'Empereur Ferdinand de-
mandoit au Pape , que le Synode général ayant été convoqué
d'abord pour pacifier les troubles de l'Allemagne 3 on l'afTem-
blât de nouveau fur les terres de l'Empire , ôc qu'on examinât
une féconde fois les Décrets qui avoient été rendus. Mais plu-
fieurs penfoient , que s'agiffant alors des divifions de la France
fur les matières de la foi , aulli-bien que de celles de l'Allema-
gne , on devoit tenir le Synode général dans un lieu commo-
de aux deux Nations , comme à Confiance ou à Befançon > fi
l'Empire y confentoit. Le Pape prétendoit au contraire , que
s'il n étoit pas convoqué à Trente , il le fut dans une ville
d'Italie, comme Vereeil, place à portée de la France. A dire
vrai , le S. Père n'étoit nullement déterminé à accorder le Con*
ciîe. Il auroit mieux aimé qu'on eût attaqué par les armes Ge*
neve , qui répandoit en France ôc dans les Payis-Bas le ve-
nin de l'héréfie , que de voir les démêlez de l'Eglife décidez
par les Conférences pacifiques des Evêques. C'eft pour cela
qu'il avoit çonfeillé au duc de Savoye » de faire la guerre aux
DE l A. DE THOU, Liv. XXVI. y8$
Vaudois. Nous en parlerons dans fon lieu. Tandis qu'il étoit
occupé de ces foins, beaucoup plus que de fes fondions paf- Char le
torales , Corne arriva à Rome au mois d'Octobre, avec le car- IX.
dinal Jean , ôc Garcie , deux de Tes enfans. Ayant reçu de 1 $ e o.
grands honneurs , ôc eu enfuite audience particulière du Pa-
pe , il obtint enfin de ce Pontife, qu'il indiquerait le Concile
général , pour le commencement de l'année prochaine.
Il lui repréfenta, que l'état de la République Chrétienne, Confeilsque
dont Rome étoit comme le centre, Ôc la mère commune , de- côlpe donne
mandoit qu'on apportât un grand remède à un mal répandu '
prefque par tout i qu'il ne devoit pas craindre au refte , qu'un
Concile légitime cenfurât les mœurs , ou les abus de la Cour
de Rome , puifqu'il étoit obligé de fouhaiter lui-même , en qua-
lité de fouverain Pontife > qu'on reformât la difeipline de l'E-
glife , ôc les abus qui s'étoient introduits 5 qu'il falloit donc
qu'il agît de bonne foi dans cette affaire, fans détours ôc fans
feinte , ôc qu'il fît venir les plus habiles Théologiens de toutes
les parties du monde Chrétien , pour être écoutez avec une
attention favorable , ôc parvenir enfuite à réunir l'Eglife divi-
fée par la diverfité des opinions, ôc par la licence ôc le liberti-
nage des efprits. Philippe avoit envoyé à Rome le comte de
Tendilla, pour obtenir du Pape lapermifïïon de lever durant
cinq ans , fur les biens ecclefiafhques d'Efpagne , une fomme
fuffifante pour l'entretien de neuf galères deftinées à garderies
côtes d'Italie , ôc à couvrir les places qu'il poffedoit en Afri-
que. Corne confeilla au Pape d'accorder les décimes que de-
mandoit le roi d'Efpagne. Après cela ayant obtenu une amnif*
tie , en faveur de Paul Ôc de Chiapino Vitelli , que le procureur
général du Fifc pourfuivoit, fur ce qu'ils avoient fait à Monto-
ne durant la vacance du S. Siège ; ayant aufîi fait reftituer aux
enfans de Rodolphe Bagîioni les biens > que poffedoit leur père
dans le territoire de Peroufè, ôc procuré à Fabiano de Monte
fils de Balduin frère de Jules III, la joùiffance pailible des ter-
res qu'il tenoit de la libéralité du Pontife fon oncle, ôc que
les Caraffes lui avoient enlevées > il partit de Rome , Ôc fe ren-
dit à Sienne. Après avoir établi dans cette ville une nouvelle
forme de gouvernement, ôc l'avoir rétablie ôc fortifiée, ilvifita
fon territoire , régla les différends que les Siennois avoient au,
fujet des limites avec les Efpagnols , qui occupoientOrbitellç*
Eeee iij
?po HISTOIRE
i— «■«— m» ôc Portercole , Ôc revint enfin à Florence. Peu après , on apprit
Charle en -*-taue ^a mort ^e Franǰis U» On y publia en même-tems
IX. 4ue ^a Cour ^e France avoit changé de face , que la Reine
j - $0t mère délivrée de la tyrannie des Guifes , qui Pempêchoient
d'agir avec liberté, s'étoit unie au roi de Navarre, qu'elle avoit
fçii affujetir à fes volontez, ôc que cette Princeïïe le montroit
affez favorable aux Proteftans. Ces nouvelles frapérent le S.
Père, ôc plufieurs autres Princes, ôc firent penfer ferieufement
à la convocation d'un Concile. Aufîi-tôt le Pape,leroid'Ef-
pagne , ôc le duc de Florence , envoyèrent de concert des
Ambafladeurs en France , pour faire à Catherine de Medicis
des complimens de condoléance fur la mort du Roi fon fils,
l'exhorter à ne pas fe laiffer abattre par tant de malheurs, ôc
lui recommander fur tout l'ancienne Religion , dans laquelle
elle étoit née , ôc avoit été élevée , ôc la conjurer de ne pas
fouffrir, que par une licence odieufe, on donnât entrée à un
Schifme funefte , ôc qu'on cherchât ailleurs , que dans les lu-
mières du S. Siège , les remèdes aux maux qui affligeoient
l'Eglife. Ils avoient ordre d'ajouter , que bien-tôt la France
feroit fatisfaite pour l'aflemblée d'un Concile œcuménique ,
ôc qu'on la prioit de ne pas permettre , qu'un Royaume flo-
rilTant dégénérât de la pieté des anciens François , ôc qu'on
prît aucune refolution , qui pût faire préjudice aux remèdes fa-
lutaires , qu'on étoit en droit d'attendre d'un Synode univer-
fel. Laurent Lenzi évêque de Fermo , fut l'ambafladeur du
Pape j Jean Manrique celui de Philippe 5 ôc Agnolo Guicciar-
dini fut l'envoyé de Corne. En même tenis le S. Père choifit
les cardinaux Hercule de Gonzague , Jérôme Seripandi , ÔC
Staniflas Hoiio , pour préfider en fon nom au Concile qu'on
alloit tenir à Trente. 11 envoya auffi vers les Princes d'Alle-
magne, Zacharie Delfino évêque de Lézina, ôc Jean-Fran-
çois Commendon, pour leur indiquer l'aflemblée du Concile.
Canobbio partit aufîi pour la Pologne à ce fujet. Il avoit or-
dre d'aller jufqu'en Mofcovie , pour y exhorter le Grand Duc
à envoyer des Ambafladeurs Ôc des Théologiens à l'aflemblée
générale de l'Eglife Latine , quoique fes Etats fuiviflent les
Rits de l'Eglife Grecque. Mais Canobbio avant trouvé la guerre
allumée entre les Polonois ôc les Mofcovites , ne put pénétrer
jufqu'en Ruflie.
DE J. A DE THOU, Liv. XXVI. ypï
Parlons maintenant de ce qui fe paiïa en des payis plus éloi- ■»■■•
gnez. Après la paix faite entre les deux Rois , Philippe avoit cHARLE
réfolu dès l'année précédente l'expédition de Tripoli , qui jx.
ayant été retardée pour plufîeurs raifons , fut enfin entreprise, i ? 6 o.
Jean de la Cerda , viceroi de Sicile, avoit une forte envie de .
fignaler fon nom , ôc de rendre quelque fer vice important à je Tripoli.10
l'Efpagne 3 à l'exemple de Jean de Véga fon lieutenant , qui
avoit enlevé depuis peu aux Turcs la ville d'Africa en Barba-
rie j appellée Mehedia par les gens du payis. Il y avoit long-
tems qu'il follicitoit Jean de la Valette Parifot, Grand-Maître
de l'Ordre de Malte , de concourir avec lui , pour reprendre
Tripoli , qu'on avoit depuis peu perdue 3 ôc pour ruiner en ces
contrées la puiflance des Turcs , qui menaçoient la Sicile , la
Sardaigne , ôc Tifle de Malte. Ainfi la Cerda ôc le Grand-
Maître firent repréfenter à Philippe , qu'il ne faloit pas laiffer
échaper une occafion qui s'offroit , d'abattre les ennemis du
nom Chrétien ; que la réduction de Tripoli étoit d'une gran-
de importance , ôc que le fuccès de l'entreprife n étoit pas
douteux , en un tems où Dragut n'avoit encore que peu de
forces. Le roi d'Efpagne 3 frappé de ces raifons , fe détermina
à cette guerre 3 ôc en donna le principal commandement à la
Cerda. En même tems il envoya ordre à ' Jean-André Doria s
qui commandoit la flotte en qualité de lieutenant du vieux Do-
ria fon oncle 3 de joindre fes forces à celles de la Cerda. On
ordonna aufTi à Dom Bernarde de Guimeran Commandeur de
Malte , de faire affembler en Italie toutes les troupes Efpa-
gnôles , pour s'embarquer enfuite, ôc aller à cette expédition.
Au refte plufîeurs contretems retardèrent un fi louable def-
fein. La mort de Henri IL qui arriva alors 3 fut fur tout un grand
obftacle. Les Gouverneurs d'Italie craignant que la mort de ce
Prince n'apportât quelque changement aux affaires } refuférent
de fournir des troupes , jufqu'à ce qu'on eût reconnu 3 fi cet
événement ne donneroir point lieu à de nouveaux troubles,
ôc fi la France ne prendroit point en cette occafion un parti
contraire aux intérêts de l'Efpagne. C'eft la réponfe que firent à
i Jean-André Doria étoit neveu du j à Gènes fa patrie en cette année i$6o>
fameux André Doria , qui avoit étégé- âgé de 93 ans. AndréDoriapafïbitpour
néral des galères de France , 8c enfuite le meilleur homme de mer de fon fiécle.
de la flotte d'Efpagne ; ôc qui mourut f QnvavQirbien-tôtfamort&fon éloge*
$92 HISTOIRE
i Guimeran le duc de Seiïa gouverneur de Milan 1 ôc Dom
Charle Pera^an de Ribeira duc d'Alcala , viceroi de Napîes. D'ail-
I X. leurs Ribeira fe défendoit d'envoyer du fecours , fur ce qu'il
i f 6 o. avoit appris que la flotte des Turcs étoit partie de Conftanti-
nople , ôc en vouloir à Ancone s ajoutant qu'il ne fourniroit
pas un feul homme , qu'il ne fut affuré auparavant des defleins
que fe propofoient les Infidèles. Il arriva de plus , que Phi-
lippe ayant fait revenir fes galères en Efpagne s malgré les re-
montrances de Guimeran , la flotte fe trouva confidérable-
ment affoiblie. Tout l'été fe pafla dans ces incertitudes. Enfin
on reconnut qu'on n'avoit rien à craindre du côté de la Fran-
ce , ni pour les côtes d'Italie, l'armement des Turcs ayant pris
la route du Levant. Alvaro de Sande 3 que Philippe avoit en-
voyé à la Cerda , pour fervir en cette guerre , fut dépêché en
Lombardie , pour amener un renfort de troupes 3 que le duc
de Seffane lui accorda qu'avec peine: enforte,que quoi qu'on
eût préparé toutes chofes avec une extrême diligence 3 les trou-
pes ne purent arriver à Meffine qu'au mois d'Ottohre.
L'armée étoit compofée de quatorze mille hommes de pié ;
formant trente bataillons Efpagnols ' , que commandoit de San-
de , Générai qui avoit aquis beaucoup de gloire dans les guer-
res de Piémont Ôc de Tofcane. Il y avoit trente cinq batail-
lons Italiens , qui avoient à leur tête André de Gonzague >
ôc quatorze compagnies Allemandes , aux ordres d'Etienne
Leopat. Deux enfeignes de troupes Françoifes vinrent aufîi
renforcer l'armée. La flotte confifloit en vingt-huit grands bâ-
timens de charge , Ôc quatorze plus petits , ôc en cinquante-
quatre galères de différente conftruction s dont le Pape en avoit
fourni quatre , conduites par Anguillara , ôc le Grand Duc au-
tant , que commandoit Nicolas Gentile. Le Grand-Maître de
Malte en avoit envoyé cinq , fous les ordres de Teffiéres Géné-
ral des galères de la Religion ; qui rendit de grands fervices fur
mer ôc fur terre en cette expédition. On menoit aufli quatre cens
cavaliers d'élite, ôc fix cens arquebufiers. Bernard d'Aldana,qui
avoit couru rifque de perdre la vie , ôc avoit été privé de tes
charges , à l'occafion du mauvais fuccès de la guerre de Hon-
grie , fut rétabli dans fes dignitez , ôc eut le commandement
de l'artillerie. La Cerda ayant fait la revue de l'armée , Ôc fait
charger affez de provifions, pour nourrir trente mille hommes
durant
DE J. A. DE THOU, L'iv. XXVI. m
durant quatre mois , ayant auflï fait embarquer ôc partir fon ■
canon , ôc une partie de fes troupes , partit enfin à la fin d'Oc~to- QH a rl E
bre 3 pour commander en fon abfence. La Cerda vint de Mef- j y^
fine à Siracufe , ôc pafTa tout le mois de Novembre dans ce T «- <~
port, a caule des vents contraires. 11 n en put iortir qu au com-
mencement de Décembre , en faifant remorquer fes galères. Ce
fut là comme le préfage d'une navigation maiheureufe. Cepen-
dant le Grand Maître de Malte envoya deux frégates légè-
res vers les côtes d'Afrique , pour reconnoître toutes chofes»
Cette fage précaution eut de facheufes fuites , comme le refte.
Dragut qui commandoit dans Tripoli , ayant pris une de ces
frégates , apprit par les priionniers le delTein des Chrétiens.
Auffi-tôt il fait fortifier fa place , en augmente la garnifon , Ôc fait
venir de tous cotez des munitions de guerre ôc de bouche , pour
foûtenir un fiége. En même-tems il écrit à Soliman, ôc le conjure
de lui envoyer uneflotte^qui foit fuperieureàcelle des Chrétiens.
Soliman, qui avoit pris Tripoli neuf ans auparavant, en avoir
confié le gouvernement à Dragut, avec celui de toutes les côtes
voifines , l'ayant ôté à Mortaga feigneur de Tefchiora. Dra-
gut eut de grands démêlez dans la fuite avec le Roi de Car-
van , dont les Etats étoient à trente milles de Tripoli, fur ce que
ce Prince lui avoit refufé dufecours, iorfqu'il en avoit eu be-
foin,ôc lui avoit même été toujours contraire , comme il le difoit.
Soit que ce qu'il avançoit fût véritable > foit que cherchant une
occaiion de rompre avec un Prince voifin , il fit ces plaintes
fans fondement , il eft certain que depuis ce tems là il lui fit
toujours la guerre , ôc que ce vieux corfaire appuyé de la puif-
fance des Turcs le dépouilla de la meilleure partie de fes Etats.
Ce Roi , fe voyant opprimé par un voifin redoutable, n'efperoit
du fecours que du côté des Chrétiens. Dragut ayant répandu
dans le continent la terreur de fes armes, réfolut de s'emparer
de l'ifle de Zerbi l voifine de ces côtes. Un Turc nommé Soli-
man étoit le Seigneur ou le Xechés de cette ifle j nom que don-
nent les Arabes aux Princes , dont les Etats font rrop bornez
pour mériter le titre de Roi. Dragut n'ayant pu vaincre Soliman
par les armes , trouva moyen , fous prétexte de fe réconcilier
C'eft I'ide de Gelves ou des Ger- I ainfî. On lui donne ailleurs dans cette
bes ; on l'appelle ici Zerbi , parce que 1 traduction le nom de Gelves.
ies Turcs ou les Maures la nomment |
Tome 111 Ffff
SH HISTOIRE
„ i, avec lui a de l'attirer à Tripoli, ouille chargea de fers ; après
P quoi s'étant rendu maître de Pifle , il fit pendre peu après l'in-
j y- fortuné Xechés. Une 11 noire perfidie avoit rendu Dragut
* odieux à tous les peuples. Les Princes d'Afrique fouhaitoient
' avec ardeur, qu'il s'offrit une occafion de venger tant d'injures,
ôc de recouvrer la liberté, que ce cruel pirate foutenu par les
Turcs leur avoit enlevée. Ainfi le roi de Carvan, le fils du
roi de Tunis qui étoit déjà avec la Cerda, ôc le petit-fils du
malheureux Soliman , dont nous venons de parler , lequel avoit
pris le titre de Xechés de Zerbi , s'allièrent avec piaifir aux
Defcription Chrétiens > pour chaffer l'ennemi commun. Il eft à remarquer
de rifle de que y^q je Zerbi , appellée par les anciens Meninx , ou Lo-
Zerbi,oude ^ . kï r ■
Gelves, tophagitis , a environ loixante mille pas de circuit , ôc qu elle eit
féparée de la côte d'Afrique par un efpace fi petit , qu'on la
peut joindre au continent par un pont. Elle eft entourée de
tous cotez d'une mer très-bafTe > qui fe retire une fois en hiver,
Ôc deux fois en été , Ôc laiffe un efpace de plus de quatre mille
pas entièrement découvert. DomGarcie de Tolède duc d'Albe,
dont le fils a été un fi fameux capitaine , ayant fait autrefois une
defeente dans cette ille , la mer étant haute , vit peu d'heures
après les eaux fe retirer contre fon attente, ôc fes navires àfec.
Il fut forcé de foutenir contre les Turcs un combat fur terre,
où il reçut un grand échec , ôc où il perdit la vie. Du refte
on y aborde aifément, ôc quand on n'a point les ennemis à crain-
dre , le port eft bon ôc commode pour les vahTeaux. Tout le
payis eft plat , excepté le milieu qui s'élève peu à peu , Ôc for-
me des collines. Le terroir eft fec Ôc aride > ôc ne produit en
abondance que des palmiers ( dont on voit de grands bois )
des oliviers , des cèdres, ôc des grenadiers, dont le fruit eft
plus aigre que celui qui croit en France. Il y aufti des vignes,
qui donnent des grappes admirables parleur grofleur. Les habi-
tans ne les preffurent point pour en faire du vin : ils les font fé-
cher, ôc les tranfportent dans les provinces voifines, ôc à Ale-
xandrie en Egypte. Ils ne manquent pas non plus de figues,
de poires, de pommes ,ôc de prunes. Du refte ils n'ont point de
bled , ôc vivent de ris , de lentilles , de pois , de fèves , ôc d'autres
fembîabîes légumes.
Zerbi avoit été foumife autrefois au Roi de Tunis. Mais
la puuTance de ce Souverain s'étant fort affoiblie , trois Xechés
DE J. A. D E T H O U , L i v. XXVI. ?p;
partagèrent le gouvernement de l'ifle. Enfuite fe dreiïant de ,_
continuelles embûches , ils fe détruifirent l'un l'autre. L'auto- r;HARLE
rite fouveraine étant dévolue à un feul, il ne la confervoit que j y
peu de tems ; le defir aveugle de régner faifant périr le père JQ
par le fils ,1e fils par le père, 6c les frères par les frères. L'ifle, *
qui étoit autrefois fort peuplée, n'a plus aujourd'hui qu'envi-
ron trente mille habitans 5 les guerres civiles en ayant détruit
un grand nombre. La plupart des infulaires logent en des huttes.
A l'exception du Château , où demeure le Xechés , Ôc de qua-
tre villages bien peuplez, on ne voit dans l'ifle que des caba-
nes allez éloignées les unes des autres. Ils ont plufieurs foires>
où. fe rendent les marchands des côtes d'Afrique, d'Italie, de
la Grèce ôc de l'Egypte. Ceux qui ont écrit l'hiftoire de ce
payis, alTurent que les droits , que levé le Prince de l'ifle fur
ces foires ôc marchez, fe montent chaque année à cent mille
écus d'or. Us ont des chameaux ôc des ânes en grand nombre,
ôc peu de chevaux. Leurs chèvres ne reffemblent pas aux nô-
tres. Elles ont de grandes oreilles qui font, pour ainfi dire, den-
telées y ôc tirant fur le blanc. Us ont aufïïdes lièvres , ôc des ca-
méléons de la grandeur d'un lézard. Us nouriffent des troupeaux,
qu'on apporte dans l'ifle. Les habitans ont le teint brun , mais
moins que ceux du continent. Us font défians , curieux } ôc avi-
des d'argent , plus qu'on ne le pourroit croire. Au relie , quoi-
que les hommes ôc les femmes foient fort adonnez à la dé-
bauche , l'adultère y eft puni de mort. Si le mari } qui peut avoit
au plus fix ou fept femmes, en furprend quelqu'une dans le cri-
me , il la tué" en préfence de fes parens , ou la renvoyé honteu-
fement. Le Prince eft en droit d'époufer autant de femmes qu'il
le veut } ôc toutes les fois qu'il prend une nouvelle époufe,fes
fujets lui font préfent d'une fomme d'argent. Il a fous lui un
lieutenant , ôc un juge civil , qui a un bâton pour marque de
fa dignité , ôc à qui on porte un grand refpe£t. Cependant on
plaide rarement, ôc chacun s'occupe uniquement de fon travail.
Ils fçavent aprêter la laine, ôc en font des draps fort fins dont ils
s'habillent. Ils portent des bonnets décodeur de bleu turquin,
enveloppez d'une toile blanche en forme de Turban. Les hom-
mes fe couvrent de manteaux de laine , qui ont une frange de
foie en bas , ôc qu'ils appellent Barracans , ôc portent une épée
attachée à un baudrier. Sous ces manteaux ils font tout nuds.
Ffffi;
$9é HISTOIRE
^«■^im. Cependant les plus confidérables ont des verres, quîleur defcen-
C bar le dentau-deffousdu genouil , ôcdes brodequins, à la manière des
j \r Maures. Les femmes ont auffî des manteaux qui couvrent leurs
i < 6 o t^teSj & leur tombent fur les yeux en forme de pointe. Mais elles
ont toutes des habits fous ces manteaux. Les plus pauvres vi-
vent de farine de ris, mêlée avec de l'huile , de miel , de beure^
de dattes affaifonnées avec du vinaigre , ôc mangent rarement
de la viande. Les riches mangent delà farine de froment, dé-
trempée dans l'eau. Tous boivent de l'eau , ôc couchent fur
la terre , à caufe des exceflives chaleurs.
Mais pour reprendre le fil de l'hift-oire , la Cerda après avoir
eu long-tems à combattre contre les maladies, qui lui enlevè-
rent bien des hommes , ôc avoir eu à calmer les querelles ôc
la mutinerie de fes foldats, qui étoient la plupart des bannis de
Naples ôc de Sicile, quitta enfin Siracufe,la faifon lui paroif-
fant commode. Il avoit fait partir quelques jours auparavant
lesvaiffeauxde tranfport, avec ordre de naviger vers Secco di
Palo, où la flotte devoit s'affembler, ôc d'aller delà à Tripo-
li , qui en eft éloigné de plus de. cent milles. Le vent étant
favorable, les galères fe trouvèrent en peu de tems à la hau-
teur du cap PaiTaro. Mais les bâtimens de charge avoient
été obligez par les vents de retourner au lieu, d'où ils étoient
partis. On tint confeil, pour fçavoir fi l'on n'iroit point rejoin-
dre ces navires de tranfport, ou fi l'onnècingleroit point vers
Malte , dont on étoit peu éloigné. Enfin , ayant pris la route
*ouMarza-. Je Malte , on aborda au port nommé Marzamugetto *. Ce-
pendant des vents furieux ayant règne long-tems, on de-
meura en ce lieu jufqu'à la fin de Décembre, que la Cerda
envoya fes galères , pour faire venir les autres qui n'avoientpû.
partir de Siracufe. Elles rencontrèrent quelques bâtimens de
charge x qui ne faifoient quefortir du port , ôc furent obligées
de remorquer les autres : elles arrivèrent enfin à fille de Malte
avec la plus grande partie de la flotte. On y mit à terre les
foldats , dont la plupart étoient malades , ôc avoient beaucoup
fouffertfur la mer. Apres qu'on eut fait la revue des troupes,
on trouva que les maladies avoient déjà emporté près de trois
mille hommes,. Aufli-tôt on envoya des officiers en Sicile,
ôc dans îe Royaume de Naples, pour faire de nouvelles levées,
.Les recrues qu'ils amenèrent, fer virent à rendre les compagnies
DE J, A,DE THOU,Lït XXVl ^7
complètes , ôc à augmenter celles de Aîaîefpine de cinq cens ■■«■n ■*
hommes. Cinq cens autres furent donnez à Charle Rufo, ôc trois C-h a,rle
à Marcel Doria. On palTa tout le mois de Janvier de l'année IX»
fuivante , ôc la meilleur partie de Février , à prendre ces arrange- j. ç 6 q,.
mens. Enfin la <Derda mit à la voile , ôc ordonna aux navires de
tranfport d'attendre les galères à Secco di Palo, s'ils y arrivoient
les premiers. Quatre jours après la flotte aborda à l?ifle de Gel-
ves, en un lieu nommé la Rochette, où les vaifTeaux ont cou-
tume de faire de l'eau. Le Viceroi craignant que les Turcs
ôc les Maures ne tuaflent ceux qu'on envoyeroit , pour remplir
les tonneaux, fit débarquer toutes fes troupes. La fuite fit
voir que cette précaution étoit fage. Car les Turcs attaquèrent
les Chrétiens , ôc quoiqu'ils donnaient fans ordre ôc fans dis-
cipline , il y eut un combat fanglant, où Àlvare de Sandefut
blelfé d'un coup de moufquet, avec quelques autres , lorfque
cet officier , faifant les fondions de Major général , alloit de
rang en rang , ôc donnoit ordre à tout. Il y a vers ce rivage
un petit bras de mer . appelle Bocca délia Cantara , qui entre
dans l'ifle , ôc a environ mille pas de longueur. Le Général
ayant vu du port deux galères Turques fur ce canal, envoya
contre elles quelques-unes de fes galères. Mais ceux qui
montoient celles-ci , ayant remarqué deux vaifTeaux char-
gez de marchandifes qui étoient à l'ancre , allèrent de ce
coté là dans la vue de faire un grand butin , ôc contre l'ordre
des officiers, fe mirent peu en peine d'attaquer les deux galères
des Turcs. Ils trouvèrent dans ces vaifTeaux des marchandifes de
grand prix. Du refte ils n'y rencontrèrent aucun homme, dont ils
puflent apprendre l'état de l'ifle , les forces des habitans , ôc les
defTeins des ennemis. -Les habitans ôc les Turcs avoient pofé
des corps-de-garde autour du rivage, pour empêcher qu'on ne
pût faire de prifonniers , ou que quelque transfuge ne pafsât du
côté des Chrétiens..
Peu après on s'éloigna de Pifle , ôc on s'avança vers Secco di
Palo. Làonfçûtpar des ArabeâdeMahamut , nation ennemie
de Turcs , qu'on avoit fait une grande faute, de n'avoir pas atta*
que ces deux galères qui étoient fur le bras de mer , ôc de. s'en-
tre amufé à piller les deux vaifTeaux. Dragut étoit dans ce lieu,
lorfque la flotte des Chrétiens y étoit abordée. Les infulaires*,
qui s'étoient révoltez contre leur Prince petit- fils de Soliman.»
E f f f. iij,
59$ HISTOIRE
„M „„„ dont j'ai parlé, avoient appelle Dragut à leur fecours , qui lui
q a R r F avoit livré la bataille , ôc l'avoit vaincu. Si l'on eut brûlé les
jy deux galères, Dragut, qui les montoit, ne pouvoit plus for-
„ ' tir de Tille. Les Arabes gardoient les avenues du pont qui joint
' ce heu au continent , ôc Dragut qui etoit venu a Zerbi avec
l'élite de fes troupes , avoit laiffé Tripoli fi peu en état de fe dé-
fendre , que les Chrétiens n'auroient pas eu de peine à s'en em-
parer , ôc euflent terminé heureufement la guerre. Les quatre
galères que Corne avoit fournies , ôc que montoit le jeune duc
de Bibona, en qualité de volontaire , avoient été forcées par
la tempête de s'arrêter à Malte. Ayant fait de l'eau à Lam-
pedofa éloigné du Goze de trente ôc un mille pas , elles abor-
dèrent à Zerbi , où elles mirent des hommes à terre pour rem*
plir les tonneaux , dans la crainte de manquer d'eau. Deux cens
Efpagnols > qui regagnoient tranquillement leurs galères , après
avoir fait la provifion nécefiaire , furent tout à coup envelop-
pez par les Maures fuperieurs en nombre , qui les menèrent
fort rudement. Une partie fut défaite, les autres s'étant jettez à
la mer,fe fauverent à peine. Adrien Garcia, Alfonfe de Gufman,
ôc Pierre Vanegas furent tuez en cette occafion. François d'An-
tonio ôc Pierre Bermudés furent faits prifonniers , ôc plufieurs
autres. Cela arriva le 17 de Février. Le Viceroi de Sicile
envoya quelques-uns des Arabes de Mahumut au Roi de Car-
van , ôc lui écrivit pour lui apprendre fon arrivée , ôc le prier
de venir le trouver , afin de conférer enfembîe fur l'intérêt com-
mun > Ôc de joindre enfuite leurs forces contre Dragut. Quel-
ques jours après , quatre bâtimens de tranfport , où l'on avoit
embarqué des troupes Allemandes fous la conduite de Jofeph
Trémarchi , vinrent joindre la flotte. Tandis qu'elle étoit à l'an-
cre au port de Secco di Palo , environ deux mille hommes mou-
rurent de diverfes maladies , dont ils avoient la plupart été
attaquez en Sicile, ôc dans Tille de Malte, ôc que l'intempé-
rie du climat , jointe aux mauvaifes eaux avoit beaucoup aug-
mentées. Car le terroir de Secco di Palo étant fec ôc aride,on y a
creufé des puits , où Ton trouve des fources, dont Teau , quoique
douce , a une qualité fort contraire à la fanté. Tous les jours il
mouroit un grand nombre de Chrétiens , qu'on jettoit à la mer,
de peur qu'en les enterrant , Tair ne fut encore plus infe£té.
Le premier de Mars on affembla le confeil , pour délibérer
Mu.m.1 n p.ijumiiPi nu i
DE J. A. DE THOU Liv. XXVI. ?PP
fur les opérations de la guerre. Les uns étoient d'avis , qu'on
abandonnât cette expédition, quoiqu'on eut eu de bonnes rai- Char LE
fonspour l'entreprendre; difant que les conjonctures préfentes j x.
dévoient changer les deffeins , ôc qu'il y auroit de la témérité à \ <: 6q9
vouloir toujours combattre contre le ciel ôc la mer. Les au-
tres , qui croyoient qu'on ne pouvoit fans honte revenir en Si-
cile, dont on étoit parti depuis long-tems, fans avoir rien fait,
foùtenoient que l'on devoit demeurer encore quelque tems, at-
tendre que le nouveau renfort, que le Viceroi faifoit venir, fût
arrivé, & enfuite achever l'expédition de Tripoli. On propofa un
troifiéme avis , auquel tous fe rendirent. Ce fut d'abandonner
SeccodiPalo, de retournera Zerbi, quin'étoit pas plus éloigné
de Tripoli. On dit que les foldats fe rafraichiroient en ce lieu
ôc s'y rétabliroient de leurs fatigues ôc de leurs maladies ; qu'on
y attendroit tranquillement le fecours qui devoit arriver; après
quoi on iroit à Tripoli, lorfquela faifonôc les vents fe décla-
reroient favorables. En même tems , on chargea celui qui avoir
la principale autorité dans le continent, qui communique à fille
de Zerbi par un pont , ôc qui avoit offert fes fervices ôc fes
forces au V iceroi , de fortifier fon payis , Ôc de ne laiffer paffer
aucun Turc dans fille. On l'affura d'une grande récompenfe.
Le même jour on appareilla , ôc l'on arriva heureufement à
Zerbi par un vent, qui n'eût pas permis de faire route vers Tri-
poli. Toute l'armée ayant débarqué , on forma un camp le 7
de Mars à dix milles du principal bourg de l'ifle. Cet endroit
qu'on avoit choifi , étoit hors d'infulte du côté des infulaires.
L'air y étoit bon, ôc l'eau à portée. On reconnut en arrivant,
que les habitans étoient mal intentionnez. Deux Maures , qui
vinrent fur le foir au camp , fous prétexte de féliciter le Vice-
roi fur fon arrivée, ôc qui étoient de véritables efpions , con-
firmèrent ce Général dans fon opinion. Ils dirent, que le Xe-
chés leur maître étoit difpofé à fe mettre fous la protection du
Roi d'Efpagne ; mais qu'ils fupplioient le Viceroi de retirer fes
troupes de l'ifle , en un tems, où il n'y avoit aucune jufte rai-
fon de faire la guerre; ajoutant, que s'il vouloit bien le retirer
à la Rochette, le Xechés l'y viendroit trouver, pour conférer
avec lui ; qu'au refte les infulaires étoient fi irritez de ce grand
armement, qu'on n'efperoit pas les pouvoir contenir. La Cer-
da leur fit réponfe ; qu'il n'étoit pas venu chez eux , comme en-
€oo HISTOIRE
^ nemi i que la tempête i'avoit conrraint de relâcher dans ïeuf
Chari f hle , lorsqu'il faifoit route vers Tripoli; que ion deflein avoit
Txr toujours été d'aller attaquer cette dernière ville , ôc après cette
/ expédition de venir dans leur ifle, pour en chaifer les Turcs,
6c rétablir leur Prince dans fon ancienne puiflance : qu'au refte
il ne pouvoit être fâché , que les vents contraires l'euiïent fait
aborder chez eux plutôt qu'il n' avoit réfolu, puifqu'il trou voit
les efprits difpofez à la paix ; mais qu'il ne croyoit pas devoir
fortir de l'ifle, où fon armée étoit campée , avant que d'a-
voir réglé certaines conditions avec le Xechés , & fait plu-
fieurs provifions , dont fa flotte avoit befoin : qu'il avoit réfo-
lu d'aller camper le lendemain près de Pozzi , à trois milles
du château du Xechés 3 où il prioit ce Prince de vouloir bien
fe rendre , pour régler enfemble ce qui concernoit l'intérêt com-
mun. Après cela le Viceroi congédia les envoyez.
La même nuit deux efclaves Chrétiens, qui avoient trouvé
moyen de tromper la vigilance de leurs maîtres , vinrent trou-
ver le Général , ôc lui dirent , qu'à l'arrivée de la flotte, les Turcs
avoient abandonné l'ifle, dont ils étoientles maîtres ;que Dra-
gut étoit retourné à Tripoli '■> qu'il avoit aufîi-tôt fait partir pour
Conftantinople Ulucciali , fameux corfaire renégat né en Cala-
bre, dont j'aurai occafîon de parler plufieurs fois dans le cours
de cette hiftoire : qu'Ulucciali avoit monté les deux galères ,
dont j'ai fait mention ci-deflus , avec des préfens pour l'Em-
pereur Soliman , ôc les Grands de la Porte > qu'il avoit or-
dre d'avertir fa Hautefle de l'arrivée de notre flotte , Ôc de lui
demander un prompt fecours ; ôc que de plus les foldats Turcs
ôc Maures , qui croient reftez dans le bourg voifm du château
du Prince , dévoient le lendemain attaquer le ViceroL L'a-
vis des efclaves fit que le lendemain l'armée marcha avec
précaution , ôc en ordre de bataille ; de Sande prit les de-
vans , pour marquer un camp près de Pozzi. Les Chevaliers
de Malte marchoient à la tête de l'armée , avec deux mille
hommes François ôc Allemands. Trois mille Italiens étoient
au centre , & autant d'Efpagnols à î'arriere-garde. L'armée , qui
étoit de quatorze mille hommes , lorfqu'on avoit fait voile de
Mefline, fetrouvoit alors réduite à ce petit nombre. Le Viceroi
trouva fur fon pafTage Mezuar, lieutenant du Xechés , qui
venoit pour excufer le Prince, de n'avoir pas été au-devant du
Général *
DE J. A. DE T HOU ,Liv. XXVI. 601
Général, fur ce que Tes fu jets s'y étoient oppofez. Les Chrétiens ' -
placèrent leur camp eu un lieu , qui n'étoit éloigné que de deux Charle
milles de celui où étoit le Xechés , qu'une colline féparoit IX.
des nôtres. On entendoit le l'on des tambours des Infidèles , i $ 6 o,
qui battent trois fois pour donner le lignai du combat. Le Prin-
ce envoya demander une entrevue au Viceroi, qui craignant
quelque fupercherie, lui renvoya Mezuar, avec ordre de lui dire,
qu'd iroit le trouver le lendemain , quand il auroit fait repo-
fer fes foldats.
Auffi-tôt il range fon armée en bataille. Les Efpagnols , que
commandoit Don Louis Oforio, formoient une aile. L'autre,qui
étoit du côté de la mer , étoit compofée des Italiens , qui avoient
à leur tête Chirico Spinola. Les Chevaliers de Malte , les Al-
lemands , ôc les François étoient au milieu. Toute l'armée étoit
foutenuë d'arquebufiers placez en différentes lignes. Quand
on fe fut avancé , on apperçût les Maures , qui fortoient
de derrière la colline. Ils vinrent fondre d'abord fur les nôtres
en jettant de grands cris , félon leur coutume ; puis , voyant
que la nuit approchoit , ils fe retirèrent , après avoir perdu envi-
ron cent cinquante hommes. La perte des Chrétiens ne fut
que de trente tant officiers que foldats. Les capitaines Bar-
thelemi Gonzalez , Ôc Alfonfe Padilla furent tuez en cette oc-
cafion , ainfi que Frias, capitaine de la galère la faint Jac-
que. Un gentilhomme François, dont l'hiftoire ne nous a pas
confervé le nom , demeura audi fur la place. Grégoire Ruiz
fut dangereufement bleffé , ôc mourut peu après. Le colonel
Ambroife de Milan, Jean Antoine Bifballe Chevalier de Mal-
te, ôc Tremarchi fe fignaîerent en ce combat. Cependant on
nétoya les puits , que les Maures avoient remplis de pierres ôc
de fable, pour empêcher les Chrétiens de puifer de l'eau. Les
foldats rentrèrent dans leur camp , ôc fe rirent des tentes à la
hâte avec des branches de palmiers ôc d'oliviers , au défaut des
toiles , qu'on avoit laifTées furies vaiffeaux. Enfuite André Doria,
fit partir Dom Sanche de Levé avec fes galères , pour fe rendre
le maître de ce petit bras de mer , qui entre dans J'ifle. On lui
donna les capitaines Çogliazos,ôc Hercule Medices, pour com-
battre au befoin, avec les troupes déterre qu'ils commandoient.
De Levé ayant payé aux Arabes de Mahamut l'argent qu'on
Tom. I1L Gggg
tem
€02 HISTOIRE
- leuravoit promis, leur fit faire ferment de garder exactement
Char le l'entr^e du pont'
j x Le Xechés voyant que fes rufes ne lui avoient pas réuiïi , ôc
1 ? 6 o d'ailleurs n'ayant pas affez de troupes pour oppofer aux Chré-
tiens , envoy oit tous les jours un homme, qui plantoit un dra-
peau blanc fur la terre, à la vue de notre camp, enfigne de paix,
& lahToit une lettre au pie. Ce Prince marquoit par cet écrit,
qu'il étoit prêt de reconnoître Philippe pour fon Souverain ,
de lui obéir en toutes chofes , ôc même de lui payer un tribut.
Le Viceroi , quiaimoit mieux impofer des conditions aux vain-
cus , que de conclure la paix fuivant leurs offres , ne faifoit
point de réponfe , ôc attendoit qu'on eût débarqué les vivres,
le canon , ôc les autres munitions de guerre. Après cela il
quitta fon camp vers la moitié du mois de Mars , pour mar-
cher aux ennemis. Le Xechés , épouvanté à l'approche de l'ar-
mée , envoya dire au Général qu'il étoit prêt de lui livrer le
bourg , ôc de lui donner des otages , durant qu'on drefferoit les
articles de la capitulation. Ce qui ayant été accepté, la paix
fut conclue : le Confeil jugea , qu'il valoit mieux recevoir la
foi du barbare, que de le forcer à fe rendre, ôc qu'il étoit
plus avantageux d'être maître de cette ifle par un traité, que
de s'y établir 3 après avoir porté par tout le fer ôc le feu. L'ac-
cord fut fait , par l'entremife d'un jeune homme nommé Alrhan-
zor, favori du Xechés, ôc qui étoit fils d'un renégat, lequel
avoit été Alcaïde en Bifcaye , province de l'Efpagne , ôc par la
médiation de Baltafar Gago Portugais , qui fçavoit la langue
du payis. Les Efpagnols , qui s'étoient flattez de faire un grand
butin, murmuroient contre le traité, ôc tranfportez de rage
jettoient leurs cafques , ôc leurs armes çà ôc là. Un d'entre eux,
nommé Ordonez , fe voyant enlever une proie , qu'il avoit com-
me dévorée d'avance , fut fi tranfporté de rage , qu'il fe coupa
la gorge avec fon couteau. Alors Baraona Meftre de camp ,
Jérôme de la Cerda , ôc Etienne Monreaie eurent ordre de fe
rendre au bourg, ôc d'en prendre pofTefTïon au nom du Roi
d'Efpagne. Aufli-tôt on fongea à élever des Forts , pour tenir
en refpecl les Maures , peuple naturellement léger , ôc accou-
tumé de tout tems aux défections , ôc aux révoltes. On réfolut
aufli de fortifier Fille > fuivant un plan que donna Antoine Conté,
DE J. A. DE THOU, Liv. XXVI. tfo?
ïe plus habile ingénieur de ce fiécle là , pour empêcher les
defcentesdes pirates, qui ïe retiroient fouventen ce lieu, d'où Char le
ils venoient ravager les côtes d'Afrique , de la Sicile , ôc l'ifle de j x
Malte,qui en font peu éloignées. L'ouvrage fut commencé le 1 8 1 ç 5 o
de Mars. On aiïignaà chaque nation un quartier dans le bourg.
On éleva quatre Forts,qu'on avança conndérablement,par l'ému-
lation de ceux quitravaiiloient à ces ouvrages; enforte qu'on mit
en peu de tems cette bourgade en état de foûtenir un fiége.
André de Gonzague prit le foin de la conftruction du Fort, qui
regardoit l'Orient. Les Chevaliers fe chargèrent d'en faire un
autre du côté de l'Occident. Le Viceroi voulut avoir l'inf-
pection de celui qu'on batiifoit au midi 5 ôc André Doiïa eut
la direction d'un quatrième, que l'on conftruifoit entre ceux du
Viceroi ,&c des Chevaliers de Malte. Du refte toute la plage,
qui s'étend du couchant au nord , eft défendue par une langue
de terre environnée de la mer > ôc celle qui s'étend du nord
au levant eft gardée par une longue muraille , qui va en biai-
fant , fuivant le terrain , où l'on faifoit des réparations de tems
en tems. On eut foin fur tout , que ce lieu eut de l'eau douce
en abondance , ôc l'on donna ordre aux foldats de la garnifon
de voiturer chaque jour dans la citadelle cinquante muis d'eau,
qu'on faifoit couler dans deux grandes citernes conftruites à cet
ufage. PVlais ils exécutèrent anez mal ce qu'on leur avoir com-
mandé ; aimant mieux s'occuper à porter dans les vaiffeaux des
laines ôc des huiles, dont ils efperoient tirer un grand profit 5 Ôc ce
fut cette négligence qui caufa principalement la perte du bourg.
Cependant on vit arriver les recrues , que le Viceroi avoir
fait lever dans l'ifle de Malte. On en tira mille foldats, dont on
augmenta la garnifon de la citadelle , fous les ordres deBarao-
na , ôc d'Olivera fon lieutenant. Le 5* de Mai , jour qu'on avoit
marqué au Xechés , pour prêter le ferment au Roi d'Efpagne ,
ce Prince arriva avec une nombreufe fuite de fes fujets en un
lieu , dont on étoit convenu , qui étoit éloigné du camp d'envi-
ron un mille. Il préfenta l'étendard verd de Dragut , en figne
de l'alliance qu'il alloit contracter. Enfuite ayant prononcé
les paroles du ferment fous certaines conditions , il éleva trois
fois le drapeau verd , 011 l'on voyoit les armes d'Efpagne. Au
refte on obligea le Xechés à payer tous les ans un tribut de fix
mille écus d'or 3 à donner aufïï annuellement un chameau ,
Ggggi;
tfo* HISTOIRE
■ quatre autruches , quatre faucons de Nubie , Ôc quatre gazel-
^ les. Peu après le Roi de Carvan fe rendit au camp des Chré-
j y^ tiens , fuivi feulement de huit cavaliers. Il avoit été long-tems
' malade , ôc dès qu'il eut recouvré fa famé, il vint aiTurer le
Viceroi de fon zélé pour le progrès des armes de Philippe. On
rendit de grands honneurs à ce Prince , qui avoit laiffé fes trou-
pes en terre ferme , ôc on lui affigna un logement auprès de ce-
lui du Viceroi , ainfi qu'au fils du Roi de Tunis , qui étoit venu
avec le Général. Lorfque la Cerda faifoit travailler nuit ôc jour,
pour avancer les ouvrages , un envoyé du Grand Maître de
Malte vint lui donner avis , qu'il étoit certain qu'on avoit
équippé dans le port de Conilantinopîe quarante galères ,
qui étoient fur le point d'en partir , pour fecourir Tripoli , ôc
qu'elles feroient fuivies de la flotte des Turcs, qui avoit réfo-
lu de reprendre cette ville , en cas que les Chrétiens s'en fulTent
rendu maîtres.
André Doria, qu'une maladie retenoit au lit, fut très- affligé
de ces nouvelles. Il ne doutoit point que ces quarante galères
ne fufTent jointes en chemin par vingt autres galères des pira-
tes, ôcque Dragut amenant les vingt-deux qu'il avoit, les Turcs
ne fuiTent alors fuperieurs à la flotte des Chrétiens , ôc ne vinffent
les attaquer. Ainfi il fit de grandes inftances auprès du Vice-
roi , pour l'engager à laifler les ouvrages imparfaits , à embar-
quer les foldats , à aller au-devant des Turcs avec tant de bra-
ves gens qui étoient fur la flotte, ôc à leur livrer le combat dans
l'Archipel, avant qu'ils eufTent reçu du renfort. Ilajoûtoit, que
quand on les auroit battus , on retourneroit avec confiance à
l'expédition de Tripoli. Le Viceroi peu touché de ces fages
avis, ne voulut point abandonner Zerbi, ôc envoya le vicomte
de Cicala avec douze galères , pour faire des provifions , ôc
apporter de l'argent , quoique Doria, ôc les autres généraux lui
repréfentalTent , qu'il étoit très-dangereux dans la conjoncture
préfente d'affoiblir la flotte par ce détachement. Dans le mê-
me tems , le bruit s'étant répandu à Naples de l'arrivée de la
flotte Ottomane , Ferdinand Zapata vint trouver le Viceroi
avec deux frégates légères , pour lui demander de ia part du
lieutenant générai de ce Royaume les vieux foldats Efpagnols,
qu'il avoit donnez au tems de l'armement , ôc qui lui étoient
nécefTaires pour la défenfe du payis.Le GrandMaître redemanda
DE J. A. DE THOU.Liv. XXVL 60?
auiïï fes galères, qui lui furent renvoyées le 8 d'Avril ', ce- -
la engagea Doria, qui étoit encore malade, de prefTer enco- Charle
re plus fortement le Viceroi de hâter fon départ. Il lui en- jx.
voya plusieurs fois* Tomacello à ce fujen s'ofTrant même de fe j ^ $Qm
rendre garant de l'argent qu'on feroit obligé de laifler dans la
citadelle. Mais la Cerda , qui ne penfoit qu'à achever fes ou-
vrages , ôc à affurer au Roi d'Efpagne l'ifle deZerbi, rejettoit
avec opiniâtreté les plus fages confeils. Cependant Cicala étant
revenu de Sicile , on vit arriver une frégate envoyée par le
Grand Maître , que montoit le Chevalier Ugo de Coponés.
Celui-ci apporta des lettres à Doria , par lefquelles on lui don-
noit avis , que le 7 de Mai , ôc fix heures avant ces lettres écri-
tes , on avoit apperçû à la hauteur du Goze quatre-vingt galè-
res 3 qui compofoient la flotte des Turcs, lefquelles voguoient
vers les côtes de l'Afrique.
Doria frémiffant à ces nouvelles , envoya auiîi-tôt Guimeran,
qui fe trouvoit dans la chambre où il étoit malade , porter au
Viceroi les lettres qu'il venoit de recevoir, le conjurant de tout
quitter, pour monter fur fa flotte, ôc de ne pas attendre que
les Turcs les fiflent tous prifonniers ; ce qui arriverait certai-
nement , s'ils ne trouvoient moyen de s'échapper à la faveur
de la nuit. La Cerda affembla le Confeil, où fe trouvèrent
entr'autres officiers Dom Sanche de Levé, ôc Dom Berenger de
Requefens, généraux des galères de Naples ôc de Sicile,Scipion
Doria 3 qui commandoit les galères d'Antoine fon père , ôc le
Vicomte Cicala très-expérimenté dans la marine. Après de lon-
gues difputes , on décida > que le Viceroi ne pourroit fortir de
rifle , qu'en emmenant , ôc faifant embarquer avec lui toutes
les troupes. Les uns avoient foûtenu dans le Confeil , que la
flotte , que le Sultan envoyoit à Dragut , ne pouvoit venir à Zer-
bi , ni le lendemain , ni les jours fuivans ; qu'il étoit vrai-fem-
blable que les chefs des galères Turques iroient trouver d'a-
bord celui à qui elles étoient envoyées , pour conférer enièm-
ble des opérations qu'il convenoit de faire ; que cela paroif-
foit clairement par les lettres du Grand Maître , qui marquoient
que les Infidèles faifoient route vers le midi '■> au lieu que pour
prendre le chemin de Zerbi, il auroit fallu tourner vers le Sud-
Oueft. Doria étoit d'avis qu'on allât d'abord à Tripoli atta-
quer Dragut ■■> qu'il convenoit cependant , que fi les Turcs
Gggg iij
tôt HISTOIRE
11 *mm rencontroient la flotte Chrétienne inférieure à la leur , ils ne
Charle nianqueroient pas de l'attaquer ; mais que la bouflble auroit
IX. Pu leur fau*e ten^r une route incertaine , parce qu'elle varie
i t 6 o. beaucoup dans un voyage de long cours. * Enfin on refolut 3
contre l'avis de Doria, d'envoyer quelques galères vers le Le-
vant ; après quoi, fi elles ne découvroient aucuns vaifleaux en-
nemis, on embarqueroit tranquillement les troupes. Après ce
réfuLtat , le Viceroi fe rendit au Confeil vers le milieu de la nuit,
ôc déclara qu'il perfiftoit dans le deflein de partir avec toutes les
troupes , comme il l'avoit promis aux foldatsj ajoutant que s'il
manquoit à fa parole , il ne pourroit à l'avenir foûtenir leur pré-
fence. Doria lui répondit : » Si perfiitant dans votre deflein vous
« livrez la flotte aux ennemis, comment pourrez- vous foûtenir
*» la préfence du Roi s des Italiens Ôc des Efpagnols ? Vous fça-
« vez que la confervation de la flotte doit être notre premier ob-
» jet. Car en confervant vos galères, vous fauvez les troupes que
« vous devez laifler , ôc tout le refte. Vous n'êtes point obligé
»> de tenir ce que vous avez promis un peu légèrement , en un
» tems où la grandeur du péril vous difpenfe de vos promefles."
Défaite de La Cerda , peu touché de ces raifons , ordonna aux vaifleaux
la flotte des marchands de partir fur le champ , ôc à Doria de fe mettre
Chrétiens. . . r i • r in /
en mer deux heures avant le pur avec toute la note , excepte
deux galères -, d'aller à la découverte au lever du foleih ôc de
revenir à Zerbi pour embarquer toute l'armée , s'il ne voyoit
pas la flotte des ennemis. Il fit même laifler tous les efquifs
dans ce deflein. Doria , obligé d'obéir à des ordres qu'il n'ap-
prouvoit pas , partit avec toute la flotte à l'heure marquée. Il
eut d'abord un vent favorable ; mais il fe changea vers le point
dujour en un vent contraire, qui fouffloit avec tant de vio-
lence , qu'on avoit bien de la peine à le foûtenir à force de
rames. Dès que le jour commença à paroître , il vit la flotte
des Infidèles , qui pouflée par les vents , venoit fur lui à plei-
nes voiles. Le Bâcha Piali avoit le principal commandement
de cette armée navale , ayant Suel Aga pour fon lieutenant.
Cara Muftapha Capitan Bâcha commandoit les galères. A cet-
te vue' Doria s'écria : « J'avois prévu ce malheur. La témérité
*> l'a emporté fur la prudence. Nous périffons par la faute d'au-
« trui. » Alors les Chrétiens faifis de crainte , 6c ne fçachant
à quoi fe refoudre } prennent enfin le parti de faire échouer
DE J. A. DE THOU, Liv. XXVI. 6o7
leurs galères contre des rochers , ou fur le rivage. La plus , , ,.
grande partie de l'équipage fe noya, en voulant fe fauver à pHARLE
la nage : peu gagnèrent la terre : plufieurs furent faits prifon- y y
niers. Scipion Doria fe fauva avec fa galère vers le Levant à '
force de rames , ayant inutilement fait des fignanx à la galère '
Y Etrangère , pour l'engager à le fuivre. Celles qui fe fauverent
du combat, fe réfugièrent dans les ports de Malte, de Sici-
le ou de Naples. Cinq gagnèrent le canal de Zerbi , qui en-
tre dans l'ifle, ôc vinrent près des lieux qu'on avoit fortifiez.
Jean- André Doria , qui montoit la capitane, ôç qui étoit prêt
d'entrer dans le même canal , enfonça dans le fable , quoi qu'il
eût allégé fa galère qui étoit fort pefante , ôc échoua contre
des rochers. Aufli-tôt il arrache le pavillon royal, ôc montant
fur un petit bâtiment marchand , il aborde dans Fille près des
Forts , abandonnant la capitane , qui fut prife par les Turcs.
On perdit dans cette occafion , qu'on peut appeller une déroute,
dix-neuf galères , ôc quatorze bâtimens de charge , qui por-
toient les malades. Les Turcs firent environ cinq mille pri-
fonniers j entre autres l'évêque de Majorque , Sanche de Levé
avec fes deux fils , lequel s'étoit long-tems défendu > Bérenger
de Requefens j Bernard Adana meftre de camp j Gafton de la
Cerda fils du Viceroi , encore enfant 5 Jean Ôc Frédéric de
Cardona 1 ôc Raphaël Cades chevalier de Malte.
Plufieurs autres furent comptez encore au nombre des pri-
fonniers , parce qu'ils ne parurent plus après la défaite > com-
me Galeas Farnefe; Baltaffar Mezavilla 5 Alfonfe delPalla,ôc
Antoine Conté, officiers principaux des troupes ou des galères 5
aufïi-bien que les capitaines Sarra Smaragdi , François Henri-
qués, Lopés de Figueroa, ôc plufieurs autres. Flaminio d'An-
guillara Générai des galères du Pape , ne put fe fauver , ayant fa
vergue brifée, ôc tomba entre les mains des Turcs : il mourut peu
après d'un coup de moufquet quil avoit reçu dans le combat.
Dès que Jean- André Doria fut arrivera Cerda alla trouver
ce Général , qu'une fi grande défaite , au mépris de fes confeils ,
outroit de douleur ôc de dépit. « Doria, lui dit-il, vous quifeul
« n'êtes pas coupable de nos pertes, Dieu l'ayant permis am-
as fi, ôc qui êtes plus fage que tous , que me confeillez-vous
» aujourd'hui ? » Doria lui répondit : « Vous avez le comman-
» dément fur les troupes de terre 5 c'eft à vous à régler leur fort.
6oS HISTOIRE
„ .„.„,— 3» Pour moi, qui fuis Général des galères , j'ai réfoîu de monter
^ o> fur le champ une frégate légère , pour me rendre àMefïïne ,
jY »» ôc y recueillir les débris de la flotte. » Le Viceroi fe rendit à
cet avis, quoi qu'il le jugeât d'abord un peu téméraire. Il vou-
' loit emmener avec lui Alvaro de Sande. Mais cet officier , qui
ne fçavoit ce que c'étoit que de craindre, voyant que tout étoic
confterné 6c abattu , & jugeant que Baraona , malgré fon
grand courage , ôc fon activité, ne pouvoit foûtenir feul le
poids du commandement dans Fille , gouverner tant d'hom-
mes de différentes nations, prévoir ôc foûtenir tant d'obflacles
Ôc d'incommoditez qu'on avoit à redouter , ôc combattre non-
feulement contre les hommes , mais 'contre la faim ôc la foif »
ôc contre la nature même , offrit de fervir dans fille , ôc de fé-
conder le Gouverneur du château par fes foins ôc par fes con-
feils. Ce grand homme pouvant partir avec les autres Chefs ,
ôc éviter un péril prefque certain , aima mieux fe facrifier à la
défenfe d'un lieu , qui n'avoit point été confié à fes foins , ôc
préfera à fa propre confervation la gloire ôc les avantages de
fa patrie ôc ae fon Roi. Le Viceroi admirant fon courage,
le combla de louanges , Ôc lui donna le premier commande-
ment dans l'ifle , ôc dans les troupes qu'il y laiffoit. Elles con-
fiftoient en cinq mille hommes , François , Italiens ou Efpa-
gnols , ôc en quelques efcadrons de cavalerie légère. Il lui pro-
mit de plus , que dès qu'il feroit arrivé en Sicile , ôc qu'il au-
roit pu raffembler les reftes de fa flotte , qu'il feroit les plus
grands efforts pour le fecourir , ôc pour le mettre en état de ne
pas craindre un fiége. Le Grand Maître lui donna les mêmes
affurances par fes lettres ôc par fes Envoyez.
Après cela , le Viceroi , Jean-André Doria, le comte de
Vicari , Urriez , Dom Jofeph d'Aragon , Louis Oforio , ÔC
Scipion de Tolfa , qui s'étoient fauvez du combat , montè-
rent fept frégates légères , ôc étant partis en gardant un pro-
fond iilence , arrivèrent heureufement à Malte , ôc enfuite à
Siracufe ,ou à Mefline. Le roi de Carvan, ôc le fils du roi de
Tunis , craignant le reffentiment des Turcs , fe retirèrent avec
cinq mille Maures. Quelque tems après , croyant que le Vice-
roi étoit encore à Zerbi , ils firent dire aux Chrétiens qui
étaient afliégez dans l'ifle , tant en leur nom qu'au nom du
Xechés de Zerbi, qu'ils n'étoient éloignez que de quatre jours
de
DE J. A. DE TH OU j Liv. XXVI. 6o9
de chemin; & que fi le Viceroi le fouhaitoit, ils le viendroient
trouver avec deux mille chevaux, ôc toutes fortes de muni- Chat le
tions. Cependant Alvare de S an de fait fortifier fon ifle avec j^
une extrême diligence, ôc ayant brifé les galères qui rcftoient i ^ <$0
dans le port , il en employé le bois à fes ouvrages , 6c fait
placer fur les Forts onze canons de différentes grandeurs.
Enfin la flotte des Turcs , que Dragut avoit jointe avec onze Arrivée de
galères , arriva à Zerbi , avant levé pîufieurs efcadrons de ca- la flott^ dcs
° i . v t ' J" o J l Av • J 't_ ' Turcs d.ms
valene a Iripoli , oc dans les environs. Apres avoir débarque nfle de 2«bi
leurs foldats , ils mirent le (iége devant le château. Alors les
afliégez tinrent confeil , pour fçavoir quel parti on devoit
prendre. Pîufieurs étoient d'avis qu'on fît une vigoureufe for-
tie fur les Turcs , ôc que l'on profitât de la confufion 6c du
défordre qui régnent dans une armée , lorfqu'on fait le débar-
quement. Ils ajoûtoient qu'il ne leur reftoit que ce moyen là,
de conferver leurs vies par une courageufe attaque? qu'ils ne
dévoient pas attendre , qu'accablez de travaux , couverts de
bleffures , 6c manquant de vivres , ils tombafient entre les mains
de leurs cruels ennemis, qui les égorgeroient comme des bê-
tes , ou leur feraient fouffrir une éternelle captivité , plus in-
fuportable que la mort ; que, quelque ifTuë qu'eût leur entre-
prife , elle leur feroit avantageufe j que fi la fortune fecondoit
leurs deiTeins, ils délivreroient par leur courage, ôc par une vic-
toire fignalée , leur Roi ôc toute la République Chrétienne du
péril dont ils étoient menacez j que fi au contraire ils étoient
vaincus , leur fort feroit peu à plaindre , puifqu'en avançant de
deux mois feulement la fin de leurs jours , ils éviteroient par
une mort honorable, que doit fouhaiter tout homme de coeur >
une deftinée honteufe , ou une fervitude cruelle.
Mais Alvare de Sande ne fut pas de ce fentiment. Il avoit
réfolu de fe défendre jufqu'à l'extrémité, de fatiguer les Turcs
par une réfiftance opiniâtre , ôc de leur faire confumer tout l'été
devant ce château ; tandis que les Chrétiens répareroient leurs
pertes , fortifieraient leurs places maritimes , ôc pourroient
amaffer toutes fortes de munitions de guerre 6c de bouche.
D'ailleurs il voyoit un péril certain à aller attaquer les Turcs
fur le rivage, parce qu'on ne pouvoit aller à eux , qu'en tra-
verfant des plaines , d'où l'on feroit apperçu de loin par les
ennemis , qui auroient le teins alors de mettre leurs troupes
h terre , de les mettre en ordre de bataille , ou d'envoyer
Tome III. Hhhh
610 HISTOIRE
. même un gros d'arquebufiers , pour arrêter îes Chrétiens dans
Charle *eur marcne » tandis qu'ils acheveroient leur débarquement
IX. ^ ajoûtoit , que fi une fois les Infidèles fe trouvoient préparez
j - ^ 0> au combat, la défaite des Chrétiens étoit certaine, ôc que ce
feroit leur amener de gayeté de cœur une poignée d'hommes
à égorger ; qu'ils n'étoient que trois mille hommes en état de
combattre , les deux mille autres n'étant nullement aguerris ;
que d'un autre côté , fuppofé qu'en allant aux ennemis , ils
jugeaffent à propos d'éviter le combat , il ne leur feroir plus
permis de fe retirer dans la citadelle éloignée du rivage de
trois mille pas ; qu'ils feraient alors taillez en pièces > après
quoi les ennemis fe rendroient maîtres du château. Enfuite de
Sande tâcha d'encourager les foldats , en les afTurant que le
Viceroi ne manqueroit pas de leur envoyer le fecours qu'il
leur avoir promis ; que le Roi avoir encore trente galères , ôc
un grand nombre de bâtimens de charge y pour tranfporter
des troupes dans l'ifle , & faire lever le fiége 5 qu'ainfi il les
^Ai°Uag? conjuroit que , fans s'inquiéter de l'avenir, ilsfilTent tous leurs
Sande. efforts pour bien défendre la citadelle r qu'il vouloit partager
avec eux les travaux ôc les dangers , ôc que fa condition fut
pareille à celle du fimple foldat f qu'il mangeroit avec eux à la
même table , qu'il vivroit comme eux , de bifcuit , de chairs
falées , ôc boiroit de l'eau , ces chofes étant fuiîifantes pour
conferver la vie ; qu'enfin il ne fouhaitoit qu'allez de force Ô£
de courage , pour foûtenir la fatigue ôc les périls.
Après le débarquement des Turcs, les Maures apportèrent
des vivres aux Chrétiens , ôc promirent d'en apporter toujours*
Mais leur bonne volonté changea avec la fortune des Efpa-
gnols , ôc on ne reçut plus aucun fecours dans la fuite , ni du
roi de Carvan, ni du Xechés de l'ifle. Sur ces entrefaites ,
Monfalvo , frère du capitaine Monfatvo de Zamora > vint trou-
ver de Sande le 21 de Mai, ôc lui préfènta des lettres de la
part du Bâcha Piali. De Sande ayant reproché à cet homme
la lâcheté, ne voulut pas les recevoir, ôc lui ordonna de fe re-
tirer fur l'heure j le menaçant de lui faire fouffrir une morthon-
teufe , fi lui , ou tout autre captif, ou homme libre , ofoit fe pré-
fenter à lui avec de pareilles dépêches. Il eft certain , que pat
ces lettres on faifoit des offres avantageufes à de Sande , s'il vou-
loit fe rendre. La fermeté du Commandant n'empêcha pas que
des Efpagnols ôc des Italiens , qui craignoient l'événement
DE J. A. DE THOU, Liv. XXVI. 6ù
du fiége , ou les fatigues d'une longue réfiftance, ne 'pafîaffent lJ!L_
tous les jours du côté des ennemis. Ces transfuges recevant nHARL
aufïi-tôt une récompenfe digne d'eux , étoient liez à la vue y\
des Chrétiens , ôc condamnez à la rame. Malgré ces exemples , x 0
ôc la vigilance des officiers , il y avoit toujours quelques Chré-
tiens , qui trou voient moyen de s'échaper. Quelques-uns rac-
commodoient des efquifs , ou d'autres bâtimens ufez Ôc de-
mi-rompus > ou bien affembloient à la hâte des planches , ôc
conftruifoient des chaloupes, ôc s'abandonnoient enfuite à la for*
tune de la mer. Vers ce même tems on découvrit une confpira-
tion de deux Efpagnols. L'un des deux , qui avoit été efclave
à Tunis , avoit reçu de l'argent de Dragut, pour mettre le feu aux
poudres , ôc au magafin des vivres. Il fut pendu , ôc fon compa-
gnon condamné aux galères , pour n'avoir pas révélé la conju-
ration.
Sur la fin du mois de Mai, les Turcs campèrent environ à cinq
cens pas de la citadelle , ôc ayant pointé deux canons près d'un
puits , que gardoit Oforio Ulloa , avec fa compagnie ôc environ
trois cens hommes , ils attaquèrent cet Officier, qui fe défendit
courageufement. Après un combat fort vif de partÔc d'autre,
Jes Infidèles fe rendirent les maîtres du puits. Oforio fut d an-
gereufement blelTé, Ôc foixante autres avec lui. Trente de {es
foldats demeurèrent fur la place j mais cet avantage coûta la vie
à plufieurs Turcs. La nuit fuivante quatre galères des Chrétiens
partirent du port de Zerbi, ôc ayant tourné leur proue" du cô-
té des pouppes des Turcs , parlèrent au milieu de la flotte en-
nemie , ôc arrivèrent heureufement à Meffine. Une cinquiè-
me fut prife pour n'avoir pu élever fon mail allez tôt.
Le fept de Juin , mille Chrétiens choifis furent comman-
dez par de Sande , pour une fortie où la plupart des Turcs fu-
rent tuez ou bleiTez. Mais cet avantage nous fît encore plus
de préjudice qu'à eux. L'ennui d'un long fiége engagea les
afliégez à faire encore plufieurs autres forties , qui n'eurent pas
un heureux fuccès. Les Turcs avoient réfolu d'affoiblir les
Chrétiens par un long liège , plutôt que d'emporter la place
par la force. Enfin ils avancèrent la tranchée plus près des
murs, ôc élevèrent un Fort de terre, d'où ils voyoient ce qui
fe paflbit dans la citadelle. Ils vouloient éviter un affaut , ôc
nous obliger à nous rendre à difcrétion , fans être obligez de
livrer de combat. Alors les afliégez , qui jufques-là avoient été
Hhhhi;
Ê
(hra HISTOIRE
■ expofez à des fatigues incroyables, à des veilles continuelles,
Ch a rle ^ av°ient eu des maladies ôc des chaleurs exceffives à corn-
I X. battre, ôc qui avoient refifté courageufement à tant de maux ,
j - ^0> furent vaincus par la foif. Ne vivant que de fromage ôc de
chairs falées , ils vinrent à manquer d'eau. Il y avoit long-
tems qu'on n'en diftribuoic chaque jour à chaque foldat qu'u-
ne petite mefure , où l'on mêlok de l'eau de mer. Plufieurs
s'abftenoient de manger , efpérant éteindre leur foif par ce
moyen, au défaut de Peau. Cet étrange régime les affoiblifîbit
extraordinairement, & les faifoit tomber en phtifie. Dans ces
extrêmitez, de Sande aflembla les officiers & les foldats, qui
fe trouvoient réduits à mille hommes en état de pouvoir com-
battre > les autres étant morts de maladies différentes , où abat-
tus ôc mourans. Après avoir déploré leurs malheurs communs,
il les exhorta à être courageux jufqu'à la fin , à fe réfbudre
à mourir en braves gens , Ôc à vendre cher leurs vies ôc la
victoire à l'ennemi. Après les avoir ainfi animez , il fort avec
eux au milieu de la nuit. Ils franchiffent deux des retranche-
mens des ennemis. Mais étant parvenus au troifiéme , où
étoit la tente du Bâcha , les Turcs s'éveillèrent, ôc coururent
aux armes. Alors de Sande fe voyant abandonné de prefque
tous les fiens , fe retira fous la citadelle , du coté où elle eft bat-
tue par la mer j un de ceux qui l'accompagnoient lui avoit en-
feigné ce chemin. AufTi-tôt il fe jetta dans une des galères ,
.Alvare de qui étoient attachées aux murs du château , dans le deffein de
f" les Turc" ^e ^auver- Mais les Turcs ayant entouré ce bâtiment avec un
grand nombre d'efquifs , il fut pris ôc conduit au Bâcha.
Piali i qui fçavoit admirer la vertu dans fes ennemis, le re*
eut avec honneur , le fit affeoir, ôc lui fit des proposions très-
brillantes, pour l'engager au fervice du Sultan. Ceux qui étoient
reliez dans la place , voyant qu'on avoit pris leur Comman-
dant , fe rendirent à la fin de Juillet ,. ôc furent faits efclaves,
Les Italiens imputent à la vanité de la Cerda cette expédition
maîheureufe, où dix-huit mille hommes périrent par les ma-
ladies Ôc par le fer , ou furent réduits en fervitude , ôc où l'on
perdit vingt-huit galères , ôc quatorze bâtimens de tranfport.
Ils difent que ce Yiceroi voulut , à quelque prix que ce fût ,
fe fignaler par une action mémorable à l'exemple de Vega ,
Ôc qu'il ne fut pas aflez fage pour écouter les confeils de Do-
na.. Mais de Sande en rejettoit la faute fur Pierre de Vélafco
I !!■!
DE J. A. DE THOU, Liv. XXVI. 613
intendant général de la flotte , qui par fa lenteur & fa négligen- =
cène donna pas les ordres néceflaires, pour équiper & appro- Charle
vifionner promptement les galères ôc les autres bâtimens , ôc J x.
fut caufe que la flotte partit trop tard. Antoine-François Cir- j < 6 o.
ni , qui fut préfent à cette expédition , ôc qui nous en a laifle
une relation fort ample , afïure avoir oui dire cela à de Sande,
qui peur-être vouloit ménager le Viceroi. Les Turcs après cette
victoire partirent de Zerbi , ôc vinrent au Goze le 1 6 d'Août ,
d'où ils firent voile vers Conftantinople , amenant avec eux ,
de Sande > à qui Soliman fit les mêmes proportions que Piali
lui avoit faites, lefquelles il réfufa cenftamment. Il fut mis en
prifon avec Sanche de Levé , ôc Béranger de Requefens.
Les Princes Chrétiens rirent demander à Soliman la liber-
té de ces trois officiers , ôc même le Roi Trés-Chrétien en-
voya à ce fujet à l'a PorteFrançois Salviati chevalier de Mal-
te, qui ne put rien obtenir. Les Turcs étoient irritez con-
tre laJFrance ôc l'Efpagne, à l'occafion de la paix conclue en-
tre ces couronnes , qu'il jugeoient ne pouvoir leur être avan-
tageufe. Ils étoient d'autant plus aigris contre les Chrétiens,
qu'ils croyoient qu'on les auroit compris dans le traité de paix.
Voyant au'ils s'étoient trompez dans leurs conjectures , ils
étoient fort mal intentionnez à l'égard de la France. Il eft
certain que Soliman avoit écrit à Henri IL qu'il ne défaprou-
voit point la paix qu'on venoit de conclure 5 mais qu'il de-
voit fe fouvenir , qu'il n'étoit pas fur de rompre avec d'an-
ciens amis , ni de fe réconcilier avec d'anciens ennemis.
De Sande , qui avoit compté que les bons offices de la Fran-
ce , ôc les foliicitations du chevalier Salviati, lui procureroiem
fa liberté , Ôc qui avoit fait des dépenfes immenfes , pour ga-
gner, par des préfens, les grands Officiers de la Porte , voyant
que cela ne lui avoit pas réûflî, commença à craindre de mou-
rir dans l'efclavage. Mais ce fut le mécontentement même des
Turcs envers la France, qu'ils voulurent nous faire fentir , qui
contribua à la liberté des prifonniers. Car Auger de Ghiflin-
feigneur de Boefbecq , envoyé de l'Empereur Ferdinand à la
Porte , ayant fçu par le Bâcha Hali , ôc par Hebraim chef des
interprètes, à qui il venoit de rendre un grand fervice, que fi
Ferdinand demandent les prifonniers Efpagnols, le Sultan pour-
voit les lui accorder , Ghiflin en écrivit à Vienne , ôc ayant
reçu des ordres à ce fujet^il obtint la liberté des trois Officiers ,
H h h h iij
I
tel HISTOIRE
„„.„-w—l^l» par la médiation de ceux qui lui avoient confeillé de la folii-
Cn *ri e Cltcï' AinfideSande, de Requéfens, 6c de Levé fortirent de
IX prifon le 10 d'Août jour de S. Laurent. Peu après Ghiflin ,
b / qui avoit ménagé une Trêve entre la Porte 6c l'Efpagne , par-
tit de Conftantinople y ôc vint à Sophie en Bulgarie , d'où il
paffa en Hongrie , ayant avec lui de Sande , qui s'étoit féparé
de Levé , qu'il haïflbit , 6c de Requéfens. Ceux-ci prirent un
autre chemin , comme s'ils emTent voulu fe rendre à Venife.
Mais Requéfens , qui étoit déjà vieux, mourut avant que d'ar-
river à Ragufe, d'une maladie contractée par les incommodi-
tez 6c l'ennui de fa prifon. Ce que je viens de rapporter n'ar-
riva que deux ans après le fiége de Zerbi.
Après la défaite des Chrétiens fur les côtes de Barbarie ;
Corne Duc de Florence eut le chagrin de perdre deux de fes
galères. Pierre Machiavelli , Général des galères de ce Prin-
ce , ayant mis à la voile avec deux qui s'étoient fauvées du
dernier combat , 6c une troifiéme qu'il venoit de faire conf-
truire , fut attaqué , lorfqu'il y penfoit le moins , près de l'ifle
de Giglio par treize bâtimens fortis d'Alger , 6c eut bien de
la peine à échapper fur fa nouvelle galère , 6c à fe rendre à Ci-
vita-Vecchia. Les deux autres , qui n'étoient pas (i légères ,'
s'enfuirent vers Pifle de Corfe, 6c voyant qu'elles alloient tom-
ber entre les mains des ennemis , s'échouèrent contre des ro-
chers , 6c furent entièrement brifées , l'équipage s'étant aupa-
ravant fauve. Alors les Turcs déchainérent leurs forçats 3 qui
fe faifirent à la nage de ce qu'ils purent prendre des débris de
ce naufrage. Les Florentins avoient eu foin de jetter leur ca-
non au fond de la mer : il en fut tiré quelque tems après par
Ruccellai chevalier de Malte , qui avoit autrefois fuivi le parti
de la France 3 6c étoit , depuis la paix faite , rentré dans les
bonnes grâces du duc de Florence , au fervice de qui il étoit.
Corne, qui vouloit réparer ces pertes, faifoit conftruire une
flotte avec beaucoup de dépenfe ôc de foins. Il avoit fait ve-
nir Baccio Martelli, officier très expérimenté dans la Mari-
ne, qui avoit autrefois fignalé fa valeur fous Léon Strozzi, ôc
lui avoit donné le principal commandement de fes vaifteaux ,
jufqu'à ce que le prince Garcie fon fils , à qui il deftinoit la
charge d'Amiral , fut en âge d'exercer cet emploi. De plus
pour garantir les côtes maritimes de fes Etats des courfes des
ennemis , 6c pour avoir toujours une flotte pourvue , non
DE J. A. DE T HOU, L iv. XXVI. 6iS
feulement de toutes les chofes nécefTaires pour attaquer les
Turcs, mais qui fût montée par des hommes courageux ôcha- q h a rl£
biles dans le métier de la mer , il créa un Ordre de Chevaliers , j \£.
dont l'iiiftitution avoit aflez de rapport à celle des Chevaliers ^^^
de S. Jean de Jerufalem. Il leur donna une Eglife ôc un Pa-
lais dans la ville de Pife , ôc le nom de Chevaliers de S. Etien-
ne x Pape , en mémoire de la victoire remportée à Marciano le
deux d'Août i; 74, jour où l'on célèbre la fête de ce bien-heu-
reux Pontife. Il donna à cet Ordre de grands revenus , ôc
ordonna > que lui , ôc à l'avenir les Ducs fes fuccelTeurs , fe-
roient les chefs de cette milice Chrétienne. Enfuite il lui donna
des ftatuts , pour être exactement obfervez parles Chevaliers.
Durant ces divers événemens en Europe , les Mofcovites
qui étoient à Derpt, rirent une féconde irruption en Livonie, Affaires <te
ôc prirent Marienbourg , qui leur fut rendue par Sibert gou- .Mofame.
verneur de la ville , Adefel , ôc plufieurs autres places. Les Livo-
niens ayant appelle à leur fecours Magnus duc de Holface,fi]s
de Chrimerne III. roi de Dannemarc, ôc frère de Frédéric IL
ee Prince aborda aufTî-tôt à fille d'Ofel , qui eit vis-à-vis la
Livonie. Il avoit cédé depuis peu à Frédéric la troifiéms par-
tie de la Holface , ôc avoit eu en échange les Diocéfes d'O-
fel ôc de Curland, que le Roi fon frère avoit achetez plufieurs
mille Joachims, de l'évêque Jean Munchaufen. Outre ces do-
maines , Magnus fe rit céder par Maurice Vrangel , évêque
deRevelôc d'un grand territoire qui en dépend, des droits fur
ce payis , que les Mofcovites avoient ufurpez. Le prince de
Dannemarc étoit fort fouhaiîé des Livoniens. Ces peuples
comptoient qu'il les défendrait mieux contre le Mofcovite ,
que le Maître de l'Ordre Teutonique. Ainiî toute la Noblef-
k , ôc les autres perfonnes confidérables de la province vin-
rent le trouver , pour le féliciter fur fon arrivée. Mais la fierté
de ce Prince , ôc le peu de ménagement qu'il eut pour ces
peuples, les rirent bien-tôt repentir de leur choix. Ils étoient
même fur le point de prendre les armes contre lui , lorfque
leur Archevêque, ôc celui de Mekelbourg fon collègue, em-
ployèrent leurs bons offices , pour ménager une entrevue à
Parnaw , ôc une réconciliation. Durant ces négociations 1s
Mofcovite entre dans le Harnland , dont Rével eft la capita*
le , ôc après avoir ravagé le payis , paffe dans celui de Letten >
1 Etienne X. frère ds Godefroi le Barbu due de Lorraine, mort à Florence..
hè H I S T O ï R E
ôc taille en pièces, près d'Ermes, l'armée desLivoniens, com-
ru.0:fD mandée par Philippe Schal Maître de l'Ordre , & par Tes Che-
I ^ vaiiers. La plupart des chers turent faits priionniers , & con-
£ <r 60 duits à Mofcov. Les Ruffes afliégerent enfuite fur la fin de
Juillet , Vellin , ou le vieux Furftemberg s'étoit retiré. Une par-
tie de la ville ayant été brûlée , & la garnifon s'étant mutinée
contre fes Officiers , fur le prétexte qu'elle n'étoit pas payée,
les habitans furent contraints de fe rendre. Mais l'ennemi mê-
me punit la perfidie des foldats , qui s'étoient exprès foûlevez
pour piller les tréfors de Furftemberg a ôc l'argent des autres
gentilshommes, qu'ils enlevèrent : ces pillards furent dépouil-
lez , ôc pafTez prefque tous au fil de Pépée. Furftemberg fut
fait prifonnier , ôc conduit en Mofcovie malgré fon grand âge.
Les Mofcovites , enflez de ce fuccès , diviférent leurs trou-
pes. Une partie vint mettre le fiége devant le château de Wit-
tenftein , qu'ils ne purent prendre. Les autres fe répandirent
au tour de Wenden ôc de Volmar , pour piller. Les autres en-
fin firent des courtes dans le payis , qui eft entre Rével ôc
Parnaw , ôc fournis au duc de Holftein. Ceux de Rével voyant
que l'ennemi mettoit tout à contribution , ôc venoit jufqu'aux
portes de leur ville , qu'ils n'avoient aucun fecours à attendre
du côté de l'Empire, ôc qu'ils ne pouvoient avec leurs forces
refifter à une puiifance aufîi formidable que celle du Czar, en-
voyèrent des Députez à Eric depuis peu roi de Suéde , pour
l'engager à ieur prêter de l'argent. Ce Prince , qui n'étoit pas
difpofé à donner à ces habitans les groffes fommes qu'ils de-
ma.ndo.ient , ôc qui d'ailleurs ne vouloir pas laifier échappée
cette occafion de reculer fes frontières , fit réponfe que fon tré-
for étoit épuifé ; mais qu'il accorderoit volontiers fa protec-
tion à ceux de Rével , s'ils vouloient le reconnoître pour leur
Roi. Les habitans trouvèrent d'abord ces conditions fort dures.
Mais forcez enfin par la néceflité , ils les acceptèrent , après
avoir confulté la NoblefTe du payis, 6c affemblé tous les Ordres
de la ville à ce fujet. On renonça au ferment qu'on avoit prêté
l'année précédente au grand Maître des Chevaliers de Livonie,
Ôc on promit au roi de Suéde une obéïiïance , ôc une fidélité
inviolables. Cela fut caufe que le roi de Pologne voyant avec
chagrin que la Livonie alloit être démembrée , ne voulut plus
accorder à cette province une protection , que le grand Maî-
tre de l'Ordre , Ôc l'archevêque de Riga lui avoient demandée 3
comme
D E J. A. DE T H O U , L i v. XXVI. 6ij
comme nous l'avons dit ci-deffus ; mais cela n'arriva que l'an- ■•-■'*•«
née qui fuivit celle-ci. _
Peu de tems auparavant Guftave,roi de Suéde ôc deNor- ^I1^-LE
vege , étoit mort le 19 de Septembre à l'âge de foixante-dix
ans. C'eft ce Prince, qui de captif qu'il étoit, fut élevé furie l $ "
trône par le fecours de la ville de Lubec , après l'horrible car- Mort de.
nage vde tant de feigneurs Suédois, ordonné par Chriftierne II. de' suède,01
roi de Dannemarc. Guftave,qui étoit parent du dernier Roi,
gouverna la Suéde durant trente-huit ans avec une grande fa-
geffe. On reproche néanmoins à ce, Prince d'avoir terni l'é-
clat de fes vertus royales, par l'avarice, ôc en foulant fes fu-
jets. Mais ceux qui jugent fainement, excuferont un Prince, qui
ayant le premier élevé fa maifon à la fouveraine puiiTance ,
cherchoit les moyens de l'y affermir déplus en plus, en amaf-
fant de grandes richeffes. Il laiffa de Catherine , fille de Ma-
gnus duc de Saxe, Eric, dont je viens déparier , qui lui ftu>
céda. Il époufa en fécondes noces Marguerite , fille d'Eric
Abraham Loholm, duc de Sudermanie, dont il eut le prince
Jean , qui régna après fon frère , ôc Charle duc de Sudermanie,
qui gouverne aujourd'hui ces payis Septentrionaux au nom du
roi Sigifmond. Philippe duc de la haute Pomeranie , fils de
George , Ôc petit-fils de Bogiflas , dit le Grand , finit auffi fes
jours , biffant cinq enfans.
Albert comte de Mansfeld , mourut auflî cette année dans Mort d'Al-
la haute Saxe. Ce Seigneur fut un des plus zelez partifans de la j?"' de Maas"
Doctrine de Luther , ôc fe vit long-tems perfécuté à Foccafion
delà Religion. Enfin il fut délivré des miféres d'une vie tou-
jours agitée , ôc trouva dans la mort un repos qu'il n'avoit pu fe
procurer. Il mourut le cinq de Mars âgé de 70 ans, x après
avoir été près de cinquante années le Gouverneur de fon payis.
Le 25* de Novembre André Doria finit fes jours à Gènes ,
dans le palais qu'il avoir fait bâtir aux environs de la ville avec
un magnificence royale. Ce grand homme , qui avoit joué un Mort d'Aa-
grand rôle dans fa patrie , quitta cette vie à l'âge de quatre vingt ^ ®°r:
treize ans. On parla peu de lui à fa mort , parce qu'il mou-
roit en un âge , où les forces de fon efprit ôc de fon corps étant
entièrement affoiblies, il étoit devenu inutile à fes concitoyens ,
>ge.
1 La mort du Père d'Albert de Mans-
feld , eft fixe'e par les Hiftoriens à l'an-
née i486. Si cela eft vrai , comment
Tome IIL
Albert eft -il mort en 1 y 60, âgé de 70
ans ? Il faut réformer le tems de la
mort ou du père ou du fils.
lia
tfiS HISTOIRE
. & qu'il avoit } pour ainfi dire , ceffé de vivre avant que de raou-
Charle r*r* André Doria eut de grandes vertus , ôc fçut par fa fa-
T X gefle fixer la Fortune , qui lui avoit été long-tems contraire.
£ ' Ses actions dignes d'une éternelle mémoire , ôc qui furent fur la
* * fin d'une vieillefle décrépite , comme enfevelies dans l'oubli 5
méritent bien qu'aujourd'hui nous les retracions.
Les grandes aumônes qu'il diftribua aux pauvres , ôc les Egli-
fes qu'il bâtit, prouvent fa pieté envers Dieu. Car que pou-
voit faire autre chofe un homme de guerre ? Après la Reli-
gion, il n'eut rien de plus à cœur, que les intérêts de fa pa-
trie , à qui , à l'exemple d'Ottavien Fregofe , il rendit une li-
berté , qu'il fçut lui conferver. Dans la fuite il s'éleva des
orages > qui auroientpu le faire repentir çÏqcg qu'il avoit fait en
faveur de fes concitoyens. Attaqué trois fois, par la conjuration
d'une faction contraire qui en vouloit à fa vie, il ne put fe ré-
foudre à confentir , que les Efpagnoîs bâtiUent une citadelle
dans Gènes, ôc y miffent une garnifon, qui eût affervi cette
République. On loué" fa tempérance ôc fa modération du
côté des plaifirs. Quoi qu'il mangeât naturellement beau-
coup, il ne faifoit que deux repas chaque jour, où il bûvok
deux fois feulement , mêlant les trois quarts d'eau dans fon vin.
Il fut véritablement adonné à l'amour des femmes, où le por-
toit une forte fanté, ôc un tempérament vigoureux. Mais cet-
te forte d'amufement ne lui fit jamais négliger le foin de fes
grandes affaires. On peut juger de fa libéralité, par le pré-
fent qu'il fit à fon beau -fils 3 au-delà même de ce qu'il ed:
permis , ce femble , à un particulier de donner. Il lui céda
ïa principauté de Melfe , qu'il tenoit de la faveur de Charle
Quint. On croit que l'Empereur vit avec chagrin, que par ce
don excefiif Doria ofât en quelque façon blâmer fa libéralité
à fon égard. Il fit bâtir de fuperbes palais ; un fur tout dans
lin fauxbourg de Gènes , où il eut l'honneur de recevoir deux
fois Charle Quint, Philippe fon fils, Maximilien roi de Bohê-
me , ôc la reine Marie fa femme , fille de l'Empereur , ôc de les
traiter avec une magnificence digne de ces hôtes illuftres. Il
faut ajouter à cela fes galères fi richement ornées , une grande
galère à quatre bancs de rameurs,ôc une autre à cinq , d'une conf-
truclion merveilleufe,où l'or ôc l'argent brilîoient par tout. 11 re-
bâtit l'eglife de S. Mathieu, où il éleva une fuperbe galerie, fous
laquelle il fit faire une chapelle ornée de colomnes de marbre ,
DE J. A DE THOU, Liv. XXVL 619
ôc de riches peintures , où il plaça fon tombeau , ayant fondé ■■_
des Prêtres pour y célébrer chaque jour l'office divin. Toutes Charle
les voyes de parvenir aux honneurs , ôc d'augmenter fa fortune, j x.
lui parurent odieufes , dès qu'il les crut contraires aux loix ôc à la \ < 60,
liberté de fa patrie. Il fit voir fur tout fa grandeur d'ame, lorf-
que fe mettant au deffus des opinions vulgaires , il fit peu de cas
des honneurs même légitimement acquis , qu'il ne craignit point
une injufte infamie > ôc qu'il crut qu'il n'y avoit de honte, qu'à
ne pas être affez attentif aux témoignages de fa confcience. Du
refte, il ne parloit jamais de lui-même qu'avec une grande mo-
deftie , ôc il fouffroit avec peine qu'on le louât en fa préfence.
On remarquoit dans fa démarche ôc dans fes difcours une gra-
vité,qui lui étoit naturelle. Jamais fon caractère ne fe démentit. Il
fe montra jufte dans toutes fes actions , Ôc aima tant la vérité, qu'il
ne mentit jamais , même en badinant. Il fut plus fenfible à l'hon-
neur , que touché du foin de conferver fa vie. Souvent il deman-
da des grâces aux Princes pour les autres , ôc rarement pour lui-
même. 11 fe laifToit aifément aller à la colère j mais il fe calmoit
aufîi-tôt. Un bonheur prefque continuel , ôc qui égaloit fes ver-
tus , en fut la récompenfe. Car il fut fix fois, fous divers Princes,
Général de leurs flottes, ôc eut même fouvent le commande-
ment des troupes de terre. Il remporta des victoires fignalées ,
ôc ne parvint que par fon courage ôc fa prudence à ces hon-
neurs , que tant d'autres n'ont pu obtenir avec de grandes quali-
tez , ôc foutenus par la faveur de leurs citoyens , par d'immen-
fes richeffes , ou par de piaffantes factions. Il ne porta jamais
l'épée , même dans fes voyages maritimes , ôc s'il en eut une
dans les combats , la Fortune , qui combattoit pour lui , fit
qu'il n'eut prefque jamais d'occafion de la tirer du fourreau. Il
faut avouer cependant, qu'on lui réproche avec juftice, que long-
tems après la conjuration des Fiefques , ôc lors qu'il eut trouvé
3e moyen, par fa fermeté ôc par fa modération, de détruire les def-
feins de ceux qui reftoient de cette faclion, il ufa inhumainement
de fa vi&oire envers l Ottobon Fiefque frère de Louis , que le
marquis de Marignan avoit fait prifonnier auprès de Portercole ,
ôc qu'il lui avoit livré, comme nous l'avons rapporté ci-deffus.
Lorfqu'il eut aiTuré la liberté à fa patrie, on l'éleva à la pre-
mière dignité de la République , qui lui donnoit le droit de faire
1 Doria fît jetter dans la mer Ottobon Fiefque , après l'avoir fait coudre dans
un fac.
liii ij
6 2ô HISTOIRE
' ' rendre Compte à chaque Magiftrat de fon admlniftration. Il fe
C H a r l E comporta en cela avec tant de moderation.que fans offenfer per-
j x fonne t il maintint la difcipline. Enfin fe voyant fans enfans , il
i c <5o. remitfes charges aflez tard entre les mains de Jean-André Do-
ria fon neveu , fils de Jannetin fon frère , ôc lui laiffa le duché de
Torfi chargé de grandes dettes. Ce neveu étant éloigné de lui
dans les derniers tems de fa vie > il chargea Antoine Pifcina fon
camerier, de lui dire de fa part 3 qu'il devoit fur-tout mettre en
Dieu toutes fes efpérances, cultiver avec foin la bienveillance
ôc la protection du roi d'Efpagne 3 ôc fe propofer de défendre fa
patrie,ôc la liberté de fes concitoyens,même aux dépens de fa vie.
Il fit fon teftament , qui fut ouvert après fa mort par Figueroa ôc
Centurione , ôc lu publiquement. Il ordonnoit entre autres cho-
fes j que fon corps fut inhumé la nuit, ôc fans pompe ; en quoi
fes domeftiques lui obéirent. Jean-André fon neveu étant arrivé
à Gènes fix jours après fa mort 3 les Génois firent faire dans leur
principale Eglife des funérailles magnifiques à ce citoyen , qui
avoit rendu de fi grands fervices à la République , & lui donnè-
rent au moins cette marque de leur reconnoiffance.
Mort du Peu de tems auparavant étoit mort le cardinal Jean du Bel-
cardinal du lai. Ce Prélat iflu d'une ancienne ôc illuftre famille , qui avoit
clo'»" °n rendu de grands fervices à la France , étoit frère de Guillaume
feigneur de Langey gouverneur de Piémont , grand capitai-
ne ôc très-habile négociateur , Ôc de Martin du Bellai , qui
étoit mort l'année précédente à Glatigni au Maine le 9 de Mars.
Ce dernier qui pafTa fa vie dans des commandemens militai-
res , ou dans des ambaffades honorables , nous a laiffé des mé-
moires fenfez ôc bien écrits , des chofes qu'il a faites 3 ou dont
il a été le témoin. Le Cardinal fon frère s'acquit aufîi beau-
coup de réputation dans des emplois pacifiques 3 ôc même en
ce qui concerne la guerre. Il fit dans fon enfance de grands
progrès dans les lettres > il écrivoit parfaitement en Latin, ôc il
compofa des vers nobles ôc élevez 3 qui font entre les mains
des fçavans. François I. ayant égard à fon feul mérite > l'em-
ploya en des négociations importantes , lui confia plufieurs am-
baffades , dont il s'acquitta toujours avec autant de fidélité
que de prudence 3 ôc lui fit obtenir le chapeau de Cardinal.
Quelque tems après 3 les affaires de ce Royaume étant dans
wne trifte fituation en ij44,& l'armée de l'Empereur s'avan-
çant vers Paris, dont du Bellai étoit alorsEvêque, il raffura
DE J. A. DETHOU, Liv. XXVI. tel
les bourgeois effrayez, ôc fit faire avec une extrême diligence des » ■
foflez , 6c conftruire des fortifications , que Ton voit encore au- ç H AR L e
jourd'hui. François I. l'honoroit de fon amitié 6c de fa con- j ^
fiance , prefque autant que le cardinal de Tournon fon premier ^ ^ 0|
Miniftre. Il eftimoit fur-tout en lui fon attachement inviola-
ble pour fa patrie , fa grandeur d'ame, fa libéralité , 6c fa magni-
ficence , que prouvent affez les maifons qu'il a bâties avec une
dépenfe prefque Royale. Mais après la mort de ce grand Roi,
fes envieux , 6c fur-tout le cardinal de Lorraine , lui rendirent de
mauvais offices auprès de Henri IL 6c lui firent perdre la faveur
delà Cour. Du Bellai , qui ne put jamais fouffrir les injuftices ,
fe retira à Rome, où il fut déclaré évêque d'Qftie , en qualité
de Doyen dufacré Collège. Les fervices, qu'il avoit rendus à
la France 6c au Saint Siège , font croire qu'il étoit digne en-
core de plus grands honneurs. Il mourut à Rome, dans le Pa-
lais magnifique, qu'il y avoit fait bâtir près des Thermes de
Diocletien , 6c mérita les larmes de l'Eglife , dont pendant fa
vieil avoit fouhaité la réforme. Joachim du Bellai l étoit delà Mort du
même famille , dont il fe montra digne par les agrémens de Poète Joa-
fon efprit. Il mourut à Paris d'une paralyfie , le premier de Jan- j^™ u
vier de la même année. Dans une fortune fort au-defibus de
l'élévation de ceux dont je viens de parler , il fe diftingua par fes
poëfies Françoifes. On loue entre fes ouvrages les Trifles , qu'il
compofa à Rome étant à la fuite du cardinal du Bellai fon cou-
fin, fes Jeux ruftiques , 6c un recueil de vers, qu'il dédia à Mar-
guerite duchefle de Savoye. Il ne réufllt pas fi bien dans les
vers latins qu'il fit durant fon féjour à Rome.
Il eft à propos de parler delà mort deLeiioCapilupi, ami Mort de Le-
particulier de Joachim du Bellai : il mourut à Mantouë , où il ^° CaPlluPx-
étoit né , trois jours après fon ami , à l'âge de foixante 6c deux
ans. Cet Italien badina fi heureufement fur les vers de Virgi-
le , qui étoit de Mantouë comme lui , en leur donnant un fens
différent de celui de l'auteur, qu'il effaça tout cequ'avoient
fait avant lui en ce genre Aufone, 6c Proba Faîconia. Il fit
fur-tout des Centons très-eftimez fur l'origine, la vie, 6c les
règles des Moines , furies cérémonies de l'Eglife , 6c furie mal
vénérien j parodiant les vers de Virgile, qui afiurément n'avoit
pu penfer à tout cela. Je ne puis pafier fous filence la mort de Mort de B
Bonfadio né à Salo auprès du lac de la Garde. Il fe fit eftimer fadl0'
i Joachim du Sellai étoit Chanoine, &; Archidiacre de l'Eglife de Paris.
îiii iij
on*
62È
HISTOIRE
Charle
IX.
t 5 5o.
Mort de
par fa profe , ôc par fes vers Italiens ôc Latins. Mais des mœurs
corrompues ternirent ces belles quaîitez. Ayant commis un
crime qu'il convient de taire, il eut la tête tranchée à Gènes,
dont il avoit écrit l'hiftoire de quelques années. Il mourut à la
fleur de fon âge, ayant confervé jufqu'à la fin une grande force
d'efprit. Il écrivit même une lettre fort éloquente peu avant fa
mortjoù il affura qu'à l'exemple deSocrate,il étoit prêt de fouffrir
fon fupplice avec un efprit intrépide ôc tranquille.
Il eft jufte de ne pas priver Louife Sigea des éloges qui lui font
1§ea' dus. Cette illuftre dame née à Tolède fçavoit parfaitement les
langues Grecque, Latine, ôc Hébraïque ? ce qui peut paffer pour
un prodige dans une perfonne de fon fexe. La Reine de Portu-
gal la fit venir auprès d'elle,ôc lui donna de grands biens. Elle eut
une foeur nommé Angele , qui fut aufli fort fçavante. Jean Va-
feus , qui nous adonné unehiftoire d'Efpagne très-eftimée , An-
dré Requefende , Alvare Gomez , ôc François Luifini ont loué à
l'envi l'un de l'autre Louife Sigea. S'étant retirée à Burgos, avec
François de la Cueva fon mari, elle y mourut fort jeune le 13
d'Octobre Ôc laiffa un fils.
Philippe Melanchton finit aufll fes jours à Wittemberg cette
même année le 19 d'Avril. Il y avoit deux mois ôc trois jours
qu'il avoit paifé fon année climaclerique. Une fièvre double tier-
ce , prefque toujours fatale aux vieillards , le mitau tombeau. Il
étoit originaire d'Heidelberg,ôc né à Bretten ville du palatinat
du Rhein. George fon père s'étoit rendu fameux par fon habileté
à manier les armes , ôc il étoit confideré à caufe de cela de
l'Empereur Maximilien. Du refte c'étoit un homme de bien, qui
avoit de la pieté. Melanchton fit fes études à Pforzhein près de
Spire, où il y avoit alors un Collège fort célèbre: Jean Hunger
ôc George Simler furent fes maîtres. Ayant eu le bonheur
de fe concilier l'amitié de l Reuchlin, le plus fçavant hom-
me de fon tems, celui-ci lui confeilla de changer fon nom , qui
fignifioit en Allemand , terre noire, ôc de prendre celui de Me-
lanchton 2 mot grec, qui fignifie la même chofe. Reuchlin fe fou-
venoit, que lorsqu'il étoit en Italie , Hermolao Barbato lui avoit
donné le nom de Fumée, ou deCapnion , parce que Reuchen
langue Allemande , ôc Ktejrvef en Grec veulent dire Fumée.
Quelque tems après , de grands troubles s'étant élevez dans
Mort de Phi
lippe Melan-
chton: fonça
rafteie.
1 Reuchlin e'coit l'oncle maternel
de Melanchton , quoique M. de Thou
n'en dife rien.
1 pU*i noir , yj»* , terre.
DEJ. À. DETHOU,Liv. XXVI. €23
l'Empire, fur les matières de la Religion , Melanchton s'attacha ; » »
à Luther, qu'il accompagna prefque toujours. Mais le caracte- Charle
re du difciple fut très-oppofé à celui du maître. j xo
Melanchton faifoit tousfes efforts,, pour engager Luther à n'a- 1 e $q.
vancer aucune propofition , qui ne fut claire, ôc à portée d'être
entendue de tous, ôc vouloir qu'on expliquât les matières obfcu-
res. De plus t il aimoit tant la tranquillité ôc la concorde , qu'il
foûtenoit qu'on devoit agiter feulement les matières eflentiel-
les, fermer les yeux fur des abus peu confiderables , ôc tolérer
bien des chofes. Une fi grande modération dans ce Dotleur
équitable lui attira la bienveillance de plufieurs grands hommes,
de ceux mêmes qui ne penfoient pas comme lui, en un tems où
les efprits étoient extrêmement échauffez fur ces matières. Fran-
çois I. connohTant les difpofitions de Melanchton pour procu-
rer la paix de PEglife, fur ce que le feigneur du BellaideLan-
gei lui en avoit dit, lui écrivit de Guife en 1 5* 3 3 , ôc lui envoya
Voré de la FofTe 3 pour l'engager à venir en France. Il lui man-
doit.qu'on y tiendroit une conférence avec lui ôc avec plufieurs
Théologiens habiles , pour parvenir , s'il étoit poftible , à l'union
des Catholiques ôc des Proteftans. Deux ans après, Jaque Sa-
dolet évêque de Carpentras étant venu à Rome , ôc ayant été
nommé Cardinal, lorfqu'il s'y attendoit le moins, ôc qu'il ne le
fouhaitoitmême pas,écrivit à Melanchton une lettre fort civile,
pour lui demander fon amitié , ôc l'affurer , que malgré la diffé-
rence des fentimens , ôc la diftance des lieux , il defiroit ar-
demment d'avoir avec lui un commerce de littérature. Mais
cet homme fi eftimé des étrangers, ôc fi recherché de ceux
dont la Religion étoit différente de la Tienne , éprouva un fort
bien différent dans fon propre payis , par laperfécution de ceux
qui étoient Proteftans comme lui. Il s'éleva en Allemagne une
faction de Luthériens zelez , qui rejettant avec pafTion toutes
propofitions de conciliation ôc de paix , décîamoient avec em-
portement contre ceux qui propofoient des tempéramens , les
appellant Adiaphoriftes l ou Intérimifies 2, noms odieux , qu'ils
avoient forgez, pour décrier la modération des plus fages. Les
chefs de ce parti outré furent Matthias Flacius Ulyricus , ôc Ni-
colas Gallus.avec qui Melanchton, qui aimoit la paix, fut obligé
d'avoir des différends toute fa vie. Après fa mort, les Proteftans
1 C'efl-à-dire indifferens.
2 Par rapport au fameux intérim de Charle- Quint,
624 HISTOIRE DE J. A. DE THOXT.
_.. blâmèrent en lui cet éloignement des diiTentions & des difputes>
C h arle ^ont J'a* Par^ • aufli-bien 4ue fa troP grande application à l'étude
jy de la Philofophie & des Mathématiques 3 & fur tout de l'Aftro-
/ logie Judiciaire. Joachim Camérarius fon ami a écrit fa vie ;
avec autant d'éxaclitude que d'élégance. Comme j'ai lu cet ou-
vrage avec plaifir , je conièille, fur tout à ceux qui aiment la paix
de l'Eglife , de le lire.
Mort de Au refte Méîanchton laifla plufieurs filles, dont une, nommée
bin &de Pier- Anne,époufa George Sabin de la Marche né dans Brandebourg,
re Lotkkius. poète d'une affez grande réputation chez les Allemans. Les
Cardinaux Bembo & Contarini , J. B. Egnatio & Louis Be~
catelli j tous Italiens , eftimerent beaucoup Sabin durant fa vie.
Il mourut à Francfort fur l'Oder , où il avoit fixé fa demeure , la
même année que fon beau-pere , le premier de Décembre à l'âge
de cinquante-trois ans. Pierre Lotichius Secundus, plus jeune
que ce dernier , & âgé feulement de 32 ans, finit fes jours à Hei-
delberg le premier de Novembre. Il étoit né à Solitar dans le
comté de HanaW , & fut à mon avis , après le célèbre Eoba-
nus , du payis de Hefle » un des meilleurs Poètes qu'ait produit
l'Allemagne. Trois ans après fa mort , Camérarius publia un re-
cueil de fes vers , qui fait voir ce qu'on auroit dû attendre de
lui , fi Dieu lui avoit donné une plus longue vie.
Mort de D es le mois de Janvier Nicolas Gerbel de la ville de Pforzhçim
? f&d ^C1~ ^to*t mort- C'étoit un homme de bien , & très-eftimable par fon
Diiander. ôc fçavoir par la douceur de fes mœurs. Il avoit profeflé le droit
à Vienne en Autriche avec un grand applaudiffement, & avoit
été lié d'une étroite amitié avec JeanCufpinien , le plus fçavant
homme de fon tems. Il étoit venu s'établir à Strasbourg, où il
mourut fort vieux, Jean Driander né à "Wetteren en HefTe, quitta
aulîi cette vie le 20 de Décembre à Marpurg , où il avoit long-
tems enfeigné. Il avoit profefTc avec beaucoup de fuccès la Mé-
decine & les Mathématiques, & publié d'excellens ouvrages fur
ces fciences. Il fit de fçavantes découvertes dans l'Aftronomie ;
& imagina de nouveaux inftrumens par rapport aux aftres 3 ou
perfectionna ceux qu'on avoit déjà.
Fin du Tome troifiéme,%
Gta ! tn S23 GîW • tr G*X> S*3 Ô*S> ff*û 5 *3 CTO S*S S#£> ff*S S *Û u#3 S*3 VfOGtDVtOGtS>G*SS*S>U*OQtDGK>Gi£GtCatnQt3
RESTITUTIONS,
DIFFERENTES LEÇONS,
VARIANTES,
NOTES ET CORRECTIONS
DU TROISIEME VOLUME-
EXPLICATION DES MARQVES
dont on syeflfervi pour déjigner les endroits d'où font prifes
les Rejlitutions quifuivent,
V *. Signifie que le pafïage reftitue étoit dans l'édition de Pari/Ton , in folio
AÏS. Reg. Veut dire que le paffage reftitue' ou la variante eft dans le Manufcrit
de la Bibliothèque du Roi , qui eft celui de l'Auteur même.
MS.Samm. Fait entendre la même chofe du Manufcrit de Meilleurs de Sainte-.
Marthe.
P. Défigne les variantes prifes de l'e'dition de PathTon.
Do Dénote les variantes prifes de l'édition des Drouarts. La leittre (f)
marque l'édition des Drouarts in folio, (o) la même inoftavoy
(d) la même in douze.
Put. Signifie que la note , ou la correction eft de Meilleurs Dupuy.
Rig. Que la note , ou correction eft de Rigault.
C Que la note , ou correction eft de l'Editeur Angîois.
Edit. Angl. Défigne l'édition d'Angleterre.
Ip4. Tiiuan. L'index des noms propres qui font dans I'Hiftoire de M. de Thou»"
Tout ce qui n'eft précédé ni fuivi d'aucune marque , eft de nous.
LIVRE DIX-SEPTIEME.
J AGE 2. ligne 2. Talcrs, ou Taylor.
i I..9. De S. Davids, not. On l'appelle aufliPE-
vêque de Menevia. Put.
Pag. 3.I. 29. Les Regiftres publics font foi que la Reine-mere
fut proclamée Régente du Royaume d'Ecofîe le 12. d'A-
vril iy?4. C.
. TomeUL Kkkk
-*26 RESTITUTIONS,
Pag. 4. 1. p. Areskin , ou Erskine.
1. 1 1 . Mudyard , ou Moydard.
1. 20. Guillaume chef de la maifon de CathnefT, lif
Guillaume Mackintosh chef du Clan-Chattan. C.
3.2i. Du Comte de Murray, (Jacques Smart) fils
naturel du Roi Jacques IV. C.
L 27. Du Comte de Cafleley , lif de Caffils.
Pag. 5'. 1. 7. Innernes , lif Inverneff.
1. p. D'Athole. lif Jean Smart Comte d'Athol.
L 27. Le Rouge, ou de Ruby.
1. 30. De RofTe , ou de Roflf.
^ag. 6. 1. 10. Sandlands, ou Sandilands de Calder, Chevalier
de Malthe & Prieur de l'Ordre en Ecofle. C.
!£/'<£ Weemes, ou Weenis.
Pag. 8. 1. 6. Carow a lif. Carew.
I.33. Ecofïbis, lif. Scot.
1. 37. Cool Principal du Collège d'Etone ', lif Coie
Prévôt de l'Eglife d'Eton. C.
Pag. p. 1. 8. Stocch , lif Stokes.
Pag. 1 1. 1. 16. Frifuide , lif Fridifwide.
I.21. Marfall , lif Marshall.
Pag. 14. 1. 2^. Neuf foldats, lif foixante.
Pag. 1 6. 1. 27. Caftone , lif Cortone.
Pag. 18.I. s p. A la Cour, ajout. & principalement des Lot^
rains , qui ne cherchoient qu'à faite des remuëmens dans
l'Etat. P. *
Pag. 2 1. 1. 7. Cani , lif Cavi.
Pag. 22. 1. 1 3. Du côté de la mer , not. Ord maritimâ , c'eft-à«
dire, des places & de la campagne qui étoient le long de la
côte ; parce qu'elles étoient occupées par Corne Duc de
Florence , qui empêchoit les fecours que les Sienois au-
raient pu en tirer.
VsLg.2SA.16. Duchefle de Valentinois , lif Cette enchante-
relie , qui lui fafcinoit les yeux. P. D. 0. f.
1. 26. Aux Guifes , ajout, que l'ambition aveugloit. P. ¥
Pag. 34. l.p. Frofolone, ou Frufoîone.
1. 33. Piperna, lif. Piperno.
îbid. Fiorentino , lif Ferentino,
Pag. 3 j. î, 27. Frafcati, ou Frefcati.
CORRECTIONS, kc. £27
Pag. 41.I. 1 . ajoutez : mais comme l'argent lui manquoit , fo&
voyage fut inutile. P. D. 0. f.
Pag. 50.I. 2. Quatre mille, lif iïx mille.
Pag. 54. 1. dern. De Nardo , lif. de Nami.
Pag. $ 7.I. 32. Jean Roufleau, lif. Pierre. Put.
Pag. 5-8.I. y. BruTonnc , lif Boiflbnné , ou Boëflbnné , & ainfi
partout.
Pag. jp. 1. 24. Une torche à la main, ajout. On lui fit fubir 1$
même peine à Chambery. Edit. Angl.
1. 25". Les Princes de la maifon de Guife, lif. ici , e>!
partout ailleurs > les Guifes. M. de Thou ne les a jamais
appeliez Princes , lorfqu'ii a parlé de lui-même dans le cours
de fon hiftoire.
lbià. Ajoutez : qui tiroient un honteux profit des ac-
cufations calomnieufes. P. Y
Pag. 62. 1. 37. Dix mille , lif huit mille. Edit. Angl.
Pag. 64. 1. dern. Et George fon frère , lif. & George fon fils,
Edit. Angl.
Pag. 6j. 1. 8. Verautz , /*/7 Verantz.
1. 27. Bacboza, lif Babocza, & ainfi ailleurs:
Pag. 66. 1. 37. Le deux de Juin, lif le dix. Edit. Angl.
Pag. 5p. 1. ip. Nadafdii, ou Nadafdy. Il faut dire le même
de tous les noms terminez en ii} qu'on peut terminer paç
un , y.
1. 33. Rigné, lif Rigne, aliàs Rinnia.
Pag. 70. 1. 2. Canifia , lif. Canifa.
Pag. 72.I. 10. Il parut le 6. Mars, pendant &c. lif. Il parut
le 6. Mars, & on vit pendant &c.
Pag. 76. 1. dern. Ajoutez : Gelida étant mort, le foin du Col-
lège de Bordeaux fut confié à Elie Vinet , qui avoir dès-
lors , comme il a fait depuis , rendu de très-grands fervices3"
non-feulement à ce Collège, mais à toute la République
des Lettres. Il s'acquitta longtems de cette charge avec
beaucoup d'honneur, de gloire, & d'applaudiifemens. P;
11 remplit cette fon&ion jufqu'à une extrême vieillerie;
<lans laquelle il conferva jufqu'au dernier foupir toute l<i
force de fon corps & de fon efprit. D. 0. f
Kkkk ij
tfaS' RESTITUTIONS,,
LIVRE DIX-HVITIE'ME*
Pag. 7p. Lu. Megen, /^ Meghen.
Pag. 84. 1. dern. Nuvolara, ou Nugolara.
Pag. (?2. 1. 32. Henrique, ou Henriquez.
Pag. 93.I. 2 S. Huit cens coups, lif deux mille huit cens,
MS. Reg.
Pag. 5)4. 1. 30. Monticello, Monticiello, 0» Montichiello.
1. dern. Chiufdino, félon Adriani. Montluc dit, Chiufi,
Pag. 5)5. 1.7. Saint Génies. Il y a plus d'apparence que c'en:
S. Gêniez.
Pag. 100. 1. 8. Le Mont de l'Argentera, lif Monte Argen^
taro.
Pag. iop.l. 26. Montalto, lif. Montauti, ou Montacutir
Pag. 1 1 51. 1. p. Filletino , lif Filettino.
Pag. 120. 1. 2. Rocca di Moro , lif Morro.
Pag. 121. 1.32. Maltiniano , lif Maltignano.
Pag. 123.I. 27. S ura , lif Sora.
Pag. i2p.l. 33. Le 11. d'O&obre , lif le $. de Septembre«
Edit. Angl.
Pag. 130.1. 2. De Sanciam, lif de XanfL
LIVRE D1X-NEVV1EME.
Pag. 141. 1.2. Veherdan, Verden, Vehrden, ou Ferden.
Pag. 144. 1. 3 1 . Grands du Royaume , ajout, tenue à Newbotle^
Pag. 14(5. 1. 24. Jacques Sec lif Le Lord Jacques Fleming Ba-
ron de Cumbernald. C.
1. 27. Montrofe , ou Montre (T.
Pag. 147. 1. 20. Avec la, lif avec de la , ou avec quelque ca-
valerie.
Pag. 148. 1. 3 6. Longuevaî , ajout, à qui le Cardinal avoit fufei-
té au commencement de ce règne un injufte procès, com-
me il a été rapporté en fon lieu. P. *
Pag. 14p. 1. 3 . Les auteurs de cette guerre , lif les Guifes. P. *
Pag. 150. 1. 15. Brueil , lif Breuil. '
CORRECTION S, &c< fcy>
Pag. 15*0. 1. 30. De Lalain, lif Lalane.
1. 3 2. Vaulperghe , Valfpergue , Vaupergue , ou Vak
pergue.
Pag. 1 51.I. 8. Fauxbourg d'Ile, lif Fauxbourg de Tlfle.
Pag. ifp.l. 36. Fils du Duc, lif fils du Connétable.
Pag. 160. 1. 1. Neufui, ///7 Neufvy.
1. 2. Marcai , ///7 Marcay.
î. 5. Montfalel. L# Popeliniere l'appelle > Monfalez;
1. 3 6*. Par leurs artifices, ajout. Maisabufant de ce mê-
me crédit & s'en fervant pour ruiner le peuple, ils rempli-
rent la France de fa&ions , & la réduisirent enfin à deux
doigts de fa perte. P. *
Pag. 153.I. 2 6. Polviller de Weiiïembourg , lif. Polweiler,
not. Nos Hiftoriens le nomment Polleville. Mathieu tome
1. p. 17p. dit qu'il étoit de Mafmunfter , Bourg où il y a
une célèbre Abbaye de Benedi&ins fondée l'an 730. par
Mafon Duc d'Allemagne. M. de Thou l'appelle Sebufia-
w«j,c'eft-à-dire, de Weiflembourg en Alface, appelle pai*
les Latins Sebufiana Sylva , ou Sebujtum.
Pag. 166.I.36. ôc 37. bra-rent, lif braquèrent.
Pag. itfp. 1. dern. D'Arbouville , ou d'Arboville.
Pag. 182.1. 1 1. Le 14. de Septembre, lif. le 27. de Septem*
bre. Put.
1. 14. Né dans, effacez né.
Pag. 187. 1. 14. Macrin , lif. Salmon,o» Salomon Mairin;
Noir. 2. Mikron. V Editeur Anglois le nomme , MU
tren.
LITRE VINGTIEME.
Pag. ip4. î. 7. Ali-ben-Bubcar , ou plutôt , Bubcar-ben-Aly.
Pag. ipf.l. 12. Yahaya, ou Jahaya.
Pag. 197. 1. 33. Deux mille hommes. Suivant V édition de Lon-
dres , douze cens.
Pag. 202.I. 7. Tingitane, ainfi appellée de la ville AeTingi ,
aujourd'hui Tanger. C.
Cefarienne , appellée aujourd'hui , le Tiguident. C. •
L _p, Larache, Liffhs > not. Ce fleuve ne peut être
63o RESTITUTIONS,
méridional au Royaume de Fez 5 il fembleroit que ee dut
être plutôt Ziz, rivière qui fe jette vers le Midi dans u«
Lac du même nom > entre celles de Dara & de Ghir. Put*
Pag. 205.I. 25-. Trois cens, effacez cens.
Pag. 210.I. 34. On s'affembla, ajout, au Palais.
1. 37. Et le Duc, lif ôc Charles Duc.
Pag. 217.I. 1. Eprouvé, lif. approuvé.
Pag. 221. 1. 20. D'Angus, lif. de Rhotes.
1. 24. Par les frères du Régent &c. iif par les Gui~
fes , parce qu'ils s'oppofoient à leurs delleins & à ceux du
Régent. P. *
Pag. 222.I. 20. Des Guifes , ajout, attentifs à profiter de nos
malheurs. P. ¥
1. 24. Fa&ions , ajout. Pour y mieux réûfïlr ils eurent
recours à l'intrigue, fe fervirent de leur crédit, s'abbaiflerent
jufqu'à la baffe flaterie , ôc jetterent dans l'efprit du peuple
les fatales femences de la révolte. P. *
1. 3 3. Calais , lif. Le Duc de Guife ufant du fpécieux
prétexte de la Religion , & fuivant les confeils du Cardi-
nal fon frère , fe fervit, pour faire perdre à d'Andelot l'afc
fe&ion du Roi , d'une occafion &c. P. *
Pag. 223 . 1. 3 o. En faveur de la Religion , lif. pour établir une
paix fonde dans la maifon de Dieu. P."*
Pag. 225*. 1. 17. Déjà très-puinante en France , lif qui afpiroij:
déjà à tout .ce qu'il y a de plus grand. P. *
1. 25. Revenus, ajout. Enfin à l'infçu des deux Cou*
ronnes, le Duc de Guife qui fut tué à Blois, vint à bout
de faire un traité fecret, d'abord avec D. Juan d'Autriche ,
& enfuite avec Philippe lui-même. Ce fut à la faveur de
cette alliance qu'on le vit ofer tourner contre fon Roi des
armes qu'il n'avoit prifes que fous le fpécieux prétexte d'ex-
terminer les hérétiques. Sa mort ne fervit qu'à faire éclatet
la conjuration ; & dès-lors tous les Lorrains s'appuyèrent
ouvertement des forces de l'Efpagne, pour attaquer le Roi>
Je Royaume , & toute la maifon Royale. C'eft ce qu'on
pourra voir dans cette hiftoire , fi. Dieu me donne aflez
de vie & de loifir pour la continuer , ou du moins dans les
écrits de ceux qui tranfmettront à la pofterité les évenemens
des années fuivantes. Ainfi l'on fe retira &c. MS. Reg.
CORRECTIONS; Sec: 6$t
Pag. 2 26. 1.23. Quelque chofe, ajout, par. les émiiTaires des
Guifes. P.*
Pag. 22p. 1. 15". Thionville, ajout. Que quelques-uns croyent
avoir été le Divodurum des anciens , & qui a depuis été
appellée Theodonis Villa. MS. Reg.
1. 26. Luflfebourg , les Allemands le nomment OÙ*
burg. C.
Pag. 23 i.l. 10. Le dix de Juin, lif. le huit.
Pag. 23 6.1. 13. Gous , lif. de Gohas.
Pag. 238.I. 23. Bergues S. Winoc , lif. Winox.1
Pag. 243. 1. 23. Waackene , ou Waackenhem.
Pag. 244.I. 22. Nogaret, la Vallette. Otez la virgule 3& lif,
Nogaret de la Valette.
1. 27. Antoine de Luxembourg Comte de Roufil.
C'eft une faute de M. de Thou, l'hiftoire Généalogique de
France, vol. 3. p. 730. apprend que Louis de Luxembourg
étoit Comte de RouiTi , fon frère aîné Antoine étant ap-
pelle Comte de Brienne. C.
I.33. De Defcars,de la Vauguion ; &«; la virgule ,
& lifezy d'Efcars de la Vaugion.
I. 34. D'Hangeft-Janlis , lif de Genlis,
Pag. 245:. 1. 4. ReirTenbergers , lif ReifFenberg.
Pag. 248. 1. 1 1. Levé , ou Leyva.
Ibid. Lodogno ou Londono.
Pag. 25"o. 1. 14. Viglius, ajout, de Ayta. Edit. Angh
1. 18. Thirleby, ou Thurlby.
Pag. 2ji.l. dern. Le 1$. de Novembre. Suivant V édition de
Londres , le dix-feptiéme.
Pag. 25*2.1. 25". Guillaume Peyt &c. L'Editeur Anglois cor-
rige ici M. de Thou. Il veut qu'on dife Pierre , au lieu
de Guillaume 5 & il prétend que ce Cardinal étoit d'une
illuftre & très-ancienne famille dans le Comté de Warvich ,
arriére petit-fils de Guillaume Peyt, qui dans les guerres
de France fervit avec honneur dans l'armée de Henri VI.
Roi d'Angleterre 5 & que le fameux gênerai Jean Talbot
Comte de Shrepphire Maréchal de France choifit, pour fon
Lieutenant dans cette dignité l'an 1448. C,
6*z RESTITUTIONS,
'5
LIVRE FINGT-VNIE'ME.
Pag. 2^7. 1. 1. Roche-Sparviere , lif. Roque Sparviere.
Pag. 2^8.1. i y. Satisfait, 0/00;. parce qu'il lui avoit reproché
en face fa lâcheté en prefence du Roi. P. *
1. 18. Huguenots, lif. Proteftans. On prie le Lec-
teur de remarquer pour toute la fuite de cette hiftoire que
jamais M. de Thou , parlant en hiftorien , ne s'eft fervi des
noms de Papijies > Calviniftes , Huguenots > Hérétiques s Sec-
taires. Ainfi partout où ces ternies ont échappé au Traduci
teur, il faut fubftituer les mots Catholiques, P rote flans.
1. 20. Valenza , lif. Valence , en Dauphiné.
1. 34. Valence, lif. Valenza, en Italie.
Pag. 2jp. Lp. De Pelous, Pelou, ou Peloux. C'eft le mêms
Officier.
Pag. 264. 1. 32. Le 19. lif. le 15-. d'Avril.
1. 3 6. Sueve , ou Suabe.
J. 37. 1207. Suivant P édition de Londres, 120S.
Pag. 26 6 A. 16. Le Golphe de Pautzkerwich. Sinus Venedicus*
not. Quelques-uns l'appellent Frifchaff : mais Ortelius re-
jette ce fentiment, & dit qu'on l'appelle maintenant^ Pautz*
kerwic/h Voyez Pontanus dans fonliiftoire de Dannemarcjc,
Put.
1. 24. Duîna , ou Dwine.'
1.25*. Moskwa, Mosko, ou Moskow;
1.3y. Volochga, ou Vologhda.
Pag. 267. 1. 8. Ilmen,.0# limer.
1. p. Wolchow , ou Wielk.
\.ï6. Kokenhufen, ou Kokenhauz.
1. 25. Derpt, Derbet, ou Dorpt.
Pag. 26$. 1. 11. Pomefanie, ou Pomezam.
1. 18. Wefeberg, ou Wefenberg.
Pag. 270. 1. dern. Herminge , lif Hemming.
Pag. 271.I. 16. Dunamond , ou Dunemond.
Pag. 273. 1. \6. Les écoliers qui leur étoient attachez, ou là
jeunelfe qui avoit embrafle leur Se&e. P. D. 0.
1. 27. L'ancienne Religion, lif. le Papifme. P.*
V^. 274:
C O R R E C T I O N S, Sec. <j$
Pag. 274. 1.21. Blankelfeld, lif Blakenfeld.
Pag. 275". 1. 35*. En Mofcovie, lif. à Moskow.
Pag. 276". I.22. Romanie. Les Turcs l'appellent Romelie.
Pag. 277. 1. 32. Polaquie , lif. Poloskie.
Pag. 278. 1. 3. Tvverin , Twer , ou Tweren.
Pag. 28 1. 1. 27. Jodoc , lif Joffe.
Pag. 284. 1. 34. Joachims , not. Ce font Thalers battus fous
l'Eledeur de Saxe , de la vallée de Joachimftal es con-
fins de la Mifnie & de la Bohême , qui peuvent valoir
environ jo. fols, pièces d'argent. Lyfimachici ,, dont il
parle au neuvième livre , p. 324. étoient médailles d'or
de Lyfimachus } trouvées en Tranfîlvanie , & portées au
Cardinal George Martinufius. Put. I.
Pag. 2£5\ 1. 12. Trente <5c un ans, lif trente -fix ans. Eàitl
Angl.
Pag. 25)8.1. 22. De lettres , not. Cornaro avoit abandonné la
pratique des médecins Arabes , pour fuivre celle des Grecs.
De fon tems on n'expliquoit dans les écoles de Médecine
que les ouvrages d'Avicenne , qu'on regardoit comme le
Dodeur le plus habile en cet art. On y enfeignoit auffi la
dodrine de Rafis, fur-tout la méthode contenue dans le
neuvième livre de fes écrits dédié à Almanfor , où il pref-
crivoit , difoit-on , des receptes infaillibles pour toutes for-
tes de maladies , celle d'Albucafis, d'Avenzoar, de Me-
fuas, & d'une infinité d'autres Arabes, qu'il feroit ennuyeux
de rapporter. Cependant chacun fuivoit à fa fantaifie dans
la pratique Bertruccius, Gatinaria, Guaincrius, Valefcus;
& plufieurs autres fans nombre , tous auteurs modernes.
On faifoit cas fur-tout d'Arculanus, que quelques-uns ap-
pellent aufîi Herculanus. A l'égard des auteurs Grecs qui
ont écrit fur la médecine, on les méprifoit 5 il y en avoit
même plufieurs dont on n'avoit abfolument aucune con-
noiflance 5 l'ignorance alloit jufqu'à défigurer les noms de
ceux qui parmi eux ont excellé en cet art ; on citoit commu-
nément dans les écoles Hippocras & Gallen. On en avoit
cependant quelques mauvaises tradudions faites par des
Efpagnols & des François , que quelques-uns confervoient
avec foin , & qu'ils regardoient comme un tréfor ; du refte
on enfeignoit encore les Aphorifmes & les Pronoftics
Tome III. J-Hl
*34 RESTITUTIONS/
d'Hyppocrate 5 niais ces ouvrages mêmes étoient fort cor-
rompus & d'un ftile abfolument barbare. Melch. Adam*
Put.
Pag. 25)8. 1. 3 5". Dans la préface Sec. rwt. La penfée que M. de
Thou a voulu exprimer , efï que les effets du miroir cy-
lindrique étant prefqu'incroyables , paroiifoient capables de
jetter dans l'erreur le vulgaire naturellement fuperftitieux,
& porté à attribuer à un art magique ce qu'il n'entend pas:
mais que Pena avoit démontré que ces effets étoient na-
turels. Le Traducteur avoit bien pris cette penfée : mais
foit qu'il foit échappé quelques mots à fa plume 5 foit qu'il
fe foit glifle quelque faute dans Pimpreflion , on a jugé à.
propos de la mettre ici dans un plus grand jour.
Pag. 301. 1. 20. Nebrija, ou Lebrixa.
Pag. 302.I. 8. De Milli, ou Mil!.
1. p. Sommerville, lif Somervill. Ou félon F Editent
Anglois } Sommervaile,
1. 10. Mefan, lif. Methuen, ou Meffen.
Pag. 305. 1. 28. Cupre , ou Couper.
Pag. 306.1. 8. Gilepfic Cambell. U Editeur Anglois le nomme ,
Archibald Campbell , Comte d'Argyle.
Pag. 307. 1. 27. Carlil, m Craile. Edit. Angl.
Pag. 308.I.5?. Lermont, ou Learmouth.
Pag. 305». 1. 4. Kinfan, ou Charters, Seigneur de Kinfawns,
Edit. Angl.
1. 20. Lythco , lif. Linlithgow. Edit. Angl.
Pag. 3 1 o. 1. dern. Ajoutez : Elle agitlbit au moins plus four-
dement ; & elle tâchoit de combattre par la rufe & Par-
tiflce 3 ceux qu'elle n' avoit pu obliger par la force & la
violence à fe foumettre à fes ordres. P. D. 0. f. d.
LIVRE V1NGT-DEV X1EME.
Pag. 3 1 1. 1. j. Jours , ajout, après avoir régné vingt-quatre ans,
1. dern. Fimen , lif Fuynen.
Pag. 3 12. 1. 17. Dietmarfie , lif Dithmarfen.
Pag. 3 14. 1. 8. Hartwi , lif Hartwig.
I.32. Wager, lif Wagriem
CORRECTIONS.&c. *&)
Pag. 3 1 5" . 1. 2(5. Triperft, ///7 Tirperft.
Pag. 3 \6. I. 2 j. Frife , wor. Ce païs eft laFrife au-delà de la ri-
vière d'Elbe au Duché de Holftein. On l'appelle en latb
gue vulgaire , Strant-Freifen , & IVorft-Friefen.
Pag. 321.I. 7. Deux cens mille Taers, lif quatre-vingt mille
Talers.
1. 28. De la Fionnie , lif. de Fuynen.
Pag. 322.I. 23. Carottes, not. Nous n'avons point trouvé de
terme plus propre , pour exprimer les voitures des perfon-
nés de diftin&ion, que M. de Thon appelle, ou Véhicula %
ou Germs. Nous fçavons & le Le&eur n'ignore pas que ces
voitures étoient alors bien différentes de nos caroiïes d'au-
jourd'hui.
Pag. 328. 1. ^S. Moufquetaires, not. Le Ledeur conçoit aifé-
ment que ce n' étoient pas alors des Moufquetaires , tels
que ceux qui font aujourd'hui en France partie de la Maifon
du Roi. Ce mot nous a quelquefois échappé pour varier ,
Se ne pas toujours mettre , Arquebufîers , qui eft le vrai
terme , & qui exprime le mieux le mot Latin Scloppe*
tarii. C'étoient des foldats , qui félon les tems & les païs,
furent armez d'abord d'arquebufes , enfuite de moufquets ,
& enfin de fufils ; l'infanterie étoit pour la plus gran-
de partie compofee de ces Arquebufîers ou Moufquetai-
res ; & M. de Thou les appelle Amplement Scloppetarii.
Il y en avoit, mais en plus petit nombre , qui étoient à che-
val, Scloppetarii Equités ; nous avons rendu cette expref-
4ion par Arquebufîers ou Moufquetaires à cheval. Dans les
tems plus proches de ceux-ci , il nous fera peut-être échap-
pé quelquefois de les appeller Dragons ?* encore pour va-
rier les exprefîions ; fans prétendre décider fi les troupes
à qui on donne maintenant ce nom , ont commencé fous
Henri III. fous Henri IV. ou encore plus tard.
Pag. 330.I. 4. Marc Romanaw, lif. Marquard Rennaw.
Pag. 331.I. 27. Le feize de May. M- Dupuy veut qu'on life, lç
dix-fept de Juin.
Pag. 334. 1. 37. L'Ombrie, ou la Romagne.
Pag. 3 3 5" . 1. 27. Bonfigliazzi , lif Gianfigliazzi.
Pag. 336. 1. 16. De Ferrare, lif. de Bologne.
LUI ii
«$6 RESTITUTIONS,
Pag. 345:. 1. dern. Six années, lif. onze années entières. Cejl
la vraye leçon. P. D. o.f.
Pag. 347.L22. Breiningen, lif. Beiningen.
Pag. 350.I. 2. Cette Princefle reçut alors le titre de chef de
l'Eglife Anglicane , not. L'Editeur Anglois remarque iciique
M. de Thou , fuivant une erreur commune à tous les étran-
gers , fe trompe. Il eft vrai, dit-il, qu'Henri VIII. père d'E-
lizabeth , & Edouard VI. frère de cette Princeffe , ont pris
le titre de chef de l'Eglife Anglicane. Marie elle-même fa
fœur a été ainfi qualifiée au commencement de fon règne ,
comme il paroît par les regiftres du premier Parlement
qu' eiie convoqua , & par d'autres a&es publics. Mais Eliza-
beth n'a jamais pris cette qualité? <3c quand on a voulu of-
ficieufement la lui donner , 011 elle ne l'a pas approuvée , ou
elle l'a abfolument refufée. C.
Pag. 3 j5>. 1. 30. Selon les vues de la Cour , ajout. Pour que l'a-
vis fut plus fecret , ce Magiftrat , qui ne fe fioit pas à fon
Secrétaire , avoit remis au Roi un mémoire écrit de fa pro-
pre main., où il expofoit à ce Prince la manière dont il
devoit fe conduire dans cette affaire , les noms de ceux
qu'il devoit regarder comme fufpe&s , leurs charges , leurs
bénéfices & leurs biens , dont la plus grande & la meilleu-
re partie étoit deltinée aux fangfuës , dont la Cour regor-
geoit alors , & dont le relîe devoit , fi on les en eût crus ;
être diftribué à leurs enfans. Pour moi je me fouviens d'a-
voir fouvent entendu dire à Chriftophle de Thou mon
père , qui , comme tout le monde fçait, étoit ennemi mortel
de la médifance & de tout ce qui avoit l'air de jaloufie
ou de vanité , qu'ayant été mandé à la Cour à ce fujet,
& ayant ofé difputer longtems en particulier contre le Roi
avec cette franchife & cette candeur, qui lui étoient na-
turelles., pour le détourner d'un deflein que cet homme
plein de fagefle prévoyoit devoir être fatal à la France &
au Prince même , Henri qui 1V avoit rien à répondre à fes
raifons avoit pour foulager fa mémoire tiré ce papier de
fa poche ; que mon père ayant jette les yeux deflus, le Roi
lui avoit demandé s'il connoifloit cette écriture ; & qu'ayant
repondu qu'il reconnoiuoit parfaitement la main du Préfi-
'CORRECTIONS,^; <*37
dent le Maître , le Roi fâché de cette réponfe avoit aufTi-tôt
reflerré le mémoire. Depuis ce tems-là il vit &c. P. *
Pag. 36b. 1. 3. Il vit toujours avec répugnance, lifil eut tou-
jours deprus en horreur , & il détefta ces affemblées, dites
Mercuriales. D. 0. f. d.
Pag. 361.1. ip. Louis Faur, lif du Faur.
Pag. 362. 1. ip. Homme de bien, ajout, mais lâche. P. *
1. 23. Le Premier Préfident, ajout, auteur de cette
intrigue. P.*
Pag. 363. 1. 38. Le 28. de Juin, lif. le 28. de May. Suivant la
correction de M. Dupuy.
Pag. 36;. 1. 1. Clemengis, lif. Clemangis.
1.2. De Groeninghen, lif de Groningue.
LIF RE VI NGT-TROl S1EME.
Pag. 374. 1.28. Madame de Valentinois, ajout. Les prenan-
tes follications de Gilles le Maître, comme nous l'avons
dit. P. *
Vag-375'1' 10. D'Avançon, ou d'Avanfon.
Pag. 3 8 1. 1. 7. D'Efcars , ajout, dont l'avarice obfcurciflbit VU*
luftre naiflance. P. *
1. 8. Emeri , lif Aymery.
Pag. 383.I. ip. Nantueil, lif Nanteuil.
Pag. 3^2. 1. 1 8. Baluë, lif. Jean de Baluë.
Ibid. DeVoKey fUfl Thomas de Wolfey.
Pag. 3^7.1. 14. Qu'ainfi, lif ainfi.
Pag. 400. 1. 2. De la bête dont il eft parlé dans l' Apocalypfe ,
ajout, qui défignoit félon lui le Pontife Romain. P. *
1.2p. Que ce n'avoit, effacez que.
Pag. 401.I. p. Dont les mœurs n'étoient pas irréprochables,'
lif. qui étoit plongé dans la débauche. P.*
1. 1 6. Difoit , lif. crioit hautement. P. *
Pag. 40 $. 1. 4. Des Croifettes , ou Crucé. M. de Thou le nom-
me en Latin Cruciarius , & faifant allufion à cette expref-
fion latine qui lignifie un boureau ou un homme digne de
la corde , il ajoute dans l'édition de Patifîbn que, cet homm^
portoit un nom qui lui conyenoit merveilleufement bien. P.. *
*3& DESTITUTIONS,
Nota. Le fommaire qui eft à la marge de la page 405". eft
de M. Dupuy. Nous faififlons avec plaifir cette occaiîon
pour reconnoître que quelques - unes des notes qui fe trou-
vent dans notre Tradu&ion, font de M. Dupuy, quoique
nous n'ayons pas toujours eu foin de leur en faire honneur.
Pag, 406. 1. 24. Mont-midi 3 lif Mont-medi.
1. 26. Valence, lif. Valenza.
Pag. 415.I. 5. Le quatre de Septembre, lif le deux de Sep»
tembre. Put.
Pag. 42 1. 1. 2p. Galateà , lif Galeata.
Pag. 428.I. 5. Maifon Navarre, lif Maifon de Navarre.
- LITRE riNGT-Qy ATRIEME. .
Pag. 43 p. 1. 31. MagnefTe, ou Magnefie.
Pag. 440. 1. 32. Burfa , ou Burfia. Ofman-ili , félon Leurxlavkiî,
Pag. 447. 1. . Le Bâcha de Sebafte, ou le Beglierbey de
Siwas, aliàs Suwas.
Pag. 45-0. 1. 12. Bâcha de la Grèce, ou Beglierbey de Romelie,
1. 14. Et follicite les peuples, lif follicite les Geor-
" giens, & les cinq Princes de Mazenderan , qui reftoient
de la race de Tamerlan , de joindre leurs forces aux fien-
nés. Edit. Angl.
Pag. 45 1. 1. 9. Le Bâcha de Mazuan, lif le Bâcha de Marafch,
Edit. Angl.
1. 1 4. Casbin , ou Cafmin.
Pag. 4.5-3.1. 5. Le vingt-cinq , lif. le vingt-quatre de Juillet,1
Z^ag. 45 6. 1. 3 5. Jean Cocborne Ormifton , lif Jean Cockbum
d'Ormifton.
Ibid. A Warvic , lif. à Berwick. Edit. Angl.
Pag. 457. 1. 3 ï. Metellan , lif. Maitland.
Pag. 45 8. 1. 2. Lithcow , lif Linlithgow. Edit. Angl.
1. 12. Kircadey, lif. Kirkaldy, Sieur de Grange.
1. 28. Warvic, lif. Berwick. Edit. Angl.
pag. 461. 1. 30. Wemis, lif Veems.
Ibid. Cuper , ou Cowper.
î. 32. Kingrag, ou Kincraig.
ï*ag. 462. 1. 34. De Penh , Hf à Perth.
C O R R E C T ï O N S, &c; €$$
Pag. 464. 1. 35*. De fes terres, ///7 de fa Province ; nota. Ce
Ducavoitle gouvernement & le commandement général
de la partie Septentrionale d'Angleterre vers l'EcoiTe,
qu'on pouvoit par cette raifon appellera/à Province.
1. 3 6. Twed & Terwent , lif. Tweed ôc Trent. Edit.
'AngL
1. dern. Cécile , lif. Cecil.
Pag. 465". L i6. Les Seigneurs de la, lif. Charles de la.
Pag. 46" 6. 1. 2p. Sandeland , ou Sandilands.
Pag. 47 £.1. 13. Il avoir quitté, ajout. Il avoit honteufenient
quitté. P. *
1. 16". Un vif reffentiment , ajout. Et le regardant
comme un homme importun, qui i'avoit mal -à -propos
averti de fon devoir , & comme un témoin oculaire de
fa honte Ôc de fa confufion , il lui a fait &c. P. ¥
Pag. 480. 1. 16. Maille , lif. Maillé.
Pag. 481.I. 18. Lalamant , lif FAllemant fieur de.
Pag. 483.I. 10. Bourdin, ajout, l'ennemi déclaré des Protefc
tans. P.*
1, 26. Le quatre de Mars , lif. le trois de Mars. M,
Samm.
1. 28. Au dix-fept , lif au feize du même mois. Editi
fAngl.
Pag. 487.I. 28. Sans troupes, ajout. Ceci fe paûa le quinze
de Mars , le lendemain , feiziéme.
Pag. 490. 1. 5". Tandis que Chandieu , lif. tandis que Bertrand
Chandieu.
Pag. 497. 1. 3. Juridicature , lif judicature.
Pag. 45)8. 1. p. Lonvy , ou Longwic.
LIVRE VINGT CINQVIEME.
Pag. 5:07. 1. 5-. D'After , lif Afté.
1. dern. Richelieu , ajout, homme perdu d'honneur
& de réputation. P. *
Pag. 508.I. 1. Semblables en tout à leur Capitaine , ajout.
Que les Guifes cependant avoient deltinez , comme il a
été dit , pour faire partie de la Garde du Roi. P. *
£4o RESTITUTIONS;
Pag. 50p. 1. 28. Chandey, lif Chandieu.
Pag. 524.L 25. Scarfe, lif. Defcars, ou d'Efcars.
Pag. 5 30. 1. 2. De Conftantinople , ajout. Les deux cens de
celui d'Ephefe , not. car on le lit ainil dans Serranus , dont
cet endroit eft pris. Put.
Pag. 541. 1. 37. Le 25". de Septembre. Et fuivant la correction
de M. Dupuy , le premier O&obre.
Pag. 5*43.1. 33. Le Prince d'Anguien, lif. François de Bour-
bon. Put.
Pag. 544. 1.4. Saulas, ou Santlas. Beze l'appelle, Solas.
Pag. 5 45. 1. ii. Les Proteftans Huguenots : effacez ici & ail-
leurs ce mot Huguenots , dont M. de Thou parlant en hifto-
rien > ne s'eft jamais fervi.
Pag. 54.5. 1. 6. Quintel. not. C'eft ainfi que Beze appelle celui
que nous avons ci-deflus nommé , de Quint avec tous les
Editeurs de M. de Thou.
1. 3 7. Bourel du Ponfenas , lif. Bourel dit Ponfenas.
Pag, 5*47. 1. ip. Marques &c. L'Editeur Anglois veut qu'on
fafle trois perfonnes , de ceux dont le texte femble ne faire
que deux ; fçavoir Marquet > le Juge Civil ou Châtelain
de Soyon ; & Blanchier. C.
Pag. 55*0. 1. 2. Cinq d'Août. U Editeur Anglois fur l'autorité de
Beze > veut qu'on life : le fix d'Août. C.
1. 3 6. Premier Août , lif. dix-fept Août. Edit. AngU
Pag. $$1.1.26. Paulin, lif. Polin.
I.27. La nièce, not. Elle s'appelloit Juftine Alle-
mande des Champs , fille de Juftine de Tournon fœur du
Cardinal. Put.
1. 3 1 . La Foreft , Blacons. Otez la virgule } & lifez :
la Foreft de Blacons.
Pag. 5*52. 1. 12. En un certain Convent, lif l'Abbaye de la
Grave. Ç.
1. 18. Du Comte de la Baume , lif d'Antoine de la,
Baume Comte &c.
Pag. 555.I. 1. Fayeufe , If. Fuyeufe,
UPHE
C O R R E C T I O N S, Sec, d^t
LIVRE VINGT-SIXIEME.
Pag. ftfi.l. 13. Amaury, lif. Aymery.
Pag. 5 6"4- 1. 22. Ceux qui paffoient alors &c. On lit en placé
dans les éditions de Patijfon & de Drouart : cette ordonnance
fut faite par le confeil des Guifes > & l'on croit que les
Maréchaux de S. André & de BrifTac y eurent part. P.
D. o.f
Pag. 76p. 1. 28. Viole , ajout, avec Gilles Bourdin Procureur
général , & Jean du Tillet Greffier en chef du Parlement.
On &c.
Pag. 5*70. 1. 24. Contre fes ennemis , lif. contre les Guifes. P.
Pag. 5-71.1. 10. Par des hommes apoftez à cet effet, ajout.:
On dit que Sebaftien de Luxembourg de Martigues, que
les Guifes avoient 'envoyé depuis peu en Ecofïè , ainfi que
nous l'avons dit , avoit été choifi pour donner le premier
coup. P. *
Pag. £73-1. p. Ce fut alors, ajout, le 16. de Novembre.
Pag. y75".l. 16. Vingt jours /lif. vingt-cinq, not. François IL
né à Fontainebleau le 20. Janvier 1 5" 4 5. avant Pâques,
mourut le j. Décembre 1560. ayant régné dix-fept mois^
& vingt-cinq jours. Put.
Pag. $ 7 6.1. dern. A qui cette forme de jugement, ajout. Lai
précipitation dont on ufoit, ôc les confeils violens des Guifes
avoient toujours déplu. P. *
Pag. 578.I. 3. Han, ou Ham.
1. 6. Sanfat , lif. Sanfac.
•Pag- $19- 1- 6. Le 12. Suivant P édition de Londres , le 21. dé
Décembre.
Pag. y 8 y. 1.8. Le Pape régnant, ajout, uniquement occupe
de l'avancement de fa famille , & fe mettant peu en peine
de tout le refte , ne redoutoit &c. P. *
1. 26. Dei Medici, lif de Medici.
Pag. ;8p. 1. 33. Balduin , ou Baudouin.
Pag. 5:5)0. 1. 32. Commendon, ajout. Evêque de Zante. Put.
Pag. fpi. 1. 2j. Dom Bernarde de Guimeran, If. Dom Ber-
nard o de Guimaran,
Tome HL M m m m
tf 42 RESTITUTIONS,
Pag. 59 3.I. i<?. Mortaga Seigneur de Tefchiora, Uf Mor^
taha Seigneur de Tefciara.
Pag. $ $6.1.26. Marzamugetto , ou Marfa Mufcietto.
Pag. 602.I.23. Almanzor, Uf. Amanzor.
1. dern. Conté \ Uf Conti.
Pag. 603. 1. 30. Le cinq de May , lif le trois d'Avril. Fut.
Pag. 605.I. p. On vit arriver, ajout, le dixième de May,
une &c.
1. 13. Quatre-vingt, Uf. quatre-vingt cinq.
Pag. 607. 1. 23. Cades , Uf Caldes.
Pag. 615.I. 17. De Holface, ou de Holftein.
Pag. 61 7. 1. 29. Soixante-dix ans , Uf. quatre-vingt ans. P. Z>. 0.
I.30. Cinquante années, Uf foixante années. Edit.
'Angï.
Pag. 618.I. 23. Cette forte d'amufement , Uf cette paiïiom
Pag, 622. 1. i6. Requefende , Uf. Reefende.
1. 35. Barbato, Uf. Barbare
Pag. 623.I. 16. En 1583. On Ut dans V édition de Londres , il y
a trente ans } ante xxx. annos , ce feroit au moins en 1 5 30.
Pag. 624. 1. c). De la marche né dans Brandebourg , Uf né dans
la marche de Brandebourg.
1. 17. Le premier de Novembre , not. Meîchior
Adam , qui a écrit la vie de Lotichius , nous apprend quel-
le fut la caufe de fa mort. Lotichius faifoit fes études à
Boulogne, & logeoit avec un jeune Gentilhomme Bava-
rois Chanoine de Munich. Ce jeune homme avoit une in-
clination en ville. Son hotefie qui de fon côté l'aimoit éper-
duëment s'en apperçut. Aufli-tôt l'amour & la jaîouiïe mi-
rent aux champs cette nouvelle Medée. Outrée que fon
penfionnaire allât chercher ailleurs ce qu'il pouvoir trou-
ver fans fortir de chez lui , elle réfolut de troubler ce com-
merce. Son deflein étoit uniquement de fe faire aimer d'à
>eune Chanoine. Pour en venir à bout, elle imagina de
fe fervir d'un philtre. Dans cette vue elle prépara un jour
deux bouillons pour fes deux penfionnaires , & fuivant la
coutume dupais, elle les leur prefenta à chacun féparément.
Un hafard renverfa tous fes projets. Le bouillon deftiné
pour Lothicius étoit beaucoup plus gras que celui du Ba-
varois dans lequel l'hotefle avoit mêlé le breuvage. Loti-
CORRECTIONS, &c. Ctf
chius naturellement ennemi de tout ce qui étoitgras, chan-
gea de bouillon avec fon ami ; mais à peine eut-il commen-
cé à l'avaler , que la force du poifon fe fît fentir. Ce jeune
homme tomba d'abord en foibleffe ; enfuite il devint fu-
rieux , courut à fes armes , & fe jetta l'épée à la main fur le
Bavarois. Peu de tems après revenu à lui-même, il avalia un
peu d'huile d'olives, qui lui fit rejetter une partie du poifon.
A la fureur fuccéda une fièvre maligne , dont il ne rechapa
que pour avoir la douleur de voir tomber fes ongles &
fes cheveux. Depuis ce tems -là ce ne fut plus le même
homme ; il changea abfolument de caractère & même de
figure , & conferva tant qu'il vécut des reftes de cette pre-
mière attaque. Tous les ans vers l'Automne le breuva-
ge empoifonné fembloit fermenter de nouveau. Ces re-
tours, étoient accompagnez de fièvre & d'une efpece de
délire. Ce fut dans une de ces rechutes, que Lotichius
périt malheureufement. Pati
I.24. Eitimablepar fon & fçavoir par, lif. éftimà*
ble par fon fçavoir, & par la douceur, &c.
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